Sous la direction de
Bruno Garnier, Theodora Balmon et Jacky Le Menn
La laïcité pour vivre ensemble avec nos différences Actes de la journée du 14 décembre 2016 Université de Corse Pasquale Paoli
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Préface
Bruno Garnier, Theodora Balmon et Jacky Le Menn, directeurs de l’ouvrage
Le 14 décembre 2017 a eu lieu une journée dédiée à la laïcité à l’université de Corse, à l’initiative de Bruno Garnier, professeur des universités en sciences de l’éducation à l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE), dont il est le référent laïcité depuis 2015, et chargé de mission laïcité et égalité femmes – hommes auprès de la présidence de l’université de Corse Pasquale-Paoli. Cette journée a été organisée avec le concours de la bibliothèque universitaire, dirigée par Theodora Balmon, conservatrice des Bibliothèques et Jacky Le Menn, directeur adjoint, avec la participation de Patricia Garnier, responsable du pôle éducation et formation de la bibliothèque universitaire de Corte, et de l’ESPE de Corse dirigée par Dominique Verdoni, professeur des universités. Nous tenons également à remercier ici Dominique Federici, vice-président du conseil d’administration de l’université de Corse, et l’ensemble des personnels administratifs de l’université, notamment Dominique Grandjean, Florence Barbieri, Gaëlle Piferini, Jérôme Chiaramonti, Sarah Zucconi, Stéphanie Albertini, et tous les personnels de la bibliothèque universitaire. La journée a débuté par une série de conférences en séance plénière, devant un public constitué d’étudiants et d’enseignants de l’université de Corse, qui a été précédée par les mots d’accueil de Paul-Marie Romani, président de l’université de Corse, et de la directrice de l’ESPE, en présence de Christian Mendivé, directeur académique des services de l’Éducation nationale de HauteCorse et de Christophe Gobert, inspecteur d’académie, référent laïcité pour l’académie de la Corse. Se sont succédé à la tribune Antoine-Marie Graziani, professeur d’histoire moderne à l’université de Corse, Jean-Louis Auduc, professeur agrégé d’histoire, ancien directeur adjoint de l’IUFM de Créteil et spécialiste des questions de laïcité auprès du ministère de l’Éducation nationale, Paul Venturini, praticien hospitalier, président du comité d’éthique du groupement hospitalier Bastia-Corte-Calvi, et Francine Demichel, professeur de droit public, présidente de la Fondation de l’université de Corse.
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TEXTES INTRODUCTIFS
L’après-midi a vu se dérouler sur le site de la bibliothèque universitaire des ateliers destinés à favoriser les échanges avec les participants, autour de questions vives dans le monde de l’éducation et de la formation. Ce furent, premièrement, la visite de l’exposition de la BNF « La laïcité en questions » commentée par l’un de ses concepteurs, Jean-Louis Auduc, en présence de Christophe Gobert ; deuxièmement, un atelier intitulé « Aborder laïcité et faits religieux en classe », animé par l’association ENQUÊTE, représentée par Marine Quenin ; troisièmement, un atelier de réflexion et d’études de cas concrets, à partir de l’ouvrage Petit manuel pour une laïcité apaisée dirigé par Jean Baubérot, atelier animé par Paul Guillibert et Anaïs Flores, deux des enseignants ayant collaboré à l’ouvrage, membre du collectif le « Cercle des enseignant.e.s laïques » ; et quatrièmement, une présentation interactive d’ouvrages relatifs à la laïcité dans différents champs disciplinaires, conçue et animée par Patricia Garnier dans les salles de lecture de la bibliothèque universitaire. Cette journée, aussi riche qu’elle ait été, a laissé ses principaux organisateurs dans l’attente d’un prolongement, non seulement parce qu’il a été matériellement impossible d’y faire participer l’ensemble de la communauté universitaire, mais aussi, plus fondamentalement, parce qu’elle leur a paru constituer le point de départ d’un processus devant fonder une culture partagée de la laïcité au sein de l’université de Corse. La mission laïcité créée par la présidence de l’université de Corse ne peut pas se limiter, quelle qu’en soit par ailleurs l’importance, à répondre à des situations de tensions ou à des revendications posant question au regard de ses principes fondateurs. Le travail de conseil et de veille, relatif à l’évolution de la réglementation et de l’actualité sociale de l’environnement, aux débats qui traversent l’université, le milieu éducatif, la société corse, ses élus et ses corps intermédiaires, nous a semblé devoir se fonder sur la recherche d’un accord préalable portant sur les fondements, les principes de la laïcité transmis par l’histoire à la République française et à la Corse d’aujourd’hui. C’est pourquoi Bruno Garnier, Theodora Balmon et Jacky Le Menn se sont promptement accordés sur le projet de coordonner un ouvrage réunissant un certain nombre d’interventions de cette journée et quelques autres contributions qui ont été sollicitées ultérieurement. Il n’a pas la prétention d’un ouvrage scientifique apportant des savoirs inédits, n’étant pas le fruit de travaux de recherche nouveaux. Il ne sert pas non plus une ambition d’exhaustivité, tant la laïcité est une question foisonnante, pluridisciplinaire et très mobile dans le temps et dans l’espace. Les articles qui le constituent ne sont pas des contributions étanches les unes par rapport aux autres, reprenant assez souvent les mêmes objets, par exemple la loi du 9 décembre 1905, sous des angles sensiblement différents. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il peut être
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PRÉFACE
lu dans un ordre non prescrit, au gré des centres d’intérêt de ses lecteurs. Le présent ouvrage poursuit plus modestement trois objectifs. Tout d’abord, il s’agit de rappeler les liens entre laïcité et histoire de la modernité du monde occidental depuis le Siècle des lumières jusqu’à nos jours. Les historiens sont donc très présents parmi les contributeurs de notre ouvrage. Car la laïcité a connu des réalisations variables selon les traditions culturelles des nations de l’Europe et du monde, mais un mouvement de sécularisation fut engagé partout en Europe durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, et singulièrement en Corse par le gouvernement de Pascal Paoli, comme l’a montré Antoine-Marie Graziani dans son intervention d’ouverture et dans le chapitre dont il est ici l’auteur. Christophe Gobert, quant à lui, trace à grands traits le mouvement qui a conduit, en France, à la loi de Séparation des Églises et de l’État. Certaines ruptures masquent les continuités. Celles-ci l’emportent à certains moments, tandis que les ruptures surgissent en d’autres temps. La loi de 1905 n’était pas la première loi française de séparation, puisqu’il y eut celle du 3 ventôse de l’an III (21 février 1795) et le décret de la Commune de Paris du 2 avril 1871, l’une et l’autre non appliqués (ou seulement de manière éphémère) en leur temps, comme nous le rappelle Christophe Gobert. La loi de 1905, elle, fut appliquée durablement, parce qu’à la différence des deux textes qui l’ont précédée, elle fut l’expression d’un compromis, perçu par une majorité d’élus et d’électeurs comme une loi d’apaisement destinée à concilier la liberté de conscience de chaque citoyen, la liberté de pratiquer une religion ou non, le droit de mener une vie civile, professionnelle, avec ou sans religion. On lira à ce sujet la contribution critique de Thomas Marty qui précisément interroge cette hypothèse de consensus autour de cette loi. En second lieu, cet ouvrage entend mettre en évidence le lien entre la laïcité et la diversité des hommes, des cultures et des identités, aujourd’hui comme hier. Paul Venturini avait proposé, dans son intervention orale, une immersion dans le monde médical, au cœur des établissements hospitaliers de Haute-Corse où la laïcité constitue le moyen de garantir à tous l’accès aux soins dans le respect des croyances de chacune et de chacun. L’équilibre à maintenir est ici entre les prescriptions religieuses relatives au corps, qui relèvent de la liberté de culte, et l’exploration médicale qui requiert l’accès du personnel soignant au corps malade. Si les écoles et les établissements secondaires portent rarement des enjeux aussi vitaux, ils n’en sont pas moins, eux aussi, le cadre de tensions analogues, entre la transmission des savoirs démontrés et les croyances révélées, ou encore, entre la pratique d’activités physiques et sportives et les prescriptions religieuses relatives au corps des femmes. Dans le monde scolaire, la Charte de la laïcité de 2013, rappelée par Christophe Gobert, est un texte d’apaisement, lui aussi.
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Les situations présentées par Anaïs Flores et Paul Guillibert ont illustré les difficultés de ce genre en milieu scolaire, en mettant en avant une conception ouverte de la laïcité, c’est-à-dire ferme sur l’accès au savoir égal pour tous et tolérant sur les croyances et les convictions intimes. On voit ici toute l’importance de l’enseignement laïque du fait religieux, commenté et illustré par Marine Quenin à l’école primaire. Les religions sont constitutives de la diversité des cultures qui constituent le sel de l’humanité. Leur histoire est inséparable de celle des sociétés et elles constituent des éléments de savoirs fondamentaux. Mais inculquer des croyances, chercher à sonder les convictions religieuses des élèves, réfuter l’existence de Dieu, ne sont pas, en revanche, du ressort de l’école publique ou privée sous contrat. Lieu de production des connaissances, espace de liberté intellectuelle et de tolérance, l’enseignement supérieur est aussi un espace public d’intérêt général où la propagation des dogmes, qu’ils soient religieux ou politiques, où l’imposition de croyances et d’opinions sont proscrites au nom de la laïcité, qui est une question fondamentale du droit démocratique, ainsi que le développe, dans cet ouvrage, Francine Demichel. Sur ce registre, Jean-Louis Auduc donne de la matière à qui s’intéresse aux croisements des civilisations, aux rencontres entre les cultures, de tout temps, qu’aujourd’hui la laïcité rend possibles malgré les tensions du monde moderne. En effet, la laïcité procède du droit aux différences, du droit d’expression des identités dans un espace public qui n’est jamais intrusif à l’encontre des convictions profondes et intimes. En troisième lieu, pour finir, Theodora Balmon, Jacky Le Menn, dans leur article sur la laïcité dans les bibliothèques universitaires et Patricia Garnier, dans sa bibliographie commentée à l’usage des étudiants et de leurs formateurs, poursuivent le même objectif, qui est de montrer que la laïcité est un sujet d’exploration pluridisciplinaire, et même sans doute interdisciplinaire. La revue bibliographique déjà ample, proposée par Patricia Garnier, et qui pourtant ne présente qu’une infime partie de la littérature scientifique aujourd’hui disponible dans les bibliothèques et sur internet, en donne un aperçu saisissant, auquel nous renvoyons le lecteur.
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Vivre ensemble avec nos différences, de l’école à l’université, hier et aujourd’hui
Bruno Garnier, professeur des universités, chargé de mission laïcité à l’université de Corse
INTRODUCTION
Mon propos se bornera à tenter de faire comprendre comment la laïcité, qui peut se définir comme un principe à prétention universelle tiré des Lumières du XVIIIe siècle, n’a pas de sens hors de son application à des territoires et à des peuples différents. Son application est même impossible, aujourd’hui, sans une déclinaison souple et respectueuse de la diversité des hommes, des lieux et des milieux. Et je voudrais montrer que cette déclinaison a des racines anciennes, que l’on a peut-être un peu oubliées. Commençons par rappeler quelques principes communément partagés, qui fondent aujourd’hui ce qu’on pourrait appeler la base d’une éducation laïque dans le monde démocratique. Dans tous les pays démocratiques, l’école a pour principale mission de former le citoyen adulte. Elle le prépare donc non seulement à la vie professionnelle mais aussi à son rôle social et politique dans la société. L’école est ainsi devenue, dans la plupart des pays développés, l’instance intermédiaire incontournable entre la socialisation familiale et une intégration plus large dans la société. Mais ici, les différences commencent selon les territoires. Car chaque pays, à travers son système éducatif, met en place un projet d’éducation qui est inévitablement imprégné de sa culture politique. En France, cette culture politique s’exprime surtout à travers le projet rationnel de la nation, affirmé depuis la Révolution française, qui se veut au-dessus des appartenances particulières héritées, qu’elles soient familiales,
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sociales, régionales, religieuses ou culturelles, pour les dépasser dans le projet de l’homme nouveau, le citoyen de la République. 1. DES PRINCIPES HÉRITÉS DES LUMIÈRES…
C’est Condorcet, dans son projet de décret Sur l’Instruction publique de 1792, qui a donné forme à ce projet, en marquant une différence irréductible entre les croire et savoir : les opinions et les croyances relèvent de la liberté individuelle, et l’école doit, pour Condorcet, protéger leur indépendance. Elles ne sauraient donc devenir des contenus d’enseignement pour tous. Or au nombre des opinions, Condorcet comprenait les croyances religieuses. L’école publique ne doit chercher ni à les répandre, ni à les réfuter. C’est l’instruction par la vérité démontrée qui peut selon lui rendre les élèves capables de distinguer par eux-mêmes ce qui relève de la connaissance et de la croyance qui elle, ne se démontre pas. Chacun s’aperçoit que sa croyance n’est pas la croyance universelle ; il est averti de s’en défier ; elle n’a plus à ses yeux le caractère d’une vérité commune ; et son erreur, s’il y persiste, n’est plus qu’une erreur volontaire1.
La laïcité de l’école, selon Condorcet qui ne lui donnait pas ce nom, consistait donc, non pas à enseigner que la croyance religieuse est une erreur, mais à faire perdre l’habitude de croire sans preuve. C’est le seul rempart que Condorcet avait prévu, tout en respectant la liberté des familles, pour écarter le risque de l’asservissement de la raison aux Églises et opinions particulières. Depuis lors, le principe de laïcité, dans la culture politique française, place la liberté de conscience (celle d’avoir ou non une religion) au-dessus de ce qu’on appelle dans certains pays la « liberté religieuse » (celle de pouvoir choisir une religion pourvu qu’on en ait une). En ce sens, la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible la coexistence de toutes les options philosophiques ou religieuses, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare dans les faits. Ces principes issus des philosophes de la raison du XVIIIe siècle et de la Révolution française fondent la singularité de la laïcité française en Europe. En témoigne l’inscription de la laïcité dans la Constitution française : Article premier La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. 1.
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Condorcet, Sur l’Instruction publique, Œuvres de Condorcet, Éliza de Condorcet-O’Connor, Arthur O’Connor, François Arago, F. Gérin et François Isambert, Éd., Paris, Didot, 18471849, vol. VII p. 202.
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Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmée par la Constitution du 4 octobre 1958 : L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État.
Inscrite dans la Constitution, plus exigeante que la seule séparation juridique des Églises et de l’État de la loi du 9 décembre 1905, la laïcité française est plus ambitieuse qu’une simple « sécularisation » des valeurs de fraternité et de respect de son prochain. En effet, elle n’est pas seulement la sécularité des valeurs religieuses destinée à mieux les déployer dans la société civile ellemême. La laïcité est la pierre angulaire du pacte républicain et elle repose sur trois valeurs indissociables, qui permettent la coexistence des religions – car le cadre juridique et politique de la laïcité n’est pas un mode d’opposition aux religions – : la liberté de conscience, la liberté de culte et l’égalité en droit des options spirituelles et religieuses. La liberté de conscience permet à chaque citoyen de choisir sa vie spirituelle ou religieuse. Il n’y a pas de croyance obligée, pas de croyance interdite. La liberté de conscience, c’est la possibilité pour chacun de croire ou de ne pas croire, de pouvoir vivre avec ou sans une religion, de pouvoir même en changer s’il le souhaite. La liberté de culte permet à toutes les religions l’extériorisation, l’association et la poursuite en commun de buts spirituels. Ainsi comprise, la laïcité s’interdit toute approche antireligieuse. L’égalité en droit des options spirituelles et religieuses prohibe toute discrimination ou contrainte et garantit que l’État ne privilégie aucune option. Elle implique l’égalité de tous les hommes, quelle que soit leur option spirituelle, qu’ils croient ou non en un Dieu. Pas plus qu’il ne défend un dogme religieux, l’État laïque ne promeut une conviction athée ou agnostique. La neutralité du pouvoir politique implique qu’il reconnaisse ses limites en s’abstenant de toute immixtion dans le domaine spirituel ou religieux. Pour que chaque citoyen puisse se reconnaître dans la République, la laïcité doit soustraire le pouvoir politique à l’influence dominante de toute option spirituelle ou religieuse, afin que chacun puisse vivre paisiblement dans la société. Cette conception implique également que toutes les religions respectent les lois de l’État et ne considèrent pas qu’elles ont un « droit de veto » sur les décisions prises par celui-ci. Ainsi, l’approche française de la laïcité en fait un principe en droit universel à double titre : c’est un droit liberté qui fonde la liberté de conscience et d’opinion mais c’est aussi un droit créance qui engage l’État à une obligation de neutralité religieuse capable de garantir l’égalité entre tous les citoyens dans l’exercice de la citoyenneté, indépendamment de leurs croyances ou de leur non-croyance religieuse. On peut donc dire que la laïcité en France est plus avancée qu’ailleurs, et c’est pourquoi des voix s’élèvent parfois, qui
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voudraient rabattre sur la norme européenne ce qui serait un anachronisme ou une malfaçon française, en exhortant le mouton noir à s’aligner sur le modèle communautaire. C’est oublier qu’il n’y a pas, en matière de rapport entre enseignement et religion, un seul modèle mais autant de situations que de pays. Prenons quelques exemples. 2. … MAIS DES DÉCLINAISONS VARIABLES SELON LES TERRITOIRES
En Irlande, la Constitution rend hommage à la Sainte Trinité, et, en Grèce, l’Église orthodoxe est d’État. Dans ces deux pays, l’enseignement est de type confessionnel et obligatoire. En Espagne, il est devenu facultatif, mais il s’agit en fait d’une catéchèse dispensée par des professeurs, certes choisis par l’administration publique mais sur une liste de candidats présentés par le diocèse. Au Portugal, malgré le principe affiché de neutralité, l’enseignement de la religion est assuré dans les écoles publiques par l’Église catholique. Au Danemark, où l’Église luthérienne est nationale, il n’y a pas de catéchèse mais, à chaque degré de l’école, existe un cours non obligatoire de connaissance du christianisme. En Allemagne, où l’éducation varie selon les länder, l’enseignement religieux chrétien fait partie des programmes officiels, souvent sous contrôle des églises, et les notes obtenues en religion comptent pour le passage dans la classe supérieure. En Belgique, les établissements d’État permettent le choix entre cours de religion et cours de morale non confessionnelle. Mais puisque nous sommes à Corte, je rappellerai qu’au XVIIIe siècle, trente ans avant la Révolution française, l’avant-garde en la matière était peut-être bien la Corse de Pascal Paoli, dont la fête de la nation est célébrée le 8 décembre, veille de la célébration de l’anniversaire de la loi française de Séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, en vertu d’une curieuse facétie du calendrier. Les historiens de la Corse du XVIIIe siècle ont montré que la Révolution corse du XVIIIe siècle (1729-1769) a élaboré un corps de doctrines novateur à bien des égards : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, concept moderne de nation, démarche constitutionnelle, mais aussi principes de laïcité de l’État. L’étude des textes politiques insulaires du XVIIIe siècle, notamment l’édit de fondation de l’université de 1764, permet de mettre en évidence un certain nombre de traits caractéristiques de la pensée révolutionnaire corse en matière éducative. Citons l’intérêt majeur pour la question de l’éducation, l’insistance sur le rôle du gouvernement en la matière, l’objectif d’un enseignement délivré à l’ensemble de la jeunesse, et pas seulement à la partie d’entre elle se destinant à une carrière cléricale. Ces éléments contrastent largement avec l’attitude génoise, laquelle consistait à laisser la responsabilité de l’enseignement à l’Église, conformé-
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ment à la tradition médiévale. La Corse indépendante de Pascal Paoli n’était pas laïque au sens donné plus tard en France par Jules Ferry, mais les idées politiques développées par les Lumières napolitaines (Giambattista Vico, Antonio Genovesi…) dans lesquelles a baigné son éducation, ont inspiré à ce dernier la conception d’une forme d’éducation placée sous l’autorité de l’État, dans l’intérêt général de la formation du citoyen et des élites, et d’une certaine déprise du pouvoir de l’Église en matière d’enseignement2. Cette modernité se retrouve dans le programme de l’université de Corse ouverte par le gouvernement national en 1765 : l’enseignement du droit naturel et des écrits des « philosophes modernes » en sont l’illustration. Pour Paoli, il ne s’agissait certes pas d’une séparation de l’Église et de l’État. Comme l’a justement relevé M. T. Avon-Soletti, « la Constitution corse repose sur trois fondements : sur une pensée religieuse, le christocentrisme, sur une philosophie politique, le réalisme, et sur une doctrine politique, le courant du droit naturel3 ». Il s’agit plutôt de l’intégration du clergé à l’État. Mais c’est une foi lucide et pratique qui l’inspirait, non une obéissance aveugle aux arrêts d’une divinité seule maîtresse des destinées et de la grâce accordée ou refusée : « Je suis, écrit Paoli, un homme qui sert Dieu comme son père céleste et non comme un esclave à la Cour d’un souverain4 ». L’édit de la fondation de l’université de 1764 mentionne que celle-ci doit « procurer à la jeunesse de notre Royaume, l’avantage public de s’instruire dans l’étude des sciences divines et humaines dans la vue de la rendre plus utile au service de Dieu et de la Patrie ». Et Pascal Paoli refuse de servir une élite héréditaire et pourvue de privilèges, c’est-à-dire à fonder une noblesse en Corse, car Paoli est autant attaché à l’égalité des citoyens qu’à leurs traditions. Cet exemple montre bien que la modernité politique héritée de la fin du e XVIII siècle, en dehors même de la Révolution française, qui en est une cristallisation remarquable, se définit toujours comme une forme d’émancipation du citoyen dont la formation relève de la responsabilité de l’État ; mais les relations entre l’État et l’Église dans ce domaine sont à géométrie variable selon les contextes et les traditions philosophiques. On peut considérer que les différents territoires politiques qui constituent l’Europe d’aujourd’hui ont placé à des points différents le curseur d’un processus commun de sécularisation de l’État et de la formation du citoyen, pouvant aller jusqu’à la laïcisation complète de l’instruction publique ou la séparation des Églises et de l’État. 2. 3. 4.
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Sur ce point, voir J.-G. Talamoni, « La question de l’éducation dans la littérature politique corse du XVIIIe siècle », B. Garnier et P. Kahn [dir.], Éduquer dans et hors l’école. Lieux et milieux de formation. XVIIe -XXe siècle, Rennes, PUR, 2016, p. 245-260. Avon-Soletti, M. T., « Pascal Paoli et la Constitution corse », D. Verdoni, A.-L. Serpentini [Dir.], Pasquale Paoli. Aspects de son œuvre et de la Corse de son temps, Ajaccio, Università di Corsica – Albiana, 2008, p. 71. Cité par J.-M. Arrighi, « Textes théoriques de la révolution corse », ibid., p. 57.
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C’est aussi le poids de l’histoire qui rend compte, aujourd’hui, du principe de la déclinaison locale de la laïcité, au sein même de la République française. La particularité de la laïcité française réside dans le fait que si le principe est très clair, son application concrète varie selon les espaces concernés. La laïcité n’est considérée comme un produit d’exportation ni par Aristide Briand ni par Émile Combes au début du XXe siècle5. C’est pourquoi la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 ne s’applique pas dans les colonies d’alors, devenues aujourd’hui des départements et territoires d’outre-mer, ni dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, qui n’étaient plus français entre 1870 et 1918. En Alsace-Moselle, le droit des cultes est issu du concordat de 1802. Comme sous le concordat, quatre cultes sont reconnus : le culte catholique, les cultes protestants luthérien et réformé, le culte israélite. Ces cultes sont dotés d’organismes ayant la personnalité morale, les établissements publics du culte. En Guyane, le texte en vigueur est l’ordonnance de Charles X du 27 août 1828, et seul est reconnu le culte catholique. Les ministres du culte catholique sont des salariés du conseil général de Guyane. L’évêque a un statut d’agent de catégorie A tandis que les 29 prêtres ont celui de catégorie B. Dans d’autres territoires d’outre-mer, les décrets-lois Mandel de 1939 fondent le droit local : l’Église catholique dispose de trois catégories d’établissement, les fabriques d’église dans chaque paroisse, les menses (épiscopale, capitulaire et curiale) et les séminaires. Les protestants sont organisés en conseils presbytéraux dans chaque paroisse et en consistoires. Le culte israélite est organisé en consistoires départementaux. Ces établissements publics sont sous la tutelle de l’État. En outre, un enseignement religieux est dispensé dans les écoles publiques, ce qui est interdit dans les autres départements français. 3. LA LAÏCITÉ, DE L’ÉCOLE PRIMAIRE AU LYCÉE : UNITÉ ET DIVERSITÉ
Si l’on s’intéresse aux territoires scolaires métaphoriques que sont le premier et le second degré, on constate, au sein même de la France métropolitaine, des différences importantes, héritages du passé. La laïcité de l’école primaire en France s’est construite en réaction contre la mainmise de l’église sur les écoles primaires, affirmée par la loi Falloux de 1850. Jules Ferry établit l’école primaire publique, laïque, gratuite et l’instruction obligatoire (1881-1886), même si « les devoirs envers Dieu » restent présents dans les programmes jusqu’en 1924. Mais ces dispositions ne 5.
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Voir Dimier V. « La laïcité : un produit d’exportation ? Le cas du rapport Combes (1892) sur l’enseignement primaire indigène en Algérie », J. Baudouin et Ph. Portier [dir.], La Laïcité, une valeur d’aujourd’hui ? Contestations et renégociation du modèle français, Rennes, PUR, 2001, p. 65-82.
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concernaient pas le second degré. D’ailleurs, aujourd’hui encore, la plupart des textes qui régissent la laïcité dans le Code de l’éducation concernent le premier degré, d’où proviennent certaines difficultés. Dès son article 2, la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État indique que le principe selon lequel « la République ne reconnaît et ne subventionne aucun culte » ne s’applique pas dans tous les collèges et lycées, où peuvent exister des lieux de culte et des aumôneries (au même titre que dans les hôpitaux, les prisons ou l’armée), qu’ils comportent ou non des internats. Il en existe encore aujourd’hui environ sept cents. Plus près de nous, la Charte de la laïcité instituée par Vincent Peillon en 2013, qui s’impose à l’ensemble des établissements scolaires publics et privés sous contrat, a permis de rappeler les principes de la laïcité pour tous les degrés d’enseignement. La Charte de la laïcité répond à une exigence générale mais aussi à des circonstances particulières liées au contexte de la montée des fondamentalismes religieux, dont certains représentants se sont manifestés pour contester des contenus d’enseignement figurant dans les programmes de l’école et portant, selon eux, préjudice au dogme de leur religion. Depuis les attentats terroristes islamistes perpétrés en France les 7-9 janvier 2015, et ceux, plus récents, du 13 novembre 2015, du 13 juin et du 14 juillet 2016, cette Charte de la laïcité a pris une signification particulière. Le respect de la liberté de chacun de croire ou de ne pas croire et la liberté d’expression sont désormais explicitement intégrés à l’éducation à la laïcité. C’est pourquoi l’un des objectifs de la Charte, énoncé dans les articles 7 et 12, est de rappeler l’importance des programmes scolaires comme culture commune et partagée, et le fait qu’aucun sujet ne peut être exclu du champ du savoir. Il est en outre spécifié que l’école publique ne privilégie aucune doctrine et qu’elle est guidée par l’esprit de libre examen, ayant pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes lui permettant d’exercer librement ses choix. De même, il est rappelé, dans le sillage de la loi de 2004, que le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. On voit, d’après le début de cet article, que la Charte de la laïcité s’inscrit dans la tradition française de l’instruction, tirée des Lumières. Elle n’est pas un texte de loi et elle ne dit rien de véritablement nouveau, mais c’est un rappel solennel à l’attention de l’ensemble de la communauté éducative, qui peut aider les enseignants à faire leur travail : transmettre des savoirs et des savoir-faire aux élèves, dans une société démocratique où la liberté de conscience doit être respectée, et la liberté de jugement formée. Il découle aussi de cette charte que la France récuse l’idée d’une formation des minorités spécifiquement adaptée aux cultures d’origine, pour des raisons expliquées plus haut, qui tiennent à son histoire politique : au sens juridique,
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notre droit ne connaît pas le droit des minorités ethniques. Si les populations immigrées n’ont pas le droit de recevoir une éducation exclusivement adaptée à leur origine culturelle, elles bénéficient du droit commun à l’éducation que dispense l’école de la République à tous les enfants résidant sur son sol et elles peuvent prétendre à l’enseignement des langues et cultures d’origine6. Mais ce droit commun à vocation universaliste ne va plus de soi, aujourd’hui. Il entre en conflit avec la réalité sociale de l’immigration : non seulement, les enfants de l’immigration ont peine à reconnaître, dans « nos ancêtres les Gaulois », une histoire universelle ou tout au moins commune dans laquelle ils pourraient inscrire leur propre histoire, mais la concentration des populations immigrées dans les quartiers périurbains défavorisés crée des phénomènes de conflit entre communautés ethniques. L’ethnicisation des représentations sociales, dont les populations immigrées sont l’objet, entre en tension avec la mission traditionnellement assimilatrice de l’école républicaine. 4. LA LAÏCITÉ À L’UNIVERSITÉ AUJOURD’HUI
Si l’université française est un espace public d’intérêt général, à l’instar des établissements scolaires primaires et secondaires, elle bénéficie d’une sorte de franchise à l’égard de l’expression et de la circulation des idées et des opinions. La recherche de la vérité scientifique y coexiste avec le respect de la diversité des opinions et des croyances. En particulier la production du savoir, qui est l’une des missions de l’université, nécessite une protection de l’État qui ne peut intervenir en qualité de prescripteur. L’histoire montre que les gouvernements autoritaires ont toujours cherché à limiter la production des connaissances qui étaient contraires à leur maintien au pouvoir, tandis que les promoteurs de la démocratie ont toujours affirmé la nécessité de garantir une forme d’indépendance de l’université vis-à-vis de tout pouvoir, non seulement pour respecter la liberté d’opinion des étudiants et de leurs professeurs, mais aussi pour favoriser le développement des sciences, la liberté de penser de ceux qui sont chargés de produire des connaissances nouvelles et de les transmettre. Relisons Condorcet : Aucun pouvoir public ne doit avoir ni l’autorité, ni même le crédit, d’empêcher le développement des vérités nouvelles, l’enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés7.
6. 7.
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ELCO. Condorcet N. de -, Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’Instruction publique, présentés à l’Assemblée Nationale, au nom du Comité d’Instruction publique, par Condorcet les 20 et 21 avril 1792, Paris, Imprimerie nationale, 1792, p. 5.
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C’est pourquoi les programmes d’enseignements universitaires sont aujourd’hui d’abord conçus par les universitaires eux-mêmes avant d’être soumis à l’habilitation du ministère8, alors que les programmes de l’enseignement primaire et secondaire sont promulgués par le ministre et doivent être appliqués par les enseignants sous le contrôle des corps d’inspection. Il faut ajouter à cette différence historique entre l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur que ce dernier accueille des publics adultes qui sont réputés aptes à exercer leur liberté de conscience et de culte, sans devoir être protégés comme des jeunes mineurs contre l’exhibition de signes religieux. Il n’en demeure pas moins vrai qu’à l’université, de la même façon que dans tout autre espace public, toute pression sur autrui, toute tentative d’emprise morale, religieuse, philosophique, porterait atteinte au principe constitutionnel de la laïcité. C’est pourquoi le Code de l’éducation rappelle dans des termes clairs que « le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique9 ». Des constats précédents, il résulte que les tensions nouvelles dont l’université est souvent le théâtre, telles que des revendications communautaristes voire fondamentalistes, le plus souvent à caractère religieux, parfois assorties de thèmes agressifs et haineux, mettent les présidents d’université en première ligne. En l’absence de règles précises instituées par le législateur dans l’enseignement primaire et secondaire, où la question de la réglementation du port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse est strictement établie, les présidents d’université peuvent rester démunis dans un contexte qui demeure principalement encadré par la seule jurisprudence10. Les chargés de mission laïcité des universités ont à cet égard la responsabilité d’informer tous les membres de la communauté universitaire, en particulier les étudiants, à propos des principes généraux et des modalités d’application de la laïcité dans l’enseignement supérieur, et de conseiller, le cas échéant, cette communauté. CONCLUSION
Aujourd’hui, la laïcité n’est plus, comme en 1880 ou en 1905, un moyen d’éviter que la nation se déchire dans une lutte des classes fratricide, catholiques ennemis de la Révolution d’un côté, communistes révolutionnaires anticléri8. Selon le principe du monopole de la collation des grades hérité de Napoléon 1er. 9. Article L141-6. 10. C’est pourquoi la Conférence des présidents d’université a publié un guide réédité en 2015, intitulé La laïcité dans l’enseignement supérieur.
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caux de l’autre, mais plutôt un moyen de créer le lien social menacé par des conflits d’une autre nature. Car la laïcité est devenue aujourd’hui incompréhensible à des jeunes endoctrinés par des mouvements religieux radicaux qui voient en elle un instrument de destruction de la religion, une arme de guerre contre la croyance. Historiquement outil privilégié de l’émancipation, la laïcité est perçue, dans nombre de quartiers déshérités, comme l’instrument d’un rejet et d’une ségrégation de certaines catégories de la population, et il faut bien reconnaître que ces franges de la population sont victimes d’une stigmatisation permanente, qui s’affiche trop souvent sur les murs de la Corse, le long des routes ou dans la ville de Bastia. Confrontée au refus de chanter Imagine en arabe d’un côté, au refus de respecter la minute de silence de l’autre, l’école n’est pas un espace protégé des tensions du monde et du temps. Face à ces détournements, à ces retournements, les enseignants sont désemparés. Leurs collègues universitaires ne le sont pas moins. Or pour que l’école demeure un espace de socialisation, où chacun se sente égal en dignité, et un espace de construction de l’identité de la personne et du futur citoyen, il semble nécessaire qu’elle soit le lieu où se forge une culture commune, conçue non plus comme un arbitraire culturel imposé par la classe dominante (comme l’ont dénoncé en leur temps Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron11), mais comme un socle à partir duquel chacun pourra bâtir son destin, en fonction et en pleine conscience de ses origines, dans un monde complexe. Cette culture commune qui se confondait, à l’école de la IIIe République, avec l’amour de la patrie et de ses valeurs, est aujourd’hui l’objet d’une construction par la connaissance et le respect de l’autre et de ses différences. Si l’école a toujours pour mission de donner accès à des valeurs universelles, il y a plusieurs façons d’accéder à l’universel. L’extraction de valeurs propres à la commune humanité à partir de la richesse des différences humaines et de la diversité des cultures et des territoires relève du travail de l’école et de l’université d’aujourd’hui, et fonde le nouveau paradigme de l’égalité en droit. Pour reprendre le titre de la journée du 14 décembre 2016 à l’université de Corse, « Vivre ensemble avec nos différences », ce n’est pas « Vivre ensemble malgré nos différences ». Le mot « avec » signifie que nos différences sont une richesse partagée, une base pour nous connaître comme différents, pour reconnaître notre diversité et pour construire, sur cette base, une culture commune partagée.
11. Bourdieu P. et Passeron J.-.C., La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970.
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BIBLIOGRAPHIE Arrighi J.-M., « Textes théoriques de la révolution corse », D. Verdoni et A.-L. Serpentini [dir.], Pasquale Paoli. Aspects de son œuvre et de la Corse de son temps, Ajaccio, Università di Corsica – Albiana, 2008, p. 42-59. Avon-Soletti M. T., « Pascal Paoli et la Constitution corse », D. Verdoni et A.-L. Serpentini [dir.], Pasquale Paoli. Aspects de son œuvre et de la Corse de son temps, Ajaccio, Università di Corsica – Albiana, 2008, p. 60-81. Bourdieu P. et Passeron J.-.C., La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970. Condorcet N. de -, Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’Instruction publique, présentés à l’Assemblée Nationale, au nom du Comité d’Instruction publique, par Condorcet les 20 et 21 avril 1792, Paris, Imprimerie Nationale, 1792. Condorcet N. de -, « Sur l’Instruction publique », Œuvres de Condorcet, É. de CondorcetO’Connor, A. O’Connor, F. Arago, F. Gérin et F. Isambert, Éd., Paris, Didot, 1847-1849, vol. VII. Conférence des Présidents d’Université, Guide. La laïcité dans l’enseignement supérieur, CPU, septembre 2015. Dimier V. « La laïcité : un produit d’exportation ? Le cas du rapport Combes (1892) sur l’enseignement primaire indigène en Algérie », J. Baudouin et Ph. Portier [dir.], La Laïcité, une valeur d’aujourd’hui ? Contestations et renégociation du modèle français, Rennes, PUR, 2001, p. 65-82. Garnier B., Figures de l’égalité : Deux siècles de rhétoriques politiques en éducation (17501950), Bruxelles, Academia Bruylant, Coll. Thélème, 2010. Talamoni J.-G., « La question de l’éducation dans la littérature politique corse du XVIIIe siècle », B. Garnier et P. Kahn [dir.], Éduquer dans et hors l’école. Lieux et milieux de formation. XVIIe–XXe siècle, Rennes, PUR, 2016, p. 245-260.
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2 C H A P I T R E
La laïcité et la bibliothèque universitaire de l’université de Corse Pasquale Paoli
Theodora Balmon, conservatrice des bibliothèques et Jacky Le Menn, directeur adjoint de la bibliothèque de l’université de Corse
INTRODUCTION
Les “journées de la laïcité” organisées au sein de l’université permettent de questionner régulièrement ce concept problématique dans sa définition et sa mise en œuvre mais essentiel à notre fonctionnement politique. La bibliothèque universitaire s’est volontairement inscrite comme partenaire de l’événement. Si la laïcité fait partie de l’histoire et de l’ADN des bibliothèques il a fallu au-delà des principes en penser les modalités d’application concrètes. 1. LA LAÏCITÉ, VALEUR CONSTITUTIVE DE LA BIBLIOTHÈQUE
C’est donc tout naturellement et avec grand plaisir que la bibliothèque de l’université de Corse Pascal Paoli a accueilli les ateliers de la journée de la laïcité le 14 décembre 2016. Avec plaisir car l’ouverture à la connaissance et au débat d’idée est au centre de notre projet. Naturellement car le fait laïc est au cœur de l’identité et de la culture des bibliothèques. Ceci n’a pas toujours été le cas, comme pour l’enseignement, les bibliothèques européennes sont apparues dans le giron des institutions catholiques, cette réalité se retrouve notamment dans les collections patrimoniales pour
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une grande part religieuses. Aujourd’hui, leurs fonds documentaires se doivent d’être pluralistes et de refléter la diversité de la société (Charte des bibliothèques adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques en 1992, article 3) : Les collections des bibliothèques des collectivités publiques doivent être représentatives, chacune à son niveau ou dans sa spécialité, de l’ensemble des connaissances, des courants d’opinion et des productions éditoriales. Elles doivent répondre aux intérêts de tous les membres de la collectivité à desservir et de tous les courants d’opinion, dans le respect de la Constitution et des lois. De même, en tant que service public, elles sont ouvertes à tous sans distinction. L’ABF (Association des bibliothécaires français) le précise dans sa Charte du droit fondamental des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs par les bibliothèques. Les bibliothèques servent l’ensemble de la population sans considération d’âge, d’apparence physique, d’ethnie, de nation, de race, de religion, d’état de santé, d’identité ou d’orientation sexuelle, de situation de grossesse ou de situation de famille, de handicap, de patronyme, de sexe, d’activité syndicale, de caractéristique génétique, de mœurs, d’opinion politique, d’origine, de niveau scolaire ou de diplômes […].
L’institution et ses agents se doivent d’adopter un comportement neutre. Au sein de ses espaces publics elle se doit également de faire respecter une neutralité de comportement de la part de ses usagers en proscrivant tout prosélytisme et toute privatisation d’espaces au profit de certains groupes. Si ces deux principes (constitution des collections et règles de conduite) apportent les bases d’un fonctionnement en accord avec les principes laïcs, ils ne suffisent pas à promouvoir la laïcité dans une démarche dynamique. La sénatrice Sylvie Robert dans son rapport d’octobre 2015 invite les bibliothèques à « intensifier [leurs] missions au service de la citoyenneté » pour devenir « le lieu dont s’emparent les citoyens et où vit la démocratie ». Cette démarche proactive demande la mise en œuvre d’actions concrètes. En organisant des programmes de formation à la recherche documentaire qui mettent l’accent sur la fiabilité de l’information elles participent par exemple au développement d’une citoyenneté éclairée apte à déjouer les pièges de la manipulation et de la désinformation. Les bibliothèques imaginent également de nombreux projets qui s’inscrivent dans le cadre de l’action culturelle. Certaines bibliothèques abordent directement le sujet comme par exemple la BNF (Bibliothèque nationale de France) qui met en place une exposition itinérante sur la problématique de la laïcité ou la BPI (Bibliothèque publique d’information) un cycle de conférences. Mais des projets d’action ou animation culturels peuvent aussi jouer un autre rôle positif en créant un espace de débat et de confrontation d’idées plus périphérique et moins sujet à polémique. Comme le précise le rapport de
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l’IGB (Inspection générale des bibliothèques), Laïcité et fait religieux dans les bibliothèques publiques, dirigé par Françoise Legendre (2016), la bibliothèque s’inscrit alors comme un lieu du lien, de la parole et de la rencontre. L’intolérance trouve de puissants alliés dans les replis communautaires et la rupture de dialogue qui l’accompagne. En s’inscrivant comme un lieu commun et, plus encore, en favorisant des modes de fonctionnement participatifs mettant en situation de collaboration les usagers d’un territoire, la bibliothèque travaille à l’approfondissement des liens sociaux et au plaisir de vivre ensemble. 2. LA LAÏCITÉ, VALEUR ACTUELLE DE LA BIBLIOTHÈQUE
Ainsi, les bibliothèques, dépositaires du patrimoine et de la culture en train de se faire, accueillant des publics diversifiés, sont à la fois des espaces propices à la réflexion sur et des laboratoires d’expérimentation de la laïcité. Ce rôle des bibliothèques pour la laïcité et ses enjeux a été réaffirmé récemment. En mars 2015, un extrait du communiqué de presse du ministère de la Culture, dans le contexte de la mission d’évaluation des bibliothèques publiques et de leur rôle au sein de la société, en précise les grandes lignes. Dans une société confrontée à la remise en cause des valeurs de liberté, de tolérance et de laïcité, les bibliothèques ont un rôle central à jouer. Symboles de la liberté de pensée et de publication, ce sont des lieux de partage, des espaces de rencontre, de débat et de dialogue, dépositaires de la mémoire d’un peuple et de la diversité de ses points de vue. Le rôle des bibliothèques au service de l’échange et de la tolérance doit être plus que jamais souligné et encouragé, en leur permettant notamment de toucher un public toujours plus large1.
Le rapport de l’IGB cité plus haut réexamine les notions de la laïcité, son application juridique dans la société en général et dans la fonction publique en particulier et ses implications en termes socioculturels (la formation des agents, l’élaboration des collections, l’accueil des publics). En réalité, cet engagement laïc n’a jamais cessé. Nous l’avons déjà dit, la laïcité apparaît en fait constitutive des principes fondateurs des bibliothèques publiques. Néanmoins, si son application n’a jamais été simple, l’époque nous conduit à la prendre en compte dans une complexité nouvelle. Les principes généraux de la politique documentaire de la bibliothèque de l’université de Corse Pascal-Paoli vont dans ce sens évoquant pluridisciplinarité, culture générale et pluralisme. La charte de politique documentaire 1.
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Ministère de la Culture, Communiqué de presse, 2015, http://www.culturecommunication. gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Fleur-Pellerin-confie-a-Sylvie-Robert-une-missionportant-sur-l-adaptation-des-horaires-d-ouverture-des-bibliotheques. Consulté le 11/02/2017.
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adoptée en 2014 stipule en effet qu’« adossé au développement d’une université pluridisciplinaire, le SCD (Service commun de la documentation) veille à la constitution de collections couvrant l’ensemble des disciplines déployées mais aussi au soutien de la culture générale. » et également que « le choix des publications respecte le pluralisme des opinions, sauf si celles-ci contreviennent à la législation en vigueur dans ce domaine ». Cette charte de politique documentaire de notre université fait écho au corpus bien vivant en la matière de chartes institutionnelles, nationales, internationales (la charte de l’Unesco pour les bibliothèques, la charte du Conseil supérieur des bibliothèques, le code de déontologie de l’ABF, etc.), cimentant le socle de la laïcité en bibliothèque – sans mentionner l’assise du droit. Ce socle de la laïcité est une base solide pour l’orientation de la politique documentaire des bibliothèques. Pour autant, cela n’élimine pas les obstacles à la réalisation d’une politique documentaire laïque. 3. UNE APPLICATION – PAS SI SIMPLE – DE LA LAÏCITÉ LA PLURALITÉ DES COLLECTIONS
D’aucuns font remarquer que la dépendance forte à l’égard de la production éditoriale contrarie quelque peu l’idéal d’une part de la représentativité de toutes les diversités, d’autre part de la neutralité des opinions dans la constitution des collections. Les bibliothèques ne pourraient alors prétendre qu’à la mise en œuvre d’une certaine pluralité en fonction des ouvrages disponibles dans un environnement éditorial donné. La question de la neutralité s’articule assez mal avec les impératifs de constitution des collections, dans la mesure où ce principe n’est guère appliqué dans la sphère éditoriale : dans ce domaine comme en tout autre, on sait que les choix opérés dans les acquisitions forcent les professionnels à sélectionner des publications elles-mêmes partisanes, mais dans le souci d’équilibrer par leur diversité la représentation d’expressions contradictoires. À vrai dire, la neutralité religieuse ne devrait pas intervenir ici : elle préside aux rapports avec les usagers, qu’on ne saurait discriminer sur le fondement d’interdits religieux, comme à l’évaluation des agents que leur obligation de réserve met à l’abri de jugements extra-professionnels – mais il est illusoire de l’invoquer dans l’exercice des missions documentaires, puisque par nature celles-ci nous réclament de savoir confronter avec pertinence, avec assez d’ouverture et d’impartialité, des sources radicalement divergentes2.
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Huchet, B., « Point de vue sur… bibliothèques publiques et religions », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2016, n° 9, p. 104-112, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2016-09-0104-011. Consulté le 11/02/2017.
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LA POSTURE DE L’ACQUÉREUR
La question de la neutralité du bibliothécaire est sans doute plus délicate en bibliothèque de lecture publique où la sélection des ouvrages n’est pas orientée par des thématiques précises, comme par exemple en université, pour l’enseignement et la recherche. Dans cette situation, l’acquéreur est confronté aux domaines particulièrement sensibles que sont la religion, le sexe, la caricature et la bande dessinée « adulte ». Pour l’acquéreur, il ne s’agit pas d’éviter le surgissement des mécontentements, désaccords, polémiques parmi les usagers, les politiques, voire les collègues. Outre les cas de censure ou de propagande patentés encore frais dans les mémoires3, l’acquéreur doit encore être vigilant quant à l’éventualité de ses propres pratiques d’autocensure. En tant que garant de la qualité et de la diversité des collections, la mission de l’acquéreur est plutôt de… … sélectionner, sans censurer ni valider tel ou tel courant d’opinion, en apportant des pièces majeures rendant possible la réflexion, afin de répondre aux attentes du public et lui permettre d’élaborer son propre jugement4.
On le voit, ici, la pluralité ne signifie pas l’absence de sélection mais bien la capacité à donner à voir les divers courants de pensée « pourvu qu’ils soient d’une bonne tenue et n’aillent pas à l’encontre des valeurs républicaines et démocratiques5 ». En bibliothèque universitaire, on pourrait penser que le rôle de l’acquéreur est moins périlleux. On l’a vu, il peut s’appuyer sur les disciplines enseignées et les orientations de la recherche de son université. Cela ne suffit pas, néanmoins, pour garantir la laïcité et l’exempter des problématiques qui y sont liées. Ainsi, par exemple, le Cadist (Centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique) de sciences religieuses de Strasbourg fut l’objet de moult critiques et remous en son temps. Il ne manque pas de voix, en effet, y compris dans la profession, pour contester l’intérêt de ce Cadist, au motif que les sciences religieuses ne
3.
4. 5.
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On se souvient notamment de la situation « entravée et instrumentalisée » des bibliothèques d’Orange et de Marignane, à la fin des années 1990, alors que le Front national prenait les rênes du pouvoir dans ces deux municipalités ; ou encore du tollé suscité par les ouvrages créationnistes chez les uns et par ceux remettant en question le genre chez les autres. Duquenne, I., Éboli, G. et Vanderhaegen, J., « Au regard des collections », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2015, n° 5, p. 72-77, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-201505-0072-007. Consulté le 11/02/2017. Ibid.
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seraient pas, en France, une discipline universitaire de plein droit, du fait de la tradition de laïcité de l’enseignement public6.
Outre ce cas bien spécifique de fonds en sciences religieuses, l’acquéreur en bibliothèque universitaire doit exercer sa mission de sélection pluraliste pour les différentes disciplines universitaires. Il doit de plus tenir davantage compte de la production éditoriale étrangère pour ce qui relève de la documentation de niveau « recherche », notamment, soit autant de territoires où la laïcité peut exister – ou peut-être pas - de manière très différente du schéma français. LA CLASSIFICATION DE LA CONNAISSANCE
Si la production éditoriale restreint l’idéal de neutralité et de pluralité, le système de classification a également un impact conséquent sur la représentativité des collections. Dans la mesure où elle résulte nécessairement d’une tentative de mise en ordre du monde, l’organisation des connaissances est le reflet d’une pensée philosophique, épistémologique et même cognitive, dans un espace culturel donné, à un moment donné. La classification Dewey, largement utilisée dans les bibliothèques occidentales en particulier – dans la nôtre - et du monde entier en général, a été développée en 1876 par Melvil Dewey, un bibliographe américain. Ce système relève d’une « filiation revendiquée entre Dewey et Bacon, qui peut être reconstituée sans trop de zones d’ombre ; une figure de la continuité, si l’on veut, dans la culture occidentale7 ».
Cette classification a naturellement évolué. Elle est parfois très adaptée. Toutefois, elle reflète une vision de l’univers et soulève quelques critiques quant à une représentation universelle et actuelle. On constate entre autres que « Christianity is privileged in the Religion class » (le christianisme est privilégié au sein de la classe Religion)8. L’auteur poursuit plus loin dans ce sens. Dewey’s classification scheme is both dominating and enabling. It enables users to access documents without mediation but it imposes on users the necessity of ‘understanding’ and searching through knowledge in documents from within its particular viewpoint. (Le projet de la classification Dewey est à la fois dominant et habilitant. Il permet à l’usager d’accéder
6. 7.
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Bosc, S., « Le cadist de sciences religieuses de Strasbourg », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2003, n° 6, p. 38-47, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2003-06-0038-007. Consulté le 11/02/2017. Menon, B., Organisation des connaissances et pensée baroque : résurgence ou influences ?, 16e Congrès de la SFSIC, Les sciences de l’information et de la communication : affirmation et pluralité, Juin 2008, Compiègne, France. <halshs-00647491>, https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-00647491/document. Consulté le 11/02/2017. Rafferty, P., The Representation of Knowledge in Library Classification Schemes, Knowledge Organization, 180-191, 2001.
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à la documentation sans médiation mais il lui impose de comprendre et de chercher à travers la connaissance depuis ce point de vue particulier)9. LA CONFIDENTIALITÉ DES EMPRUNTS
« Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es ». Les lectures de nos concitoyens sont susceptibles d’intéresser un grand nombre d’acteurs politiques, économiques, religieux… Les bibliothèques sont traditionnellement des lieux d’observation des usages culturels et collectent et établissent de nombreuses statistiques. Néanmoins, la confidentialité des informations sur les lecteurs et leurs emprunts et consultations fait partie intégrante de leur déontologie. Tous les renseignements sont systématiquement anonymisés. Par ailleurs, selon la norme simplifiée NS-009 de la CNIL (Commission nationale informatique et liberté) les données enregistrées concernant l’emprunteur et ses emprunts ou consultations de documents « sont conservées pendant la durée d’utilisation du service de prêt (la radiation intervient d’office dans un délai d’un an à compter de la date de fin du prêt précédent) » (CNIL, norme simplifiée NS-009). Aux États-Unis, rappelle Anne-Marie Bertrand, le projet affirmé de protéger la liberté d’information et de recherche des lecteurs a été instauré dès 1940 par les bibliothécaires américains de l’ALA (American Library Association) au travers du « Intellectual Freedom Committee » (Comité de la liberté intellectuelle)10. Ce comité s’est « d’abord appelé d’un nom plus explicite : le “comité de la liberté d’information pour protéger les droits des usagers des bibliothèques à la libre investigation”11 » (Committee on Intellectual Freedom to Safeguard the Rights of Library Users to Freedom of Inquiry). Cette question-là est toujours épineuse si l’on considère, hier, aux États-Unis le maccarthysme, ou aujourd’hui, un peu partout, la tentation dite « sécuritaire ». Un ouvrage récent (2014) alerte sur le sujet et expose comment des lois telles celles du USA Patriot Act ou Homeland Security Act ou encore Digital Millenium Copyright ACT (CDMA) menacent la liberté d’accès à l’information ou permettent l’ingérence des pouvoirs politiques dans la gestion des collections ou la collecte de données sur les usagers12.
9. Ibid. 10. Bertrand, A.M., « Les bibliothèques sont filles des Lumières. Quoique… ». Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2015, n° 5, p. 44-52, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-201505-0044-005. Consulté le 11/02/2017. 11. Ibid. 12. Jaeger, P.T., Gorham, U., Bertot, J.-C., Sarin, L.C., Public Libraries, Public Policies, and Political Processes : Serving and Transforming Communities in Times of Economic and Political Constraint, Rowman & Littlefield Publishers, 2014.
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4. UNE MÉDIATION – COMPLEXE – DE LA LAÏCITÉ LES BIBLIOTHÈQUES DÉGRADÉES OU INCENDIÉES
Que les bibliothèques soient des lieux symboliques de la laïcité paraît une évidence tant aux yeux des bibliothécaires que de ceux des décideurs des politiques publiques. D’une part, leur réseau constitue un maillage dense et structuré sur l’ensemble du territoire, des grandes métropoles aux zones rurales plus isolées. D’autre part, comme le rappelle la sociologue Cécile Rabot, les « bibliothèques affichent la plus forte fréquentation de toutes les institutions culturelles13 », même si celle-ci reste largement inférieure à celle constatée dans les pays anglo-saxons et les pays du Nord de l’Europe. Pourtant, selon certains observateurs, la démocratisation de l’accès au savoir est encore marquée du sceau de l’inachèvement. Les études montrent que les publics des bibliothèques sont composés en majorité des catégories sociales familières du patrimoine culturel. Plus d’un demi-siècle après l’instauration par André Malraux du principe du contact direct avec l’œuvre et la culture une bonne part de la population reste pourtant éloignée des musées ou des bibliothèques. Pour Cécile Rabot, « il ne suffit pas qu’une offre soit présente à proximité, gratuite et physiquement accessible pour qu’elle soit connue, reconnue et utilisée14 ». Dans son discours d’accueil de la journée d’étude du 9 septembre 2005 intitulée « Lire ensemble, vivre ensemble. Bibliothèques et laïcité. » organisée à la BPI (Bibliothèque publique d’information), le directeur d’alors, Gérald Grunberg se demandait s’il « suffit d’inscrire la devise de la République (qui d’ailleurs ne mentionne pas la laïcité) aux frontons de nos bibliothèques pour que tout aille bien ? ». Il soulignait que l’établissement « n’a pas été épargné en 2003 et 2004 par la flambée des actes antisémites (inscription dans les ouvrages) et que régulièrement nous sommes confrontés à des lecteurs qui ne comprennent pas qu’on leur demande de ne pas déplier leur tapis de prière dans l’enceinte de la bibliothèque ». Denis Merklen15 recensait 70 faits connus de bibliothèques incendiées entre 1996 et 2013. Il notait en particulier plus de 20 bibliothèques incendiées lors des émeutes de l’automne 2005 dans les banlieues qualifiées de « sensibles ». Pour le chercheur, il s’agit de tenter de voir dans « ces cailloux et ces cocktails Molotov » les « messages que nous envoient les classes populaires ». Cela n’est pas l’objet de ce court texte. Cependant ces actes d’agression à l’égard des bibliothèques montrent de manière significative la rupture qui 13. Rabot, C., « Les médiathèques pour tous ? », Informations sociales, 2015, n° 190, p. 106-114. 14. Ibid. 15. Merklen, D., Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?, Presses de l’Enssib, 2013.
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peut exister entre ces lieux ainsi considérés comme des représentants de l’institution et leurs publics. Dès lors, les plus belles œuvres, les techniques les plus innovantes, les meilleures intentions ne seront pas suffisantes. Les messages produits par les bibliothèques, sous quelque forme que ce soit, et dont auraient besoin en priorité ces publics-là justement, n’auront sans doute pas l’effet escompté. LA MÉDIATION CULTURELLE, ENTRE SAVOIRS ET POUVOIRS
La médiation, terme polysémique, recouvrant des réalités multiples, s’est considérablement développée dans le champ et sous l’impulsion de l’institutionnel et du légitime, participant de ce fait « à une réalité normée16 » et découlant au fil des décennies sur une professionnalisation des processus. Ainsi « la médiation sociale rassemble un certain nombre de professionnels engagés, unis autour de valeurs communes telles que la citoyenneté, la solidarité et le vivre ensemble17 ». Cette assertion de 2007, tout aussi pertinente aujourd’hui, met bien en relief les attentes fortes portées par le « paradigme18 » de la médiation. Les injonctions ministérielles faites en 2016 aux bibliothèques d’œuvrer à la laïcité en témoignent. Dans le cadre de la médiation culturelle enfin, la définition institutionnelle lui ajoute les dimensions éducatives et récréatives19.
La prise en compte des dimensions éducatives et récréatives est certainement un moteur de la transformation des institutions culturelles. Les musées dits « vitrines » étaient focalisés sur l’objet classé, étiqueté, restauré, conservé, dont l’histoire, l’esthétisme, le sens sont exclusivement accessibles au connaisseur ou tout au moins à celui possédant les codes, académiques et culturels. Un tournant s’opère à partir des années quatre-vingt-dix quand les publics, la réception des œuvres et savoirs par ces publics, plus avant encore la co-construction de la connaissance avec les publics deviennent le centre des préoccupations des concepteurs. Des services dédiés à l’accueil du public, voire à la pédagogie se développent au sein des musées. Les sciences cognitives et sémiotiques, entre autres, sont convoquées pour penser la mise en forme, la mise en espace, la mise en scène, le scénario, la narration. Si la mise en forme médiatique préoccupe toujours le communicateur de connaissances, c’est essentiellement dans le but de déterminer quel type 16. Rouzé, V., « Médiation/s : un avatar de la communication ? », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010/2 (Dossier 201), p. 71-87. 17. « Guide d’évaluation de l’utilité sociale de la médiation sociale, » Cahiers pratiques Hors séries, éditions du C.I.V, 2007, cité par Rouzé, V., Ibid. 18. Rouzé, V., « Médiation/s : un avatar de la communication ? », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010/2 (Dossier 201), p. 71-87. 19. Ibid.
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d’organisation de signes il lui faut mettre en place pour solliciter tel ou tel effet cognitif20.
Les bibliothèques connaissent un recentrage de même sorte des collections vers les publics. Cette tendance s’est d’autant plus renforcée qu’elles ont multiplié et diversifié les manifestations culturelles (festivals, expositions, salons, conférences…), sans toutefois, peut-être, accompagner le mouvement d’une réflexion cognitive aussi systématique que celle pratiquée dans les musées. Dans le cas du musée ou de la bibliothèque, il y a inversion des médiations traditionnelles. Du livre et plus globalement de l’œuvre médiateur, nous passons à la médiation du livre et de l’œuvre21.
Cette inversion des médiations, le contact direct avec le livre, l’œuvre n’étant plus le moyen unique de la dimension éducative, voire récréative, cette inversion entraîne un accroissement à la fois des responsabilités et des pouvoirs des concepteurs. La connaissance des collections, du patrimoine, des arts, de l’organisation des savoirs, celle des technologies demeurent certes des fondations pour construire une médiation. À cela s’ajoute l’impératif de s’appuyer sur les sciences, celles du signe et de la cognition en particulier, et naturellement celle des publics. Au final, les prérogatives des médiateurs se trouvent amplifiées, d’une part par la possibilité de la sélection des œuvres, au moins subjective, d’autre part par la conception de la médiation nourrie de ces connaissances, conception inévitablement particulière. L’INTÉGRATION PAR LA MÉDIATION CULTURELLE, UN MYTHE ?
Au-delà, des chercheurs s’intéressent aux ressorts idéologiques et politiques de la médiation qui seraient de « penser le rapport de la culture avec les publics que ce soit en termes de transmission ou de communication22 ». La médiation culturelle aurait pour rôle primordial d’encourager la mixité et la diversité des publics et d’être un facteur de régulation sociale. Un écueil délicat auquel se confronte une telle politique est de parvenir à capter les publics, en particulier ceux qui seraient « non désireux de développer cette éducation23 », ou encore ceux qui s’inscriraient contre cette éducation et contre ses représentants, comme nous l’avons vu plus haut. Les chercheurs invitent les médiateurs à s’interroger sur le concept de culture dont ils sont peu ou prou le « reflet ». Cette condition est essentielle
20. Verhaegen, P., « Un dispositif de médiation des savoirs en plein essor » (Dossier), Médiamorphoses, n° 9, 2003, p. 55-59. 21. Rouzé, V., « Médiation/s : un avatar de la communication ? », op. cit. 22. Dufrêne, B., Gellereau, M., « De la médiation culturelle aux médiations culturelles : enjeux professionnels ». Hermès, 2004, p. 199-206. 23. Ibid.
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pour pouvoir élaborer des politiques de médiation, avec une intentionnalité assumée, des visées définies, pour des publics connus. La capacité à la distance conceptuelle et critique ainsi qu’à l’analyse des politiques et stratégies de médiation est importante comme fondement de la recherche, et pour la formation de futurs concepteurs de projet ou médiateurs aptes à interpréter des mondes différents et à concevoir des stratégies24.
Pour autant, si la prise de distance et l’aptitude à façonner des politiques de médiation sont des atouts capitaux, il ne faut sans doute pas s’illusionner sur l’obtention de résultats qui risquent de s’avérer laborieux et quelque peu partiels. Car le mythe du rassemblement et de l’intégration par la médiation culturelle se heurte dans de nombreuses agglomérations à la fragmentation du public en fonction de ses intérêts culturels et sociaux25.
À l’université, le public des bibliothèques est supposé davantage « captif » car il rassemble pour une bonne part des étudiants pour lesquels les collections sont enrichies. Il reste toutefois du registre des bibliothèques de pouvoir proposer des œuvres et savoirs moins prescrits, peut-être moins académiques, et de susciter de nouvelles approches culturelles. CONCLUSION : DE LA BIBLIOTHÈQUE LAÏQUE À LA BIBLIOTHÈQUE MULTICULTURELLE ?
On le voit, les bibliothèques sont des acteurs majeurs de la laïcité, bénéficiant d’un maillage dense sur le territoire, de compétences en termes d’accueil des publics différenciés, de savoir-faire en matière de constitution de collections, de dissémination et de transmission des savoirs. Elles se sont dotées de chartes et de textes déontologiques, résultant des réflexions menées en leur sein sur le sujet et affirmant, réaffirmant leur engagement – originel – pour faire vivre cette valeur fondamentale. À cet égard, certains observent que les faits religieux sont le plus souvent cités sur le mode défensif dans les textes français alors que l’on trouve au plan international une argumentation en faveur d’une diversité culturelle plus inclusive du fait religieux. Ainsi, le Manifeste sur la bibliothèque multiculturelle de l’IFLA (International Federation of Library) considère « “la dimension spirituelle” et “les croyances” comme éléments constitutifs d’une “culture’’ elle-même patrimoine mondial de l’humanité26 » et « incite les bibliothèques 24. Ibid. 25. Ibid. 26. Auburtin, G., « Former à l’intelligence des faits religieux », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2010, n° 1, p. 20-25, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-01-0020-004.
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à une prise en compte positive des faits religieux dans l’exercice de leurs missions27 ». Pour d’autres, ce déficit d’ouverture pourrait tenir en partie à la sociologie des professionnels des bibliothèques qui ne sont guère eux-mêmes représentatifs de la diversité – par exemple aux États-Unis, ils appartiendraient majoritairement à la catégorie des héritiers de Bourdieu, constituant généralement les couches dirigeantes et vieillissantes du pays, à cette différence près que cette profession est largement féminisée. C’est le constat fait par des études nord-américaines28. Sans même envisager de changer de paradigme, repenser la problématique sous un angle différent est facteur d’avancées, dans la pensée et dans les faits. L’impulsion donnée par ces ateliers sur la laïcité est l’opportunité pour notre bibliothèque universitaire d’emprunter ce chemin.
BIBLIOGRAPHIE AUBURTIN G., « Former à l’intelligence des faits religieux », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 1, p. 20-25, 2010, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-01-0020004. Consulté le 11/02/2017. BOSC S., « Le cadist de sciences religieuses de Strasbourg », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 6, 2003, p. 38-47, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2003-06-0038007. Consulté le 11/02/2017. CNIL, Norme simplifiée NS-009, https://www.cnil.fr/fr/declaration/ns-009-bibliothequesmediatheques, Consulté le 11/02/2017. DUFRÊNE, B., GELLEREAU, M., « De la médiation culturelle aux médiations culturelles : enjeux professionnels ». Hermès, 2004, p. 199-206. DUQUENNE I., ÉBOLI, G. et VANDERHAEGEN, J., « Au regard des collections », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2015, n° 5, p. 72-77, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-201505-0072-007. Consulté le 11/02/2017. HUCHET B., « Point de vue sur… bibliothèques publiques et religions », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2016, n° 9, p. 104-112, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2016-090104-011, Consulté le 11/02/2017. Inspection générale des bibliothèques, Laïcité et fait religieux dans les bibliothèques publiques, Rapport à madame la ministre de la Culture et de la communication, Paris, France : Inspection générale des bibliothèques, 2016. http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/
Consulté le 11/02/2017. 27. Ibid. 28. Vinopal, J., « The Quest for Diversity in Library Staffing : From Awareness to Action », In the Library with the Lead Pipe, 13 janvier 2016, http://www.inthelibrarywiththeleadpipe. org/2016/quest-for-diversity/#respond. Consulté le 20 mars 2017.
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C H A P I T R E
Pascal Paoli laïc
Antoine-Marie Graziani, Professeur d’histoire moderne à l’Université de Corse, membre honoraire de l’IUF
La laïcité est le principe de séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse et d’impartialité ou de neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses. La définition de cet ordre juridique en ne faisant référence qu’aux seules religions s’explique par des causes historiques. En France, en général, on considère son histoire à travers différentes étapes : la Révolution française, le concordat de 1802, le conflit État/Église catholique au cours du XIXe siècle, l’instauration de l’école laïque vers 1880, la Séparation de 1905 et la période qui suit, marquée à la fois par un souci d’apaisement et par un besoin de plus en plus affiché de « repenser la laïcité », une question qui était déjà posée par René Rémond dans un grand colloque (« Pluralité des religions et État laïque ») tenu à Sèvres et au Centre Pompidou en mai 1989. On considère en général en termes de droit que la laïcité repose sur trois principes : • La liberté de conscience et la liberté de culte. La laïcité garantit la libre expression des cultes et la liberté de religion, mais aussi la liberté vis-àvis de la religion : personne ne peut être contraint par le droit au respect de dogmes ou prescriptions religieuses. • La séparation des institutions publiques et des organisations religieuses. La laïcité suppose la séparation de l’État et des organisations religieuses. • L’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions. Si l’on doit regarder quels sont les signes de la laïcité existant dans la République paoliste, il convient de rapprocher le point de vue de Pascal Paoli de celui du Bonaparte du concordat de 1802. Pour Bonaparte, en effet, « la religion n’est plus institution englobante » comme c’était prévu par le concile de Trente. Un point de vue partagé par Paoli. Si l’on observe de près la constitution paoliste de 1755, à aucun moment, il n’est fait état, comme dans la France d’Ancien Régime, d’un devoir de catholicité. Colette Beaune note au sujet de la monarchie française : « Le devoir de catholicité du roi paraît tellement aller de soi que nul ne se soucie de sa formulation. Comme le pouvoir
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royal est d’origine divine, tous les rois sont catholiques, rendant à Dieu ce qu’ils ont reçu1 ». Chez Paoli, l’origine du pouvoir tient au contraire dans le peuple corse « seul habilité à décider légitimement de ses destinées ». « Le pouvoir des rois vient de Dieu » écrit Yves-Marie Bercé, celui du républicain Paoli provient du peuple. Il l’installe à travers une constitution « propre à assurer la félicité de la nation2 ». Le concordat de 1802 affirme en outre que dans un État laïque, ce sont les lois civiles, qui sont en vigueur dans la sphère publique. Et ce d’autant plus que « les activités religieuses sont nettement distinguées des activités profanes ». Paoli partage cette appréhension des choses. Il se méfie d’ailleurs de toute intervention du clergé dans le domaine du politique : le 27 novembre 1787, il écrira à Guelfucci : « le clergé nous prêchait l’obéissance passive en nous faisant valoir l’espérance d’être indemnisés dans la vie à venir des peines et des torts que nous souffrions de la part du petit nombre des gens qui nous gouvernaient3 ». C’est la raison pour laquelle il adopte l’idée de mettre en place des sortes de tribunaux mixtes pour limiter l’immunité et l’autonomie de la justice des ecclésiastiques, ce que lui reprochera le cardinal secrétaire d’État Torrigiani en 1763. Paoli considère par ailleurs que le nombre des ecclésiastiques est trop important au vu de la pauvreté de l’île : il reviendra sur le sujet en 1790. Des positions qu’il faut rapprocher de celles de Don Carlos, souverain de Naples, qui en 1741 passera un concordat avec le pape Benoît XIV sur ces différents sujets et l’on sait que Paoli se trouvait à Naples sous Don Carlos. Troisième élément, la reconnaissance du pluralisme religieux. La Révolution française a octroyé aux protestants et, plus difficilement, aux juifs la pleine citoyenneté. De manière cohérente avec les principes de 1789, le concordat de 1802 « reconnaît plusieurs religions ». Rappelons qu’en 1790, au moment de la mise à disposition de la nation des biens du clergé, l’Assemblée constituante a refusé de reconnaître le catholicisme comme religion nationale malgré plusieurs propositions allant dans ce sens. Le concordat de 1802 est l’instrument qui a permis pour un siècle la mise en œuvre institutionnelle de la pluralité des cultes, sur une base égalitaire en principe, inégalitaire en réalité puisque le préambule écrit que le catholicisme est la religion « de la très grande majorité des Français ».
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Colette Beaune, « Le roi et les théologiens », Yves-Marie Bercé [dir.], Les monarchies, Paris, PUF, 2015, chapitre 1. Pascal Paoli, Sentiments des nationaux corses contre l’invasion de leur Patrie, 1770, cité par Antoine-Marie Graziani, « La constitution de 1755 », Pascal Paoli, Père de la patrie corse, Paris, Tallandier, 2001. Pascal Paoli, Correspondance, vol. IV, L’avenir de la Corse est sur l’eau 1760-1762, édition critique établie par Graziani A.-M. et Bitossi C., 2010, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola.
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