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PAUL MILLELIRI
I setti piccati Prupòsiti Les sept péchés capitaux Propos
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Gourmandise, colère, envie, avarice, paresse, orgueil, luxure… Voilà nos ennemis. Sept ! Ils sont sept ! Tous plus laids les uns que les autres ! Ne dit-on pas : « Goffi quanti setti piccati ! » Groupés à nos frontières dans une expectative armée, à l’ouest ou à l’est d’Éden, ils sont là, comme autant de Tartares tartuffes aux confins du désert. Prêts, dans leur détermination morbide, à miner puis ruiner le repos de nos âmes. Silencieux, sournois, communs, vulgaires. Effacés, jusqu’à s’en faire oublier ! Il nous a d’ailleurs semblé indispensable de les énumérer. En douteriez-vous ? Faites alors l’expérience de soumettre vos semblables à un questionnaire : demandez-leur de citer les péchés capitaux. Vous serez bien vite édifiés. Sans doute existe-t-il une façon moins abrupte d’aborder le sujet. On ne peut qu’en convenir. Et pour cause : tout propos dépouillé, non emballé sous blister, sans date de péremption, est de nos jours tenu pour suspect. La mode du « paraître » et du « savoir-dire » aidant, nous sommes désormais formatés pour admettre sans sourciller l’assiette du « restaurant in » comblant son vide sidéral sous le label nouvelle cuisine. De même nous voilà parfaitement aptes à voir la mort dans les hôpitaux nous être servie sous les termes de fin de vie. Ce qui, à défaut de tordre définitivement le cou à Thanatos, édulcore, du moins sémantiquement, le moment de quitter cette vallée de larmes… 9
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Touchés par la grâce, nantis d’un capital de pragmatisme, nous aurions alors pu suivre un ordre alphabétique rassurant dans sa simplicité biblique. Créer des binômes et plus selon affinités. Hiérarchiser notre choix du plus hideux péché au plus véniel ou l’inverse. Exposer les plus fréquents « en promo », façon tête de gondole dans un supermarché. Hélas autant avouer nos lacunes. Faute de ne pouvoir vous délivrer la combinaison gagnante, nous donnons ici les sept péchés dans le désordre. Situation, notez-le bien, qui ne nuit en rien à leur épanouissement. Ils sont donc sept… Comme les mercenaires portés à l’écran par John Sturges. Pardon pour l’irrévérence, la comparaison s’arrêtant là. Encore que… Après tout, péchés listés et braves mercenaires d’un Far West qui se voudrait clean n’ont-ils pas pour commune mission de prévenir avant d’avoir à châtier les méchants contrevenants ? Les gens savants disent, et l’on colporte que le chiffre sept, a zapetta, la petite pioche, ainsi surnommé par nos joueurs de loto, a pour symbole d’être celui de la recherche d’une vie intérieure ; d’une éternelle quête en vue de découvrir des solutions aux mystères de la vie. Il a aussi pour signification ésotérique d’être signe de chance. Mais également signe de mysticisme. Est-ce pour autant une résultante de cette chance véhiculée par u setti beddu – le bon sept – du jeu de scopa qui fait que l’on constate à longueur de vie la fréquence non négligeable de ces péchés commis au quotidien ? Les exemples pullulent : seul, en groupe, en ligue et même, Dieu nous veuille absoudre !, en processions. Nous n’avons, il est vrai, pas de statistiques à disposition pour étayer notre propos. Toutefois dans un bel élan d’altruisme, charitablement – un bon point pour nous ! –, qu’il nous soit permis de mettre en garde ceux qui voudraient nier écarts et turpitudes : travestir la vérité – mauvais point pour eux ! – n’est pas 10
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INTRODUCTION
la meilleure façon d’accéder au paradis sous les traits d’un angelot aussi joufflu et fessu que dénudé. Dans la religion catholique, les péchés capitaux correspondent aux péchés dont découlent tous les autres. Ainsi, le mot capital n’est pas en rapport avec la gravité (par exemple, le meurtre n’y figure pas, le blasphème non plus). Il vient du latin caput, tête, par comparaison à cette partie du corps qui dirige l’ensemble : le péché capital conduit à d’autres péchés. Pour cette raison, la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin indique que l’appellation de « vices » serait plus appropriée que celle de « péchés ». Pour équilibrer du mieux possible (du moins nous le supposons benoîtement), il existe « Sept vertus cardinales » : la Chasteté, la Tempérance, la Prodigalité, la Charité, la Modestie, le Courage et l’Humilité. Les posséder ne peut qu’aider à gagner son paradis. Sans toutefois perdre de vue que ces vertus ne représentent pas exactement l’antidote des sept péchés capitaux. L’alexipharmaque pour combattre la noirceur de ces fautes reste donc à inventer. Les vertus théologales que sont la Foi, l’Espérance et la Charité sont complétées par les vertus cardinales que sont la Justice, la Prudence, la Tempérance et la Force morale (c’est-à-dire le Courage). Ces vertus étaient déjà reconnues par les philosophes. Elles ne sont bien entendu jamais de trop pour lutter contre les forces du mal. Abondance de biens ne saurait nuire. Troppu ùn’hè ch’ a frebba, « seule la fièvre est de trop ». Il n’en demeure pas moins que ces vertus font trop souvent double emploi. Cependant, les choses ne sont pas si simples. Ainsi considérons, par exemple, l’excès d’orgueil. Indiscutable péché reconnu et stigmatisé comme tel. Cas simple à première vue. Or, il se trouve que l’homme peut, par un excès d’humilité, 11
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décevoir la volonté de Dieu. Difficile alors de contenter tout le monde et son Père. Dès sa venue au monde et en toute innocence, le nourrisson se vautre avec une satisfaction visible et béate dans le péché. Comment pourrait-il en être autrement ? N’en est-il pas à la découverte du stade oral ? Le voilà donc ce chérubin, aux yeux à peine entrouverts sur le monde, pris dans la spirale dantesque de la gourmandise et de la luxure… Ou, de la luxure et de la gourmandise… Car laquelle des deux a le pas sur l’autre ? Nonobstant notre souhait de participer efficacement au combat contre l’obscurantisme, force est d’avouer que nous nous trouvons dans l’actuelle impossibilité de répondre à cette question. Quoi qu’il en soit, i fatti so’ qui, les faits sont là. Tistardi, têtus comme à leur accoutumée. Il n’est que de voir la voracité dans la succion et les petites mains qui caressent un sein rond, plein de promesses, tentateur à souhait, pour avoir une idée des plaisirs éprouvés. Sans compter ceux qui précèdent la tétée. Nous voulons parler des pleurs du principal acteur. Interprétés par les pédiatres comme une sensation de faim douloureuse. Mais qui pourrait très bien être mâtinée d’un désir impérieux. Indicible, inavouable… et pour cause puisque le verbe, ce commencement aux échanges, n’est pas encore là. Nous nous garderons d’oublier ce qui suit la tétée : un rot sonore annonciateur d’un sourire satisfait chez le consommateur et, summum de l’extase, des apports transformés dès les premiers essais en une production poussée vers la dernière extrémité de tout tube digestif. Évacuation qui à en croire Sigmund et ses disciples fascinés par la vista d’un Maître assidu à observer au plus près l’intimité d’autrui, constitue une des premières manifestations du plaisir sexuel chez les êtres humains. 12
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INTRODUCTION
Ainsi, il est pour nous établi que gourmandise et luxure sont le yin et le yang des péchés capitaux. Indissociables aux premières heures de la vie, ils le resteront durant toute notre existence. Au-delà de cette certitude uniquement fondée sur une intime conviction, il va sans dire que nous sommes tout prêts à accepter d’envisager des exceptions vécues ou citées ici et là. Elles s’en viendront corroborer comme leurs sempiternelles congénères, la règle générale. Grimod de la Reynière, gastronome averti, s’illustra par ses critiques et ses conseils gastronomiques éclairés. Au début du XIXe siècle, il professait : « Les plaisirs que procure la bonne chère sont ceux que l’on connaît le plus tôt, qu’on quitte le plus tard et que l’on peut goûter le plus souvent. Or, pourriez-vous m’en dire autant des autres ? » Le pouvons-nous en cette seconde décennie du XXIe siècle ? La réponse est non. La question demeure donc d’une brûlante actualité. C’est pourquoi par choix, mais sans fanatisme aucun, nous commencerons par parler de la gourmandise.
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La gourmandise commence quand on n’a plus faim. Alphonse Daudet
Ce que les Romains nommaient gula, gola pour les corsophones, voulait stigmatiser les plaisirs de la gueule. Fine ou en pente, cette dernière est rarement négligée de nos jours. Pour peu qu’on en ait les moyens. Ce qui hélas n’est pas le cas pour tout un chacun. Mais en fait, parmi les Sept péchés capitaux, c’est surtout la gloutonnerie qui est ainsi mise à l’index. Car elle implique l’idée de démesure, d’un trouble du comportement, de l’excès qui nuit en tout… ou d’une addiction, pour parler un langage qui se veut moderne. Le philosophe américain Henry David Thoreau disait : « Celui qui distingue la vraie saveur d’un plat ne sera jamais un glouton. Celui qui ne le fait pas ne peut pas être autre chose. » Auparavant Anthelme Brillat-Savarin, ennemi des excès, avait écrit : « Tout homme qui s’indigère ou s’enivre court le risque d’être rayé des contrôles. » Sanction implacable s’il en fut. L’auteur de La physiologie du goût, ajoutait par ailleurs que cette gourmandise, tant décriée par l’Église et les faux dévots, était née avec les parents du genre humain. Quand on sait, disait-il en substance, qu’Adam et Ève se perdirent et nous perdirent pour une pomme, il est permis de se poser question. Aussi osons-nous dire haut et fort : que n’auraient-ils pas fait 15
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avant ou après leurs coupables ébats pour un foie gras de canard, une dinde aux truffes à la Salardaise, des cardons à la moelle et, pour finir sous l’égide d’un patron ayant petites et grandes entrées au Vatican, un Saint-Honoré ? Mais comment définir, quantifier l’excès ? La formule proposée par Alphonse Daudet n’apporte pas de réponse. La notion de petite ou grande faim fait entrer en jeu une équation personnelle. Ce qui sera pour vous un repas pantagruélique ne sera jamais pour votre voisin immédiat qu’une aimable mise en bouche. Dès lors, on voit là qu’entre une norme (qui reste totalement à définir !) et la gourmandise, la frontière est loin d’être toute tracée. Par conséquent, voulant croire en la justice, nous suggérons de prononcer, au bénéfice du doute, le non-lieu en faveur de tout présumé gourmand… Cela ne dispense en rien de poursuivre nos recherches pour l’approche d’une vérité… L’homo erectus corse décrit par les ethnologues de l’Hexagone comme ayant une fâcheuse propension à se dresser contre les lois serait, toujours selon ces mêmes gens de science, aussi frugal que fruste. Entendez par là qu’il se contenterait de châtaignes et d’eau claire et présenterait une incapacité constitutionnelle à rompre le pain, goûter aux joies du partage, priser la convivialité, apprécier le moindre mets un tant soit peu élaboré. Sans tomber dans l’énumération exhaustive ni l’orgueil d’un Lucius Licinius Lucullus, nous répondrons à de tels arguments spécieux en citant : « Figatellu, coppa, lonzu, prisuttu, salamu, panzetta è pane spingunatu, caprettu à l’istrettu, casgiu merzu, fiadonu, vinu sartinesu o di Patrimoniu da sciappà i cantoni… E tastetemi st’aquavita di baghe… Ùn vi pò fà male ! » « Figatellu, coppa, lonzu, (universellement connus), jambon, joue de porc, ventrèche au feu de bois sur du pain imprégné de lard fondu, cabri en sauce, fromage qui s’abandonne au désir de quitter la table de son propre 16
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chef, tourte au brocciu, vin sartenais ou de Patrimonio d’une teneur en alcool à vous casser des cailloux… Et goûtez-moi cette eau-de-vie d’arbouses… elle ne peut vous faire aucun mal ! » Ni gourmets, ni gourmands ! Qui ? Nous ? Balivernes, sornettes, billevesées, coquecigrues et autres synonymes ne sauraient suffire à stigmatiser tant d’a priori aux relents d’ostracisme… En Corse, à partir de deux personnes, le spuntinu (le casse-croûte) le plus humble n’en est pas moins une fête. À chi ha pane è vinu, pò invità u so vicinu. Celui qui a du pain et du vin peut inviter son voisin. C’est la base même de la communion. Et c’est déjà festif : Si manghja, si bei, è allegri si stà. L’on mange, l’on boit et l’on demeure allègre. Un rien suffit à se faire un ami. Un geste, une bonne parole, un fruit offert avec la manière : ‘Cu un ficu si face un amicu. Avec une figue offerte, on se fait un ami. Ce à quoi le pessimiste invétéré répond : Manghjatu u ficu, persu l’amicu. La figue mangée l’ami s’empresse de disparaître. Il n’y a pas d’amitié désintéressée. Et de conclure de façon on ne peut plus rude : l’intaressu hè parente di u cancaru. L’intérêt est parent du cancer. Ce qui, croyons-nous savoir, n’a jamais fait frissonner d’effroi les prêteurs sur gages. La proposition d’un spuntinu au programme rencontre rarement des objections franches à sa réalisation, sans pour autant s’égarer ni sortir systématiquement d’un droit chemin en adéquation avec une morale du meilleur aloi et les recommandations de la loi Évin. Non, la sagesse prévaut. La modération, la mesure, se veulent être présentes en toutes circonstances. Ou presque… Il y a chez nous aussi de monumentales exceptions… Mais… Bien avant d’avoir lu Molière (éventualité rarissime parmi les moins lettrés des gens de nos villages), l’homme de base savait : 17
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Per campà ci vole di manghjà. Pour vivre, il faut manger. Sans omettre de placer un bémol à la clef : il faut manger pour vivre et non vivre pour manger : Si manghja per campà, ùn si campa micca per manghjà. Voilà qui est pensé ! Certes. Cependant… Hè pe’ a bucca chì si scalda u fornu ! C’est par la gueule que l’on chauffe le four ! Il s’agit là du four à pain qu’il fallait préchauffer afin de cuire la fournée. Mais la formule fait aussi référence à une machine productrice d’énergie et aux chauffeurs alimentant, par exemple, la chaudière de la locomotive, source de vapeur nécessaire pour actionner pistons et bielles. D’autres pour surenchérir ajouteront : Saccu biotu ùn pò stà rittu. Le sac vide ne peut se tenir debout. Argument que l’ascète convaincu du bien-fondé de sa façon de vivre, combattra par un : Saccu pienu ùn pò piega. Assorti de : Panza piena vole riposu. Soit : le sac plein ne peut se plier. Et donc l’homme repu ne peut se baisser pour cultiver une terre si basse et gagner sa pitance. Qui plus est, la panse pleine provoque un besoin de repos. En l’occurrence une petite sieste postprandiale est souvent de règle. Or, Chì posa di culu, posa di dente. Celui qui demeure sur son cul met ses dents en chômage. Fâcheux pour qui espère manger à sa faim et plus si possible. Surtout ne pas s’en venir introduire dans le débat l’idée d’une nourriture légère. Ne pas vanter à un fin gourmet les vertus d’une alimentation végétarienne ! Il vous répondrait avec superbe : L’erba hè erba ! L’herbe n’est jamais que de l’herbe ! Et d’ailleurs, À chì erba manghja, bestia diventa, celui qui ne mange que de l’herbe s’expose à devenir une bête. Aussi, une alimentation végétarienne ne saurait être qu’un pis-aller ; acceptable dans un cas de force majeure. Par exemple, Quandu a fame face di rustaghja. Lorsque la sensation de faim est si douloureuse qu’elle semble être provoquée par des coups de serpette. Alors pour calmer une telle faim, on 18
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peut comprendre que o paglia o fenu, basta chi u corpu sia pienu, paille ou foin, il suffit que l’estomac soit plein pour calmer ce besoin. C’est le principe de l’utilisation de l’agar-agar. Non résorbable au niveau de l’estomac ou de l’intestin, cet extrait d’algue rouge permet d’obtenir une réplétion gastrique à satiété sans aucune prise de poids chez le sujet soumis à un tel régime. Mais aussi sans aucun plaisir, il faut bien avoir l’honnêteté de le dire au patient. Le goinfre a pour réputation de creuser sa tombe avec les dents. Perspective peu réjouissante. Du moins, parvenir à creuser un beau trou six pieds sous terre peut prendre un temps certain. Même avec une mâchoire d’acier. On est en droit de penser que l’on aura tout loisir de voir venir ce que prédit le pisse-froid de service. Plus l’orage est loin, moins on le redoute. Le frugal fait alors appel à d’autres conseils médicaux. Du genre : Manghja pocu è camperai, mange peu et tu vivras plus longtemps. Mori più grassi chi passi, il meurt plus de gens gras que de minces. Si è no sò due cose, oui et non sont deux choses différentes. Les prévisions des rabat-joie restent à prouver, s’entêtera à observer le bon convive en rien ébranlé. Du reste, il y aurait lieu de dire, « Tu vivras une vie de privations ! » Précision indispensable pour ne pas tomber sous le coup d’une condamnation pour publicité mensongère. Le débat ne saurait s’arrêter là. Discuter et surtout discuter le bout de gras fait aussi partie des plaisirs de la table. Il en faut bien plus pour emporter le morceau, simple façon de parler sans écart de langage. En fait, il ne faut pas lésiner sur les mots. Le présumé gourmand a beau jeu de faire remarquer, par exemple, que le fait de se coucher à jeun au prétexte d’une meilleure hygiène de vie n’est pas la meilleure façon d’obtenir un sommeil réparateur : Chì si chjina senza cena, tutta a notte si rimena, qui se couche sans dîner s’agite toute la nuit… Le concept pouvant encore s’exprimer de façon moins polie : 19
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A caca è a fame facenu sorte da u lettu, le besoin de chier et la faim vous contraignent à sortir du lit. Car, c’est bien connu, il est au quotidien des ukases on ne peut plus tyranniques : Quandu u culu chjama, bisogna à risponde. Quand le cul l’exige force est de répondre. Pour les censeurs qui ne désarment pas, s’inspirer de la nature peut être bénéfique : E bestie manghjanu che à a so bastanza… Galline è capre più manghjanu, più cacanu. Les bêtes se contentent de manger ce dont elles ont besoin… Poules et chèvres, plus elles mangent plus elles chient. Ce à quoi les amateurs de bonne chère rétorquent, faut-il pour autant nous rabaisser au rang de bête ? Les détracteurs seraient tentés de répondre par l’affirmative. Assurément non ! Mille fois non ! dira bien évidemment le goinfre… C’hè sempre tempu di fà Quaresimu. On sera toujours à temps d’observer le Carême. On verra demain. Pour l’instant mangeons ! Et d’asséner en suivant un autre argument pour mieux marquer sa détermination : Nè à tolla nè à lettu ùn si porta rispettu. Ni à table, ni au lit respect (ou timidité) ne peut être de mise. Faut-il pour combattre la gourmandise faire un autodafé de nos livres de cuisine ? Traquer pour les détruire les vieilles marmites ; celles qui sont réputées pour faire les meilleures soupes et ragoûts ? Appeler de tous nos vœux des moments de disette ? Leurs hauts et leurs bas. Une année bonne et l’autre non. Tempi di grilli è tempi di capretti. Des périodes de sauterelles et des périodes de cabris. Vaches maigres en alternance à l’abondance. Comme partout ailleurs, A fame hè u peghju nemicu di l’omu. La faim est le pire ennemi de l’homme. Il est hélas des moments de Fame nera. Une faim noire. Comme la peste du même nom ; autre fléau. On a connu et l’on connaîtra des jours meilleurs. Mais en attendant l’embellie, l’on doit se contenter d’una roba di miseria, d’une nourriture de misère ; de jours où 20
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il ne faut pas faire la fine bouche : cio ch’ùn tumba ingrassa. Toute nourriture qui ne provoque pas la mort, permet d’engraisser… ou, à tout le moins, de ne pas maigrir… De jours où confrontés à l’indigence, on se console en philosophant : U più beddu bucconu hè quiddu di a fame. La meilleure bouchée est celle que l’on savoure lorsqu’on a faim. D’heures où l’on reste au pain sec et à l’eau. Non par punition (sauf à penser à une punition divine) mais par pauvreté. On parle alors de Manghjà à una mane ou Manghjà pane acumpanicatu di pane ou manghjà pane è cultedda. Soit, manger d’une seule main, manger du pain assorti de pain, manger pain et couteau. Comme le couteau, indigeste même pour un avaleur de sabre, n’est pas comestible, il ne reste que le pain sec. Alors ? Devons-nous, demain, offrir nos tripes en holocauste pour, insoutenable paradoxe, espérer pouvoir les remplir ? Comment pourrait-on souhaiter raisonnablement de telles infortunes ? Exceptions faites, ça va de soi, à l’intention de nos ennemis… Ventre affamé, dit-on, n’a point d’oreille. Il reste cependant suffisamment d’acuité auditive au famitu (l’affamé) pour lui permettre de danser devant le buffet désespérément vide. Ce que nous traduisons par Baddà a tarentella (danser la tarentelle) ou Cantà u lazarone. C’est-à-dire entonner la chanson du pauvre Lazare, le mendiant mort de faim. L’ensemble des restrictions finissent inéluctablement par conduire à la maigreur. Au point d’inquiéter le bon samaritain qui proposera une solution : O cumprà un altru cùlu o vende i calzi larghi. Soit s’acheter une autre paire de fesses plus rebondies, soit vendre les pantalons trop larges. Le conseilleur, qui ne sera pas le payeur pour de telles transactions, n’y voit pas d’autre alternative. La maigreur peut entraîner d’autres conséquences qui pour être invisibles n’en sont pas moins décelables. Telle, Tirà peta magri (Lâcher des pets maigres) ou cas extrême se retrouver culu muttu. Des pets maigres, sans vigueur, 21
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des culs muets, sevrés qu’ils sont de nutriments de base favorables à une expansion de qualité. Au grand jamais de tels « vents rachitiques » ne viendront ponctuer en balbutiant le feu d’artifice d’un post prandium de qualité. Durant les heures de famine, l’égoïsme reprend trop souvent le dessus. L’on se réjouit, par exemple, à la pensée qu’en étant moins nombreux à table, les maigres parts n’en seront que plus conséquentes : Poca ghjente, bona festa ! Comportement qui peut donner dans un chacun pour soi forcené. On en vient à ignorer la détresse d’autrui : À chì more à chì s’allarga. Les uns meurent quand les autres prennent de l’ampleur. Simple constat. Qui laisse entendre en sourdine : qu’y pouvonsnous si pendant que nous dansons la capucine le pain manque chez la voisine ? Une fois n’est pas coutume. Mais c’est comme ça. C’est tout. U tecchju ùn crede u famitu. Celui qui est rassasié ne veut pas croire à la douleur de celui qui est affamé. On dit aussi pour exprimer la même idée : U calzu ùn crede u scalzu. Celui qui est chaussé ne se préoccupe pas de celui qui va nus pieds. Loin d’être désavoués, on conseille ceux qui pourraient hésiter à avoir un comportement similaire. Prima à i toi, è à l’astru se tu po’. Avant tout, pense aux tiens, puis aux autres si tu peux. Nous ajouterons, s’il reste un os à ronger. On peut dire aussi de façon plus directe : Prima di mè, c’hè mè. Personne ne passe avant moi, sauf moi… Des parents (surtout à charge !) il n’en est pas question en de telles circonstances : I primi parenti sò i denti. Les premiers parents sont représentés par nos propres dents. Et, du reste, Sò più vicinu i denti che i parenti. Les dents sont plus proches de celui qui a faim que ses parents. Pour justifier le chacun sa mère, on n’hésite pas à faire appel à un précédent exemple des plus prestigieux : 22
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Ancu Ghjesùcristu si fece a barba nanzi à l’apostuli. Jésus-Christ lui-même se fit la barbe avant ses apôtres. Il est donc des circonstances où l’adage « charité bien ordonnée commence par soi-même » est on ne peut plus acceptable. Mais une situation critique peut être aussi résumée par les mots d’un poète en butte à la faim. Tant il est vrai que l’humour est la politesse du désespéré : C’hè a ghjatta a nantu u brandale. Le chat est sur le trépied qui va au feu. Normalement sur ce trépied repose la marmite où cuit la soupe. Si le chat occupe cette place, c’est bien qu’il n’y a pas de soupe en préparation. Du reste, le feu lui-même est éteint. Ce qui explique que le chat se soit aventuré dans l’âtre. L’on peut alors déplorer, Focu spintu è catena ghjilata. Feu éteint et crémaillère gelée. Ou autre variante, Focu spintu è pignata rotta. Feu éteint et marmite cassée. Ces deux expressions pouvant marquer le dépit ou l’amertume de l’homme qui regagnant sa maison après une journée de travail découvre que son épouse n’a rien préparé pour le repas du soir. A contrario, il est des périodes où l’appétit n’est parfois pas au rendezvous. Où l’on mange à denti alti (à dents hautes). C’est-à-dire du bout des dents. Parfois l’on affiche son inappétence. Ce qui fait dire : manghja cu labbre di pecora. Il (ou elle) mange avec des lèvres de brebis. Soit, en faisant la petite bouche. Pour un enfant qui renâcle et refuse sa soupe, on y va d’une menace : O manghji a minestra o salta a finestra ! Soit tu manges ta soupe, soit je te jette par la fenêtre ! Notons que cette expression peut également être employée comme ultimatum dans une conversation animée sur un différend primordial ou même, hélas, de moindre importance. La formule est alors une tout autre menace contenue dans ce choix limité : se soumettre ou être démis par défenestration ! Lorsqu’une mère s’inquiète en voyant son enfant chipoter face à son assiette pleine, le père déclare sentencieusement : 23
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Gallina che non picca, piccatu hà. La poule qui ne picore pas a déjà picoré. D’autres qui se mettent à table sans appétit en sortent insatiables. Il est vrai que l’appititu vene manghjandu. L’appétit vient en mangeant. D’où une autre expression : À grattà è à manghjà, basta à cumincià. Pour se gratter et pour manger, il suffit de commencer. Résultats pouvant être commentés par : Ci vole un michitu à falu cumincià è due à falu chità. Il faut un petit pain pour le faire commencer et deux pour qu’il cesse de manger. Et quand un homme (ou une femme) retrouve le plaisir de la table, après des jours de jeûne motivés par un chagrin d’amour (par exemple), on constate : Corpu ticchju, anima consula. Panse remplie, âme consolée. La gourmandise, excès stigmatisé par l’église, n’en aurait donc pas moins des vertus curatives appréciables en matière de dépression réactionnelle à une conjugopathie. Tout père noble se charge d’inculquer doctement de bons principes à ses enfants : In casa soia si rispettanu i frusteri. Au sein de notre propre maison, on se doit de respecter les étrangers. Mais aussi, bien sûr, les invités (l’invitati). Encore faut-il que le commensal sache se tenir. On a peu de respect pour le comportement de celui qui : Manghja di capu n’a musetta, o di capu n’a sachetta, qui mange la tête dans la musette. Comme un cheval de trait broie son picotin d’avoine sans se préoccuper de son entourage. On n’apprécie guère l’invité qui ayant apporté le dessert se sert généreusement récoltant en commentaire : L’asinu ghjunghje a paglia è l’asinu a si manghja. L’âne apporte la paille et l’âne la mange. Celui qui mange, com’e un purceddu n’a trova, comme un porc dans son auge a peu de chances d’être réinvité un jour. Surtout si au summum du manque de savoirvivre, incapable de faire preuve de reconnaissance du ventre, agissant à l’usu 24
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DI L’INGURDIZIA
purciddinu (l’us porcin), Svolta a trova dopu manghjatu, il renverse l’auge après avoir mangé. L’expression équivaut à cracher dans la soupe après s’être copieusement servi. L’attitude laisse les témoins stumaccati (écœurés). Plus d’un prétendra a posteriori : U manghjà m’hè falatu par daretu. Mon repas est descendu par-derrière (de travers). Affreux gâchis. Surtout si le régal d’un repas de fête était au menu. En revanche, faire bonne contenance, au sens premier du terme, c’està-dire avoir une bonne capacité d’absorption tant pour les solides que les liquides, est digne d’admiration et d’éloges. Surtout lorsque l’on sait prendre, autant que faire se peut, le temps de goûter ou mieux, de déguster. Souvent de tels invités, ne ménageant pas leur peine, ont soin d’expliquer leurs actes : Per sapè si u tianu hè bonu, bisogna à tastalu almenu tre volte. Pour savoir si le ragoût (ou tout autre plat présenté) est bon, il faut au moins y goûter trois fois. En pareil cas, il ne peut même plus être question de gourmandise. On se trouve en présence d’un invité consciencieux. C’est de plus une façon de louer le Seigneur, la cuisinière et le maître des lieux pour le repas offert. Ne dit-on pas fa onore, faire honneur, à une table ? Alors, capable de pareilles prestations alliant savoir-vivre et bien-vivre, le convive sera reconnu par ses pairs. Il tissera sa propre légende. Alors on parlera dans les chaumières d’un tel invité. Il prendra place parmi tant d’autres entrés dans la mémoire collective. Des sujets d’élite dont on cite encore les exploits à grand renfort de mandibules : Manghjava quante sette. Il mangeait comme sept… Manghja è beie per deci ! Il mange et il boit pour dix ! Là où le gourmand français pourtant réputé fine fourchette et gosier bien pentu ne mangerait que comme quatre ?… Surprenant !… Sans pour cela engendrer notre inquiétude. Pour avoir vu l’Hexagonal moyen à table, 25
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