Etudes corses n° 80-81

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S T U D I I

Histoire linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Linguistique Histoire Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie Humaine Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Linguistique

C O R S I

È

M E D I T E R R A N I I

Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Linguistique Histoire Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie Humaine Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Linguistique ET MÉDITERRANÉENNES

N° 80-81

N° 80-81

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Corse et Sardaigne : une histoire mêlée • La ville coloniale comme ville intermédiaire : regards sur la Corse et la Sardaigne aux Temps modernes • Élites locales et capitaux extérieurs : à propos de la mise en valeur des plaines littorales en Corse et en Sardaigne (XVIIe-XIXe siècle) • Corse et Sardaigne entre archaïsme et modernité au XIXe siècle • Les îles du Bassin occidental de la Méditerranée et la « redécouverte » par la France d’une politique méditerranéenne (1769-1799)

Autour de la Révolution française et de l’Empire • Ni blanc, ni rouge : le cas du Fiumorbo en Corse • Le temps du Governo provisorio (juin 1793-octobre 1794) • Pouvoir civil, pouvoir militaire et régime d’exception dans les « régions » périphériques au temps du Consulat • La garde nationale en Corse, de la Révolution française au lendemain des Trois Glorieuses

Le

XIXe

siècle

• Les élites corses au temps des monarchies constitutionnelles (1815-1848) • Banditisme et résistance culturelle à l’intégration en Corse au temps des monarchies constitutionnelles • La voie corse du passage du carbonarisme napolitain à la charbonnerie française sous la Restauration (1818-1823) • Tommaseo et la Corse • Du point de vue de la Corse : le cas F. D. Falucci

Le XXe siècle • Stéréotypes et concept de race : aux origines du régionalisme corse

ASSOCIATION DES CHERCHEURSO EN SCIENCES HUMAINESO (DOMAINE CORSE)o

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XIXe-début XXe

Francis Pomponi Parcours d’un historien des îles

siècle) :

22 € ISBN 978-2-8241-0959-6

2015-2016

(1870-1914) • La Corse en temps de crise (fin aux origines du corsisme

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É T UDES CORSES N° 80-81 – ANNÉES 2015-2016 A SSOCIATION

DES

C HERCHEURS

EN

S CIENCES

HUMAINES

(domaine corse)

STUDII CORSI È MEDITERRANII

ET MÉDITERRANÉENNES

Francis Pomponi : parcours d’un historien des îles

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Revue publiée avec le concours de la Collectivité de Corse, le Conseil départemental de Haute-Corse et la Ville de Bastia

Les textes de ce numéro sont reproduits avec l’aimable autorisation des revues et éditeurs suivants : Cahiers de la Méditerranée Provence historique I.Ci.Mar. (Istituto delle Civiltà del Mare), San Teodoro Presses universitaires de Rennes Presses Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand Presses universitaires de Provence

En couverture : Rigobert Bonne (1727–1795), L’Italie par M. Bonne, Ingénieur-Hydrographe de la Marine (détail), 1770, coll. particulière . ISBN : 978-2-8241-0959-6 ISSN : 0338-361-X ©Tous droits de publication, de traduction, de reproduction réservés pour tous pays. Albiana, 2016

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SOMMAIRE Présentation Ange Rovere et Christian Peri

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Introduction. De la Corse à la Sardaigne, itinéraire d’un historien des îles 13 Corse et Sardaigne : une histoire mêlée La ville coloniale comme ville intermédiaire : regards sur la Corse et la Sardaigne aux Temps modernes 31 Élites locales et capitaux extérieurs : à propos de la mise en valeur des plaines littorales en Corse et en Sardaigne (XVIIe-XIXe siècle) 53 Corse et Sardaigne entre archaïsme et modernité au

XIXe

siècle 73

Les îles du Bassin occidental de la Méditerranée et la « redécouverte » par la France d’une politique méditerranéenne (1769-1799) 95 Autour de la Révolution française et de l’Empire Ni blanc, ni rouge : le cas du Fiumorbo en Corse 133 Le temps du Governo provisorio (juin 1793-octobre 1794) 149 Pouvoir civil, pouvoir militaire et régime d’exception dans les « régions » périphériques au temps du Consulat 169

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La garde nationale en Corse, de la Révolution française au lendemain des Trois Glorieuses 197 Le

XIXe

siècle

Les élites corses au temps des monarchies constitutionnelles (1815-1848) 239 Banditisme et résistance culturelle à l’intégration en Corse au temps des monarchies constitutionnelles 271 La voie corse du passage du carbonarisme napolitain à la charbonnerie française sous la Restauration (1818-1823) 295 Tommaseo et la Corse 333 Du point de vue de la Corse : le cas F. D. Falucci 355 Le

XXe

siècle

Stéréotypes et concept de race : aux origines du régionalisme corse (1870-1914) 375 La Corse en temps de crise (fin aux origines du corsisme

XIXe-début XXe

siècle) : 393

Bibliographie sélective de Francis Pomponi

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ANGE ROVERE CHRISTIAN PERI

Francis Pomponi, historien, enseignant, animateur Francis Pomponi est né en 1939 à, Grasse, d’un père corse et d’une mère provençale, tous deux fonctionnaires, l’un gendarme et l’autre institutrice normalienne. À l’issue de ses études primaires et secondaires, il entre comme élève au lycée Massena de Nice, en hypokhâgne lettres. Il poursuit ensuite sa formation comme étudiant en histoire à la faculté de Lettres de l’université d’Aix-en-Provence où, sous l’égide de ses maîtres, alors « les meilleurs », Maurice Agulhon, Michel Vovelle et Georges Duby, il s’initie à la science historique jusqu’à l’obtention de l’agrégation en 1962. Il intègre l’enseignement supérieur comme assistant en histoire ancienne à l’université Paul-Valéry de Montpellier avant de rejoindre Aix-en-Provence en 1967 et d’y devenir maître-assistant en histoire moderne. Alors s’affirme sa vocation pour « les études corses » qu’il anime au sein du Centre du même nom, anciennement fondé par le professeur Paul Arrighi et réactivé par Fernand Ettori, avec la participation d’autres collègues « corsisants » dont Georges Ravis-Giordani, Max Caisson et Renée Luciani. Il est partie prenante du mouvement de renouveau culturel régionaliste des années 1970 et participe en Corse aux universités d’été. Ses collègues aixois acceptent le transfert de son poste à la naissante université de Corte où il exerce durant six ans comme enseignant en histoire et chercheur à la tête de l’éphémère Institut d’études corses, laboratoire de recherches qui ne survivra pas à son passage. On

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Ange Rovere – Christian Peri

retiendra de cette période son investissement dans les études comparées entre Corse et Sardaigne, le recueil de données et de matériaux – ouvrages, photos, documents, microfilms – provenant notamment de missions pionnières accomplies avec le père André Marie de la Franciscorsa, à l’Archivio di Stato de Gênes. Pour des raisons que personne n’ignore, il quitte en 1987 Corte de son plein gré, pour Nice où il termine sa carrière comme professeur des universités. Enseignant, il était d’abord exigeant pour lui-même. Tous les étés, la table de travail de sa maison de Verdese croulait sous les livres à partir desquels il construisait ses cours, en particulier ceux destinés aux agrégatifs. Les étudiants, qui se pressaient dans l’amphithéâtre, lui étaient reconnaissants pour cet investissement qui a fait honneur au service public d’Éducation nationale. Ses collègues, appréciant ses qualités d’organisateur, lui confièrent la direction de la section d’Histoire, ce qui ne l’empêcha pas de participer activement aux activités de recherche du Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (CMMC) avec une prédilection pour la place de la Corse dans cet environnement. Lorsqu’on connaît le soin qu’il mettait à son métier de pédagogue et à ses activités d’animateur, on demeure stupéfait par l’ampleur de son œuvre historienne. Nous lui avons laissé la parole en publiant, comme ouverture à ces hommages, une de ses interventions jusqu’ici inédites et datant d’une quinzaine d’années, faite au cours d’un séminaire tenu à Cagliari sur le thème de l’ego-histoire. Il ne s’agit pas d’une simple bibliographie commentée mais d’un itinéraire scientifique actualisé car, depuis, il n’a cessé d’investir des champs nouveaux. Sans qu’il soit besoin de résumer ce parcours, soyons sensibles aux capacités de renouvellement et de remise en question des certitudes et des problématiques. Peu de périodes de l’histoire de notre île ont échappé à sa curiosité. Il est encore un défricheur, avec toujours les mêmes soucis : celui de l’érudition mais également celui de l’approfondissement des concepts dans une respiration large sans laquelle il n’y a pas d’écriture de l’Histoire, aux antipodes de ces bricolages qui ne cherchent qu’à flatter un lectorat acquis d’avance. C’est le sens que nous avons voulu donner à ce double gros volume d’Études corses car, avec Fernand Ettori, il a porté cette revue sur les fonts baptismaux en août 1973 et en a été le secrétaire général jusqu’en 1982. Dans ce travail d’équipe qui ne s’est jamais démenti et que l’on retrouve dans la direction du Mémorial des Corses et dans d’autres aventures collec-

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tives aux côtés de Georges Ravis-Giordani, il a exprimé une autre de ses préoccupations : partager le savoir avec le plus grand nombre parce qu’exigence démocratique. Nous aurions pu sans peine solliciter et mobiliser nombre de ses collègues et amis pour nourrir des Hommages de forme classique. Nous avons préféré cette formule : mettre à la disposition du public un certain nombre (la production est foisonnante…) de ses travaux parus dans des publications nationales ou étrangères et peu connus dans l’île. La place donnée à la comparaison avec la Sardaigne s’est d’autant plus imposée que dans les relations avec les universités de Cagliari et Sassari il aura été un pionnier. Mais le choix a été d’autant moins facile que par-delà la richesse et la diversité de l’œuvre, l’intéressé s’est montré très réticent face à cette initiative. La persévérance ,ajoutée à l’amitié et à l’affection que nous lui portons, l’aide de Jeannine, son épouse, également, ont fini par avoir raison de ses scrupules, quoique formulés à demi-mot, pour le plus grand plaisir, n’en doutons pas, de ceux qui liront ces pages. Avec, pour finir, un souhait : que Francis mette la dernière main à ses recherches portant sur les premiers républicains de Corse au temps de la Révolution française.

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De la Corse à la Sardaigne : le parcours d’un historien des îles Le propre de l’ego-histoire, mode ou genre nouveau, comme on voudra, ne consiste pas à raconter sa vie ! Il ne s’agira pas de rappeler le cheminement universitaire que j’ai accompli, si ce n’est peut-être pour dire que, de formation aixoise à l’université de Provence, où j’ai été élève de Georges Duby, de Maurice Agulhon et de Michel Vovelle, c’est pourtant en histoire ancienne que j’ai commencé ma carrière… Mais, manifestement, cela ne me convenait pas, sans doute parce que je trouvais les inscriptions trop « froides » et que je ne sentais pas cette « chair humaine » dont parlait Lucien Febvre, et j’en vins très vite à la période moderne. Corse du continent… je ne dirai pas exilé ni n’utiliserai le mot de « diaspora » en raison de connotations qui ne correspondent pas à mes convictions, mon principal positionnement de recherche sur la Corse n’en comporta pas moins une motivation sentimentale et je n’échappai pas à cet élément de subjectivité qui, d’une manière ou d’une autre, guette toujours l’historien, à moins de considérer plus simplement qu’interroger le passé était un moyen pour moi, comme pour d’autres, de comprendre le présent et d’éclairer des questions qui me tenaient à cœur et qui concernaient ma double identité nationale et régionale.

ALORS QUE RÉGNAIENT RURALITÉ ET DÉMOGRAPHIE L’heure n’était pas, dans les années 1970, au doute épistémologique, « aux fatigues de Clio 1 », et la « machine » historique française, celle des 1. Voir « Histoire et sciences sociales, un tournant critique », Annales ESC, vol. 43, n° 2, marsavril 1988. Également Jacques REVEL, Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1996.

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modernistes, sûre d’elle-même, tournait alors à plein régime, forte de l’hégémonie intellectuelle qu’elle s’était taillée à l’échelle internationale dans le sillage de l’École des Annales. Une méthodologie bien rodée dans le champ « Économies et sociétés » qui s’était imposée, loin du « politique » et de l’« événementiel » alors discrédités parce qu’entachés d’un positivisme dont on avait voulu tourner la page au nom d’une « histoire totale » englobant tous les aspects de la vie humaine et ne se bornant pas à mettre en scène les grands acteurs ni forcément les grands événements… En clair, en me tournant vers la Corse, je n’étais pas plus tenté par Pascal Paoli que par Napoléon ; par contre, s’agissant du temps des révolutions du XVIIIe siècle (c’était l’époque du grand débat entre Mousnier et Porchnev et de la remise en cause des approches sociales par trop marxisantes 2), j’étais invité à une relecture de la période, intégrant précisément les nouvelles approches d’histoire des mentalités qui, jusque-là et sur ce terrain, se trouvaient réduites à leur plus simple expression 3. En cela, je suivais mes maîtres et me référais à des modèles que je m’appliquais à tester dans mon propre domaine de recherche. Découpage géographique d’horizon prioritairement « rural », entre macro et micro, les grands « patrons » de la Sorbonne avaient donné le ton avec Georges Lefebvre (Les paysans du Nord sous la Révolution française) en distribuant les partitions dont celles des Paysans de l’Ouest de Paul Bois et des Paysans du Languedoc d’Emmanuel Le Roy-Ladurie 4. Une rationalité et une rigueur « bien de chez nous » entraînaient ce quadrillage de la France en ensembles régionaux qui correspondaient à une ventilation des tâches entre apprentis-historiens. De là aussi une fidélité affirmée envers ce monde rural étudié à travers ses « notables » dans notre première publication portant sur la Corse 5. 2. Le point sur la question dans BERCE, Y-M., Révoltes et révolutions dans l’Europe moderne, XVIeXVIIIe siècles, Paris, PUF, 1980. Également MANDROU, I. « Vingt ans après, ou une direction de recherches féconde : les révoltes populaires en France au XVIIe siècle », Revue historique, t. 242, 1969, p. 29-40. 3. F. POMPONI F « Émeutes populaires en Corse : aux origines de l’insurrection contre la domination génoise (décembre 1729-juillet 1731) », Annales du Midi, t. 84, n° 107, 1972, p. 151-181. 4. Il en est rendu compte dans l’ouvrage collectif Histoire économique et sociale de la France, t. II, Paris, PUF, 1970. 5. POMPONI F. Essai sur les notables ruraux en Corse au XVIIIe siècle, La Pensée universitaire, Aix en Provence, 1962.

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À cette époque, venait aussi de paraître la magistrale thèse sur Beauvais et le Beauvaisis de Pierre Goubert 6 qui intégrait dans son travail la dimension démographique. Pour ma part, tourné vers les Temps modernes (seicento et settecento) et ayant opté pour le monde insulaire et méditerranéen (je ne devais guère en sortir par la suite), je ne tardais pas à ajouter le modèle du géographe Maurice Le Lannou, pastori e contadini 7, ma première découverte de la Sardaigne, d’autant qu’alors, historiens et géographes, là encore dans la lignée des Annales, cheminaient de conserve : nos collègues et confrères (on connaît le lien qui unit encore en France histoire et géographie au niveau des concours de recrutement pour l’enseignement secondaire alors que les relations se sont relâchées sur le plan de la recherche) étaient encore soucieux de l’apport de l’Histoire, portés à expliquer le présent en plongeant loin dans le temps (jusqu’à la préhistoire avec Le Lannou !), tandis que les historiens ruralistes français avaient gardé une prédilection pour l’étude des cadastres, des structures agraires et des paysages ruraux, opposant l’openfield septentrional, avec ses contraintes collectives, au monde de la polyculture méditerranéenne, domaine de l’individualisme (un schéma que pourtant Maurice Le Lannou contestait déjà en pointant son analyse sur l’alternance entre vidazzone et paberile des communautés sardes, homologues de nos prese et jachères). C’était aussi, nous le suggérions à propos de Pierre Goubert, l’âge d’or de la démographie historique, dont la méthodologie avait été mise au point par l’INED et son directeur, Louis Henry 8. Tous les étudiants et, dans la foulée, les chercheurs modernistes de ma génération ont inlassablement dépouillé les registres paroissiaux, rempli des fiches de baptême, de mariage, de décès et de famille dans une perspective essentiellement quantitative… la démographie comme révélateur de la conjoncture, des crises ponctuelles, cycliques, de court terme et de longue durée. L’Histoire des paysans du Languedoc de Le Roy-Ladurie (Montaillou 9 était encore dans les limbes !) retraçait alors les grands trends démographiques… l’essor des XIIe et XIIIe siècles, la grande dépression consécutive 6. GOUBERT P., Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à l’histoire sociale de la France du XVIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1960. 7. LE LANNOU M., Pâtres et paysans de Sardaigne, Tours, Arrault et Cie, 1941. 8. HENRY L., Manuel de démographie historique, Paris, INED, 1966. 9. LE ROY-LADURIE E., Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975.

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à la peste noire, la reprise au XVe où « les souris grouillent dans la grange », la dépression du XVIe et la relance au siècle suivant et, en parallèle, l’étude des compoix permettait de suivre l’évolution de la propriété dans ses différentes composantes. À partir de la corrélation quelque peu malthusienne établie entre le nombre des hommes et leur condition matérielle (la conjoncture avec les alternances des phases A et B chères à Simiand), était reconstitué à travers le temps le rythme des grands mouvements de respiration des populations rurales. Quant à la production, essentiellement céréalière, elle était corrélée avec la courbe des prix (les fameuses mercuriales, à la manière de Meuvret 10) et mesurée à partir des registres de comptes et des baux de dîme, même si, comme le disait Le Roy-Ladurie dans son style toujours percutant, « la plus belle dîme du monde ne peut donner que ce qu’elle a 11 ! ». J’adhérais pleinement à cette problématique et à cette méthodologie que j’appliquais à la Corse en mettant l’accent sur cette « faim de terre » correspondant au XVIIIe siècle à une poussée démographique dans l’intérieur de l’île où s’étaient réfugiées les populations qui, en des temps précédents, avaient abandonné leurs établissements de plaine en raison de la malaria et du péril barbaresque. Aujourd’hui encore, c’est une question qui continue à m’intéresser mais, plutôt que démographiquement, je serais plus porté, à la manière d’Edoardo Grendi 12 pour la Ligurie, à l’étudier du point de vue des différentes formes de l’insediamento, en relation avec les phénomènes de conscience identitaire. C’est en cette circonstance qu’après Le Lannou, je rencontrai à nouveau la Sardaigne dans mes préoccupations d’historien ruraliste avec John Day 13, ses villages abandonnés et son Malthus démenti, une salutaire occasion de corriger certains schémas pré-établis et de prendre la mesure de l’état de sous-peuplement endémique de nos deux îles dès lors placées en situation comparative. Je signale en passant l’intérêt particulier suscité par l’étude des techniques agraires, la culture de la vigne ou de l’olivier, les pressoirs, 10. Les principaux articles de Jean Meuvret ont été réunis sous le nom d’« Études d’Histoire économique » dans le n° 32 des Cahiers des Annales, 1971. 11. Dans Histoire économique et sociale de la France, op. cit., 3e partie, chapitre III, « L’expansion agricole ». 12. GRENDI E., Il cervo e la Repubblica. Il modello ligure di antico regime, Turin, Einaudi, 1993 ; voir également, du même auteur, « Microanalisi e storia sociale », Quaderni storici, n° 35, 1977, p. 506-520. 13. Recueil d’articles de John Day sans Uomini e terre nella Sardegna coloniale, XII-XVIII secolo, Turin, CELID, 1987.

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les araires, les assolements, la pratique de la transhumance, un objet de recherche que j’eus aussi l’occasion d’expérimenter dans l’horizon provençal où le genre était bien représenté par mes collègues Marie-Claire Amouretti et Georges Comet de l’université de Provence 14 et que, dans le cas de la Corse, mon ami Antoine Casanova 15 devait explorer plus avant avec une problématique marxiste portant sur l’évolution des moyens de production en relation avec les transformations de la société. Le danger de la démarche, de mon point de vue, consistait en l’application de modèles et de méthodes qui pouvaient de ne pas être pertinents pour le pays que j’étudiais : les baux de dîme, le concept abstrait de production sans trop tenir compte de l’environnement risquait de me faire passer à côté de ce qui pouvait être plus spécifique et donc plus digne d’intérêt. Gérard Delille, qui s’engageait alors sur le terrain du royaume de Naples 16, eut le mérite de « prendre du champ » et d’innover en privilégiant d’autres objets de recherche, de type plus anthropologique, tels que l’étude des lignées, la pratique dotale et la transmission du patrimoine appliquée aux fiefs… Je n’y vins que plus tard, non sans faire le détour par la question – classique – des biens communaux, les usi civici, moins d’un point de vue économique que comme révélateurs des comportements sociaux, un thème que je retrouvais avec « le pouvoir des maires en Corse » en milieu rural au XIXe siècle 17. Déjà l’option pour l’histoire sociale, voire socio-anthropologique ou, comme on le disait plus volontiers alors, ethno-historique, l’emportait chez moi sur la reconstitution des grandes respirations historiques.

DE FERNAND BRAUDEL À MICHEL VOVELLE En dehors de l’historiographie ambiante, dont il était difficile de faire l’économie en tant que « jeune chercheur », et qui s’inscrivait dans la perspective des grandes mutations conjoncturelles au court, au moyen et 14. AMOURETTI M.-C., COMET G., L’olivier en Provence, Aix-en-Provence, Édisud, 1979. 15. CASANOVA A., Les outils et les hommes. Transition, révolution, Paris, SEPIRM, 1989. Du même auteur, Identité corse, outillages et Révolution française, Paris, Éditions du CTHS, 1996. 16. DELILLE G., Famille et propriété dans le royaume de Naples (XVe-XIXe siècle), Rome-Paris, EHESS, 1985. 17. POMPONI F., « Pouvoir et abus de pouvoir des maires corses au XIXe siècle », Études rurales, n° 63-64, juillet-décembre 1976, p. 153-169.

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au long terme, j’étais évidemment marqué par la magistrale et monumentale œuvre de Fernand Braudel, l’historien de la Méditerranée au temps de Philippe II. J’y trouvais la longue durée, les phénomènes de permanence et des approches structuralistes des faits sociaux avec cette pointe de déterminisme portant la marque de l’école géographique française de Vidal de La Blache et de Raoul Blanchard. Pour moi, comme pour tant d’autres historiens attachés au monde méditerranéen, c’était un autre modèle en même temps qu’une mine d’informations à titre comparatif sur les conditions naturelles, sociales et mentales de l’espace auquel je m’étais consacré, un second repère fort avec celui de Le Lannou, déjà cité : poids de l’environnement géographique, dichotomie entre piaghja et muntagna, villes et campagnes, élevage dans ses rapports avec l’agriculture, transhumance et mobilité (encore que ce concept n’ait pas encore été individualisé), famille et solidarités familiales, clan et vendetta, banditisme et bardana. Vaste programme même à l’échelle régionale ; je m’y attelai par touches, la communauté rurale représentant l’essentiel de mes préoccupations. C’est une époque où, par ailleurs, je m’investissais dans un travail collectif… le trait vaut d’être noté du point de vue de la nature de la motivation que j’invoquais ci-dessus puisque l’équipe CNRS à laquelle je m’agrégeais alors ne comportait que des chercheurs travaillant sur la Corse mais réunissant un éventail ouvert de disciplines, historiens, ethnologues, géographes et linguistes. Outre des publications qui trouvèrent place entre autres dans notre revue régionale Études corses, dont je fus directeur de publication, nous livrions alors comme fruit de notre travail l’ouvrage collectif Pieve e paesi 18 dont le titre exprime la priorité de l’intérêt porté à la communauté rurale corse et aux structures plutôt qu’à la conjoncture. Je me lançais alors à la recherche d’un invariant structurel, lutte de classes et comportements claniques, renouant en partie avec ce qui avait été mon premier objet de recherche au niveau de mon mémoire de maîtrise concernant les notables ruraux au temps de la domination génoise 19. J’avais eu l’honneur et le plaisir de présenter cette première publication à la demande de Franco Venturi à la fondation Einaudi à un moment où celui-ci travaillait sur sa belle série 18. Pieve e paesi. Communautés rurales corses, Paris, CNRS, 1978. 19. POMPONI F., Essai sur les notables ruraux en Corse au XVIIe siècle, op. cit.

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des Illuministi italiani 20 et où il faisait une large place aux révolutions en Corse. Franco Venturi était sensible au rôle de ces capi popolo, théologiens ou principali, qui, à l’image de Pascal Paoli, avaient été le fer de lance du mouvement d’indépendance corse. Ce n’était plus l’angle sous lequel je me plaçais en contribuant à Pieve e paesi où j’optais pour une démarche plus structuraliste, m’attachant, comme aux premiers temps de mes recherches, au comportement de ces notables qui fondaient leur pouvoir sur la richesse certes, mais aussi sur la fidélité de leur parentèle et de leur clientèle, en les examinant en différentes périodes ou en différentes circonstances pour marquer combien la structure du pouvoir prévalait sur les idéologies. Ce thème a été quelque peu revu et corrigé depuis dans une thèse récente portant sur Le radicalisme en Corse sous la IIIe République, où l’auteur, tout en prenant en compte lui aussi la prégnance du comportement clanique, montre pour la période contemporaine comment cela n’est pas incompatible avec la participation aux débats idéologiques et la genèse d’une conscience républicaine 21. Spirito di partito e spirito publico, j’avais déjà abordé ce problème en me posant la question de l’impact qu’avait pu avoir la Révolution française en Corse 22. En son temps, comme témoin et acteur, Filippo Buonarroti, dans son Giornale Patriotico, avait eu des mots très durs sur l’incapacité des Corses à sortir de leur spirito di partito, et déjà Paoli avait eu du mal, pour les mêmes raisons, à far l’unione !

PARAGONA TRA CORSICA E SARDEGNA Dans le cadre des années du Bicentenaire de la Révolution française et de l’intense investissement historique et historiographique sur la période, je m’éloignai quelque temps de ma dominante de ruraliste et je me consacrais à ce thème, à la demande de mon collègue et ami Michel Vovelle, qui présida et anima, avec la maestria que l’on sait, différentes 20. VENTURI F., Settecento riformatore, coll. « Biblioteca di cultura storica », t. I-IV, Turin, Einaudi, 1987. 21. TORRE P., Le radicalisme en Corse sous la IIIe République, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Jacques Girault, Université de Paris-XIII, 2001. 22. POMPONI F., « Sentiment révolutionnaire et esprit de parti en Corse au temps de la Révolution » in Problèmes d’histoire de la Corse, actes du colloque d’Ajaccio, oct.1989, Société des Études robespierristes Paris 1971,

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Francis Pomponi

rencontres internationales qui se tinrent en cette circonstance. C’est alors que j’eus la possibilité de resserrer les liens entre Corse et Sardaigne, ces deux « îles sœurs » qui se tournent le dos, et de trouver sur place un interlocuteur de dimension et de qualité en la personne du regretté Girolamu Sotgiu. Plusieurs rencontres ponctuelles puis, en 1988, le colloque qui se tint à Ajaccio rassemblant principalement des chercheurs de l’Institut d’Études corses de l’université de Corte et les modernistes sardes des universités de Cagliari et de Sassari. Notre point de vue était résolument comparatif et tournait autour de la question suivante : quelle influence avait eu la Révolution française dans ces zones périphériques 23 ? Occasion de remonter en amont sur l’histoire différenciée de ces deux îles si proches structurellement et géographiquement mais si différentes par les vicissitudes historiques qu’elles ont traversées. Cela vaut sans doute que nous nous y arrêtions un peu plus que sur les thèmes précédents. Des points communs d’abord entre ces deux îles qui n’ont jamais ou presque jamais – il y a l’exception corse de l’indépendance au temps de Pascal Paoli – été maîtresses de leur destin et qui ont connu les soumissions provenant de l’extérieur, prototypes de ces zones périphériques (centro et periferia encore !) dépendants des épicentres de pouvoir en des temps différents ; hégémonie romaine, invasions barbares, « Corse terre du Saint-Siège » et, ce qui allait les marquer d’un point commun, influence des grandes cités de l’Italie communale, Pise et Gênes. Au cours des hautes époques médiévales sur lesquelles on est mieux informé sur la Sardaigne que sur la Corse, on relève déjà des temps de résistance volontiers mythifiés autour du thème de l’âge d’or dans le cas d’Eleonora d’Arborea et des giudicati sardes, dont on n’a pas l’équivalent en Corse. Puis, leurs destins bifurquent : alors que la Sardaigne sort de l’aire italienne pour entrer dans celle de l’Aragon puis de l’Espagne au début du XVIIIe siècle, la Corse connaît durablement la colonisation de la Sérénissime République de Gênes. Regno di Corsica d’un côté, permettant au doge ligure d’arborer la couronne royale, Regno di Sardegna de l’autre, au même titre que le royaume des Deux-Siciles. Dans les deux cas, un étroit système de dépendance, le « scambio ineguale », pour 23. Actes du colloque « Corse et Sardaigne entre Réformisme et Révolution », Études corses, n° 30-31, 1988.

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