Le mobilier en Corse au temps des Bonaparte
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Ouvrage publiĂŠ avec le concours de la CollectivitĂŠ territoriale de Corse
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MusĂŠe national de la Maison Bonaparte
Le mobilier en Corse au temps des Bonaparte
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L’exposition Le mobilier en Corse au temps des Bonaparte 6 avril - 8 juillet 2018 est organisée par le ministère de la Culture et de la Communication, SCN du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, Musée national de la Maison Bonaparte Madame Françoise Nyssen Ministre de la Culture et de la Communication Monsieur Vincent Berjot Directeur général des patrimoines Madame Marie-Christine Labourdette Directrice chargée des musées de France Monsieur Amaury Lefébure Conservateur général du patrimoine Directeur du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau Monsieur Jean-Marc Olivesi Conservateur en chef du musée national de la Maison Bonaparte Commissaire de l’exposition Madame Odile Bianco Assistante administrative et de documentation
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Sommaire
• SOMMAIRE •
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Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : Pantaléon Alessandri Ébéniste, spécialiste du mobilier ancien corse
Roberto Antonetto Spécialiste du mobilier piémontais du xviiie
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Giuseppe Beretti Professeur en histoire de l’art à l’università Statale di Milano (spécialiste de Maggiolini)
Laetizia Castellani
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Docteur en histoire moderne et contemporaine, UMR Lisa, université de Corse
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Jean-Charles Ciavatti Chercheur au service de l’Inventaire de Corse (Collectivité de Corse) Conservateur des Antiquités et Objets d’Art de la Haute-Corse
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Audrey Giuliani Attachée de conservation au musée de Bastia
Antoine-Marie Graziani
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Professeur d’Histoire moderne à l’université de Corse.
Sylvain Gregori Directeur du musée de Bastia
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Jean-Christophe Liccia Ancien chercheur indépendant Président de l’association patrimoniale Petre Scritte
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Amedeo Mercurio 126
Historien de l’art, Soprintendenza Archeologia Belle Arti e Paesaggio per le province di Pisa e Livorno
Michel-Édouard Nigaglioni
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Chercheur au service de l’Inventaire de Corse (Collectivité de Corse)
Jean-Marc Olivesi
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Conservateur en chef du musée national de la Maison Bonaparte
François Piazza Ancien élève de l’École normale supérieure, collectionneur
Gianna Roccatagliata Expert près les tribunaux de Gênes
Julia Tristani
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Attachée de conservation au musée de la Corse
Roberto Valeriani Historien de l’art, expert en arts décoratifs, Rome
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Lucy Wood Conservateur honoraire au Victoria & Albert museum de Londres, membre de la Chippendale society
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Préface • Amaury Lefébure Introduction Le mobilier en Corse au temps des Bonaparte. Circulations, modèles, influences et adaptations : les élites corses et leur décor, 1769-1815 • J.-M. Olivesi Le mobilier de la Maison Bonaparte • J.-M. Olivesi Joseph Fesch et les meubles milanais de Giovanni Battista Maroni • G. Beretti Le faste en série. Notes sur la production de mobilier dans la Toscane du temps des Bonaparte • A. Mercurio Les caractéristiques du mobilier génois du xvie au xixe siècle • G. Roccatagliata Le mobilier piémontais • R. Antonetto Bois, pierre et bronze : notes sur le mobilier néoclassique romain • R. Valeriani Dionisio et Lorenzo Santi, architectes et dessinateurs du cardinal Fesch • L. Wood Le mobilier des notables bastiais au xviie et au xviiie siècle • J.-C. Liccia et M.-É. Nigaglioni Le mobilier des familles de notables bastiais dans la deuxième moitié du xviie siècle à travers des documents de saisie • A.-M. Graziani Mobilier et ameublement dans les maisons des notables balanins à la fin de l’époque moderne • L. Castellani Palais Santelli, 1 rue du Cardinal-Viale-Prelà à Bastia 1780-1814. Mobilier et décor • F. Piazza Meubles et artisans du mobilier dans les églises de Corse • J.-Ch. Ciavatti La Corse au xviiie siècle • P. Alessandri Les collections de mobilier dans les musées de Corse : un corpus représentatif de la richesse typologique des décors domestiques de l’île • J. Tristani Le mobilier corse à travers l’enquête ethnographique 909 des ATP • A. Giuliani Les « maisons de Cincinnatus », invention, évolution et réalités de la perception du mode de vie des élites corses au xviiie siècle • S. Gregori Notices des œuvres Bibliographie sélective
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LE MOBILIER EN CORSE AU TEMPS DES BONAPARTE
Préface
Amaury Lefébure Autant que le vêtement ou la parure, la demeure et les meubles qui l’ornent signalent le statut social ou les ambitions de celui qui les possède. L’élite corse du xviiie siècle n’échappe pas à la règle, mais elle fait preuve d’une originalité remarquable. La situation politique et culturelle de l’île à cette époque, unique en son genre, dominée par les révolutions de Corse (17291769), le gouvernement de Paoli et l’ascension de Bonaparte, en est la cause. Quel modèle adopter ? Afficher un luxe à l’italienne, à la française ? Adapter les nouveautés anglaises ? S’en affranchir ou les combiner ? Les meubles, témoins muets et prégnants, imposent une image de leurs propriétaires qui survit habituellement à leurs actions et même parfois les incarnent. Aussi l’étude du mobilier des notables corses au temps des Bonaparte est-elle riche en enseignements. Jamais encore elle n’avait fait l’objet d’une telle exposition et les publications sur ce sujet sont rares. Le projet de la Maison Bonaparte, dont le mobilier constitue une part importante des collections, a rencontré un enthousiasme immédiat. L’équipe scientifique qui s’est constituée rapidement autour de Jean-Marc Olivesi – direction du patrimoine de la Collectivité territoriale de Corse, direction du patrimoine de la ville de Bastia, musée de la Corse à Corte, musée de Bastia – et les dix-sept contributeurs au cata-
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logue, venus d’horizons divers – de Corse bien sûr, mais aussi de Londres, Rome, Florence, Gênes, Turin –, témoignent de cet enthousiasme. Je les remercie sincèrement pour leur apport à cette exposition qui permettra aux visiteurs de découvrir la richesse du patrimoine corse en matière de mobilier, de mieux comprendre son originalité, et qui ouvre des pistes à de nouvelles recherches. Il faut se réjouir que la Maison Bonaparte puisse accueillir une telle manifestation et réunir tant de talents.
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Décor de la voûte d’un salon du palais Santelli, Bastia (détail).
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Le sommeil d’Endymion : décor peint de la commode MB 83, Maison Bonaparte (cat. 23).
Le xviiie siècle, siècle d’or de la Corse puisqu’il comprend à la fois les révolutions de Corse (1729-1769), le gouvernement de Paoli et l’ascension de Bonaparte, offre donc un cadre historique extrêmement divers, susceptible de mettre en œuvre la circulation de modèles tant italiens que français, sinon anglais. De la sorte, la provenance du mobilier illustre le positionnement d’une classe sociale dans les enjeux internationaux du moment, non seulement dans ses engagements politiques, mais également dans son choix du modèle culturel le plus évident. Les acquisitions de Charles, de Letizia puis de Fesch en sont les exemples. En effet, dans la seule famille Bonaparte on trouve l’archidiacre Lucien qui regrettait les Génois ; Charles qui, après avoir été paoliste, dépensait de fortes sommes lors de ses séjours parisiens ; Fesch déjà fasciné par l’art italien ; Letizia qui se remémorait les beaux intérieurs de ses amis marseillais ; tandis que Joseph, Élisa et Napoléon semblent eux avoir adhéré complètement au néo-classicisme. Car le xviie, siècle de fer des Génois, et le xixe siècle après 1815-1820, tout comme les styles Restauration et Second Empire n’offrent pas les courants multiples, sinon opposés du xviiie siècle. Ce dernier, siècle d’or de la Corse, est aussi celui de l’ascension des Bonaparte dans une partie de la Méditerranée où s’affrontent la république de Gênes, les Habsbourg de Vienne, les Bourbon de France, de Madrid et de Naples, les Anglais, et où s’aventurent les Russes, protecteurs de l’ordre de Malte. En travaillant plus particulièrement sur l’époque de l’ascension des Bonaparte, et plus largement sur le xviiie et le début du xixe siècle corses, nous savions travailler sur une période particulièrement riche du mobilier insulaire. En Corse proviennent des meubles de Paris et de Provence (Marseille, Aix), des meubles génois, toscans, milanais et romains. Il aurait sans doute fallu explorer la piste napolitaine, mais le temps nous a manqué, néanmoins nous nous sommes intéressés à la production piémontaise qui présentait la particularité de se positionner entre la France et le reste de l’Italie. Comme on le verra
Le mobilier en Corse au temps des Bonaparte Circulations, modèles, influences et adaptations : les élites corses et leur décor, 1769-1815 Jean-Marc Olivesi Contexte Sous le Directoire (1795-1799), le destin de la France et celui des États italiens sont étroitement mêlés : non seulement par la première campagne d’Italie, mais également par la proclamation des Républiques sœurs qui importent dans la Péninsule le modèle politique français. Le jeune général Bonaparte a un rôle essentiel dans ces événements. Le décor de sa maison natale, à Ajaccio, va se faire l’écho de cette confrontation ; mais sa famille, au moins depuis son père Charles Bonaparte, s’est toujours intéressée tant au goût français qu’au goût italien. C’est ainsi qu’entre dans la maison une poudreuse estampillée Durand, maître en 1761. Dès lors, on ne s’étonnera pas de voir Joseph Fesch, oncle de Napoléon, envoyer en décembre 1797 depuis l’Italie vers Ajaccio un beau mobilier milanais, attribué jusqu’à ce jour à Giuseppe Maggiolini, l’ébéniste de l’impératrice MarieThérèse, mais que Giuseppe Beretti (dans ce catalogue) donne à Giovanni-Battista Maroni. Pendant ce temps, sa sœur Letizia achète au marchand Laplane de Marseille des meubles pour son salon qui lui parviennent le 22 septembre 1798.
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plus loin, une production « régionale » (même s’il s’agissait alors d’États souverains en Italie) peut réserver des surprises : comme ce mobilier de style anglais fabriqué à partir des modèles britanniques dans les différentes capitales de l’Italie d’alors. Un ébéniste peut en cacher un autre : comme Maroni qui reprend les modèles de Maggiolini. Et tandis que les commanditaires corses se passionnent pour tous ces meubles venus des terres fermes voisines, ils passent des commandes aux ébénistes insulaires. Ceux-ci peuvent soit imiter les modes nouvelles, soit s’inscrire dans un temps plus long, par exemple en reproduisant le modèle de la table pisane, une table dont le piétement dévoile des modèles baroques évidents, bien loin de l’époque où les Pisans régnèrent sur la Corse (jusqu’en 1284), modèle que l’on retrouve jusqu’au xviiie siècle, et qui mériterait bien mieux le nom de table d’Orezza comme le propose Pantaléon Alessandri. Il y a eu sûrement aussi des résistances : comme les patriciens bastiais réunis dans la confrérie de la Sainte-Croix qui commandaient pour leur église un magnifique décor de style Barochetto en 1772-1775, tandis que les autorités françaises érigeaient l’altière porte de la citadelle de Bastia, « du règne de Louis XVI » de style néoclassique, en 1775-1776. On peut ainsi imaginer que les traditions familiales et les anciens circuits commerciaux ont fait que certaines familles ont sinon opposé, du moins fait cohabiter des meubles baroques génois et des meubles Empire français. C’est ainsi que l’on voit perdurer sur un temps très long la table d’Orezza (dite table pisane), et que l’on voit les habitants de Cateri construire une église baroque en plein Premier Empire (recherches en cours de Monique Traeber, Madeleine Allegrini et Pierre Vaucher)1.
1. Sur cette question, voir Jean-Marc Olivesi : « Circulations, appropriations et résistances : le choix de périodes stratégiques », p. 57-71 dans Circolazioni Mediterranee, Terra Murata – Incontri Mediterranei sous la direction de Luigi Mascilli Migliorini, vol. 3, Université de Naples, 2017.
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• INTRODUCTION •
Échanges L’un des modèles des élites corses est donc l’Italie du Nord, et plus précisément la Toscane. Les liens politiques de la Corse avec le grand-duché de Toscane ne sont plus à démontrer, les liens universitaires avec Pise non plus, mais il reste à étudier les échanges culturels nombreux non seulement avec Florence, mais plus encore peut-être avec Lucques et Livourne. L’importance de Livourne dans l’histoire de la Corse est encore toute à écrire. Ce que confirme, pour l’histoire des arts décoratifs, le mobilier livournais de la famille patricienne des Giuliani de Muro, conservé au musée de La Corse, et provenant de l’ébéniste Fortunato Castiglioni de Livourne, fournisseur de la reine d’Étrurie Marie-Louise de Bourbon. L’autre devrait être génois (le royaume de Corse ayant appartenu à la république de Gênes officiellement jusqu’en 1768), mais les exemples vont diminuendo au xviiie siècle. Les notices de ce catalogue laissent apparaître un petit corpus de meubles lucquois qui ne peut que s’accroître, c’est de Lucques que viennent les Crudeli par exemple. De manière plus surprenante, un autre ensemble de mobilier que l’on trouve notamment dans les maisons de l’élite bastiaise semble d’origine britannique : et l’on ne peut s’empêcher de rapprocher cette production bien particulière de la création du royaume anglo-corse (1794-1796) dont la capitale était Bastia. Mais nous verrons que ce modèle britannique passe peut-être par l’Italie. De plus, après la chute de l’Empire, les Bonaparte resteront d’importants commanditaires de mobilier. Lucy Wood a étudié les commandes importantes passées par le cardinal Fesch auprès de Lorenzo et Dionisio Santi. Tandis que Roberto Valeriani a montré l’importance dans l’architecture et le décor romains du tout début du xixe siècle de l’architecte Giuseppe Barberi qui travaillera sur le projet d’un palais pour les Conti à Ajaccio, non réalisé.
Décor de la voûte d’un salon du palais Santelli, Bastia.
Plus tard, sous l’Empire, on trouve quelques traces de mobilier ayant appartenu à ces Corses qui gravitaient autour des Bonaparte qui régnaient en Italie. Enfin il y a Rome, dans les archives du Museo Napoleonico, les commandes suivantes de Letizia Bonaparte, Madame Mère, à des artisans romains : le 20 novembre 1815, un lit à baldaquin à V. Brandimarti ; en décembre 1815, huit fauteuils à Nicolo Menicati. Le 28 juin 1814, elle avait demandé un devis à Karl Roos, fournisseur du Quirinal, pour huit fauteuils et douze chaises. La question des fabrications locales, à partir des modèles hexagonaux ou péninsulaires, est également passionnante. Non seulement des formes sont adoptées par les ébénistes locaux,
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mais des types de mobilier sont adaptés aux besoins insulaires, comme le trumò qui n’est pas un trumeau, mais bien un secrétaire encastré dans une embrasure. Comment ces ébénistes étaient-ils formés, et où ? Comment s’inspiraient-ils, ou non, des modèles continentaux (France et Italie) ? Ces modèles extérieurs leur étaient-ils apportés par des ébénistes venus du continent, partaient-ils eux-mêmes ? (Pour acheter certains bois précieux ?), connaissaient-ils les recueils de décoration (Piranese, Santi, Hepplewhite pour ne citer que ceux évoqués dans ce catalogue) ? Dans l’architecture et la peinture on voit les maestri insulaires utiliser des formules datant parfois de quelque trente ans, si long est le temps de la création dans lequel ils s’inscrivent. Quelle était la porosité des pratiques des menuisiers-ébénistes de la vallée d’Orezza (ils sont encore près de deux cents au xixe siècle, nous dit Pantaléon Alessandri) et des ébénistes dont la majorité devait encore être installée à Bastia ?
Créations, adaptations et appropriations, les ébénistes corses Si nous possédons des preuves irréfutables de commandes hors de l’île, notamment les billets de Fesch relatifs à ses achats à Milan, si les inventaires après décès confirment l’importance (en nombre, mais aussi en qualité) des meubles conservés dans les maisons patriciennes, tout un travail reste à mener sur l’identification des ébénistes corses du xviiie siècle. Nous avons retrouvé quelques éléments dispersés qui nous donnent une idée de ce que fut cette production, mais il faudra aller plus loin et apposer de plus en plus de documents d’archives aux corpus retrouvés, ce qui permettra un jour de reconstituer l’activité de différents ateliers. Un type de décor de meubles apparaît souvent dans le mobilier des patriciens corses de la fin du xviiie et du début du
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Anton Pietro Saladini : orgue commode, Speluncatu (cat. 61)
xixe siècles : un mobilier de noyer – commodes, scribans, secrétaires et petites tables – dont le décor est constitué de cadres de marqueterie de bois plus clairs. Ces encadrements, en arête de poisson ou plus simplement en alternance de rectangles plus ou moins clairs, sont très simples : ils exaltent avant tout les panneaux de bois qu’ils entourent. C’est par exemple, pour prendre un cas tardif, celui de l’orgue commode d’Anton-Pietro
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• INTRODUCTION •
avait refusé à ses aïeux, et que la reconnaissance de noblesse de 1771 par les Français et la fréquentation du gouverneur marquis de Marbeuf en son château de Cargèse devait lui apporter. Distinction dont les notables corses voulaient faire montre pour se défaire de l’image de rustres éloignés de toute civilisation que bon nombre d’officiers et d’administrateurs français voulaient leur faire porter, au contraire des témoignages de l’abbé Gaudin ou de l’Écossais Boswell comme l’explique Sylvain Gregori. Distinction enfin d’une élite corse, fière de l’expérience démocratique inédite qu’avait représentée le gouvernement de Paoli dans l’âge des Lumières, fière de son essaimage à travers l’Europe entière où elle avait connu les succès les plus imprévisibles – d’Élisa à Florence, de Saliceti à Naples, de Pozzo di Borgo en Russie –, fière de ses alliances matrimoniales illustres (les Bonaparte avec les Habsbourg ou les Borghèse mais aussi les Arrighi avec les Montesquiou, par exemple), fière enfin de ses échanges européens avec les grandes figures cosmopolites du temps – Boswell ou Lord Pembroke chez Paoli, correspondance avec Hume, Voltaire ou Rousseau chez les Marengo, Caraffa et autres Buttafuoco. Lorsqu’il meuble le Palazzu naziunale, siège du gouvernement de la Corse indépendante, Paoli est lui aussi très attentif à la qualité des matériaux et des fabrications, et ses choix ; damas, fils d’or (notamment pour la broderie des armes de la Corse sous le dais) sont ceux d’un chef d’État dont le décorum est, sinon une forme de gouvernement, du moins un outil diplomatique important (voir encadré ci-après). Et la qualité du mobilier de la maison Giuliani à Muro s’explique peut-être parce que ses commanditaires sont les descendants de Gio Tomaso Giuliani (1689-1756), docteur en mathématiques, physique, et médecine, élu général de la Nation à la Consulta de Boziu en 1743. Descendants d’un général de la Nation, les Giuliani n’hésitèrent pas à se tourner vers le futur fournisseur d’une reine (Marie-Louise de Bourbon, reine d’Etrurie) pour leur mobilier. C’est ainsi qu’ils
Saladini à Speluncatu (1825). Les notices de ce catalogue en offrent de nombreux exemples, et il ne serait pas étonnant que le modèle en soit toscan, puisque l’on voit dans la même Balagne du mobilier de Castiglione à Muro ou de Crudeli (venu de Lucques) à Speluncatu également. Quelqu’en soit l’origine, il apparaît que ce type de décor, les élites corses se le sont approprié au point qu’il apparaît comme quasi vernaculaire. La publication de l’ouvrage pionnier de Pantaléon Alessandri sur le mobilier corse a permis de cerner les usages du bois et les principes de fabrication.
Quelques meubles en quête d’auteur La majorité des collections du musée national de la Maison Bonaparte est constituée de meubles, comme il se doit dans un musée-demeure historique. Beaucoup de ces meubles sont de provenances diverses, réunis seulement par l’incipit MB du numéro d’inventaire correspondant au don du prince Victor Napoléon, héritier de l’impératrice Eugénie, en 1923. Quelques-uns de nos visiteurs s’étonnent de cette diversité de provenance qu’ils interprètent comme une collection hétérogène, reconstituée par Letizia Bonaparte et les siens à leur retour à Ajaccio en 1797. « Quel dommage que la maison natale ne soit pas meublée comme elle l’était pendant l’enfance de Napoléon ! » Pourtant le travail de remeublement – de Letizia, de son demi-frère Joseph Fesch, de ses enfants Élisa et Joseph soutenus par les courriers de Napoléon – est une illustration parfaite de la période. On y trouve à la fois les déchirements du Directoire finissant, les tiraillements internationaux de la Corse de cette extrême fin du xviiie siècle, les engouements de cette famille pour l’ébénisterie milanaise, marseillaise ou parisienne… C’est aussi la quête de distinction d’une famille qui va atteindre les plus hautes destinées dans l’Europe entière. Continuant en cela l’œuvre de Charles Bonaparte, décédé en 1785, qui comme tous les membres de l’élite corse de son temps a cherché à affirmer son statut de patricien que Gênes
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firent l’acquisition de meubles de Fortunato Castiglioni, né en 1768 (voir l’article d’Amedeo Mercurio dans ce catalogue). Les circuits culturels, et commerciaux, avec Gênes et la Toscane sont anciens et attestés, ceux avec Rome et Milan sont plus rares et plus prestigieux et, déjà, on peut imaginer que, dès son voyage à Versailles en 1778 comme député de la noblesse, Charles Bonaparte a acquis du mobilier parisien. La provenance est donc liée aux opportunités familiales, à la volonté d’afficher ses fidélités – comme ce portrait de Marbeuf qu’on accroche et décroche de la Maison Bonaparte (Olivesi, 2014, p. 14) –, aux modes du temps et au rayonnement de cultures dominantes. Il est d’ailleurs plaisant de voir qu’un même ébéniste, le Toscan Fortunato Castiglioni déjà évoqué ci-dessus, propose à ses clients des meubles de styles divers : Fig. 1. Le grand salon-bibliothèque du palais Caraffa, Bastia.
« Negozio de Fortunato Castiglioni, ebanista in Livorno, in Via Le commedie vecchie, Fabbrica di tutte le qualità di mobilie sullo stile francese, inglese e italiano, lavorate di qualunque qualità di legnami, orientali, e d’Italia lavorate all’ultima perfezzione col prezzo ristretto »
des modèles illustres comme les décors réalisés en 1854 pour le quatrième duc de Northumberland dans sa résidence d’Alnwick Castle, château dont les décors de Giovanni Montiroli, assistant du Commendatore Canina, semblent avoir influencé le grandsalon bibliothèque du palais de Caraffa à Bastia (fig.1)… (une anglophilie qui passe par l’Italie : juste retour des choses !) Comment les ébénistes corses lorsqu’ils ont cherché à imiter les modèles venus de Terra ferma (péninsule italienne), du Continent (français) et même d’Angleterre, les ont-ils adaptés ? On ne sait pas ce que signifie le terme intagliato alla corsa, signalé par Sylvain Gregori dans un inventaire de 1756, et il semble que si nombre de meubles trouvés dans les intérieurs corses du temps sont fabriqués en bois de noyer, l’usage du châtaignier puisse aussi dénoter une fabrication insulaire. Nous subodorions qu’une porosité avait existé entre le mobilier domestique et le mobilier religieux : les artisans qui travaillaient pour les couvents, notamment franciscains, et les sacristies des églises paroissiales ou des confréries de l’île, étaient
ainsi qu’il apparaît sur un meuble toscan signalé par Amedeo Mercurio. Ce Fortunato Castiglioni, Amedeo Mercurio l’explique bien, s’est même un instant spécialisé dans l’adaptation de mobilier britannique, celui de Thomas Sheraton, pour les patriciens toscans. À la même époque, Carlo Toussaint, de Florence, reprenait les modèles publiés par George Hepplewhite dans son album The cabinet Maker and Upholster’s guide (1788). Tandis que le sculpteur d’origine anglaise Odoardo Wyndham a travaillé aux tables d’applique de la tribune des Offices. Enfin Gianna Roccatagliata nous apprend qu’un Anglais travaillait à Gênes même : Henry Peters. Ainsi de ces modèles et formes britanniques on ne sait s’il s’agit d’importation de meubles Chippendale sous le gouvernement anglo-corse (1794-1796), d’une production italienne reprenant les modèles londoniens, ou de témoignages de l’anglophilie de familles patriciennes bastiaises qui, à la fin du xixe siècle, se seraient extasiées devant
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• INTRODUCTION •
en contact avec ces notables ruraux qui finançaient nombre de ces institutions. Cela s’est confirmé pendant la préparation de l’exposition : une commode conservée à Piazzale d’Orezza, et analysée par Jean-Charles Ciavatti, renvoie aux meubles de sacristie réalisés par Carlo Filice Campana. Ce même mobilier religieux est porteur d’une iconographie fantastique plus nombreuse dans les meubles de sacristie, et même dans certaines chaires à prêcher, que dans le mobilier domestique. Enfin, il est plaisant de constater que dès la fin du e xix siècle, cette phase du développement des arts décoratifs en Corse est déjà apparue comme éminente et prestigieuse : Michel-Édouard Nigaglioni nous signale que la Ville de Bastia avait créé un cours pour le sculpteur Gourgouillon, afin que celui-ci apprenne à ses élèves à réaliser des copies de meubles parmi les plus beaux que l’on trouvait en Corse. On les retrouve chez les Caraffa et les descendants Ramolino. Fig. 2 et 3. Décors du palais Santelli, Bastia.
Des meubles et des maisons Si le choix du mobilier est, de manière plus ou moins claire, l’illustration des engagements du commanditaire, le système plus complexe dans lequel il s’inscrit est lui un langage. Un langage qui réunit les parti pris de l’architecture – casa corsa, palais à l’italienne, demeure Directoire –, l’ordonnance de la façade, la distribution intérieure, la hiérarchie des volumes – vaisseau sur deux niveaux d’un salon (palais Caraffa) ou entresol d’une garde-robe –, le programme iconographique du décor porté (fresques des voûtes, parfois des murs), la complémentarité de celui-ci avec l’accrochage des peintures de chevalet, l’ostension d’un mobilier de prix. Deux faits récurrents : la peinture profane (nature morte, portraits de famille ou grands hommes – cardinaux, princes, souverains – batailles, paysages) est présente dans la salle, la peinture sacrée est réservée aux dévotions privées de la chambre. L’articulation de cet ensemble avec les loggias, terrasses, et jardins et les prospects vers des espaces
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museum de New-York) a laissé des vues de fantaisie d’Ajaccio, comprenant notamment la Maison Bonaparte. Roberto Valeriani nous apprend qu’il rénova l’un des appartements de l’étage noble du palais Altieri, à Rome, en 1787. Sans aucun doute, le palais Conti aurait été l’un des plus importants programmes de l’architecture civile corse du tournant du xixe siècle. Imaginons le programme architectural et décoratif le plus riche, le plus vaste et le plus ambitieux qui soit pour notre promenade dans une grande maison de notable : demeure urbaine, probablement bastiaise, qui réunirait les caractéristiques des maisons Galeazzini, Caraffa ou Santelli, par exemple. Dans une grande demeure idéale, l’itinéraire qui conduit du portail, plus ou moins monumental, à l’escalier puis au vestibule, et de celui-ci au grand salon, la distribution qui répartit les pièces de réception et de représentation d’une part et les appartements privés d’autre part, tout cela est un récit qui narre l’histoire sociale d’une famille (avec ses alliés) et illustre la glorification de ses ambitions. Dans ce récit, le mobilier ajoute sinon un discours complémentaire, du moins une connotation politique et culturelle, évoquant les choix de la famille et, nous l’avons vu, sa volonté de distinction. Distinction sociale, mais volonté aussi de se distinguer des autres familles de rang équivalent. François Piazza note que :
Fig. 4. Giuseppe Barberi, projet pour le palais Conti, Ajaccio.
publics – places, rues – ou naturels – mer, montagne, espaces cultivés, exceptionnellement grands jardins ou parcs –, tout cela mérite une attention précise. Le décor porté peut rappeler la fonction de la pièce : portraits d’auteurs en médaillons pour une bibliothèque, trophées de chasses et natures mortes pour une salle à manger (fig. 2 et 3), instruments de musique (en trophée ou non) pour un salon de musique… François Piazza note l’exaltation de la richesse foncière des propriétaires par la représentation de leurs propriétés. Le complètent les portraits des membres insignes de la famille, ceux qui évoquent des alliances prestigieuses ou des relations illustres (cardinaux, ministres voire souverains). Pour Ajaccio, l’architecte Giuseppe Barberi (Rome 17461809), projeta un palais pour la famille Conti, qui ne fut jamais réalisé (fig. 4). Cet architecte (célèbre pour ses oniriques inventions architecturales, conservées pour la plupart au Cooper-Hewitt
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En Corse on désigne par casa la maison des notables. Le terme palazzu est un terme d’architecture qui désigne un plan particulier de maison notable : la demeure avec un salon central flanqué de pièces latérales. La demeure de notables bâtie sur un plan traditionnel en enfilade n’est pas un palazzu, c’est une casa. À la fin du xixe seulement, on va désigner par palazzu suivi du nom de famille une demeure majestueuse qui excède largement les dimensions d’une maison ordinaire, fût-elle d’un notable ; c’est le cas des maisons dites d’Américains dans le Cap-Corse. À Bastia, traditionnellement, on n’a désigné sous le terme de palais que le palais Galeazzini, le palais Spinola et le palais Santelli, à la fois parce qu’ils sont les plus grandes résidences privées mais aussi parce qu’ils s’accompagnent d’une élaboration architecturale qui excède
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• INTRODUCTION •
largement celle des autres demeures privées, pour belles, grandes et anciennes qu’elles soient. Ainsi la casa Battisti Cervoni, la casa Carbuccia, la casa Cardi ou encore la casa Bonaparte à Ajaccio.
C’est dans la période que nous nous proposons d’étudier que vont apparaître ces programmes grandioses destinés à glorifier la gloire et la réussite d’une famille. Le Second Empire les continuera. Auparavant, au xviie siècle, même dans ce siècle de fer que fut la paix génoise, il ne semble pas que les demeures patriciennes aient atteint une telle ampleur. Aux xvie et xviie siècles, on connaît des meubles très ornés comme les coffres ou les commodes à bambocci, mais à partir du xviiie siècle, le meuble se spécialise : le linge quitte les coffres pour entrer dans les armoires ou les commodes, les livres quittent les rayons de l’armoire pour leur préférer ceux de véritables meubles-bibliothèques (au contraire, à la maison Bonaparte, après la perte des deux imposantes bibliothèques de Charles, les quelques livres sont remisés dans les placards…). Les pièces elles-mêmes se spécialisent : l’une d’elles accueille parfois les armoires bibliothèques et ses voûtes sont ornées de portraits d’auteurs en médaillons, et on aménage des salles à manger. Au tardif « château de Pietrarossa », créé par les Galeazzini, on trouve une grotte à décor de coquillages, comme dans les salle terrene des villas italiennes, et une salle fraîche, inspirée des Mulini de l’île d’Elbe, avec jet d’eau central et pergola en trompe-l’œil au plafond. Ces caractéristiques expliquent le rôle de ces espaces : donner de la fraîcheur à la famille du propriétaire durant le long été bastiais. Cette spécialisation des espaces au xviiie siècle est certes commune à toute l’Europe, mais elle se fait sur un temps plus long et de manière plus sélective en Corse. C’est sous le Second Empire que les programmes, même luxueux, se répandent et se ressemblent. Monseigneur Giustiniani dans une célèbre description de la Corse (Dialogo nominato Corsica, étudié par A.-M. Graziani), divise déjà l’île en une Corse sauvage, celle des montagnes, le Niolu en particulier, et une Corse des grands villages de plaine ou voisins du littoral – plus civilisés et que l’avisé gouverneur Baliano voulait voir transformer en villes. La position de la « Dominante » génoise est donc ambiguë, elle craint le développement économique de la Corse (elle pourrait alors devenir
Le Sicilien Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, déclarait lui aussi dans Les lieux de ma première enfance qu’il préférait le terme de casa Lampedusa à celui de palazzo « dont on affuble aujourd’hui des phalanstères de quinze étages »… Et Jean-Marie Pérouse de Montclos rappelle que Rubens, dans ses Palazzi di Genova (1622), déclarait : « Les palais génois ont pour la plupart la forme d’un cube solide avec un salon au milieu et sans aucun espace ouvert au milieu ». Il existe pourtant des palais génois à cortile central, mais Rubens a raison : ses palais A, B, C et D n’ont pas d’espace vide au centre. À Naples non plus, le cortile central n’est pas aussi impératif que dans les palais romains ou florentins par exemple. En Corse, la grande salle centrale (qui occupe parfois deux niveaux) se retrouve au Palazzu naziunale de Corte, à la casa Giubega de Calvi, à la maison Grazietti de Corte, au château Mariani de Corte… À la fois grand salon de réception et espace de distribution des pièces latérales, cette grande salle peut rappeler également le portego des palais vénitiens. À noter que le type de la galerie – une salle de réception et de représentation beaucoup plus longue que large, éclairée sur les grands côtés –, n’existe véritablement en Corse qu’à la casa Bonaparte. Cette salle de réception, la plus belle d’Ajaccio, est éclairée de chaque côté (terrasse et rue) par six fenêtres. Elle sert de salle de bal et de salle des banquets. Le modèle en est sans doute la galerie de la résidence de l’intendant de Corse, à Bastia, édifiée dans l’ancienne maison de Battisti. Les Bonaparte y ont séjourné l’hiver 1778, lorsque le petit Napoléon s’est embarqué pour la première fois avec son père pour le continent. Mais d’autres demeures que Letizia et sa famille ont vues en Provence et en Lombardie pendant leur exil forcé ont pu les inspirer. La galerie donnant à la fois sur la rue et sur une terrasse intérieure rappelle également celle du palais Colonna à Rome, que Charles a pu voir en 1765.
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d’un habit cerise, avec culotte puce, bas de soie, boucle d’argent et, je crois bien, frisé.
une proie pour les autres puissances méditerranéennes), elle ne reconnaît pas le statut nobiliaire des élites (les Bonaparte devront attendre 1771), mais en même temps elle craint l’ensauvagement de la population qu’elle cherche à juguler par des missions religieuses (lettre du gouverneur Lamba Doria à Ignace de Loyola, implantation des Missionnaires à Bastia, missions de Léonard de Port-Maurice). Si le doge de Gênes tire sa dignité royale du royaume de Corse, les riches familles de l’aristocratie génoise peuvent s’allier à quelques familles de feudataires du Cap mais regardent avec hauteur les seigneurs d’Istria ou d’Ornano. Plus largement, dans son Discorso erudito per migliorare e fecondare il Regno di Corsica, Baliano analyse :
Toutes ces considérations sur le vêtement peuvent être transposées, croyons-nous, sur le mobilier. Les officiers et administrateurs français ont dû être surpris à peine arrivés en Corse, aucune de leurs grilles d’analyse sociale n’y fonctionnait : point d’hôtel entre cour et jardin occupant d’immenses surfaces au sol, point de châteaux classiques (à l’exception de celui que se fit construire à Cargese monsieur de Marbeuf et où Charles Bonaparte réside très longuement – pour un mois et demi – en décembre 1780 puis en août 1781) avec différents corps de bâtiments rythmés par des pavillons et des avants corps ; seulement de très hautes maisons, massives, et refermées sur elles-mêmes, mais qui peuvent comprendre un très grand nombre de pièces. Fort peu de titres de noblesse (quelques comtes), alors que la Sicile compte à l’époque près de cent cinquante familles princières. Ils semblent parfois en avoir conclu qu’il s’agissait d’une société parfaitement égalitaire, mais il n’en est rien, la société corse du temps présente de fortes inégalités sociales : si les demeures, leur ameublement et le vêtement des élites vont devenir un enjeu important surtout à partir des années 1769, le capital foncier, immobilier, culturel (bibliothèques notamment et études sur le continent), l’accaparement des fonctions publiques sont le privilège des élites depuis plus longtemps. Les demeures patriciennes n’existent pas que dans les villes. La source de la richesse de ces élites étant foncière avant tout, on les trouve également soit au milieu de leurs propriétés rurales (surtout au xixe siècle), soit dans les villages où elles se distinguent tant par leurs proportions imposantes et leur monumentalité. La masse souvent cubique (lointain écho des palais italiens…) du palazzu est rythmée par la régularité des baies et l’accent donné au portail. Dans un ouvrage déjà ancien mais jamais remplacé, L’architecture rurale française : la Corse (Berger-Levrault 1978, CNRS et MNATP), Georges Ravis-
Actuellement les Principali de l’île habitent dans des villages. Avec très peu de dépenses, ils demeurent là parfaitement satisfaits d’un habit de drap grossier, d’une nourriture de laitages ou de produits similaires. Habitués à vivre de manière fruste, ils considèrent le travail comme indigne d’eux… Ils prennent aux autres ce dont ils ont besoin. Comme la justice ne peut s’exercer sur eux ou leur confisquer un bien qu’ils n’ont pas, ils ne craignent pas plus le monde qu’ils ne craignent Dieu.
Écartés du gouvernement de l’île par les Génois, à l’exception du collège des Nobles Douze, les Corses, tout le temps que vont durer les révolutions de Corse (1729-1769), vont acquérir une solide culture politique et intellectuelle, qui complétera la formation juridique et les humanités, traditionnelles dans l’île. De plus, le regard dédaigneux que vont porter les Français sur ces notables va peser sur ces hommes, fiers d’avoir vécu l’une des plus exaltantes expériences politique, celle de Paoli. C’est ainsi que l’on doit sans doute comprendre la coquetterie de Charles Bonaparte, raillée par son fils : Mon père était bon. Il affectait trop la politesse ridicule du temps. Je le remarquai à Brienne, faisant des politesses avec le moine, à qui passerait le premier aux portes. Il était d’une taille élevée, d’une belle figure et quand il vint me visiter à Brienne, il était vêtu
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• INTRODUCTION •
Alexis Daligé de Fontenay, La Maison Bonaparte. Inv. MM 53-11-1
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Notices des œuvres
1. Canapé Bois sculpté et peint, damas rouge Louis XVI H. 95 cm ; L. 173 cm ; P. 61 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 1 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison
Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 46-71. Canapé de salon en bois sculpté et peint. Dossier carré, accotoirs à volute, manchettes arrondies. Huit pieds cannelés ; entretoises entre les deux fois deux pieds de centre. Tendu de damas rouge à décor floral.
3. Bergère Bois peint et sculpté, damas Louis XVI H. 95 cm ; L. 68 cm ; P. 73 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 3 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 63. Bois sculpté et peint. Dossier gondole, accotoirs en volute, manchettes arrondies, pieds cannelés. Tendue de damas rouge à décor floral. Coussin amovible. Fait partie d’une paire (inv. MB 3 et MB 4).
2. Duchesse brisée Bois sculpté et peint, damas Louis XVI H. 93 cm ; L. 192 cm ; P. 73 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 2 Bibliographie : Jean-Marc Olivesi, Destins d’objets, douze objets témoins du destin des Bonaparte, Paris, RMN, 2014, p. 22 ; Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 63. J.-M. O. : J.-M. Olivesi M.-É. N. : M.-É. Nigaglioni S. S. : S. Sanguinetti
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Duchesse brisée en deux, en bois peint, tendue de damas rouge à décor floral. Dossier gondole, accotoirs à volute, manchettes arrondies. Deux fois quatre pieds cannelés.
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• NOTICES DES ŒUVRES • •
4. Chaise Bois sculpté et peint, damas Louis XVI H. 88 cm ; L. 50 cm ; P. 43 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 5 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 63. Chaise d’époque Louis XVI, à dossier carré et pieds cannelés, de bois sculpté et peint. Tendue de damas rouge à décor floral. Fait partie d’un ensemble de vingt chaises (MB 5 à MB 24).
5. Table de jeux, brisée en angle, triangulaire devenant carrée Noyer Louis XVI/ Directoire H. 77 cm ; L. 107 cm ; 54 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 28 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 64.
6. Table de jeux, brisée en angle, triangulaire devenant carrée Acajou et citronnier Louis XVI/ Directoire H. 77 cm ; L. 107 cm ; P. 54 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 89 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 64.
Table de jeux triangulaire, pliante, transformable en carré, en marqueterie. Pieds quadrangulaires terminés en toupies. Deux tiroirs.
Table de jeu pliante, de forme triangulaire transformable en carré, le quatrième pied coulissant. Deux petits tiroirs à jetons à la ceinture. Dessus triangulaire en acajou, entouré de filets de bois clair. Ouverte, son dessus est tendu de drap vert entouré d’un filet marqueté clair. Pieds pyramidaux, de section carrée, terminés en toupies.
Sur une table carrée, on joue au reversi, au quadrille et au bridge. Sur une table triangulaire on joue au tri, à l’hombre et au cul-bas. Une table de jeu brisée en angle, triangulaire devenant carrée, permet donc de jouer à l’ensemble de ces jeux (cf. p. 38).
Glace de bois peint. Gros clous apparents aux angles. À mi-hauteur, paire d’appliques à deux bras de lumière en volute, décorés de petites sphères de bois. Fait partie d’un ensemble de cinq de différentes dimensions (MB 31 à MB 35).
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7. Miroir avec bras de lumière Bois peint, glace Fin XVIIIe H. 210 cm ; L. 139 cm. Glace : H. 190 cm ; L. 119 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 31 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier-février 1924, p. 63.
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8. Guéridon Noyer et marbre 1re moitié du XIXe H. 70 cm ; D. 73,5 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 90 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 64. Guéridon de noyer tripode, à plateau de marbre blanc, octogonal, encadré d’une bande de noyer de 6,5 cm de large. Plateau à bascule.
9. Commode Bois, marbre, bronze Louis XVI H. 92 cm ; L. 124 cm ; P. 58 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 114 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 69. Commode en bois de placage et marqueterie s’ouvrant par quatre tiroirs : deux à la ceinture, sur une même ligne, ont comme entrées de serrure chacun un carquois, un flambeau et deux colombes. Les deux autres ont, en plus de la même entrée de serrure, chacun deux anneaux en forme de cygnes adossés, articulés sur une queue de paon. Rosace de marqueterie entre les serrures des deux tiroirs. Pieds pyramidaux. Dessus de marbre bleu turquin.
11. Lit Bois sculpté et peint, damas Louis XV H. 172 cm ; L. 208 cm ; P. 130 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 36 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison
Petit tabouret carré. Pieds droits cannelés, de même type que le mobilier du salon et que le canapé « de la naissance ». Tendu du même damas rouge à décor floral.
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Lit Louis XV de bois sculpté (roses) et peint. Deux colonnes subsistent, de forme cylindrique. Pieds cambrés. Tendu de damas. Ce lit a vraisemblablement fait partie du mobilier d’origine. Dans le livre des indemnités demandées est noté un « lit travaillé à la canne », or il reste des traces du treillis canné autour des panneaux tendus maintenant le tissu. Il n’est pas à exclure qu’il ait fait partie des achats Laplane. 12. Écran de cheminée Bois sculpté et peint, damas Louis XV H. 103 cm ; L. 80 cm ; P. 39,5 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 37 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 64.
10. Tabouret de piano Bois sculpté et peint, damas Louis XVI H. 40 cm ; L. 40 cm ; P. 42 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, MB 120
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Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 66.
Écran de bois sculpté : à la partie supérieure et sur les deux côtés, deux volutes enserrent une coquille. Peint en blanc et tendu de damas rouge.
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• NOTICES DES ŒUVRES •
13. Trumeau Bois sculpté, peint et doré, glace Louis XV H. 180 cm ; L. 112 cm. Glace : H. 141 cm ; L. 71 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 38 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 64 à 67. Trumeau de bois sculpté, peint et doré. Décor rocaille, fleurs et rinceaux sculptés et dorés sur fond uni vert clair. Glace en deux morceaux.
15. Bon DURAND (XVIIIe siècle) Coiffeuse Bois marqueté Louis XV H. 73 cm ; L. 81 cm ; P ; 48 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 40 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 64.
14. Console dorée « décor rocaille surchargé » Bois sculpté et doré, marbre Louis XV H. 84,5 cm ; L 112 cm ; P. 60 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 39 Bibliographie : Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 64. Console de bois sculpté et doré. Décor rocaille surchargé : fleurs au naturel, roses, feuilles d’acanthe, courbes et contre-courbes. Tablette de marbre : brocatelle d’Italie.
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Coiffeuse en bois de placage et marqueterie. Trois tablettes se soulevant découvrent des casiers. Un tiroir central, une tirette au-dessus et deux petits tiroirs latéraux. Pieds cambrés. Coiffeuse, ou poudreuse, estampillée B. DURAND : Durand Bon, dit BONDURAND ou Durand le jeune, passé maître le 18 février 1761, gendre de l’ébéniste Cordié. Il a travaillé pour les ébénistes Migeon et Genty, et il a laissé de bons ouvrages (Expertise de Cormis, 23 juin 1955, p. 1.11). Voir aussi Janneau, 1972, p. 123.
16. Miroir Glace, bois peint Fin XVIIIe – début XIXe H. 150 cm ; L. 104 cm. Glace : H. 129 cm ; L. 84 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 45 Glace ancienne, à encadrement de bois peint. Gros clous apparents aux angles.
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17. Trumeau Glace, bois peint Fin XVIIIe H. 210 cm ; L. 138 cm. Glace : H. 192 cm ; L. 118 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 46 Glace ancienne formant trumeau au-dessus de la cheminée. Encadrement de bois peint. Gros clous apparents aux angles.
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18. Fauteuil à la reine Bois sculpté et peint Louis XV H. 94 cm ; L. 72 cm ; P. 62 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 53 Fauteuil à la reine, de bois sculpté et peint. Accotoirs et pieds courbés, manchettes arrondies, large dossier carré en accolade. Tendu de damas rouge. D’une paire (MB 53 et MB 54).
20. Canapé de repos (dit « de la naissance ») Bois sculpté et peint, soie Louis XVI H. 81 cm ; L. 205 cm ; P. 84 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 50 Bibliographie : Jean-Marc Olivesi, Destins d’objets, douze objets témoins du destin des Bonaparte, Paris, RMN, 2014, p. 26 ; Charles Barbaud, « La maison Bonaparte. L’immeuble et le mobilier », Revue des Études napoléoniennes, janvier - février 1924, p. 66. Canapé de bois sculpté et peint à deux chevets égaux, renversés, terminés par une volute. Huit pieds cannelés, les deux paires du milieu, liées par l’entretoise.
19. Fauteuil cabriolet Bois sculpté et peint, damas Louis XV H. 110 cm ; L. 78 cm ; P. 58 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 55
21. Fauteuil cabriolet Bois sculpté et peint, damas Louis XV H. 92 cm ; L. 62 cm ; P. 63 cm Historique : Don du Prince Victor Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MB 56
Fauteuil cabriolet de bois sculpté et peint. Accotoirs et pieds cambrés, manchettes arrondies, large dossier carré en accolade. Tendu de damas rouge. Fait partie d’une série de neuf (MB 55 à MB 59 et MB 115 à MB 118).
Fauteuil cabriolet de bois sculpté et peint. Accotoirs et pieds cambrés, manchettes arrondies, large dossier carré en accolade. Tendu de damas jaune. Fait partie d’une série de neuf (MB 55 à MB 59 et MB 115 à MB 118).
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