Aregnu

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La commune d’Aregnu est située en Balagne, le giardino della Corsica1. Le village et ses deux hameaux, E Torre et Praoli, surplombent une plaine, principalement vouée aujourd’hui à l’élevage ovin, et une des plages les plus fréquentées de la région durant la période estivale. Son territoire possède un patrimoine riche et varié (églises, chapelles, bâti rural et villageois, fontaines, sentiers…). Il est le reflet de son histoire, de son économie agraire, des savoir-faire des anciens et de leur vie quotidienne. Les municipalités successives se sont engagées dans une politique volontariste de rénovation et de promotion des patrimoines locaux. Ainsi, plusieurs campagnes de restauration ont été menées avec le soutien financier de la Région et du Conseil départemental de la Haute-Corse dans l’église paroissiale Sant’Antone Abbate. L’église de la Trinità, un des fleurons de l’art roman en Corse, a fait l’objet d’importants travaux avec le soutien de l’UE et de la CTC dans le cadre du projet ITERRCOST- Itinéraires et Réseau du Roman en Corse, Sardaigne, Toscane. De plus, le service patrimoine de la CTC a mené un travail d’inventaire sur la commune dont une partie des résultats est présentée ici au lecteur. Les visiteurs peuvent également découvrir les abords du village en empruntant un sentier traversant le circulu en se laissant guider par les panneaux bilingues présents sur le parcours. Cet ouvrage mettant en valeur le patrimoine (archéologique, religieux, rural) et la mémoire locale (Première Guerre mondiale) s’inscrit dans la continuité de la politique communale avec une double optique : participer à la réappropriation du patrimoine, de l’histoire et de la mémoire au niveau local, compléter l’offre touristique en accompagnant modestement le développement de la demande en matière de tourisme patrimonial et culturel. Il s’agit d’un enjeu économique essentiel dans une commune qui compte de nombreux artisans et commerces (bars, restaurants, hôtels, campings, coiffeur, supérette, biscuiteries…), ainsi que des exploitants agricoles (éleveurs ovins, producteurs d’huile d’olive ou de miel). Nous tenions à remercier chaleureusement les différents auteurs qui ont contribué à cet ouvrage sans qui le projet n’aurait pu être mené à son terme.

Le maire, David Calassa, et les membres du conseil municipal d’Aregnu 1. « Jardin de la Corse », cette expression est utilisée dès l’Époque moderne.

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N. B. : Les termes soulignĂŠs renvoient au glossaire en fin de chaque article.

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Préface S’inscrivant dans le « Riaquistu culturale » l’ensemble des articles Patrimonii è memorie d’Aregnu constituent, de la part de leurs auteurs, une contribution scientifique de qualité à la connaissance historique des richesses archéologiques, architecturales, artistiques et vernaculaires de cette ancienne pieve de Balagne. C’est avec bonheur et un enrichissement certain que l’on découvre le fruit des recherches de spécialistes confirmés issus des formations de l’université de Corse Pasquale Paoli. Au fil des pages se dévoilent quelques données connues et surtout des informations inédites dans des domaines insuffisamment explorés jusqu’ici. De la Protohistoire en passant par les époques romaine, pisane, génoise et plus contemporaine, le lecteur se ressource aux modes de la vie économique, sociale et urbaine qui ont façonné les traits identitaires du village d’Aregnu. À noter aussi la légitime incursion, dans cet ensemble, de l’épisode de la Première Guerre mondiale qui bouleversa l’économie locale et sans doute certains usages ancestraux. Le recueil s’ouvre par une étude de Franck Allegrini-Simonetti et de MarieLaurence Marchetti, archéologues territoriaux du service des patrimoines de la CTC, sur les découvertes récentes dans la plaine d’Aregnu et sur sa façade maritime. Précise et documentée, elle révèle notamment de riches vestiges oubliés de la Protohistoire et les traces romaines. Les églises romanes de l’époque pisane sont certes mieux connues. L’église piévane de la Santa Trinità et San Giovanni Battista a été magnifiquement conservée. Paola Camuffo, docteur en archéologie médiévale du laboratoire de l’UMR Lisa de l’université de Corse, en restitue les diverses fonctions au cours des siècles et fournit des explications signifiantes sur les éléments décoratifs architecturaux. Le lecteur appréciera de découvrir aussi l’église San Chirgu, au cœur du village ancien, qui mérite attention. Dans le domaine religieux, à Aregnu, un détour par l’église baroque est incontournable. Les trésors de la paroissiale Saint-Antoine-Abbé, « exemple du baroque balanin », sont illustrés avec talent par Jean-Charles Ciavatti, conservateur des Antiquités et des Objets d’art, chargé de l’inventaire du patrimoine insulaire, et Frédérique Valery, docteur en langue et cultures régionales de l’université de Corse, attachée au laboratoire de l’UMR Lisa. L’expertise minutieuse des peintures, fresques et autels des chapelles ainsi que la mise au jour d’un mobilier

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d’office exceptionnel rappelle, si besoin, la place de la foi chrétienne dans la vie communautaire rurale en Corse. Le recueil se poursuit par deux contributions, à la fois denses et inédites, de Jean-Charles Ciavatti et Laetizia Castellani, docteur en histoire moderne et contemporaine, membre de l’UMR Lisa, qui nous amènent vers les activités économiques et sociales sous les rubriques « Productions agricoles, bâtiments d’exploitation et de transformation » et « Bâti villageois de l’époque moderne à la fin du XIXe siècle ». La finesse de l’étude, une empathie certaine des auteurs, fournissent une clé de lecture du milieu naturel et humain façonné par des générations ; travail d’évocation d’un passé et pistes d’un futur durable. Nostalgique peut-être mais jamais passéiste, cet itinéraire se clôt de façon symbolique par l’épisode douloureux de la Première Guerre mondiale. Cette étude collective, menée sous la direction de Marie-Jeanne Paoletti-Casablanca, est le fruit d’une collaboration avec l’université de Mayaguez à Porto Rico. Assurément un bel hommage à la commune d’Aregnu, comme toutes les autres contributions dont il faut saluer la très louable initiative et la réussite. En conclusion, un recueil bienvenu et stimulant.

Claude Imperiali Professeur Émérite de l’université d’Aix-Marseille, Maire honoraire d’Aregnu

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Découvertes archéologiques dans la vallée d’Aregnu Franck Allegrini-Simonetti Marie-Laurence Marchetti Archéologues territoriaux, service des patrimoines – archéologie Collectivité territoriale de Corse

S

ITUÉE AU CENTRE DE LA BALAGNE, entre la plaine du Reginu à l’ouest et celle de Calenzana à l’est, la plaine d’Aregnu est la moins étendue des trois avec une superficie de 9 km² bordée par 6 km de côte entre Punta Vallitone au nord-est et Punta San Damianu au sud-est. Ce territoire est enserré par un cirque de reliefs granitiques culminant au sud à près de 600 m avec la pointe de Petra Rossa. Sur cette chaîne se répartissent de nombreux sites d’altitude dont l’occupation ancienne est attestée, comme Capu Bracaghju à l’est ou Carcu Modria au sud.

Ce territoire est particulièrement dense en sites archéologiques recoupant de nombreuses périodes depuis la Préhistoire jusqu’au XVIe siècle et au-delà. Plus d’une quinzaine ont été répertoriés2 à ce jour, parmi lesquels, les traces d’implantations pré et protohistoriques forment la plus grande part avec onze sites recensés sur les reliefs entre 1975 et 1985 au cours de prospections inventaires par Pierre Neuville et Paul-Louis Vaccarezza (Weiss M. Cl., dir., 1988). Au sein de ce corpus de sites terrestres répertoriés, quelques gisements ont fait l’objet de fouilles plus ou moins récentes tels que Carcu Modria et Grotta Piatta. D’autres sont des opérations anciennes comme la fouille de la tombe romaine de San Marcellu ou le prélèvement de sauvetage du site sous-marin dit du « danger d’Algaiola » ou épave d’Algaiola.

2. Données de la carte archéologique nationale (CAN) communiquées aimablement par le service régional de l’archéologie (SRA/DRAC de Corse)

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LA PROTOHISTOIRE

Grotta Piatta 3 Cet abri sous roche occupe une petite terrasse du versant ouest du cirque qui enserre la plaine d’Aregnu. L’abri se trouve à 150 m d’altitude dans un important massif granitique favorisant la formation de très nombreuses autres cavités. Il s’agit d’un site funéraire protohistorique utilisé dans le courant du Ier millénaire avant l’ère chrétienne, jusqu’au IIIe siècle avant J.-C. (Marchetti, 2007). Cette sépulture à destination collective a livré d’après l’étude anthropologique (Bouali Buchet et Buchet, 2006) les restes osseux de 12 individus minimum dont 9 adultes et 3 enfants âgés de 8, 13 et 16 ans. Aucune pathologie particulière n’a pu être déterminée. De nombreux vestiges4 ont été observés, ceci dans tous les niveaux traversés. Il s’agit essentiellement d’éléments d’habillement en bronze et de pièces de verroterie. Quelques céramiques accompagnaient également les défunts comme en attestent les tessons de vases modelés de facture locale ou tournée d’importation. Parmi les objets en bronze figurent une agrafe (fig. 1) et des plaques en bronze pouvant provenir d’une ceinture ou d’une cuirasse (fig. 2) et des fragments de fibules. De haut en bas : Figure 1 : agrafe (cl. M.-L. Marchetti) Figure 2 : plaque (cl. M.-L. Marchetti)

3. Ce travail (arrêtés préfectoraux 2004/012 et 2005/011) a été réalisé grâce aux soutiens financiers de la DRAC de Corse, du service régional de l’Archéologie, de la Collectivité territoriale de Corse, de la commune d’Aregnu, du Groupement régional des sociétés archéologiques de Corse, l’Association pour la promotion de l’archéologie universitaire corse. Il n'aurait pu avoir lieu sans l’autorisation de Mme Marcelli (†), nous réitérons nos remerciements à sa famille. 4. Après étude, le mobilier a été déposé au musée départemental de Préhistoire corse et d’Archéologie de Sartène.

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DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES DANS LA VALLÉE D’AREGNU

Le groupe de vestiges le plus représenté concerne celui de la verroterie avec plus de 350 perles en pâte de verre. Elles sont majoritairement monochromes, parfois opaques et de forme sphérique ou annulaire (fig. 3), mais aussi cylindrique ou tubulaire. Les perles annulaires en verre blanc (fig. 4) sont les plus nombreuses à l’instar d’autres sites funéraires corses parmi lesquels a Teppa di Lucciana (Vallecale, HauteCorse, Magdeleine et alii, 2003) ou San Simeone (Mezzavia, Corse-du-Sud, Doazan, 1967) lesquels ont fourni respectivement près de 40 000 et 1340 perles.

De haut en bas : Figure 3 : assemblage de perles en pâte de verre (cl. M.-L. Marchetti). Figure 4 : perles en verre blanc (cl. M.-L. Marchetti)

L’analyse de ces perles (Marchetti M.-L. et Gratuze B., 2007) a mis en évidence l’origine proche orientale de la pâte de verre utilisée pour leur fabrication. Certaines ont une composition semblable à celles découvertes à Teppa di Lucciana (Gratuze et alii, 2006). L’étude de cette sépulture collective met en évidence la présence de groupes humains établis dans les environs immédiats du chaos rocheux. Plus loin, les sites de Carcu Modria illustrent bien cette réalité qui laisse envisager la découverte d’autres sites d’habitat et d’autres sépultures sur les reliefs autour de la plaine d’Aregnu.

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Carcu Modria Implanté près d’un col qui permet le passage de la plaine d’Aregnu à la plaine de Reginu vers l’est, ce vaste site établi à la fois en crête et en coteau a connu diverses phases d’occupation depuis le Néolithique jusqu’à l’époque romaine (Weiss M. Cl., dir., 1988). Les résultats des travaux effectués entre 1971 et 1980 ont mis en évidence la carence en stratigraphies fiables tant les terrains ont été remaniés par des travaux agricoles anciens. Cependant, les quelques fragments de céramique au décor cardial découverts dans les sédiments remaniés laissent envisager une occupation au Néolithique ancien, sans aucune certitude cependant. De nombreux fragments de vases, souvent très réduits, pré et protohistoriques, associés à du matériel lithique, ont toutefois pu être observés en stratigraphie, permettant de dégager des séquences réparties entre le milieu du IIIe millénaire et le IIe siècle avant notre ère. Cette dernière phase est révélée par des fragments de céramique campanienne à vernis noir et par une monnaie (un victoriat) émise entre 205 et 195 avant l’ère chrétienne. Par ailleurs, le niveau II de la fouille met en évidence la coexistence de vases globulaires, urnes et écuelles en céramique non tournée de fabrication vraisemblablement locale, avec des vases d’importation dont les amphores semblent constituer l’essentiel du corpus.

L’ÉPOQUE ROMAINE « À TERRE ET EN MER »

San Marcellu Découvert en 1920 par le propriétaire du terrain, le site de San Marcellu a livré la tombe d’un vétéran ayant servi sous le règne de Vespasien (69/79 apr. J.-C.). Cette dernière, creusée dans le tuf au sommet d’une petite colline, contenait encore le diplôme militaire du soldat. Cet onestamissio portait gravé dans le cuivre le nom et les états de services du défunt. Basileius fils de Turbelius, ancien marin de la flotte de Misène et nouveau colon avait dû recevoir cette terre comme récompense pour bons et loyaux services (Ambrosi A., 1920 et Jehasse J., 1988). Cependant, à mi-chemin entre San Marcellu et la chapelle de l’Annunziata, se trouve le gisement d’I Pozzi. Ce site se caractérise par un épandage de tessons d’amphores très fragmentés, associés à de nombreux fragments de céramique sigillée difficilement identifiables. Plus loin au nord-est, un autre épandage de vestiges céramiques et de matériaux de constructions antiques est visible en bordure de la chapelle de San Ciprianu.

L’épave Algaiola 1 et une découverte fortuite près de la marine Il s’agit d’un gisement fortement déstructuré réparti sur les pentes est/sud-est du sec d’Algaiola devant la pointe de San Damianu. Largement pillé à l’époque de sa

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découverte, le site a été déclaré officiellement à la fin des années 1960. Ainsi, à la suite d’une opération de sauvetage menée par L. Ambrogi et V. Serafini, une partie de la cargaison récupérée a pu être déposée au Musée de Bastia en 1970-1971. Ce sont les restes d’un chargement de plomb et d’amphores vinaires qui caractérisent cette épave. Ils étaient répartis dans les failles rocheuses tout au long de la pente ainsi que sur le sable par 30 m environ au pied du tombant. 44 lingots de plomb sans marques, 6 jas d’ancres en plomb complets ou fragmentaires et plusieurs fragments d’amphores plus ou moins importants ont pu être sauvegardés. On ignore combien de saumons de plomb et d’amphores ont pu être prélevés clandestinement avant cette opération. Selon une récente analyse du métal (Trincherini, Domergue, 2009), les lingots proviendraient de la région de Murcie, en Espagne du sud. Les amphores – vraisemblablement associées au gisement de plomb –, appartiennent au type Dressel 1A d’Italie méridionale, ce qui daterait le naufrage entre le milieu du IIe siècle av. J.-C. et le début du Ier siècle (fig. 5).

Figure 5 : Épave d’Algaiola 1, amphore Dressel 1A et lingot de plomb (Allegrini-Simonetti, 2001)

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Plus près de la marina d’Algaiola, et toujours au début des années 1970, a été découvert un col d’amphore du IVe siècle provenant de Byzacène. Ce col, portant la marque imprimée CIN/GIRB (fig. 6) témoigne d’une période d’échanges maritimes intenses entre la Corse et l’Afrique du Nord comme le révèle le fond des nombreux abris et ports de l’île mais aussi à terre sur nombre d’implantations tardo-romaines.

Figure 6 : Marine d’Algaiola, col d’amphore de Byzacène, marque de la « Colonia Iulia Neapoli » actuelle Nabeul (Tunisie) (Massy, 2013)

La plaine d’Aregnu et sa façade maritime conservent encore les traces d’activités humaines parfois très anciennes. La fin de l’Âge du fer y est particulièrement présente depuis les sites funéraires jusqu’aux nombreuses traces d’habitat qui pourraient être en lien avec la cargaison d’amphores républicaines de l’épave Algaiola 1. Plus récente, la tombe du marin Baslel à San Marcellu illustre quant à elle la première phase de l’Empire romain, période représentée aussi par les nombreux épandages répartis sur la plaine, lesquels semblent attester d’une occupation liée à l’agriculture. Enfin, les travaux de modernisation du bastion Saint-Georges rappellent l’effort d’amélioration des systèmes défensifs consentis par la république de Gênes au XVIe siècle pour une meilleure protection de ses biens et de ses sujets.

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L’architecture défensive génoise des Temps modernes Le bastion Saint-Georges Ce bastion, caractérisé par un plan classique en « pointe de diamant », est ce qui subsiste de la partie nord-ouest de l’ancienne muraille défensive entourant Algaiola, bâtie au XVIe siècle selon les plans de Domenico Pelo, et devant renforcer le système défensif établi un siècle plus tôt par la banque de Saint-Georges (Archivio di Stato di Genova). La fouille préventive menée en 1993 (Marchesi H.) a permis de découvrir des restes d’une tour antérieure à la construction du bastion et de réaliser un échantillonnage de céramiques autochtones et d’importation produite au XVIe siècle.

Figure 7 : localisation du Bastion Saint-Georges, plan du bastion et arases de la tour (Marchesi H., 1993)

La fouille des sédiments de comblement du bastion a livré près de 1 500 tessons dont beaucoup sont attribuables à la fin du Moyen Âge ou au début de l’Ère moderne. Parmi ceux-ci, deux groupes se distinguaient nettement : la céramique autochtone et celle issue de l’importation. Le premier groupe concerne les vases modelés de production locale majoritairement dédiés à la préparation des aliments, essentiellement la cuisson, une dévolution qu’il partage avec de rares marmites réfractaires ligures appartenant au second groupe. Ce dernier est composé de vaisselle destinée à la présentation ou à la consommation des aliments avec une nette prépondérance des majoliques de Monteluppo (Toscane), aux riches décors polychromes. Le reste est composé de vaisselle graffita monocroma ligure, graffita a stecca pisane et, dans une moindre mesure, d’écuelles du Latium.

Ce territoire, naturellement matérialisé par la ligne de crête des reliefs alentour constitue un système articulé, en fonction des périodes, autour des éléments de base propices à l’installation de communautés. Toutes les conditions sont réunies, les échanges maritimes facilités par un littoral sablonneux, l’agriculture rendue possible par des terrains fertiles de part et d’autre du ruisseau de Tighjella et de ses cinq affluents, la communication avec les plaines voisines par les cols de San Cesariu au sud et Salvi au sud-ouest. Observons enfin, la similitude logique avec d’autres modèles semblables propres à la façade occidentale de la Corse, en particulier le

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modèle Calvi/plaine de Calenzana qui fonctionne exactement de la même manière, à plus grande échelle, ceci quelle que soit la période préhistorique ou historique.

LEXIQUE

Céramique sigillée : céramique de table caractéristique de l’Antiquité romaine destinée à la présentation et à la consommation des aliments liquides ou solides. Il s’agit de vases issus d’une production de masse aux formes standardisées revêtues d’un vernis rouge satiné très solide. Son nom vient du « Sigillum », ou petite estampille placée au centre du vase indiquant le nom de l’officine d’origine, en général un patronyme complet ou sous forme d’initiales. Les centres de production connus sont principalement le Sud de la France, l’actuelle Toscane mais aussi l’Espagne et l’Afrique du Nord, pour des périodes s’étalant du Ier siècle avant l’ère chrétienne au Ve après, voire plus tard encore. Dressel : Heinrich Dressel était un archéologue et un épigraphiste (spécialiste de l'étude

des textes anciens) allemand de la fin du siècle. Il est l’un des premiers à se consacrer à l’étude typologique et chronologique des amphores, en particulier dans les années 1870 avec la fouille du Monte Testaccio à Rome situé près du port fluvial romain. Le Testaccio est une butte artificielle de plus de 40 m de haut constituée essentiellement par des restes d’amphores mêlés de sédiment.

XIXe

Majoliques de Monteluppo : Monteluppo Fiorentino (Fi), est l’un des principaux centres de production céramique dans l’Italie de la Renaissance. Ces faïences de Toscane sont réputées pour être les plus colorées et richement ornées des majoliques italiennes. On y retrouve souvent des décors de personnages ou de paysages, mais aussi des décors non figuratifs.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES DANS LA VALLÉE D’AREGNU

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Les églises romanes Paola Camuffo Docteur en archéologie médiévale, université de Corse Pascal Paoli UMR CNRS 6240 LISA p.camuffo@gmail.com

L’ÉGLISE PIÉVANE DE LA SANTA TRINITÀ ET SAN GIOVANNI BATTISTA

L

A SANTA TRINITÀ ET SAN GIOVANNI BATTISTA (fig. 1), ancienne église piévane d’Aregnu appartenant au diocèse d’Aleria, est un des monuments médiévaux les plus connus et appréciés de Corse. Localisée sur une terrasse à 200 m au-dessus du village d’Aregnu l’église est entourée d’un cimetière qui s’est développé au milieu du XIXe siècle. Excentrée par rapport au village, elle apparaît au centre d’un réseau assez dense de chemins reliant les regroupements humains de Sant’Antoninu, Pigna, E Torre, I Catari et Algaiola.

L’édifice est mentionné dans le rapport de monseigneur Mascardi en 1589, lors de sa visite pastorale en Corse. Il est décrit pourvu de trois autels, un baptistère et un campanile avec une seule cloche. Sur le flanc méridional de l’édifice on peut encore observer la base du clocher qui semblerait être le fruit d’un aménagement postérieur à la création de l’église. En raison du manque d’une solide et fiable documentation écrite et d’éléments certains dérivés des datations archéologiques absolues, l’église de la Santa Trinità d’Aregnu est attribuable au XIIe siècle par comparaison avec d’autres édifices de culte similaires des régions proches (notamment de Toscane et de Sardaigne). Classée Monument historique le 11 août 1883 et objet d’une première restauration par la même occasion, l’église de la Santa Trinità peut être rapprochée d’une série d’édifices religieux insulaires de style roman, en particulier de San Michele de Muratu dans le diocèse du Nebbiu et de San Quilico de Cambia dans le diocèse d’Aleria. Les trois églises, malgré leurs dimensions plus modestes, montrent des similitudes architecturales avec la cathédrale de Santa Maria Assunta du diocèse du Nebbiu. L’animation de la façade principale avec les grandes arcatures aveugles, la série des bandes arcaturées et la riche décoration sculptée des modillons

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Figure 1 : l’église de la Santa Trinità (cl. P. Camuffo)

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rapprochent ces édifices de modèles toscans et plus précisément de ceux de la région de Pise. Ces œuvres sont attribuables, selon une méthodologie stylistique comparative, au XIIe siècle. La Santa Trinità d’Aregnu est un édifice de modestes dimensions (20 m de long et 7,50 m de large) avec une nef unique charpentée et une abside semi-circulaire couverte par une voûte. La maçonnerie, dont l’épaisseur est de 0,70 m, est caractérisée par des éléments en pierre soigneusement équarris, de dimensions moyennes, disposés en rangées horizontales de manière semi-régulière avec des joints très fins. La particularité de cet appareillage réside dans la polychromie due à l’emploi des dalles en granit de différentes couleurs (du blanc jaunâtre au gris foncé noir) rangées alternativement. L’ensemble des murs présente encore de nombreux trous de boulin dérivés soit d’une entaille dans l’angle de la dalle, soit prévus par un écart lors de la disposition des pierres. L’élégante façade principale est composée selon une tripartition, en hauteur et en largeur. Deux contreforts encadrent une série de petites arcades aveugles entre le portail et le fronton soutenues par trois lesene (lésènes). Entre chaque arcade se trouvaient des bacini (« bols » en céramique) malheureusement perdus dont les traces en négatif sont encore visibles. Pour enrichir la composition, nous soulignons la présence d’une étroite baie géminée, d’un oculus et d’une corniche

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LES ÉGLISES ROMANES

De gauche à droite : Figure 2 : détail de la façade, tête anthropomorphe (cl. P. Camuffo) Figure 3 : détail de la façade principale, tireur d’épine (cl. P. Camuffo) Figure 4 : détail de la façade principale, figure à ronde-bosse (cl. P. Camuffo)

à petites arcatures aveugles qui reposent sur les modillons. Le schéma décoratifarchitectural de la façade ouest est proposé également dans les façades latérales. Celles-ci sont rythmées par une série d’arcatures hautes, soutenues par des pilastres de section rectangulaires et des contreforts angulaires. Chaque flanc latéral est caractérisé par un couple de fenêtres et une entrée secondaire. L’abside semi-circulaire, pourvue d’une étroite ouverture, est décorée par une corniche de petits arcs aveugles qui s’appuient sur des consoles. Au-dessus, se trouvent deux bandeaux moulurés visibles également tout le long du périmètre de l’édifice juste en contrebas des rampants du toit de la nef. Outre la polychromie de sa maçonnerie, l’église de la Santa Trinità d’Aregnu est célèbre pour les nombreux éléments sculptés qui la décorent : modillons, arcades, petites arcatures, linteaux des fenêtres et des entrées avec des motifs géométriques, végétaux, animaux, têtes anthropomorphes, etc. Remarquables sont les figures à ronde-bosse qui se situent dans la façade principale des deux côtés de l’arc de décharge de la porte et dans le pignon (fig. 2 à 4). Contrairement à l’église de San Michele de Muratu pour laquelle une lecture très précise du décor sculpté a été proposée, il est regrettable qu’aucune explication d’ensemble n’ait été avancée concernant le programme iconographique de la Santa Trinità d’Aregnu.

L’intérieur de l’édifice (fig. 5), partiellement dépourvu d’enduit, révèle la même typologie d’appareillage polychrome en modillons granitiques équarris et il

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AREGNU

• PATRIMONII È MEMORIE • PATRIMOINE ET MEMOIRES

Figure 5 : intérieur de l’église (cl. P. Camuffo)

se développe par une nef unique se terminant par la voûte en cul-de-four de l’abside. Le sol est réalisé en carreaux de terre cuite rouge et il accueille sept dalles funéraires soulignant l’emplacement des caveaux enterrés et inaccessibles depuis les travaux du XIXe siècle. Le chœur, surélevé et délimité par un muret réalisé en pierres, accueille un autel baroque. Les deux portes latérales sont pourvues d’un linteau monolithe surmonté par un arc de décharge. Dans le flanc nord de la nef, en direction de l’abside, un décor de fresque attribuable au XVe siècle est conservé. Réparti en deux panneaux, le programme iconographique représente l’archange saint Michel, peseur des âmes et terrassant le dragon (1148) (fig. 6) et les quatre docteurs de l’église : saint Augustin, saint Grégoire, saint Jérôme, saint Ambroise (1458).

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