Études corses – n° 73

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Publié avec le concours du Conseil général de la Haute-Corse et de la Collectivité territoriale de Corse

ISBN : 978-2-8241-0282-5 ISSN : 0338-361-X

© Tous droits de publication, de traduction, de reproduction réservés pour tous pays. Albiana, 2012

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É T UDES CORSES N° 73 – DÉCEMBRE 2011 A SSOCIATION

DES

C HERCHEURS

EN

S CIENCES

HUMAINES

(domaine corse)

ÉTUDES CORSES Vivre l’insularité

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SOMMAIRE VIVRE L’INSULARITÉ Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse, entre espace national et espace tyrrhénien Joseph Martinetti

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Représentations de la spécificité insulaire en Corse : L’émergence d’une conscience insulaire, prolongement d’une conscience identitaire ? Vannina Bernard-Leoni

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« La Suisse de la Méditerranée » : la Corse économique dans la presse irrédentiste italienne (1930-1940) Marco Cini

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Regards sur une île : la Corse, entre paradoxes et projets Marina Casula

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4e JOURNÉE DE LA REVUE, BASTIA, 10 JUIN 2009. REVUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES. 2e PARTIE : AUJOURD’HUI Au service de l’histoire régionale, Provence historique et la Fédération historique de Provence Pierre Santoni

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La FAGEC et ses Cahiers CORSICA : des activités scientifiques et patrimoniales à la publication Geneviève Moracchini-Mazel et Stéphane Orsini

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L’ADECEM, pour quoi faire ? Georges Ravis-Giordani

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VARIA Les caporaux de Balagne Antoine Franzini

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Toponymie urbaine en Corse : la symbolique des rues Antoine Tafani

195

Antoine FRANZINI, « Les premières cartes chorographiques de la Corse à la fin du XVe siècle, un outil de gouvernement », Mélanges de l’École française de Rome, n° 122-2, 2010, p. 347-377.

215

Laetizia CASTELLANI, « Maison et habitat dans la Balagne rurale littorale du début du XVIIIe à la fin du XIXe siècle », Histoire et Sociétés rurales, n° 34, 2010, p. 77-106.

216

Bernard DELPAL (dir.), Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, XIXe-XXe siècles, Lyon, UMR 5190 LARHRA/RESEA, collection « Chrétiens et sociétés – Documents et mémoires », 2011.

216

Sudhir Hazareesingh, La Saint Napoléon. Quand le 14 juillet se fêtait le 15 août, Paris, Taillandier, 2007.

218

Sylvain GREGORI, « Résistance(s) et société corse : cas singulier ou variante régionale ? juillet 1940-septembre 1943 », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 242, 2011, p. 141-171.

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À

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SIGNALER

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VIVRE L’INSULARITÉ

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Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse, entre espace national et espace tyrrhénien La desserte maritime de la Corse constitue un cas emblématique des mutations que le secteur des transports et plus particulièrement du cabotage insulaire, connaît désormais depuis une trentaine d’années. Ce secteur est contraint en effet d’assurer des obligations de service public exigeantes et coûteuses tout en devant répondre à une demande politique, voire idéologique de mise en concurrence et de libéralisation. Aux situations monopolistiques ou dominantes des compagnies publiques nationales, observables dans les années 1970 s’est substituée, en Corse, comme d’ailleurs en Sardaigne, une situation d’âpre concurrence entre des compagnies privées ou privatisées amenées à capter un marché touristique en expansion. Trois éléments ont favorisé cette évolution, une exigence qualitative de service de la clientèle, des impératifs libéraux et concurrentiels définis par la Commission de Bruxelles et l’expression d’un nationalisme régional exprimé par un transfert de compétences vers des autorités locales devenues les gestionnaires du secteur des transports. La supranationalité couplée à une volonté de reconnaissance identitaire locale a bousculé les règlements du droit social et économique définis dans le cadre de la Nation. Les nouveaux acteurs de la « postmodernité » ont pu ainsi éliminer les acteurs étatiques et drainer une partie des substantielles aides publiques qui conditionnent la desserte maritime régulière d’une île faiblement peuplée. Les stratégies spatiales déployées par l’ensemble de ces compétiteurs ont engendré un jeu de basculements

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géopolitiques de grande ampleur qu’une approche géohistorique permet de réinsérer dans une perspective plus ample de longue durée. Une nouvelle fois, la desserte de la Corse est soumise au jeu d’équilibre que génère la double appartenance à l’« espace tyrrhénien » et à l’espace national français.

ENTRE ESPACE TYRRHÉNIEN ET INTÉGRATION FRANÇAISE Intégrée à l’espace géopolitique des cités maritimes de l’Italie occidentale, la Corse s’est précocement inscrite dans une logique tyrrhénienne de sa desserte maritime. L’appartenance géopolitique, associée à une évidente proximité géographique des côtes péninsulaires vite atteintes et nettement visibles depuis les côtes de la Corse orientale, expliquent les liens maritimes intenses et largement majoritaires qui ancrent le système spatial corse dans le bassin tyrrhénien jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Alors que les présides génois se répartissent de façon équilibrée sur le littoral corse, l’un d’entre eux, la citadelle de Bastia, polarise à partir du XIVe siècle l’ensemble du territoire insulaire. Elle nourrit sa primauté de sa fonction de transit au cœur du canal tyrrhénien entre l’intérieur de l’île et l’Italie péninsulaire et mérite amplement le qualificatif de « clé de la Corse 1 ». La ville s’impose alors comme la capitale politique et économique de l’île 2 malgré sa position excentrée au Nord-Est de l’île et son site portuaire difficile. Parmi ses nombreux atouts, Bastia « la tyrrhénienne » compte la présence active des Cap-Corsins dans ses activités économiques d’intermédiation ainsi que la proximité de couloirs topographiques qui, dans une île montagneuse favorisent son rôle de contact entre Corse intérieure et Terra Ferma. Ainsi à la fin du XIXe siècle, alors que l’île est française depuis plus d’un siècle, le géographe Élisée Reclus 3 rend compte dans sa Géographie 1. 2. 3.

TAILLEFER François, « Bastia esquisse géographique », Revue de Géographie alpine, t. 29-3, 1941, p. 449-470. GRAZIANI Antoine-Marie, la Corse génoise, économie, société, culture, 1453-1768, Ajaccio Alain Piazzola, 1997. RECLUS Élisée, Nouvelle Géographie universelle L’Europe Méridionale, Paris, Hachette, 1887. Chapitre sur la Corse p. 671-688, chapitre sur la Sardaigne p. 607-634.

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universelle du profond déséquilibre qui caractérise la Corse. Il la divise encore en deux univers distincts de part et d’autre de l’arête faîtière de la Corse cristalline. Au Nord-Est, la Banda di dentro ou « zone intérieure », centrée sur Bastia est ouverte aux influences du monde italien par la mer tyrrhénienne et à l’opposé, la Banda di fuori ou « zone extérieure » offre les traits d’un espace isolé, confronté aux immensités de l’espace méditerranéen. Si, selon Reclus, la Corse regarde vers l’Italie et organise son territoire selon cette orientation, la Sardaigne « tourne le dos à l’Italie et ne lui montre que ses côtes les plus abruptes et ses districts les plus sauvages ». Le géographe note toutefois que l’intégration de la grande île à la jeune nation italienne aura tôt fait de « retourner la Sardaigne vers l’Italie » comme il le constate déjà avec la prééminence croissante du port tyrrhénien d’Olbia Terranova.

L’intégration à la France Intégrée dans l’aire géopolitique française dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Corse connaît une redéfinition de son organisation urbaine et portuaire. Un rééquilibrage géopolitique s’effectue alors en faveur de la côte occidentale, plus proche des grands ports provençaux. La cité impériale rattrape sa rivale bastiaise selon un processus qui ne s’interrompt que dans les années 1970 4. En conséquence, intégrée à un territoire plus lointain l’île se « sur-insularise ». La traversée maritime devient en effet bien plus longue. Avec des vents contraires, elle peut prendre plusieurs jours 5. Il faut compter trente heures de navigation avec les premiers bateaux à vapeur contre moins de dix pour atteindre les côtes toscanes depuis Bastia. Un des fondements géographiques du « paradoxe corse » se met en alors place. Si l’intégration à la nation française est plus riche de potentialités pour les insulaires, il leur est moins aisé de surmonter les obstacles qu’impose une géographie de la perception. Avec l’affirmation de l’ère industrielle, un processus de concentration portuaire se réalise au 4. 5.

MARTINETTI Joseph, « Problématique du fait urbain en Corse » in RAVIS-GIORDANI Georges (dir.), Atlas ethno historique de la Corse, Paris, CTHS, 2004, p. 60-61. CAMPOCASSO Pierre-Jean, « Les Corses et la mer », La Corse votre hebdo, 5-11 août 2011. Présentation de l’exposition organisée par le Musée de la Corse, Corte, cité par Véronique EMMANUELLI, p. 10-11.

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profit de Bastia et d’Ajaccio. Pourvoyeuse de produits bruts, l’île s’équipe pourtant de nouveaux ports comme Propriano ou Solenzara qui expédient le bois, le charbon de bois ou le liège vers les continents. Mais leur existence révèle avant tout les difficultés du port ajaccien à élargir son hinterland dans une île cloisonnée. Le processus d’industrialisation mis récemment en relief 6 reste modeste et ne peut contrecarrer la spécialisation accentuée des insulaires vers un tertiaire public généreux. L’affirmation d’une économie administrée, alimentant un puissant mouvement d’émigration vers la France continentale et ses colonies, aboutit à une bipolarité parfaite entre Ajaccio et Bastia. Malgré ses handicaps topographiques, Ajaccio, capitale de l’unique département de la Corse depuis 1811, est la grande bénéficiaire du concept de service public, défini dès la Monarchie de Juillet par le subventionnement de lignes maritimes régulières. À partir de 1830, les navires Liamone et Golo de la compagnie toulonnaise Gérard, assurent des lignes régulières entre Ajaccio, Bastia et Toulon. Le phénomène s’accentue sous le Second Empire avec la compagnie corse Valéry qui obtient un monopole de la desserte entre la Corse et désormais le seul port de Marseille. Le décès du comte Valéry, en 1879, permet à l’Ajaccien François Morelli 7 originaire du village de Bocognano, dans la vallée de la Gravona, de reprendre l’essentiel de la compagnie maritime qu’il renomme alors « Morelli, Compagnie insulaire de navigation ». Cap-Corsins et Bastiais semblent passer la prééminence maritime aux Ajacciens. Cela confirme surtout la suprématie de Marseille qui centralise désormais la gestion de la desserte corse tout comme Gênes, au même moment, contrôle celle de la Sardaigne. Car, Valéry comme Morelli sont aussi des armateurs de Marseille, ce grand port où il faut être, en cette seconde moitié de XIXe siècle 8. Ces basculements révèlent 6. 7. 8.

CAMPOCASSO P.-J., Corse industrielle, 1830-1960, mémoire révélée, matière transformée, Corte, Musée de la Corse, 2005. PELLEGRINETTI Jean-Paul, « Morelli François », in Dictionnaire historique de la Corse, SERPENTINI Antoine Laurent (dir.), Ajaccio, Albiana, 2006, p. 651. CATY Roland, RICHARD Éliane, « Armateurs marseillais au XIXe siècle », in Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille, XIXe-XXe siècles, Marseille, Chambre de commerce et d’industrie, 1986.

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également la dépendance qu’entretient l’organisation maritime à l’égard du pouvoir politique. L’effondrement du Second Empire a pénalisé le bonapartiste Valéry 9 et Morelli, après avoir tergiversé, comprend les bénéfices d’une adhésion au camp républicain. Sa compagnie contribuera alors à consolider le système clientéliste d’Emmanuel Arène, homme politique le plus emblématique de l’intégration républicaine de l’île. La suppression du monopole soumet toutefois sa compagnie à rude épreuve et subissant la concurrence d’armateurs marseillais plus influents, elle fait faillite en 1892. C’est alors la compagnie Fraissinet qui récupère l’essentiel des avoirs. Elle obtient de l’État un contrat de service postal exclusif qu’elle conservera d’ailleurs jusqu’en 1947. Si aux débuts incertains de la IIIe République des armateurs italiens comme Raffaele Rubattino 10 reprennent pied sur l’île, ces initiatives seront contrecarrées par une confrontation exacerbée des nationalismes. Les liaisons de Bastia avec la Toscane sont maintenues, mais leur importance décroît au profit d’un partage cloisonné des aires nationales.

L’affirmation du concept d’insularité dans le débat public et la définition du principe de continuité territoriale En qualifiant la Corse « d’île entourée d’eau de toutes parts », le député Emmanuel Arène 11 signifie à l’État ses obligations pour contribuer à atténuer les contraintes de l’insularité. L’idée encore non exprimée d’une « continuité territoriale » entre l’île et le continent s’impose dans le débat politique et devient le thème majeur de la demande sociale et politique. Le terrible constat d’une « Corse qui meurt » s’impose avant 1914 et se traduit par l’ébauche des premières mesures compensatoires visant à atténuer le coût des transports pour relancer l’économie locale. Pour le géographe Raoul Blanchard ou l’historien Henri Hauser, l’amélioration des transports doit permettre aux insulaires d’accéder à la modernité. Hauser écrit ainsi que « pour en faire un peuple moderne, 9. MARCHINI Antoine, « Comte Valéry », Dictionnaire historique de la Corse, p. 971-972. 10. FINIDORI Charles, Corsica marittima, près de deux siècles d’histoire des liaisons maritimes avec la Corse, Payan, 1988. 11. VERSINI Xavier, Emmanuel Arène, roi de Corse, Ajaccio, La Marge. 1983.

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un fragment de notre peuple, il faut leur donner le moyen de gagner plus à vendre leurs châtaignes qu’à détruire leurs châtaigniers, leur fournir des charrues et des machines agricoles, installer sur leurs côtes des pêcheries, rapprocher leur île des marchés du continent 12 ». Dans les années 1930, le maire radical de Bastia, Emile Sari, soutenu par de puissantes associations de Corses du continent mène une campagne active en faveur d’une baisse des tarifs. Ces prises de conscience n’inversent pas le mouvement de fond qui tend à vider l’île d’une jeunesse attirée par la manne d’emplois publics. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la problématique se pose à nouveau, mais change de nature. L’agriculture littorale et le tourisme de masse permettent en effet l’émergence d’une véritable économie productive et les transports sont sollicités pour favoriser le développement de cette nouvelle économie, en quête de marchés extérieurs. L’État confie alors la desserte de la Corse à la prestigieuse Compagnie générale transatlantique, la Transat, héritière de la compagnie des frères Pereire. Elle sera rapidement l’objet de profondes remises en cause et va cristalliser sur son nom des ressentiments contradictoires. On lui reproche ses rotations insuffisantes et ses tarifs élevés. Dans un article retentissant, intitulé « un département à la mer », le reporter et ancien résistant Eugène Mannoni 13 souligne la nécessité d’ancrer la Corse au territoire hexagonal en permettant une baisse substantielle du coût des transports. François Giacobbi, le puissant président du Conseil général exige même l’instauration d’un « pont entre la Corse et le continent » pour que les Corses soient enfin « traités comme des citoyens à part entière ». Inversement, les investissements de la Transat dans le tourisme hôtelier sont l’objet de critiques virulentes et la compagnie subit les premiers attentats au plastic. En 1969, l’État décide alors de fusionner les services méditerranéens de la Compagnie générale transatlantique et de la Compagnie mixte de navigation pour créer une Compagnie générale transméditerranéenne, supposée plus apte à gérer la spécificité de la desserte corse. Les événements d’Aléria en 1974 accélèrent le processus d’une prise en charge plus aboutie. Entérinant l’analyse selon laquelle les 12. HAUSER Henri, « En Corse, une terre qui meurt », La Revue du mois, n° 47, 10 novembre 1909, p. 539-569. 13. MANNONI Eugène, « La Corse, un département à la mer », Le Monde, 4-5 et 6 janvier 1960.

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problèmes de la Corse s’expliquent par son retard économique, son insuffisante intégration dans la modernité nationale et ses contraintes insulaires, le président Giscard d’Estaing institutionnalise le principe d’une continuité territoriale, financée par la solidarité nationale. Il propose alors la nationalisation de la Compagnie transméditerranéenne, rebaptisée SNCM, Société nationale Corse-Méditerranée. Maintenue dans ses locaux marseillais, la compagnie publique est affiliée à la SNCF qui en devient actionnaire et sa tarification s’aligne alors sur les pratiques de la compagnie ferroviaire. La SNCM devient le principal attributaire des aides publiques selon l’esprit du service public à la française 14. Elle obtient avec la Compagnie méridionale de navigation (CMN), compagnie privée, une convention d’une durée de 25 ans qui prend effet au 1er avril 1976 pour s’achever au 31 décembre 2001. Toutefois malgré une amélioration sensible de la desserte, la nouvelle entreprise publique est confrontée à de lourdes contraintes. Plus perméable aux pressions sociales et politiques, elle doit assurer un constant élargissement de son offre, à destination en particulier des ports secondaires de l’île. Son efficacité est pénalisée par les pratiques du port autonome de Marseille qui surpondère ses coûts et la forte implantation de la CGT s’exprime par un recours abusif aux grèves 15. L’application de la continuité territoriale engendre un nouveau paradoxe. Il se traduit par un effort sans précédent de solidarité nationale à l’égard d’une société insulaire où émergent des forces contestataires exigeant un désengagement de l’État. L’exigence accrue de souplesse et de confort jointe à l’incompréhension de mouvements sociaux fréquents développe chez les usagers un sentiment d’insatisfaction. Assimilée à l’État, la compagnie publique voit s’accumuler surenchères et rancœurs. L’intrusion d’une législation européenne appliquée au domaine des transports, associée à une réorientation de l’organisation spatiale de la Corse vers l’est tyrrhénien vont rapidement signifier les limites du fonctionnement public monopolistique. 14. GRAZIANI Serge, « La SNCM, la Corse et le retour de l’histoire », Quaderni, n° 59, hiver 2005/2006, p. 65-83. 15. PERALDI Xavier, « Le système de continuité territoriale de la Corse : coûteux, forcément coûteux », Revue d’Économie régionale et urbaine, n° 2, 1999, p. 333-352.

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ENTRE EUROPE ET DÉCENTRALISATION, UNE RÉAFFIRMATION TYRRHÉNIENNE DE LA DESSERTE CORSE Le secteur maritime est recomposé avec l’arrivée au pouvoir de la gauche socialiste en 1981. François Mitterrand, engagé à prendre en compte la demande d’autonomie, charge son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre d’entreprendre une réforme institutionnelle de décentralisation en 1982. Elle permet la création de l’Office des transports de la région Corse (OTRC) dont la mission est la gestion autonome par la nouvelle Assemblée de Corse de l’importante enveloppe financière de continuité territoriale attribuée par l’État. Dix ans plus tard, cette autonomie gestionnaire s’accroît dans le cadre de la réforme du socialiste Pierre Joxe, Ministre de l’Intérieur. L’Office des transports de la Corse (OTC) accroît alors ses prérogatives et devient un établissement public à caractère industriel et commercial. Géré par un membre de l’Exécutif régional, il a toute latitude pour fixer les modalités de la desserte à destination de la France continentale. Davantage en prise avec une demande sociale qui s’exprime désormais à travers un débat public, l’OTC permet une amélioration sensible de la desserte en particulier dans le domaine aérien avec la création d’une compagnie régionale. Mais cette amélioration a un coût, assumé par l’État à travers une enveloppe financière toujours plus conséquente. Cette dernière représente à elle seule la moitié du budget d’une Collectivité territoriale de Corse (CTC) qui doit assumer des compétences supplémentaires avec la réforme Jospin de 2002. En 2010, l’OTC gère un budget de plus de 200 millions d’euros 16 soit 1,3 milliard de francs contre 950 millions de francs en 2000. Les offres de desserte subventionnées se sont encore élargies avec la mise en place en 2002 des aides sociales au passager. Elles constituent une aide directement versée à certaines catégories de passagers (résidents corses, jeunes, familles, personnes âgées) et ont largement contribué à soutenir le dynamisme conquérant de la compagnie Corsica Ferries sur les lignes de Nice et de Toulon dans les années 2000. Elles se sont ajoutées à la délégation de service public (DSP) qui subventionne la desserte Marseille-Corse depuis 1976. Un sévère rapport de la Cour des comptes 16. Site de l’Office des transports de la Corse, www.office-transports-corse.fr.

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a épinglé en 2011 le fonctionnement de l’OTC, rendant public ses dysfonctionnements internes 17. Trente années de gestion régionale ont accentué le fractionnement de l’offre et l’éventail des subventionnements profite désormais à des compagnies privées. Avec l’échéance annoncée des conventions de desserte en 2013, le nouveau président de l’OTC, Paul-Marie Bartoli, nommé par la nouvelle majorité de gauche, n’exclut pas une redéfinition plus rigoureuse du principe de continuité territoriale 18.

L’Europe et les nouveaux armateurs tyrrhéniens Ayant pour objectif la remise en cause des monopoles nationaux dans le but de décloisonner l’espace européen, les instances européennes, consolidées par l’adoption du traité de Maastricht décident d’ouvrir à la concurrence les lignes maritimes nationales. Par un règlement en date du 7 décembre 1992 (n° 3577/92), les autorités européennes libéralisent alors les dessertes insulaires en ouvrant les espaces maritimes nationaux à la concurrence communautaire. Les navires d’un autre État membre de l’UE peuvent désormais desservir les lignes nationales intérieures. Une période de six années transitoires a toutefois été accordée aux États méditerranéens pour s’adapter à cette nouvelle donne concurrentielle dans un secteur dont l’importance est loin d’être négligeable, en particulier en Grèce et en Italie. À partir du 1er janvier 1999, un navire étranger battant pavillon européen peut alors desservir les lignes intérieures entre la Corse et le continent. Si le principe de service public est maintenu avec attribution possible de subventions publiques, il devient sévèrement encadré pour ne pas être discriminatoire. Les années 2000 permettent alors une brutale recomposition de la desserte corse pour le plus grand profit des compagnies tyrrhéniennes, rodées depuis longtemps à une concurrence vigoureuse. Deux compagnies maritimes s’engagent à concurrencer les car-ferries de la SNCM sur les lignes 17. Rapport public annuel de la Cour des Comptes, Paris, février 2011. http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/16_continuite_territoriale_avec_la_corse. pdf 18. CHABANON Anne, NICOLAÏ Henri, « Entre les compagnies et l’office des transports : débat à quatre voix », Corse-Matin, 23 juin 2011.

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maritimes françaises. La Corsica Ferries créée en 1968 par un armateur bastiais et cap-corsin, Pascal Lota, enregistre certains de ses navires en France pour pouvoir dès 1996 se positionner sur la ligne Bastia-Nice. En 1999, elle accentue son offensive commerciale et avec une domiciliation génoise de ses bâtiments se lance avec succès à la conquête du vaste marché hexagonal à partir des ports de Nice, mais surtout de Toulon, idéalement placé pour concurrencer Marseille au débouché du couloir rhodanien. De 1968 à 1996 la compagnie de P. Lota a pu se spécialiser dans le transport maritime entre Bastia et les ports italiens voisins, Gênes, Livourne, La Spezia. Sur ces lignes internationales, elle a utilisé un pavillon de complaisance panaméen lui assurant des coûts de fonctionnement très avantageux sur le plan fiscal et des contraintes allégées en droit du travail. Au sein de l’équipage, les cadres restent italiens, mais une grande partie des salariés est à cette époque originaire de pays en voie de développement. Dans un espace tyrrhénien précocement ouvert à la concurrence, elle est aussi présente sur les lignes intérieures italiennes. Elle dessert la Sardaigne et l’archipel toscan où elle livre une âpre concurrence à la seconde compagnie tyrrhénienne qui se positionnera sur les lignes intérieures françaises, la Moby Lines. Comme de nombreuses autres compagnies maritimes internationales, Corsica Ferries se caractérise aujourd’hui par un fonctionnement capitalistique complexe sous forme de sociétés gigognes. Corsica Ferries France (CFF) est une société par actions simplifiée dont le siège est à Bastia. Elle est contrôlée par une holding intermédiaire implantée également à Bastia et qui appartient elle-même à une holding tête de groupe, Lozali SA, installée à Genève depuis 2006. L’armateur des navires, Forship Spa, est quant à lui une société italienne basée à Gênes. Si le propriétaire de la holding, Pascal Lota, reste toujours d’une très grande discrétion, le président de CFF, Pierre Mattei est lui très présent sur le terrain politique et médiatique insulaire. Issu du milieu nationaliste, il contribue à développer sur l’île un discours corsiste, relativement lissé et libéral. CFF finance ainsi de nombreux médias dont le très influent magazine Corsica, mais aussi des institutions publiques comme la nouvelle Fondation de l’Université de Corse. Toutefois la proximité avec les milieux nationalistes n’est pas exempte de profondes contradictions. CFF est en effet le

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vecteur d’un tourisme de masse, toujours décrié dans la doxa nationaliste. L’entreprise ne pratique guère le concept de corsisation des emplois défendu par le syndicat nationaliste STC. À bord des navires, ses salariés sont exclusivement des Italiens et des Européens de l’Est. Sur un total de 1 300 salariés, la compagnie n’emploie qu’environ 250 Français, que l’on trouve à quai sur les ports corses ou continentaux ou bien employés dans la centrale de réservation. Le fonctionnement opaque de la holding soulève des interrogations. Au cours des difficultés financières que le groupe a connu dans les années 1990, certains ont pu évoquer un rôle particulièrement obscur de la banque suisse du Gothard dans son refinancement 19. Il faut toutefois mettre en relief sa grande souplesse et sa réactivité à la demande du marché qui en ont fait dans le débat public, en particulier dans les années 2000, un modèle d’adaptabilité et d’efficacité face au contre-exemple de la compagnie publique. Comme ses rivales privées italiennes, la compagnie utilise habilement les atouts du droit international maritime et peut jouer sur des tarifs promotionnels, pour affaiblir la concurrence. Le pavillon italien international lui assure une exonération partielle des charges sociales. Détenant désormais 65 % du marché sur les lignes Corse-continent, la compagnie bénéficie depuis 2002 de substantielles subventions par le biais de « l’aide sociale au passager » sur les lignes de Nice et de Toulon. L’éviction de la SNCM de ces deux ports lui assure près de 90 % des aides. La seconde compagnie maritime engagée sur le créneau concurrentiel des lignes intérieures françaises est la Moby Lines. En 2010 elle a ouvert la desserte BastiaToulon, segment subventionné. Toutefois la faiblesse du marché horssaison et le lobbying des sociétés concurrentes l’ont poussé à rapidement jeter l’éponge et à se recentrer activement sur l’espace tyrrhénien. Moby Lines est un groupe milanais détenu par le Napolitain Achille Onorato et sa famille. Le siège administratif de la compagnie est basé à Porto Ferraio sur l’île d’Elbe. Spécialisée à l’origine dans les relations avec les îles mineures, La Maddalena puis l’île d’Elbe, elle dessert surtout la Sardaigne et la Corse au départ du continent italien. Ses navires, décorés 19. MOLGA Paul, « Corsica Ferries, un succès qui dérange », Les Échos, 2 mai 2011. PORSIA Enrico, 2005-2007 : « Corse : Guerre maritime pour la conquête de l’île », dossier en trois parties sur le site du journal en ligne Amnistia, www.amnistia.net/

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par des personnages de bande dessinée de la Warner Bros, ne fonctionnent que l’été, sans subventions, entre la Corse et l’Italie. En 2010-2011, avec les groupes Grimaldi Lines et Marinvest MSC du groupe napolitain Aponte, Moby Lines a repris les actifs de la compagnie nationale publique Tirrenia, démantelée et privatisée par le gouvernement Berlusconi. Les trois associés ont ainsi créé une filiale commune, la Compagnia italiana di navigazione. En s’engageant à employer les 1 600 salariés de l’ex-compagnie publique, elles ont reçu l’aval du ministère italien des Transports pour récupérer avantageusement les actifs de Tirrenia et continuer à percevoir les aides publiques. Une troisième compagnie tyrrhénienne, la SNAV, Societa dei navi veloci, est également présente en Corse et dessert depuis deux ans une ligne estivale entre Porto-Vecchio et Civitavecchia, à proximité de Rome. Elle a transporté environ 8 000 passagers au cours de l’été 2010. Elle est une des nombreuses filiales de la puissante holding Aponte Marinvest, basée à Genève et qui détient également la Mediterranean Shipping Company (MSC) spécialisée dans les croisières. La présence d’une compagnie de cette envergure traduit-elle une stratégie de plus grande ampleur visant à se positionner sur le marché touristique de la Corse 20 ?

Une vigoureuse recomposition dans l’espace tyrrhénien italien Car l’espace maritime tyrrhénien italien est aujourd’hui le siège de recompositions brutales. Le démantèlement et la privatisation de la Tirrenia, malmenée par la concurrence privée a été effectuée en plusieurs étapes. Ce sont d’abord ses nombreuses filiales régionales spécialisées dans la desserte des isole minore qui ont été transférées aux Régions. En Sardaigne, après bien des péripéties la filiale régionale SAREMAR est devenue une compagnie publique régionale en 2009. Inversement la région Toscane n’a pas souhaité acquérir la filiale Toremar qu’elle a vendue à la compagnie Moby Lines. La flotte de l’ex-Tirrenia nationale a été attribuée au consortium Compagnia italiana di navigazione (CIN) 20. Voir le site de la revue en ligne La Gazzetta marittima, Livorno, http://www.lagazzettamarittima.it/

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regroupant les trois grandes compagnies privées citées précédemment. Ainsi depuis l’été 2011, la desserte Sardaigne-continent italien est désormais aux mains des seules compagnies privées. Cela a donné lieu à de spectaculaires conflits d’intérêts entre les autorités régionales, l’État et les compagnies privées. La très forte hausse des tarifs maritimes a poussé le nouveau président centre-droit de la région Sardaigne, Ugo Capellacci, à dénoncer un cartel de compagnies faussant la concurrence. Il s’est alors engagé dans une véritable croisade aux accents nationalitaires dénonçant la mainmise des armateurs napolitains sur la Sardaigne. Sous la pression des résidents sardes, des professionnels du tourisme, mais aussi de ses alliés politiques sardistes, il décide de créer une compagnie régionale La Flotta sarda. Filiale de la compagnie régionale SAREMAR, elle loue deux navires qu’elle affrète sur les lignes du continent italien. L’exécutif sarde envisage à court terme une privatisation de la compagnie régionale SAREMAR et en conséquence celle de La Flotta sarda Spa 21. L’avenir dira si cette régionalisation privatisée de la desserte maritime peut constituer une alternative à la privatisation de l’ancienne compagnie nationale ! Comme le suggère au cours d’un reportage documenté le journaliste Alain Verdi de FR3 Corse 22, la Corse peut-elle connaître la même évolution ? La régionalisation de la SNCM a déjà été évoquée en Corse au cours des années 2000 par une fraction minoritaire du mouvement nationaliste, au sein du Syndicat des travailleurs corses (STC). Le syndicaliste Alain Mosconi en fait aujourd’hui encore un thème central de son engagement militant. Ce nationaliste connu pour être à l’origine de la spectaculaire mutinerie du navire Pascal Paoli de la SNCM en 2005 et pour avoir figuré sur les listes européennes du trotskiste Olivier Besancenot en 2008, peine à convaincre des milieux nationalistes très majoritairement acquis à la Corsica Ferries. Le retrait annoncé de la société Veolia du secteur des transports en décembre 2011 pourrait toutefois relancer sérieusement cette hypothèse. 21. AIMÉ Umberto, « Nasce la società Flotta Sarda spa », La Nuova Sardegna, Sassari, 14 septembre 2011. 22. VERDI Alain, « La SNCM sarde privatisée ? », reportage FR3 Corse, Ajaccio, septembre 2011.

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Chronologie d’une « guerre maritime » sur les lignes de Corse Dans un contexte de mise en concurrence, la Corse a vécu ce que le journaliste Enrico Porsia a nommé avec pertinence une véritable « guerre maritime pour la conquête de l’île » au cours des années 1990 et 2000. La compagnie CFF s’y est imposée comme le vainqueur incontesté. Elle a bénéficié auprès d’une large opinion publique d’une image positive. Soutenue par les régionalistes et plus globalement par les milieux d’affaires favorables à la concurrence, elle s’est imposée comme le contre-exemple efficace de la SNCM et du port de Marseille, pénalisés par l’importance acquise des pouvoirs syndicaux. La « guerre maritime » s’est également traduite par une compétition d’ordre technologique. En imposant les navires à grande vitesse (NGV) dans le paysage maritime des années 1990, la SNCM fut dans un premier temps la plus innovante des deux compagnies. Elle a pu redynamiser la ligne maritime Corse-Nice, devenant pendant quelques années une véritable « autoroute des mers ». La forte hausse du coût de l’énergie et les aléas météorologiques ont cependant conduit la SNCM à réduire puis supprimer l’utilisation de ses navires performants. Au début des années 2000, CFF reprend l’initiative et lance des monocoques semi-rapides, les Méga Express. Très grands, ces nouveaux navires peuvent pratiquer le fret. Reprenant un concept déjà utilisé par la CMN, la SNCM développe alors les cargos mixtes qui permettent à moindre coût d’assurer le fret et le transport de passagers. Remise en cause pour ses graves dysfonctionnements, étroitement surveillée par la commission de Bruxelles peu favorable à sa recapitalisation, la SNCM sera privatisée en 2004-2005 par le gouvernement Villepin. Un fonds d’investissement rachète cette entreprise bradée, licencie plus d’un tiers du personnel (2 400 salariés dont 800 résidents en Corse avant la privatisation) et revend en 2008 la majeure partie des actions au puissant groupe Veolia, l’État conservant cependant le quart des actions. Veolia a conditionné son engagement au maintien de la délégation de service public entre Marseille et la Corse. Aujourd’hui la nouvelle SNCM semble bénéficier d’une plus grande attention des pouvoirs régionaux en Corse comme

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en PACA 23 et son image paraît s’améliorer face à une CFF hégémonique qui ne soigne plus autant sa clientèle. En 2012, l’ouverture par la SNCM de la ligne Toulon-Corse aurait pu signifier cette consolidation de la compagnie. La précipitation d’événements défavorables à la compagnie a cependant vite fait d’entamer un optimisme trop hâtif. En novembre 2011, la Cour d’appel du tribunal administratif de Marseille a remis en question sa délégation de service public et demande son annulation avant le délai prévu de 2013. La compagnie débute l’année 2012 par un nouveau conflit social qui oppose une nouvelle fois la puissante CGT aux dirigeants de l’entreprise à propos cette fois des conditions salariales définies sur la « prometteuse » ligne toulonnaise. Mais c’est surtout l’annonce du retrait de Veolia du secteur des transports à l’horizon 2013 qui fragilise désormais son avenir. L’État et sa puissante Caisse des dépôts et consignations ne semblent pas envisager une « renationalisation » de la SNCM et privilégient au contraire une solution de substitution régionale que pourrait assumer le chef de l’Exécutif corse, Paul Giacobbi, engagé dans une surenchère autonomiste auprès de l’électorat corse. La guerre maritime de Corse n’est donc pas close et la baisse annoncée des subventionnements publics laisse envisager la disparition de l’opérateur « historique » au profit de CFF et de la Méridionale et au prix probablement d’une grave crise sociale en Corse et dans l’aire marseillaise. En définitive, le bilan reste sans appel : Tandis que Corsica Ferries passait de 700 000 passagers en 1992 à 2 800 000 en 2010, la SNCM chutait au cours de la même période de 1 200 000 passagers à moins de 800 000.

UN « RETOUR DE L’HISTOIRE » ? Cette « guerre maritime » est-elle la manifestation de ce que Serge Graziani 24 a nommé « le retour de l’histoire », soit la réintégration progressive de la desserte maritime de la Corse dans l’espace tyrrhénien, 23. « Taxe carbone : Roland Blum (UMP) veut exonérer la SNCM et la CMN », La Provence, 31 octobre 2009, Marseille. Le député dénonce « une rupture de concurrence et une fragilisation » au profit des compagnies étrangères. 24. Ibid.

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au nom d’une logique géohistorique plus rationnelle ? Le jeu subtil des basculements géopolitiques successifs doit inviter cependant à plus de prudence. En effet au cours des années 1980, c’est sur les lignes Corse, Italie que se situe l’essentiel du dynamisme maritime. Cela permet aux compagnies tyrrhéniennes de rééquilibrer le trafic de la Corse entre France et Italie. Le développement du tourisme italien et centre européen, la vitalité des compagnies privées mais aussi les distances bien plus courtes qui séparent Bastia de l’Italie justifient ce rééquilibrage. Atteignant plus du tiers du trafic maritime total, il se stabilise ensuite au cours des années 1990 mais plafonne depuis, à environ 1/3 du trafic total des ports corses. L’ouverture de la concurrence sur les lignes nationales permise par la législation communautaire européenne a en effet déplacé le dynamisme sur les lignes intérieures françaises au cours des années 1990 et 2000. Ces lignes certes subventionnées contribuent largement à consolider le poids du tourisme hexagonal dans l’économie insulaire accentuant la dépendance corse vis-à-vis du continent. La situation est l’inverse de ce que laissait envisager le trend des années 1980. Cette primauté des liens Corse-continent français dans les pratiques économiques et sociales semble attester de la consolidation du poids d’une histoire bi-séculaire. Aussi, dans un contexte de réduction drastique des dépenses publiques, la demande d’un subventionnement des lignes moins onéreuses Corse-Italie suggérée désormais par des économistes 25 pour contribuer à désinsulariser la Corse peut-elle à l’avenir modifier l’orientation géopolitique de cette desserte ?

Quelles portes continentales pour la Corse ? Les stratégies déployées par les différents acteurs du secteur maritime exercent un profond impact spatial. Dès 1982, Corsica Ferries a privilégié le port de Savone Porto-Vado au détriment de Gênes, trop onéreux. Ce port de Ligurie qui reste exclusivement dépendant de la destination corse voit cependant son trafic plafonner aux alentours de seulement 300 000 passagers et dépasse à peine Gênes fréquenté par 25. PERALDI Xavier, ROMBALDI Michel, Les transports maritimes à courte distance, enjeux et perspectives en Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2008.

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la seule Moby Lines pour la desserte corse. La principale porte italienne pour la Corse reste donc Livourne après l’abandon des ports de La Spezia et de Piombino par CFF et Moby Lines. LE TRAFIC PASSAGERS ENTRE LA CORSE ET LES PORTS ITALIENS CONTINENTAUX EN 2010 TRAFICS PORTS

(passagers)

TRAFICS CORSE (passagers)

2 552 214

661 163

26

311 643

310 273

100

2 779 685

245 180

9

ANNUELS

LIVOURNE SAVONA GÊNES

SUR LA

PART CORSE (%)

(Source : ORTC, http://www.ortc.info/)

Ce sont les ports français de Toulon et de Nice qui ont connu les plus fortes hausses de trafic au cours des années 1990 et 2000 au détriment des ports italiens, mais surtout de Marseille qui ne se situe plus désormais qu’à la troisième place. LE

TRAFIC PASSAGERS ENTRE LA

FRANÇAIS EN

PORTS TOULON NICE MARSEILLE

CORSE

ET LES PORTS CONTINENTAUX

2010 TRAFICS (passagers)

TRAFICS CORSE (passagers)

1 421 568

ANNUELS

SUR LA

PART CORSE (%)

1 403 139

99

962 493

962 493

100

1 382 900

800 847

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(Source ORTC http://www.ortc.info/) 26

Nice et Toulon présentent cependant des stratégies totalement contraires face à la spectaculaire croissance de leur trafic maritime

26. Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC) au sein de la Direction régionale de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, Ajaccio, site en ligne, http://www.ortc.info/.

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exclusivement corse. Si Toulon favorise cette activité qui est une réponse au déclin de sa spécialisation militaire et de ses chantiers navals, les autorités niçoises semblent au contraire tout faire pour la contenir voire la freiner. Le port de Nice est en effet au cœur d’un conflit d’usage entre les habitants d’un quartier du port très résidentiel, hostiles à tout projet d’extension et la Chambre de commerce et d’industrie. La mairie de Nice et le Conseil général des Alpes-Maritimes, conscients de l’impact électoral que peuvent exercer des électeurs insatisfaits prêts à voter comme en 2004 pour une coalition socialo-écologiste préfèrent limiter les activités portuaires 27 au grand dam des créations d’emplois. Pénalisé par les lourdeurs de son fonctionnement ainsi que par les choix opérés en faveur d’une activité croisières plus prestigieuse, le Grand Port maritime de Marseille (GPMM) a négligé le trafic des car-ferries vers la Corse ou le Maghreb au bénéfice de Toulon et de la CFF qui en ont capté la plus grande part. La cité phocéenne garde cependant l’avantage du fret grâce à l’existence à proximité de la principale plate-forme de stockage des produits de consommation destinés au marché corse. Un partage de la délégation de service public entre Toulon et Marseille, suggéré désormais par le président de l’OTC, peut partiellement remettre en cause cet acquis marseillais.

En Corse, l’enjeu d’une extension du port de Bastia En Corse, les cinq ports secondaires sont la propriété des départements de Haute-Corse et Corse-du-Sud tandis que ceux d’Ajaccio et Bastia appartiennent à la Région 28. Toutefois, ils ne sont pas pénalisés par une concurrence institutionnelle, étant tous gérés par les CCI des deux départements. La remise à plat d’ici 2013 des attributions financières de l’enveloppe de continuité territoriale ne semblent pas les remettre en cause malgré le surcoût qu’implique leur maintien pour une île de 300 000 habitants. Le consensualisme spatial nourri par des pratiques 27. MARTINETTI Joseph, « Un département bleu azur entre conservatisme et localisme », Hérodote, 2, n° 113, 2004, p. 68-93. 28. MARTINETTI, Joseph, « Le transfert des deux ports d’intérêt national d’Ajaccio et de Bastia à la Collectivité territoriale de Corse », in BRAS Gérard, ORANGE Gérard, Les ports dans l’acte II de la décentralisation, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 25-40.

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clientélistes consistant à essaimer les infrastructures entre les territoires, atténue en effet les rivalités. Mais il ne favorise pas une logique fonctionnaliste à terme plus efficace pour l’ensemble des acteurs insulaires. Aujourd’hui, la confrontation des projets des deux plus grands ports de l’île pose à nouveau le problème du choix entre une bipolarité portuaire affirmée depuis l’intégration française ou une prééminence tyrrhénienne bastiaise reconfirmée depuis les années 1980. Le port de Bastia assure plus de la moitié du trafic fret et du trafic passagers de la Corse. Mais cette nette supériorité n’est pas définitivement acquise. En effet, les années 2000 ont permis à Ajaccio de bénéficier d’un très grand dynamisme permis par le développement de la ligne maritime Corsica Ferries entre Ajaccio et Toulon, devenue la seconde ligne maritime de Corse. Les projets d’extension du port ajaccien commencent à porter leurs fruits avec de nouveaux môles en fonctionnement et une esthétique paysagère de l’ensemble portuaire qui s’est grandement améliorée sous l’action conjointe de la CCI, de la Région et de la municipalité. La navigation de croisières qui permet chaque année à 700 000 croisiéristes de visiter la cité impériale consolide ce regain. Le port de Bastia, quant à lui, est confronté à une crise de croissance qui nécessite une nouvelle extension sur un site portuaire peu commode. La dimension régionale du port bastiais a incité la Région sous la pression de la municipalité à élaborer un vaste projet. Un nouveau site est envisagé dans les quartiers sud de la ville à la Carbonite. Comme l’oblige la législation, une enquête publique a été organisée en 2007. Elle a permis de mettre en évidence les conflits d’intérêts que soulève cet ambitieux projet. Pour les gestionnaires de la commune, le choix d’un nouveau site portuaire améliore l’aménagement du territoire communal et permet d’éviter l’asphyxie du centre-ville généré par le passage des camions et des voitures. Les milieux d’affaires, Chambre de commerce et compagnies maritimes, et en particulier la Corsica Ferries, accompagnent fortement le projet car lui seul permettra de faire face à la croissance continue du trafic et à l’augmentation prévue de la taille des navires. À l’opposé, associations écologistes, riverains et petits commerçants de la ville redoutent ses conséquences environnementales et économiques. Les nuisances semblent avérées sur l’herbier de Posidonie et la plage sablonneuse de l’Arinella. Le détournement du trafic routier fait

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craindre une désaffection du petit commerce de centre-ville tandis que les associations écologistes mettent en garde les résidents du quartier de Lupino contre les dégradations environnementales qu’ils subiront. Soumis aux analyses scientifiques de groupes d’experts, le projet sera entériné ou rejeté à l’horizon 2013. Pourtant le port de Bastia a tout à gagner d’un projet qui lui permettra une nouvelle fois de valoriser sa situation d’intermédiation entre la Corse et les continents. La pression de groupes d’intérêts catégoriels récupérés par des partis politiques contestataires aura-t-elle raison du projet bastiais ? Le principe bien connu du NIMBY 29 conjugué à des formes de populisme revendiquant un refus de développement au nom de l’identité, risque en effet de compromettre un grand projet d’importance régionale, vital pour l’économie bastiaise et permettant plus globalement une desserte plus rationnelle des flux maritimes de la Corse. Ce vaste tour d’horizon géohistorique permet d’appréhender sur un temps relativement long le poids des permanences et des mutations qui caractérisent la desserte maritime de la Corse. L’île est en effet soumise à un jeu d’équilibre que génère sa double appartenance à l’« espace tyrrhénien » et à l’espace national français, à la différence de sa voisine sarde désormais exclusivement orientée vers la péninsule italienne. Entre France et Italie, entre compagnies publiques et compagnies privées, l’histoire de cette desserte se définit par un jeu de basculements géopolitiques et par l’affirmation de dynamiques spatiales toujours renouvelées. Aux acteurs étatiques appliquant un principe cloisonné de continuité et de solidarité territoriale se sont substitués de nouveaux acteurs plus souples, précocement expérimentés dans l’exercice de la mondialisation. Pourtant le paradoxe subsiste sur ces lignes corses à courte distance entre la vive concurrence estivale que se livrent les compagnies et les contraintes d’une desserte conçue comme un service public non rentable. La définition d’un nouvel équilibre associant les intérêts des usagers, l’efficacité des armateurs et une gestion spatiale, plus rationnelle et moins localiste des flux, reste le principal défi des années à venir. 29. NIMBY, Not in my backyard, « Pas dans mon arrière-cour ». Le terme s’est développé à partir des années 1980 pour manifester l’opposition de riverains à des projets d’intérêt public.

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ÉTUDES CORSES, N° 73 ALBIANA/ACSH DÉCEMBRE 2011

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Représentations de la spécificité insulaire en Corse : L’émergence d’une conscience insulaire, prolongement d’une conscience identitaire ? Le concept d’insularité et le large usage qui en est fait méritent d’être interrogés épistémologiquement. Aujourd’hui le terme semble entendu, voire à la mode : il est partout dans les discours savants, comme dans les discours journalistiques. C’est pourtant un concept complexe, relativement récent, dont la pertinence est toujours interrogée par la géographie. Cette complexité se mesure déjà dans l’intitulé de la table ronde : « Vivre l’insularité », indique que l’on se place au-delà de la dimension physique d’un territoire entouré d’eau et qu’on verse du côté d’une approche phénoménologique. « Vivre » évoque une expérience, une pratique, et donc une dimension socioculturelle, se plaçant du point de vue insulaire. Si nous reprenons la boîte à outils forgée par Anne Meistersheim 1 : insularité, îléité et insularisme, nous touchons là à l’îléité. C’est bien à cette dimension que nous nous intéresserons, assortie qu’elle est d’une doxa qui insiste sur le particularisme, la spécificité, la différence radicale des îliens. Il nous semble ici bon de rappeler la nature construite, historique et donc profondément mouvante de ce discours. Il n’y a en effet pas 1.

MEISTERSHEIM Anne, Figures de l’île, Ajaccio, DCL, 2001.

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là de loi ni de vérité naturelle, pas d’essence de l’insularité. L’insularité est une catégorie géo-anthropologique qui s’est construite, et son usage aussi s’est imposé progressivement, à la faveur de différents enjeux. Voilà donc ce qui nous importe ici : essayer de comprendre comment le concept s’est imposé en Corse, comment a émergé une conscience insulaire dans l’île, et ce qu’elle signifie. Puisque donc la doxa associe l’insularité à l’identité et au particularisme, à la différence d’avec le continent, nous allons voir comment s’articulent identité et insularité, comment l’insularité est une composante de la corsitude, que nous pourrions définir comme sentiment d’appartenance à une culture corse. Pour ce faire, une première partie reviendra sur ce que signifie l’insularité corse et comment cela désigne, d’un point de vue lexical et iconographique, la rupture avec le continent et avec le continental, ce qui peut aisément en faire un élément de revendication identitaire, et donc de défiance à l’égard de l’État. Une deuxième partie s’attachera ensuite à suivre l’évolution de l’emploi du vocabulaire insulaire (pour désigner la Corse ou pour parler d’elle) au gré des variations idéologiques touchant à l’appartenance à la France. Enfin nous nous concentrerons dans une dernière partie sur l’omniprésence de la rhétorique insulaire, et du discours particularisant qu’elle induit, dans tous les champs institutionnels, comme dans les champs de production du savoir et de la culture.

CE QUE LAISSE ENTENDRE ET CE QUE DONNE À VOIR L’INSULARITÉ CORSE Pour comprendre les connotations qui enveloppent la perception de l’insularité corse ou de l’insularité en Corse, nous nous proposons d’examiner tout d’abord les représentations les plus fonctionnelles, celles qui la disent et la montrent dans un objectif premier de communication ou d’information. Mots et images seront donc analysés pour dégorger les différenciations qu’ils sous-tendent : dite ou montrée, l’insularité exprime l’écart et le distinguo.

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Les mots : sens et implications Dans les langues romanes, les mots « île » et « insularité » désignent un lien fort avec l’isolement. Nous l’observerons à partir des dictionnaires et bases de données que nous avons consultés pour cet article ; car bien qu’une enquête linguistique sur les usages des termes eût été un bon complément, elle dépassait le cadre de ce travail. Ainsi, à l’entrée « isula », le Ceccaldi ne propose pas de définitions 2. Il renvoie à un autre mot, « solu ». Et à l’entrée « solu », après la traduction du mot on trouve une liste de mots que l’auteur lui associe étymologiquement. C’est ainsi que le mot « isula » (île) est ainsi associé à « Sulitudine » (la solitude), à « desulà » (désoler), à « isulamentu » (l’isolement). Si le renvoi à ce dernier vocable est linguistiquement légitime, ce n’est pas le cas des deux autres rapprochements. L’étymologie proposée pour « isula », à partir de « solu » est fautive. Les autres dictionnaires de langue corse ne suivent d’ailleurs pas le Ceccaldi sur ce point. Le Culioli 3 traduit très brièvement « isula » par « île », quant au dictionnaire en ligne, correspondant à la base de données de la langue corse INFCOR 4, nous trouvons : isulà, isolà francese : isoler definizione : staccà da ciò chì hè à l’intornu. Figurativu. Cunsiderà à parte : isulà una frasa, una parulla da u so cuntestu. – Figurativu. Prutege da influenze termiche : isulà l’interiore d’una casa. sinonimi : scartà, staccà, spiccà, separà, chjude, segregà, rilegà, cunfinà.

isula francese : île definizione : terra circundata da acqua da ogni latu : l’isula di Corsica, d’Inghilterra. 2. 3. 4.

CECCALDI Mathieu, Dictionnaire corse-français. Pieve d’Evisa, Paris, Klincksieck, 2e éd., 1998. I CULIOLI, Dictionnaire français-corse/ corsu-francese, Ajaccio, DCL, 1998. Site de l’ADECEC, page isula, disponible sur : http://adecec.net/infcor/ricerca (consultée le 21 mars 2007).

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isulassi, isolassi francese : s’isoler definizione : ritirassi solu : isulassi da u mondu, in una casa di campagna. Sinonimi : scantassi, separassi, chjudesi, ritirassi, cunfinassi, esiliassi, alluntanassi Ici aussi est développé le lien avec la solitude, puisque le verbe « isulà » signifie « mette solu » (mettre seul) et « isulassi » signifie « ritirassi solu » (se retirer pour rester seul). Les synonymes proposés pour ces verbes sont également riches en connotations négatives : (s’) écarter, (se) séparer, (se) détacher, (se) fermer, ségréger, reléguer, confiner, s’exiler. La langue française développe la même chaîne sémantique et étymologique, et tisse donc le même lien entre « île » et « isolement » ; ainsi peut-on lire dans le Trésor de la langue française 5 la définition suivante, après les définitions élémentaires : « île : entité administrative ; un quartier, une ville, une nation ». Le mot « entité » ici employé marque déjà bien la connotation d’autonomie, mais un coup d’œil aux mots corrélés permet de découvrir les notions suivantes : Insularisme 1. Caractère de ce qui est insulaire, en particulier à propos de l’Angleterre. 2. Insulation : Volonté d’un être, d’une communauté de s’isoler. Là encore, on ne peut que s’accorder sur les connotations de séparation néfaste et anormale. Et la prégnance du lien entre « île » et « isolement » est également au cœur de la langue italienne, enrichie de connotations plus explicitement négatives encore ; on trouve les éloquentes expressions suivantes 6 : 5. 6.

Trésor de la langue française disponible sur : http://atilf.atilf.fr/tlfv3.htm (pages consultées le 3 avril). BATTAGLIA Salvatore (dir.), Grande dizionario della lingua italiana (21 t.), Torino, UTET, 2e éd., 1977.

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Per estensione : cio che è, o appare separato, segregato, nettamente distinto da tutto quanto lo circonda, materialmente o idealmente. Personaggio o grupppo di persone unico nel suo genere. Isola : fortificazione circondata da un fossato. Essere, trovarsi, sentirsi in isola, sentirsi solo, isolato. In isola : in posizione isolata, distaccata, appartata. Lasciare, piantare qualcuno in un isola : non curarlo, disinteressarsene, abbandonarlo alla sua sorte, piantarlo in asso. D’autres langues romanes confirment cette mise à l’écart. C’est qu’en latin déjà, l’île est perçue relativement à son éloignement et à son abandon potentiel. L’item « Insula » du Dictionnaire étymologique de la langue latin 7 propose : « île : pâté de maison formant un îlot entouré par des rues qui l’isolent comme la mer isole l’île ». Dans un glossaire de référence 8, certains exemples évocateurs sont apportés : « Insula : domus ab aliis separata ; insularis poena : exilium, relegatio in insulam. » L’île est perçue comme un lieu de punition, où sont relégués les bannis. Là s’exprime le point de vue éminemment continental de la société romaine qui fixe la perception de l’île, territoire et société, dans l’ensemble de la Romania. Reflet sociolinguistique d’une réalité sociohistorique précise – celle de l’Empire romain, centralisé et terrien, cette association linguistique entre « île » et « isolement » n’est pas universelle. Il faut donc aller voir du côté de langues émanant d’aires géographiques et culturelles plus fortement marquées par l’insularité. En grec ancien, « île » se dit « nesos ». C’est un terme premier, l’un de ces mots-racines qui ne dérivent d’aucun autre, qui ne se rapportent à aucun autre, mais visent une réalité en elle-même, dans sa suffisance. Rien dans la notion qu’exprime le mot, n’évoque la séparation, ni même la discontinuité d’avec une autre réalité. Bien au contraire, car « nesos » 7. 8.

ERNOUT A. et MEILLET A., Dictionnaire étymologique de la langue latine, Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 4e éd., 1994. DU CANGE, Glossarium mediae et infimae latinitatis, Paris, Librairie des sciences et des arts, 1938 (nouveau tirage).

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signifie aussi ce qu’en notre langue nous nommons avec des habitudes de terriens qui saisissent mal les réalités marines, « une presqu’île ». En vieil anglais, « island » 9 vient de « eiland », mot composé de « eig » lui-même dérivé de « ahwa » qui signifiait « water » (eau), avec le sens de « pertaining to water, watery, watered » ; et de « land » (terre). Le premier mot « Eiland » signifiait donc littéralement « water-land », « river-land ». En japonais, l’île se dit « shima » composé de « shi » (petit) et « ma » dont un des sens primitifs proposés relève de « l’entre-deux », plus précisément de « l’entre-deux spatio-temporel ». L’île s’entend comme « intermédiaire entre des mondes duels », et c’est cette hybridité qui prime dans la perception de l’île au Japon. Nous voyons donc l’absolue relativité de la nomination du réel et des connotations spécifiquement culturelles qui s’y attachent. La notion d’isolement qui se rattache à l’île dans notre famille de langue est donc toute relative.

Les images : Exemples de représentations cartographiques de la Corse dans le territoire français En plus de sa forme détachée du continent, l’île se distingue dans la cartographie nationale par l’encart qui la borde. Obligés de composer avec la trop grande distance qui sépare la Corse des côtes hexagonales, les cartographes recourent au subterfuge de l’encart qui abolit les distances fixées par la légende et rapproche des territoires éloignés. Certes, l’encart est marqué pour indiquer le trucage, toutefois, si l’on comprend bien l’impératif cartographique qui préside à ce mode de représentation et si l’on ne peut que saluer l’honnêteté de la signature, il convient de considérer qu’il souligne plus encore la singularité de l’île dans le territoire national.

9.

SIMPSON J-A. (prepared by), The Oxford english dictionnery (XX t.), Oxford, Clarendon Press, 2e éd., 1989.

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Nous considérerons la représentation cartographique de la France dans Le Petit Larousse illustré, à travers trois dates distribuées sur le siècle. Dans l’édition de 1906 10, à l’entrée « France » figurent trois cartes : une carte des chemins de fer, une carte administrative et une carte économique. Dans le cas de la carte la plus importante – la carte administrative – la Corse est située en encadré, en bas à droite, près de sa situation réelle. On remarque qu’elle est incluse dans le cadre cartographique. En revanche, en ce qui concerne les deux autres cartes, plus petites, ce n’est pas le cas. La Corse est pareillement située en bas à droite, mais elle n’est pas dans le cadre cartographique général. La taille plus modeste des cartes ne leur permet pas d’accueillir l’encadré de la Corse, aussi celui-ci est-il comme décroché ; à mi-chemin entre le cadre cartographique et le hors-cadre du texte. L’impression de distinction est triple : une île, un encart, décroché. Dans la plupart des représentations, c’est le dispositif de l’encart situé en bas à droite (c’est-à-dire au sud-est) du cadre cartographique qui est retenu, comme on peut le constater dans les éditions les plus récentes du Larousse 11, et dans la majorité des autres cartes de France qui n’ont pas la place de représenter la Corse dans son emplacement réel, mais tiennent à le suggérer au mieux.

10. Petit Larousse illustré, Paris, Librairie Larousse, 1906. Les cartes que nous commentons sont impossibles à reproduire car la photocopie n’est pas autorisée pour d’aussi vieux volumes. 11. Petit Larousse illustré, Paris, Librairie Larousse, 2007.

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Petit Larousse illustrĂŠ, Paris, Librairie Larousse, 2007. DR.

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Toutefois, cette représentation standard a parfois été abandonnée au profit d’autres méthodes. Ainsi, dans les trois pages de cartes que le Petit Larousse illustré de 1981 propose à l’article « France », on note de sensibles variantes. La première page de cartes représente la répartition de la population, la deuxième est une carte physique, la troisième représente la France de l’industrie. On remarque que dans les cartes principales des deux premières pages, l’encart comprenant la Corse est placé en bas à gauche, au mépris de sa situation effective, à l’extrême sud-est de la France. L’encart est ici disposé non selon la logique d’esquisse de situation mais pour rentabiliser l’espace vacant. Il n’y a plus de place en bas à droite, en revanche, la nécessaire représentation du Finistère breton laisse un blanc atlantique qui peut accueillir l’encart de la Corse – tout de même reporté en bas, pour suggérer sa position au sud. Si le mode de représentation rentabiliste de ces deux pages peut susciter un questionnement sur la place – spatiale et symbolique – de l’île dans le territoire national, la troisième page de cartes laisse plus perplexe encore. En effet, ce jeu de cinq cartes représente la localisation par secteur des principales industries. Quatre de ces cartes, dont la plus grande, ne représentent pas la Corse, au motif certainement que les industries sectorielles ne sont pas présentes. Une nouvelle fois, l’appartenance territoriale de l’île est cartographiquement mise en doute. Dans l’ensemble de cette édition du Petit Larousse, la représentation de la Corse est sacrifiée à des contraintes de place. Or, les représentations cartographiques sont des instruments délicats qui peuvent faire l’objet de pratiques, de lectures ou d’influences idéologiques. Écoutons Victoire Canale, militante indépendantiste cofondatrice des revues U Ribombu et Cuntrasti : « Il faut insister sur le rôle de l’insularité dans la résistance de la formation sociale corse : la frontière persiste au-delà des mesures administratives, le territoire est délimité jusque dans la conscience des habitants. Il suffit à l’écolier corse de regarder une carte géogra-

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phique de la France pour que le trait noir qui sépare la Corse et la France prenne valeur de symbole 12 ». C’est d’ailleurs ce traitement cartographique dissociatif qui est à la base d’une œuvre du dessinateur Battì : avec ironie, cette caricature souligne l’attitude insurrectionnelle de la Corse, dressée contre le pouvoir national incarné dans sa dimension la plus oppressive, et proclame en même temps la légitimité de cette insurrection en rappelant la situation de marge, en écart et à l’écart, à laquelle le pays condamne l’île 13.

Insurrection cartographique, Battì. DR.

On a pu voir combien est représentée lexicalement et iconographiquement la rupture, la séparation, la solitude qui rend unique. Ainsi connotés, le mot « île » et l’image de l’île peuvent aisément devenir des éléments de revendication identitaire, séparatiste, et l’État doit alors s’en méfier.

12. Canale Victoire, « Encore et à nouveau sur la question nationale corse ». Cuntrasti, n° 2, mai 1983, p. 25. 13. Battì, reproduit in Diani François, Canta u Populu Corsu, Ajaccio, Albiana, 1993, p. 209.

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