La Corse d'Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire

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La Corse d’Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire Nouvelles et autres écrits (1826-1831)

Édition établie, présentée et annotée par Eugène F.-X. Gherardi

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Le Corse est un peuple extrêmement difficile à connaître ; ayant l’imagination très vive, il a les passions extrêmement actives. Napoléon Bonaparte à André-François Miot, Vérone, 23 novembre 1796

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PRÉSENTATION

Sur les chemins de Corse, un jeune romantique

A

VEC LE PASSAGE DU XVIIIe AU XIXe SIÈCLE,

c’est une poétique nouvelle qui aborde les rivages de la Corse et va à la rencontre d’épiphanies singulières. Vision familière de l’île qui fait de Colomba son Évangile. Le sujet pourrait paraître rebattu, tant il vrai que le romantisme tient une place encombrante dans le panorama littéraire insulaire. Pourtant, quiconque s’intéresse un tant soit peu à la Corse romantique peut très bien ignorer les textes que l’île inspire à Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, tant cette œuvre qu’on a cru définitivement enterrée, n’a fait jusqu’ici l’objet d’aucune synthèse1. Rosseeuw a rarement retenu l’attention. Dans sa Découverte littéraire de la Corse, Maurice Ricord se montre sévère et injuste à son égard en le qualifiant de « littérateur d’honnête réputation » mais dont l’œuvre « ne vaut guère qu’une mention2 ». On peut s’interroger sur les raisons de cet oubli teinté de mépris. Lire Rosseeuw n’aurait d’intérêt qu’anec-

1. Toutefois, il faut savoir rendre grâce à Corse noire, anthologie présentée par Roger Martin (Ajaccio, Albiana, coll. Les oubliés, 2013, p. 70-93) d’avoir accueilli Le déjeuner du bandit, nouvelle composée par Rosseeuw. 2. Maurice Ricord, Découverte littéraire de la Corse, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1963, p. 56.

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dotique s’il n’était l’un des tout premiers à définir les contours et les ressorts de l’image romantique de la Corse. Toutefois, si le XIXe siècle précise, systématise et fige cette image de la Corse, les Lumières la contenaient déjà en germe3. Sans le savoir, Rosseeuw s’applique avec d’autres à l’élaboration d’une image qui fera florès. Mérimée, du reste, ne fera que marcher sur ses brisées. Il n’est donc pas inutile de réévaluer l’œuvre de Rosseeuw, notamment au regard de celle de Mérimée qu’elle précède et, par ses similitudes, semble annoncer.

Linéaments d’une vie Eugène-François-Achille Rosseeuw Saint-Hilaire voit le jour à Paris le 30 juin 1805. Brillant élève, une vive curiosité l’anime et, au sortir des études secondaires, il éprouve une attirance particulière pour l’Italie où il séjournera pendant trois années et se familiarisera avec la langue, l’histoire, la culture, l’art de vivre. C’est au cours de ce long séjour dans la péninsule qu’il compose à l’âge de vingt ans son premier grand texte, un roman historique en cinq volumes : Rienzi et les Colonna ou Rome au XIVe siècle4. Rosseeuw se laisse séduire par le souvenir des ermites, les fraticelli, les dissidents franciscains, adeptes de la pauvreté évangélique, qui diffusent la liberté des âmes, l’ascèse et l’humilité dans 3. Voir l’avant-propos de Christian Zonza pour Dominique et Séraphine. Histoire corse (1768), Ajaccio, Albiana, coll. Les oubliés, 2007, p. 1-34. 4. Paris, Arthus Bertrand, 1825, 5 vol.

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toute l’Italie et le Midi de la France et se heurtent à la répression brutale de l’Église. La digne épouse qu’il avait choisie parmi les filles de la Suisse protestante l’initia, et lui fit comprendre, admirer la simplicité du pur Évangile, selon l’expression consacrée dans l’Église à laquelle il allait s’unir. Déjà sans doute un secret penchant le portait de ce côté. Bien jeune, il avait subi le charme d’Arnaud de Brescia, et il choisissait Rienzi comme héros de son roman5.

Revenu en France, ses études le conduisent presque naturellement à entamer une longue et belle carrière dans l’enseignement. Professeur de rhétorique au collège d’Ajaccio en 1826, la Corse où il séjourne plus de deux ans lui rappelle un peu l’Italie. Ayant regagné le continent, il enseigne un temps au collège de Tulle avant de rejoindre Paris. Il décroche l’agrégation de lettres en 1828, et professe la rhétorique au collège Bourbon puis l’histoire au lycée Louis-le-Grand de 1829 à 1842, puis à l’École polytechnique. Il participe intensément à la vie culturelle et littéraire, il fait en février 1830 « le «coup de poing» au parterre d’Hernani6 », acte de naissance du romantisme en France. Sous le règne de Louis-Philippe, il assure pendant quelque temps les fonctions de rédacteur en chef du Constitutionnel, défendant dans les colonnes du journal la politique d’Adolphe Thiers dont il fut toujours l’ami 5. Rosseeuw Saint-Hilaire, par M. le duc d’Aumale [Henri d’Orléans], membre de l’Institut, Paris, Institut de France, Académie des sciences morales et politiques, Alphonse Picard, 1889, p. 6. 6. Id. p. 5.

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fidèle. Enfin, il tourne son regard vers l’Université. Agrégé des facultés, Charles de Lacretelle (1766-1855) le désigne en avril 1838 pour sa suppléance dans la chaire d’histoire ancienne de la Sorbonne. Distinction rare puisque Rosseeuw n’est pas encore titulaire du doctorat ès lettres. Cependant, il se fait déjà connaître pour ses talents d’orateur et de pédagogue. M. Rosseeuw Saint-Hilaire est un historien de talent, et son cours, assidûment suivi, est fait très consciencieusement. C’est un homme de bonne mine, au front haut et découvert. Sa parole est claire et facile, et sa manière d’envisager les hommes et les choses ne manque pas d’ampleur. Il a souvent des aperçus très neufs et très heureux, et ce n’est pas sans plaisir que nous nous rappelons avoir applaudi, avec le reste de son auditoire, une comparaison de la constitution législative de l’empire d’Auguste avec le code de Napoléon, pleine d’observations d’une étonnante vérité7.

Par décret du 28 avril 1844, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur8. En 1853, après le départ à la retraite de Lacretelle, Rosseeuw est nommé chargé de cours puis professeur titulaire de la chaire dont il avait été le suppléant durant de longues années. Consécration ultime, il est élu à l’Académie des sciences morales et politiques, dans la section d’histoire générale et philosophique, le 24 février 1872, en remplacement de M. Mortimer-Ternaux. 7. Auguste Biset, « Cours de l’Université : Sorbonne et Collège de France », Écho de la littérature et des beaux-arts, 1846, p. 144. 8. Archives nationales, fonds de la Légion d’honneur, notice L2383087.

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Il prend sa retraite avec le titre de professeur honoraire le 1er mars 1872. Toutefois, à partir de 1864, son état de santé qui s’était considérablement altéré ne lui permettait plus d’enseigner. Louis-Auguste Himly, son ancien élève puis collègue, doyen de la faculté des lettres de Paris, historien et géographe, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, rappellera combien cet éloignement priva les étudiants d’un enseignant hors pair : Il y a donc un quart de siècle que pour la dernière fois les nombreux auditeurs, que chaque nouvelle année réunissait autour de sa chaire, ont pu puiser dans son enseignement, avec une instruction solide, les leçons de la morale la plus élevée. Néanmoins le souvenir de son éloquence persuasive, de sa parole chaude et vibrante, dont le charme de sa voix doublait l’effet, est loin d’être éteint ; s’il y a parmi ceux qui m’écoutent des hommes qui ont eu le bonheur d’être ses élèves, ils témoigneront, j’en suis sûr, avec moi, de l’impression profonde qu’a faite sur leur esprit l’inspiration éminemment religieuse et morale qui animait toutes ses paroles ; quant à nous, ses collègues du vieux temps, nous nous rappelons avec émotion certaines soutenances de doctorat où, donnant un libre cours à ses aspirations généreuses, il glorifiait avec un égal enthousiasme Dieu, la patrie et la liberté9.

9. Louis-Auguste Himly, Discours de M. Himly, membre de l’Académie, au nom de la faculté des Lettres. Funérailles de M. Rosseeuw Saint-Hilaire, membre de l’Académie. Le vendredi 1er février 1889, Paris, Institut de France, Académie des sciences morales et politiques, Firmin-Didot et Cie, 1889, p. 7-9.

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On ne comprend rien à la personnalité de Rosseeuw, à son côté parfois pince-sans-rire et austère, si l’on ne prend la mesure de la dimension religieuse qui l’habite. L’écrivain et l’universitaire se confondent avec le disciple d’une foi protestante que rien ne semble affaiblir. On se demandera sans doute en nous lisant : «Mais l’Évangile, est-ce le protestantisme ?» Ce n’est point à nous, c’est à la France d’en juger. Qu’elle lise l’Évangile, nous n’avons pas le droit de lui en demander plus. Elle y trouvera la réponse qu’elle cherche, comme l’y a trouvée celui qui a écrit ces lignes, fatigué, comme tant d’autres, d’adhérer de nom à un culte sans y croire et sans le pratiquer. Si elle trouve comme nous le protestantisme dans l’Évangile, qu’elle l’adopte alors, dans le plein et viril exercice de sa volonté de peuple adulte, en âge de choisir lui-même la religion qu’il lui faut, et de quitter celle dont il ne veut pas10.

En 1871, Rosseeuw sonde les raisons de la défaite française dont il rend responsable le catholicisme. Mais cette France, qui l’a faite ce qu’elle est ? Qui l’a élevée, qui l’élève encore en ce moment ? Nous ne reculerons pas devant cette grave question qui vient d’elle-même se poser. L’éducateur de la France, c’est le catholicisme, et par l’élève, aujourd’hui, nous pouvons juger le maître ! Personne n’échappe à son action, et plus ou moins, nous l’avons tous subie ; car là où Rome ne peut pas imposer son joug aux âmes,

10. Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, « Ce qu’il faut à la France », Études religieuses et littéraires, Paris, Dentu libraire, Ch. Meyrueis, 1863, p. 131.

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elle les rejette dans l’incrédulité, la seule porte par laquelle on sache chez nous sortir du catholicisme11 !

Revenant sur la profonde crise des valeurs que la France traverse après Sedan, Rosseeuw prône le Relèvement moral de la France par le protestantisme. Que faut-il à la France pour la relever ? Des croyances ! Croire, c’est la vie des nations, l’air vital dont elles ont besoin pour respirer ! Des croyances, mais lesquelles ? J’ai voyagé dans toute l’Europe : quels sont les grands peuples ? Ceux qui croient ! Quelles sont les révolutions qui ont duré, qui ont fondé quelque chose ? Celles qui ont eu à leur base une révolution religieuse, l’Angleterre, la Hollande, la Suède, les États-Unis. […] Parce que la France s’imagine avoir une religion, mais qu’au fond elle n’en a que l’écorce, la superficie12.

Cette conviction fondamentaliste, qui en irrite plus d’un, ne manquera pas de lui valoir aussi quelques moqueries comme en témoigne d’ailleurs une note manuscrite figurant dans l’exemplaire de La délivrance conservé par la Bibliothèque nationale de France. Vieux bonhomme, vieux toqué ! Pasteur et prédicant luthérien manqué ! Piétiste illuminé et fanatique enragé ! Utopiste, cosmopolite et sans patrie ! Réactionnaire et conservateur idiot ! Faux libéral ! Orthodoxe dans le protestantisme et aussi absolutiste que le pape ! Eût imposé à la France la

11. Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, La délivrance, Paris, Dentu, Meyrueis, 2e édition, 1871, p. 48. 12. Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, Relèvement moral de la France. Conférence faite dans le Midi de la France, en avril et mai 1871, Paris, Meyrueis, 1872, p. 5.

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Réforme par ordre, par décret ! Grand savant et honnête homme, mais vieille bête13.

Dans sa vie comme dans son œuvre, le protestantisme, reflet du plus pur christianisme, constitue chez Rosseeuw l’aiguillon de la loi d’amour devant conduire l’humanité vers sa rédemption. À sa mort survenue le 30 janvier 1889, son corps est transporté à Jouy-en-Josas où il est inhumé. Le lendemain des funérailles, Francisque Bouillier, président de l’Académie des sciences morales et politiques lui rendra hommage par un discours qui remplit le difficile et douloureux exercice de résumer une vie portée par le travail, les épreuves et la foi inébranlable. Je ne vous l’aurais pas fait connaître tout entier si, après avoir parlé du professeur, de l’écrivain, de l’historien, je ne vous disais quelque chose de l’homme et du croyant, si je ne louais la douceur, la bonté exquise de son caractère, sa parfaite bonne foi et surtout l’entraînement naturel de sa belle âme vers les choses divines. Quelles qu’aient été ses variations dans les formes de sa foi religieuse, quelque surprise, et quelque chagrin qu’elles aient pu causer à ceux-ci ou à ceux-là, personne n’a jamais songé à mettre en doute son entière sincérité. Telle était la force des convictions religieuses auxquelles son esprit et son cœur avaient une fois adhéré, qu’il ne pouvait plus les enfermer en lui-même ; elles débordaient, pour ainsi dire, au dehors ; il eût voulu y convertir tout le monde, même les philosophes, ses amis. Il a

13. Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, La délivrance, op. cit., mention manuscrite sur la page de garde.

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parlé, prié à haute voix, prêché pendant bien des années, dans une foule de réunions pieuses et de chapelles protestantes ; il a traduit de l’anglais ou composé lui-même un certain nombre d’écrits d’édification et de propagande morale et religieuse14.

Élu dans la section d’histoire de l’Académie des sciences morales et politiques le 30 mars 1889, Henri d’Orléans (1822-1897), duc d’Aumale, rendra à son tour un bel hommage à Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire auquel il succédait. Le duc, fils du roi Louis-Philippe, décrit une « pure et longue existence, remplie par l’étude et le travail15 ». Dans l’arène politique, Rosseeuw fut « de tout temps libéral, ami et parfois collaborateur de M. Thiers16 ». Mais que fallait-il entendre par libéralisme sous la Restauration, période où notre écrivain se forge ses convictions ? Pour la première génération romantique, cette doctrine « se définissait à la fois contre les souvenirs de la Terreur jacobine et contre les velléités de rétablissement de l’ancienne monarchie absolue17 ». Jusqu’à la tombe, Rosseeuw resta donc fidèle à cet idéal de jeunesse. Relisant son œuvre et retraçant à grands traits sa vie, le duc d’Aumale souligne qu’il était

14. Francisque Bouillier, Discours de M. Bouillier, président de l’Académie. Funérailles de M. Rosseeuw Saint-Hilaire, membre de l’Académie. Le vendredi 1er février 1889, Paris, Institut de France, Académie des sciences morales et politiques, FirminDidot et Cie, 1889, p. 1-5. 15. Duc d’Aumale, op. cit., p. 5. 16. Ibidem. 17. Paul Bénichou, Le temps des prophètes. Doctrines de l’âge romantique, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des idées, 1977, p. 47.

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« apôtre plutôt que sectaire » et que, indigné par toutes les persécutions, « le plus souvent son cœur excellent, son esprit impartial étouffent la voix des préjugés18 ».

Les sirènes du voyage À quoi rêve un jeune homme de qualité, en France, sous la Restauration ? Comment combattre, l’ennui, le mal du siècle et le spleen ? Prendre le vent du large ? Voyager et humer l’air du Sud en quête d’aventures formatrices. Préférer l’errance et la liberté aux contraintes de la respectabilité bourgeoise. Trop curieux du monde pour demeurer dans l’espace confiné des bibliothèques, sous l’opaline des lampes, Eugène Rosseeuw SaintHilaire voyage donc. Arpenteur qui se cherche dans la pérégrination buissonnière et qui « entend bien ailleurs devenir autre, c’est-à-dire soi19 ». Déjà, évoquant ses voyages, Jean-Jacques Rousseau avait écrit : « Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j’ose ainsi dire, que dans ceux que j’ai faits seul et à pied20. » On s’en doute un peu, Rosseeuw, jeune enseignant, ne végète pas entre les murs du collège d’Ajaccio. Quand cela est possible, notamment pendant les congés scolaires, il quitte la ville et gagne la campagne. À toute allure et

18. Duc d’Aumale, op. cit., p. 19. 19. Michel Crouzet, Stendhal et l’italianité. Essai de mythologie romantique, Paris, Librairie José Corti, 1982, p. 9. 20. Jean-Jacques Rousseau, Confessions (1732), livre IV. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1959, tome I, p. 162.

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avec une certaine désinvolture, mais non sans talent, il peint la Corse et tente d’en percer le secret. Observateur au regard affûté, discoureur poétique des tours et détours que lui réservent ses chevauchées au long cours, il détaille la variété des paysages, de la faune et de la flore qu’il met en résonance avec ses états intérieurs. Le goût de l’exotisme, qui fut toujours assez profond en France, venait d’être renouvelé au début du XIXe siècle par les grands bouleversements sociaux. La nature incertaine du romantisme français procède de deux versants, l’un royaliste et l’autre libéral : Nous connaissons les milieux politiques auxquels chacun d’eux était lié, leurs traditions, leurs idéaux ; on entrevoit derrière eux des classes sociales : le romantisme royaliste semble un essai de rajeunissement et de réhabilitation de l’aristocratie ; le romantisme libéral, une irruption de la bourgeoisie victorieuse dans le domaine des formes et des prestiges littéraires21.

De gré ou de force, on avait voyagé, et les voyageurs avaient conté leurs étonnements22. Chateaubriand était le père de cet exotisme nouveau. Hugo décrit Grenade qu’il n’avait jamais vue, et Mérimée et Stendhal la Corse où ils n’étaient jamais allés.

21. Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des idées, 1993 (1973), p. 346. 22. Gaston Roger, Prosper Mérimée et la Corse, Alger, éditions Baconnier, 1945, p. 37.

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Même si nous ne connaissons pas le détail des déplacements de Rosseeuw en Corse, chaque destinée gardant, fort heureusement, quelques mystères, nous savons donc qu’il visite le Sud, puis grimpe vers le Nord, parcourt la Castagniccia, séjourne à Bastia, s’arrête un instant sur le site antique d’Aleria où il repère quelques vestiges. En bon romantique, il aime les ruines et devise sur l’angoisse enfantée par la course éperdue du temps. Volney avait ouvert le chemin avec Les ruines ou méditations sur les révolutions des empires, ouvrage qui connut un grand succès au moment de sa parution en 1791, fit l’objet de nombreuses rééditions, et marqua les esprits romantiques. Je me séparerai des sociétés corrompues ; je m’éloignerai des palais où l’âme se déprave par la satiété, et des cabanes où elle s’avilit par la misère. J’irai dans la solitude vivre parmi les ruines ; j’interrogerai les monuments anciens sur la sagesse des temps passés ; j’évoquerai du sein des tombeaux l’esprit qui, jadis dans l’Asie, fit la splendeur des États et la gloire des peuples. Je demanderai à la cendre des législateurs par quels mobiles s’élèvent et s’abaissent les empires ; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations ; sur quels principes enfin doivent s’établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes23.

De fait, la halte de Rosseeuw à Aleria le plonge dans une rêverie qui prend un caractère sépulcral et vire aussitôt au noir.

23. Volney, Les ruines ou méditations sur les révolutions des empires, Paris, Desenne, 1791, p. 24.

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J’ai visité la place où fut Aleria : c’est une belle et fertile plaine à l’embouchure du Tavignano, dominée par un plateau peu élevé, peut-être formé de débris. Quelques restes d’un égout, et une enceinte circulaire qu’on a décorée du nom de cirque, et qui servait, je crois, plus modestement de silo pour les grains, voilà tout ce qui reste de cette ville florissante qui comptait, dit-on, jusqu’à 60 000 habitants. Placés juste en face de Rome, leurs regards, sous le ciel serein de ce beau pays, pouvaient presque atteindre les côtes de leur ancienne patrie. Leurs os, maintenant entassés depuis les massacres successifs qui ont dépeuplé la ville, engraissent le terrain, qui est partout à l’entour d’une prodigieuse fertilité. On trouve, en creusant légèrement la terre, des médailles, surtout du temps de Trajan, et des cornalines d’un médiocre travail.24

L’Italie et l’Espagne, la Corse dans une moindre mesure, offrent leurs ports d’attaches aux épris d’idéaux. Par la suite, poussé par des vents plus forts, Rosseeuw s’intéressera à la péninsule ibérique où Thiers lui offre une mission. Auteur prolifique, il entame en 1837 la publication des quatorze volumes d’une Histoire d’Espagne qui fera longtemps autorité et embrasse toutes les époques jusqu’à la fin du règne de Ferdinand VII. Quel regard Rosseeuw a-t-il posé sur les pays de l’Europe du Sud catholique que sont l’Italie, l’Espagne et la Corse ? Trois pays où le sentiment religieux est profond. Les avis divergent. Dans une critique de son Histoire d’Espagne, il est dépeint sous les traits d’ « un protestant très ardent, un homme du Nord, qui ne peut se sentir un bien grand

24. Neuvième lettre sur la Corse, p. 353-354.

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amour pour ces peuples du Midi, d’une foi ardente, d’une mobilité extrême25 ». Le lecteur attentif remarquera que la Corse n’est jamais absente de l’Histoire d’Espagne. L’île se manifeste sous la forme de quelques notations. La péninsule ibérique le ramène souvent chez nous. Détaillant les aspects des règles matrimoniales en usage en Espagne au Moyen Âge, il souligne au sujet du veuvage : La veuve ne devait pas vendre le lit où elle avait dormi avec le défunt, ni ses faucons. Les anciennes lois ou coutumes corses étaient encore plus sévères sur l’article du veuvage : la veuve non seulement ne devait pas se remarier, mais vivre renfermée dans un deuil perpétuel, et toujours vêtue de noir ; encore aujourd’hui, le veuvage y est plus sévère que dans aucun autre pays26.

Évoquant la présence espagnole dans la Sicile de la fin du XVIe siècle, Rosseeuw note : Grâce à sa position insulaire et à la vigueur de ses institutions, la Sicile était restée en dehors du courant des idées et des intérêts du continent. Toute l’énergie de cette race si bien douée se dépensait en vendette héréditaires, fléau de ces trois belles îles, la Corse, la Sardaigne et la Sicile27.

25. Charles Habeneck, « La Maison d’Autriche et l’Espagne au XVIe siècle », Le Causeur, 19 août 1860, n°XXV, p. 555. 26. Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, Histoire d’Espagne, Paris, Pitois-Levrault, 1839, tome IV, p. 516 sq. 27. Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, Histoire d’Espagne, depuis les premiers temps historiques jusqu’à la mort de Ferdinand VII, nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Furne, Jouvet et Cie, 1869, tome X, p. 373.

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Le souvenir du séjour en Corse, accompli alors qu’il était encore un jeune homme, imprégnera Rosseeuw jusqu’au terme de son existence. Au cours des voyages qu’il réalise tout au long de sa vie, attentif au moindre détail, il ne manquera jamais de comparer hommes, paysages et mœurs à la Corse. Ainsi, Tanger et ses alentours lui rappellent l’île. Les montagnes, qui ceignent la petite base semi-circulaire à l’entrée de laquelle est situé Tanger, sont entièrement couvertes d’une végétation peu élevée, mais touffue et vivace ; de larges guérets, couronnés d’épis et semés comme des plaques d’or sur ce vert tapis, attestent les penchants agricoles de leurs habitants. Mais aucune habitation isolée n’apparaissait sur toute la côte : aux portes de la ville était le désert, mais un désert cultivé et qui n’avait rien de repoussant ni d’aride. Partout où les champs de blé ne jaunissaient pas les croupes des coteaux, d’épais buissons, semblables aux maquis de la Corse, les revêtaient d’une couche épaisse de verdure ; çà et là cependant, s’étendaient, comme pour nous rappeler que nous étions en Afrique, quelques plages de sable, où se dessinaient tantôt quelques cavaliers maures, revêtus de leurs bournous éclatants de blancheur, tantôt quelques chameaux chargés qui cheminaient à pas lents28.

28. Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire, « Tanger et Gibraltar », Revue de Paris, 1er octobre 1837, tome XLVI, n° 1, p. 29.

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Les nouvelles Les écrits corses d’Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire forment une œuvre où affleurent une fraîcheur et une foi juvéniles, une œuvre romantique. Elle est constituée de trois ensembles bien distincts. D’une part, des textes qui prennent la forme de nouvelles littéraires, d’autre part des lettres publiées dans Le Globe qui ont une fonction informative, enfin un essai, Des devoirs de la France envers la Corse, qui apparaît comme le fruit de nombreuses lectures, notes glanées sur l’histoire et les mœurs du pays. Rosseeuw participe activement à l’aventure de la Revue des Deux Mondes dès sa création, et collabore également à la Revue de Paris, publication rivale. Les deux périodiques ont été fondés en 1829. Il faut d’ailleurs lire l’« avertissement » publié dans la première livraison de la Revue des Deux Mondes, en juillet 1829, texte programmatique qui en définit la ligne, pour voir combien les nouvelles corses de Rosseeuw correspondent parfaitement à l’esprit cosmopolite qui souffle alors sur la revue. Arrêtons-nous un instant sur cette déclaration d’intention. Ce ne sont pas les théories administratives dont la France a le plus besoin, c’est l’administration pratique. Il importe donc de bien connaître ce qui se passe ou ce qui s’est passé chez les autres peuples, afin de n’adopter de leurs institutions que ce qui pourrait s’appliquer à nos mœurs, à notre caractère, aux progrès de nos lumières, à la position géographique de notre territoire. […] La Revue des Deux Mondes sera exempte de l’esprit de système qui préside trop souvent aux travaux de ces littérateurs nomades qui voyagent et écrivent si vite.

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Après tant de livres faux, le livre le plus original qu’on puisse publier doit être un livre vrai, et, à ce titre, il nous sera permis de compter sur un succès réel. […] Ainsi la Revue des Deux Mondes aura tout le mérite d’une nouveauté historique. Désirant même faciliter les développements dont elle est susceptible, nous y admettrons des observations piquantes et neuves relatives aux mœurs, aux croyances religieuses et au caractère des nations étrangères. Souvent les habitudes d’un peuple nous donneront la raison de ses lois29.

Ainsi, dans les premiers volumes de la Revue des Deux Mondes, la Corse apparaît comme une terre ni complètement étrangère, ni parfaitement italienne, ni totalement française, qu’on ne sait trop sous quelle latitude situer. Que vient-on chercher en Corse ? Un peu d’Italie ? L’Orient ? Un ailleurs ? Antoine-Claude Pasquin dit Valéry (1789-1847), conservateur de la bibliothèque du château de Versailles, motive son voyage de la manière suivante : Si la fatigue du voyage, qui ne peut se faire qu’à cheval et par d’affreux chemins, était bien plus grande en Corse qu’en Italie, la fatigue littéraire était encore plus forte. Je n’avais plus à mettre en œuvre ces excellents ouvrages d’art et d’antiquité, écrits par de savants auteurs ; mais il me fallait peindre des mœurs et rappeler de glorieux souvenirs : au

29. « Avertissement », Revue des Deux Mondes, juillet-août 1829, premier volume, p. 1 sqq.

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lieu de tableaux et de statues, j’avais en Corse des actions et des hommes30.

Au plan esthétique, les nouvelles s’illustrent par un nombre réduit de pages et de personnages, des actions généralement bornées dans un chronotope bien délimité. Par ailleurs, la nouvelle telle que la conçoit Rosseeuw, genre polymorphe s’il en est, tend parfois à se confondre avec d’autres récits brefs comme le conte ou la fable. Ici, la nouvelle est bien une forme courte, un « genre fuyant » avec toujours ce style de coups d’éperons dans les flancs de la vie. Dans La folle de Bastilica, récit magnétique, l’auteur narre l’histoire de Cecca, une fille de bonne famille de Bastelica, follement éprise de Pietro. Les familles des amants se haïssent. Réfugiée dans le maquis, Cecca – sans le savoir – abat son père qui vient de tuer son compagnon d’infortune. Inconsolable, dévastée par le chagrin, l’amour conduit Cecca à s’enfoncer dans la folie et une sorte d’errance animale dans le maquis, espace clos et ouvert à la fois. Au terme de l’errance : le néant. Le voyage nous mène aux portes de la déraison et de la mort. Là où toute victoire a un goût terrible d’amertume. Magnifique bien que sombre et inquiétante, cette histoire se présente comme la métaphore d’une condition inhumaine dont le récit donne peu à peu toute la mesure.

30. Valéry [Antoine-Claude Pasquin dit Valéry], Voyages en Corse, à l’île d’Elbe et en Sardaigne, Paris, L. Bourgeois-Maze, 1837, vol. I, p. 6 sq.

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Si le modèle qui a prêté ses traits à l’héroïne demeure mystérieux, les sources d’inspiration de la nouvelle ne sont, en revanche, pas sujettes à caution. La folle de Bastilica est bien la variante, transposée en Corse, de Pyrame et Thisbé31, relatée par Ovide dans les Métamorphoses ou de Roméo et Juliette de Shakespeare. La même source d’inspiration shakespearienne conduit Rosseeuw à ravauder l’histoire, bien réelle celle-là, de Sampiero et Vannina, sorte d’Othello à la mode corse. Comme tout bon romantique de la première génération, Rosseeuw puise la matière de ses récits dans l’histoire, réservoir inépuisable d’images, de scènes, de tableaux, de personnages et d’intrigues. Il prête sa plume à l’histoire de Sampiero et Vannina dont il s’efforce de traduire la part romanesque et la dimension tragique qui renvoie à un autre couple plus universel : Éros et Thanatos. De toute évidence, « les amours tragiques des amants de Vérone ont aussi trouvé place dans les intrigues corses construites sur le thème des familles ennemies32 ». Ces deux vies parallèles, antithétiques, s’appellent, se répondent et s’éloignent comme deux aimants. Rosseeuw déstructure le récit historique en lui conservant ses arômes, et en tirant profit du pouvoir d’évocation et de la manière dont il fait vibrer les cordes 31. Cf. Clélia Anfray, « Pyrame et Thisbé au XIXe siècle : mythe ou imagerie ? Dumas, Zola, Maupassant », Revue d’histoire littéraire de la France, mars 2013, n° 1, p. 87-107. 32. Pierrette Jeoffroy-Faggianelli, « La Corse et l’Italie dans la littérature romantique », Études corses, 1978, n° 10, p. 124.

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imaginaires du lecteur. De tous les héros qui ont joué un rôle dans le développement de la mémoire insulaire, Sampiero est celui qui, plus qu’aucun autre, revêt une double signification. D’une part, en tant que personnage historique, il est perçu comme l’un des fondateurs de la nation corse. D’autre part, il est, parmi les héros, celui dont l’histoire participe le plus du mythe et de la légende. Le XIXe siècle impose une image de Sampiero qui concentre en elle toute la puissance d’un topos immémorial, d’un lieu privilégié où se rejoignent mythe, histoire et poétique. Avec Sampiero et Vanina, le nouvelliste invite donc son lecteur à descendre des hauteurs de l’histoire pour explorer les détails de la vie privée.

Les lettres sur la Corse Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire semble avoir préparé son long séjour en Corse avec beaucoup de minutie. Lecteur insatiable, avant même de s’établir à Ajaccio, il se procure des ouvrages destinés à affermir ses connaissances sur le pays et à féconder son esprit. Dans sa dimension kaléidoscopique, l’écriture épistolaire et diaristique permet à l’auteur de rassembler un matériau disparate : observations de visu, notes de lecture, impressions de voyage et carnets de route, réflexions et anecdotes, toute une grenaille qu’il ne peinera pas à trouver dans un pays saturé d’histoires. La lettre apparaît comme un des combustibles nécessaires au propulseur de l’écriture fictionnelle. – 24 –

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Sans que cela ne fasse plus l’ombre d’un doute, Rosseeuw est bien l’auteur de dix Lettres sur la Corse, publiées sans nom d’auteur de mai 1826 à septembre 1827 dans Le Globe. Ce journal littéraire, avant de devenir l’organe des doctrinaires, était un des points de ralliement du romantisme français et l’organe du spiritualisme de Victor Cousin. De 1824 à la révolution de Juillet (1830), Le Globe, ou plutôt « l’ancien Globe33 » n’est pas n’importe quel journal. Il est l’un des périodiques les plus en vue de la Restauration, le journal libéral des romantiques de la jeune France. Il est « le fer de lance du mouvement romantique français34 » et « la plus efficace machine de popularisation de l’éclectisme comme doctrine35 ». Si le Globe n’est pas le premier journal venu c’est parce qu’il occupe dans l’histoire littéraire de la France une place indiscutable et quelques globistes sont passés à la postérité. Guizot, Mérimée, Sainte-Beuve, Stendhal, Victor Cousin écrivent quelques articles dans

33. À partir de 1831, on prit l’habitude de désigner par ancien Globe le journal libéral de la Restauration pour le distinguer de son avatar saint-simonien. C’est bien l’ancien Globe auquel collabore Rosseeuw Saint-Hilaire qui nous intéresse ici. Jean-Jacques Goblot, Le Globe, 1824-1830. Documents pour servir à l’histoire de la presse littéraire, Paris, Honoré Champion éditeur, 1993, p. 7. 34. Jean-Claude Yon, « Théâtre, romantisme et presse à la fin de la Restauration : l’exemple du Globe en 1827 », Paris 1820. L’affirmation de la génération romantique. Actes de la journée d’étude organisée par le Centre André-Chastel, le 24 mai 2004, Berne, Peter Lang, 2005, p. 167. 35. Patrice Vermeren, « Les têtes rondes du Globe et la nouvelle philosophie de Paris (Jouffroy et Damiron) », Romantisme, 1995, vol. XXV, n° 88, p. 26.

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un journal lu et apprécié d’un Goethe ou d’un Giuseppe Mazzini. Beaucoup d’écrivains et non des moindres comme Stendhal étaient abonnés au journal. C’est comme correspondant en Corse du Globe que Rosseeuw publie ses dix lettres. On connaît la force des liens qui l’unissent à la rédaction du journal et notamment à Paul-François Dubois (1793-1874), son fondateur. Ainsi, Sainte-Beuve écrit : « Il [Rosseeuw] n’a jamais été du Globe, et je l’ai vu seulement chez Hugo36. » Cette assertion est contrebalancée par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire (1805-1895) qui attribue les lettres de Corse à Rosseeuw37. Le 25 mai 1826, le journal publie un compte rendu anonyme des Sketches of Corsica de Robert Benson. Puis le 4 juillet de la même année, une étude sur le caractère corse ; le 22 juillet, la description d’un voyage dans la Corse profonde ; le 28 décembre, une description des funérailles et de diverses coutumes ; le 6 mars 1827, un récit des aventures du bandit Théodore Poli ; le 10 avril, des réflexions sur le service de la navigation entre le continent et l’île ; le 5 juin, une évocation de Napoléon ; le 5 juillet, une étude sur les possibilités de relèvement économique de la Corse ; les 13 et 25 septembre, deux chapitres d’histoire. Dans Le Globe comme dans des revues parisiennes contemporaines, les articles anonymes ne sont pas rares.

36. Lettre de Sainte-Beuve à Théodore Carlier, 29 juillet 1835. Cité par Jean-Jacques Goblot, op. cit., p. 206. 37. Archives nationales, Papiers Dubois, 319 AP3, dossier 3, f°18. Cité par Jean-Jacques Goblot, ibid., p. 206.

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Selon une règle, un jeu38 ou presque, qui se généralise dans les colonnes du journal, beaucoup d’articles ne sont pas signés ou sont simplement paraphés, les initiales de l’auteur ne suffisant pas toujours à l’identifier en dehors des milieux littéraires. En dépit de recherches que nous imaginons nombreuses en Corse et spécialement à Ajaccio où il résida quelque temps avant la Seconde Guerre mondiale, Gaston Roger, « Corse d’adoption39 », auteur d’une thèse de doctorat intitulée Prosper Mérimée et la Corse, soutenue à la faculté des lettres d’Alger en 1943, affirme que l’auteur de ces lettres, correspondant du Globe, résidant en Corse, est demeuré inconnu40. Pourtant, dans le volume de ses Recherches historiques et statistiques sur la Corse (1835), François Robiquet, ingénieur en chef des ponts et chaussées en Corse, renvoie le lecteur aux Lettres de Corse publiées presque dix ans plus tôt dans Le Globe. Robiquet note au passage que « ces lettres, pleines d’intérêt, ont été attribuées à M. Saint-Hilaire, aujourd’hui professeur d’histoire au lycée

38. « Les rédacteurs n’étaient point alors tenus de livrer leurs noms au public ; leur personnalité n’était pas toutefois inconnue, plutôt voilée, avec une apparence de mystère qui ajoutait au succès, parce qu’elle piquait la curiosité et qu’il y avait plaisir à deviner, sous le masque, les vrais visages de ces écrivains restés anonymes, dont quelques-uns jouissaient d’un grand crédit dans la meilleure compagnie. » Comte d’Haussonville, de l’Académie française (Joseph de Cléron), Ma jeunesse, 1814-1830. Souvenirs, Paris, Calmann-Lévy, 1885, p. 254. 39. Il se présente ainsi dans une lettre manuscrite adressée au professeur Paul Arrighi et datée de « Paris, 12 avril 1951 », coll. privée. 40. Ibid., p. 75.

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