Il d'Anaïs Juin

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Ana誰s Juin

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My heart is broke But I have some glue Kurt Cobain

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IL dit : Ensemble on va y arriver. IL dit : Tu veux ? ELLE dit : Oui. IL dit : On y est toujours arrivés. IL dit : On va s’en sortir encore une fois je te le jure. ELLE dit : Oui. IL dit : À deux, on va tout réussir ! IL dit : Plus tard on se dira que ça a été difficile. IL dit : Mais qu’en fin de compte on a eu ce qu’on voulait ! IL dit : On va travailler ensemble pour faire notre vie ! IL dit : (On est des mini-Napoléon !)

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ELLE dit : D’accord, mais une vie rien que toi et moi et du soleil autour. IL dit : Et avec deux bébés aussi mais plus tard. ELLE dit : Plus tard. ELLE dit : D’abord nous.

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ELLE dit : Je vais écrire un livre. IL dit : Tu as lu dans ma tête ? ELLE dit : Pourquoi ? IL dit : J’étais en train de me dire : « Elle va écrire un bouquin un jour qui sera terrible ! » ELLE dit : Pourquoi tu penses ça ? IL dit : Parce que je suis certain que tu écriras un bon livre ! ELLE dit : Alors je vais le faire. IL dit : C’est une bonne idée. IL dit : Mais… euh… IL dit : Tu vas essayer de faire en sorte qu’il soit connu ? ELLE dit : Je vais déjà essayer de le faire. 7

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IL dit : Oui, mais après tout le monde va connaître ta vie et la mienne. ELLE dit : Je dirai pas tout. IL dit : D’accord. IL dit : Alors comme ça tu vas écrire un livre ? ELLE dit : Je vais écrire un livre avec des secrets.

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Tout a commencé au début d’un mois de novembre. Un mois a priori comme les autres s’est alors transformé en beignet. Sucré comme les petits nuages qui allaient s’installer dans ma tête. Salé comme les gouttes que les yeux font quand ils sont trop tristes ou trop contents. Je n’avais pas encore eu l’occasion de flirter avec ce mélange. Moi, je suis plutôt « salé ». Porcherie – Bérurier Noir Murder the Government – NOFX Ma nouvelle recette est exotique et recherchée, délicate mais épicée. Elle se dévore d’abord des yeux dans une cour de lycée avant de se déguster. Moi, crève-la-faim, je dévore tout en un mois et m’invente une crise de foie. Trop-plein de Lui ! Je m’imagine rassasiée. Les épices me chatouillent le nez, m’ennuient. Au revoir, je lui dis. She’s a Rebel – Green Day Lui ne fait pas les choses à moitié. Pour me dire au revoir il a sorti le grand jeu : fumées épaisses qui sentent l’ailleurs et le nulle part, champis magiques (« Oh, Sweet Amanite Phalloïde Queen »), 9

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cascades de liquides qui font tourner la tête et vident les tripes. Le tout forme un tableau baroque à souhait dans lequel mon romantique de conte de fées moderne prend la poussière. Toute blanche la poussière. Il n’aime pas dire au revoir. Dans ma tête tout se mélange. Je me sens comme une apprentie chimiste qui dose mal sa préparation. Tous mes petits flacons me pètent à la gueule ! Évidemment, c’est la première fois que les ingrédients ne respectent pas ma recette. Évidemment, sa came ne lui a pas fait voir les étoiles. Ses étoiles, il les a placées dans mes yeux la première fois qu’on s’est embrassés. Depuis, elles y sont restées épinglées, trophée de chasse qui l’éblouit toujours. Pour venir les décrocher, il a choisi de s’envoler. Il est sur la bonne voie, a perdu tout le contenu de ses joues, tout ce qui gardait ses os au chaud. Il est léger. Un tas de fils de fer sur lequel s’enroulent des veines blanchies. Et puis un cœur, une boule de plumes recroquevillée pour garder un peu de chaleur. Toute petite la boule : juste de quoi survivre et me montrer qu’elle existe encore. The Truth – Good Charlotte Cosmonaute en apesanteur, il ne s’est pourtant pas envolé. Il semble au contraire s’enfoncer dans le sol, trop rapidement et sûrement à mon goût. Quand il n’y a plus que la tête qui dépasse, j’entame le bouche-à-bouche salvateur. Juste à temps ! Il y a quelques jours, il a passé la nuit dehors, dans la neige. Bien au chaud dans la poudreuse. J’ai remonté mon bonhomme de neige du trou dans lequel il s’enfonçait. J’ai soufflé sur ses mains, frotté son cœur engourdi avec le mien, introduit par mon souffle un peu de vie en lui. C’est maman qui a tiré la sonnette d’alarme. J’étais tellement embrouillée que RIEN. Dans tout ce flou, je n’avais qu’une idée claire : ne pas le laisser dans cet état. J’ai compris cette nécessité quand il m’a narguée d’un rail sur la table de la cantine. Je n’ai 10

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pas su lui dire ce que je ressentais. Le verre que je lui ai jeté au visage a transmis le message. Voilà donc ma mère qui m’aide à poser mon doigt parkinson sur ce qui se passe vraiment au fond de moi, qui me tire sur les paupières à deux mains pour ouvrir les volets que j’avais placés là en attendant que les choses se tassent. Soleil Noir – Bérurier Noir Sweet Dreams – Marilyn Manson

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J’AIME. C’est tellement nouveau qu’il va falloir apprendre à le dire. Pour l’instant je suis une handicapée du mot, absent de mon vocabulaire. J’aimais donc les fraises, les étoiles, le rock’n’roll, et maintenant, j’apprends à l’aimer Lui. Dans cette nuit de février, après plus de huit heures de combat acharné au téléphone, j’ai enfin pu mettre des mots sur ce sentiment. Un blanc n’a jamais été aussi beau à entendre. J’écoutais ce blanc chanter et je m’enroulais dedans comme on enroule des objets fragiles dans du papier à bulles avant un déménagement. J’avais gagné une première manche. Il n’allait plus rêver de four à pizza mais des retrouvailles grandioses auxquelles il n’osait plus trop croire. Pour une fois, il allait dormir. Boys Don’t Cry – The Cure De mon côté, je fais face à une autre difficulté. « Je t’aime », c’est le problème à résoudre pour le lendemain avec démonstration orale. Le vrai casse-tête. J’ai mis environ le tiers d’une journée pour obtenir un résultat par téléphone. Je l’aime, je me sens toute petite de ne pas l’avoir réalisé plus tôt.

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First Date – Blink 182 Comme un robot à mes commandes. Souris dans un labyrinthe géant. Course dans la ville. Le vent m’aide en me poussant dans le dos. Très vite. J’accélère, plus loin. Encore ! Tout s’arrête. Je suis sur un banc, un peu essoufflée, je n’ai pas su échapper au sentiment de reproche qui m’accompagne encore dans une de mes poches, côté gauche au niveau de la poitrine, bien rangé avec mon faux briquet de non-fumeuse. Ça me pince un peu. Encore plus quand je me rends compte que je n’ai pas fait mon exercice. La solution au « je t’aime » oral, il va falloir l’improviser. Un patin d’anthologie. Pour l’instant je sais faire. Mais pour la suite, je panique. Il me faut un souffleur ! Le vent m’a entendue, il va jouer ce rôle secret. En se faufilant sous le banc, il me chuchote ma réplique. Message reçu. Trajet de mon souffle : part des poumons, emplit ma gorge. Au moment de sortir par ma bouche, se coince, s’étouffe. Un bruit bizarre que le vent emporte. Sous la scène, il s’impatiente, me pousse très fort dans Ses bras, m’appuie la joue dans Son cou. Cette fois, les trois mots sont sortis tout seul, si subitement que j’en reste abrutie. Le vent me fait un clin d’œil, canne à pêche à la main. Les mots gesticulaient au fond de mon ventre. Moins méfiants, ils se sont tous accrochés au fil du vent. Lequel a tiré dessus et les a remontés à la surface. UN INCENDIE S’ALLUME EN MOI. Toutes les bougies qui s’y consumaient doucement sont tombées. Les flammes lèchent l’intérieur de mon cœur, tout est brasier. Puis, ce sont les mots durement prononcés qui me parviennent en réponse. Au lieu de forcer un passage vers la sortie, ils entrent, glissent le long de mon tympan pour former une cascade, un torrent sauvage qui arrête le feu, éteint le danger. Des bulles minuscules s’envolent, avec lesquelles je décolle. 14

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Le vent m’emporte, je suis au-dessus de tout. Départ pour un grand voyage sans bagages. Légère, juste. Je vais visiter les étoiles et tout ce qui avant me semblait trop loin. The Distillers – The Hunger

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Début d’un moment impérissable. L’air du large nous fait du bien. Cela nous oxygène la tête et le cœur, nous javellise les bouts de barbaque qui pendent, dégueulasses, à l’intérieur de nous. Mon amoureux n’a plus besoin de trucs suspects pour décoller. Je suis sa nouvelle drogue, dont il avait toujours manqué et dont il use et abuse maintenant sans danger. Il a repris les kilos que la poudre blanche avait bouffés et se nourrit maintenant au sein de l’amour. Du lait rose coule sur son menton, comme sur celui d’un bébé tout neuf qui n’a pas encore vu de choses moches ni fait de cauchemars. Je sais que son cœur est encore un peu abîmé. Quand se décollera le pansement que j’y ai posé, j’ai peur que tout n’ait pas cicatrisé. Alors je fais doucement, lui impose ma présence comme on le fait pour un malade ou quelqu’un sorti trop tôt de l’hôpital : avec ménagement. Do You Read Me – Ghinzu Son cœur est sauvé mais le muscle est atteint. Un coup de plumeau n’élimine pas toute la poussière. Son cœur est une urne 17

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funéraire. Il est tombé. Je suis allée le voir à l’hôpital. J’ai rencontré ses parents. Il a un trou dans la tête, un petit boîtier sur le cœur. Ça le pince dans la poitrine. De le voir ainsi me fait pareil. Tout grand et tout cassé dans son petit lit, L’albatros de Baudelaire. Assise en équilibre sur ce bord de lit, j’essaye de sourire. Apparemment je n’ai rien de crédible. En plus j’ai le trac. Ma première rencontre avec LES PARENTS va se faire dans cette chambre, elle est imminente. À force de les voir arriver à tout moment, ils sont entrés à l’instant où je m’y attendais le moins. Effet de surprise oblige, je me suis sentie encore plus nulle que ce que j’avais imaginé. Je suis minuscule mais me cache quand même, tout au fond des draps qui sentent le médicament, sous le matelas même. Je tiens sa main. Il se lève. Remet des chaussettes. Un pantalon. Tee-shirt. Sweat. Combien de couches ? Le temps me semble long. Le nombre de mots que j’ai prononcé doit se compter sur les doigts de deux mains, voire d’une seule (« Bonjour-oui-ça-va »). Quatre doigts. Finalement, il paraît que j’ai fait bonne impression. Mon air de garde-malade a dû jouer en ma faveur. En tout cas j’étais « très mignonne » et j’avais « l’air gentille ». Grand soulagement, petite gêne, bonne nouvelle : il quitte l’hôpital. Il y a encore cette boîte qui se promène sur sa poitrine et des fils sur son crâne, mais dans l’ensemble il va mieux. Les moindres parcelles de son corps ont été scannées, radiographiées, analysées. Diagnostic : impeccable. N’empêche qu’à mon sens un cœur en boîte, ce n’est pas vraiment impeccable. Plutôt du genre Ravioli Buitoni. Catastrophique. Épouvantable. Affolant. Désastreux et terrible. De le savoir comme ça me rappelle une chanson, quand j’étais gamine : « P’tit oiseau tombé du nid, viens, viens vite dans mon lit, avec moi t’auras pas froid, tu nicheras dans mes bras… » Je suis son nid, accueillant et douillet, pour qu’il ne s’envole jamais. Un amour à lui couper les ailes. 18

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Amputé, peut-être. Mais à lui seul son cœur fait autant de bruit qu’une sono mal réglée. Je me sens quand même toujours coupable de lui avoir laissé faire un tour au fond d’un gouffre sans qu’on reste encordés. L’un des premiers poèmes qu’il m’a écrits me rappelle sans cesse cet abandon. Souvent, avant que je m’endorme, il vient se glisser dans ma tête pour que l’on joue aux fantômes. Pour l’enfer de nos vies J’irai brûler ta peau Pour un moment de répit Pour ma vie en trop Pour l’ivresse d’une nuit J’irai chercher ton nom Sur un toit, dans un lit Avec le ciel pour plafond. Quand mon esprit n’est plus hanté par ces mots, des ampoules s’allument dans ma tête au souvenir de la dernière strophe. Mes tripes restent gelées, rapport à la première. Malgré tout, j’aime bien. Le métier de bourreau de ce cœur me plaît. Je sais que c’est lui que j’ai toujours attendu. Je lui dirai plus tard. Pour l’instant, je garde pour moi ce sentiment de petite fille comblée. Le dernier gadget idiot dont on rêve toutes étant gamines, c’est lui. He is my Furby. Maintenant que je l’ai enfin, je dois en prendre soin. Il trône sur une étagère à l’intérieur de mon ventre. Notre relation est devenue viscérale. J’ai voulu le lui expliquer l’autre jour, lui dire que chacun de ses mots me chatouillait le ventre. Aucun résultat. À la place, j’ai une petite gravure sur le poignet. Son prénom au compas. Romantisme de lycéenne ou connerie monumentale ? Les deux se rejoignent. Je l’ai dans la peau. Beat Your Heart Out – The Distillers

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