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Dans la même collection : Une journée de littérature en Méditerranée. Vingt nouvelles et poèmes, collectif, 2005. Baratti. Un échange de commentaires sur la traduction de la poésie, collectif, Ghj. Thiers (dir.), 2003. Pâris et ses femmes, Antoni Arca, 2002. Un itinéraire littéraire en Méditerranée, collectif, F.-X. Renucci (dir.), 2002. Des nouvelles d’Imedoc, collectif, 2002. Viaghji puetichi, collectif, 2002. Isule literarie. Des îles littéraires. Nouvelles de Méditerranée, collectif, 2000.
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ANTONI ARCA
Jordi mis en demeure
ROMAN TRADUIT DU SARDE PAR
J. THIERS
(TITRE ORIGINAL DOMO DE JORDI)
ISULE LITERARIE • DES ILES LITTÉRAIRES ALBIANA
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CENTRE CULTUREL UNIVERSITAIRE
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I. Sous les flèches de la Sagrada famillia, un projet de croisière
– Je te réponds que oui ! – Pourquoi es-tu si catégorique ? Qui peut m’assurer que je ne vais pas y perdre d’argent ? – Mais c’est moi qui te le dis ! – Ah ! Dans ce cas… Le plus jeune des deux va jusqu’à la fenêtre, allume une cigarette et se met à fumer en tirant de longues bouffées. Il n’aime pas fumer, mais il sait bien que le seul fait de cracher de la fumée met son vis-à-vis en position d’infériorité. Je fume, je crache de la fumée par la bouche, je suis le fils d’un dragon ! L’autre, le plus âgé, celui qui est venu demander de l’argent, est décontenancé. Ce jeune homme, qui n’a même pas la trentaine, crache de la fumée par la bouche tandis que la lumière venue du dehors, filtrée à travers ses cheveux blonds et raides, lui donne l’air d’une apparition divine dont témoignent les deux clochers d’Antoni Gaudi dont témoigne, en pénétrant dans la salle, le reflet qui croise les deux clochers d’Antoni Gaudi. – Mais quelle garantie peut-on avoir ? – L’art, l’art qui est le mien. Le jeune, Marc Joan Peralta Blanc, s’installe au bureau, écrase sa cigarette et appelle à l’interphone : – Maria Pilar ! Puis, s’adressant à l’autre : 7
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– Si tu en es d’accord, je fais faire immédiatement par ma secrétaire un projet de contrat que nous expédions au notaire et tout ira bien, sinon… Le vieux, un homme qui doit avoir la cinquantaine, pas un poil sur le crâne mais de forte carrure, attend sans rien dire. La secrétaire, Maria Pilar, la cinquantaine elle aussi, rousse, petite et mignonne, s’active à la rédaction du projet. Marc Joan, fils d’une longue dynastie de banquiers et commerçants barcelonais, lui dicte les termes du contrat : – Entre Marc Joan, et cetera, en tant que producteur, d’une part, et Jordi Sampere Queró, en tant que réalisateur, d’autre part, il est convenu ce qui suit… Jordi Sampere écoute sans comprendre. Son regard contemple avec admiration les quatre flèches de la Sagrada Famìllia. Il est en train d’imaginer une action cinématographique fantasy. Un homme a voulu se suicider en se jetant de là-haut, mais alors qu’il a déjà les yeux clos et que tout est réuni pour réussir son coup, une main l’arrête, il ouvre les yeux et une forme humaine au teint livide lui fait signe de le suivre. C’est le fantôme d’Antoni Gaudì. Il lui indique une porte qu’ils franchissent ensemble. Ils sont maintenant au cœur même de la Sagrada Famìllia, l’intérieur que ne peuvent voir les touristes parce qu’ils se trouvent dans l’âme des pierres. Marc Joan est en train de parler chiffres, pourcentages, hypothèques, patrimoine littéraire… Concrètement, si tout va bien, outre les sommes dont il fait l’avance, Marc Joan percevra cinquante pour cent sur la totalité du bénéfice, mais si ça tourne mal, la maison Peralta Blanc obtiendra tous les biens, mobiliers et immobiliers de Jordi Sampere Queró, outre la totalité des droits d’exploitation des œuvres réalisées et de celles à venir, y compris le patrimoine familial, c’est-à-dire le 8
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Sous les flèches de la Sagrada famillia, un projet de croisière
copyright de l’œuvre littéraire de Jordi Sampere Mestre, père du réalisateur, considéré comme le poète et romancier le plus grand de la littérature catalane des années 1960 et 1980. Un auteur dont on a donné le nom à des avenues, des places, des écoles et des théâtres dans toutes les régions du principat de la Catalogne et à propos de qui quatre immenses maisons d’édition se disputent le privilège de publier l’ensemble de son œuvre. – D’accord, dit Jordi, mais tu vas me laisser carte blanche : c’est moi qui choisis le sujet, la mise en scène, les acteurs, tous les professionnels dont j’ai besoin, les lieux de tournage, c’est moi qui décide… – Naturellement ! Bien sûr ! Évidemment ! La maison Peralta Blanc fixe une seule limite : le film sera terminé dans un délai de deux ans : tournage, montage et tout le reste. Et six mois après, projection en salle. Si ce n’est pas le cas, trois ans après la signature chez le notaire, on appliquera les pénalités prévues au contrat. Un nuage a changé l’éclairage dans la pièce : au dehors la Sagrada Famìllia a perdu toute lumière. Jordi acquiesce et serre la main du jeune homme. Désormais, il a l’argent pour son film mais il n’est pas satisfait. Il se sent mal à l’aise en songeant qu’il est le plus vieux, que l’autre est riche et qu’il pourrait être son fils et qu’il est en train de le prendre pour un crétin. – Je t’appelle lorsque tout est prêt pour la signature du contrat chez le notaire. – Ce sera quand ? – Rapidement : une semaine, une dizaine de jours, pas davantage.
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Rendez-vous à la « Florentina »
À la sortie du métro l’attend une femme au comportement bien agité. Elle téléphone en poussant des soupirs. Il l’aperçoit de loin et lui fait signe que tout va bien, en dressant le pouce en l’air. Sans cesser de téléphoner ni de soupirer, elle l’embrasse sur les joues et lui fait signe de patienter car ce qu’elle traite au téléphone est un sujet de la plus haute importance. – Non, absolument pas. Ou on fait ce que je dis ou on ne fait rien du tout. Et puis, ça suffit comme ça ! Elle éteint immédiatement le portable qu’elle fourre dans sa poche et lui dit de se dépêcher car ils sont attendus à la cafétéria « Florentina » de l’allée de Gràtzia. Il n’aime pas l’air pulsé et lourd du métro et fait remarquer son malaise en prétendant qu’il a mal aux poumons et au cœur. Mais elle n’y prête même pas attention et presse le pas en direction de l’escalier de la station qui va les conduire à leur destination. Il faut faire dix stations en ligne directe et seulement sept si on change en cours mais la différence n’est que de quelques minutes. Il préfère, quant à lui, s’asseoir et emprunter la ligne directe. Ils pourront ainsi se relaxer un peu, mais elle n’est pas de cet avis. Ils descendent à la troisième station et se remettent à marcher pour attraper l’autre train et gagner ainsi de trois à cinq minutes. Tout en parcourant les galeries et les escaliers, elle maugrée des malédictions à l’encontre des immenses photos publicitaires. Aucune ne trouve grâce à ses yeux ; pour chacune d’entre elles, elle sait qui en est l’auteur, qui est le photographe, 10
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Rendez-vous à la « Florentina »
combien il a été payé et le fléau que représentent tous les gens du milieu de la photo de Barcelone, Paris et Milan. Elle, c’est Célestine-Marie Dupignol, photographe de mode, cinéma et théâtre, qui vit à Barcelone depuis presque dix ans, depuis qu’elle s’est mise en ménage avec un acteur important de la télévision espagnole qui l’a laissée pour vivre avec sa propre fille, Ève-Marie, de vingt ans plus jeune que lui. Mais la vie est faite ainsi. Comme Ève-Marie attend un enfant, Célestine-Marie se sent devenir grand-mère, alors que l’acteur espagnol qui a cinquante ans ne veut pas se sentir grand-père. « Tu dois me comprendre, lui a-t-il dit au téléphone, si j’avais voulu être père, j’aurais fait un fils à trente ans, sans attendre d’avoir, à plus de cinquante ans, l’âge d’être grand-père. Je le regrette, j’aime ta fille, mais je ne suis prêt à être ni père ni grand-père. C’est pourquoi j’ai accepté un rôle dans un téléroman mexicain et je m’en vais là-bas. C’est un boulot d’une année, tournage tous les jours sauf le dimanche, et avec une option qui me lie pendant trois ans ». Ève-Marie n’a pas pu le supporter et, au lieu de le suivre au Mexique, il se trouve qu’elle est rentrée à Paris. Désormais elle est enceinte de trois mois. Célestine-Marie connaît Jordi depuis l’époque de sa liaison avec l’acteur espagnol, car Jordi Sampere Queró a été metteur en scène de l’œuvre dramatique où celui-ci jouait. Pour les besoins de la pièce, elle avait insisté pour que sa fille descende de Paris jusqu’à Barcelone et, puissance du théâtre, la jeune femme était tombée amoureuse du personnage en même temps que de l’homme qui interprétait ce rôle. Par réaction, Célestine s’était mise en couple avec une petite actrice de la troupe, une belle jeunette bien sympathique qui plaisait jusqu’au metteur en scène, à Jordi. C’est ainsi que Célestine et Jordi ont été rivaux en amour, jusqu’à la fin de la tournée, au moment où, après cinquante représentations et une fête énorme au restaurant « Llums i fums », ils s’étaient retrouvés tous les trois dans le même lit, elle, lui et la petite comédienne. À 11
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midi, à leur réveil, la petite n’y était plus et il y avait un billet à sa place : « Tous les deux, vous faites vraiment un beau couple ! » Depuis ce moment-là, Célestine-Marie et Jordi vivent ensemble, mais sans être ensemble tout à fait. Presque cinquante ans pour elle, un peu plus pour lui, ils sont frère et sœur plutôt qu’amants. Ce qui les lie ce sont les projets de cinéma et de théâtre, plus que l’amour qu’ils laissent aux jeunes acteurs et actrices lorsque les actrices et les acteurs se laissent aimer. L’air de Barcelone n’est pas du tout malsain, le fait d’avoir un port si vaste et si ouvert le rend plus respirable que dans les autres métropoles. Et le soleil printanier de midi embellit encore davantage le site. Quatre jeunes gens – un garçon et trois minettes – sont assis à la terrasse de la cafétéria « Florentina » en compagnie d’un homme d’une quarantaine d’années qui porte des vêtements qui pourraient habiller un employé de banque élégant. Costume gris et cravate rouge. En les voyant arriver, l’homme se lève et lorsque Célestine-Marie est tout près de lui, il lui fait le baisemain et lui offre son siège, salue Jordi en l’embrassant sur les deux joues et demande immédiatement au serveur d’apporter d’autres sièges et une seconde table. Cet homme, Giovanni Dellafrancesca, est un imprésario de théâtre… Italien peut-être, ou peut-être pas, ou encore descendant d’Italiens, mais de toute façon plus argentin qu’italien. Quoi qu’il en soit, il parle bien castillan et portugais, se défend pas mal en anglais, en français quand il le faut, et comprend bien le catalan dont il peut aligner quelques mots. Quant à l’italien, il le parle couramment, avec un accent étranger. Mais cela a peu d’importance avec cette catégorie de personnes, mis à part le fait que Jordi, lui, n’aurait rien à faire avec cet Italien cosmopolite ou Argentin apatride, s’il n’était pas allé demander un financement à ce diable de Peralta Blanc. Les filles rient, elles ont 12
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l’âge qu’elles veulent bien qu’on leur donne : seize ans, vingt ans ou la trentaine sans doute. Ce sont des modèles et leur métier est le suivant : se conformer à la demande du marché. C’est celui qui paie qui commande. Et il se trouve qu’il commande une tournée de boissons. Il y a là Jenny, Fanny, Hanny. Des noms inventés de toutes pièces, tout comme leurs biographies : elles sont nées où l’on voudra qu’elles soient nées. Rien n’est vrai. Que des mots pour embobiner les clients. Et maintenant, d’après ce que lui a dit le jeune, ce doit être Jordi, le fameux metteur en scène Sampere Queró, fils de Sampere Mestre, le quasi-Prix Nobel. C’est lui qui va tourner le spot de ces nouvelles boissons, et à ce qu’il paraît il serait sur un film de la plus grande importance, qu’il prépare avec des subsides américains… Les filles ont donc d’autant plus intérêt à attirer son attention, mais sans savoir de quelle manière : comme de toutes jeunes filles, comme des femmes accomplies, de petites putes ou des intellos. Pour ce spot, de jeunes petites putes doivent mieux faire l’affaire, puisque tout le monde sait que Jordi Sampere Queró ne fait ce film publicitaire que pour l’argent, mais pour l’autre, le grand film, sans doute vaut-il mieux pour elles ressembler à des femmes de grande réputation. Voilà le garçon. Dellafrancesca s’exprime en espagnol mêlé de catalan avec aussi de l’italien. Il demande ce que veulent boire Jordi et Célestine-Marie. Il le demande aussi, par politesse, aux jeunettes. Jenny commande un cocktail rouge, Fanny un vert et Hanny un grog. Quant au jeune homme, Salvador Cau Serra – Salva pour tout le monde –, il prend une grande bière. Jordi, lui aussi, une grande bière, Célestine-Marie un café espresso et Giovanni Dellafrancesca rien de tout ça, mais de l’eau gazeuse. Salva est l’assistant de Célestine-Marie. Lui aussi photographe, expert en informatique, webmaster du blog officiel de la CMDex, Célestine-Marie Dupignol excellence, il lui fait un clin d’œil, comme pour dire : « Regarde-les ; attends un peu et tu vas 13
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voir que de ces trois-là, on tire au moins cinq ou six nouvelles séries pour notre blog ! ». Et en effet, la photographe les considère avec son œil d’expert, comme si elle les déshabillait en prévision d’une visite gynécologique ou d’une fouille approfondie à la frontière, car suspectées d’être des criminelles. L’Argentin apatride ou Italien cosmopolite est en train de faire la même chose que Salva, mais avec Jordi. S’exprimant en italien pour qu’on ne le comprenne pas, il lui raconte à l’oreille qu’une des trois jeunes est l’amie d’un millionnaire : donc si Jordi la retient pour le film, il ne manquera pas d’argent. Jordi n’aime pas cet homme élégant, mais il ne peut pas affirmer que ces filles ne sont pas belles, dès qu’il pose ses yeux sur elles et les regarde, ou plutôt les étudie, sans le laisser paraître. Voilà presque une heure qu’ils sont assis à parler de tout et de rien, en avalant de la bière, des cafés et des cocktails colorés. Mais il est tard, la photographe se lève tout d’un coup car on l’appelle au téléphone pour lui rappeler ce qu’elle doit faire sans faute. Hanny en profite pour aller avec elle et ainsi partager les frais de taxi. Jenny court jusqu’à la bouche de métro parce qu’elle doit passer chez quelqu’un, et Salva va avec elle. Dellafrancesca invite Fanny et Jordi, mais Jordi les laisse partir ensemble. Qu’on veuille bien l’excuser, ils auront l’occasion de parler de tout cela, et maintenant il faut se mettre à réfléchir au reste. À demain. Maintenant qu’il est tout seul, le serveur s’approche et Jordi plonge la main dans sa poche pour payer l’addition générale. Ce branleur de Dellafrancesca ne lui plaît vraiment pas du tout. Mais le serveur ne demande pas d’argent, tout est déjà payé. Il demande un autographe, la signature du plus grand metteur en scène de toute la Catalogne et l’Espagne réunies, Jordi Sampere Queró.
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On embarque… bientôt
Le matin de bonne heure, Giovanni Dellafrancesca va le réveiller dès onze heures, alors qu’en temps normal Jordi ne se lève pas avant midi ou une heure. Mis à part quand il est en cours de tournage où il est debout avant huit heures. Le cosmopolite apatride lui dit de se débarbouiller, de se mettre quelque chose sur le dos et de descendre, car ils sont attendus sur le port depuis un bon moment. Salva et Cele (Célestine-Marie) sont déjà en voiture depuis une demi-heure et ils doivent filer en direction de Paris. Jordi se rappelle bien chaque détail : ils vont aller à Marseille en voilier à partir de Barcelone en longeant le littoral et prendre l’un après l’autre les membres de la troupe, et en particulier Ève-Marie Delacharité, enceinte de six mois. Sa mère, la photographe, ne veut pas la laisser seule mais la malheureuse ne sait pas conduire et ne veut voyager ni en train ni en avion. En définitive, ils descendront en Sardaigne en suivant la côte le long de la Corse jusqu’à La Maddalena, où se trouve Piero Dantoni, auteur et metteur en scène, assuré de remporter le prix Maddalena a tzìnema. L’idée est la suivante : Piero Dantoni a signé avec un pseudonyme, et quand il sera déclaré vainqueur, il va dire que l’auteur et le metteur en scène ne sont qu’une seule et même personne : Jordi. « Et on va voir s’ils ne te financent pas le film, immédiatement tout de suite !! » C’est sa nature : il est ainsi, plein de fougue, Giovanni Dellafrancesca. Jordi n’a pas confiance en cette combine, mais le notaire de ce misérable Marc Joan Peralta Blanc, ne l’appellera pas 15
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avant dix ou quinze jours. Dans ces conditions, des vacances sur un voilier et un bain ou deux dans la mer de Sardaigne ne peuvent pas lui faire de mal. Il va peut-être découvrir quelque décor intéressant, avec une bonne idée pour le film. Célestine et Ève-Marie se divertiront, et, s’il a bien compris, Jenny, Fanny ou Hanny, ou toutes les trois seront de la partie. La rousse n’est pas du tout pour lui déplaire. Mais à quoi bon Jenny, Fanny ou Hanny ? L’autre est déjà en voiture avec sa valise, Jordi ferme bien la porte et enclenche l’alarme et tout ce qui s’ensuit, puisqu’il va rester un bout de temps absent, puis il entre dans l’ascenseur. En bas, avec Dellafrancesca, Jordi trouve un jeune homme fort et trapu, ainsi que Jenny ou Fanny ou peutêtre Hanny. Le type se présente comme le manager de la fille qui dépose une bise humide sur les joues de Jordi. La voiture appartient au manager costaud. À pieds, la maison de Jordi n’est pas loin du port, mais en voiture il faut compter au moins une demi-heure. Ils n’échangent pas un mot, mais c’est sans importance car, chaque fois qu’ils entament une conversation, voilà un tram, une moto ou le moteur même de la voiture qui couvre tout et on ne comprend plus rien. Mais la belle petite, qui n’est pas la rousse mais la brune à la chevelure plus sombre que le charbon, n’arrête pas de rire. Ils finissent par arriver au port de plaisance, où les attendent les autres comédiennes, la blonde et la rousse. Jordi est satisfait qu’elles soient là toutes les trois. La toute brune qu’il a remarquée est Hanny ; en descendant de la voiture, ils se font tous la bise, et il comprend que Fanny est la blonde comme les blés et Jenny la rousse. Fanny et Jenny, comme des folles, s’écrient que le voilier « est un amour », « un songe devenu réalité ». Jordi se dit que Jenny est vraiment jolie, on dirait une enfant avec de gros seins, et, s’ils ne sont pas en plastique, il se pourrait qu’il en tombe 16
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On embarque… bientôt
amoureux ! Elles se sont déchaussées et marchent sur la pointe des pieds comme les crevettes. Elles ont déjà déposé leurs bagages à bord : « Le voilà. Fantastique, n’est-ce pas ? ». En effet, il est vraiment beau : dix mètres, trois cabines, un mât, avec un homme torse nu qui attend debout, d’apparence trapue, très fort et sombre comme un bouledogue. En voyant Giovanni Dellafrancesca, dans un italien dont on ne comprend pas clairement à quelle région méridionale il appartient, il s’écrie qu’il n’est l’esclave de personne, qu’ils devaient partir au plus tard à dix heures, et comme il est déjà treize heures, cinq minutes de plus et il fout le camp tout seul. Hanny embrasse amoureusement le manager et, tenant ses chaussures à la main, saute avec agilité sur le voilier. Jenny saisit la valise de Jordi et saute elle aussi dans l’embarcation. Fanny, comme une girl scout, prend Jordi par un bras pour l’aider à embarquer. Jordi se met à rire stupidement, car il est en train de s’imaginer mis en scène lui-même. Cadre a : Jordi, se regardant dans le miroir se voit jeune et musclé. Cadre b : Jordi, vu à travers le regard de Fanny, est un vieux croûton habillé comme un jeunot. Et le voilà qui se met à penser aux nuits d’amour en haute mer. Mieux vaut faire le malade avec ces femmes-là : ces chéries se relaieront pour le soigner. Mis à part le manager qui fait ses adieux depuis la voiture, les autres sont sur le voilier de douze mètres. Le skipper est en train de tempêter contre Dellafrancesca et, sans même lui laisser le temps d’ôter sa veste, l’a mis à la manœuvre, et on voit bien que le malheureux ne s’y entend guère pour déplacer un navire de cette taille. Jordi, Fanny et Hanny sont assis de manière à faciliter les manœuvres et Jenny, mieux qu’un marin de métier, se démène et s’active. En quelques minutes les voilà au milieu du port et, encore quelques minutes après, ils voient Barcelone de loin. 17
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– Cette nuit, nous dormons sur la Côte d’Azur, dit l’Italo-Argentin. – La nuit suivante, peut-être, corrige le skipper, en espagnol mêlé d’italien. Ou sur la Costa Brava.
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Quand on vit sur le pont
En été, la navigation en pleine mer est un jeu d’enfant ; il suffit de suivre le vent, en ayant toujours l’œil sur la côte et éviter les écueils. C’est bien ce qu’ils sont en train de faire. Dellafrancesca est à la barre, les jeunes femmes ont mis leur tenue de bain et le skipper prépare de quoi manger. Jordi, en maillot et la chemise ouverte, goûte la caresse du soleil, le spectacle de la mer et des trois filles… Leurs pieds, les jambes, le nombril, les fesses, les flancs, les seins, les cheveux, les dents, les lèvres… Elles sont belles, toutes humides de crème solaire et comme enrobées de miel. Et il se sent comme l’abeille étourdie par les fleurs : de plus en plus et plus attirantes l’une que l’autre, à ne plus savoir laquelle butiner… Le skipper les dévore de ses yeux écarquillés tout en leur tendant une assiette de macaronis. Les trois filles se jettent sur les pâtes qu’elles avalent d’un trait. Jordi en reste bouche bée, comme pétrifié par un sort. C’est plus fort que lui, il ne peut suivre les fourchettes qui vont de l’assiette à la bouche. Fourchette, macaronis, nombril qui s’ouvre comme une bouche. Fourchette, macaronis, tétons qui viennent sucer la sauce. S’il était réalisateur de films d’horreur, il tiendrait là une scène formidable, mais il est auteur réalisateur. Un artiste, un intellectuel, et son projet consiste à tourner un film à partir du plus beau livre de son père, le fameux Jordi Sampere Mestre qui, s’il n’était pas mort à cinquante-cinq ans, aurait reçu le prix Nobel de littérature. 19
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Il s’est arrêté de manger et pose son assiette sur son bas-ventre : il bande comme un âne et cherche à le cacher. Hanny, avec ses deux beaux seins imposants, a vu qu’il est devenu tout blanc et lui demande ce qu’il a. Il se trouve qu’en le questionnant elle a posé un sein sur son bras. Jenny, qui a compris qu’il se sent mal, lui demande ce qu’il a en lui caressant le genou et la cuisse à partir du genou. Jordi pousse un gémissement et Hanny se met dans son dos pour le soutenir. Dans un geste maternel, elle l’entoure de ses bras en le serrant contre sa poitrine digne de Vénus tandis que ses seins effleurent d’une caresse les joues de l’homme qui tout d’un coup, se rend compte qu’il a joui dans son maillot. Le skipper indique que dans la cale il y a de l’aspirine sur une étagère. Oui, Jordi va descendre, ce n’est rien, il va le faire tout seul, maintenant, il se repose dix minutes dans la cabine et cette migraine va disparaître instantanément.
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Faire escale à Cadaqués
Jordi entend une voix d’homme. C’est Giovanni Dellafrancesca. Il dit qu’ils sont sur le point de descendre au port de Cadaqués où Peter Fellow et Mario Johnson les attendent pour déjeuner avec eux. Jordi ne comprend rien à tout cela. Il contemple le beau corps de la belle Jenny qui frôle l’apatride en passant la porte de la cabine. Elle demande s’il a récupéré, après ces quatre heures de repos. Jordi répond que c’est bon, mais qu’on lui laisse une minute seulement et il arrive. Hanny, en habit de fête, réussit à faire sortir les autres et pénètre complètement dans la minuscule cabine du voilier. Elle demande qu’on les laisse seuls car, avant de faire du cinéma, elle a travaillé quatre ans comme infirmière dans un hôpital. – S’il vous plaît, laissez-moi seulement cinq minutes et je monte sur le pont. Allez, je ne suis ni vieux ni malade. Après une bonne demi-heure, Jordi est sur le pont. Mis à part le skipper, tous les autres se sont changés, les femmes avec des vêtements légers qui les dénudent plus qu’ils ne les couvrent, mais soulignent la perfection des formes avec des couleurs assorties à leurs chevelures. Dellafrancesca est tout de blanc vêtu : pantalon, veste et tricot car ici on ne porte pas de chemise. Ces quatre personnes ont une chose en commun : elles tiennent leurs chaussures à la main, une dans la main gauche et une dans la droite, à l’exception de Jenny, qui les a toutes les deux dans la 21
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gauche et se recoiffe avec la main droite. Ainsi vêtue, la jeune rousse paraît plus fine qu’elle n’est réellement. – Où allez-vous ? demande Jordi. – Où tu vas aller toi aussi, répond l’homme en blanc, si nous y allons tout de suite, mais je crains bien que Peter Fellow et Mario Johnson ne soient déjà partis depuis un moment. – Allons, donnez-moi le temps de me changer et nous y allons. – Mais tu es parfait comme ça, dit Jenny en le prenant par le bras. Viens, je vais t’aider. Jordi porte la même chemise que pendant le repas, avec des taches rouges de sauce et un vulgaire pantalon couleur crème. Jordi le fait remarquer à la jeune femme qui affirme que ce n’est rien tout en lui fourrant les mains dans son pantalon pour nettoyer les taches de jus. Sa main pousse la chemise ; elle pousse, pousse vers le bas jusqu’à toucher le sexe tout droit de Jordi. – Allez, te voilà prêt, dit la fille en lui donnant la main pour qu’ils sautent du bateau sur le quai. Une fois à terre, Jordi proteste en criant qu’il n’a pas mis ses chaussures, qu’il doit remonter à bord, qu’il ne va pas pouvoir venir à cette rencontre. Mais, pendant que les femmes passent leurs sandales et que Dellafrancesca noue les lacets de ses chaussures d’un blanc immaculé, le skipper lance à Jordi ses sandales en plastique noir. L’une a frappé sa poitrine tandis qu’il a failli recevoir l’autre en pleine tête. Jordi lui dit merci et les enfile, bien qu’elles soient trop petites. Deux pointures au-dessous de la sienne : le bout de son orteil droit touche le sol ! – Fais le contraire, lui dit l’homme en blanc. – Comment ? – Laisse dehors les talons au lieu des orteils, ça se remarque moins.
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Faire escale à Cadaqués
Voilà, ils peuvent y aller. Hanny et Jenny ont pris par le bras Jordi, et Fanny Dellafrancesca. Au bout de quelques minutes ils sont au restaurant. Peter Fellow et Mario Johnson les attendent attablés et buvant du vin rouge. Mario fait signe à Peter pour lui indiquer leur table. Peter se lève et va embrasser Dellafrancesca tout en l’appelant « Jordi, cher Jordi » et sans prêter attention aux autres. Mario l’appelle en lui faisant remarquer qu’il se trompe. – Oh, oh ! dit-il et poursuit avec son « cher Jordi », mais cette fois-ci, c’est le bon !
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Un film publicitaire pour le parfum « Celhomme »
Les voilà donc assis autour de la même table, Jordi et Peter côte à côte, puis une femme et un homme qui déjeunent tout en parlant de cinéma. Il se trouve que Peter Fellow est un acteur britannique qui a fait de très bons chiffres avec des films pour enfants et des films d’aventures. Il en a retiré de l’argent et une bonne réputation, mais ce n’est pas la gloire. Lui, Peter Fellow, bel homme grand, fort et admiré, entend bien laisser son nom dans l’histoire du septième art comme un acteur accompli, capable d’incarner n’importe quel personnage. C’est la raison pour laquelle il s’est rapproché de Mario Johnson, le metteur en scène le plus en pointe de l’avant-garde à Londres, pour mettre au point un film de niveau culturel ambitieux. Ils se disent tout cela en mangeant et surtout en buvant, en anglais, en français et en italien. Cette situation ne satisfait absolument pas Jordi. Il n’a jamais rien lu de Johnson, mais sa tronche ne lui donne aucune envie de le lire ; quant à Peter Fellow, il ne lui inspire que du dégoût comme acteur autant que comme personne. En avalant ce verre de vin, le cinquième, le sixième ou dixième, il comprend qu’outre le fait d’être saoul, il ne peut être que plus désespéré en acceptant les combines de Dellafrancesca. Celui-ci est convaincu que si Peter Fellow accepte le premier rôle dans le film de Jordi, les majors américaines lui donneront beaucoup d’argent. Mais Jordi n’en veut pas de fric américain ! Ce qu’il veut, c’est faire un film inspiré du roman important de son père, et là, ce sera un film profondément catalan. Et les filles, 24
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Un film publicitaire pour le parfum « Celhomme »
qu’est-ce qu’elles ont à voir ces jolies filles dans les entourloupes de Dellafrancesca ? – Une idée de génie, Mario, elle est vraiment géniale ton idée : une série de spots avec Peter comme premier rôle, Jordi comme metteur en scène et ces charmantes femmes comme actrices. C’est de la pub, d’accord, mais il faut bien croûter, non ? Cependant, on a aussi la dimension artistique, parce que le renom de Jordi Sampere est une garantie, mais surtout c’est de l’argent facile. Raconte-nous l’idée de base, Mario. Vas-y. Tu peux y aller… Et Mario Johnson se met à raconter. C’est l’histoire de trois femmes qui se cherchent un type et, à la fin du fin, on comprend qu’elles ne cherchent pas trois hommes différents, mais une seule et même personne, et cet homme est Peter ! Mais quand elles comprennent qu’il les a toutes trompées, elles vont se révolter contre lui, mais c’est alors que l’homme se met, torse nu, face au vent et s’asperge de parfum Celhome, à la suite de quoi les trois filles se jettent sur lui pour le couvrir de baisers ! Jordi, qui n’en peut plus, répond pourtant que c’est là une excellente idée, et il le dit en catalan, avec l’intonation qu’il faut pour faire comprendre qu’il plaisante, et Dellafrancesca traduit chaque mot dans son anglais à l’accent américain. Maintenant la scène se déroule ici, à Cadaqués, et les filles sont toujours derrière le Héros parfumé. Elles se lancent à sa poursuite, submergées de passion, fascinées par la fragrance du fameux Celhome et à force de le pourchasser, elles finissent par le coincer dans le musée Dali ! Au moment où elles s’en saisissent il se présente de profil, mais quand il se retourne vers elles, il a l’aspect de Salvador Dali et, tout en s’aspergeant de parfum, il s’écrie : « Oui, c’est bien moi : je suis Salvador Dali ! » 25
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Les femmes seraient-elles les seules à s’être aperçues de la plaisanterie de Jordi ? Jenny a éclaté de rire, Fanny manque de s’étouffer en buvant du vin. Hanny ne dit rien mais semble pétrifiée tandis que Dellafrancesca, tout à sa joie, continue et lâche, en français : « Bravo, bravo, » et applaudit à tout rompre. Peter est songeur. Quant à Mario, impossible de savoir ce qu’il a vraiment compris. Il commente : – Ton roman, Blau de cabells, m’a vraiment emballé, pourquoi ne me vends-tu pas les droits d’exploitation ? Quel âge avais-tu au moment où il a été écrit ? Moins de vingt ans ? Puis il se dresse tout d’un coup en même temps que Peter, qui dit : « Bien, bien (well, well) ». Il montre son numéro de chambre au garçon : il devra tout mettre sur son compte. Jordi ricane en s’apercevant qu’en son for intérieur il traite Mario de sacré crétin. Il avait dix ans quand son père – qui en avait quarante – a publié la première de Blau de cabells, et le Cheveux-Bleus c’était lui, Jordi Sampere Queró, fils de Jordi Sampere Mestre. Dellafrancesca dit que cette idée de Jordi d’impliquer Dali dans le scénario est vraiment une trouvaille fantastique. Avec ça, la moitié du film est déjà payée. Jordi avale un dernier verre de vin et se lève brusquement. Tout droit, il fait le salut nazi à l’Italo-Argentin, se tourne et sort en scandant le pas : un-deux, un-deux ! Mais on voit bien qu’il est ivre. Jenny, avec l’habileté du renard, se blottit tout contre lui et l’aide à avancer. Après avoir franchi la porte de l’hôtel, Jordi se met à vomir, à vomir… à s’en retourner l’estomac…
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Cap sur Marseille et gueule de bois…
La nuit qui devait se dérouler en mer, ils l’ont en fait passée au port, les hommes à dormir et les femmes à veiller à tour de rôle sur Jordi, couché de tout son long sur le pont, la tête tournée vers l’eau, occupé à vomir du vin, des huîtres et de la crème catalane. Au point qu’il a été plus évanoui qu’endormi et a fini par ronfler. Quand il s’est réveillé, le soleil était déjà haut dans le ciel et l’embarcation se trouvait en mer, cap sur Marseille. – Bonjour, Jordi, tu veux un café ? Lui demande la blonde Fanny. – Merci, mais qui es-tu, toi, un ange du ciel islamique ? – Je suis Fanny, et je te passe de la crème solaire car tu as dormi en plein soleil et ça te fait mal à la peau… – Merci Fanny. – Voici le café, dit Hanny. – Et toi, alors, tu es donc un songe, ou tu n’en es pas un ? – Un rêve, pas du tout, non, un éclair, dit Jenny en sautant par-dessus lui tout en manœuvrant les filins et les voiles pour suivre au mieux le vent selon les ordres du skipper. – Quelle heure est-il ? demande Jordi. – L’heure qu’il te plaira, dit Fanny. – Huit heures ? – Dix heures. – Ah ! Merde, je dois me faire soigner, dit Jordi, je ne peux plus vivre ainsi, au premier janvier prochain, j’ai cinquante-cinq 27
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ans, il faut que je me retienne, parce qu’à mon âge, mon père était déjà mort et enterré. Mais comme Jordi a mal articulé ces mots-là, Hanny et Fanny n’en ont perçu qu’un grommellement. – Jordi, lui demande Fanny, quand commençons-nous à travailler ? – Oui, Jordi, insiste Fanny, le set, ce n’est pas le bateau ? Jordi n’y comprend rien. Il se dresse tout d’un coup, tout endolori et répond affirmativement : il va se débarbouiller et ensuite, ils travailleront tous ensemble. Il cherche du regard Dellafrancesca, car c’est lui qui a échafaudé toute cette idée. L’homme est en bas, dans la cabine, en train de préparer le déjeuner. Jordi entre et referme la porte. Il se met à lui faire des reproches et quand il ressort, il lui crie : – Alors, qu’est-ce que tu inventes maintenant ? Réponds à mes questions. Quelles sornettes leur as-tu racontées, à ces filles ? L’autre, comme s’il n’avait rien entendu, lui rétorque : – Tiens, goûte, dis-moi si elle n’est pas bonne, cette sauce ? – Je n’aime pas la sauce que tu fais. Et réponds à ma question. Qu’est-ce que tu leur as encore inventé aux petites ? – Je n’ai rien inventé, rien que la vérité. La vérité, un point c’est tout ! Que tu es un metteur en scène de renom, que je suis producteur et que nous allons en Sardaigne pour réunir des conditions favorables pour notre film. – Mais, arrête, tu n’es pas producteur, tu n’as pas fait un seul film et moi, je suis metteur en scène, mais de théâtre, pas de cinéma ! Et pas du tout connu. C’est mon père qui était connu. – Tiens, bois un coup ! – Et que je suis alcoolique, tu le leur as dit ? – Mais ne le dis même pas pour plaisanter, car tu n’es pas alcoolique. Fatigué et stressé, mais alcoolique, pas le moins du monde ! 28
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Cap sur Marseille et gueule de bois…
– Qu’est-ce que je leur dis alors à ces filles, qu’est-ce que c’est le travail que tu leur as promis ? – Pas un travail, juste un bout d’essai. Improvise, amuse-toi avec elles, tu t’en fous, amuse-toi un peu… Jordi pue, mais se savonner dans la douche minuscule l’impressionne. Il demande donc à l’apatride d’arrêter le voilier pour qu’il puisse piquer une tête dans la mer. L’autre saisit l’interphone et parle avec le skipper. – Non… allez, oui… allez… non… oui… avance ! Il répond que c’est impossible ; on ne peut pas arrêter la navigation. Entendant cette réponse négative Jordi court et saute par-dessus bord en criant comme un chien : – Aaaaaaaah ! Il saute dans l’eau. Jenny le suit. Hanny jette une bouée de sauvetage. Jeter l’ancre ? Le skipper n’y pense même pas.
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