LES SPORTS
ORSE C SPORT CORSICA EN
Miroir d’une société
IN
Spechju d’una società
Ont participé à la rédaction de cet ouvrage Hadj Mohamed Benkazdali • Laboratoire d’optimisation des programmes en APS, Institut d’Éducation physique et sportive, université de Mostaganem-Algérie Olivier Bessy • Professeur géographie aménagement, laboratoire SET UMR 5603, université de Pau et des Pays de l’Adour Laurent Bocquillon • PLP au lycée Saint-Exupéry de Saint-Raphaël, doctorant à l’université de Provence, MMSH Claude Boli • Responsable des départements Recherche et Collections du musée national du Sport Jean-François Diana • Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, université Paul-VerlaineMetz, Centre de recherche sur les médiations (EA 3476) Paul Dietschy • Maître de conférences à l’université de Franche-Comté Philip Dine • National University of Ireland, Galway Thierry Dominici • Docteur en sciences politiques, chargé de cours (universités Bordeaux 3 et Bordeaux 4) Lisa D’Orazio • Docteur en histoire Camille Duhé • Doctorant en sociologie, UMR LISA, Università di Corsica Jacques Dumont • Professeur des universités, laboratoire AIHP GEODE, université Antilles-Guyane Youcef Fatès • Docteur d’État en science politique, maître de conférences – HDR, université Paris-Ouest-Nanterre La Défense Docteur Stanislas Frenkiel • Laboratoire Histoire et Socio-Anthropologie du Sport (L.H.2S.), Centre de recherche et d’innovation sur le sport (E.A. 647), université Claude-Bernard Lyon-I, Villeurbanne Yvan Gastaut • Historien, maître de conférences, université de Nice-Sophia Antipolis – Laboratoire URMIS Eugène F.-X. Gherardi • Professeur des universités, université de Corse Pasquale-Paoli/UMR CNRS 6240 LISA Sylvain Gregori • Attaché de conservation du patrimoine, docteur en histoire de l’université de Provence, président et cofondateur de l’association d’histoire militaire corse Sintinelle Nicolas Hourcade • Professeur agrégé de sciences sociales, École centrale de Lyon, laboratoire CADIS Dr Cathal Kilcline • School of Languages, Literatures and Cultures, National University of Ireland, Galway, Ireland Christophe Luzi • Ingénieur de recherche au CNRS, UMR 6240 LISA, Università di Corsica Pasquale-Paoli Ludovic Martel • Maître de conférences, UMR LISA, Università di Corsica Stéphane Mourlane • École française de Rome – UMR Telemme Didier Rey • Maître de conférences, HDR, UMR LISA, Università di Corsica Sébastien Ruffié • Maître de conférences, laboratoire ACTES, université Antilles-Guyane Mohamed Sebbane • Laboratoire d’optimisation des programmes en APS, Institut d’Éducation physique et sportive, université de Mostaganem-Algérie Didier Theiller • Maître de conférences STAPS, laboratoire SET UMR 5603, université de Pau et des Pays de l’Adour
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Sommaire 7 Préface
Paul Giacobbi
9 Préface
Joseph-François Kremer-Marietti
11 Avant-propos
Ludovic Martel – Didier Rey
2. La Méditerranée 134 Sportifs en chemise noire ? La politique sportive du régime fasciste italien Paul Dietschy 146 Les Jeux méditerranéens ou le sport comme diplomatie culturelle Yvan Gastaut
12 De la promotion du patrimoine sportif français : le cas du musée national du Sport Claude Boli
1. La Corse
154 L’émergence du modèle ultra italien et son implantation en France Nicolas Hourcade 169 La contagion émotionnelle corse pour le Calcio au prisme des médias Jean-François Diana 178 La genèse des sports en Algérie Youcef Fatès
24 Les sports en Corse des origines à 1914
Didier Rey
37 Pro Patria, sports, armée et nation en Corse 1880-1914 Sylvain Gregori
194 Histoire du football à Mostaganem après l’indépendance de l’Algérie Hadj Mohamed Benkazdali – Mohamed Sebbane
50 Gymnastique et credo hygiéniste en Corse sous la IIIe République :
196 L’image littéraire du football en Méditerranée à travers l’œuvre d’Albert Camus Christophe Luzi
textes et contexte scolaires
Eugène F.-X. Gherardi
65 « Le rêve passé » : le circuit automobile de la Corse 1921
Didier Rey
3. Les îles
79 Les footballeurs professionnels algériens en Corse (1962-2011) : l’exemple de Rachid Mekhloufi Stanislas Frenkiel
211 L’évolution des sports gaéliques : pratiques, politiques et idéologies Dr Cathal Kilcline
86 De Marseille à Monaco, itinéraires méditerranéens des footballeurs corses Laurent Bocquillon
228 Le football en Sicile, expression d’une « terrifiante insularité » ? Stéphane Mourlane
97 Les tentatives d’instrumentalisation politique du football par les mouvances nationalistes insulaires Thierry Dominici
241 Malte, un « petit État » du sport en Méditerranée
107 Montagne corse : éclectisme dans les usages des pratiques sportives Ludovic Martel – Camille Duhé 122 Furiani : une « douleur insulaire »
Lisa D’Orazio
219 Le rugby des Îles britanniques
Philip Dine
Yvan Gastaut
246 Le lointain et le proche : le sport aux Antilles françaises Jacques Dumont – Sébastien Ruffié 258 Le développement des loisirs sportifs de nature à la Réunion : entre attractivité et durabilité touristique Olivier Bessy – Didier Theiller
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Agence du Tourisme de la Corse – Corsica-Made Cirque de la Solitude, GR20 Nord, 15 juin, 12:00 – * Bousculez vos sens Aregno, Calvi, 25 septembre, 16:00 – * Bousculez vos sens Ajaccio, ATC – Cat. 246 et 245
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Pour cette année 2012, le musée de la Corse dédie son exposition temporaire au sport. Cette thématique, déployant une envergure autant sociale qu’anthropologique, introduit un tout prochain événement exceptionnel, avec en 2013, le départ de Corse de la 100e édition du Tour de France. Depuis la fin du XIXe siècle, à partir l’ère préindustrielle, à l’instar des premiers exploits individuels d’alpinisme dont la résonance médiatique avait à l’époque produit de larges échos, de nombreux engagements humains, bravant les éléments naturels insulaires, ont généré un impressionnant panel d’activités sportives progressivement d’année en année. Initialement, les sports de montagne ont débuté officiellement depuis la fin du XIXe siècle. Depuis l’ascension du Monte Cintu le 26 mai 1883 par Francis Tuckett, quantité d’exploits
se succédèrent, initiés par Félix von Cube en 1899, avec des alpinistes attirés par le goût de l’aventure et de la découverte. La Corse était alors considérée comme une contrée non encore parcourue sous l’angle de l’exploit sportif. Ces pionniers permirent à tous les adeptes européens initialement férus d’expériences alpines de surmonter les difficultés de nos montagnes corses. Apparurent ensuite, en 1927, les premières escalades en Corse, démocratisées par le Club alpin belge. Depuis, bon nombre d’ascensions ont permis de surmonter l’ensemble des difficultés de nos reliefs sous tous les angles de montée possibles. Le football a été sacralisé en Haute-Corse par le Sporting Club de Bastia dès 1905 et en Corse du Sud par l’Athlétic Club ajaccien fondé en 1910 sans oublier tous les sports
Paul Giacobbi Président du Conseil exécutif de Corse
d’équipes, successivement le hand-ball, le volley et depuis peu le tennis-ballon, communément appelé football-tennis. Pour cette pratique plus récente, notons que le championnat d’Europe s’est tenu en Corse en 2011. L’équitation, la natation, les sports de combat, le tir, le tennis, le ping-pong : toutes les disciplines olympiques sont aujourd’hui omniprésentes dans nos clubs sportifs. Le premier Tour de Corse cycliste, en 1920, sur la route côtière entre Calvi et Bonifacio fut accessible également aux professionnels dès 1971. Le début du sport automobile marqua sa présence avec le Tour de Corse automobile inauguré en 1956. Sont aussi qualifiables les sports de randonnée sur le GR 20 pour les marcheurs et les trails dans les microrégions de l’île depuis peu. Mentionnons également la pratique du ski réalisable près de Bastelica à l’orée d’Ajaccio ou aux alentours de Ghisoni ou encore à l’ouest de Porto – autant de sites qui permettent aussi de pratiquer les sports d’hiver. L’escalade, le canyoning sont également omniprésents sur l’île. Aux sports terrestres s’ajoutent toutes sortes de sports marins lors de compétitions de voiles ou d’offshores, sans oublier la plongée sous-marine. Notons également sans être exhaustif les sports pratiqués dans les airs avec le parachutisme et les vols en deltaplane. Toutes ces disciplines sont privilégiées par l’étonnante particularité de la nature et du climat de notre territoire. N’oublions pas aussi que le sport en Corse a également une vocation de compassion humaine empreinte de tristesse ; à plusieurs reprises, notre territoire a été marqué d’événements tragiques avec la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992 qui a profondément touché toutes les familles insulaires et a inscrit cette date dans un symbole de recueillement. Précédemment, l’accident de 1962 survenu sur le Monte Renoso avait suscité, à la mémoire des disparus, la création d’une équipe de football. Cette exposition veut apparaître comme un point d’étape historique et socioculturel à tous les passionnés, jeunes et moins jeunes, et permettra la valorisation de différentes formes de la grande famille sportive qui, précisons-le, permet l’altérité, le respect de l’autre, la valorisation de l’effort accompli et de l’élévation des qualités humaines.
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Jean-Jules Miniconi Le GFCA section basket – Vers 1960 Collection particulière Jean-Jules Miniconi – Cat. 111
O Préface
Omniprésent dans l’Antiquité et sur la plaine orientale de la Corse, existant vraisemblablement jusqu’à l’ère paléochrétienne et au-delà,
Joseph-François Kremer-Marietti Directeur de la Culture et du Patrimoine
réapparu médiatiquement dans le cadre de l’exploit et de la performance, relayé grâce aux différents modes de communication au cours du XIXe siècle, développé au XXe siècle autant dans son activité individuelle que collective, évoluant de concert avec une industrie spécialisée tout en augmentant le pouvoir d’un idéal personnel jusqu’à un engouement national et international, le sport est un exemple exceptionnel du dépassement de la nature humaine positionnant conjointement l’altérité et le progrès comme des éléments incontournables et indispensables à sa réalisation. Des expériences sportives sont étroitement liées au peuple corse dont on peut trouver les origines dès l’ère romaine sur le site d’Aléria et précisément au cœur de son amphithéâtre. Des performances entre des pratiques issues des disciplines olympiques et de combat étaient vraisemblablement organisées. Bien évidemment, l’époque romaine qui avait inscrit ses marques en Corse a également attribué aux pratiques sportives une mutation à travers la part importante qu’elle donna aux divertissements populaires. Des exemples peuvent être imaginés de par l’existence possible d’un ludus où différentes disciplines, dont celles de l’art de la lutte, auraient pu être pratiquées. De nos jours, les archétypes utiles et complémentaires aux activités sportives sont également liés à la nature, à la mer, à la montagne, ainsi qu’à nos espaces urbains dans le cadre des sports collectifs inscrits dans des structures monumentales, aux équipements, stades, gymnases, piscines et sur les terrains en plein air. Tous ces édifices dédiés permettent des rencontres entre un public participatif et les acteurs sportifs qui intensifient de concert une existence sociétale de la pratique sportive admise par la population corse. Ces préoccupations touchent l’ensemble des partenaires institutionnels de l’île, politiques, instances publiques, privées, associatives, et se déploient de l’enfance à l’âge adulte. Sont impliqués au cœur de l’éducation sportive, les écoles, les associations, les organismes de stages, les centres de formation initiale et préprofessionnelle, les clubs de compétition, les promoteurs de manifestations et de performances, tous sont omniprésents sur le territoire corse. L’épanouissement humain sur des sites prédestinés permet aussi de mettre en valeur la relation qui unit l’homme à son environnement. Vues sous l’angle du positionnement collectif ou personnel, le dépassement de soi ou l’excellence d’une équipe portée par la volonté de progrès inhérente au sport, ces particularités apportent un dynamisme sans cesse renouvelé et relayé de génération en génération. Le phénomène lié au sport s’adresse autant aux sportifs eux-mêmes qu’aux spectateurs et s’amplifie d’une énergie reliant les parts physiques et spirituelles, comme une incroyable énergie d’adhésion et de communication. La connaissance de ses capacités, la volonté, le dépassement de ses limites, la reconnaissance de l’adversité comme un respect des forces en présence, rehaussés par une union d’acceptation de servir une même cause symbolique sont portés par le geste sportif. Tout cela intensifie l’acte sportif. Il est vivifié par une communion humaine valorisant un esprit d’équipe, des complémentarités individuelles réunies en un ensemble défendant des couleurs identitaires. Chaque acteur apporte au geste sportif une vocation anthropologique. Le lien avec la nature, le rythme biologique, les réalités climatiques propres aux particularités de la Corse apportent aux sportifs et à leurs admirateurs une spécificité et une attention particulières qui éclairent un incomparable engagement. 11
L Avant-propos
Les sports en Corse, comme pour le reste de l’Europe, sont le fruit d’une longue série de mutations socioculturelles, économiques et
Ludovic Martel Didier Rey commissaires de l’exposition
politiques qui débuta dès les années 1860. L’introduction des pratiques sportives par des étrangers, en particulier les Anglo-Saxons, était en rapport avec le tourisme qui connaît un premier essor au milieu du XIXe siècle, sous le règne de Napoléon III. C’est à ce moment précis que ces nouvelles pratiques corporelles touchent les élites corses avant d’atteindre la culture populaire. L’objet de cette exposition est de revenir sur près d’un siècle et demi d’activités physiques et sportives, compétitives ou de loisirs dans l’île, à partir des regards croisés d’un historien et d’un sociologue du sport. Il y a tant à dire, tant à montrer que le contenu ne peut prétendre à l’exhaustivité ; il a donc fallu opérer des choix parfois douloureux. Très souvent, trop souvent encore, le sport n’est pas reconnu comme un élément culturel légitime. Cette question se pose, avec d’autant plus d’acuité, quand le sport s’invite au musée. Il reste d’ailleurs, pour une partie de la communauté scientifique, considéré comme un objet peu « sérieux ». Pourtant, Albert Camus, dont chacun reconnaîtra sans la moindre contestation qu’il ne saurait souffrir d’une illégitimité culturelle, s’exprimait en ces termes : « Car, après beaucoup d’années, où le monde m’a offert beaucoup de spectacles, ce que finalement je sais de plus sûr sur la morale et les obligations des hommes, c’est au sport que je le dois, c’est au RUA que je l’ai appris. » Ce sont les pas de cet auteur que nous avons voulu suivre, en proposant de questionner l’évolution de la société corse en miroir du sport, des sports : Sport in Corsica, spechju d’una sociétà. À observer, par exemple la liesse accompagnant la remontée du SC Bastia dans l’élite nationale du football ou encore l’engouement général du peuple corse dans toute sa diversité pour les pratiques physiques et sportives, nous pensons ne pas faire complètement fausse route. Pour accompagner votre itinérance culturelle et sportive, quatre périodes chronologiques, chacune organisée autour d’un personnage témoin, ont été retenues. Évolutions du matériel technique, transformations des pratiques, diversification des pratiquants, équipements sportifs… sont autant de clés de lecture, de thèmes que vous pouvez (re)découvrir en les combinant, sur un parcours que vous personnaliserez au gré de vos envies.
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De la promotion du patrimoine sportif français : le cas du musée national du Sport Claude Boli
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Produit de l’héritage révolutionnaire1, la notion de patrimoine trouve, à partir du 3 février 1959, un souffle nouveau et constitue l’un des principes fondateurs de la politique culturelle développée sous l’impulsion d’André Malraux, ministre d’État chargé des Affaires culturelles (premier ministère de ce genre en Europe) dans le gouvernement de De Gaulle2. Aussi pouvait-on lire dans le décret de nomination d’André Malraux : « Le ministère d’État […] a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent3. » Investi d’un rôle éducatif, de solidarité et de fierté nationale d’une part, et reconnu pour sa capacité à traduire les mutations de la France d’hier et d’aujourd’hui d’autre part, le sport recouvre au regard des dirigeants politiques un espace digne d’intérêt culturel et social. Depuis près d’un demi-siècle, le musée national du Sport incarne l’une des institutions remarquables du goût patrimonial de la Ve République. Cet article a pour objet de livrer les étapes constitutives du développement du musée national du Sport en tant que lieu majeur de la promotion et de la mémoire du sport hexagonal. Quatre parties, liées à la fois aux conjonctures politiques et au poids social du sport, serviront de guide pour appréhender ce qui constitue un modèle de musée à vocation sportive.
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1. Dominique Poulot, Musée, Nation, Patrimoine, 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997, p. 11-36. 2. Philippe Poirrier, « La notion de politique culturelle en France », in Charles-Louis Foulon, André Malraux et le rayonnement culturel de la France, Bruxelles, Éditions Complexe, 2004. 3. Marc Fumaroli, L’État culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, Éditions de Fallois, 1991, p. 51.
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Les formes de l’institutionnalisation situent d’emblée la place de l’État dans le développement historique de l’établissement. Le musée se révèle être un exemple parlant de l’étroite proximité entre l’État et le mouvement sportif. La collecte d’objets donne la mesure des choix, des pratiques relationnelles entre donateur et récepteur et aussi l’orientation scientifique et culturelle de la direction. Les procédures de patrimonialisation des objets permettent de comprendre comment se constitue un fonds patrimonial. Quels sont les critères retenus pour une mise en valeur patrimoniale d’un objet ?
Cycles Coccinelles, Vercoutère Frères, Roubaix – Bicyclette acatène Paris, musée national du Sport – Cat. 61
LES SPORTS EN CORSE , MIROIR D ’ UNE SOCIÉTÉ
Enfin, nous verrons comment chaque exposition sert de vitrine au travail de patrimonialisation du fait sportif. L’exposition devient l’expression de la légitimité du sport dans un lieu culturel.
Institutionnaliser Une idée gaullienne réalisée sous l’ère mitterrandienne L’implication de l’État dans les domaines sportifs trouve dans le projet, puis la concrétisation du musée national du Sport, un formidable exemple d’une République qui se « sportivise ». Le volontarisme étatique de la République gaullienne4 apparaît dans la prise en considération du sport, en insistant sur le versant éducatif. En 1958, à la demande de De Gaulle, chef de l’État, Maurice Herzog (l’alpiniste devenu héros national en 1951) est nommé haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports5. Le développement des infrastructures sportives, la mise en place d’une cellule de sportifs de haut niveau et l’éducation par le sport constituent les pierres angulaires de cette politique sportive révolutionnaire. L’idée de créer un musée du sport, un lieu qui mette en avant la dimension éducative, s’inscrit parfaitement dans les considérations de l’époque. Toutefois, il faut attendre plusieurs années pour voir la concrétisation d’un bâtiment où les trésors du patrimoine sportif hexagonal sont exposés aux yeux du public. La reconnaissance du sport comme objet légitimement culturel qui se doit de posséder un espace propre est semblet-il mitigée. C’est sous le second septennat de François Mitterrand que s’établit un espace dédié au sport français. Dans un des articles qui rappellent la genèse du musée national du Sport, Jean Durry, premier directeur du musée, précise : En 1960, Georges-P. Thierry, de longue date pratiquant et historien attentif du yachting, suggère à Roland Nungesser, député, de poser une question écrite sur l’éventualité de la création d’un musée “des Sports”, que l’on implanterait au sein du stade de 100 000 places, alors envisagé au Tremblay, mais qui ne verra jamais le jour. L’idée est lancée, un groupe d’études se forme. L’aventure prend son élan véritable trois ans plus tard, lorsque le délégué général aux sports et à la préparation olympique, Marceau Crespin, désigne un responsable de l’opération. Celui-ci se doute-t-il, alors qu’il reçoit au musée des Arts et Traditions populaires la formation, l’enseignement vivant et les principes venus de Georges-Henri Rivière, que l’ouverture au public des Galeries d’exposition – situées au stade du Parc des Princes –, cette ouverture 45
4. Marianne Lassus, Jean-Luc Martin, Sylvain Villaret, « Les politiques du sport (1945-2005) », in Philippe Tétart, Histoire du Sport en France. De la libération à nos jours, Paris, Vuibert-musée national du Sport, 2007, p. 130-137. 5. Maurice Herzog, L’Autre Annapurna, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 179.
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rêvée puis attendue avec l’impatience que l’on imagine, ne se produira que vingt-deux ans après, sous l’égide d’Alain Calmat, ministre délégué à la Jeunesse et aux Sports ! Toujours est-il que le musée du Sport – titre significatif du désir de saisie du phénomène dans son ensemble, et non point au seul niveau des multiples « disciplines et modes de pratique » – commence de se préparer. André Malraux lui permet de disposer, avant que l’Institut national des Sports ne les accueille pour de longues années, du premier local permettant d’abriter l’embryon des collections naissantes, salle située au musée des Arts africains et océaniens.
DE LA PROMOTION DU PATRIMOINE SPORTIF FRANÇAIS : LE CAS DU MUSÉE NATIONAL DU SPORT
Les rapports avec le ministère des Affaires culturelles puis de la Culture, et sa Direction des musées de France, sont en effet excellents. Le musée, pour autant, était appelé à suivre sa propre voie, celle d’un musée de ministère, celui de la Jeunesse et des Sports, et il constitue aujourd’hui l’un des services originaux de la Direction des sports6.
La mission de service public L’emprise de l’État sur l’organisation structurelle du sport fait du musée une institution dépositaire d’une mission de service public où l’intérêt général prédomine. En 2004, le musée national du Sport obtient le label de musée de France. Sous cette appellation, l’établissement se doit de répondre à un certain nombre d’obligations étatiques. Ces missions sont ainsi soulignées dans le code du sport : « 1° L’étude, la présentation au public du fait sportif et du patrimoine qui s’y rapporte, considérés dans leurs dimensions historique, scientifique, artistique, sociologique ou technique, et la mise à disposition de la documentation recueillie ; 2° La conservation, la protection et la restauration pour le compte de l’État des biens culturels inscrits sur les inventaires et dont il a la garde ; 3° L’enrichissement des collections nationales par l’acquisition de biens culturels pour le compte de l’État ; 4° La conception et la mise en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous au fait sportif et au patrimoine qui s’y rapporte ; 5° La contribution aux progrès de la connaissance et de la recherche sur le fait sportif actuel ainsi qu’à leur diffusion », art. D112-4. Plus loin, il est spécifié : « L’établissement assure la conservation, la restauration, l’étude, l’enrichissement, la présentation au public et la valorisation des collections du domaine sportif appartenant à l’État, à des collectivités territoriales, à des établissements publics ou à des organismes privés, qui sont mises à sa disposition par des dépôts à durée indéterminée ou qu’il acquiert à titre onéreux ou à titre gratuit pour le compte de l’État. Les collections de l’État dont l’établissement a la garde font partie du domaine public de l’État et à ce titre inaliénables », art. D112-7. À cet effet, le musée national du Sport est soumis à l’autorité de deux tutelles : les ministères de la Culture et du Sport.
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6. Jean Durry, « Un musée au Parc des Princes », Feuilles, 1985, n° 12, p. 30-31.
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LES SPORTS EN CORSE , MIROIR D ’ UNE SOCIÉTÉ
Collecter Hasard et raison La personnalité de Jean Durry7, premier directeur du musée du Sport, permet de dégager les façons dont se sont constituées les collections, à ce jour uniques au monde, tant par leur variété que par leur richesse. J. Durry est né à Paris en 1930. Issu de la bourgeoisie parisienne, il étudie au renommé lycée Henri-IV, puis à l’université, où il obtient une licence en droit public. Très jeune admirateur des coureurs cyclistes de l’après-guerre, il se prend de passion pour le Tour de France et ses héros (André Leduc). Il fait ses classes au club sportif de Montparnasse où il reste de 1955 à 1970. Il embrasse la carrière de coureur amateur de bon niveau qui le mène à quelques places d’honneur sans jamais atteindre le niveau d’un as de la route. C’est en 1963 qu’il est chargé par le colonel Marceau Crespin de collecter des objets relatifs au sport en vue de la création du musée du Sport. Loin du monde des conservateurs des musées et du milieu des sciences sociales, Durry a fait de sa profonde connaissance du phénomène sportif et de son réseau relationnel l’arme absolue pour obtenir de nombreux dons de champions et championnes, et quelques fois pour acquérir à des sommes dérisoires des chefs-d’œuvre d’artistes célèbres. La collection s’est réalisée au gré des opportunités, d’un centre d’intérêt (le vélo principalement) ou de rencontres impromptues. La connaissance des objets potentiellement riches en sens n’empêche guère une stratégie de collecte hasardeuse. Le décès d’un champion et la prise de contact avec la famille du défunt (notamment la veuve, très souvent gardienne de la mémoire) sont l’une des méthodes utilisées pour obtenir maillots ou chaussures d’un athlète qui a marqué les esprits. La dimension rationnelle intervient quand il s’agit de compléter ou d’enrichir un fonds. La valeur d’une collecte particulière s’est trouvée enrichie par la quête d’objets divers afin de constituer un fonds intéressant. C’est l’exemple d’un vélo d’Antonin Magne (cycliste des années 1930) complété par un maillot jaune, des affiches, etc.
La donation : un acte socialement parlant Au-delà de l’aspect purement technique d’un objet qui entre en collection et qui, une fois inventorié, devient inaliénable, la donation scelle une relation singulière entre donateur et récepteur. Les échanges épistolaires entre le directeur du musée et le donateur renvoient à un arsenal de procédés qui reflètent une époque, un type de discours, une manière de s’immiscer dans le privé et de faire resurgir la face publique de la carrière d’un champion. À travers de nombreux échanges de lettres entre Jean Durry et les donateurs, se dévoile une véritable opération de séduction dont l’usage d’une lexicologie de sympathie est prégnant. 78
7. Jean Durry fut directeur du musée national du Sport de 1963 à 2001. 8. L’objet est inventorié de la façon suivante : D 63.1.1.
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Le premier objet rentré dans les collections8, la selle d’Ottavio Bottechia, évoque le réseau de relations familiales entretenu entre Jean Durry, Jacques Goddet (rédacteur en chef de L’Équipe et surtout directeur du Tour de France) et Louis Melzassard, homme de presse résidant à Monaco. La fameuse selle de Bottechia (premier Italien vainqueur du Tour de France
DE LA PROMOTION DU PATRIMOINE SPORTIF FRANÇAIS : LE CAS DU MUSÉE NATIONAL DU SPORT
Georges-Albert-Étienne Belnet (Dijon 1876 – ?), dessinateur, peintre et affichiste Grand Prix automobile de la Corse, avril 1921 Paris, musée national du Sport – Cat. 66
en 1924 et 1925) est un don de Louis Melzassard effectué à Monaco lors du passage d’une course cycliste. Après réception d’un courrier qui fait état d’une lettre de mission du ministère de l’Éducation nationale, tutelle du secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports, Claude Arabo, l’escrimeur niçois médaillé olympique aux Jeux de Tokyo 1964, accepte de rencontrer Jean Durry pour faire don de ses objets.
Champions et anonymes L’une des missions du musée national du Sport est sa fonction de veille, c’est-à-dire une attention particulière aux pratiques surmédiatisées et peu médiatisées, et également aux champions et aux sportifs anonymes. Observer de près la fascination qui entoure un athlète et considérer également le sportif « du dimanche », telle est la politique de collecte menée 19
LES SPORTS EN CORSE , MIROIR D ’ UNE SOCIÉTÉ
depuis plusieurs années. Peut-on ignorer les prouesses du champion surtout quand celles-ci dépassent le cadre sportif ? En tant que lieu qui joue sur plusieurs registres mémoriels – à savoir le rôle de mémoire, de conservation et de compréhension du fait social –, il est difficile de minimiser l’impact d’une victoire, surtout si elle dépasse le terrain du sport. Les différents directeurs et les personnes chargées de collecte d’objets se sont efforcés de « guetter » les occasions pour obtenir un don de pièces devenues éléments importants du roman national. La tenue créée par le couturier Jean Patou et de nombreuses affaires personnelles de Suzanne Lenglen, la diva du tennis des années 1920-1930, figurent parmi les donations remarquables de la collection. L’acquisition des gants et short des années de gloire de Marcel Cerdan est une façon de faire pénétrer le boxeur dans le panthéon du sport français. Cependant, honorer le champion n’est point synonyme de célébrations à outrance comme ce qui se voit dans les Halls of fames anglo-saxons (notamment aux États-Unis), véritables temples de déification des athlètes. Afin d’éviter cette tendance à la sanctification, l’objet sportif d’un anonyme est pris en considération. Le sport étant une activité aussi bien prisée par les professionnels que par les amateurs, il résulte forcément de visions et de modalités de pratiques différenciées. Pour rendre compte des courses populaires de marathons, plusieurs collectes ont été réalisées pour obtenir : dossards, cartes de participants, chrono, ou chaussures d’athlètes qui n’obtiendront jamais les places d’honneur mais qui ont fait de la course une passion.
Patrimonialiser Les affiches : un fonds patrimonial S’il y a un domaine où le musée national du Sport peut s’enorgueillir d’être unique dans le monde des musées de sport, c’est bien celui des affiches. De sa création à nos jours, le fonds d’affiches rassemble plus de 20 000 exemplaires de diverses représentations de la pratique sportive. Ces affiches permettent de se pencher sur l’histoire de France à travers les événements qui y sont décrits (rencontres sportives internationales, publicités pour un produit de consommation ou pour un séjour touristique). Avec des affichistes comme Toulouse-Lautrec ou Vuillard, les images témoignent des différentes esthétiques qui ont jalonné l’histoire de l’art. Des emprunts à l’Art nouveau dans Palais de glace de Chéret au style Art déco de Cappiello. Si nous prenons le fonds des années 1880 aux années 1940, que nous révèle-il ? Tout d’abord, l’âge d’or des loisirs sportifs. Née avec le chemin de fer au XIXe siècle, l’affiche touristique propulse le sport sur le devant de la scène. Ski, activités nautiques et autres loisirs offrent dès lors des raisons de voyager. Avec l’affiche sportive, l’artiste côtoie l’athlète. Jules Chéret est séduit par le ballet des patineurs, Henri de Toulouse-Lautrec est fasciné par le corps des cyclistes (La Chaîne Simpson, 1886). Cassandre transfigure la perspective dans une affiche consacrée au tournoi de RolandGarros de 1926. Ces affichistes font du sport une matière d’inspiration. 20
DE LA PROMOTION DU PATRIMOINE SPORTIF FRANÇAIS : LE CAS DU MUSÉE NATIONAL DU SPORT
Avec le sport, les marques trouvent un puissant média de communication. Plusieurs affiches publicitaires usent des valeurs sportives comme support publicitaire. Les grandes marques de l’industrie du cycle (Dunlop, La Française) choisissaient des champions comme vitrine de leur savoir-faire. Enfin, les affiches des différents événements, tels que les Jeux olympiques, sont le reflet d’une nation organisatrice qui veut exposer une partie marquante de son identité, de ses particularismes. Quelques exemples d’affiches du musée national du Sport
Auteur Jules Chéret Édouard Vuillard Henri de Toulouse-Lautrec René Vincent Mich Paul Ordner Paul Colin Luigi Castiglioni NC NC
Titre de l’œuvre Palais de glace Bécane La Chaîne Simpson Motocycle Cottereau La J.B. Louvet Marcel Thil Jeux universitaires mondiaux France-Danemark Le Ballon d’or Stade Français-Racing Metro
Année 1894 1895 1896 1905 1922 1936 1947 1974 1993 2011
Sons, images et mémoire En 2010, sous la direction du responsable scientifique et du vidéaste-photographe, une série d’entretiens filmés est lancée pour détenir un fonds d’images, de photos et de discours des acteurs et témoins du sport français. Entraîneurs, sportifs retraités, athlètes en activité, journalistes, hommes politiques sont approchés. Ce sont des entretiens qui portent sur quatre moments dans le parcours de l’interviewé : la place du sport dans son environnement familial ; les étapes d’une vocation sportive (influence du premier entraîneur, première sélection dans les championnats départementaux et régionaux…) ; les grands moments de sa carrière sportive (titre de champion de France, médaille olympique…) ; le regard sur l’évolution de sa discipline et du sport en général. Le but est d’enrichir et faire connaître le fonds archivistique du musée national du Sport. Il s’agit de détenir et de conserver pour un usage public la parole des personnalités qui ont marqué et qui continuent à marquer l’histoire du sport en France.
Exposer Lieu de connaissance et de reconnaissance Le musée national du Sport est un espace qui a pour ambition d’accueillir les visiteurs désireux de comprendre le phénomène sportif dans toute sa complexité. Il a également pour vocation de créer dans son aire d’exposition un terrain de reconnaissance des visiteurs initiés au fait sportif. Espace de réflexion sur les facettes des mutations sociales perçues sous l’angle du sport, il est aussi le lieu du lien qui unit « la grande famille » du monde sportif. 21
LES SPORTS EN CORSE , MIROIR D ’ UNE SOCIÉTÉ
Connaître et se reconnaître forment deux axes d’un projet singulier. Le choix des thématiques d’expositions est un domaine où l’orientation scientifique se dévoile. Porter un regard attentif sur le réel en évitant l’écueil de la pensée spontanée est une façon de positionner le musée. Il s’agit à la fois d’être dans le réel, dans l’actualité, tout en se donnant les moyens d’un recul dépassionné et par conséquent plus à même de remplir une mission pédagogique. Si l’actualité sportive foisonne d’événements importants, hypermédiatisés, le musée répond à un rythme qui lui est propre. Ainsi, la cadence des expositions est à la fois imposée par les grands événements majeurs (Coupe du monde de football, Jeux olympiques, Tour de France) et par des thèmes sociétaux. Types d’expositions temporaires du musée national du Sport depuis 2008 Titre
Période
Commissariat scientifique
Sujet
À toute vitesse. 1899-1949 50 ans de courses et de records automobiles
6 avril21 septembre 2009
Pierre-Yves Laugier, Hervé Poulain, Serge Tisseron
Le mythe de la vitesse
Zoom. Le geste sportif recomposé
3 octobre 200924 février 2010
Laurène Bertrand, Circé Krouch-Guilhem
La perfection du mouvement
Allez les filles !
8 mars-26 mai 2010
Zeev Gourarier
La reconnaissance des sportives
Il était une fois le Tour de France…
23 juin-12 juillet 2009 (Monaco)
Claude Boli
L’histoire du Tour de France
Les footballeurs africains sont là ! Allez la France
26 mai-2 janvier 2010
Claude Boli
Football et Immigration
Sports, affichez-vous ! Trésors de l’affiche illustrée française de 1881 à 1945
6 avril-7 décembre 2011
Claude Boli, Cyrille Mélin
Les affiches de sport
Le sport en héritage Nice et la Riviera dans les collections du musée national du Sport
17-18 septembre 2011 (Nice)
Claude Boli
Le sport azuréen
Le sport s’expose Durant l’été 2008, le musée national inaugure son nouvel espace d’exposition de près de 800 m2 dans les locaux du ministère des Sports. Près de 300 pièces sont exposées. Un parcours dirigé par le responsable scientifique permet d’esquisser le sport dans son universalité, et plus particulièrement sa place dans la société française. Une des quatre parties du parcours portait sur l’invention du sport. Ici, il s’agit de marquer le moment d’une véritable rupture : la révolution sportive. Le jeu proprement dit, inscrit dans un espace culturel restreint, local, laisse place à l’avènement de la codification des disciplines, des compétitions nationales et internationales, de l’apparition de pères fondateurs du mouvement sportif. L’aspiration au modèle culturel britannique est le fondement du penchant pour le rugby à 15, le football, l’aviron ou l’athlétisme, disciplines hautement valorisées dans les établissements scolaires et universitaires des catégories aisées anglaises. L’amateurisme sert de principe de ralliement aux catégories dominantes férues des disciplines importées d’Angleterre. Toutefois, des pratiques anciennes et la création de nouvelles compétitions deviennent des lieux où s’invente, se fabrique une exception culturelle. Les jeux de joutes dans le port de Marseille, le jeu de paume à Paris ou la pelote basque constituent les survivances de pratiques 22
DE LA PROMOTION DU PATRIMOINE SPORTIF FRANÇAIS : LE CAS DU MUSÉE NATIONAL DU SPORT
coutumières anciennes. L’escrime et l’équitation deviennent une marque de l’école française. Le Tour de France, depuis sa création en 1903, est une composante essentielle de l’histoire culturelle de la France contemporaine. La partie consacrée à la pratique militaire et hygiéniste est une façon de rappeler le souvenir de la défaite de 1871 contre la Prusse et leurs effets auprès d’hommes politiques. Ces derniers voyaient dans les associations gymniques une manière efficace de former de futurs combattants physiquement bien préparés, et mentalement prêts à reconquérir des localités perdues. Sous l’impulsion de Pierre de Coubertin et d’autres personnalités aussi influentes, de nombreuses associations (Racing Club de France fondé en 1882, Union des sociétés françaises de sports athlétiques née en 1889) se créent et se structurent à la fin du XIXe siècle. De nouveaux événements sportifs suivent. Le rétablissement des Jeux olympiques par le baron Pierre de Coubertin en 1896 est certainement l’œuvre fondamentale d’une inclination universaliste de dirigeants français. Une large partie lui est consacrée et est accompagnée d’objets divers qui marquent l’histoire des Jeux olympiques (la coupe Gravelotte de 1896, un vase de Sèvres des jeux de Paris de 1924, la torche des jeux de Berlin de 1936). Les années 1930 constituent le moment de l’explosion du sport spectacle et des loisirs de masse. La création de la première Coupe du monde de football en 1930 et du championnat hexagonal en 1932, le succès de la course automobile, la médiatisation des rencontres de boxe de Georges Carpentier, en particulier dans la presse écrite et radiophonique, sont là pour caractériser l’évolution du sport devenu spectacle, et suivi par des milliers de passionnés. Les années 1930 sont également celles de l’implication progressive de l’État dans l’élaboration de politiques liées au développement du sport. Ainsi, sous l’influence étatique, les fédérations sportives sont aujourd’hui les garantes d’une mission de service public.
Depuis 1963, le musée national du Sport s’est imposé comme gardien du patrimoine sportif français. Sous la tutelle des ministères des Sports et de la Culture, l’institution valorise à travers diverses activités scientifiques la réflexion sur le fait sportif. La transformation structurelle de l’organisation en 2009, avec la création d’un département de recherche et des collections, contribue à faire de ce lieu un espace qui se dote de moyens pour remplir ses missions de conservation, de préservation et de présentation du sport hexagonal comme un fait hautement culturel.
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DIETSCHY, Paul et CLASTRES, Patrick, Sport, société et culture en France, du XIXe siècle à nos jours, Paris, Hachette, 2006. MOULINIER, Pierre, Les Politiques publiques de la culture en France, Paris, PUF, 1999. POULOT, Dominique, Une histoire des musées de France, XVIIIe-XXe siècle, Paris, La Découverte, 2008. SEGALEN, Martine, Vie d’un musée, 1937-2005, Paris, Stock, 2005. VENDROUX, Jacques, Les Coulisses de l’exploit (DVD), Paris, Ina éditions, 2001.
Le Débat, janvier-février 1994, n° 78, p. 116-186.