Strade n°22

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strade RECHERCHES ET DOCUMENTS CORSE ET MÉDITERRANÉE

N° 22

Insularité et villes en Corse et en Méditerranée Mélanges

ADECEM /ALBI ANA

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Strade est publiée avec le soutien de la Collectivité territoriale de Corse et du conseil Général de la Haute-Corse

Association pour le développement des études corses et méditerranéennes (A.D.E.C.E.M.) CONSEIL D’ADMINISTRATION Président : Georges Ravis-Giordani Vice-présidents : Joseph Martinetti, Nicolas Mattei Trésorière : Beate Kiehn Secrétaire : Pierre-Claude Giansily MEMBRES Marianghjula Antonetti-Orsoni, Antoine Casanova, Lucette Daniélou-Ceccaldi, Dominique Devaux, Jeannine Giudicelli, Gilles Guerrini, Jackie Peri-Emmanuelli, Sixte Ugolini DIRECTEUR DE PUBLICATION Georges Ravis-Giordani

COURRIER ET ABONNEMENTS ADECEM, Hameau de Pruno, 20238 MORSIGLIA Site web : http://adecem.idcorse.fr Bon de commande ou d’abonnement : voir en fin de numéro

EN COUVERTURE : Bastia, ph. Alain Gauthier

ISSN : 1165-922X Tous droits de publication, de traduction, de reproduction réservés pour tous pays © Albiana/ADECEM

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Georges RAVIS-GIORDANI

Avant-propos ......................................................................

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Joseph MARTINETTI

Introduction ........................................................................

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Insularité et villes en Corse et en Méditerranée Joseph MARTINETTI

Une difficile construction des réseaux urbains insulaires : l’exemple de la Corse et de la Sardaigne. .........................

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Elisabetta BUCOLO

Les associations entre référents communautaires et réseaux criminels. Le cas des centres sociaux de la ville de Palerme. .......................................................

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Marie PERETTI-NDIAYE

Tensions interethniques autour de l’accès au logement ....

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Liza TERRAZZONI

Ajaccio, des quartiers au centre : représentations et diversité socio-ethnique dans la ville ...

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Aide ESU et Simone MADDANU

Les migrants clandestins tunisiens et l’hétérotopie dans la Méditerranée ..........................................................

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Brunella BRUNDU et Antonio USAI

La pianificazione strategica di Alcuni centri urbani della Sardegna, nuovi orientamenti di sviluppo in ambito insulare mediterraneo. .......................................

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Pierre-Claude GIANSILY

Les politiques culturelles d’Ajaccio et Bastia et leurs relations avec les collectivités départementales et régionale (1960-2010) ...................................................

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Isabelle AUBERT et Ange ROVERE

La rénovation du centre ancien à Bastia............................

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Ivan BLECIC et Arnaldo CECCHINI

Ville et université : quelques considérations générales et le cas d’Alghero .............................................................

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Joana Maria SEGUÍ PONS et Maurici RUIZ PEREZ

La mobilité des usagers du campus de l’université des îles Baléares. Durabilité, différences selon les groupes d’appartenance et comportement selon le sexe .................

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Marie-Jo PELLEGRI

Les paysages urbains de l’île ............................................. 103 Jeannine GIUDICELLI

Le plan antique hippodamien est-il toujours moderne ? ... 107 Anne MEISTERSHEIM

Histoire de la recherche sur les îles à l’Université de Corse ............................................................................. 115 Hugues F.-J. ROLLAND

La Corse dans le SECSS d’Icare. Une artefact-story ........ 119

Mélanges Marie-Angèle ANTONETTI-ORSONI

Enquête de l’An X ............................................................. 125 Charles BENQUÉ

Un psychiatre étranger en Corse........................................ 149 Nicolas MATTEI

Quand le Second Empire utilisait le prestige du premier .... 153

Témoignage Toussaint TROJANI

Notre petit mai 68…. tout petit mai…. en juin 52 au lycée de Bastia .............................................................. 171

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Insularité et villes en Corse et en Méditerranée

Avant-propos

Georges RAVIS-GIORDANI

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22e NUMÉRO DE Strade est aux trois-quarts consacré à la publication des actes du colloque « Insularité et villes en Corse et en Méditerranée » qui marquait le trentième anniversaire de la création de l’A.D.E.C.E.M. Ce colloque s’est tenu les 18 et 19 octobre 2013 à Bastia. Il réunissait des chercheurs travaillant sur la Corse, la Sardaigne, la Sicile, les Baléares. Nous avions voulu, par le choix de ce thème, marquer notre souci de renouveler une thématique de recherche trop longtemps négligée alors que le développement des villes est devenu, en Corse, le trait dominant de ce dernier demi-siècle. Joseph Martinetti, qui fut l’inspirateur de ce colloque, s’est chargé d’en faire la présentation. E

Dans la rubrique « Mélanges », nous continuons de publier le dépouillement de l’« Enquête de l’An X »1. Cette année, Marianghjula Antonetti-Orsoni scrute à travers la communauté de Lugo di Nazza, l’économie et la société du Fiumorbu à l’orée du XIXe siècle, marquée par la prédominance de la céréaliculture et du pastoralisme et un système d’échanges avec la Castagniccia. Une rencontre fortuite et heureuse m’avait permis de proposer à Charles Benqué, qui exerça en Corse la profession de psychiatre et psychanalyste, de nous dire comment il avait perçu, venant du Continent, le comportement de ses patients. Le texte qu’il nous donne, par la multiplicité des perspectives qu’il ouvre, fera sans doute réfléchir et réagir. Il est celui

1. À ceux que cette « Enquête de l’An X » intéresse et qui voudraient faire, pour leur propre village, le même travail de transcription, nous pouvons fournir, pour presque tous les villages du département du Golo (c’est-à-dire l’actuel département de la Haute-Corse, moins le Niolu), la photocopie des réponses du maire au questionnaire établi par le préfet Pietri, ainsi que la maquette des questions (en traduction française), ce qui leur évitera le travail fastidieux de la reprendre. Écrivez-nous : Georges Ravis-Giordani, Hameau de Pruno, 20238 Morsiglia.

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d’un psychiatre mais il peut nourrir la réflexion d’un ethnologue ou d’un historien. Enfin, Nicolas Mattei continue de nous faire profiter des travaux qu’il conduit depuis des années sur la représentation statuaire de Napoléon Ier. Cette fois, c’est la statuaire équestre qu’il analyse en la resituant dans le contexte politique où elle est apparue, qui n’est pas celui du Premier Empire mais du Second.

Dans la rubrique « Témoignages », Toussaint Trojani se penche sur une vieille photo pour nous conter, avec humour et une émotion intacte, une « rébellion » lycéenne du début des années 1950. C’est par de semblables témoignages que nous pouvons mesurer la rapidité, la profondeur et les origines des mutations qu’a connues notre société.

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Insularité et villes en Corse et en Méditerranée

Introduction

Joseph MARTINETTI

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par le géographe aixois Yerahmiel Kolodny d’une thèse remarquée sur la ville et le fait urbain en Corse, l’A.D.E.C.E.M. s’est proposée de réactiver cette réflexion en organisant sur le thème de la ville insulaire en Méditerranée un colloque à Bastia en octobre 2013. Placée au cœur de thématiques transversales, la ville insulaire y a été saisie dans sa réalité contemporaine en privilégiant un large éventail de regards scientifiques réunissant ainsi sociologues, urbanistes, géographes et historiens. La Corse et les autres îles de Méditerranée occidentale (Sardaigne, Sicile, Baléares…) constituent le champ territorial privilégié de cette problématique urbaine qui doit contribuer à mettre en relief une éventuelle spécificité du fait urbain dans les îles méditerranéennes. Les différentes contributions que nous publions ici doivent dès lors permettre de définir, penser et exprimer la ville insulaire. Cette dernière est en effet profondément marquée par les aléas géopolitiques et les changements de souveraineté qui caractérisent sa longue histoire. Un recours à la géohistoire permettrait ainsi de comprendre et de définir la ville dans les îles. Son caractère exogène et très majoritairement littoral explique un rapport complexe des îliens à l’urbanité, rapport fait de rejet, de méfiance mais aussi de fascination. En Corse comme en Sardaigne, il faut attendre le XIXe siècle pour que la ville exerce réellement son attraction sur l’ensemble du territoire. L’exacerbation des sentiments identitaires à partir des années 1960 a réactivé le sentiment de rejet d’une urbanité considérée comme le véhicule d’une modernité acculturante. Inversement la communauté rurale est alors sacralisée comme le temple d’une authentique corsité ou sardité. La ville insulaire n’est-elle pas dès lors condamnée à n’être que le pâle reflet de cités continentales dont elle reproduit servilement l’urbanistique ? Jouant par sa fonction portuaire un rôle d’intermédiarité, elle semble INQUANTE ANNÉES APRÈS LA PUBLICATION

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contrainte à la dépendance et peine alors à structurer un véritable réseau urbain. Les îles aux dimensions exiguës offrent en effet des territoires archipélisés, fragmentés par des pôles urbains, rivaux et médiocres qui sont desservis par une topographie accidentée favorisant un sentiment d’isolement. Les géographes de l’université de Cagliari ont dénoncé la « multifocalità » qu’a encore accentuée la création en 2005 de quatre nouvelles provinces aux capitales insignifiantes. Même aux Baléares la puissante cité palmesane ne peut s’imposer aux autres îles de l’archipel et doit s’effacer devant les influences barcelonaises ou valenciennes. Les villes de l’intérieur dont on valorise aujourd’hui l’authenticité exercent pour l’essentiel des fonctions symboliques largement associées aux administrations publiques de l’enseignement et de la culture. Ces rapports ambivalents s’expriment dans les différentes langues insulaires et une étude des parlers de la ville et sur la ville pourrait permettre d’en appréhender la vigueur, aujourd’hui encore. La ville insulaire constitue dès lors une solide réalité culturelle, sociale et politique, creuset d’une nouvelle société qui en fait ainsi un territoire vécu, pratiqué et approprié. Après une croissance brutale, voire incontrôlée, elle constitue désormais le terreau de nouvelles pratiques de l’insularité. Lieu de nouveaux pouvoirs associés aux différents degrés des nouvelles autonomies insulaires, elle modèle désormais une société où se font jour les stratégies défendues par de nouvelles élites, adhérant à un discours insulariste à visée consensualiste. Une nouvelle sociabilité urbaine caractérise désormais les villes insulaires. Elle présente le double visage de la continuité inscrite dans les traditionnelles cérémonies festives religieuses et celui de la nouveauté associée à l’émergence de nouveaux groupes sociaux ou ethniques installés plus récemment ainsi qu’à l’affirmation de nouvelles pratiques culturelles sécularisées comme le sport ou les arts. Sièges de la décision politique et concentrant les effectifs les plus importants d’électeurs, les villes insulaires permettent-elles l’affirmation de comportements électoraux plus « démocratiques » et distanciés qui rompent avec les pratiques clanistes et clientélistes si souvent dénoncées et génératrices d’une violence politique ou « mafieuse » qui en fragilise la cohérence ? Une radioscopie politique s’impose donc au moyen d’une géographie électorale précise des différents quartiers. Mais la ville est aussi un lieu de tensions. Elle cristallise bien évidemment les conflits sociaux. Malgré sa modestie, la ville insulaire recèle en son sein des frontières qui peuvent se matérialiser par des réactions

d’intolérance à l’égard des nouvelles communautés ethniques d’origine immigrée. Pour tenter de remédier à ces tensions, la ville insulaire est alors aménagée et planifiée. Affectée par la dissolution de son bâti dans une périurbanisation comparable à celle qui affecte les métropoles continentales, la ville insulaire ne s’est pas avérée particulièrement novatrice dans l’organisation d’une planification urbaine, et elle n’a été que très modérément soucieuse de corriger les déchirures de son tissu urbain. La forte pression urbanistique du tourisme sur le littoral a engendré une banalité architecturale qu’il est désormais difficile de corriger. La gestion des paysages urbains paraît souvent anarchique au regard d’une signalétique commerciale pléthorique et désordonnée et l’aspiration à l’urbanité manifestée par les édiles des communes périurbaines engendre sur les voies de communication majeures le déploiement d’un mobilier urbain de mauvais goût. Au cœur de rivalités de pouvoirs plus ou moins conflictuelles, l’aménagement urbain peine à définir des plans d’occupation des sols et d’urbanisme. Pourtant engagées dans des politiques d’intercommunalité, les équipes municipales participent à l’effort de rationalité que requiert la nouvelle question urbaine. L’organisation des transports publics et privés, la gestion des nuisances urbaines les obligent désormais à considérer l’espace urbain dans sa globalité. Faiblement affectées par le processus d’industrialisation, les villes doivent aussi gérer en leur sein la place des aménagements portuaires et aéroportuaires dont les effets urbanistiques suscitent la contestation riveraine. Sans l’être de façon exhaustive et en ciblant des éclairages souvent spécifiques, ces différents thèmes ont été ici développés et croisés par les différents intervenants qui ont animé ces deux journées bastiaises de réflexion sur la ville et l’urbanité insulaire. Deux grands axes ont ainsi permis de structurer l’organisation de ces journées d’étude et de répondre aux interrogations des différentes sciences sociales. Le premier a consisté à présenter une sociologie de la ville insulaire face à la violence des pratiques communautaristes et face à la présence des autres étrangers installés dans les îles de façon pérenne ou clandestins en transit vers l’Europe du Nord. Le second axe privilégié a été celui des politiques et des pratiques d’aménagement de la ville et de planification du développement urbain sur des points généraux ou spécifiques ayant trait à la poli-

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Introduction

tique culturelle menée dans les villes insulaires ou à l’intégration des campus universitaires dans les espaces urbains. En guise d’introduction « épistémologique » visant à valider l’idée d’une approche comparatiste entre les villes des îles, l’intervention de Joseph Martinetti évoque le processus géo-historique de construction des réseaux urbains de Corse et de Sardaigne. Le contraste est saisissant entre leurs profondes différences et leurs réelles similitudes. Elles se traduisent par l’incapacité de ces deux systèmes de villes à communiquer et à échanger entre eux malgré les incitations transfrontalières européennes et l’affichage médiatisé de leurs « retrouvailles ». Elisabetta Bucolo présente dans un premier axe « sociologique », le rôle des associations de quartiers à Palerme qui transforment et valorisent dans un sens civique et démocratique les solidarités locales traditionnelles et permettent ainsi de réduire l’influence des réseaux criminels. Marie Peretti-Ndiaye évalue ensuite les tensions interethniques qui caractérisent le marché du logement en Corse. Elle met en relief les discriminations que subit une communauté d’origine principalement maghrébine qui s’en trouve de fait à la fois fragilisée et dépendante vis-à-vis des décideurs locaux. Autour du même thème, Lisa Terrazzoni s’interroge sur les représentations de la diversité et de l’altérité dans les quartiers populaires ajacciens des Cannes et des Salines. Elle souligne les multiples formes de discrimination ethnique qui caractérise la vie sociale tout en reconnaissant l’accession paradoxale d’Ajaccio à l’urbanité. Enfin pour clore ce premier axe, Aide Esu et Simone Maddanu se sont interrogés sur la dimension hétérotopique qu’entretiennent les migrants clandestins tunisiens provisoirement hébergés au centre de détention de Cagliari. En récoltant leurs histoires de vies, les deux chercheurs démontrent comment le libre accès aux lieux de la ville sarde leur permet de se retrouver en évitant l’enfermement sur soi. Un second axe de réflexion plus géographique et urbanistique permet de confronter les diverses expériences insulaires d’aménagement et de politique urbaine définies dans les villes insulaires. Brunella Brundu et Antonio Usai exposent ainsi les principales caractéristiques d’une politique de planification qui permet aux centres urbains de la Sardaigne septentrionale de construire une synergie de leur système territorial au bénéfice d’une plus grande efficacité et rationalité sociales et économiques. Pierre Claude Giansily analyse pour sa part l’affirmation tardive de

politiques culturelles dans les villes corses depuis les années 1960. En soulignant l’importance que revêt pour une métropole la définition d’une orientation nettement lisible, il est conduit à présenter les forces et les faiblesses des choix qui y ont été opérés. Ange Rovere, historien et premier adjoint du maire de Bastia jusqu’en 2014 et Isabelle Aubert, directrice du service du renouvellement urbain et de la cohésion sociale nous offrent, avec le regard aiguisé d’acteurs particulièrement investis, une réflexion sur la rénovation du centre ancien de Bastia. Ils évoquent en particulier le projet contesté du quartier du Puntettu qui vise dans un souci d’équité sociale à restructurer un espace urbain jusque-là à l’abandon. Ivan Blecic et Arnaldo Cecchini pour Alghero en Sardaigne, Joana Maria Segui Pons et Maurici Ruiz Perez pour Palma de Majorque, s’interrogent respectivement sur la place de l’université dans la ville. À Alghero, la récente faculté d’architecture exerce un impact particulièrement stimulant sur les activités d’une ville trop exclusivement touristique. Elle permet de diversifier largement sa réalité sociale en l’ouvrant sur le Monde. Le campus universitaire de Palma, largement excentré, génère quant à lui des mobilités motorisées importantes. En s’engageant à les mesurer qualitativement, les deux géographes majorquins veulent contribuer à les réduire au profit d’une politique de développement durable qui affecte en conséquence l’ensemble de la métropole majorquine. Pour clore ce second axe, Marie-Josée Pellegri architecte et paysagiste et Jeannine Giudicelli, sociologue et historienne, nous proposent une réflexion plus générale sur les paysages urbains de la Corse, l’une privilégiant un regard porté sur l’avenir tandis que l’autre met en relief le poids des héritages dans la structuration actuelle des villes corses. Ayant participé à l’élaboration de l’Atlas du paysage de la Corse sous la conduite du ministère de l’Environnement et du Développement durable, M.-J. Pellegri propose ainsi une analyse critique et distanciée des principaux outils conceptuels définis pour penser le paysage urbain en Corse. J. Giudicelli souligne pour sa part l’importance majeure de la pensée urbanistique hippodamienne dans la structuration contemporaine des villes en Corse. Il semblait nécessaire pour conclure les actes de ce colloque de rappeler l’importance de la contribution « nissologique » d’Anne Meistersheim. En reprenant la réflexion phénoménologique d’Abraham Moles sur l’insularité, érigée en une véritable « science des îles », la sociologue nous rappelle ainsi comment, dans

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un contexte politique national et européen favorable, elle a mis en place une recherche institutionnelle sur les îles à l’université de Corse dès les années 1980. Le mot de la fin est réservé à la note humoristique d’un architecte ajaccien, Hugues Rolland qui nous fait part

sans faux-semblants de ses analyses aiguisées sur les réalités sociales et politiques de la Corse urbaine et auxquelles il porte remède par ses utopies créatrices en proposant ainsi la création d’une fédération imaginaire d’îles méditerranéennes, à savourer…

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Insularité et villes en Corse et en Méditerranée

Une difficile construction des réseaux urbains insulaires :

l’exemple de la Corse et de la Sardaigne

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dans les îles de Corse et de Sardaigne nécessite d’entrée de jeu d’introduire la problématique de la nissologie qu’Abraham Moles a construite dans les années 1970 et qui permet d’envisager l’existence d’invariants géographiques liés à la condition insulaire. L’insularité génère-t-elle une spécificité du fait urbain liée à une territorialité finie ? Permet-elle de caractériser un type particulier de villes reposant essentiellement sur leur fonction d’intermédiarité entre un avant-pays maritime et continental et un arrière-pays insulaire ? Ouvrir ce vaste champ de réflexion heuristique amène toutefois à se prémunir du « vertige des monographies » insulaires qu’a magnifiquement formulé le géographe Jean-Louis Tissier. La multiplicité des singularités a tôt fait de décourager le chercheur qui ambitionne de dégager l’existence de « lois » insulaires d’organisation de l’espace. Les villes insulaires présentent des caractéristiques communes. Situées sur des espaces malléables, soumis à de profondes et contradictoires tensions géopolitiques comparables à celles des cités frontalières, elles sont profondément marquées par les aléas géo-historiques comme les changements de souveraineté. Un recours à la géohistoire permet alors de comprendre et de définir cette « ville insulaire », son caractère exogène et très majoritairement littoral. Toutefois, la diversité des cas urbains insulaires a tôt fait d’inviter à la prudence face à toute mécanique intellectuelle qui favoriserait un abusif processus de généralisation. Ainsi, l’observation du seul bassin occidental de la Méditerranée rend inopérante toute tentative d’explication englobante. Le rôle historique de Palma qui gère précocement l’espace majorquin comme son vaste « contado » est en effet bien différent des laborieuses tentatives que font les cités corses pour tenter d’intégrer la ruralité dans leurs stratégies territoriales. Inversement Corse et Sardaigne présentent un même rapport complexe des îliens à l’urbanité, rapport fait de méfiance, mais aussi de fascination. Il faut y attendre le XIXe siècle ÉFLÉCHIR SUR LE FAIT URBAIN

Joseph MARTINETTI

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pour que la ville exerce véritablement son attraction sur l’ensemble du territoire et draine, malgré ses faibles potentialités, les populations rurales. Perçue aujourd’hui encore comme le véhicule d’une modernité acculturante, la ville n’y constitue que le pâle reflet de cités continentales dont elle reproduit servilement l’urbanistique. Avec une croissance démographique et spatiale plutôt brutale, voire incontrôlée, la ville insulaire ne s’est pas avérée particulièrement novatrice dans l’organisation d’une planification urbaine, et elle n’a été que très modérément soucieuse de corriger les déchirures de son tissu urbain affecté par la périurbanisation. La forte pression urbanistique du tourisme sur le littoral a engendré une banalité architecturale difficile à corriger et la gestion des paysages urbains est péniblement régulée par les abus d’une signalétique commerciale pléthorique. Sa fonction principale d’intermédiarité portuaire la contraint à la dépendance et en conséquence elle structure peu efficacement un véritable réseau. Il lui est dès lors difficile de construire une synergie et son impact limité aboutit à une fragmentation des territoires insulaires entre des pôles rivaux et incomplets. Pourtant le creuset d’une nouvelle société urbaine s’est imposé dans ces sociétés sardes et corses qui affichent désormais comme ailleurs une urbanité quasi-exclusive. La ville y focalise les pratiques sociales et constitue le centre des nouveaux pouvoirs associés aux nouvelles autonomies insulaires. Elle modèle une société où dominent les stratégies initiées par de nouvelles élites, adhérant à un discours identitaire à visée consensualiste. Ces nombreux constats légitiment ainsi la validité d’une démarche comparative entre les villes et les réseaux urbains de Corse et de Sardaigne et permettra ainsi d’axer cette intervention autour de leurs différences de leurs points communs. Elle confirmera le paradoxe qui caractérise ces deux îles, si proches et pourtant si lointaines !

il faut en tirer bien évidemment les conséquences en termes de géopolitique urbaine. Les principales villes de Corse n’atteignent pas le « seuil métropolitain » et avec leurs 100 000 habitants respectifs s’inscrivent modestement dans la catégorie française des villes moyennes. Inversement, Sassari (250 000 habitants) et surtout Cagliari (450 000 habitants) peuvent être qualifiées de métropoles d’importance régionale à l’échelle italienne et assurent ainsi une gamme de services de niveau supérieur qui permet d’éviter le recours pour les Sardes à des villes continentales d’importance supérieure. Le constat d’une population corse qui n’atteint avec 310 000 habitants en 2010 que les 2/3 de la seule métropole cagliaritaine, définie au sens le plus large, confirme les limites statistiques de cette démarche comparative.

Corse et Sardaigne : des échelles géographiques différentes Toute tentative de comparaison entre les deux îles reste préalablement soumise à un examen d’échelle. En effet, si la Corse, par sa démographie et sa superficie, renvoie à la problématique d’une île de dimension moyenne, la Sardaigne inversement peut s’intégrer au concept territorial développé par François Doumenge « d’île continent ». Ce premier constat différentiel fait,

Carte 1 : Les principaux centres urbains en Corse et en Sardaigne (2010) : INSEE et ISTAT.

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Une difficile construction des réseaux urbains insulaires

La carte 1 permet d’opposer le vide urbain d’une Corse qui s’étend sur 8 700 km2 au plein que représente la Sardaigne avec ses 1 670 000 habitants, répartis sur un territoire de 24 000 km2. Mais ce « plein » sarde reste cependant très relatif si on le situe dans un contexte péninsulaire et insulaire italien qui offre des densités démographiques et des armatures urbaines largement plus étoffées et fait que Corse et Sardaigne, malgré leur différence, figurent ensemble parmi les territoires les moins densément peuplés de l’Union européenne, à l’inverse des Baléares ou de la Sicile. Ces différences de seuil entre Corse et Sardaigne et a fortiori entre Corse et autres îles de la Méditerranée s’expliquent pour l’essentiel par des raisons d’ordre géo-historique. Elles permettent d’associer des considérations d’ordre naturel et des considérations sociales, historiques et politiques pour expliquer ces contrastes. S’il ne faut pas en effet surestimer le poids des contraintes naturelles, on ne peut pas inversement en minorer trop les conséquences. Le caractère montueux de la Corse ou l’importance plus grande en Sardaigne des espaces de plaines exploitables comme le Campidano participent à la compréhension du fait urbain contemporain dans les deux îles. En effet, l’importance plus grande de l’économie agricole productive de la Sardaigne dans l’histoire peut contribuer à expliquer une affirmation plus accentuée du rôle des villes comme gestionnaires de ces espaces ruraux. Des rythmes démographiques souvent divergents… Pourtant ce déséquilibre entre les deux îles que nous observons aujourd’hui, avec une Corse qui représente démographiquement moins de 20 % de la Sardaigne n’a pas toujours été vérifié. Fernand Braudel souligne pour le XVIe siècle le paradoxe d’une Corse trop pleine d’hommes face à une Sardaigne septentrionale désertifiée en raison des incursions barbaresques. Les communautés paysannes de l’Alta Rocca et du Taravo avec l’appui des Bonifaciens colonisent alors les espaces vides de la Gallura et esquissent ainsi l’émergence d’une « troisième île » ethnoculturelle de part et d’autre du détroit maritime qui sépare les deux îles. Au XVIIe siècle, les historiens considèrent que la Sardaigne espagnole, dotée déjà de deux universités, n’a pourtant que deux fois plus d’habitants que la Corse génoise. Mais ce trend s’inverse à partir du XVIIIe siècle. La Sardaigne accentue alors continuellement sa supériorité démographique jusqu’à l’aube des années 1960 correspondant pour l’île de Beauté au moment maximal de sa « déprise » démographique avec seulement

180 000 habitants contre près de 300 000 à la veille de la Première Guerre mondiale. La Sardaigne « surpeuplée » est inversement devenue la terre d’une intense émigration qui s’oriente en particulier vers la Corse voisine. Dans les années 1980, ce processus change une nouvelle fois. La Corse présente alors un plus fort dynamisme démographique et affiche les rythmes de croissance les plus soutenus de la France métropolitaine. Ils sont dus pour l’essentiel à des apports migratoires. Plus récemment encore, la Sardaigne, affectée par la crise économique depuis 2008, renoue avec une émigration vers le continent italien qui affecte plus particulièrement les jeunes diplômés. Depuis les années 1980, elle était pourtant devenue à son tour devenue une terre d’immigrants africains et asiatiques. Le poids des appartenances nationales sur les systèmes urbains… C’est le poids des appartenances nationales qui explique ces divergences sensibles de rythmes démographiques entre les deux îles, bien plus évidemment que des considérations d’ordre naturel. Les appartenances nationales ont façonné depuis le XVIIIe siècle des systèmes territoriaux différents et en conséquence des systèmes de villes et des réseaux urbains différents. La Corse s’installe ainsi dans la situation d’un Midi français désert. Les promotions offertes à sa population par l’appareil administratif français par le biais de l’instruction publique dévitalisent son économie productive et contribuent partiellement à rendre infructueuses les tentatives de développement industriel ou agricole. Très schématiquement, on peut aussi affirmer qu’elle contribue à induire une « muséification » de l’île, économique, culturelle et politique. La société corse a alors précocement recours à des immigrés italiens dans les quelques modestes secteurs productifs insulaires. Inversement, la Sardaigne, piémontaise puis italienne, a tôt fait de s’apparenter aux terres méridionales du Mezzogiorno insulaire et péninsulaire même si son appartenance à la méridionalité italienne mérite d’être largement discutée. Sa difficile adaptation à la nouvelle donne économique du Piémont puis de l’Italie unifiée ainsi que sa forte croissance démographique permettent de l’intégrer aux problématiques sociales du Mezzogiorno. L’État italien définit alors un « Plan de Renaissance » dans les années 1950 et engage une politique d’industrialisation qui semble fort peu concevable au même moment dans la Corse voisine.

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Des villes aux fonctions économiques différentes… Le rôle des villes est en conséquence conçu fort différemment de part et d’autre du détroit de Bonifacio. Les fonctions urbaines traduisent alors la profonde différence structurelle qui caractérise alors l’économie des deux îles. Un examen de cette seconde carte qui représente les trafics portuaires des villes maritimes de Corse et de Sardaigne met vivement à jour le différentiel économique entre les deux îles et il permet aussi en conséquence de comprendre l’accentuation des déséquilibres urbains observés. Les deux îles juxtaposent en fait deux types d’économie radicalement différents comme l’atteste avec vigueur la confrontation des 60 millions de tonnes de fret annuel des ports sardes face aux 3,5 Mt de trafic transitant par l’ensemble des

ports corses. Cette différence s’explique par le caractère strictement tertiaire d’une économie corse qui repose sur les deux « rentes » résidentielle et touristique d’une part, publique d’autre part mise en relief par l’économiste Nadine Levratto. Hormis quelques exportations agricoles, malmenées par la concurrence des producteurs européens et africains voisins, l’essentiel du trafic corse repose sur l’approvisionnement de la population insulaire en biens de consommation, en provenance du continent français. En Sardaigne, le seul ensemble portuaire cagliaritain avec ses ports pétroliers atteint un trafic de 35 millions de tonnes devançant les ports de commerce septentrionaux d’Olbia (12 Mt) et PortoTorres (6 Mt). La politique d’industrialisation menée par le régime fasciste puis par la République Italienne et la région sarde dans le cadre du Plan régional de Renaissance (1962) expliquent aujourd’hui encore ces importants volumes, même s’ils sont affectés par un

Carte 2 : Les principaux ports de marchandises en Corse et en Sardaigne (2010) : Obs. transports Corse et Sardegna statistiche.

Carte 3 : Les principaux ports de passagers en Corse et en Sardaigne (2010) : Obs. transports Corse et Sardegna statistiche.

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sensible déclin des industries lourdes et renvoie à la remise en cause d’une politique de développement de la Cassa per il Mezzogiorno ayant érigé « des cathédrales dans le désert ». Si en Corse le trafic de marchandises consiste essentiellement en un trafic roll-on/roll off de camions transportés sur des navires mixtes ou des car-ferries semi-rapides, le trafic sarde est nettement diversifié. Avec une base importante de transit de conteneurs, le port de Cagliari permet de contrecarrer l’idée un peu trop répandue d’une impossibilité pour les économies insulaires de s’insérer dans les réseaux de l’économie mondialisée. Inversement la carte 3 nous indique qu’avec une population de seulement 300 000 habitants, la Corse connaît un trafic de passagers maritimes pratiquement équivalent à celui de sa voisine méridionale, peuplée d’un million six cent mille habitants. Ainsi au cours de l’année 2010, selon les statistiques de l’Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC), 4,7 millions de passagers maritimes ont été enregistrés. En 2008, selon les services statistiques de la Région Sardaigne, les ports sardes ont vu transiter 6,6 millions de passagers, ce chiffre ne prenant pas en compte les statistiques spécifiques du micro-cabotage entre la Sardaigne et ses nombreuses îles mineures. Le trafic aérien corrige certes partiellement ces ratios. Avec près de 3 millions de passagers aériens en Corse en 2010 et plus de 6 millions en Sardaigne (2008), on reste toutefois loin d’une parfaite proportionnalité qui supposerait en effet plus de 16 millions de passagers en Sardaigne. Indiscutablement le système insulaire corse est plus externalisé que celui de la Sardaigne. Ses dimensions plus réduites le rendent moins autonome et les résidents corses, davantage tributaires des services supérieurs des villes continentales, sont en conséquence plus mobiles que leurs voisins et paradoxalement plus intégrés au système territorial français plus protecteur que leurs voisins sardes au système italien. Si depuis une quinzaine d’années les statistiques européennes laissent apparaître des niveaux de développement très comparables entre les deux îles, un différentiel de niveau de vie subsiste et paraît s’accentuer depuis la crise de 2008. Il se traduit en Corse par des niveaux de prix plus élevés et des indices de consommation supérieurs à ceux observés en Sardaigne. La Corse est globalement davantage dépendante du poids du phénomène touristique qui scande davantage ses rythmes urbains et économiques. Le marché du travail et les phénomènes migratoires confirment ces différentiels importants. Mais le déséquilibre s’explique également

par le volume de la dotation de continuité territoriale attribuée à la Région Corse depuis 1976 par l’État. Elle est bien plus volumineuse que la dotation attribuée depuis 2001 par le ministère italien des Transports aux seuls transporteurs aériens qui desservent la Sardaigne. Des villes insérées dans leur appartenance nationale… Villes corses et villes sardes sont bien différentes et elles s’insèrent fortement dans leur appartenance nationale. Leur morphologie paysagère, leur économie, leur urbanistique mais aussi leurs structures démographiques et ethniques en attestent très largement. Les formes de la périurbanisation corse semblent ainsi plus désordonnées et plus diffuses et s’expliquent peut-être par une municipalisation moins affirmée des politiques urbaines et par des identités locales paradoxalement moins affirmées. Les rythmes de croissance urbaine n’ont pas été tout à fait les mêmes et la Corse a peutêtre davantage connu une surcharge de croissance dans les années 1960 que la géographe Janine Renucci a bien définie en particulier à Ajaccio symbole de la croissance d’une Corse nouvelle. Une analyse fine des résultats électoraux pourrait permettre d’y repérer et d’y spatialiser les votes protestataires en Corse comme en Sardaigne. L’immigration ne se localise pas dans les mêmes lieux urbains et elle inscrit chacun des systèmes urbains dans son appartenance nationale avec des problématiques différentes.

De profondes similitudes qui paradoxalement éloignent les villes sardes des villes corses… Pourtant les systèmes urbains corses et sardes présentent dans leur organisation de profondes similitudes. Elles les poussent paradoxalement à se tourner le dos ! Les deux isole sorelle présentent une lecture assez voisine de leur urbanité et se différencient des deux autres grands ensembles de Méditerranée Occidentale que sont la Sicile, les Baléares ou l’archipel maltais. En conséquence, leurs réseaux urbains présentent les « stigmates » d’un passé qui loin d’être commun présente des analogies. Partageant une même nature historique externe, voire coloniale selon l’historien de la Sardaigne John Day, elles sont toujours en quête de légitimité face à une conscience collective qui mythifie une identité communautaire et rurale. Tour à tour valorisées ou

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désinvesties d’une fonction de relais d’un pouvoir continental, elles peinent à se structurer et à se hiérarchiser avec cohérence. Elles juxtaposent des pôles indifférents, au pis conflictuels, les uns avec les autres et leur réseau urbain semblent condamner à la fragmentation, voire à l’incohérence. Chacune d’elles semble agir trop individuellement et ses structures politiques, sociales et économiques la portent à la dépendance et à la fragmentation, une fragmentation qu’accentuent les pratiques clientélistes, qui incite les décideurs à essaimer sans cohérence des attributions perçues avant tout comme pourvoyeuses d’emploi. Ces profondes similitudes entre villes corses et villes sardes génèrent paradoxalement un éloignement et une absence totale de synergie entre elles malgré les tentatives politiques de transfrontaliérité qui caractérisent les relations corso-sardes depuis plus d’une trentaine d’années. Cités sardes et cités corses s’ignorent, malgré leur proximité géographique et leurs récentes « retrouvailles » sous l’impulsion des généreuses politiques transfrontalières, promues par l’Union européenne depuis les années 1990, restent très symboliques. Leurs échanges sont en effet très limités et leur spécialisation touristique les rend davantage rivales que complémentaires. Pourtant elles sont les seules en Méditerranée à offrir par leur grande proximité géographique une telle potentialité de complémentarité. L’idée de favoriser leur position géographique comme pont naturel entre les rivages européens et africains est un vieux « serpent de mer » qui ressurgit périodiquement sans pouvoir aboutir. Une prédisposition naturelle à cette orientation inverse des deux îles ? Le géographe Élisée Reclus constate à la fin du XIXe siècle que l’organisation physique des deux territoires insulaires semble grandement favoriser cette divergence d’orientation. Dans sa géographie politique de la Sardaigne, il définit ainsi une Sardaigne « utile » tournée en amphithéâtre vers le bassin méditerranéen et les rives ibériques. Cette Sardaigne occidentale est structurée le long d’un axe qui relie les villes de Cagliari et Sassari par les plaines fertiles du Campidano et de la Nurra. Il lui oppose la Sardaigne orientale qui longe les rivages tyrrhéniens et se présente comme montueuse et repliée sur ellemême. Inversement, la Corse regarde vers l’Est et offre ses plus grandes aptitudes le long des rivages tyrrhéniens où se développe la topographie vallonnée de la Plaine orientale. Le contraste est saisissant avec les rudes reliefs alpins qu’offre la Corse occi-

dentale tournée vers la Méditerranée. Selon Élisée Reclus, la « force des lieux » les maintient dans leurs dispositions naturelles et contrecarre les effets de la réorientation géopolitique réalisée un siècle plus tôt. Il considère ainsi la Corse comme la plus italienne des deux îles, ce qu’énonçaient déjà les géographes de l’Encyclopédie au XVIIIe siècle. Selon lui, la Corse utile est ainsi tournée vers l’est tandis que la Sardaigne utile regarde vers l’ouest. Pourtant ce sont avant tout les considérations d’ordre géopolitique qui expliquent le regard inverse caractérisant les deux îles et expliquent la configuration de leurs réseaux urbains. Corse et Sardaigne sont affectées au cours du XVIIIe siècle par une réorientation de leur appartenance géopolitique. Elle consiste en une inversion de leur organisation spatiale. La Corse qui est génoise depuis la fin du XIIIe siècle et s’oriente très largement vers les cités du bassin maritime tyrrhénien, bascule en devenant française vers les espaces maritimes de la Méditerranée occidentale. De façon inverse, la Sardaigne tournée vers les espaces occidentaux de sa métropole aragonaise puis espagnole depuis le XIVe siècle, doit réorienter son regard vers les rivages septentrionaux de sa nouvelle métropole piémontaise. Ce jeu de bascule inversé écarte une nouvelle fois toute synergie possible de leurs réseaux urbains. Il les condamne à se « tourner le dos » comme le matérialisent rapidement les imposantes fortifications érigées de part et d’autre du détroit de Bonifacio. La longue insécurité maritime et les conséquences de la rivalité entre Pise et Gênes Les deux îles sont pendant plus d’un millénaire des frontières ouvertes de la chrétienté, mal sécurisées face à l’Islam. Mais à la différence des Baléares et de la Sicile, elles ne sont pas conquises par les musulmans, à l’exception de très courts épisodes d’occupation. Ce long maintien de l’insécurité maritime est l’une des raisons de la longue indigence du fait urbain dans ces deux îles. Toutes deux connaissent en conséquence la même scansion de changements de souveraineté. On l’a vu au XVIIIe siècle, certes, mais on l’observe également cinq siècles auparavant entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle au moment où s’exacerbe la rivalité maritime entre Pise et Gênes pour le contrôle des deux îles. En effet, du Xe au XIIIe siècle, la Corse est pisane tandis que la Sardaigne se partage en quatre giudicati indépendants, trois sous influence pisane, Gallura, Cagliari et Arborea, et le dernier sous influence génoise, le Logudoro. La grande île connaît alors le développement d’une société urbaine où se

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mêlent élites sardes et élites péninsulaires. Un dynamique processus d’inurbamento intègre l’espace sarde à l’ensemble péninsulaire italien tout en permettant l’affirmation d’une culture originale exprimée dans les deux grands dialectes sardes. Mais les luttes de factions du monde urbain italien s’y exacerbent par le jeu des influences familiales. Ces rivalités fragilisent l’équilibre des États sardes tout en accentuant le caractère prédateur des métropoles maritimes. L’affaiblissement de Pise que met à jour la défaite de la Meloria, en 1284, consacre la puissance génoise. La cité guelfe récupère la Corse tandis que le royaume d’Aragon obtient l’investiture pontificale pour la possession du royaume de Sardaigne et de Corse. Il en entreprend alors la conquête militaire et vient à bout de la résistance du Judicat d’Arborea en 1409. En définitive, si l’organisation spatiale de la Corse continue d’évoluer dans l’espace tyrrhénien, celle de la Sardaigne bascule vers les rives méditerranéennes de la péninsule ibérique. Une organisation génoise des réseaux urbains de la Corse À partir du XIIIe, la réorganisation génoise du réseau corse se réalise en deux grandes étapes, bien mises en relief par le géographe Kolodny. Elles correspondent à l’application de deux stratégies spatiales successives. Dans un premier temps, les Génois n’envisagent le territoire corse que comme un linéaire littoral. Ils consolident deux points d’ancrage sur leurs voies maritimes. Bonifacio offre aux Génois la surveillance du détroit éponyme qui relie mer Tyrrhénienne et mer Méditerranée, tandis que Calvi constitue une étape indispensable sur la route de la péninsule ibérique. D’un point de vue urbanistique, ces cités sont des modèles réduits de la métropole à laquelle elles jurent une fidélité sans bornes. Peuplées de colons ligures, elles développent un double complexe obsidional. Elles se protègent en effet des incursions maritimes qui sont aussi bien le fait de puissances chrétiennes rivales de Gênes que d’initiatives musulmanes incessantes dans ces marges insulaires de la chrétienté. Mais ces bastilles sont aussi conçues pour se protéger des communautés rurales de l’intérieur qui s’estiment spoliées de leurs « plages » d’hivernage. Leur situation excentrée sur des littoraux désertés limite les contacts avec l’intérieur et constituera un frein à leur rayonnement sur l’arrière-pays. Inversement dans un second temps, à partir du XIVe siècle, une nouvelle génération de places fortes génoises répond à un souci de mise en valeur du territoire intérieur. Malmenée à ce moment

à l’est du bassin méditerranéen, Gênes se redimensionne territorialement et cherche à valoriser ses possessions corses. Les citadelles de seconde génération sont situées à proximité de couloirs naturels qui facilitent les communications. Elles ponctuent le littoral occidental, Saint-Florent (1440), Ajaccio (1492), Algajola (1531) et oriental, Porto-Vecchio fondée comme Ventimiglia la Nuova en 1539. Mais c’est la Bastiglia (1378) qui est la plus représentative d’une situation qui offre à la fois la sécurité d’un bastion rocheux et la proximité des axes majeurs de la Plaine orientale et de la vallée du Golo. Véritable « clef de la Corse », elle est aussi la mieux placée au cœur du canal tyrrhénien face aux rivages toscans. La ville devient la tête de pont du réseau urbain insulaire et contribue à intégrer la Corse dans l’espace économique tyrrhénien. Siège du gouverneur de l’île, elle s’impose également comme la capitale économique. Sa fonction gestionnaire modifie sa société urbaine. Devenue un melting-pot des Italies insulaire et péninsulaire, elle assouplit son fonctionnement politique en ouvrant partiellement son cursus honorum, aux populations corses et péninsulaires qui s’y sont fixées. Mais le caractère inachevé de ce processus est mis à jour par les révolutions de Corse et la ville capitale reste perçue par les ruraux Corses comme un « corps urbain étranger ». Les deux pôles urbains de la Sardaigne À la différence de la Corse génoise où s’affirme le rôle d’une capitale, la Sardaigne aragonaise puis espagnole consolide une organisation spatiale partagée en deux pôles. Deux villes équivalentes, peuplées d’environ 15 000 habitants au XVIIIe siècle, Cagliari et Sassari administrent en effet la grande île d’une superficie trois fois supérieure à celle de la Corse. Cagliari, consolidée par sa fonction portuaire est une ville légitimiste, plus « hispanisée », Sassari, repliée à une dizaine de kilomètres des côtes, entretient davantage son autonomie urbaine, élaborée sur le modèle des cités italiennes au XIIIe siècle. La ville est en conséquence plus frondeuse et plus entreprenante. Cagliari est la capitale de la vice-royauté et le siège du parlement, Sassari est le siège du gouverneur du Capo di Sopra, second personnage de l’autorité administrative sarde après le vice-roi. Au XVIe siècle, Sassari obtient le siège du tribunal de l’Inquisition. En 1562, le Capo di Sopra voit la création d’un collège de jésuites, transformé en université en 1617, quelques années avant sa rivale méridionale où l’université n’entre en fonction qu’en 1626. L’équilibre entre les deux cités rivales

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est pour les autorités espagnoles la règle impérative de l’organisation du territoire sarde. Elle a sa source dans la profonde rivalité qui opposait à l’époque des giudicati la cité guelfe de Sassari, commune libre confédérée à Gênes, et la gibeline Cagliari, contrôlée par les familles pisanes. L’importance des cités royales dans la Sardaigne féodale Mais l’influence des villes est en Sardaigne entravée par la pesanteur du système féodal. Établi par la monarchie aragonaise, ce système tend en effet à opposer deux mondes. Le premier comprend l’ensemble de la Sardaigne rurale, divisée en immenses fiefs attribués aux nobles catalans et bourgeois barcelonais ayant accompagné l’entreprise de conquête de l’île. Le second regroupe les seules sociétés urbaines qui bénéficient du statut privilégié de ciudades reales. Sept villes royales acquièrent ainsi la reconnaissance de leurs privilèges fiscaux et un relatif maintien de

Carte 4 : Les réseaux urbains corses et sardes après les changements de souveraineté du XVIIIe siècle.

leur autonomie. Villa di Chiesa, nommé plus tard Iglesias, l’obtient ainsi en 1327 au même moment que la capitale Castel Caller. Elles sont suivies par Sassari, Castell’aragonese (ancienne Castelgenovese, future Castelsardo), Oristano, Alghero et Bosa. Ces villes sont localisées en Sardaigne occidentale. Elles sont littorales ou sont comme Oristano et Sassari d’anciennes cités littorales reconstruites sur des sites de repli à quelques kilomètres seulement des côtes. Seule Villa di Chiesa est une ville intérieure, située au cœur d’un massif collinéen, à moins de 7 km toutefois du littoral. La ville a été fondée par la noble famille pisane des Della Gherardesca pour exploiter les mines de plomb argentifère que recèle le soussol. La fonction de ces villes royales repose sur une intermédiation entre la métropole continentale, les feudataires et des communautés rurales lourdement assujetties. En conséquence, les villes ont indiscutablement un caractère colonial comme l’affirme l’historien John Day et elles gèrent les espaces ruraux d’une façon prédatrice qui ne favorise pas l’innovation et la modernisation des pratiques agraires. Elles posent ainsi la problématique d’une urbanité étrangère dont le fonctionnement oligarchique repose sur des bases ethniques. Dans un recueil contemporain, l’écrivain sarde Sergio Atzeni rappelle la violence de la discrimination qui caractérise le fait urbain, évoquant le cri des hommes d’armes à la tombée de la nuit au Castello de Cagliari « il fait noir, dehors les Sardes ». Deux réseaux urbains qui s’ignorent encore plus… Avec les changements de souveraineté du XVIIIe siècle, les deux îles sont confrontées une nouvelle fois à une redéfinition du rôle de leurs villes. Mais l’ampleur des changements y est nettement différente de l’une à l’autre. Si la Corse connaît ainsi un puissant mouvement de réorganisation, en Sardaigne, le fonctionnement urbain n’est que légèrement modifié. Pourtant, une forte similitude persiste entre les deux îles, et tient à la nature du fait urbain. Le changement de souveraineté du XVIIIe siècle modifie tout d’abord les rapports qu’entretiennent les deux îles. La porosité permise aux époques antérieures est durablement remise en cause par les affirmations nationales. Ainsi, l’espace intermédiaire entre la Corse et la Sardaigne devient un espace de confrontation et aboutit à un verrouillage progressif des Bouches de Bonifacio. La ville-citadelle de Bonifacio est alors privée des

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espaces sardes de la Gallura sur lesquels elle exerçait une active intermédiation, gérant en effet à son compte les espaces agricoles productifs du sud de la Corse et du nord de la Sardaigne. Le processus unitaire de la « troisième île » est interrompu même si ses effets sont encore perceptibles aujourd’hui et confirment l’unité linguistique, culturelle, patronymique qui s’est opérée entre le Sartenais au sud de la Corse et la Gallura, au nord de la Sardaigne. Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour envisager à nouveau un raccordement possible avec l’affirmation du concept de transfrontaliérité, bien timide toutefois sur ces rivages insulaires. Avec le XVIIIe siècle, puis surtout le XIXe siècle, s’accentue également un profond écart démographique entre les deux îles. Son amplification s’explique en grande partie par les appartenances nationales. En conséquence, la distorsion entre les villes de Sardaigne et celles de la Corse ne va pas cesser de s’approfondir, aboutissant aux substantielles différences de taille observées aujourd’hui. On assiste à un rééquilibrage des centres de gravité dans les deux îles… Avec la Révolution française, un débat territorial s’engage en Corse sur la pertinence d’une centralité bastiaise (1789-1792), d’une réhabilitation cortenaise (1792-1793) ou de l’affirmation ajaccienne. Bonaparte favorise dans un premier temps la bi-départementalisation plus conforme selon lui « aux lois de l’histoire et de la géographie de la Corse » avant qu’une décision impériale de 1811 n’établisse le département unique avec Ajaccio comme chef-lieu. Cela inaugure alors un puissant rééquilibrage en faveur de la Corse occidentale. Une parfaite bicéphalie s’instaure alors progressivement entre les deux ensembles urbains de même taille. Le rattrapage ajaccien s’explique aussi par la forte charge symbolique véhiculée par le mythe napoléonien qui accompagne le processus de francisation. Mais le déplacement du centre de gravité de l’île génère une sur-insularisation de la Corse française, plus insulaire en effet que ne l’était la Corse génoise. Le processus de rééquilibrage s’interrompt dans les années 1970 avec le retour de la bi-départementalisation. Le contexte est alors celui du réveil de l’autonomisme qui promeut Corte tandis que Bastia ouverte sur l’espace tyrrhénien retrouve sa fonction de porte principale de l’île. En Sardaigne, le mouvement de rééquilibrage du réseau urbain vers l’est tyrrhénien n’est que lentement affirmé. Avec l’intégration de Gênes au Piémont en

1815, un premier mouvement réinscrit la Sardaigne dans l’espace italien. Il faut attendre l’unification italienne pour que l’intérêt stratégique des espaces tyrrhéniens du nord-est soit confirmé. Comme à l’époque romaine, Olbia retrouve alors un rôle majeur pour relier l’île au continent. Le port est requalifié et devient en 1881 le point d’aboutissement du réseau ferroviaire sarde. Aujourd’hui l’essentiel du trafic de passagers transite par les deux ports d’Olbia et la ville, au cœur d’une région touristique particulièrement dynamique, s’impose comme la troisième ville de Sardaigne avec une population de 60 000 habitants. Des villes qui s’ouvrent aux territoires ruraux… Mais plus que le changement de souveraineté, c’est l’affirmation d’une idéologie « intégratrice » qui explique cette redéfinition du rôle des villes dans les deux îles. En Corse, la Révolution française met un terme aux privilèges urbains et consolide l’emprise des villes sur le territoire. Elles se « corsisent » en s’ouvrant largement aux Corses de l’intérieur rural et en mettant un terme aux privilèges réservés aux urbains d’origine ligure. Leur fonction administrative relais est également répartie de façon plus équitable par le pouvoir central. En Sardaigne, il faut attendre 1836 pour voir s’affirmer une nouvelle idéologie spatiale avec de façon concomitante l’abolition de la féodalité et l’élargissement du statut de citta regie à des agglomérations « sardes » de l’intérieur, Tempio Pausania, Nuoro et Ozieri. Le rôle intégrateur de la ville peut dès lors s’imposer à la veille d’un mouvement d’exode rural qui va s’intensifier. La ville se peuple de Sardes, elle se « sardise » comme l’atteste à la fin du XIXe siècle à Cagliari la destruction des murailles qui constituaient un obstacle à l’extension du corps urbain. À Sassari, les remparts sont partiellement détruits tandis que le château aragonais au cœur de la ville est démantelé en 1877. L’ouverture de la ville aux communautés rurales s’accompagne d’un processus de métropolisation au bénéfice de Cagliari. À partir de la fin du XIXe siècle, un décrochage démographique s’opère ainsi entre les deux cités principales. À partir des années 1880, la crise de l’économie céréalicole du Campidano fait déferler sur Cagliari un nombre considérable de ruraux tandis que l’économie sassaraise, largement tournée vers le marché français, est affectée par le protectionnisme qui prévaut en conséquence entre France et Italie. La suprématie cagliaritaine est confortée par le statut d’autonomie octroyé à la Sardaigne en 1948. Métropole régionale, Cagliari est désormais une

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agglomération pluri-communale de près de 500 000 habitants tandis que la conurbation sassaraise atteint aujourd’hui 250 000 habitants. La bicéphalie sarde a laissé la place à une métropolisation accentuée, au contraire de la Corse installée durablement dans une situation de partage des fonctions décisionnelles. La relation équivoque avec une urbanité perçue comme « étrangère » persiste cependant dans les deux îles. Avec l’affirmation des autonomismes, deux villes sont brandies pour représenter enfin une urbanité insulaire considérée comme « authentique ». Nuoro au cœur de la montagneuse Barbagia, devient sous le ventennio fasciste le chef-lieu d’une troisième province sarde. Le souci de mieux administrer la Barbagia et d’y réduire le banditisme endémique justifie certes la promotion de cette ville de moins de 10 000 habitants à l’aspect encore très rural. Mais auparavant la petite cité barbaricina a pu cristalliser une symbolique sardiste avec Grazia Deledda, prix Nobel de littérature en 1921 ou Salvatore Satta. Elle sera confirmée par la suite comme l’atteste par exemple la création d’un Musée de la Sardaigne en 1976. Plus tardivement, Corte acquiert cette même fonction. Les mouvements autonomistes obtiennent la réouverture de l’université en 1982 et tentent sans succès d’y installer le siège de la Collectivité territoriale. Un musée de la Corse y est également ouvert au public depuis 1997 et attribue à cette ville de 6 000 habitants une authenticité quelquefois abusive. Dans les deux îles, métropolisation ou bicéphalie n’évitent cependant pas une tendance affirmée à l’archipélisation. La Sardaigne, composée initialement de deux provinces, en compte désormais huit depuis la réforme administrative décidée par l’assemblée régionale en 2005. Les géographes sardes ne manquent pas de s’interroger sur la pertinence de ce nouveau découpage remis désormais en cause par les

gouvernements de Mario Monti puis de Matteo Renzi en 2014 en raison des surcoûts qu’il engendre. Est-il en effet justifié de doter Villacidro ou Lanusei, petites villes du Campidano, des mêmes attributions administratives que Sassari ou Oristano ? La multifocalità du réseau sarde génère ainsi une sur-administration de l’île au bénéfice d’un système politique clientéliste, avide de se répartir de nouveaux fiefs, et au détriment d’une cohérence territoriale de la région. L’émiettement des fonctions et des infrastructures affecte également la Corse. Cela traduit depuis longtemps déjà la prééminence d’une idéologie spatiale qui favorise les intérêts clientélistes et micro-régionaux et qui consiste à saupoudrer, quelquefois sans cohérence, les fonctions décisionnelles attribuées aux différents pôles urbains. Les villes corses et les villes sardes sont aujourd’hui fort différentes. Elles s’apparentent davantage aux villes de leur territoire national respectif avec lesquelles elles partagent des problématiques communes. Pourtant les villes de ces deux îles présentent aussi une profonde similitude qui repose sur leur identité exogène, voire coloniale. Elles se sont en effet longtemps définies comme les acteurs d’un échange inégal entre îles et continent dans un contexte prolongé d’insécurité géopolitique entre chrétienté et islam. Une idéologie fondée sur l’intégration des ruraux corses et sardes à la ville va à partir du XIXe siècle modifier leur rôle dans l’organisation des deux territoires insulaires. Toutefois en favorisant aussi une multiplication des centres relais du pouvoir central puis des pouvoirs décentralisés et autonomes, elle tendra cependant à en entraver la mise en cohérence et à limiter leurs relations interinsulaires à des rapports symboliques qui peinent à masquer leur dimension profondément indigente.

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Insularité et villes en Corse et en Méditerranée

Les associations entre référents communautaires et réseaux criminels. Le cas des centres sociaux de la ville de Palerme Elisabetta BUCOLO

Introduction

L

’APPROCHE CULTURALISTE DE LA QUESTION méridionale a contribué à construire une représentation aussi déterministe que déformée du processus de développement social, économique et politique du Sud de l’Italie. Elle insiste sur le rôle des référents particularistes, typiques de la culture archaïque, à l’origine du manque d’esprit civique dans le Sud. Ce particularisme s’exprime par la force des liens communautaires, d’appartenance familiale, d’amitié restreinte qui, de par leur enracinement, seraient à l’origine de formes d’enfermement empêchant toute ouverture vers les autres et en faveur d’un engagement civique. Or, il est important pour nous, de « déplacer le regard » sur la réalité en émettant l’hypothèse que certains liens sociaux traditionnels « communautaires » peuvent être valorisés et devenir une ressource pour le changement et qu’ils ne constituent pas forcément « une tare » à dépasser. Ceci, non pas pour nier la portée de certains dysfonctionnements mais pour montrer qu’il est possible, à l’égard de la réalité de terrain étudiée dans nos études de cas, de relativiser certaines « certitudes scientifiques » en s’attachant à observer les multiples facettes que peuvent avoir ces relations « particularistes » tant critiquées. Dans ce sens, nous adopterons la perspective proposée par Mutti1 qui considère « le développement plus comme un effet de la valorisation des ressources préexistantes que comme la rupture exogène des facteurs qui pourraient le limiter ». Dans la première partie de ce texte nous nous attacherons à présenter les approches théoriques du capital social qui se sont appuyées sur les travaux ethnographiques du « familialisme amoral ». Dans la deuxième partie, nous montrerons qu’il est possible de nuancer ces apports en « déplaçant le regard » d’une 1. Mutti Antonio cité dans Gucciardo, Gaetano. Capitale sociale e senso civico nel Mezzogiorno, Caltanissatta-Roma : Salvatore Sciascia Editore, 2008, p. 47.

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approche déterministe à une approche possibiliste de la réalité des formes d’engagement civique en Sicile, ceci à l’appui d’études de cas auprès de centres sociaux gérés par des associations qui interviennent dans des quartiers de la ville de Palerme.

Vitalité associative et familialisme Le lien vertueux entre vitalité de l’action associative et démocratisation de la société (en termes de liberté, d’égalité et de confiance institutionnelle) paraît aujourd’hui une évidence. Dans l’ouvrage Making Democraty Work, publié en 19932, Putnam et d’autres chercheurs américains et italiens, ont cherché à identifier les facteurs déterminants d’une « démocratie efficace »3 à partir d’une étude comparative entre la réalité économique et politique de l’Italie du Nord et celle du Sud. En s’inspirant de l’œuvre De la démocratie en Amérique de Tocqueville4, ils insistent sur le fait que les mœurs sociales sont fortement connectées à l’exercice de la politique et, donc, les associations civiques sont indispensables pour une démocratie stable. Les formes d’engagement associatives ont une place centrale en tant que facteur déterminant du bon fonctionnement des institutions et de la performance économique. Dans un texte plus tardif, Putnam résume ainsi les raisons d’une telle centralité : « Ceux qui sont membres d’une association sont beaucoup plus à même de participer au débat politique, de passer leur temps avec des voisins/proches, d’accorder leur confiance aux gens…. »5. Ainsi, dans ces travaux, l’association est valorisée. On insiste sur l’importance de la capacité des individus à participer et à coopérer car cela détermine les caractères du développement économique et institutionnel d’une société. Dans son ouvrage fondateur, Putnam essaie de comprendre pourquoi la démarcation entre le Nord et le Sud est devenue encore plus évidente. En effet, malgré une politique nationale identique, on peut observer, entre les régions italiennes, des écarts de performance très importants. La thèse défendue par Putnam est que cet écart est dû à la différence entre

les stocks de capital social, plus importants dans le Nord et relativement faibles, voire inexistants dans le Sud. Ainsi le développement des régions du Nord serait dû à leur tradition d’engagement civique et d’organisation d’actions sociales communautaires. En effet, par ce biais, les citoyens sont liés entre eux, par des relations de confiance largement répandues qui renforcent l’action horizontale de réseaux sociaux et politiques. Le pôle opposé aux communautés civiques du Nord, serait l’incivisme des régions méridionales, comme la Sicile. Aucune conception de citoyenneté, aucun engagement social et culturel ne trouverait place ici. Le clientélisme et la gestion du pouvoir politique, laissés aux affaires privées de quelques notables, entraîneraient ces régions dans un cercle vicieux de sous-développement, sans aucun contrôle citoyen possible. La question est donc de savoir comment justifier un tel écart de présence de capital social sur un territoire aussi restreint que celui de l’Italie. Pour ce faire, Putnam avance deux explications : l’une d’ordre historique et l’autre d’ordre culturel. Aux arguments historiques, que nous ne développerons pas dans ce texte, Putnam ajoute des raisons de caractère culturel. Il s’inspire des études de Edward C. Banfield. Dans son ouvrage de 1958, The moral basis of a backward society6, il constate le manque de solidarité entre les gens d’un petit village du Sud de l’Italie, en imputant la cause de cela à ce qu’il appelle le « familisme amoral ». Par ce terme, Banfield entend l’absence d’ethos communautaire qui caractérise les populations du Sud, lesquelles n’ont aucun intérêt pour le bien commun et conduisent toute leur action au bénéfice des seuls membres de leur famille, pour satisfaire les besoins égoïstes de celle-ci. Ces sociétés, ainsi structurées, ne sont pas capables de coopérer, ni pour le changement social et politique, ni pour le développement économique. Ces structures traditionnelles, selon Banfield, caractérisent le vécu quotidien des gens du Sud, livrés à une lutte hobbesienne de tous contre tous. Le seul noyau social unificateur est donc, la famille, dont les capacités d’influencer le changement sont très faibles, voire nulles. Paradoxalement, la seule manière de survivre, pour ces populations, est de se confier à la protection clientéliste, aussi bien

2. Putnam, Robert D. ; Leonardi, Robert ; Nanetti, Raffaella Y. Making democracy work : civic traditions in modern Italy. Princeton : Princeton University Press, 1993, 258 p. 3. Bevort, Antoine. Pour une démocratie participative. Paris : Presses de Sciences Po, 2002, 129 p. (La Bibliothèque du Citoyen), p. 82. 4. Tocqueville, Alexis de. De la démocratie en Amérique. 1835. Sd. 5. Ponthieux, Sophie. Le capital social. Paris : Éditions La Découverte, 2006, 121 p. (Repères, série Sociologie, n° 458), p. 45. 6. Banfield Edward C., The moral basis of a backward society, The Free Press, USA, 1958.

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Les associations entre référents communautaires et réseaux criminels

dans le domaine politique qu’économique et social, en entretenant une culture de la méfiance. Selon son analyse, les liens familiaux l’emportent sur toute autre forme de lien social. De nombreuses recherches sont intervenues, pour montrer l’ensemble des limites des travaux sur la « question italienne » se fondant sur une approche « culturaliste » et « déterministe », se référant au familisme. Et ce, sous différents angles, historique, sociologique et anthropologique7. Elles ont pu montrer que cette approche, tout en contribuant à apporter des éléments de réflexion importants dans le débat scientifique, s’avère trop rigide et, a fortiori, réductrice pour lire la réalité méridionale et plus particulièrement la nature des interrelations sociales au Sud, de la famille jusqu’à l’association. Le « sens civique », qui se traduit dans la présence d’associations, est certes le soubassement culturel des activités sociales et économiques indispensables aux sociétés, mais il est conçu comme une variable indépendante dont les sociétés du Sud seraient dépourvues, à jamais, du fait de la structure particulariste des relations sociales (familisme). En effet, considérée comme « exclusive », la famille méridionale serait dans l’impossibilité de générer des relations de solidarité envers l’extérieur et, notamment, à plus large échelle pour créer des espaces collectifs, des associations, des groupes de pression et d’entraide, du capital social, capables de transformation et de développement. L’approche de Banfield peut être intéressante dans le sens où il a essayé de comprendre les rapports entre individus et institutions, et la capacité des communautés locales d’avoir un rôle actif dans les processus de changement. Mais il reste « encastré » dans un regard dichotomique qui considère la modernisation uniquement comme le dépassement des enjeux particularistes. Or il nous semble qu’il n’est pas opportun de penser la relation entre particularisme et universalisme en termes d’opposition mais plutôt en termes d’interaction et d’échange. Certaines formes de particularisme permettent la confrontation avec l’extérieur et le dialogue et la coopération avec d’autres communautés s’appuyant sur des normes et des règles différentes

pour transformer ou reconstruire leur propre tradition et leur identité du fait de l’échange avec les autres. Ainsi les communautés peuvent transformer des événements privés et particularistes en événements significatifs pour les autres et ayant un impact dans la sphère publique. Cependant, le degré d’interaction et d’ouverture dépend largement de la nature des valeurs de la société dans son ensemble. Cela concerne en particulier le contexte institutionnel, garant des règles et des normes communes, et le contexte politique, qui doit être inclusif. Comme le montrent Cersosimo et Donzelli8 « le manque ou l’insuffisance de croissance dans un contexte territorial de relations civiques horizontales, de règles justes, de comportements partagés, ne se présente point comme un caractère anthropologique pré-acquis, mais, au contraire, comme le résultat d’une stricte interaction entre société et institutions, entre action publique et organisation communautaire, entre pratiques de vie et valeurs de référence ». Ainsi, les distorsions du contexte économique et politique du Sud, dues en grande partie aujourd’hui à la présence de réseaux criminels, ne peuvent pas être comprises uniquement par l’explication « culturaliste » de l’absence de « sens civique » due au long cours de l’histoire et aux formes diverses de particularisme. À notre sens, une lecture plus complexe s’avère nécessaire. Dans cette perspective, on a essayé de considérer certains traits de la société méridionale davantage comme des opportunités ou des ressources que comme des écueils. En adoptant cette perspective, nous essayons de montrer, à travers les études de terrain, que certaines spécificités de la culture sicilienne, tels les liens parentaux, les relations amicales, ne sont pas a priori des facteurs de détournement de l’esprit public et du sens civique. D’autres éléments endogènes et exogènes peuvent participer à en faire des facteurs de distorsion lorsqu’ils se traduisent en attitudes de contournement de la règle et œuvrent pour la création de canaux préférentiels d’accès au bien public.

7. Blando, Antonino. Les transformations de la notabilité dans le Mezzogiorno contemporain. In : Journées d’étude : Notables et pouvoirs notabiliaires, CERI, Paris, 27 juin 2002 (Document de travail) ; Lupo, Salvatore. Tra centro e periferia. Sui modi dell’aggregazione politica nel Mezzogiorno contemporaneo. Meridiana, n° 2, 1988, p. 13-50 ; Mutti, Antonio. Capitale sociale e sviluppo : la fiducia come risorsa. Bologne : Il Mulino, 1998, 147 p. (Saggi, n° 482) ; Piselli, Fortunata. Social capital as situational and dynamic concept. In : International Workshop on social capital, Université de Trento, 19-20 octobre 2000 (Document de travail). 8. Cersosimo, Domenico ; Donzelli, Carmine. Mezzo giorno : realtà, rapprezentazioni e tendenze del cambiamento meridionale. Rome : Donzelli Editore, 2000 (Saggi : Storia e scienze sociali), p. 87.

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Méthodologie Nous nous sommes intéressés à l’expérience de trois centres sociaux polyvalents, gérés par des associations, qui se situent dans trois quartiers différents de Palerme : l’un dans le centre-ville, le second dans sa banlieue proche et le troisième dans un petit bourg à proximité. Leurs activités restent en majorité destinées aux enfants et aux jeunes ainsi qu’aux personnes âgées et aux femmes. Il s’agit surtout d’activités d’accompagnement social (animation, suivi scolaire, appui juridique, service sanitaire, réunions thématiques…) qui peuvent déboucher sur des projets d’insertion professionnelle (un restaurant coopératif de quartier, une crèche familiale, une coopérative sociale…). Nous avons analysé la façon dont la relation entre les animateurs sociaux, bénévoles et salariés, et les usagers se décline au quotidien : ses lieux, ses modalités, ses moyens. La méthodologie que nous avons mobilisée est fortement inspirée de la méthode des « récits de vie ». Le recours au récit de vie permet, par une démarche de type diachronique, d’appréhender les rapports sociaux dans leur évolution historique. Ceci permet de retracer la dynamique sous-jacente aux évolutions des associations : c’est-à-dire, les raisons communes, le projet social et sociétal à l’origine de l’engagement des membres fondateurs, des animateurs, des habitants que nous avons rencontrés. Par ailleurs, nous avons été présents dans les quartiers, soit en simple observateur, soit en participant aux activités des centres sociaux : les activités d’animation (visites de lieux, sorties culturelles, jeux avec les enfants…), les groupes de parole pour les femmes et le soutien scolaire des enfants. Les centres sociaux gérés par des associations de quartier dans la Ville de Palerme Les centres sociaux gérés par des associations de quartier dans la Ville de Palerme, nous semblent pouvoir remplir un rôle d’« agents de l’innovation » territoriaux, tel que défini par Mutti 9. Dans son texte, il pose la question de savoir « quels groupes ou institutions sont les innovateurs qui favorisent

l’extension et la généralisation de la confiance des lieux interpersonnels aux lieux institutionnels et systémiques ? Quel rôle ont les acteurs dans ce processus qui demande la constitution de passerelles entre groupes et réseaux sociaux et, par là, l’activation de processus de coopération, de liens horizontal et vertical entre eux ? ». Cette approche nous a permis de questionner le rôle « actif » des acteurs associatifs dans la « construction » de capital social. Nous avons fait l’hypothèse que l’émergence d’attitudes civiques, définies ainsi au sens où elles dépassent les seuls intérêts individuels, ne peut se penser qu’en relation directe avec les liens de type traditionnel car c’est là qu’elles trouvent leurs racines. Certes, les liens communautaires, familiaux et amicaux, ainsi que les relations de voisinage, la confiance et le respect peuvent évoquer la permanence de liens autocentrés et « amoraux », selon la définition du « familisme amoral » de Banfield. Cependant, ils nous semblent pouvoir être pris en compte également comme une ressource pour l’agir solidaire et, dans ce sens, constamment re-fonctionnalisés dans le travail quotidien des associations dans les quartiers. Dans le contexte environnemental où se déploient ces projets, la permanence et la pérennisation de l’action associative sont confrontées à la présence invasive de la criminalité organisée de type mafieux. En effet, la mafia puise dans les mêmes référents identitaires traditionnels mais les détourne dans le sens du contrôle du territoire, de la gestion des relations par la violence, de l’attribution arbitraire de biens et de services. Comme le montre Sciarrone10, la mafia se distingue des autres organisations criminelles par sa capacité d’enracinement dans un territoire, « les mafieux tendent à entremêler des réseaux sociaux à haute densité et à manipuler à leur profit des réseaux relationnels aux finalités diverses ». Dans ce sens, ils ont une grande capacité à utiliser et à manipuler les relations sociales traditionnelles : capacité de nouer des relations, d’instaurer des échanges, de créer des liens de confiance, de stimuler des obligations et des faveurs réciproques. C’est ainsi que, pour certains habitants, la présence mafieuse n’est pas un écueil mais plutôt une opportunité et, en cela, l’action associative sur ces territoires se révèle extrêmement complexe.

9. Mutti, Antonio. Sociologia dello sviluppo e questione meridionale oggi. Rassegna italiana di sociologia, Tome XXXII, n° 2, 04/1991, p. 155-179. Citation p. 164. 10. Sciarrone, Rocco. Réseaux mafieux et capital social. In : Briquet, Jean-Louis (éd.). Les Mafias. Paris : Hermès science publications, 2000, p. 35-56. (Politix, vol. 13, n° 49).

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