André RobeRti
Que tout s’arrange Préface de Jean Vanier
fidélité
 Que tout s’arrange 
AndrĂŠ Roberti
 Que tout s’arrange 
fidĂŠlitĂŠ
Imprimi potest : Xavier Dijon, s.j., Provincial Bruxelles, le 20 juin 2000
Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procÊdÊ que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, rÊservÊe pour tous pays. Š Éditions FidÊlitÊ • 7, rue Blondeau • 5000 Namur info@fidelite.be DÊpôt lÊgal : D/2000/4323/07 ISBN 2-87356-189-0 Couverture : photo de Patrick Bika
Merci aux pères AndrÊ NazÊ (†), Pierre Pattyn, Paul Detienne, et à toute l’Êquipe de l’AllÊluia-Arche
Après 25 annÊes de vie de l’Arche à Bruxelles, il faut s’arrêter, regarder et remercier L’Arche ne fait de leçon à personne. Elle cueille ces fruits de la vie comme ils se donnent. Là oÚ on pensait  malheureux , il n’y a qu’un cri :  Heureux sommes-nous de dÊcouvrir, au-delà des blessures, la joie des BÊatitudes au cœur de l’autre.  L’Arche ne se veut pas œuvre de bienfaisance. Elle est plutôt un port de plaisance oÚ chaque bateau est amarrÊ avec son histoire, son passÊ, son avenir. L’Arche de Bruxelles transforme son quartier (cinq foyers dans la même commune, la même paroisse). Chaque foyer est diffÊrent, mais guidÊ par le même esprit. L’Arche ouvre la porte de son cœur à qui n’a pas peur, apporte un message à qui attend et cherche vraiment. L’Arche transforme la sociÊtÊ par la prÊsence de ceux qui ont choisi d’y vivre, d’en être les amis, de nous entourer, de nous porter. Le vivre ensemble part de cette vision du monde : nous pensions aider, et c’est bien nous que l’on aide ! Nous pensions donner, et c’est nous qui recevons. À l’Arche, tout reste petit à la mesure d’une semence. Tout devient grand à mesure de l’espÊrance qui ouvre la moisson. Tout commence par la rencontre. Tout se poursuit dans l’Êchange. L’Arche a commencÊ avenue de Tervueren. Le roi LÊopold II la crÊant en 1897 ne pensait pas qu’un jour son avenue serait encore plus belle par le nouveau genre de vie de ceux qui y habitent. Père AndrÊ Roberti Échanges. L’Arche, communautÊ de Bruxelles Plaquette publiÊe à l’occasion des 25 annÊes de prÊsence de l’Arche en Belgique
PrĂŠface de Jean Vanier
J’ai souvent eu l’occasion de rencontrer le père AndrÊ Roberti, s.j. Chaque fois, je suis ÊmerveillÊ par la vie et l’enthousiasme qui jaillissent de lui. Il aime partager les rencontres qu’il a faites et les merveilles qu’il a trouvÊes dans telle ou telle personne. Il a un grand cœur, un cœur d’homme, un cœur de disciple de JÊsus, un cœur de prêtre. Nos premières rencontres datent de Pâques 1971 et du grand pèlerinage à Lourdes, qui fut à l’origine de  Foi et Lumière . À la suite de ce pèlerinage, le père Roberti a continuÊ à susciter des rassemblements oÚ se trouvaient des personnes ayant un handicap mental ou physique, leurs parents et des amis. C’Êtait de belles cÊlÊbrations auxquelles j’ai parfois eu la joie de participer. Ce livre raconte en partie l’histoire providentielle de la crÊation du foyer du Toit, ce rêve du père Roberti qui est devenu rÊalitÊ grâce au cri des hommes comme Denis, Yvan, Patrick et d’autres. Grâce aussi à la lumière cachÊe dans leur cœur. Grâce encore à l’engagement des amis compÊtents qui se sont associÊs à lui. Le père Roberti a entendu l’appel de tant d’hommes et de femmes qui se sentaient seuls et qui avaient besoin d’un  toit  familial et communautaire. Par la suite, le père Roberti a connu l’Arche et le père Thomas. En 1972, il a demandÊ que le Toit fasse partie de notre grande famille, acceptant avec abnÊgation toutes les exigences d’une telle famille, ses structures, ses façons de faire, ses mandats. À travers les annÊes, l’Arche à Bruxelles a accueilli des personnes comme Michel dont il parle dans ce livre, et qui Êtaient
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en difficultÊ dans la communautÊ de l’Arche à Trosly. Le grand cœur du père Roberti, sa capacitÊ d’accueil, son intuition concernant les besoins des uns et des autres l’incitaient à trouver le lieu et le travail qui convenaient à chacun. Dans sa personne, il est sÊcurisant et rassurant. Chacun se sentait compris dans sa souffrance ou ses difficultÊs. En lui, on reconnaissait la prÊsence d’un père qui aime, qui encourage, qui confirme et qui pardonne. Oui, le père Roberti a un grand cœur. Et son amour de Denis, d’Yvan, de Patrick et de chacun lui a ÊtÊ rendu au centuple. Aujourd’hui, la communautÊ qu’a fondÊe le père Roberti continue parce qu’il a su laisser la place. La vie est comme un fleuve. Le rôle des anciens est de communiquer un esprit qui s’incarne ensuite en d’autres. Jean Vanier
 Que tout s’arrange ! 
 Que tout s’arrange !  Telle Êtait l’intention de prière qu’elle me proposait pour cette Eucharistie à la veille de son centenaire. Dans cette prière, je reconnais cette volontÊ de paix, de force et d’espÊrance qui a ÊtÊ le don de sa vie. Pendant soixante ans et plus, j’ai vu cette dame tous les jours à la messe. Elle Êtait là , fidèle, s’appuyant parfois au bras de celui ou celle qui l’accompagnait. Elle n’aurait pas voulu lâcher cette Eucharistie qui a ÊtÊ pour elle le don de Dieu pour  que tout s’arrange , pour que le monde soit comme Il l’a rêvÊ, pour que l’Église soit comme elle doit être et que le cœur de Dieu continue à se donner au monde comme Il a choisi de le faire, pour que les hommes vivent en enfants de ce Dieu qui a tant voulu que tout s’arrange. C’Êtait une prière d’abandon filial. Cette phrase ne peut-elle pas Êclairer ce que ma vie a perçu du plan de Dieu ? Plan de Dieu qui n’est pas fait de rÊalisations Êcrasantes, mais qui est comme l’Êpanouissement d’une fleur, la maturitÊ d’un fruit. Plan de Dieu entrevu à travers la grêle et la tempête, mais aussi à travers le soleil et le doux vent du soir qui apaise et rafraÎchit. Plan de Dieu devinÊ à travers la souffrance brÝlante et brisante, mais aussi à travers le sourire de l’enfant qui appelle à la vie.
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Première partie
Ils m’ont choisi
Une chambre remplie de bibelots, de souvenirs, d’objets variÊs, œuvres d’art ou griffonnages d’enfants‌ C’est dans ce lieu que le père Roberti m’accueille pour quelques heures d’entretien. Et voilà qu’il se promène, Êvoquant un souvenir devant chacun de ces objets, prÊsence continuÊe des personnes rencontrÊes au fil des annÊes. La source de toute joie, manifestement, ce sont les rencontres.  Croire en l’autre jusqu’à m’Êmerveiller et à le remercier d’exister, commente-t-il. Rencontrer l’autre, c’est toujours l’admirer pour pouvoir l’aimer ou bien l’aimer jusqu’à l’admirer. 
Autour du Toit  Dans un monde oÚ l’on a optÊ pour la performance, le record à battre, le rendement, vous avez plutôt choisi le camp des faibles, de ceux dont on ose parfois se demander :  Ont-ils bien fait de naÎtre ?  Est-ce un choix volontaire ? —Ce sont les petits, les faibles qui m’ont choisi. Je ne me souviens jamais d’avoir pris dans ma vie une grande dÊcision du genre : je choisis les petits contre les grands, les faibles contre les forts. En relisant mon histoire, je me dis : Ce sont eux qui m’ont appelÊ, ce sont eux qui m’ont conduit, ce sont eux qui ont dessinÊ ma route. Il y a choix, mais pas du côtÊ oÚ l’on croit ! Je ne suis pas le  chic type , mais celui qui a trouvÊ, grâce à eux, le vrai chemin. Ils rendent la vie plus belle parce que, avec eux, on voit les choses dans leur vÊritÊ. Avec les gens intelligents, le risque est de voir la rÊalitÊ comme ils la veulent et non comme elle est. Jamais je ne me suis orientÊ vers un ordre caritatif, tournÊ vers les pauvres, mais j’ai toujours ÊtÊ attirÊ par ce qui Êtait fragile, faible‌ Dans ma propre famille, l’un ou l’autre Êtait dÊficient dans son corps blessÊ ou dans ses crises d’Êpilepsie. Sans le
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savoir, j’Êtais avec eux. Je ne suis pas l’homme des dÊvouements, mais la vie m’a toujours rendu prÊsent à des situations de souffrances, de handicaps ou de rejet. Un toit pour une nouvelle aventure —Le Toit, c’est quand même votre initiative ? —Je voulais ouvrir le collège Saint-Michel de Bruxelles que je trouvais trop fermÊ, tout comme la sociÊtÊ dans laquelle nous vivions en mai 68. Le Toit est un peu le fruit de ces annÊes-là . Non pas une consÊquence, mais une Êtrange coïncidence : il y eut un premier pèlerinage à Lourdes en 1965 et puis ils ne se sont plus arrêtÊs. Le Toit est arrivÊ à ce moment. Pendant cinq annÊes, j’ai priÊ durant chaque retraite pour trouver une rÊponse à mon appel : comment ouvrir les jeunes aux rÊalitÊs de ce monde ? Comment empêcher ces cloisonnements et ces enfermements dans lesquels souvent nous vivions de par notre Êducation, nos familles et nos traditions ? Le Toit — nom choisi par mes amis handicapÊs — s’est alors prÊsentÊ, avant tout comme un lieu de rencontre, d’accueil, d’Êchange, d’amitiÊ, de partage. J’imaginais des jeunes, des personnes de la Vie montante, des Êtrangers — j’en rencontrais de plus en plus — sous la prÊsence vigilante de la personne handicapÊe. J’avais l’impression que si elle Êtait au centre, non pas comme celle que l’on veut servir à tout prix, mais, avant tout, comme celle qui sent l’existence de notre communautÊ, de notre rÊalitÊ, nous allions bien dÊmarrer. Je me sentais protÊgÊ, guidÊ, inspirÊ par leur prÊsence. Et ce furent les merveilleuses dÊcouvertes de Denis, HÊlène, Patrick, Yvan, de tous ceux qui ont cheminÊ avec moi. D’abord, il y eut des personnes handicapÊes physiques, ensuite les personnes handicapÊes mentales dÊcouvertes à Lourdes et surtout à Ciney. Jamais je ne pourrai me lasser de dire : ils sont mes maÎtres.
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Je rêve parfois de rÊsumer ma vie et mon expÊrience en quelques visages, en quelques paroles, mais ce ne serait pas juste parce que ce sont peut-être ceux qui n’ont rien dit qui m’ont le plus transformÊ. Je cite souvent une petite phrase de mon grand ami Denis qui m’accompagnait toujours dans les retraites, les rÊcollections. Un jour, je lui dis :  Tu sais, Denis, les jeunes souvent me rÊpondent : près de la personne handicapÊe, nous dÊcouvrons l’essentiel. Pourrais-tu me dire ce qu’est pour toi l’essentiel ?  Et Denis, tout tordu dans sa voiturette, les bras attachÊs pour ne pas se blesser, me partage, me crie presque son message :  Tu sais, Père, l’essentiel, c’est de vivre calme et dÊtendu. Et pour cela, il faut ouvrir les yeux et voir le Seigneur qui passe. Pour moi et pour tous.  Un jour, Denis m’a fait part d’une souffrance qu’il vivait à Lourdes. Je ne le connaissais pas encore bien. C’Êtait au temps oÚ nous allions chanter le soir dans les salles d’hôpitaux. Voilà que tout à coup il me lance :  Père, j’ai quelque chose à te dire.  Je me suis approchÊ de lui et il m’a expliquÊ :  Comment se faitil que j’ai vÊcu toute cette journÊe dans un si grand cafard ? Tu sais, dès le matin, cafard, et puis à midi encore. Et quand le Seigneur est sorti de son Êglise avec le Saint Sacrement, encore ce grand cafard. Je lui ai criÊ : Seigneur, pourquoi est-ce que j’ai le cafard ? Et puis, ce fut la procession et même les piscines, et toujours le même cafard.  Tout Êmu, je lui dis :  Mais Denis, tu ne crois pas que tu as eu le cafard comme le Christ l’a eu sur la croix ? C’est au fond cela, tout ce que tu as vÊcu. — Ah, Père, c’est vrai.  Et il a ajoutÊ :  Merci, Seigneur, pour le grand cafard. 
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En alliance avec les personnes handicapÊes —Avant le Toit, vous Êtiez dÊjà familier du monde des personnes handicapÊes. Quel a ÊtÊ le point de dÊpart de cette alliance ? —Peut-être, en remontant loin dans mon histoire, une maman merveilleuse qui a vÊcu cinq ou six annÊes de grande maladie : tumeur au cerveau, opÊration, re-opÊration, trois mois de sÊjour en clinique à Paris‌ tout cela entre l’âge de 7 et 12 ans. Sans que nous ne nous en rendions compte, elle nous a toujours beaucoup aimÊs, entourÊs. Nous n’avons pas tellement manquÊ d’aide parce que nous la sentions si proche de nous. Cela a dÝ me former. À propos d’une de ses trÊpanations, elle m’a avouÊ plus tard :  Je l’ai offerte pour toi, parce qu’à ce moment-là , tu n’Êtais pas très courageux au travail et un peu menteur.  —Vous avez aussi travaillÊ avec le docteur Yasse ? —Le docteur ! C’est aussi une expÊrience extraordinaire. Il faisait partie de notre Êquipe de foyers et, très vite, nous sommes entrÊs dans sa vie, le CBIMC (Centre Belge pour les Infirmes Moteurs CÊrÊbraux) oÚ j’ai ÊtÊ aumônier, même un peu professeur. Je lui suis profondÊment reconnaissant. Il a vraiment ÊtÊ un grand leader dans ma vie, un maÎtre. Après, nous nous sommes un peu ÊloignÊs à cause de mon choix de l’Arche. Lui s’occupe des infirmes moteurs cÊrÊbraux, nous à l’Arche, plutôt des handicapÊs mentaux. Mais je ne pourrai jamais assez le remercier pour cette façon qu’il avait de regarder les personnes, de les rencontrer, de croire en elles. —Vous alliez avec les Êlèves en retraite à Ciney. Dans ce centre, les enfants sont parfois très profondÊment handicapÊs, incapables de dire un mot. Qu’est-ce que ce silence vous a apportÊ ? —Ces corps blessÊs qui ne peuvent même pas rÊagir à un geste d’amitiÊ, avec qui on ne peut pas jouer, qui ne sont pas en Êtat de rÊpondre au mouvement, au geste, sont la prÊsence de
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Dieu. Je me suis souvent dit :  Ils ne sont pas riches du bien que je leur ai fait ou donnÊ, mais de ce qui aura changÊ en moi, à cause d’eux.  Je ne pouvais jamais revenir de Ciney sans à chaque fois me dire :  Vraiment, à cause d’eux, ma vie changera.  Ils ne m’auront pas dit une parole pour me transformer, ils ne m’auront même pas regardÊ. Mais leur prÊsence, la grâce que j’ai eue de les toucher, de les embrasser, d’être près d’eux, me renvoie à ma vie et m’invite à changer. —Parlez-nous des dÊbuts du Toit en janvier 1971‌ —Le 17 janvier au soir, je m’endormais pour la dernière fois dans ma chambre du collège Saint-Michel, me rÊjouissant dÊjà d’être le lendemain et de commencer cette aventure. Je croyais que tout Êtait prêt. Mais je me suis vite aperçu qu’il manquait les choses ÊlÊmentaires. Nous n’avions même pas de gaz pour faire le cafÊ. J’ai dÝ utiliser un petit camping gaz. Il a fallu attendre deux ou trois jours pour trouver une bonbonne convenable. Nous la gardons en souvenir. Dans le jardin du Toit, elle supporte la vasque de fleurs ! Le premier soir, en prÊsence d’un groupe de foyers, du docteur Yasse et de mes amis, le père Toussaint a prononcÊ une homÊlie prophÊtique sur l’avenir du Toit. Il sentait à l’avance que les pauvres devraient y avoir toujours leur place. Vrai ment, un texte prophÊtique que nous conservons et relisons avec dÊvotion ! Le père Toussaint fut un homme extraordinaire. Dieu l’a mis sur ma route. Compagnon de JÊsus et professeur comme moi, nous vivions une amitiÊ tout à fait dans le style de la Compagnie : on n’exprime pas tellement ce que l’on sent, mais on vit les choses ensemble. Peu à peu, nos existences se sont jointes : les pèlerinages à Lourdes et toute l’histoire du Toit et de l’Arche ont ÊtÊ vÊcus avec lui. Jamais je n’ai pris une dÊcision sans lui demander son avis. Il a ÊtÊ envoyÊ par Dieu pour me donner la force et l’audace de sa foi, la douceur de son amitiÊ et de son intÊrioritÊ.
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Je ne pourrai jamais l’oublier. J’ai encore dans ma chambre une feuille de papier qu’il mettait sur sa porte :  Je suis à la chapelle.  C’est plus qu’un souvenir : une relique, une prÊsence, un appel. La rencontre avec Jean Vanier —Quelles sont les grandes Êtapes de l’histoire du Toit ? —Au Toit, on Êtait heureux. Il y a eu la fameuse et merveilleuse amitiÊ avec Marc Lemmens. Je lui donnais cours de religion — il Êtait en troisième latine. J’apprends tout à coup qu’il est atteint d’un cancer. Ce fut un long chemin de mai 71 à dÊcembre 72, chemin de confiance, de courage, de lutte. Il a ÊtÊ aux origines de notre dÊcouverte de l’Arche. Quatre jours avant sa mort, il m’a donnÊ ses derniers mille francs en me disant :  Voilà , pour la première maison de l’Arche.  Il n’Êtait pas encore question à ce moment-là d’en faire partie, si ce n’est dans notre cœur, tant nous Êtions Êmus et Êblouis par la beautÊ de cette nouvelle forme de vie, ce rayonnement de joie et de foi. Marc avait suivi une retraite Katimavik* de Jean Vanier, quinze jours auparavant, à Remersdael. Sans le savoir, il Êtait prophète. Un an après, l’Arche naissait en Belgique (le 14 dÊcembre 1973). —Et puis, il y a eu d’autres maisons‌ —Le 18 janvier 1974, BethlÊem s’ouvrait à Bruxelles. Et en même temps, à Anvers, Marie-Jeanne, Marlène, les Frères Alexiens et des amis prÊparaient l’ouverture de Madona pour le 1er mai. Puis ce fut la Branche, encore à Bruxelles, le 31 mai et toutes les autres maisons ont suivi : Namur, Liège, Bierges. Actuellement, il y a seize foyers re groupÊs en six communautÊs. On rêve toujours d’en faire plus, mais il ne faut pas aller trop vite ! Nous avons des problèmes de structuration qui doivent nous appeler à vivre autrement qu’il y a 25 ans. Les jeunes sont aujour* Nom esquimau –  rencontre  – donnÊ aux retraites animÊes par Jean Vanier. 20
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d’hui diffÊrents. Mais en regardant tout cela, je ne peux que dire :  Ce n’est pas moi qui ai fait tout cela. Je n’en suis que le tÊmoin.  —Et puis est venue la  Voisine ‌ —C’est tout simplement la maison voisine du Toit. Elle est prÊcieuse pour accueillir, pour organiser des rÊunions tout en respectant la vie du Toit, marquÊe par les handicaps de ses habitants. L’Êtat de santÊ de certaines personnes rend impossible la circulation de vingt ou trente jeunes autour d’elles. La Voisine rÊpond à un triple objectif : elle est lieu d’accueil et de rencontre, maison oÚ se structurent des œuvres autour du Toit et de l’Arche, espace de prière. Tous les jours, il y a l’eucharistie et l’adoration. Des temps et des lieux sont en effet nÊcessaires pour la rencontre, le partage des joies et des peines, dans l’adoration et la prÊsence de Dieu. FragilitÊ des couples —Un lieu comme celui-là vous permet d’accueillir beaucoup de gens, notamment des couples en difficultÊ‌ —Je n’ai pu porter ces souffrances que parce que mes amis handicapÊs les portaient. Le Seigneur m’a permis de rencontrer des peines qui dÊpassent l’imagination. Dans les familles les couples, dans la vie. Ce ne fut possible que parce que j’Êtais portÊ. Je me souviens des jours oÚ, n’en pouvant plus face au troisième deuil dans la même famille, je me suis arrêtÊ pour demander à une sœur que je connaissais de prier pour moi. Elle n’Êtait pas là . J’ai demandÊ aux membres de la communautÊ que j’ai rencontrÊs :  Vous êtes là , priez pour moi. Je n’en peux plus.  C’est un très grand mystère. La souffrance dÊpasse parfois l’entendement. Peut-être est-ce ma vocation d’avoir ÊtÊ portÊ par tant de souffrances autour de moi afin de porter à mon tour celles qui sont venues vers moi. Je ne suis pas le spÊcialiste qui aide les
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gens à porter leur croix. Je me sens tout au plus capable d’essayer de pleurer avec eux. NommÊ père spirituel des sÊminaristes luxembourgeois, je me suis dis :  Si je leur apprends à pleurer avec ceux qui pleurent, j’aurai fait du bon travail.  Je rends grâce à Dieu de ce que j’ai beaucoup pleurÊ. Petit enfant, c’Êtait dÊjà une caractÊristique. Je crois que c’est parce que j’ai beaucoup aimÊ et, finalement, parce que j’ai ÊtÊ beaucoup aimÊ. On n’aime pas si on n’est pas aimÊ. —Les couples que vous accompagnez aujourd’hui ne sont-ils pas beaucoup plus fragiles que jadis ? —Apprendre que tel couple proche rencontre des difficultÊs ou en arrive à se sÊparer est la chose la plus douloureuse. Pensant à leurs enfants, je me dis souvent : le plus grand des handicaps, c’est la brisure de sa famille. Il faut le dire sans juger. On ne sait pas ce qu’ils ont vÊcu ni le motif de leur dÊcision, mais on se sent appelÊ à les aimer davantage. J’ai passÊ beaucoup de temps à accompagner des jeunes avant leur mariage, durant les fiançailles. Je leur ai consacrÊ de nombreuses de soirÊes, toujours dans le cadre du Toit ou de la Voisine, autour de la table‌ eucharistique d’abord, puis celle du souper. Parfois, des amis handicapÊs sont venus. Je tenais à leur prÊsence. Mieux que tous mes beaux discours, la prÊsence de Michel et de Jean, le sourire malicieux d’Yvan, la paix rayonnante de Denis sont peut-être les meilleures formations à la vie d’un couple, d’une communautÊ, la meilleure Êcole de l’amour. —Et j’ai appris que, souvent, vous les accompagnez encore lors des naissances. —Pour moi qui n’ai pas eu la joie d’avoir des enfants, une naissance, c’est à chaque fois la CrÊation qui recommence. Quand un enfant naÎt, j’Êcris un mot à ses parents ou même à cet enfant en lui disant :  J’espère être le premier à t’Êcrire !‌  Je veux lui dire :  Tu sais, tu es important pour moi. Ton papa et ta maman sont
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si importants pour moi. Aujourd’hui, ils sont tout près de toi. Vous êtes tous tellement importants pour Dieu, et pour moi !  La prÊsence d’un enfant est un sourire de Dieu pour moi-même et tous ceux qui souffrent. —Et quand vous rencontrez un couple qui ne peut pas avoir d’enfant ? —Là , vous touchez peut-être une des racines les plus profondes de mon histoire. Je ne la raconte pas souvent. Papa avait quatre fils. Un seul a eu des enfants. Deux de mes frères ont cheminÊ pour dÊcouvrir ce que Dieu leur demandait à travers ce sacrifice. Toutes nos fêtes de famille ont ÊtÊ marquÊes par cette peine, cette absence. Et c’est peut-être aussi devant le courage de ces deux couples que j’ai pu dÊcouvrir qu’au fond, l’enfant ne peut pas être la rÊcompense d’un amour, ni même la consÊquence d’un choix de vie. Il est pure gratuitÊ, pur signe d’un plus, d’un mieux qui nous invite à aller plus loin. Ceux qui n’ont pas eu d’enfant peuvent dÊcouvrir ce mieux et ce plus, autrement. Un peu comme moi‌ On n’a pas un enfant parce qu’on le veut, mais parce qu’on le reçoit. Il vient d’au-delà de moi, il n’est pas le fruit de ma volontÊ, d’un moment oÚ j’ai rÊussi presque à le crÊer en trompant peut-être mon partenaire. Son baptême nous rappelle qu’il n’est pas ma chose, ma possession. Il est sacrÊ. Il appartient à Dieu parce que Dieu est son premier Père. Quand une personne handicapÊe veut avoir un enfant, je dois entrer à fond dans sa souffrance. Je dois oser lui dire : un enfant n’est pas une compensation, ce n’est pas une rÊalisation, c’est un chemin. Si l’on choisit d’avoir un enfant, jusqu’oÚ eston capable de l’assumer ? Pensons-nous assez aux droits de cet enfant ?
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—Vous côtoyez aussi des couples de personnes handicapÊes‌ —Il est certain que notre sociÊtÊ est orientÊe vers le couple. La publicitÊ est parfois outrageante. Blessante aussi pour tous ceux qui ne peuvent pas vivre cette aventure. Je voudrais Êvoquer mes amis Michel et Jehanne. Ils ont mis du temps avant de pouvoir crÊer leur couple. Ils se sont mariÊs vers la quarantaine. Michel s’Êtonne lui-même d’être toujours‌ avec la même ! Et parfois, je les invite pour qu’au coin du feu, le soir, ils puissent dire à des jeunes couples ce qui est important, comment on doit se rÊconcilier, comment on ne peut pas vivre trop longtemps tendus et sÊparÊs. Je connais l’histoire de Michel, tout ce qu’il a vÊcu à l’Arche et avant l’Arche, rejetÊ par sa famille, plein d’animositÊ, plein de mÊchancetÊ‌ blessÊ par la vie. Eh bien, ce même homme rejetÊ par ses parents à la naissance a eu cette phrase merveilleuse à l’enterrement de sa maman :  Je remercie maman de m’avoir donnÊ la vie.  Il a ajoutÊ : ‌ de m’avoir donnÊ des frères et des sœurs.  Ce fut le plus beau moment de cette cÊrÊmonie d’adieu. Michel n’est pas un saint, mais il est porteur de Dieu. J’aime passer du temps avec lui. Quand je vais souper chez eux, on allume une bougie comme au temps de l’Arche et on dit  Je vous salue, Marie  en se donnant la main. C’est leur prière du soir. Le langage de la compassion —On vient de parler de la souffrance. Celle-ci peut encore prendre bien d’autres visages. La souffrance, c’est un argument contre Dieu, souvent. Un argument à prendre au sÊrieux ? —J’aimerais parler de ce sujet et j’en ai peur. Il faudrait se taire parce qu’on ne sait pas parler correctement de la souffrance. C’est une rÊalitÊ telle qu’on ne l’approche que dans les larmes ou le sang, le silence ou la tendresse. Le plus beau langage de la com-
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passion, c’est de pleurer avec ceux qui pleurent, d’entrer dans une certaine rÊvolte avec ceux qui n’en peuvent plus. JÊsus a dit :  Père, Êloigne de moi ce calice , et aussi :  Pourquoi m’as-tu abandonnÊ ?  Paroles rudes et vraies devant la souffrance. Il a fallu qu’à ce moment-là , près de JÊsus, Marie soit là , et Simon de Cyrène et VÊronique et les femmes de JÊrusalem. La souffrance demande une prÊsence. Pensons qu’aujourd’hui des milliers de personnes âgÊes vivent de lentes agonies dans des institutions oÚ elles n’ont plus d’identitÊ. Il y a des gens tellement seuls ! À leur mort, il n’y a personne‌ Nous devrions retrouver un monde oÚ la souffrance appelle la compassion, ce qui veut dire : si tu souffres, je veux souffrir avec toi, avoir mal avec toi. Je veux partager. L’Eucharistie, qu’estce d’autre que de porter, avec JÊsus et toute l’Église, les larmes et les cris des hommes d’aujourd’hui. Par le mystère de la mort et de la rÊsurrection de JÊsus, on entre en communion avec la personne handicapÊe, la personne âgÊe, la personne dÊsespÊrÊe. Au regard du nombre de suicides dans la sociÊtÊ actuelle, on se dit : si j’avais accordÊ plus d’attention aux autres, mieux ÊcoutÊ les cris de dÊtresse, plus chaleureusement tenu des mains, il y en aurait moins. Ai-je offert à ceux dont la vie s’est tragiquement terminÊe le temps, l’amour, la patience, la prière, le don d’une certaine prÊsence ? Ne sommes-nous pas un peu responsables de ces soirÊes oÚ ils ont ÊtÊ seuls, oÚ ils ont fait leur choix. Qui peut dire qu’il a fait tout ce qu’il pouvait ? La Belgique est un des pays oÚ il y a le plus de jeunes qui se suicident. S’ils avaient ÊtÊ vraiment entourÊs‌ —Comment Dieu, qui est Père, tolère-t-il tant de souffrance ? Une souffrance qui conduit parfois, comme vous le dites, jusqu’au suicide, c’est-à -dire le refus de ce cadeau de la vie. —J’ai dÊjà eu envie d’en vouloir à Dieu. Je crois alors l’entendre me dire :  Comment vas-tu faire pour me remplacer ? Par amour, je crois en l’homme, je l’ai crÊÊ libre. Je ne vais pas tout
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le temps intervenir dans ses dÊcisions, ses engagements. Je vous confie à vous, mes prêtres, mes religieuses, mes papas et mamans, mes enfants, le soin de sauver le monde du dÊsespoir. Par votre bontÊ, par votre sourire, par des ingÊniositÊs, une fleur mise au bon moment, un coup de tÊlÊphone donnÊ quand il le faut, un choix de vacances oÚ l’on n’accepte pas d’être tout à fait sÊparÊ de ceux qui en ont besoin‌  Je me dis parfois que si j’Êtais curÊ de paroisse, je commencerais la messe du dimanche matin par cette interpellation :  Mes frères, je suppose que, durant la semaine, vous avez pu aller voir dans les hôpitaux, dans les cliniques et même à la prison, tous ces amis dont l’Évangile nous parle.  Et je leur demanderais tout simplement :  Qui de vous a pu faire cette dÊmarche à laquelle JÊsus nous invite ? Je verrais trois ou quatre doigts se lever timidement sur les deux cents personnes qui sont là . Alors, je poursuivrais :  Mes frères, vous n’avez pas eu le temps de le faire ; moi non plus. Je vous propose que nous arrêtions cette eucharistie pour nous retrouver ce soir. Et d’ici-là , nous tâcherons d’appliquer le conseil de JÊsus pour que nous puissions ensuite cÊlÊbrer sa prÊsence parmi nous.  Ce serait Êvidemment un peu heurtant. Quelqu’un m’a dit :  Tu n’aurais plus personne à ta messe.  Être prÊsent à la mort —Vous avez aussi beaucoup vÊcu l’approche de la mort en accompagnant ceux qui partaient vers le Père. Que diriez-vous de ces derniers instants ? —De la mort comme de la souffrance, on ne doit pas parler. Il faut être prÊsent, et sans peur.  Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur !  Que signifie  mourir dans le Seigneur  ? C’est savoir que l’on va vers lui et en même temps reconnaÎtre qu’on est avec lui. Quand on voit toute cette gÊnÊrositÊ, cette ferveur, cette piÊtÊ qui peut entourer les personnes malades, les
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mourants, on se rend bien compte qu’il y a là une prÊsence de Dieu. La mort ne peut pas être une page que l’on tourne trop facilement. Elle est sacrÊe comme une naissance. Chaque personne qui meurt me fait entrer dans le mystère non seulement de l’audelà , mais du passage. Il y a un mystère de la mort que nous n’avons pas encore vraiment percÊ. La Vierge de Lourdes a rÊvÊlÊ ce mystère à Bernadette quand elle lui a dit :  Je ne te promets pas de te rendre heureuse en cette vie, mais dans l’autre.  Pour moi, la mort est le passage vers l’autre vie. Et l’autre vie, c’est un au-delà de moi, mais elle sera faite de ce que j’ai vÊcu. Si l’on veut, c’est la même, mais dans un dÊpassement. —On hÊsite parfois à montrer un mort aux enfants‌ —Il n’y a pourtant que les enfants pour bien s’approcher de la mort. Mes parents ne m’ont pas cachÊ ma grand-mère sur son lit de mort quand j’avais 5 ans. Cela ne m’a pas du tout traumatisÊ. Dans leur approche de la mort, les enfants reflètent soit les angoisses soit l’espÊrance des parents. Ne leur refusez pas de regarder sur leur lit de mort leur papa ou leur maman, ou leur grand-père ou leur petit frère. Je me souviens du petit Olivier dans son cercueil. Les enfants jouaient autour. C’Êtait beau à voir. J’ai souvent revu des scènes analogues. Que de fois les parents veulent protÊger leurs enfants. En fait, c’est eux qu’ils cherchent à protÊger. 
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Dans l’Église Une Église bimillÊnaire  Parlons maintenant de l’Église. Vous êtes prêtre, homme d’Église à temps plein. Comment voyez-vous l’Êvolution de cette institution maintenant bimillÊnaire ? Avec crainte, dÊsespoir, espÊrance ? Ne vous arrive-t-il pas parfois d’être dÊçu par l’Église ? —Si le mot dÊception peut se dÊfendre, ce serait comme des parents dÊçus de leurs enfants ou des enfants dÊçus de leurs parents. Mais dans ce cas, le rêve a pris la place de la rÊalitÊ. Pour moi, l’Église est faite de pÊcheurs depuis Pierre et Paul jusqu’à nous. Il n’y a pas donc d’Église pure qui soit tombÊe, d’Église en dÊfaite ou en dÊclin. Nous sommes plutôt au dÊbut d’une Église. Nous sommes au neuvième mois de la grossesse de l’Église plutôt qu’aux nonante-neuf ans de sa vieillesse. Notre pÊchÊ, notre faiblesse, c’est de n’avoir pas vraiment cru en elle. Nous avons choisi la sÊcuritÊ et l’ordre contre une certaine aventure. Dans les ÊphÊmÊrides du collège, on mettait en exergue L’ordre conduit à Dieu (saint Augustin). J’appartiens à cette gÊnÊration oÚ l’ordre est important, mais le Fils de Dieu ne s’est pas fait homme pour mettre de l’ordre et pour apprendre aux hommes à en avoir. L’ordre est un moyen, l’essentiel est ailleurs. —Que mettez-vous sous ce mot  Église  ? —L’institution Église est une nÊcessitÊ, mais ce n’est pas l’essentiel. Ce qui en est le cœur, c’est, à travers et au-delà de l’institution, son message d’amour, ce partage de vie que Dieu est venu proposer aux hommes. L’Église, c’est avant tout le lieu, le temps de la rencontre entre Dieu et les hommes. Il faut donc aujour-
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d’hui que nous trouvions comment permettre à Dieu de rencontrer les hommes. Cela me peine parfois de voir qu’on attache tellement d’importance à des prÊsences d’Église qui sont sÊcurisantes, disons traditionnelles, tellement moins importantes que tout l’effort que nous devons faire pour rencontrer l’autre. J’aime l’Église. Elle doit être le lieu du pardon oÚ les plus petits, les plus faibles, les plus pÊcheurs sont aimÊs. Le pardon, c’est vraiment Dieu qui partage son cœur. Ça me dÊpasse, je ne le comprends pas, et cependant c’est vital. Nous aurons ratÊ notre vie chrÊtienne si nous ratons la joie de l’Évangile, celle de la brebis perdue, de l’enfant prodigue. Ce n’est pas un pauvre pÊcheur qui retourne vers son Père, c’est un cœur de Père qui attend son enfant comme il est, qui est prêt à tout pour lui. Le pardon dans l’Église est essentiel. Pardon ner, c’est aimer plus. Nous avons peut-être trop souvent regar dÊ le pardon comme un geste rituel, juridique, confondant le tribunal et la patience. Or, il n’y a pas de tribunal dans le cœur de Dieu. —Vous dites parfois que vous avez mal à votre Église ? —J’ai empruntÊ cette expression à quelqu’un d’autre, mais elle exprime bien mon sentiment. Que de rivalitÊs, de re cherche de puissance‌ On a envie de dire : arrêtons, redevenons humbles chrÊtiens. Fêtons l’humilitÊ du bois de la crèche sur lequel a reposÊ JÊsus. L’Église devrait être davantage ce visage de bontÊ, d’accueil, de comprÊhension, de pardon. Parfois, en regardant le Saint-Père à la tÊlÊvision, je vois à quel point il est plein de bontÊ. Mais ceux qui sont autour de lui, les monseigneurs qui sont là un peu comme des potiches, ont l’air sÊvère, triste. Peutêtre suis-je trop dur ? Pendant le temps de leur service, que ces dignitaires se laissent regarder par Dieu et la foule verra Dieu. L’Église doit être humaine. Dieu s’est fait homme, il est entrÊ dans la structure de l’humanitÊ à pleine chair, à plein corps.
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—Qu’est-ce qui vous fait mal dans l’Église d’aujourd’hui ? —C’est peut-être un certain climat de peur qui me paraÎt Êmerger de diffÊrentes instructions d’Église. On annonce la beautÊ du Royaume, la beautÊ de l’Évangile, la vÊritÊ de notre histoire, mais on ressent de la peur. La peur n’est jamais bonne conseillère, elle freine, elle fait soupçonner‌ On ne s’accepte pas diffÊrents. Il y a des jugements de valeurs au nom d’une certaine tradition, mais la vraie tradition permet un progrès. Si l’Église n’est pas en progrès, elle devient un musÊe. Il faut oser croire que ce qui arrive aujourd’hui est, dans un certain sens, plus beau qu’hier, et que demain sera encore autre. Nous avons trop peur de changer, de toucher à des structures, de regarder les problèmes en face. Nous prÊfÊrons les rÊsoudre intellectuellement dans un discours qui ne rejoint pas assez le concret de la vie. Or, l’Église existe pour que les hommes vivent et non pas pour qu’ils observent des lois ou des traditions‌ —On est finalement plus attentif aux lois, aux traditions, à l’institution, qu’aux personnes elles-mêmes. —Exactement ! Si l’Église a des dÊrapages, c’est presque toujours par peur. Elle est sur la dÊfensive alors que si elle croyait et aimait, elle retrouverait tout ce qu’il y a de beau dans la personne. Les disputes à propos de telle tendance de droite ou de gauche, traditionnelle ou progressiste, sont très dommageables. Si nous aimons la personne humaine, c’est parce que Dieu s’est fait homme et qu’il est venu rÊvÊler aux hommes que la personne Êtait divine. L’homme n’est pas une crÊation secondaire parmi des animaux et les montagnes. Il est à l’image de Dieu, il a un caractère sacrÊ. Depuis un certain temps, on a retrouvÊ dans l’Église la place de la personne handicapÊe. Il y a des cÊlÊbrations oÚ elle peut, comme les autres, servir la messe, participer à part entière au dÊveloppement de la liturgie. C’est un grand bien.
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—Quels sont les bourgeons que vous voyez s’ouvrir dans l’Église d’aujourd’hui ? Les signes d’avenir ? —La place que les personnes handicapÊes — donc les faibles, les petits — obtiennent de plus en plus dans notre sociÊtÊ est un signe d’espÊrance et de joie profonde. A une Êpoque, nous Êtions gênÊs de sortir avec eux. Aujourd’hui, en leur prÊsence, on est plus heureux. On se sent davantage reconnus. J’aime croiser, à la terrasse des cafÊs, des groupes de jeunes dans lesquels figurent des amis en voiturette. Les jeunes sont un autre signe d’espÊrance. Ils sont tellement diffÊrents de nous que leur manière d’être crÊe une dimension nouvelle qu’il faut reconnaÎtre, accepter, aimer. Heureux sommes-nous chaque fois que, contrÊs et même remis à notre place par des jeunes, nous parvenons à maintenir le dialogue. Ils ont tant de choses à nous apporter ! Les Êtrangers, que nous laissons trop souvent sur le côtÊ, nous font dÊcouvrir un monde nouveau. Non pas un monde de rêve ou de regret, mais celui qu’avec eux nous allons construire. Chaque fois que nous parvenons à entrer en relation avec eux, c’est une grande joie. Enfin, la rencontre avec la souffrance et la mort conforte mon espÊrance. Nous vivons dans un monde apparemment moins religieux, mais il l’est autrement. Dieu n’est plus celui dont on parle, ni même celui à qui l’on parle. Il est celui qui nous parle, que nous entendons. Chacun de nous, à sa façon, rentrant en lui-même, le perçoit. C’est parfois troublant, mais rÊellement rÊconfortant. Le ciel se rÊvèle en chacun de nos pas sur cette terre. —Le prêtre que vous avez ÊtÊ sera-t-il le modèle du prêtre de demain, ou bien y aura-t-il une autre manière d’être prêtre ? —Je suis le prêtre que je suis, avec mes pÊchÊs et mes dÊfauts. Je ne demande à personne de me ressembler ou de m’imiter. Je souhaite cependant à beaucoup de vivre ce que j’ai vÊcu et d’être
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heureux comme je l’ai ÊtÊ. Je veux vraiment rendre grâce à Dieu pour cela. Que sera le prêtre de demain ? Un homme plus incarnÊ parce que plus spirituel. Nous avons peur de l’incarnation parce que nous ne sommes pas assez spirituels. Si vraiment je vis une intimitÊ profonde avec JÊsus Christ, je ne dois pas avoir peur de rentrer dans n’importe quel lieu, de rencontrer n’importe qui. Il nous faut demander la grâce d’être aujourd’hui des hommes de la rencontre au nom de JÊsus Christ. —Chaque samedi, à Saint-Michel, vous cÊlÊbrez l’eucharistie‌ —Ce qui se passe là depuis les annÊes 67-68 me dÊpasse. Je le reçois toujours comme un appel, comme un don. Je me dis :  Seigneur, que veux-tu que je fasse ?  Nous avons commencÊ cette cÊlÊbration dans une chapelle des caves du collège. Après, on est montÊ à l’Êtage. Elle est devenue la messe dite  des handicapÊs  et pendant quinze à vingt ans, on a vraiment ÊtÊ très bien dans cette chapelle Notre-Dame des Apôtres. Un jour il a fallu changer. Nous avons acceptÊ d’aller dans l’Êglise. Et depuis lors, deux à trois cents personnes s’y rassemblent chaque semaine. Parfois plus. C’est vraiment un lieu de rencontre. Ma parole est pauvre : elle ne peut plaire à tous. Peut-être aime-t-on mon sourire et ma gentillesse avec les enfants ? Peut-être aussi les larmes que je verse quand parfois une peine est très grande et qu’on la partage ? Cette eucharistie est faite de cris d’enfants, d’Ênervements, de tout ce qui constitue une vraie communautÊ ! Je l’aime beaucoup. Je sacrifierais tout pour elle. J’y viendrais du bout du monde. Il faut pourtant de plus en plus que d’autres que moi la cÊlèbrent pour qu’elle continue‌
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L’avenir est aux jeunes —Les jeunes ont-ils leur place dans notre Église ? —L’Église parle des jeunes, mais elle craint de les rencontrer. On la comprend ! Ils sont tellement diffÊrents de ses structures. Aujourd’hui, les jeunes parlent une autre langue que les adultes. Ils aiment une messe oÚ ils sont partie prenante, oÚ ils se sentent chez eux. Or ils sont isolÊs. Certains m’ont dit :  Comment voulez-vous que j’aille à la messe du dimanche ? Il n’y a personne de moins de 60 ans‌  —Vous avez ÊtÊ enseignant, père spirituel des Êlèves, aumônier scout. Vous avez donnÊ beaucoup de retraites de classe, à Ciney notamment. Tout ce passÊ vÊcu avec les jeunes, que vous suggère-t-il ? Avez-vous des regrets ? —Je regrette de n’avoir pas bien rempli ce rôle. Mais je ne regrette pas d’avoir vÊcu des Êchecs. Après telle retraite qui, à mes yeux, Êtait un dÊsastre, j’apprends qu’un garçon est devenu prêtre. Tout contact avec les jeunes est un contact avec la vie. Ce n’est jamais du temps perdu. Il faut les respecter, les retrouver dans leurs problèmes. Le temps oÚ l’on tâchait d’Êviter qu’ils se rencontrent la nuit est rÊvolu. Pourquoi se battre au moment oÚ ils veulent rencontrer JÊsus Christ ? Pourquoi les empêcher de le chercher à leur façon ? Quand on me parle de mes cours de religion ou de mon aumônerie scoute, je souris. J’aimais ma troupe, mais peut-être n’aije pas ÊtÊ bien inspirÊ. J’ai trop voulu faire de ce scoutisme une performance sportive ou même spirituelle, alors que l’important est de crÊer une troupe oÚ chacun soit heureux dans sa personnalitÊ, aidÊ et soutenu par les autres. Pas à n’importe quel prix, pas n’importe comment, mais qu’il soit heureux. Il faut rendre les jeunes heureux selon leur rythme, leur temps, leur croissance‌
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—Et tout ce travail d’aumônerie, d’enseignement, d’animation spirituelle, vous l’avez vÊcu dans le cadre des collèges de  nos bons pères , comme on disait, dans le cadre de l’enseignement catholique tel qu’il Êtait il y a 20 ou 30 ans ? —Je me considère comme un privilÊgiÊ d’avoir vÊcu cela, d’avoir pu rencontrer cet esprit. Qu’est-ce que c’est qu’une vocation de jÊsuite ? Pour moi, fondamentalement, c’Êtait d’être avec les jeunes et comme eux, un Êducateur, quelqu’un qui passerait sa vie à les rencontrer, les aider, les soutenir, les encourager. Je n’ai pas eu une vocation de  missionnaire . Je voulais apporter JÊsus Christ dans le monde des collèges. Aujour d’hui, en animant une retraite, je me sens fait pour aider les jeunes à rencontrer JÊsus. Comme ils sont, comme Il est‌ —Croyez-vous encore à l’enseignement catholique aujourd’hui ? Peut-il prendre une forme nouvelle ? —Il faudrait la chercher. Quand les choses s’Êcroulent, il faut rebâtir. Le 11 mai 44, la maison familiale de Louvain a ÊtÊ touchÊe par une bombe. Huit jours après, j’ai reçu une lettre de Maman me racontant en dÊtails tout ce qui s’Êtait passÊ, mais sans un mot de critique, de lamentation ni de peine, alors qu’elle avait tout perdu. Elle chantait la vie, elle admirait que tant et tant d’amis les aident‌ Au moment oÚ la  puissance extÊrieure  de nos monastères, de nos Êcoles, disparaÎt, il faut que la vitalitÊ intÊrieure, l’inspiration première, le respect des personnes grandissent. Le secret de la vieillesse —Qu’est-ce que cela vous fait d’avancer en âge, d’être du côtÊ des aÎnÊs ? —En riant, je dis parfois qu’il y a erreur dans la dÊclaration du jour de ma naissance, que les registres se sont trompÊs, non
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pas d’un jour, mais de plusieurs annÊes, tant je me sens encore plein de vitalitÊ. Parfois, cela m’inquiète et, en même temps, je me dis : Mais non, Seigneur, il faut vivre au jour le jour. Tôt ou tard, des signes viendront qui me diront : ne parle plus, ne marche plus, ne bouge plus. À ce moment-là , que le même Seigneur soit à mes côtÊs comme aujourd’hui. Accepter son âge, c’est accepter que Dieu soit au cœur de toute vie et dÊcouvrir qu’il est autant prÊsent dans le vieillard que dans l’enfant. Je vis très fort ce que j’appellerais le passage. Je me sens en continuel passage de ma jeunesse à ma vieillesse, mais sans m’attarder. Je dois accepter de ne plus avoir la première place, de ne plus être l’animateur, de ne plus diriger. Dans cette Êvolution, je dois trouver non pas un motif de dÊpression, mais la joie. Être heureux de ce que l’autre a, voilà le secret de la vieillesse. —Notre sociÊtÊ valorise beaucoup la jeunesse. Laisse-t-elle assez de place aux personnes âgÊes ? —Si la sociÊtÊ valorise beaucoup la jeunesse, je n’oserais pas dire qu’elle la rencontre vraiment. Si c’Êtait le cas, elle devrait être plus accueillante, plus ouverte, plus disponible. Mais parlons des personnes âgÊes. Elles sont dÊpendantes, limitÊes. À mon sens, on ne les respecte pas assez non plus. Elles sont souvent  placÊes  et ne sont pas reconnues ni vraiment aimÊes. C’est un problème de sociÊtÊ : les personnes âgÊes ne travaillent plus. Que font-elles tout au long d’une journÊe ? Elles ne sont plus en Êtat de bien entendre, de bien comprendre, de bien lire, de bien voir‌ Si rien ne les anime intÊrieurement, si elles ne sont pas aimÊes, elles deviennent des Êpaves. On leur a tout donnÊ, sauf notre cœur. Il faut prendre la main du vieillard, l’accompagner. Dans les collèges, par exemple, on devrait demander à tous les adolescents d’avoir une personne âgÊe qu’ils rencontrent et avec laquelle ils dialoguent.
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Il y a des familles qui ne tiennent que par les grands-parents. Le grand-père et la grand-mère sont source de communion, de rencontre. Pour cela, ils consentent à d’Ênormes sacrifices. —Vous avez beaucoup frÊquentÊ les personnes âgÊes, les fameuses  tantes  du Toit. Quel est leur message ? —Je pense à tante Minou. Il faudrait Êcrire le message qu’elle nous a laissÊ. Il y eut aussi tante Ania, à qui on demandait, elle qui n’avait eu ni une enfance heureuse, ni un foyer rÊussi :  Qu’est-ce que le Toit pour vous ? — C’est ma vie.  Sa vie parce qu’elle Êtait avec des personnes qui l’aimaient et qu’elle aimait. Après des annÊes passÊes dans un commerce, tout à coup, elle se retrouvait gratuitement à la disposition de personnes chaleureuses. Souvent, les jeunes qui viennent au Toit sont marquÊs par toute une histoire. La personne âgÊe n’est pas tellement proche d’eux. Il faut un apprentissage pour s’apprivoiser l’un l’autre et dÊcouvrir que l’on a besoin de l’autre. Que la personne âgÊe dise au jeune :  Tu ne peux pas savoir combien je t’apprÊcie et combien je t’aime !  Et que le jeune puisse dire à la personne plus âgÊe :  Tante, que c’est bien quand vous êtes là ! On sent que la maison est plus belle !  C’est le dÊfi de l’Arche. Les jeunes qui viennent y passer deux mois pendant les vacances ou qui vivent avec nous durant un an souffrent des lois, des structures. Mais dans leurs recherches, ils font l’expÊrience de la prÊsence et de la fidÊlitÊ. Qui leur donne ce tÊmoignage ? Les personnes âgÊes. —Et le pèlerinage à Lourdes, à la fin du mois d’aoÝt, n’est-ce pas aussi un dÊfi Êtonnant : des jeunes de 20 ans qui mènent des adultes de 40, 50, 60 ou 70 ans ? —Oui, le pèlerinage rÊussit et par la grâce et par mon inconscience‌ Je ris en le disant. Pendant presque une dizaine d’annÊes, Lourdes, c’Êtait des brancardiers et des infirmières qui se
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dÊvouaient auprès des malades. Et doucement, on a dÊcouvert qu’il fallait que ces groupes vivent ensemble au maximum, que les personnes handicapÊes deviennent comme le ciment qui les reliait et que la personne âgÊe avait aussi une place. Quand on voit la structure de ces vingt hôtels qui regroupent chacun, sous la responsabilitÊ de deux jeunes, une vingtaine de personnes dont cinq ou six personnes handicapÊes et autant de personnes âgÊes, on dÊcouvre que la communautÊ est mieux vÊcue dans la diffÊrence. Une communautÊ de jeunes ne se rassemble habituellement que pour des vacances, pour un voyage, pas pour la vie. Ce que nous voulons donner aux jeunes, c’est une expÊrience de vie. 
Chez les JÊsuites Vocation à la suite de JÊsus  Vous avez entendu l’appel de la vie religieuse très tôt ? —C’Êtait en octobre 1939. J’avais 14 ans. Je rêvais alors d’être diplomate. Mais chaque fois que j’avais un projet, j’entendais une voix qui disait : Et si tu devenais prêtre dans la Compagnie de JÊsus* ? J’ai confiÊ mon secret à un jeune jÊsuite qui m’a dit de le confier à un prêtre, le père Counet. Et puis, aux vacances, il fallait que j’en parle à mes parents. Je n’ai pas osÊ le faire parce que j’avais 2 sur 20 en flamand‌ Le temps n’Êtait pas propice. Maman, avant de nous quitter, a insistÊ :  Tu as dit dans une lettre que tu voulais nous parler‌  Je lui ai confiÊ mon secret. Elle l’a dit à Papa et, le soir, dans la bibliothèque — je me vois un peu comme sainte ThÊrèse confiant à son père sa vision mystique et sa vocation de carmÊlite — il me rÊpondait :  Tu sais, Maman m’a dit ton projet. Tu comprends bien que nous serions très heureux tous les deux, mais je voudrais te faire remarquer que les jÊsuites sont des gens intelligents et travailleurs.  Là -dessus, j’ai eu 10 sur 20 à l’examen de flamand. Trois mois se passent. En mai, la guerre Êclate. À cette Êpoque, je ne sais pas ce que j’ai vÊcu, mais ce fut un temps extraordinaire d’intensitÊ spirituelle. J’ai l’impression que je n’ai plus jamais vÊcu pareille ferveur. Elle n’Êtait nullement exaltÊe, mais si profondÊment inscrite dans mon cœur. J’en ai ÊtÊ illuminÊ toute ma vie. J’allais à la messe tous les matins pendant l’exode en France. Je me dÊvouais pour mes frères et sœur, je m’occupais d’eux pendant que Maman cherchait à retourner en Belgique. Lentement, * L’Ordre des JÊsuites. 39
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la vocation s’est prÊcisÊe. Deux ans après, en rhÊtorique (classe terminale, n.d.e.), j’ai dit à mes parents :  Je vous demande la permission d’entrer au noviciat, en septembre prochain.  Ils voulaient attendre la fin de la guerre. J’avais 16 ans. Pendant ma retraite de fin de rhÊtorique, je leur ai Êcrit une lettre qui les a fort touchÊs. Ils se sont dit :  Ce n’est pas possible !  Ils ont demandÊ conseil au Père AbbÊ du Mont-CÊsar qui leur a rÊpondu :  S’il a Êcrit cette lettre seul, il est mÝr pour entrer.  Elle avait ÊtÊ Êcrite entre deux parties de bridge, pendant la retraite du père FiÊvez. Je n’avais pas besoin de cette retraite, ma vocation Êtait parfaitement claire. Une vocation, ça nous dÊpasse tellement‌ Je suis entrÊ au noviciat. Très vite, j’ai priÊ pour être malade et rentrer à la maison ! Un ami novice avait eu cette chance. J’aurais pleurÊ pour l’avoir aussi. Mais je ne voulais pas paraÎtre ridicule : partir à peine entrÊ‌ ! Si j’avais ÊtÊ malade, j’aurais eu un bon motif pour sauver la face ! Ce qui m’a sauvÊ ? La grande retraite de trente jours, oÚ j’ai connu une relation vraie avec JÊsus. Que me demandait le Seigneur : vivre chez mes parents ou le suivre dans l’aventure de l’Évangile ? Deux ans de noviciat m’ont aidÊ à choisir‌ et j’y suis toujours. —Votre père, comment a-t-il vÊcu ces ÊvÊnements ? —Avec mon père, comme pour beaucoup, ça n’a pas ÊtÊ facile. Mais il s’est rÊvÊ lÊ à moi le jour oÚ je suis entrÊ au noviciat. Il a craquÊ. Il m’a Êcrit six pages, comme un ami Êcrit à son ami, pour me dire qu’il ne m’avait pas assez tÊmoignÊ son amour, qu’il ne m’avait pas assez dit qu’il m’aimait. Et dans ces six pages, il me l’a dit en relisant notre relation, en redisant ce qu’elle avait de privilÊgiÊ, de beau, ce qu’il voulait qu’elle soit toujours. Mon père avait une affectivitÊ qui ne s’exprimait pas, mais il m’aimait profondÊment. Ayant perdu sa maman à 14 ans, il se livrait autrement.
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JÊsuite pour l’ÊternitÊ —Vous êtes jÊsuite, après avoir ÊtÊ Êlève des jÊsuites. Ce serait à recommencer, n’auriez-vous pas fait un bon franciscain, un salÊsien — les salÊsiens sont des Êducateurs nÊs. Je crois cependant que vous n’auriez ÊtÊ ni bÊnÊdictin, ni trappiste, ni chartreux‌ Et encore‌ —Je suis heureux dans la Compagnie, et je l’aime. Toute son histoire rejoint ma sensibilitÊ aujourd’hui encore. À travers les mÊandres de l’Êvolution, je me sens heureux et fier d’être jÊsuite. Fier non pas au sens que l’on serait meilleur que les autres, mais parce que nous sommes faits pour servir selon l’orientation d’Ignace. Je l’aime, le père Ignace et les autres saints jÊsuites. J’aime l’histoire de la Compagnie. Elle n’est pas plus belle que celle des autres ordres religieux, mais elle me paraÎt belle à moi. Dernière ment, nous avons eu une rencontre des jÊsuites de Belgique. J’ai trouvÊ que les septante compagnons rassemblÊs avaient l’air heureux. N’est-ce pas le plus important ? Heureux de vieillir, heureux de s’effacer, heureux de donner la place à d’autres, heureux de voir les choses qui grandissent près d’eux‌ C’est cela, la Compagnie. Des hommes de discernement, inspirÊs par une expÊrience spirituelle. L’expÊrience d’un jÊsuite, c’est l’expÊrience de JÊsus Christ, mÊditÊ, suivi dans la contemplation du silence de la retraite et du chemin des Exercices spirituels*, de JÊsus Christ dÊcouvert dans le quotidien. Heureux sommes-nous quand deux jÊsuites peuvent se rencontrer et sentir leur cœur battre ensemble, pour le même idÊal, pour la même vocation. Parmi mes frères, il y a le père Toussaint. Au dÊbut, je n’Êtais pas proche de lui, mais, lentement, à travers l’histoire du Toit, * ItinÊraire spirituel de trente jours, structurÊs en quatre  semaines  (en fait, des Êtapes), oÚ saint Ignace a retranscrit sa propre expÊrience de conversion. Celui qui  reçoit les Exercices  se retire dans la solitude et est accompagnÊ par celui qui  donne les Exercices . Il y a aussi moyen de les vivre sans quitter les occupations quotidiennes : ce sont les  Exercices dans la vie courante . 41
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pendant trente ans, il est devenu le grand frère qui m’accompagnait, me sÊ curisait et me rassurait. Il est certain que le Toit, qui a commencÊ avec lui, et l’Arche, venue ensuite, ont ÊtÊ marquÊs de son empreinte. Ce qui est toujours premier dans notre vocation, c’est la mission. Je dois la remplir, et à cette fin, il faut l’aide de mes frères. La prÊsence de ces compagnons priant, me regardant avec amitiÊ et patience, me portant à leur façon, est une joie pour moi. Certains de nos amis nous considèrent encore un peu trop comme des dÊtenteurs d’un pouvoir. Aujourd’hui, soyons humbles avant tout. L’humilitÊ est ÊvangÊlique ; pensons au Seigneur du lavement des pieds. Dans ma vie, la prÊsence des  frères coadjuteurs  (des jÊsuites non-prêtres) a ÊtÊ très importante. Ils m’ont toujours aidÊ à aimer la vie comme elle est, avec rÊalisme et humilitÊ — à leur image. —Et vous n’auriez jamais rêvÊ d’être chartreux, par exemple ? —Une annÊe, en vacances avec de jeunes jÊsuites, nous sommes allÊs rôder autour de la Grande Chartreuse. Je me suis dis : il est temps que j’y entre. Il faut que je sois chartreux pour que Dieu devienne l’essentiel. Pour moi, c’est cela, les chartreux. Ils centrent tout sur Dieu et toute chose prend la place qui lui revient. Après tout, un jÊsuite, c’est pareil. Pour cela, il faut une vie de prière, une fidÊlitÊ, un attachement à JÊsus. Je ne pourrais pas vivre sans penser à lui tout le temps. Il est celui au cœur duquel je me sens vivre. CÊlibat, obÊissance, pauvretÊ —Cet attachement privilÊgiÊ à JÊsus justifie-t-il le cÊlibat ? N’estce pas une mutilation du cœur ? —Le cÊlibat est un chemin mystÊrieux que JÊsus a choisi (mais pas les apôtres). Il est entrÊ dans l’histoire de l’Église, len-
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tement, comme une grâce. C’est un appel exceptionnel, qu’on n’a peut-être pas assez respectÊ. On l’a trop regardÊ comme une condition. Je suis heureux de mon cÊlibat parce que j’ai pu mieux aimer les personnes qui ont un handicap et leur donner mon temps, ma tendresse. Homme mariÊ, je n’aurais pu le faire. Ne pas avoir d’enfant est un grand sacrifice. Le Seigneur a rÊpondu en me donnant tellement d’enfants à aimer autour de moi et tellement de souffrances à partager. Pour moi, le cÊlibat est le choix que je fais de JÊsus pour aimer davantage les souffrants et tous les hommes et femmes mis sur ma route. —Et le vœu d’obÊissance, est-ce toujours Êvident ? Comment l’avez-vous vÊcu ? —Tant que j’Êtais dans l’Êducation et l’enseignement, je le vivais de manière classique. Et tout à coup, l’Arche est arrivÊe et ce fut une sorte de confiance que la Compagnie me faisait en ne contrôlant pas tout le temps ce que je vivais. Le moment le plus difficile fut mon envoi à Luxembourg. J’Êtais presque arrachÊ à l’Arche. Pendant six ans, j’ai Êgalement ÊtÊ supÊrieur du Collège thÊologique. J’ai cependant trouvÊ dans l’obÊissance — pas l’obÊissance extÊrieure, mais intÊrieure, car si elle n’est pas intÊrieure, elle est fausse — une paix sereine. ObÊir, c’est entrer dans un projet qui me dÊpasse. Quand le père Provincial m’a demandÊ de partir pour le Luxembourg, j’ai eu l’impression en le quittant que je sortais de chez le mÊdecin qui m’avait rÊvÊlÊ que j’avais un cancer. Et il a fallu entrer dans le chemin de la prière, du dialogue, du discernement. Je vois ces deux moments de ma vie comme des temps de grâce. Ils m’ont demandÊ le dÊtachement et donc un accroissement d’amour. Les dÊcisions de mon SupÊrieur m’ont demandÊ d’aller plus loin et m’ont libÊrÊ. J’en rends grâce à Dieu. Et je suis heureux d’être jÊsuite, disponible.
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—Le vœu de pauvretÊ n’a-t-il pas quelque chose de prophÊtique dans le monde d’aujourd’hui, le monde de consommation ? Beaucoup d’argent passe dans vos mains : vous en recevez, vous en donnez, pour les œuvres, pour le bien‌ —À Lourdes, lors d’un partage sur ce sujet, quelqu’un nous a dit :  La première chose que nous pouvons dire de l’argent, c’est que nous le recevons. Que ce soit par notre travail, les ÊvÊnements, notre hÊritage, c’est toujours un argent reçu.  On doit alors toujours se poser la question :  Suis-je honnête devant ce que j’ai reçu ? Est-ce que je ne deviens pas propriÊtaire, possesseur, tyran ?  J’aimerais que l’Église ose parler argent. Il occupe tant de place dans la sociÊtÊ ! L’intuition de la vie religieuse est gÊniale. L’idÊal des jÊsuites, par exemple, c’est d’exceller dans l’obÊissance, mais une obÊissance qui conduit à la pauvretÊ à la suite de JÊsus. Ignace dit que la pauvretÊ est le mur qui dÊfendra la vie religieuse. Qu’est-ce qu’être pauvre ? C’est choisir les pauvres, les situations de faiblesse. Si je choisis une situation de force et de puissance, même pour le bien, je choisis l’indÊpendance. Je ne suis plus en relation. Je ne possède pas d’argent par moi-même. Chaque fois que je donne de l’argent, je demande la permission à ceux qui sont autour de moi, aux responsables de la communautÊ. Il faut que tout l’argent reçu soit bien employÊ. Les Exercices spirituels —Les Exercices spirituels sont le trÊsor de la Compagnie. Ont-ils de l’importance pour vous ? —Les Exercices spirituels sont une quête de la volontÊ de Dieu. Dans notre vie jÊsuite, nous vivons cette dÊmarche de trente jours deux fois au cours de notre formation : au noviciat et au  troisième an , dernière annÊe de formation. Après nous être rappelÊ pourquoi nous sommes crÊÊs, et avoir pris conscience
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que nous sommes des pÊcheurs pardonnÊs, nous cheminons à la suite de JÊsus Christ, selon l’Évangile. Cette expÊrience spirituelle — que nous revivons chaque annÊe durant huit jours — nous aide à trouver oÚ JÊsus nous donne rendez-vous. C’est dans le cadre de ma retraite annuelle, en 1965, qu’est nÊe l’intuition du Toit. J’Êtais dÊjà pris par toute la richesse de la personne handicapÊe. À ma façon, je vivais dÊjà un peu l’angoisse de mai 68. J’Êtais en recherche. Les premiers pèlerinages de Lourdes et la mort de Maman ont eu pour moi une très grande importance. D’abord, j’ai cru craquer quand elle est partie et puis, au contraire, j’ai eu l’impression qu’elle me faisait vivre. Elle avait ÊtÊ handicapÊe pendant neuf ans, vivant en voiturette, toute dÊpendante‌ Elle est celle qui m’a conduit depuis ce premier pèlerinage à Lourdes en 56, avec elle. C’est ce pèlerinage qui est l’origine de tous les autres. —Et dans la retraite annuelle, vous mÝrissiez cela ? —Oui, très fort. Et je cherchais :  Seigneur, que veux-tu que je fasse ?  J’entendais l’appel des jeunes, je sentais ce dÊsordre dans lequel nous Êtions. Je rêvais de faire dÊcouvrir aux jeunes et à leurs familles la beautÊ du  prochain , comme dit JÊsus, de celui qui est sur leur route et qui, peut-être, ne les attire pas plus qu’un Samaritain n’attire un Juif. Telle est mon intuition. Le  prochain  que je veux secourir est en fait celui qui me sauvera. Cette idÊe me poursuivait. Très vite, en 1962, j’introduisis au collège, à mes cours de religion, des personnes handicapÊes. —Aujourd’hui, il n’y a plus guère de vocations dans la Compagnie, du moins dans nos pays d’Occident. Cela vous attriste, vous inquiète ? —Oui, j’en suis triste. Et en même temps, cela me dÊpasse tellement que je ne me sens pas capable de rÊpondre à ce problème, si ce n’est de prier, d’en souffrir et d’aimer plus. On voit autour de nous des mouvements spirituels oÚ beaucoup de jeunes s’en-
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gagent. Je ne peux que m’en rÊjouir. Mais je me demande parfois oÚ est la place des pauvres au milieu d’eux ? OÚ est la place de celui qui dÊrange, de l’Êtranger, du blessÊ, du prisonnier ? Les jÊsuites vivent trop dans leurs sÊcuritÊs, ils ne sont pas assez interpellants. Certains de mes frères vivent cependant des expÊriences bouleversantes, mais chacun de son côtÊ. Nous les admirons sans toujours bien les connaÎtre. Il y a un nouveau visage de la Compagnie dans son option prÊfÊrentielle pour les pauvres. Cela change tout et nous ramène aux intuitions premières : oser aller très loin dans l’annonce de l’Évangile et dans la recherche de voies nouvelles, mais sans perdre le contact avec les pauvres. Les premiers jÊsuites en voyÊs comme thÊologiens au Concile de Trente logeaient dans les hospices pour les pauvres. Regards sur Dieu et son Christ —Pour vous, membre de la  Compagnie de JÊsus , qui est-il, JÊsus ? — Il y a deux dimensions : une dimension personnelle, affective : j’ai appris à prier, j’ai fait ma première communion, j’ai eu ma vocation à 14 ans, j’ai aimÊ JÊsus, je l’ai fait con naÎtre. Cependant, il est plus qu’une image de mon enfance, de mon adolescence. Il a une dimension cosmique. Il est la vie. Il a dit lui-même :  Je suis le Chemin, la VÊritÊ et la Vie.  JÊsus, c’est la vie. Il est Amour. Il est PrÊsence au cœur des situations douloureuses : ce pauvre, c’est JÊsus. L’Église et JÊsus, c’est tout un, comme disait Jeanne d’Arc. L’Église, c’est JÊsus qui continue. Je voudrais mourir en ayant sur mon cœur la croix de JÊsus :  Seigneur, je sais que tu as ÊtÊ tout pour moi et que j’ai voulu être tout pour toi. Tu m’as aimÊ, tu m’as choisi, tu m’as guidÊ.  De JÊsus, on n’en parlera jamais assez, comme on ne parle jamais assez des vraies rÊalitÊs, des plus pures, des plus belles, des plus
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sacrÊes. Je peux en parler comme celui qui m’a sÊduit, qui m’a attirÊ. —Et la rÊsurrection ? —Oui, JÊsus est ressuscitÊ. Mais il n’est ressuscitÊ que parce qu’il est mort sur la croix et parce qu’il l’a portÊe. Pour moi, le Christ en croix n’a pas de sens s’il n’est pas ressuscitÊ. Quand on le montre en croix, je ne m’attarde pas à son sang, à ses larmes. Il n’est sur la croix que pour être vivant Êternellement. —Mais la croix est le lieu oÚ il rencontre l’humanitÊ. Le Chemin de croix que vous vivez à Lourdes n’est-il pas le moment le plus fort de votre pèlerinage ? —C’est vrai. Le Chemin de croix, c’est un peu comme dans un amour, le partage de moments privilÊgiÊs :  Tu te souviens quand nous Êtions fiancÊs‌ Tu te souviens quand nous avons eu cette expÊrience en montagne‌ Tu te souviens, dit JÊsus, de tout ce que j’ai fait pour toi, tu te souviens de ce sang versÊ.  À la troisième station, on a envie de dire :  Mais pourquoi tombet-il ? Qu’il se tienne debout.  Je sais bien qu’à ce moment-là , JÊsus me voyait dÊjà . Cela n’aurait pas de sens d’être un spectateur. Je ne peux être qu’un artisan, un porteur, un Simon de Cyrène. Comme j’aime mon ami FrÊdÊric, lÊgèrement handicapÊ mental, à qui je demandais au dÊbut du Chemin de croix, lui qui portait ses deux sacs et son thermos :  Qui vas-tu être pendant le Chemin de croix ? Simon de Cyrène ?  Et il m’a rÊpondu :  JÊsus.  Qu’il Êtait beau, JÊsus, en FrÊdÊric ! —Et Dieu ? —Dieu est pour moi un Père. Je ne peux pas un instant me sÊparer de cette rÊalitÊ. Il n’est pas le Dieu crÊateur qui est devenu Père. Il est le Père qui a crÊÊ. Ce qu’il a voulu de toute ÊternitÊ, c’est son Fils, son unique et parce qu’il aimait vraiment son Fils,
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il l’a multipliÊ et il a voulu l’humanitÊ. Il a invitÊ les hommes à entrer dans son aventure. — Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit , c’est la TrinitÊ‌ – J’aime la fête liturgique de la TrinitÊ. C’est une très belle fête parce qu’elle est mystÊrieuse. À NoÍl, on voit un bÊbÊ dans la crèche. À Pâques, on regarde le Christ sur la croix ou dans sa rÊ surrection. À la fête de la TrinitÊ, rien n’est visible, rien n’est tangible, mais on vit un essentiel. Il s’agit d’une relation. Le cœur de Dieu TrinitÊ, c’est la relation. Il y a relation entre le Père et le Fils par l’Esprit. Chaque fois que nous avons eu une relation un peu privilÊgiÊe avec un vieillard, un petit enfant dans son berceau, un malade, un pauvre dans la rue, n’importe qui, nous sommes heureux, nous sommes au cœur de Dieu. —Dieu ne disparaÎt-il pas du paysage de notre sociÊtÊ ? —J’en pleurerais. Et quand je regarde la foule dans le mÊtro, par exemple, j’ai l’impression d’avoir la mission non d’annoncer JÊsus Christ, mais de les regarder tous avec le regard de JÊsus. Tous les soirs, après la messe à la Voisine, je sors et je salue mes amis pakistanais qui lavent les voitures dans le garage d’en face. Ils me connaissent. Ils sont venus en Belgique pour tâcher de vivre mieux qu’au Pakistan. Je sens dans leur regard beaucoup d’amour et ils sentent la même chose chez moi. Qu’est-ce que Dieu Père ? Ce n’est pas Dieu qui aime certains hommes d’une façon et les autres autrement. Il aime chacun comme un père regarde chacun de ses enfants.
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Vie spirituelle —Quelle est plus concrètement votre manière de prier ? —Je vis très fort de l’Eucharistie. Je crois que ma prière est eucharistie. Si je m’arrête pendant une demi-heure, une heure, je prie sous le mode eucharistique. Et qu’est-ce que le mode eucharistique ? C’est JÊsus qui prend le pain, le bÊnit ; il prend ma vie, la bÊnit. Le pain consacrÊ, c’est Lui ; ma vie est en Lui. Je deviens un peu Lui à la communion. Toute eucharistie est pour moi ce mouvement permanent : on part des larmes des hommes pour en faire le sourire de Dieu. Sortant de l’eucharistie, nous sommes la tendresse de Dieu. L’eucharistie ne peut nous refermer sur nous-mêmes. Elle est toujours passage. Dieu passe en l’homme et l’homme passe en Dieu. C’est vraiment là ma spiritualitÊ. Ce qui a ÊtÊ vrai dans l’eucharistie de la terre reste vrai Êternellement. —Le sacrement de pÊnitence, de rÊconciliation, a donc beaucoup d’importance pour vous ? —Il nous faut retrouver ces temps privilÊgiÊs oÚ nous pouvons nous arrêter et recevoir le pardon. C’est ce que je fais assez souvent avec un frère, un compagnon‌ Nous nous arrêtons un quart d’heure, une demi-heure, nous parlons et la rencontre se termine par un pardon rÊciproque. Un pauvre demande du pain‌ Le chrÊtien doit demander le pardon. Et à travers cette demande, l’amour de Dieu se dÊverse. —Vous avez toujours au doigt un dizainier (dix grains de chapelet, n.d.e.). Vous dites souvent le chapelet ou est-ce dÊcoratif ?
—Cela date de 1974. Je voulais porter dans la prière quelqu’un de très malade qui est mort peu après. Depuis lors, je n’ai plus jamais lâchÊ mon dizainier, fait avant tout pour porter avec Marie les malades et ceux qui sont en agonie.
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Je ne parviens jamais à bien le dire. Je suis toujours occupÊ à tâcher de le dire. Donc aujourd’hui, troisième essai parce que j’en ai dÊjà dit deux ce matin. Dans mon lit, le matin et le soir, je suis vraiment comme l’enfant de PÊguy mêlant les paters et les aves, ne sachant par oÚ commencer‌ La communion des saints est quelque chose de grand. C’est un mystÊrieux Êchange entre les êtres. Quelqu’un là -bas s’offre pour quelqu’un ici. Quelqu’un qui souffre partage avec celui qui cherche. C’est un partage non seulement des mÊrites, mais des grâces. —Et dans tout cela, vous arrive-t-il parfois de lire la parole de Dieu, la Bible ? —Dans ma spiritualitÊ d’enfant, quand j’avais mon gros missel reçu pour ma première communion, je m’accrochais toujours à deux choses : la vie des saints et les textes d’Êvangile. Ma messe se rÊsumait à cela. Actuellement, toutes mes journÊes commencent par la mÊditation des textes de l’Écriture, ceux du jour ou du dimanche. La Bible est très importante pour moi. Je trouve dans saint Paul, dans l’Évangile de saint Jean‌ la nourriture de ma journÊe. La famille du jÊsuite —Et comme jÊsuite, avez-vous oubliÊ votre famille ? A-t-elle encore de l’importance pour vous ? —Entrant au noviciat, c’Êtait le grand dÊchirement. JÊsus seul pouvait compenser cette sÊparation. Depuis lors, je me suis rendu compte qu’aimer une famille, c’Êtait la porter dans ses joies et dans ses peines. Plus la famille s’Êtend, plus ses joies et ses peines sont grandes. Je me sens proche d’elle à travers tout ce qu’elle vit. J’ai beaucoup reçu sur les plans matÊriel et affectif. Je jouis, je crois, d’un certain Êquilibre qui fait du bien. Je suis riche d’un rÊseau de
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parents, d’amis, de personnes que j’ai rencontrÊes qui m’ont aidÊ et que j’ai aidÊs‌ D’oÚ, sans doute, ma sÊrÊnitÊ. —Et dans votre famille, les mariages sont des moments importants oÚ vous êtes fort prÊsent‌ —Oui, essentiellement à la partie spirituelle. Moins au repas qui suit. Ce que j’aime, c’est de prÊparer le mariage, d’insÊrer cette prÊparation dans l’histoire des deux jeunes. Un garçon et une fille qui ont le cœur pris viennent me demander : Voulezvous bien bÊnir notre mariage ? Je leur dis : Oui, à condition que l’on fasse un chemin ensemble. Je recherche tout ce que je peux donner à un jeune couple pour que le jour de leurs noces soit un jour de foi et de joie. —Les funÊrailles sont aussi un moment important pour les familles‌ — À ce moment-là , on a besoin d’être ensemble, et je suis là , avec eux, comme je peux. Ce qu’on a vÊcu ensemble, on ne pourra l’oublier. Ma famille, ce sont tous ceux avec qui j’ai pleurÊ et espÊrÊ. —Vous faites partie d’un milieu aisÊ que vous continuez à beaucoup frÊquenter‌ —Je suis ce que je suis. Je ne me suis pas sÊparÊ de mon milieu. Heureusement, il y a eu et il y a toujours la prÊsence de mes amis handicapÊs. Autrement, j’aurais peut-être ÊtÊ trop l’homme d’un milieu. J’ai l’impression que je ne peux pas perdre du temps à critiquer ce que j’ai reçu, ce qui m’a construit. J’ai vÊcu dans une famille aisÊe, mais qui a connu de grandes Êpreuves. Je suis nÊ en 1925, à Louvain, ville qui se reconstruisait. À 14 ans, la guerre recommençait. Mon père Êtait un volontaire de guerre de 1914. Ma mère a ÊtÊ très longtemps malade, presque infirme. Au cœur même d’une certaine abondance, nous vivions une grande souffrance. Maman a ÊtÊ en hôpital psychiatrique,
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tout à fait par erreur. On cherchait pourquoi elle tombait dans la rue. On la croyait Êpileptique. Enfin, on a dÊcouvert sa tumeur au cerveau. Ce fut un long chemin‌ Notre-Dame de Lourdes a jouÊ une part importante. Elle a guÊri maman en 1937. Sa plaie s’est refermÊe. Elle a encore vÊcu vingt-cinq ans. Dans mon cœur d’enfant, j’ai souvent redit :  Notre Dame de Lourdes, je vous remercie d’avoir guÊri maman.  C’Êtait vraiment mon histoire. Ma famille m’a transmis un sens social, un sens du respect des autres, des personnes âgÊes notamment (je me souviens de maman me faisant une remarque parce que je m’Êtais moquÊ d’une personne âgÊe). Mon père Êtait très social à sa façon. Notaire et nanti, il aimait passer du temps dans des maisons simples, rencontrer les gens‌ —Mais toute votre histoire personnelle, votre vocation jÊsuite, votre prÊsence à l’Arche, qu’apporte-t-elle à ce milieu ? Quel est le message dont vous êtes porteur ? —Trop souvent dans les milieux privilÊgiÊs, les gens se recroquevillent et s’enferment dans un certain intÊgrisme. Il est vrai que grâce à mon Êducation, ma façon de vivre, je retrouve les gens de mon milieu comme ils sont, mais, en même temps, mes choix de vie, mon allÊgresse d’avoir des amis handicapÊs qui me portent, qui me sauvent, dÊrangent et Êclairent ce milieu. N’estce pas ma vocation d’accepter de ne pas être un grand gÊnie qui change le monde et les personnes, mais une petite goutte d’humilitÊ et de tendresse qui illumine la vie ? Confidences —Dans une vie comme la vôtre, quel est le plus dur ? —C’est de ne pas être à la hauteur de ce que je reçois, de ce que je suis, qui m’est donnÊ, que Dieu m’a donnÊ. Mon Êgoïsme, ma vanitÊ. Le mal que j’ai fait me rend triste. Mais la vraie souf-
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france, c’est de ne pas assez accueillir l’autre. J’ai le dÊfaut de parler trop et de ne pas assez Êcouter. —Avez-vous dÊjà ÊtÊ amenÊ à donner un pardon important ? —Oui ! J’ai vÊcu trois annÊes très dures. Je n’ai aucun reproche à faire à personne, mais cela a ÊtÊ très dur. Je me suis même dit : Comment est-ce que je tiens encore de bout avec ce que je vis ? Il y avait, je pense, la prÊsence du dÊmon, la prÊsence du Malin. Dans tout ce que j’ai fait de grand, de valable, d’important, il Êtait là . Ces longs mois ont pourtant ÊtÊ fÊ conds, car toute souffrance est fÊconde. J’ai eu la grâce du pardon, à Paray-le-Monial, après avoir ÊtÊ prier chez les frères anglicans. Nous avions un grand rassemblement de l’Arche. Tous les matins, on priait avec les Indiens, les Anglicans, les Ortho doxes, mais en diffÊrents lieux. J’ai dit à Jean Vanier : après avoir priÊ ce matin ici, j’ai pu mettre dans le cœur de JÊsus toutes les amertumes que j’ai eues, principalement celles venant de mes amis, de mes proches. —C’est finalement la prière qui vous a permis de faire ce pas ? —C’est la communion eucharistique. L’eucharistie pour moi, c’est tout. Elle est mon mode de prière : me laisser instruire par JÊsus pour me laisser fortifier par lui, habiter par lui et pour pouvoir ensuite le partager aux autres. 
Quelques rencontres Jean Vanier et le père Thomas  Y aurait-il l’une ou l’autre personnalitÊ que vous aimeriez Êvoquer, de qui vous pouvez dire :  Ma vie ne serait pas ce qu’elle est si je ne l’avais pas rencontrÊe  ? —Jean Vanier et le père Thomas. Jean Vanier a ÊtÊ ma dÊcouverte d’un certain mois de mai 1972 à Banneux. Nous nous sommes rencontrÊs et quelque chose a commencÊ. Il m’a simplement dit :  Voulez-vous travailler avec moi ?  C’est tout. J’ai dit oui. J’ai participÊ à un camp de vacances de l’Arche. Pendant un an, ce furent des fiançailles et puis le mariage. Jean Vanier a une vision du monde extraordinaire, c’est un prophète. Sa façon de parler, de regarder n’a pas changÊ, de puis trente ans qu’il s’est engagÊ. Elle est toujours nouvelle et ancienne. Il ne se rÊpète pas, il prÊsente les mêmes choses autrement parce que la vie paraÎt changer. Il ne cesse de dÊ couvrir la valeur de la personne blessÊe, la personne diminuÊe. Pour lui, elle est prophÊtique par ses dons, qui sont de l’ordre du cœur, de la spontanÊitÊ, de l’affection. —Et le père Thomas*, qui est-il ? —Le père Thomas Philippe, dominicain, avait pour moi une grande affection. J’ai gardÊ quelques textes oÚ il me le dit. Au dÊbut de l’Arche-Belgique, en effet, quand je commençais ma relation avec l’Arche de France et que je participais à une fÊdÊra* Le père Thomas est celui qui a permis l’Êclosion de la vocation de Jean Vanier. Durant des annÊes, il a habitÊ à Trosly, lieu oÚ est nÊe l’Arche. Il y recevait les assistants comme directeur spirituel et comme conseiller‌ 55
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tion, sans en faire encore partie, le père Thomas sentait en moi des rÊsonances et des consonances qui l’apaisaient et le rÊjouissaient. Je verrais plutôt Jean Vanier dans la catÊgorie  œcumÊnique  et le père Thomas dans la catÊgorie  catholique . – Y a-t-il d’autres personnalitÊs ? — L’ancien supÊrieur gÊnÊral de la Compagnie, le père Pedro Arrupe, m’a conquis, lui aussi. Il nous a apportÊ une vision nouvelle de la Compagnie. Pour moi comme pour beaucoup de jÊsuites, il a ÊtÊ une lumière au bout d’un tunnel. Son successeur, le père Kolven bach, a toute mon admiration, car il continue le père Arrupe. Il y a encore Denis, ce grand handicapÊ moteur cÊrÊbral. Nous en avons dÊjà parlÊ. Il reste pour moi un maÎtre. Non à cause de ce qu’il a dit mais par ce qu’il a ÊtÊ. Il m’accompagnait souvent lors de retraites de jeunes. Ce n’Êtait pas un garçon avec qui je traitais de grands problèmes. Il n’Êtait pas capable de les porter. Mais c’Êtait vraiment l’homme des situations difficiles. Il parvenait à dÊcouvrir ce que j’appellerais l’esprit d’Évangile, une certaine tendresse. Il assumait les limites d’un handicap très grand, puisqu’il Êtait infirme moteur cÊrÊbral, mais sa vie spirituelle Êclatait. Il vivait avec JÊsus. Il aimait dire :  Oh Père, c’est beau comme à Lourdes.  Il ne critiquait pas, il souffrait de porter son corps, mais c’Êtait peu de chose par rapport aux joies qu’il a vÊcues. Un jour, il m’a dit :  Tu sais Père, quand on est ensemble, on est heureux.  C’est sa façon à lui de dire :  J’ai besoin de toi, et je sens que tu as besoin de moi.  Il ne pouvait pas formuler grandement les choses, mais son histoire est très belle. —Quelles sont les figures de saintetÊ qui vous ont plus marquÊ ? —Toutes les semaines, on allait chez ma grand-mère (elle est morte quand j’avais 5 ans). On y feuilletait des brochures très simples dont seule la première page comportait une image : saint
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Hubert, sainte CÊcile, sainte Agnès, saint Tarcisius, saint Antoine‌ Je n’Êtais pas capable de lire, mais ils ont influencÊ mon enfance. Mes saints prÊfÊrÊs ? Sainte ThÊrèse, sainte Bernadette, saint Ignace, saint Jean Berchmans. Les saints jÊsuites ont pour moi beaucoup d’importance. Ainsi Pierre Claver, l’esclave des esclaves. Je l’ai vraiment priÊ avec dÊvotion‌ Les saints, pour moi, c’est l’Église. Il n’y a pas d’Église en dehors des saints. Ce sont les saints qui lui donnent son visage. Si l’Église est bien souvent mal perçue, c’est parce que les saints sont peu connus. Et s’ils sont peu connus, c’est parce que les chrÊtiens n’ont pas le courage de les rencontrer. Ils craignent d’être dÊrangÊs :  Tu comprends, c’est un saint, comment veuxtu que je sois comme le père Damien.  —Pouvez-vous Êvoquer ce qui peut l’être à propos de vos contacts avec la famille royale ? —Par tradition, par fidÊlitÊ, je suis très attachÊ à la famille royale. Durant ma jeunesse, le roi LÊopold III avait pour moi une valeur symbolique extraordinaire. Je portais son insigne sur ma cravate pendant la guerre. J’ai connu les enfants du roi Albert II à Saint-Michel. Je les ai prÊparÊs à leur communion. J’ai rencontrÊ personnellement le roi Baudouin. Un jour que nous Êtions à table au Palais de Laeken, Baudouin, Fabiola et moi, le roi m’a de mandÊ :  Père, parleznous de votre cheminement spirituel.  Je ne sais plus ce que j’ai mangÊ ni ce qui s’est passÊ. Je sais seulement que j’ai partagÊ ma vie comme rarement j’ai pu le faire ailleurs. Je retrouvais dans notre souverain l’homme Êpris de la valeur de la personne et de son potentiel humain et spirituel, dÊpouillÊ de tout prÊjugÊ, ouvert à ceux qu’il rencontrait parce qu’il Êtait habitÊ d’une prÊsence. Quand je les ai quittÊs, j’ai retrouvÊ ma petite voiture devant le palais. En me voyant partir, le Roi est restÊ sur le perron et il m’a saluÊ de la main jusqu’à ce que ma voiture disparaisse de sa
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vue. Cela a changÊ ma façon de dire au revoir. Hier encore, je voyais un ami qui partait. Je suis restÊ dans la rue à le saluer jusqu’à ce qu’il ait tournÊ au coin. Pour moi, le roi Baudouin est un homme qui a donnÊ sa vie à une cause : que les Belges se rencontrent, s’aiment, se dÊcouvrent dans leurs diffÊrences personnelles et culturelles. En outre, il avait à cœur l’Êpanouissement des personnes handicapÊes. —Et il connaissait le Toit‌ —Un jour, la Reine Fabiola est venue. Une journÊe extraordinaire ! D’abord, on avait voulu garder cette visite incognito. On avait annoncÊ la venue de la mère de Jean Vanier. C’est pour cela que l’on avait remis le salon et la maison en ordre. Et puis, j’ai expliquÊ à tous que ce n’Êtait pas Madame Vanier, mais la Reine. La bonne Marie-ThÊrèse n’avait pas compris. Elle se penche vers la Reine et dit :  Bonjour, Madame Vanier.  Je m’exclame :  MarieThÊrèse, c’est la Reine ! — Bonjour, Madame la Reine.  La Reine a vÊcu chez nous des moments extraordinaires. Charlie Êtait là aussi. Je le prÊsente :  Madame, voilà Charlie qui rentre de son travail.  À ce garçon qui avait ÊtÊ en prison, elle demande :  Mais bonsoir, Monsieur Charlie, oÚ travaillez-vous ?  Il lui rÊpond :  À Laeken, près de la Maison Communale. — Mais, dit la Reine, c’est tout près de chez nous !  Et Charlie :  Mais oÚ est-ce que vous habitez, vous ?  On a vÊcu des moments de rires‌ J’aime la famille royale parce qu’elle est signe d’unitÊ, de cohÊsion. Elle est garante de valeurs importantes. Si nous n’avions plus de roi et de reine, il y aurait des cassures. —Et vous croyez encore à l’unitÊ de la Belgique ? —J’y crois vraiment. Nous devrions tous nous donner la peine d’aimer la Belgique, de croire à son unitÊ, de poser des actes de rencontre, mais peut-être aussi de demander pardon. Nos deux cultures sont complÊmentaires. Plus on en pousse une, plus
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on abÎme le tout. Nous partageons une histoire, un passÊ, des valeurs essentielles qui rÊclament notre unitÊ. La Belgique a ÊtÊ bâtie par des Flamands et des Wallons. Aujourd’hui, les Flamands sont d’un côtÊ et les Wallons, de l’autre. Comment rÊsoudre le problème ? En se parlant, en s’apprÊciant, en se dÊcouvrant, en posant des gestes de comprÊhension.
* —Un mot de conclusion ? —Je veux seulement dire ceci : pour moi, ce que je viens de dire est bouleversant, un peu Êpuisant. En quelques heures, relire toute ma vie ! Seul, je n’arriverais pas à le faire. Il y a une fraternitÊ, une amitiÊ entre nous, une situation de compagnons de JÊsus qui me rÊjouit. Tout ce que je vis, c’est la Parole de Dieu qui s’accomplit ; c’est au-delà de moi. Je ne me sens ni grandi, ni humiliÊ, mais comme ÊcrasÊ de tout ce que le Seigneur a fait pour moi et tout ce que je n’ai pas assez fait pour les autres et pour Lui. Prions pour  que tout s’arrange .  Septembre 1999
Deuxième partie
Il fera beau demain
I. Avec eux Mobile, immobile‌
Il y a ceux qui peuvent marcher. Il y a ceux qui n’ont jamais pu marcher. Il y a ceux qui ont beaucoup marchÊ. Il y a ceux qui ne marcheront plus. Aussi longtemps que nos jambes nous portent, nous oublions la souffrance de ceux qui dÊpendent tous les jours d’une canne, d’une voiturette, d’un bras secourable. Nous devons savoir que tôt ou tard, nous aurons à connaÎtre cette expÊrience, l’Êpreuve de la dÊpendance, de la position assise ou couchÊe, d’oÚ nous levons les yeux vers celui qui nous parle‌ oÚ nous nous sentons regardÊs, rejetÊs, parfois même oubliÊs. À Lourdes, les pèlerins vivent très fort ce contraste entre les valides et les moins valides. Nous marchons beaucoup. Nous courons de rÊunion en rendez-vous, de cÊlÊbration en rassemblement. Mais il y a autour de nous, tout ce monde de personnes blessÊes, paralysÊes, immobilisÊes qui nous rappellent un essentiel qu’il ne faut pas manquer. Nos existences citadines sont trop souvent polluÊes par la course au temps : ne pas rater le mÊtro, ne pas arriver en retard au travail‌ La marche est un don de Dieu à l’homme pour qu’il puisse choisir sa route et aller vers celui qu’il aime. Les premiers pas d’un enfant resteront toujours gravÊs dans le cœur des parents, mais quel prix y a-t-il mis ! Que de chutes n’a-t-il faites ! Il est important de savoir pourquoi nous marchons, avec qui nous marchons et pour qui nous marchons. Sainte ThÊrèse de
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 Que tout s’arrange 
l’Enfant-JÊsus, au dÊclin de sa vie, se traÎnait le long des couloirs de son carmel et on lui demandait : —Pourquoi vous fatiguer ainsi, ma sœur ? Elle rÊpondait : —Je marche pour un missionnaire. Que nous soyons couchÊs ou debout, que nous marchions ou que nous nous laissions porter ou conduire, n’oublions pas que tout dÊplacement se veut chemin d’amour, route d’amitiÊ. Même assis au volant de notre voiture, attendant patiemment dans une file qui n’en finit pas, nous ne sommes jamais seuls. Il y a tout un monde en marche, une Église en marche, tout un peuple marchant vers sa libÊration, marchant vers sa grandeur et sa beautÊ d’homme libre. Le monde exige cette communion, au cœur de la plus belle dÊmarche qu’il nous est demandÊ de faire :  Aller vers l’autre, aller vers les autres. 
Ma faiblesse et ma force
Qui d’entre nous aime être faible, être allongÊ sur un lit, dans une situation de dÊpendance, de fragilitÊ, de fatigue ? Qui aime d’être dÊpassÊ par les autres ou tout simplement  remis à sa place  parce que les autres sont plus forts ? C’est pourtant ce chemin que Dieu a choisi. Saint Paul ne l’a-t-il pas Êcrit aux Philippiens :  Le Christ JÊsus, lui qui Êtait dans la condition de Dieu, n’a pas jugÊ bon de revendiquer son droit d’être traitÊ à l’Êgal de Dieu ; mais au contraire, il se dÊpouilla lui-même en prenant la condition de serviteur‌ Il s’est abaissÊ lui-même en devenant obÊissant jusqu’à mourir et à mourir sur une croix !  Cette ÊpÎtre que nous connaissons bien, nous ne pouvons pas dire qu’elle nous soit particulièrement chère. De temps à autre, elle surgit, sous nos yeux, mais nous ne dÊsirons pas du tout nous y habituer. Nous ne souhaitons pas qu’elle de vienne notre nourriture quotidienne. Nous prÊfÊrons une certaine puissance, une rÊelle efficacitÊ. Servir, telle est notre volontÊ, mais à condition que cela nous rapporte aussi et que nous puissions à notre tour mener, donner, partager. Et pourtant, n’est-ce pas souvent quand nous avons ÊtÊ petits et pauvres que nous avons touchÊ les cœurs ? N’est-ce pas dans une certaine humiliation, dans un Êchec, que nous sommes arrivÊs à la vraie relation, à la qualitÊ de la rencontre du cœur ? Combien ne connaissons-nous pas de parents d’enfants handicapÊs qui vivent douloureusement pareille situation et qui cependant reconnaissent que sans ces enfants il manquerait quelque chose à leur bonheur ! Trop souvent nous cherchons la rÊussite, mais nous oublions qu’elle crÊe la sÊparation. Nous cherchons l’efficacitÊ, mais nous
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 Que tout s’arrange 
ne remarquons pas les murs qu’elle Êlève autour de nous, les faiblesses qu’elle cache, les leurres d’une fausse approche de la vÊritÊ. JÊsus nous recommande dans l’Évangile :  Soyez comme des enfants.  L’enfant n’a rien de puissant ni d’efficace. C’est en sa faiblesse que consiste sa force. Bienheureux les petits et les faibles ! Seigneur, s’il me faut rester couchÊ, donne-moi la grâce d’en apprÊcier la bÊatitude. Si je rencontre une personne alitÊe, accorde-moi la grâce de m’agenouiller près d’elle pour arriver à sa hauteur et me retrouver dans sa dÊpendance. CouchÊ, assis, debout, peu m’importe, si mon cœur est assez humble pour admirer, assez pauvre pour recevoir, assez faible pour accepter d’être sauvÊ.
Souper entre amis‌
C’est beau, ce que je viens de vivre ce soir ! J’ai ÊtÊ invitÊ à souper par Michel et Jehanne qui se sont mariÊs il y a dix-huit mois dÊjà . Lui va avoir 47 ans, elle, 45. Ils cheminent en semble et leur mariage a ÊtÊ une des plus belles cÊrÊmonies que nous ayons vÊcues au foyer du Toit. Ce qui m’a le plus touchÊ, c’est de voir avec quel soin ils avaient prÊparÊ ce repas. Comme ils sont : tout simplement. On a commencÊ par la prière. Michel a d’abord allumÊ une bougie avec peine. Ensuite, nous nous sommes donnÊ la main. Nous avons dit ensemble la prière de leur cœur, le Notre Père. C’Êtait beau, simple, et vrai. On ne le dira jamais assez : ceux qui semblent avoir le moins reçu sont destinÊs à donner davantage. Ceux que l’on croirait être moins riches se rÊvèlent être la source d’eau vive. Nous avons tellement cru que c’Êtait la puissance qui allait donner la joie, que c’Êtait la force qui allait donner la sÊcuritÊ ! Nous dÊcouvrons qu’il n’est qu’un seul chemin : celui d’aimer. Nous avons passÊ cette heure à table, heureux ensemble autour de ce rôti. Il y avait des chicons chauds pour elle et moi, et en salade froide pour lui qui ne les aime pas autrement. Et à la fin de notre soirÊe, on s’est encore donnÊ la main autour de la table pour remercier Notre Dame qui a tellement bien menÊ ce chemin pour leur couple et qui fait en sorte que partout oÚ ils passent, un certain rayonnement se dÊgage. Merci, Seigneur, pour l’amour de ces amis qui est à l’aune de l’amour des hommes que tu as crÊÊs à ton image. Tu sais mieux que moi tout ce qui se passe en eux, mais je sais que, grâce à toi, tout concourt à une plus grande joie, car tu nous aimes.
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Comme un tout petit
Aujourd’hui, il est une rÊalitÊ à laquelle nul ne peut se soustraire. Chacun se doit de la dÊcouvrir, de l’accepter selon ses dons et ses possibilitÊs : la certitude qu’un enfant est plus apte que nous autres à connaÎtre Dieu, à grandir dans sa dÊcouverte et son amour. Souvent les adultes mus par le don de leur intelligence, rÊduisent la foi à ce mot merveilleux qui signifie  comprendre . Et, c’est vrai, la grâce de l’intelligence nous aide à mieux dÊchiffrer les mystères de Dieu et les mystères de l’homme. Mais il y a plus important que cela, il y a le fait  d’être pris , d’être saisi, d’être sÊduit. Un petit enfant en ce domaine est notre maÎtre. Pour lui, il ne faut pas interprÊter Dieu. Il lui suffit de savoir qu’Il est là , d’ouvrir son cœur, de faire silence pour entendre Dieu qui parle. Et Dieu se rÊvèle à lui. C’est la merveille du don de l’enfance auquel l’Évangile nous appelle. Aujourd’hui, dans un monde oÚ l’on se rend compte de la fragilitÊ des connaissances humaines, oÚ l’on se trouve devant des adolescents qui  ne savent  plus rien de la religion, de la foi ; il faut tout construire, dès leur toute petite enfance. Il ne s’agit pas de les faire Êvoluer dans un conte de fÊes. Il s’agit de leur rÊvÊler que Dieu, bien autrement que l’enchanteur Merlin, est celui qui est toujours là , qui leur parle et veut Êtendre tout son être à ses crÊatures devenues ses enfants. Ils vont dÊcouvrir cela tous les jours. Rien ne sera trop grand ni trop petit pour que Dieu puisse leur parler au cœur de leur vie. Comme me le disait une personne de grande expÊrience et sagesse :
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Avec eux
 PassÊ l’âge de cinq ans, tout est fait. L’enfant est comme dÊjà formÊ.  Alors, devant un tout petit enfant, n’ayons pas peur de nous mettre à genoux pour recevoir ce que lui seul peut nous donner.  Soyez comme un enfant , a dit JÊsus.
Le temps retrouvĂŠ
 J’aime mon âge !  Cette phrase est riche de sens. Elle est de JÊrôme (du foyer de  La Ruche ), 27 ans, plein de dynamisme, d’enthousiasme. Il a criÊ sa joie de vivre. En nous affirmant qu’il aimait son âge, il voulait nous dire que chacun de nous se doit d’aimer l’âge qu’il a et ne pas toujours rêver de celui qu’il a eu ou de celui vers lequel il va. Notre âge, que nous cÊlÊbrons lors des anniversaires, peut être à chaque fois une page que l’on tourne, une espÊrance qui disparaÎt. Mais s’il se vit comme un livre que l’on ouvre ou un matin qui se lève, alors notre âge est beau, car il est espÊrance. Sans doute faudra-t-il un jour compter avec le poids de l’âge et ses limites. Cela rentre dans les calculs que comporte une vie. Mais si l’on regarde en arrière et qu’on y voit toutes les beautÊs, tous les gestes de tendresse, tout ce qui s’est passÊ de merveilleux, de pardons, d’espÊrance, de sourires et de paix, alors on doit se dire que l’âge que l’on a est le plus beau des cadeaux parce qu’il est fait de souvenirs et d’espoirs. J’aime mon âge, c’est un peu comme dire :  J’aime Dieu qui me le donne, j’aime ceux qui me font vivre, j’aime ceux qui m’entourent, j’aime le trottoir sur lequel je marche, le ciel gris ou bleu au-dessus de ma tête, la pluie fÊcondante, le soleil nous illuminant, les hommes capables d’aimer mais rÊclamant encore plus d’être aimÊs.  J’aime mon âge, tout un programme oÚ chacun peut se retrouver. Car l’âge, plus qu’un nombre d’annÊes, est toujours le prolongement d’une histoire d’amour, celle qui m’a vu naÎtre, celle qui me laisse grandir, celle qui me fait croire à demain.
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II. Visages Tante Ghislaine
Elle Êtait de nos amis. Elle nous observait et nous voulait du bien. Quand notre foyer le Toit voulut acquÊrir la maison qui deviendra  Cana , Tante Ghislaine nous aida. Nous l’aimions bien sans tellement la connaÎtre. Tout en elle Êtait fort, solide, raisonnable. Elle rappelait la sainte femme dont parle le livre de la Sagesse. Et voilà qu’un jour, elle vient me trouver. Avait-elle eu un songe ? Que nenni ! Elle voulait nous offrir une maison ! Et voici ce qu’elle raconta :  Il y a quelques semaines, le cardinal Suenens est venu cÊlÊbrer, en la chapelle Notre-Dame des Apôtres, la messe du samedi. J’y Êtais. Ce fut très beau. À un moment, il a racontÊ l’histoire de cette famille amÊricaine dont la maison brÝlait. Tous sont sortis indemnes sauf un enfant, restÊ bloquÊ à l’Êtage. Son papa lui crie : —Jim, jette-toi par le balcon. —Mais papa, je ne vois rien. Tout est plein de fumÊe. —Jim, jette-toi. Moi, je te vois.  Cette anecdote a touchÊ le grand cœur de Tante Ghislaine. Elle aime tant la paroisse et son pasteur, le père Jean Rabau. Elle sent toute l’espÊrance que reprÊsente ce monde de nos frères et sœurs dits handicapÊs. Elle croit à  L’Arche  ! L’his toire du cardinal l’a Êmue et comme poussÊe. Elle a trouvÊ une maison. Elle l’a visitÊe‌  Cana , notre petit foyer va naÎtre.
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 Que tout s’arrange 
Tante Ghislaine s’affaire. Elle ne fait pas que donner. Elle se donne. Elle quitte son bel et grand appartement du boulevard Saint-Michel pour se retrouver dans deux chambres à  Cana . Elle l’a voulu. Elle l’a choisi ! Qu’elle est bonne, Tante Ghislaine ! Elle y demeurera près de deux ans. Mais un genou malade la contraindra à vivre dans une maison sans escalier. Toutefois, elle restera  de Cana , venant chaque semaine pour la messe et le souper‌ toujours gÊnÊreuse et fidèle. Le Seigneur l’a rappelÊe. En quelques heures, elle s’en est allÊe, sans prÊvenir personne, tant elle Êtait prête à retrouver le Seigneur qu’elle a tant aimÊ. Ses malades, ceux à qui elle portait la communion, sa  LÊgion de Marie , la vie de sa paroisse,  Cana , sa famille, tous ceux qu’elle portait, suivait, aimait à sa façon, pourraient en tÊmoigner. Sans discours, sans adieu, elle est partie. Mais non, elle est avec nous pour toujours. Sa foi Êtait si grande qu’elle nous aide à traverser la mort. Merci, Tante Ghislaine, de demeurer toujours celle qui a rencontrÊ son Seigneur, a risquÊ, a osÊ tout pour lui ; et aujourd’hui, nous le fait rencontrer par ce passage dans la vie Êternelle.
Institut de beautÊ‌
Il m’est arrivÊ l’autre jour, un peu par hasard, je le confesse, de pÊnÊtrer dans un  institut de beautÊ . On ne m’avait pas prÊvenu. Je me suis trouvÊ tout à coup face à l’une ou l’autre  apprentie esthÊticienne  et j’ai ÊtÊ assez Êbloui. Elles occupaient chacune une chambre, se prÊparant à un examen final qui non seulement devait leur valoir un prix, mais devait aussi être pour elles l’aube d’une carrière fulgurante. Épreuve au cours de laquelle elles ne seraient pas rivales, mais bien au contraire, comme assurÊes toutes de l’appui d’un jury. Qu’elles Êtaient belles, les trois petites sœurs carmÊlites dans leur infirmerie ! Oui, c’est d’elles qu’il s’agit. Et cet institut de beautÊ oÚ l’âme dÊborde tellement du corps, c’Êtait ce dispensaire, ce couvent bÊni. Tant aimÊes et choyÊes par leurs sœurs aÎnÊes, elles sont le cœur de la maison qu’elles illuminent et rÊchauffent de leur prÊsence. De plus en plus, j’en arrive à la conclusion que le temps que l’on consacre avec joie et vÊritÊ aux malades, les assurant d’une affection sincère, devient un temps oÚ le corps se laisse lentement envahir par une prÊsence. C’est ce que j’ai lu sur le visage de ces trois sœurs qui me parurent tout à coup tellement plus belles que lorsque je les avais rencontrÊes au cours de causeries, qui nous rÊunissaient de temps à autre. Elles Êtaient belles du regard qu’elles portaient sur Dieu, mais encore plus du regard que Dieu portait sur elles. Elles Êtaient comme transparentes par le lent dÊtachement de ce corps qui devenait une enveloppe desserrant ses attaches pour que l’âme, le cœur puissent y rayonner encore plus intensÊment.
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 Que tout s’arrange 
Qu’elles Êtaient belles, mes petites sœurs du Carmel dont chacune portait le nom de Marie. On pouvait deviner en elles quelque chose de cette Mère merveilleuse qui enfanta JÊsus et qui reste jusqu’à la fin des temps la Mère de tous les hommes. Je ne pensais pas qu’un jour, il me serait donnÊ de pÊnÊtrer dans pareil institut de beautÊ ! Comme ces infirmières, il faut beaucoup prier pour ceux qui s’en vont ainsi lentement, il faut les entourer. Il faut leur rÊvÊler qu’ils sont jusqu’au bout importants pour nous, pour moi. Comme le soulignait une grande malade :  Il est bon de sentir que l’on compte pour quelqu’un.  Merci Seigneur de m’avoir permis si souvent, dans ma vie de prêtre, de rencontrer tant de beautÊ et de bontÊ et ce, toujours, à ton image.
Mon sac en cuir
J’ai un sac en cuir. Il vient de Paris. Il m’a ÊtÊ offert par un ami ayant très bon goÝt. Mais les annÊes passant et malgrÊ tout le soin que j’en ai pris, le cuir lentement blanchit, se fendille et je suis tout ÊtonnÊ de le voir prendre un air vieillot alors que je le trouvais si beau ! L’autre jour, dans le parloir d’une Êcole, je considÊrais quelque collier ou bracelet confectionnÊ par des enfants, un assemblage de perles ; elles aussi, avec le temps, avaient perdu de leur superbe et la beautÊ du  bijou  s’en trouvait affectÊe. Vieillir, c’est s’Êtioler, perdre de sa fraÎcheur. Cependant, qu’y a-t-il de plus beau que de visiter un home de vieillards et d’y amener des enfants, des tout petits ? On voit se dÊtendre les rides de tous les visages, les crispations s’attÊnuer. La maison a changÊ ! Merveille ! que ces rencontres oÚ tout est donnÊ et partagÊ. Chaque annÊe, il est un temps oÚ tout bourgeonne, au printemps ; et un autre oÚ tout dÊcline, en automne. Et pourtant, de ces deux saisons, laquelle est la plus belle ? Celle de la jeune pousse fraÎche ou celle de la feuille aux reflets rutilants ? L’une comme l’autre, en tout cas, nous dÊlivrent ce message : la vie peut toujours être belle, à condition de l’accueillir comme elle est, de ne pas rêver au printemps quand l’automne arrive, mais de savoir qu’au cœur de l’hiver, dÊjà un printemps se prÊpare. Pour Êviter de nous ternir, de nous faner, ne craignons pas d’employer ce qu’il faut pour que chaque âge garde son Êclat. Il en est ainsi de mon sac, que j’ai confiÊ à Marie-Louise pour qu’elle lui rende son lustre d’antan ! C’est finalement cela, la vie : employer un objet, mais le rajeunir, l’entretenir. Et si un jour il
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casse ou ne peut plus nous servir, peut-être le garder comme souvenir de celui qui nous l’a offert.
Vingt ans dĂŠjĂ !
Quel anniversaire ! Vingt ans ont sonnÊ dans les cœurs de tant d’amis et des habitants du foyer le Toit. Vingt ans dÊjà ! Nous avons revÊcu tout simplement ce qu’au cours de la messe du 18 janvier 1971, jour de l’inauguration du foyer, le père Toussaint a dit dans son homÊlie. C’Êtait prophÊtique :  Une maison qui reste pauvre est toujours une maison de rencontre ; elle suppose, de la part de ceux qui y vivent, un cœur universel‌ car l’universalitÊ de ceux qui se rencontreront ici ne se manifestera que s’ils sont conquis par le cœur de ceux qui savent mettre à l’aise — ensemble — un noir et un blanc, un athÊe et un croyant, une personne handicapÊe et une autre valide, les jeunes et les adultes ou encore les personnes âgÊes.  Tout cela est une grande grâce‌ pour vous aussi, car ce doit être une joie de pouvoir porter ce qui nous est offert de la part du Seigneur. Vraiment, c’est très beau, de la beautÊ de toutes les choses qui commencent, des choses neuves, de toutes les choses qui explosent‌ On est dans l’attente‌ La rÊussite est au Seigneur, à travers cette mÊdiation que nous sommes tous, dans la mesure oÚ nous consentons à prendre notre part du projet, pour le Seigneur, que nous tâchons tous ensemble de servir au mieux.  Ensuite, ce fut la journÊe de la rencontre. Dès dix heures, ils arrivèrent, se succÊdant les uns aux autres, nous assurant de leur amitiÊ, chantant leur reconnaissance, partageant la joie de leur prÊsence. Tout avait ÊtÊ prÊparÊ. La maison ornÊe, les tables bien garnies. À l’Êtage, les panneaux avec des photos rappelant les visages et les histoires du passÊ. Spectacle très Êmouvant !
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La tÊlÊvision fut aussi de la partie. Ils ont ÊtÊ très impressionnÊs, parce qu’ils ont vu et senti‌ Des moments comme ceux-là dÊpassent ce que l’on peut capter à l’aide d’une camÊra. Il ne s’agit plus de regarder : on est pris, on est dedans, on est avec. Mais le soir, lors de l’eucharistie finale, la grâce nous a visitÊs par la prÊsence de Christelle, orpheline âgÊe de trois ans, venue conduite par des amis. La beautÊ de la messe et les chants mÊlodieux eurent raison de sa toute jeune sensibilitÊ. Elle a pleurÊ d’abord. Mais très vite, pendant la première lecture, elle est venue se blottir sur mes genoux et j’ai cÊlÊbrÊ la messe en la portant, en l’Êtreignant, en la laissant s’agripper à moi, dans une intensitÊ de foi et de tendresse qui ne venait pas de mon cœur d’homme, mais se voulait simplement traduction de l’amour de Dieu pour les plus petits. Cette eucharistie, cÊlÊbrÊe avec elle, annonçait pour moi l’eucharistie du salut du monde. Christelle Êtait en même temps les chrÊtiens sÊparÊs pour lesquels on priait, les schismes oÚ d’aucuns se fourvoyaient, la guerre et sa souffrance dans laquelle on venait d’entrer. Christelle incarnait tout cela, car elle n’a pas cessÊ de pleurer doucement, profondÊment. Ses sanglots rejoignaient, à travers les cris de l’humanitÊ, le cœur de Dieu qui nous a tant aimÊs. C’est seulement à la fin de la messe qu’elle a trouvÊ sa paix, qu’elle a pu repartir souriante et dÊtendue, rayonnante de ce qu’elle nous avait apportÊ. Pareille journÊe, dans l’infinie gÊnÊrositÊ du cœur de Dieu, nous a confirmÊ que ce qui a commencÊ n’a jamais ÊtÊ notre œuvre, mais bien, avant tout, l’œuvre de Celui qui demande aux hommes de bien vouloir travailler avec Lui. C’est tout. Pour cette fidÊlitÊ de Dieu et celle de tant d’amis prÊsents ou absents, bÊni sois-tu, Seigneur !
Les sœurs de l’Arche
On n’en parle pas. Jamais, dans les rÊunions, leur travail ne figure à l’ordre du jour. Elles se mêlent aux assistants de tout âge. Elles portent des responsabilitÊs parfois très lourdes. Elles sont prÊcieuses entre toutes. Ce sont les religieuses qui collaborent dans l’Arche. Je voudrais proclamer, après tant d’annÊes vÊcues avec elles, le don qu’elles reprÊsentent. Si les personnes handicapÊes restent au cœur de nos communautÊs comme un signe visible du choix que Dieu a fait de se rÊvÊler dans les petits, les religieuses qui vivent dans l’Arche, ont le don de nous faire dÊcouvrir qu’il faut beaucoup de silence et d’effacement pour donner à chacun la grâce de sa maturitÊ. Dans l’Arche, elles se dÊpensent sans compter. Elles sont parfois responsables et portent courageusement nos foyers. Ces  petites sœurs  qui nous secondent sont indispensables. À leur façon, elles dÊfendent la qualitÊ de l’être contre la tentation de l’agir. Elles sauvent la valeur de la prière, au cœur même des urgences à construire. On ne pourra jamais assez les remercier de leur prÊsence. Elles ne sont pas mariÊes, alors que l’Arche grouille de bambins. Par leur disponibilitÊ, leur don total à Dieu, elles rendent cet esprit de famille ouvert à tous et capable de s’Êtendre bien au-delà du cercle de nos relations habituelles. Là oÚ une sœur passe, l’amour brise bien des barrières, dompte bien des peurs. Merci, petites sœurs, pour ces annÊes donnÊes, à travers tant de difficultÊs : votre situation face à vos communautÊs, la peine de vous sentir parfois mal comprises et jugÊes. C’est JÊsus que vous avez rencontrÊ lorsque vous avez tout quittÊ pour Le suivre,
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mais c’est Lui que vous retrouvez dans ces visages blessÊs, dans tout ce monde nouveau qui devient vôtre. Grâce à JÊsus, tout change, prend un sens et se transfigure. LouÊes soyez-vous pour ce don à l’Arche qui nous rÊvèle qu’un cœur est capable d’aimer toujours plus, à l’aune de cet amour que Dieu veut nous partager.
À bas l’uniforme‌
Il est des barbes, il est des cheveux, il est des boucles d’oreille, il est des jeans et des pantalons‌ Ils ne veulent pas être comme tout le monde, ils ne veulent plus s’habiller comme leurs aÎnÊs. Alors ils crient. Et leur cri, c’est le dernier cri, la mode ! Nous, nous serions tentÊs de les juger selon nos critères de beautÊ, dans l’esprit de notre Êducation traditionnelle. Nous aurions envie de dÊclarer leur rÊaction comme Êtant nulle et non avenue, irrecevable, tout au plus passable. Si chaque tignasse, chaque jean dÊlavÊ pouvait exprimer sa vÊritÊ‌ Qui que tu sois dans ta diffÊrence, tu cries vers moi en vue d’un rapprochement. Tu ne dÊsires pas me ressembler, mais tu voudrais entrer en communion avec ce qui en moi appartient peut-être dÊjà au passÊ, à la vieillesse, à l’expÊrience, mais dont tu sens toutefois la vÊritÊ. Non, ton cri n’est pas rÊvolte contre tout ce que je suis ou reprÊsente. Il est appel au dialogue, à l’Êcoute, à l’entente :  Nous, jeunes, nous sommes là et n’avons pas votre foi ; nous n’avons pas connu la guerre, n’avons pas votre expÊrience de la vie. Mais de grâce, acceptez-nous malgrÊ nos diffÊrences, dÊcouvrez qui nous sommes. Vous vous connaissez peut-être mieux que nous qui traversons une crise d’identitÊ, nous nous cherchons encore‌ Aussi, à notre manière, nous nous tournons vers vous pour vous appeler à l’aide. RÊpondez, faites-nous comprendre que vous croyez en nous, que vous nous aimez, que vous avez besoin de nous en vue d’Êchanger, de partager et même pour nous remercier. 
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Maman Denis n’est plus
Nous l’appelions  assistante permanente  à cause de sa chevelure si bien coiffÊe. Qu’elle Êtait belle ! Elle venait au Toit avec son fils Denis. Ils ne pouvaient pas se sÊparer l’un de l’autre. Dès sa naissance, le 9 octobre 1942, alors même que le mÊdecin pensait que ce bÊbÊ ne survivrait pas, elle s’est battue et a gagnÊ. Sans le savoir, elle a inventÊ‌ la couveuse : trois bouillottes dans un berceau et le tour Êtait jouÊ ! Et Denis a vÊcu, grâce à ses soins continuels. Aussi, quand Denis a dÊbarquÊ au Toit, sa maman le conduisait, et quand il repartait,  ils  s’en allaient. C’Êtait ainsi, il fallait les aimer comme ils Êtaient, merveilleusement unis, si proches, tellement accrochÊs l’un à l’autre. C’Êtait une grande joie de les voir‌ Maman Denis devint veuve dans la quatrième annÊe de son fils. Il a fallu lutter et tenir le coup à une Êpoque oÚ n’existait pas l’aide sociale comme de nos jours. La situation d’une maman ayant un enfant handicapÊ à charge Êtait tragique. Sa première voiturette, nous la surnommions  le tank . Depuis, que de progrès ! Mais, dans son  tank  — qui acheva sa carrière comme socle pour pots de fleurs dans le jardin — comme Denis a ÊtÊ heureux, comme il a ÊtÊ choyÊ ! Maman Denis permettait que Denis soit de toutes les rÊunions, de toutes les assemblÊes. Elle l’aimait tellement qu’on se rÊjouissait de la voir heureuse parce que son fils Êtait tout simplement entourÊ. Elle a vaincu la peur que tant et tant de gens ont eue à l’Êgard de la personne handicapÊe. Elle a ÊtÊ plus forte, elle y a cru. Il y avait Denis, il y avait sa fille Josette, il y avait sa maison, mais il y avait aussi son jardin. Son jardin n’Êtait pas seu-
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lement celui de Rocourt, oÚ elle habitait, mais aussi celui du Toit oÚ quand arrivait le printemps, elle prenait son tournant. Elle s’y sentait chez elle et y retrouvait ses racines, son Êquilibre. C’est peut être là que sa foi s’est le plus merveilleusement rÊvÊlÊe. Elle Êtait nÊe pour faire grandir les fleurs, faire pousser les lÊgumes, pour obtenir de la moindre petite parcelle une espÊrance de vie, mais aussi de la nourriture à partager. Fidèle à la crÊation de Dieu, elle l’entretenait, la perpÊtuait, elle y croyait. La foi, c’est se convaincre que Dieu nous aime, nous guide et nous conduit. Maman Denis croyait en Dieu. Elle Le voyait dans sa vie, car elle croyait en la vie qu’elle recevait de Dieu. Si ses enfants lui ont ÊtÊ si chers, si elle a tout fait pour eux, c’est parce qu’elle reconnaissait en eux le don de Dieu. Elle Êtait vraiment la mère donnÊe à ses enfants, mais elle Êtait aussi la femme choisie par Dieu pour être sur terre, à l’image de tant de femmes, celle qui porte, celle qui guide, celle qui tient bon. Elle s’en est allÊe un vendredi soir, assise dans son fauteuil, fatiguÊe de sa journÊe, mais en paix. Elle avait quatre-vingt-huit ans. Au Toit nous ne l’avons jamais considÊrÊe comme une vieille dame, elle Êtait tellement disponible, jeune et enthousiaste que nous pouvions toujours la regarder avec jeunesse. Vive Maman Denis ! Vous restez des nôtres,  permanente  à jamais.
Le mendiant
Profitons des vacances‌ pour ouvrir nos quinquets ! Il est là ! tout brun de l’air qu’il prend ou de la crasse qu’il garde. Il est là ! tout hargneux des souffrances de la vie qu’il a peutêtre causÊes et souvent reçues. C’est un vrai partage. Il est là , au porche de l’Êglise, agressif, rÊclamant davantage quand on lui donne quelque chose. Il est là , assis sur un banc, et quand il me voit, il dÊtourne la tête. À un autre, il demanderait quelque argent, trois ou quatre cents francs pour lui permettre de louer une chambre. Il n’est pas dupe des mensonges qu’il invente ! Accorda-t-on d’ailleurs jamais du crÊdit à ses propos ? Il est là , sur la route, alors que je voudrais l’aider et je sais que je n’y arriverai pas. Il est là , en travers de mon chemin, alors que je vais vers quelqu’un d’autre et que je passe à côtÊ, comme le prêtre de l’Évangile devant l’homme blessÊ. Il est là , il me trouble. C’est peut-être finalement son rôle, car chacun de nous a un rôle : aux uns‌ d’apporter l’espÊrance, aux autres‌ de bousculer. Il me dÊrange dans ma vision de la vie comme j’aime à la proclamer. Rien en lui n’appelle à l’amour. Il n’y a donc pas beaucoup d’amour autour de lui ! Tel est mon prochain. Mon prochain, c’est toujours celui qui apporte le salut. Il est donc là pour me sauver. Passant près de lui, je le regarde furtivement, il se dÊrobe. Nous nous sommes  rencontrÊs . Puis s’Êloignant, il me maudit sans doute, et moi, je l’avoue, je voudrais commencer à l’aimer. Savoir que faire, savoir
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que dire, surtout ne pas gaffer, ne pas heurter, ne pas mÊpriser :  Seigneur Êclaire-moi !  Il m’a une fois de plus ouvert et les yeux et le cœur. C’est peut-être cela, son rôle. Qu’il reste pour moi celui à qui je dois plus, parce que je ne lui ai rien donnÊ.
L’abbÊ Pierre
Qu’il Êtait beau, l’autre soir à la tÊlÊvision, ce petit homme barbu, usÊ, vibrant d’une passion inÊpuisable : celle de dire la vÊritÊ, de crier contre l’injustice, d’appeler les hommes à reconnaÎtre les racines de leurs maux, les causes de leur tristesse. L’abbÊ Pierre, cinquante ans après le fameux appel de l’hiver 54, Êtait encore là sur la brèche. Il Êtait venu pour dÊnoncer le drame des sans-logis qui abÎme tant de familles dans notre humanitÊ. Il Êtait là pour condamner toute cette organisation inhumaine qui transforme les possibilitÊs de travail en rendement supÊrieur et crÊe le chômage, qui tue et dÊsespère tant d’hommes et de femmes. Il Êtait là , osant attaquer les fausses valeurs, osant dÊcrier le traÎtre qui abuse de la confusion, de l’Êquivoque, oÚ notre monde se dÊbat. Qu’il Êtait beau, notre abbÊ Pierre, et comme on respirait en l’entendant parler ! Il ne crÊait pas autour de lui la haine : il venait en libÊrateur abattant les murs des prisons, rendant libres les opprimÊs et ouvrant un monde nouveau à la justice. Elle Êtait belle, cette heure de tÊlÊvision, avec une densitÊ et une puissance de suggestion extraordinaire. Il rappelait l’Évangile, JÊsus condamnant tous ceux qui, faux et traÎtres dans leurs argumentations, dans leurs manœuvres, spoliaient les plus faibles et les plus petits. Oui, l’abbÊ Pierre a vraiment prÊsentÊ le visage du Christ quand il nous a rappelÊ combien il est important d’oser parler
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comme il le fait, d’oser nous libÊrer de nous-mêmes, car nous sommes trop timides pour le faire. Tu nous as rappelÊ que tu seras toujours du côtÊ de la justice et que son testament, c’est à nous de le continuer :  choisir d’aimer  et ne pas tolÊrer que quelque part près de moi, il y en ait sans toit, sans pain, sans amour et amitiÊ. Si tous les chrÊtiens pouvaient être de cette trempe ! Merci d’être encore là !
Mot de mĂ´me !
Les mots d’enfants‌ sont d’une sagesse qui n’a pas fini de nous en apprendre. Farid est le quatrième enfant d’amis marocains tenant un magasin de fruits et lÊgumes exotiques. Farid, quatre ans, a bien des jours de congÊ. Ainsi, l’autre jour, le voyant un peu traÎner, je lui dis :  Viens voir notre jardin. Il est si beau, tu pourras y jouer.  À peine entrÊ, Farid se sent chez lui. Il va à gauche, à droite et apercevant quelques compagnons jÊsuites attablÊs autour d’un bon repas, il leur dit :  Mais ici, il n’y a que des papas !  Merveille, y avions-nous songÊ ? Tous ces sÊminaristes autour de la trentaine sont en âge d’être papa. Peut-être absor bÊs par leurs Êtudes, ils n’y pensent pas. Plus tard, quand l’apostolat sera davantage leur terrain d’action, ils porteront le don de cette peine et le poids de ce sacrifice. Mais, comme Farid l’a dit, en chacun de nous, il y a un papa qui sommeille, à l’image de Dieu à la fois Père et Fils. Nous devons assumer cette rÊalitÊ : nous sentir aimÊs et faits pour aimer. Heureux Êtions-nous d’être à cette table et de recevoir cette parole prophÊtique nous rÊvÊlant tout à coup que notre cÊlibat n’est pas un choix stÊrile, ni une solitude amère. Nous choisissons cette voie pour mieux aimer et être plus disponible. Elle n’est pas la plus facile, mais elle est nÊcessaire à l’amour. Tant qu’il y aura sur cette terre des hommes et des femmes capables d’aimer de cette façon, l’amour sera sauvÊ. Il ne faut pas que tous le fassent, mais il faudra toujours des signataires de ce manifeste de l’amour oÚ on choisit d’être  papa ou maman au-
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trement qu’un autre . Ainsi nous dÊcouvrons le vrai cœur de notre paternitÊ. Merci, jeune Farid, d’être venu nous apprendre, encore une fois, bien des choses !
Le père Thomas
Quelle tristesse pour nous que d’apprendre la mort du père dominicain Thomas Philippe, l’un des cofondateurs de l’Arche avec Jean Vanier, dans les murs de la CommunautÊ Saint-Jean mise sur pied par son frère ! Malade depuis plusieurs mois, il y fut admirablement soignÊ. Ce dÊpart qui arrive à son heure et dont nous devons rendre grâce à Dieu, nous interpelle. N’est-il pas bouleversant de penser que ce 4 fÊvrier à une heure du matin, il dÊcÊda dans sa petite chambre, oÚ une dernière fois encore, à minuit, il venait de cÊlÊbrer la messe en compagnie de son frère ? Le père Thomas‌ comment rÊsumer en quelques lignes, en quelques pages ce qu’il a fait, ce qu’il a ÊtÊ, ce qu’il nous a donnÊ ? Lors de nos rencontres si bouleversantes et attachantes, à Trosly ou ailleurs, il tÊmoignait par son eucharistie, ses entretiens, sa parole, son sourire, sa dÊmarche un peu claudicante sous son habit blanc de dominicain, de l’immense tendresse de Dieu pour son peuple auquel il consacrait le meilleur de lui-même. Comme professeur de philosophie, il avait côtoyÊ les plus grands scientifiques. Il continuait de s’instruire, de lire, de rÊflÊchir, d’Êcrire. Mais avant tout, il Êtait attentif à chacun. Sa capacitÊ d’Êcoute, malgrÊ une oreille handicapÊe, Êtait remarquable. Toujours l’Esprit de Dieu Êtait à l’œuvre, à travers nos balbutiements comme à travers son inÊpuisable grâce de partage et d’Êchange. Je me souviens, avec Êmotion, de ces nombreuses fois oÚ il s’exclamait :  Comme vous dites ! , comme s’il voulait mettre ainsi en valeur nos pauvres petits propos qu’il aurÊolait, par sa
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parole et son attention dans la grâce de sa prÊsence, d’une dimension toute autre et combien plus profonde. Le père Thomas, homme de Dieu, ami des hommes, et pleinement homme Êtait à la fois mystique et rÊaliste. Il est un petit livre qui l’incarne si bien : Les desseins de Dieu sur l’homme. Sa lecture nous rÊvèle que ce qu’il y a de plus beau dans l’homme, c’est son enfance et sa vieillesse. C’est à ces deux âges que l’homme se trouve lui-même en plÊnitude. Oui, c’est dans la connaissance de sa faiblesse que l’homme trouve sa grandeur et sa force ! Qu’il Êtait bon de l’entendre ainsi s’exprimer dans ses homÊlies qui nous dÊpassaient tellement ! On le comprenait beaucoup plus par tout son être que par l’intelligence. Il n’empêche, le père Thomas Êtait un grand intellectuel qui a su parler au cœur des plus humbles. C’Êtait en même temps un pauvre qui a rencontrÊ tout homme dans sa vÊritÊ et dans sa recherche essentielle. Il est parti au terme d’une vie bien remplie qui force dès aujourd’hui l’admiration, la reconnaissance et un certain silence. Pour ce que vous avez ÊtÊ, père Thomas, Dieu soit bÊni. Pour ce qui continuera par vous, Dieu soit bÊni. Pour ce que vous avez commencÊ en nous par son Esprit, Dieu soit bÊni. Merci, ô Notre-Dame, d’avoir formÊ ce cœur de prêtre, à la mesure du cœur de JÊsus.
Sa MajestĂŠ le Roi Baudouin
Le roi est mort. Cette nouvelle du dimanche matin 1er aoÝt a bouleversÊ tout le pays et, bien au-delà des frontières, tant et tant d’amis. Tout à coup, la Belgique s’est sentie orpheline. Tout à coup, une impression de sÊcuritÊ, de sagesse, de force, de tendresse qui nous entourait nous a paru s’Êloigner, s’Êteindre. Pour beaucoup, ce furent les larmes. Mais lentement, à mesure que le jour se levait et que la rumeur se rÊpandait, une merveilleuse histoire commença de circuler : celle de tout le bien accompli par la reine Fabiola et le roi Baudouin que l’on Êvoquait sans fin. Étaitil possible que, ce jour-là , tant de bontÊ jaillisse du cœur des hommes ! Et chacun de penser aux autres, de tÊlÊphoner à ceux qui n’Êtaient pas encore au courant, de s’efforcer d’aller à la rencontre de ceux qui Êtaient isolÊs. On Êprouvait le besoin de se retrouver. Le dÊpart du Roi a engendrÊ dans la population une communion de pensÊe, de cœur et d’âme extraordinaire. Tous s’inclinaient devant ce qu’il avait ÊtÊ et ce qu’avec la Reine il avait menÊ à bien pour notre nation. Le Roi Êtait l’homme de la relation personnelle, de l’Êcoute, de la mÊmoire du cœur. Il Êtait l’homme de la rencontre. Le Roi Êtait celui vers lequel les plus pauvres pouvaient se tourner, car ils se sentaient reconnus, considÊrÊs, aimÊs par lui. Que de situations dÊlicates oÚ il intervint directement ou indirectement, oÚ il jeta dans la balance le poids de son autoritÊ, de son sens du service ! S’il a luttÊ jusqu’au bout, choisissant lui-même le nouveau mode de vie communautaire qui deviendra le nôtre, ce fut dans l’esprit que chacun soit respectÊ comme une personne à part entière. Il aurait pu pratiquer la  po-
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litique de l’autruche , refuser de s’engager sur le terrain ô combien glissant de nos querelles linguistiques ! Il a assumÊ ce changement, il y a rÊflÊchi, il l’a portÊ de bout en bout, il l’a priÊ. C’est jusqu’au bout, qu’il a consumÊ sa vie pour les autres. Durant deux jours nous fÝmes conviÊs à rendre hommage au Roi. Une foule immense, des heures d’attente, nous firent prendre conscience que c’Êtait le Roi qui nous rassemblait. Ce fut extraordinaire ! Venant de tous les coins du royaume, chacun avait hâte et joie de rencontrer les autres et de constituer durant ces heures d’attente, non une file ÊnervÊe et impatiente, mais une procession de personnes vivant une vÊritable fraternitÊ. Ce fut la grâce de ces journÊes au Palais Royal. Mais le samedi, jour des funÊrailles, le mystère a ÊclatÊ. Notre père le cardinal Danneels a reconnu, dans son homÊlie, que le Roi Baudouin Êtait toujours vivant de cette vie qui avait ÊtÊ la sienne tout au long de son existence terrestre, celle de la foi, de l’espÊrance et de l’amour. Le Roi Êtait vivant et il nous a fait vivre une Eucharistie d’espÊrance et de gloire. Il voulut jusqu’au bout, secondÊ par la Reine et les siens, tÊmoigner de cette immense preuve d’amour qui est de donner sa vie pour ceux que l’on aime. On n’ose pas le dire, tant cela pourrait sembler heurtant, mais le Roi Êtait un grand croyant. On comprend que cela choque ceux qui n’ont pas la foi ou qui ne l’ont plus, qu’ils souffrent devant un tel engagement religieux du couple royal. Impossible cependant de dissocier le Roi et la Reine : tout a ÊtÊ portÊ, vÊcu ensemble. Dans un monde oÚ tant et tant de couples Êclatent, nos souverains auront ÊtÊ l’exemple d’un amour exceptionnel. Oui, le Roi est vivant. Il veille, il intercède pour nous.
Le festin de Germaine
Germaine Êtait notre excellente cuisinière du lundi, elle nous prÊparait des plats comme dans  l’ancien temps  quand il n’y avait ni surgelÊs ni toutes sortes de succÊdanÊs empêchant les bouillons de mitonner, les sauces de prendre. Voilà qu’un jour, traversant une rue, elle est renversÊe par une voiture‌ et ne se relèvera plus ! Elle ne sera plus parmi nous pour cuisiner, mais nous sommes convaincus qu’au Paradis elle prÊpare inlassablement, inÊpuisablement quelque banquet Êternel. Le jour des funÊrailles, l’Êglise Êtait pleine, une foule recueillie, marquÊe par la souffrance et le drame de la sÊparation, mais en même temps sereine. Des jeunes, des plus âgÊs, tout un peuple rassemblÊ pour rendre hommage à une femme, une Êpouse, une maman. Elle et son mari formaient un couple merveilleux, trois enfants, huit petits-enfants, tous sont là pour dire adieu à Germaine, grand-mère indulgente, acceptant l’autre dans sa diffÊrence. C’est elle qui nous rÊunit comme pour une grande fête, en ce jour. C’est elle, l’image de la bontÊ, de l’amour, du sens de la famille, du dÊvouement, du service, de l’humilitÊ, de la prÊsence. Elle aimait son quartier, elle aidait ses voisins. Elle Êtait la providence de tant et tant d’amis. Oui, merveille que cette femme qui nous apprend à croire à la vie après la mort, à vivre maintenant comme elle a vÊcu avec nous.
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Merveilleuse femme tout entière tournÊe vers les autres. Pour cette vie, Seigneur, sois bÊni ! Fais que se multiplient les Germaine en ce monde. Merci Germaine !
III. La foi JÊsus parle de son Père
JÊsus ne se lasse pas de rÊpÊter, de partager tout ce qu’il vit de relations privilÊgiÊes avec son Père. Nous sommes chrÊtiens, baptisÊs, enfants de Dieu, mais qui d’entre nous peut se prÊvaloir vraiment de cette relation d’enfant, de cette relation de dÊpendance : cette relation du Père avec le Fils ? Sommes-nous assez conscients de cette extraordinaire rÊvÊlation que JÊsus nous livre de son intimitÊ avec son Père, comme un papa avec son enfant ? À la naissance, le père reçoit dans ses bras son bÊbÊ ; puis ce sont les premiers pas que l’on entoure de tant de prÊcautions pour Êviter l’imprÊvisible chute, ensuite les premiers mots que l’on cueille comme des perles de rosÊe sur une feuille de printemps. Il y a aussi les rencontres plus profondes oÚ, le fossÊ des gÊnÊrations s’accentuant, peut se glisser une apparente indiffÊrence et parfois même de l’agressivitÊ. Ce sont ces heurts, signes de vie, mais aussi d’amour, même s’ils nous marquent et nous font souffrir, qui fondent la relation entre père et fils. Il faut à ce moment qu’au fond de nos âmes demeure une grande confiance, comme une nappe d’eau limpide, que rien ne peut toucher ou souiller. Le fils estime son père et ne peut le rejeter. Le père croit en son fils et ne peut l’oublier. Et lentement, le temps et la patience aidant, se recrÊe doucement le tissu de la relation première. C’est le grand garçon qui s’inquiète pour son père. C’est l’homme dÊjà plus mÝr conscient que tout
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doucement la vie s’achève. Qu’ils sont beaux, ces regards ÊchangÊs au crÊpuscule d’une vie et ces mains fortes et malhabiles s’entrecroisant autour d’un chapelet, une fois la dernière heure venue. Heureux l’homme qui meurt entourÊ de l’affection des siens. Heureux l’enfant qui peut aimer jusqu’au bout son père. Et voilà que JÊsus, à travers ces images, nous partage tout ce qu’il a reçu de son Père. C’est cela, l’amitiÊ de Dieu, ce monde invisible qui devient nôtre, ce cœur mystÊrieux qui nourrit notre faim d’absolu.
Engagez-vous‌
Il y a d’un côtÊ ceux qui disent :  J’ai perdu la foi , de l’autre, ceux qui affirment :  J’ai la foi, je crois.  La foi, quand on en parle, est souvent abstraction, vue de l’esprit. La foi, quand on en vit, est la rencontre avec une personne. Elle est amour, elle est don de soi. Tout est là : l’engagement. C’est un mariage, une alliance. C’est, en tout cas, la fidÊlitÊ. La première qualitÊ de Dieu, enseigne l’Écriture, c’est la fidÊlitÊ. Et la grande qualitÊ de l’homme, l’exemple de Marie le prouve, c’est la disponibilitÊ. À nous d’être capables, comme elle, de nous conformer à ce que Dieu attend de nous :  Qu’il me soit fait selon ta parole.  On n’a plus guère de convictions religieuses, on s’en remet à une personne et à cause d’elle, on accepte, non pas tout ce qu’elle dit, mais tout ce au nom de quoi elle vit. Ceci est plus impressionnant que l’affirmation, plus ou moins forte, plus ou moins claire de vÊritÊs qui reprÊsentent finalement toujours un mystère. Dans son oraison du dimanche prÊcÊdant la Pentecôte, l’Église nous demande que  croyant à la rÊalitÊ de la prÊsence de JÊsus près de son Père, après l’Ascension, nous croyions aussi à la certitude de sa prÊsence parmi nous jusqu’à la fin des temps comme il nous l’a promis . La foi ne peut pas être le produit d’une imagination fantasque, elle garde les pieds sur terre : un pain, symbole du corps du Christ, du vin à l’image de son sang versÊ pour nous sauver‌ une prÊsence plus intime à nous-même que nous-même. Alors nous concevons que la foi ne peut jamais être  ce que je crois ,
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mais bien ce que l’Église,  ma Mère , me propose de croire, cette aventure mystÊrieuse qu’elle m’invite à expÊrimenter et qui reste la rÊvÊlation la plus intime de son cœur maternel. Croire, c’est vraiment suivre celui qui a dit :  Qui croit en moi a la vie Êternelle.  Foi et ÊternitÊ se tiennent comme vie et mort. L’une nous fait passer en l’autre, parce que cette autre est dÊjà en moi.
JĂŠsus Sauveur
Il est des jours oÚ la peine est trop grande, le poids de la vie trop lourd, les soucis trop nombreux, l’avenir trop incertain, le passÊ trop douloureux, le prÊsent trop angoissant‌ qui nous laissent abattus, criant comme les apôtres dans la barque près de JÊsus :  Seigneur, sauve-nous !  Il est des heures que l’on peut appeler  les heures de JÊsus , parce qu’Il est là , en dÊpit de nos peurs et de nos angoisses. À travers tout cela, un seul cri, une seule prière :  JÊsus, souviens-toi de moi, JÊsus aie pitiÊ de moi !  Bien souvent, il n’est même pas nÊcessaire de construire une phrase. Prononcer ce nom  JÊsus !  suffit. En ces instants de grâce, l’homme revit. BousculÊ, stressÊ, dÊracinÊ, alors même qu’il ne peut plus s’occuper de lui-même, qu’il ne s’appartient plus, tout se dÊrobe sous ses pas. Sa seule certitude, c’est JÊsus, homme de la terre et fils de Dieu qui, dans la simplicitÊ de son quotidien, est là à ses côtÊs, prenant visage d’homme, de femme et souvent d’enfant pour le rassurer. Alors, qui est-il pour vous, ce JÊsus, Roi de Gloire, Roi de Paix, Pain de Vie, Force divine ? Il est, tout simplement, Verbe de Dieu fait chair de l’homme, Fils Bien-AimÊ du Père, enfant de la crèche, crucifiÊ sur le Calvaire, ressuscitÊ d’entre les morts le troisième jour. C’est lui, c’est toujours lui, c’est inlassablement lui. Dès lors, que sont nos peines, nos soucis, nos angoisses en regard de sa prÊsence, face à sa grande tendresse ?  Pourquoi doutez-vous ? Croyez ! Croyez seulement ! c’est Moi !  C’est ainsi que toute chose prend son sens, parce qu’elle est enracinÊe en Lui et qu’à ce moment, il n’est pas un lieu de la terre qui ne soit tabernacle ou prÊsence de Dieu dans l’hostie ; il
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n’y a pas un homme qui ne soit enfant de Dieu ou appelÊ à le devenir : il n’est point un  coin  de notre planète oÚ il n’y ait place pour la sainte Église, faite des pÊcheurs que nous sommes. Au nom de tout ce qui peut torturer le cœur de l’homme, au nom de toute cette paix qui vient du cœur de Dieu : JÊsus, merci !
La Parole de Dieu
De nos jours, et c’est une grâce pour notre temps, on aime à relire l’Écriture, à mÊditer son message. Cette parole de Dieu, dÊposÊe à travers l’Histoire sainte, garde ce privilège merveilleux de nous parler, d’être encore, pour chacun de ceux qui la reçoivent, un message personnel, un lieu de rencontre, une interpellation dans un quotidien retrouvant par là tout son sens. Et l’on voit dans le monde se rÊpandre tous les mouvements d’un renouveau inspirÊ par la parole de Dieu : temps de retraites, temps de prière, semaines d’Êcoute, rien n’est nÊgligÊ pour accueillir au fond du cœur, au sein même d’une assemblÊe, toute la richesse de ce message divin. Dieu parle à l’homme dans d’autres contrÊes. Là oÚ la pauvretÊ est si grande que la misère empêche même de prier, l’homme n’a plus d’autre alternative que le cri. Les communautÊs de base se regroupent pour partager cette lecture d’une histoire inachevÊe, d’une dÊlivrance à laquelle elles aspirent, dont elles ont faim, sans laquelle elles vont mourir. Elles ne peuvent interprÊter l’Écriture autrement qu’avec une soif de vÊritÊ, de justice, de pain et d’amour. Il est encore un troisième lieu oÚ la parole de Dieu est la bienvenue, oÚ elle peut même être partagÊe sans privilège particulier : tout simplement là oÚ vivent les humbles, les personnes handicapÊes. La parole de Dieu y prend un autre visage. Elle nous est redonnÊe par les petits. Comme JÊsus l’a soulignÊ dans l’Évangile :  Heureux ceux qui sont pauvres de cœur. Soyez semblables à l’un de ces petits qui sont mes frères.  Nous le vivons dans l’Arche et dans Foi et Lumière. Mer veilleuse initiation à la
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parole de Dieu que d’accepter de se laisser enseigner par les plus petits ! La parole de Dieu, n’est-ce pas en dÊfinitive  Dieu parmi les hommes  ? Alors, quels que soient les modes de rencontre, d’Êcoute et de comprÊhension, il faut dÊcouvrir que JÊsus, aujourd’hui, parle encore aux hommes, car sa parole jaillit du cœur de Dieu :  Comme le Père m’a envoyÊ, moi aussi je vous envoie ,  Soyez un comme le Père et moi nous sommes un . DÊcouvrons que Dieu, toujours, est parmi nous car Il nous aime.
La onzième heure
Ce dimanche, ce boulot proposÊ à ces ouvriers de la dernière heure qui gagnent autant que ceux qui ont portÊ tout le poids du jour, c’est trop injuste ! C’est pourtant là que se trouve la joie de l’Évangile. Nous avons à la dÊcouvrir, à la pratiquer jour après jour, heure après heure. Au cours d’une journÊe, que de fois l’occasion nous en est donnÊe : cette invitation attendue en vain‌ cette annonce de naissance reçue par d’autres et qui ne m’est pas parvenue‌ cette place bien situÊe que j’aimerais occuper, poisse ! un autre s’y est installÊ. À ces occasions, l’Évangile, c’est d’être heureux de ce qui arrive de bon au prochain, et de s’en rÊjouir à part entière, sans repli sur soi, dans une vÊritable action de grâce. C’est donc de ne pas se plaindre, d’entrer vraiment dans la bÊatitude de ce bonheur qui nous est apportÊ parce qu’un autre a rÊussi et qu’il manifeste sa joie. L’abbÊ Pierre a eu ce mot Êtonnant :  Aimer, c’est quand tu souffres, j’ai mal.  Aimer, devrait-on ajouter — et c’est certainement la pensÊe d’un homme de Dieu comme l’abbÊ Pierre — c’est lorsque tu es heureux, je suis heureux, ton bonheur fait le mien. Tout est là . L’Êvangile des ouvriers de la onzième heure n’est donc en rien une apologie de l’injustice. Il est tout simplement la dÊcouverte que le bonheur ne rÊside pas dans ce que je possède, mais dans ce que l’autre est pour moi, dans ce que je suis pour lui. C’est le cœur même de Dieu, la vie de la TrinitÊ. Merci, Seigneur, de nous en nourrir !
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Avoir confiance
Sainte ThÊrèse a comparÊ la prière à un levier assez puissant pour soulever le monde. Quand on parcourt son autobiographie, on est frappÊ de voir l’inÊpuisable rÊserve de prière que supposait la vie d’une carmÊlite. Il y avait les temps de prière au chœur, à la chapelle, mais aussi ces multiples petites recettes de prière pour tous les moments de la journÊe et pour tous les temps qui les prÊparent. On est comme effrayÊ et en même temps ÊmerveillÊ de cette Êpoque rÊvolue oÚ l’on rÊcitait son chapelet, oÚ l’on  disait  ses prières. Aujourd’hui, il n’en va plus de même. On constate que, même un Ave Maria ou un Notre Père ne sont même plus assez connus que pour être rÊcitÊs spontanÊment comme par le passÊ. Alors : qu’est-ce que prier ? En disant l’Ave Maria, nous demandons à la Vierge de  prier pour nous . Lors de plusieurs de ses apparitions, Marie tenait le chapelet en main et, bien souvent, ses lèvres murmuraient une prière que nous ne connaissons plus. Qu’est-ce que prier ? Dans un monde bouleversÊ comme le nôtre, en perpÊtuelle mutation, parfois si merveilleusement ou si douloureusement diffÊrent, n’avons-nous pas besoin de prier pour porter ce monde, pour le sauver, pour supporter nos peines, pour nous garder dans l’espÊrance ? La prière n’est pas un refus d’affronter nos problèmes en regardant vers le ciel. Elle est avant tout prÊsence du ciel à la terre : prÊsence de Dieu à l’homme, à ses prÊoccupations aussi bien qu’à ses joies. Il convient donc, comme le recommandent les saints, de prier sans relâche, non de rabâcher, mais plutôt de nous ouvrir
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 Que tout s’arrange 
sans cesse à la tendresse d’un Dieu aimant, d’être en communion avec tous ceux qui cherchent, demandent, crient vers un salut qu’ils ne peuvent rÊaliser par eux-mêmes. N’est-ce pas cela, prier : avoir confiance en l’autre, accepter ses limites, ses manques, accepter de ne pas vouloir s’en sortir seul, ne pas se replier sur soi ? Prier, c’est toujours compter sur son prochain, et s’en remettre à lui. Voilà pourquoi toute prière est avant tout action de grâce car, avant même d’avoir reçu, l’on remercie. Saint Ignace disait qu’il fallait demander à Dieu ce qu’Il veut nous donner. C’est cela, prier. Non pas une fuite de la terre vers le ciel, non pas un enlisement de la tendresse de Dieu dans notre Êgoïsme, mais une communion d’âme, un cœur à cœur. Prier, c’est donner à Dieu le temps de me dire qu’Il m’aime et c’est prendre le temps de m’arrêter pour l’Êcouter, le rencontrer, être avec lui.
Crise de foi
Il l’affirme. Il n’a plus la foi. À quinze ans, il croyait intensÊment. Depuis, que s’est-il passÊ ? Nous n’avons pas à le juger. S’il ne demande rien, nous nous devons de respecter son silence. S’il pose des questions et relève des dÊfis, soyons à ses côtÊs pour y rÊpondre et les affronter. Dernièrement, sans ambages, il me dit qu’il prie. Sans trop rÊflÊchir, je lui demande :  Comment fais-tu ?   J’ai con fiance , rÊtorque-t-il. Dans ce monde en proie à tant d’inquiÊtude et à la lumière d’un Évangile qui, sans cesse, invite l’homme à ne pas avoir peur, à ne rien craindre, sa rÊponse n’est pas ÊloignÊe de ce que JÊsus professe :  Ayez confiance, c’est moi, je serai avec vous jusqu’à la fin des temps.  Aussi, la foi d’un chrÊtien aujourd’hui ne devrait-elle pas s’exprimer avant tout, par cette confiance qui l’inspire, qui l’habite ; par ce rayonnement, cette façon de vivre et d’être, lui permettant de vaincre l’anxiÊtÊ, l’angoisse et le rend lumineux à tous au milieu des tÊnèbres ? Il devient ainsi prÊsence auprès de ceux qui crient leur solitude. N’est-ce pas cela, une vraie prière ? celle qui me remet chaque matin et chaque soir dans cette intimitÊ et qui, finalement, n’est pas le pari que fait l’homme sur l’existence de Dieu, mais bien l’audacieuse certitude assumÊe par Dieu qui croit en l’homme. C’est à Lui que nous devons nous en remettre, toujours plus. Prier, c’est avoir confiance. La confiance n’est pas affaire de raison, mais bien de sentiment. Elle ne s’adresse pas à une puissance, mais toujours à une personne. Avoir confiance, c’est être sÝr que quelqu’un vous aime et qu’il veille sur vous.
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 Que tout s’arrange 
Comme ces enfants qui, pour dÊfinir le mot sauveur, disent tout simplement :  C’est celui qui nous protège.  Avoir confiance, c’est se sentir à l’abri dans des bras tendres et puissants qui rÊvèlent tout un cœur.
ÂŤ Apprends-nous Ă prier Âť
Ils avaient quand même toutes les audaces, les disciples de JÊsus !  Dis, tu ne pourrais pas nous apprendre à prier ?  Il faut croire que cela les avait touchÊs, de Le voir prier seul dans la montagne ! TÊmoins de son recueillement avant la guÊrison de l’aveugle ou du sourd-muet, ils ont senti qu’il se passait quelque chose en Lui. C’Êtait peut-être donc cela, la prière ? Quand tout à coup Dieu prend place, plus aucun obstacle ne l’arrête : alors le corps blessÊ se redresse, l’âme torturÊe se retrouve belle et pure comme au premier jour. Ils attendaient peut-être de la part de JÊsus des conseils, des  trucs  pour remettre à leur place ces pharisiens et ces scribes qui se croient plus malins qu’eux, les mÊprisant, les traitant comme des ignorants au nom de leur science. Et voilà que JÊsus les regarde avec une grande tendresse et leur dit :  Quand vous priez, dites Notre Père.  Ils tombent des nues, les pauvres ! Le grand YahvÊ, le Dieu du ciel et de la terre, le CrÊateur, le Tout-Puissant qui fend les rochers, tout à coup, il est Père et il est  Notre Père . C’est vrai ! JÊsus est son Fils, il y a tant en lui. Lui seul peut dire  Père  à ce Dieu impressionnant, merveilleux et passionnant. Mais partager ce nom avec eux : non, cela ne va pas !  Notre Père , qu’ils disent tout simplement  Père bien-aimÊ, mon Père bien-aimÊ . Telle est la prière qu’il leur rÊvèle. Qu’Il leur apprenne à dire :  Oh Dieu qui avez un cœur de Père, qui êtes bon comme un Père‌  Non, tout à coup l’inouï se rÊvèle à leurs yeux, à leurs cœurs, à leurs êtres. Dieu n’est pas père au sens commun du terme, il est Père et sa bontÊ est dans le jaillissement
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 Que tout s’arrange 
de sa paternitÊ. Elle n’est pas comme une qualitÊ que l’on attribue à un père parce qu’il se dÊvoue pour ses enfants. Elle est comme le sang qui coule dans les veines de Celui qui de toute ÊternitÊ est Père, mais qui à partir de JÊsus Christ, attend, espère que les hommes aussi lui disent :  Notre Père , car ils sont ses enfants. C’est la merveilleuse, l’inouïe audace qui depuis deux mille ans bouleverse la terre. C’est l’intimitÊ même de Dieu s’ouvrant, se dÊchirant et permettant à toute l’humanitÊ d’y prendre sa part, d’y avoir sa place.  Notre Père , tel que l’a vÊcu JÊsus,  Notre Père , comme JÊsus,  Notre Père , en JÊsus,  Notre Père , par JÊsus. Et tous les hommes de la terre alors sont comme rassemblÊs et la merveilleuse histoire continue. La TrinitÊ n’est plus un mystère lointain, mais devient notre quotidien.  Notre Père , merci !
L’amour vainqueur
Souvent, on pense que la foi, c’est accepter des vÊritÊs que l’on ne comprend pas, c’est croire en des rÊalitÊs invisibles et souvent incomprÊhensibles, pour ne pas dire contradictoires. Non, ce n’est pas cela, la foi. Avoir la foi, c’est dÊpasser le plan des hommes pour entrer dans le projet de Dieu. Je dÊcouvrirais toute la beautÊ de l’humanitÊ et ses richesses pour me plonger dans le mystère infini d’une tendresse venant vers moi. Il s’agit moins de connaÎtre et d’affirmer des certitudes, que d’en être habitÊ, de les rayonner, d’en être les traducteurs. La foi me conduit toujours vers un au-delà parce qu’elle vient de là . Alors tout ce qui dans la vie aura ÊtÊ bontÊ, beautÊ, partage, amour, pardon, tÊmoignera de la foi. Tout ce qui se sera rÊvÊlÊ peur, fuite, crainte, divisions, sÊparation, attestera du pÊchÊ contre la foi. La foi, c’est croire, à chaque fois qu’il est possible, que l’amour l’emporte. La foi, c’est reconnaÎtre à travers tout, audelà de ce que je vis et peux comprendre, qu’il y a Quelqu’un qui m’aime, qu’il est plus grand que moi, qu’il veut m’aider à avancer, à aller plus loin, et à entrer dans son projet d’amour. Telle est la foi que je reçois pour la vivre et la rayonner en Église.
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Usure‌ à l’œil !
Quand la vue commence à baisser, il est bien difficile de l’accepter. De même, un jour viendra, plus si lointain, oÚ l’on n’entendra plus : un certain nombre de confidences devront être criÊes à l’oreille ou Êcrites‌ D’aucuns trouveront plus pÊnible d’être sourd qu’aveugle ! Le chant des oiseaux et la beautÊ de la musique nous Êchappant, mais il me semble que tant que l’on peut voir, même si l’on n’arrive plus à se faire comprendre ou à comprendre les autres, il reste la communication du regard qui est si importante. L’autre soir, à la gare, au moment oÚ le train partait pour Paris, que de visages douloureux et blessÊs s’offraient à ma vue ! Comme je me sentais proche d’eux sans vouloir leur parler, car la parole suppose une approche plus complexe que le regard‌ Non pas le regard indÊcent du curieux dÊsireux de s’approprier ce qui est cachÊ et surtout ce que l’on veut ca cher, mais un regard d’enfant. Sur ce garçon dont l’abondante chevelure le fait ressembler à une fille, sur cette fille s’habillant comme un garçon, sur ces couples qui se forment, les uns ayant les oreilles percÊes d’anneaux, les autres arborant des chaÎnes d’or autour du cou‌ , il y a un regard d’amour à porter, voilà l’essentiel ! De cela, nous ne pouvons nous lasser. Dieu nous a donnÊ des yeux, non pour juger, mais pour aimer ; non pour rejeter, mais pour unir. Dieu nous a donnÊ de voir pour continuer ce premier regard qu’Il a lui-même posÊ sur le monde, aussi vrai qu’il est Êcrit dans la Bible, non pas  Il dit que cela Êtait bon , mais  Il vit que cela Êtait bon .
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La foi
Au cœur des difficultÊs, il est bon de garder une certaine qualitÊ du regard qui nous laisse croire que tout est possible. N’Êtaitce pas celui du père de l’enfant prodigue ? Celui de Marie et de Joseph dans la crèche ? Celui des bergers et des mages Êblouis et ravis ? Pour tous ces regards, bÊni sois-tu Seigneur ! J’irai encore au dÊpart des trains ou à leur arrivÊe, cueillir par mon regard tant de visages affamÊs, assoiffÊs d’espÊrance et d’amour. Une façon de regarder, un certain art de sourire‌ sont de bonnes rÊsolutions de Carême.
18 dĂŠcembre
Quelle histoire ! Ils n’Êtaient pas moins de quatre cents à être venus de leur Êcole, reprÊsentant les trois classes terminales pour cÊlÊbrer NoÍl en cette dernière journÊe de cours. Ils Êtaient là de toutes races et certainement de toutes religions. Ils Êtaient là , appelÊs par leurs professeurs pour vivre cette cÊlÊbration de NoÍl. Les textes, chansons anglaises pour la plupart leur allaient droit au cœur. L’Évangile, à première vue choquant, rapportait le drame divisant Joseph et Marie lors de la prise de conscience de la venue de JÊsus. Dur moment dans ce beau couple oÚ il fallut toute la foi et la grâce de l’Esprit pour que l’un et l’autre s’acceptent dans une telle diffÊrence : Joseph l’homme juste, Marie, la Vierge Mère. Et cet Évan gile — qui avait ÊtÊ choisi — a ÊtÊ introduit d’une façon merveilleuse par le tÊmoignage de Micheline et Jacques qui ont tout simplement racontÊ leur histoire, comment ils Êtaient devenus parents d’une ribambelle de douze bambins dont cinq retenus en raison de leurs handicaps. Qu’elle est belle cette page de l’Évangile attestant qu’aujourd’hui encore, le miracle s’accomplit dès lors que l’on a la foi pour accepter, comme Marie, que  rien n’est impossible à Dieu . Et cette cÊrÊmonie de NoÍl a durÊ près de deux heures, pendant lesquelles il y eut des moments de moindre recueillement et d’autres d’intenses et profonds silences. Ce qui Êtait merveilleux, c’Êtait que chacun se sentait interpellÊ bien au-delà des paroles annoncÊes et dont chacun prenait sa part selon ses besoins. En effet, la parole de Dieu n’est pas adressÊe à une masse anonyme, mais bien à chacun. Les lectures prÊparÊes, les chants ÊcoutÊs et priÊs, que tout cela Êtait beau ! Il est des chants qui de-
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La foi
mandent une qualitÊ de prÊsence qui vient du cœur de Dieu et va droit au cœur de l’homme. Quand nous nous sommes quittÊs, nous Êtions tous très bouleversÊs par ce qui venait de se passer. JÊsus dÊjà avait commencÊ ce 18 dÊcembre à cÊlÊbrer NoÍl dans nos cœurs. En dÊfinitive, n’est-ce pas toujours lui qui vient et n’avons-nous pas toujours à l’accueillir ? Cette cÊlÊbration voulue, portÊe, prÊparÊe, souhaitÊe, rÊalisÊe Êtait son œuvre à lui en nos cœurs. Une Église pareille est une Église qui chante, même si dimanche prochain ils seront peut-être moins nombreux à la messe, même s’ils ne savent plus très bien ce que l’Église leur demande dans le respect de la vie et dans le respect d’autrui. Mais ils Êtaient heureux en cette matinÊe, car NoÍl avait apportÊ sa part d’espÊrance au cœur de leur recherche en chemin vers plus d’amour et de bontÊ.
Souvenez-vous de Tarcisius !
De plus en plus, les chrÊtiens qui communient pensent aux malades et demandent à pouvoir leur porter la grâce et la force qu’ils reçoivent lors de la messe. Avant le Concile, il n’en allait pas ainsi. Le malade appelait un prêtre qui arrivait, souvent accompagnÊ d’un enfant de chœur. Dans les villages, il portait même un cierge et une sonnette. Porter l’Eucharistie chez un particulier, c’est lui apporter un grand rÊconfort et rappeler aux voisins, à la famille, que JÊsus vient ! C’est important‌ car on l’oublie. Avant, cela n’Êtait pas facile. Maintenant, au contraire, tout est simplifiÊ, sans extÊrieur, sans pompe aucune. Peut-être a-ton exagÊrÊ dans l’autre sens ? Telle personne va chercher la communion et, après la messe, s’arrête longuement pour bavarder avec une voisine de choses qui ont sans doute leur intÊrêt, mais que la prÊsence du Seigneur demanderait de postposer. N’avons-nous pas à retrouver un certain rituel pour accomplir cette mission extraordinaire d’être des  porteurs de Christ  ? Tout au dÊbut de l’Église, la prÊsence rÊelle Êtait confinÊe dans les tabernacles. C’est seulement par souci des malades que, lentement, s’est instaurÊe cette coutume, devenue fondamentale à notre foi : JÊsus prÊsent, toujours là , au cœur de nos Êglises, de nos chapelles, et même parfois de nos maisons. Souvenez-vous de Tarcisius ! Il est mort parce que ses amis voulaient lui retirer l’hostie qu’il portait aux prisonniers.  Tarcisius a veillÊ sur mon enfance et m’a appris que c’Êtait beau de porter Dieu aux malades et aux prisonniers : une prÊsence que
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l’on mange, une prÊsence que l’on adore, une prÊsence qui donne la vie.  C’est pourquoi il faut toujours avoir à l’esprit que communier, c’est recevoir le Christ dans cette partie de moi-même malade de ne pas assez aimer et prisonnière de liens qui me paralysent et dont seul JÊsus peut me dÊlivrer. Merci pour ces malades qui nous rappellent que Dieu est à leur disposition mais qu’ils ont besoin de nous pour le rencontrer, le recevoir, en vivre.
L’onction des malades
Comme prêtres, nous sommes souvent appelÊs dans les familles quand  ça ne va pas . Nous sommes aussi envoyÊs par l’Église auprès des malades pour leur apporter le signe Êmouvant de son amour : le sacrement des malades. Par là , l’Église se porte au devant de ceux qui souffrent, les console par cette onction d’huile qui, comme une caresse, est signe de force, jusqu’à les apaiser dans la prière et par l’imposition des mains. À ce moment, le malade reçoit tellement plus que ces fleurs, ces cadeaux et tous ces gages d’amitiÊ si agrÊables pourtant à partager avec lui. Nous entrons dans un autre monde, celui d’une relation essentielle oÚ l’on peut enfin se dire les choses les plus importantes, parce que l’on parle de ce Dieu aimant, non pas Dieu de mort, mais Dieu de vie ; non pas un père faisant payer et expier, mais un Père pardonnant tendrement et dÊsireux de toujours recommencer à aimer. Que de fois au cours de ma vie de prêtre, je fus comblÊ par ces visites. À chaque fois, il ne s’agissait pas tant de paroles ou encore d’idÊes que je pouvais trouver belles, mais plutôt de l’humanitÊ de JÊsus retrouvant le cœur des hommes, de la tendresse du Fils rÊvÊlant le cœur du Père, et tout cela à travers les blessures de l’être ! Alors, plutôt que de nous mettre en avant en de telles circonstances, apprenons à notre frère blessÊ ou malade que l’essentiel, c’est d’être et non pas de paraÎtre. Si nous sommes des instruments de paix, et même de guÊrison, et en tout cas d’apaisement, ce ne sera jamais notre œuvre, mais bien celle de Celui qui nous envoie.
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La foi
À chaque fois que nous rencontrons un malade, nous pourrons lui dire merci de son accueil, merci de ce qu’il nous donne, merci de tout ce qui nous fait vivre grâce à Lui. Le malade a Êgalement besoin de nous sauver, car nous sommes nous aussi faibles et pauvres‌ Je voudrais garder, inscrits dans mon cœur, tous les noms de ceux à qui j’ai administrÊ ce sacrement, tous les noms de ceux que j’ai accompagnÊs dans leurs derniers moments. Ils auront ÊtÊ mes maÎtres, eux qui m’ont appris à aimer.
Un refuge dans la nuit
Sur l’autoroute, de nuit, les phares se croisent et se dÊfient‌ agressifs comme les  balles traçantes  jaillies de fusils qui vous tiendraient en joue, vous menaçant de mort. Les lumières rouges des poids lourds donnent l’impression d’un feu d’artifice en mouvement, hallucinant, envahissant, Êblouissant. La nuit est partout synonyme de paix, sauf sur ce  long ruban  oÚ le trafic continue de dÊfiler à toute allure. Pourtant il existe, le long de celui-ci, des endroits plus propice au calme : les aires de repos. Durant les vacances, ces  oasis  sont envahies par des familles de touristes s’y dÊlassant et faisant là une halte ÊlÊmentaire pour tenir le coup. Là , c’est le silence. Là règne la paix dans la nuit. Et ils sont nombreux, les routiers à y Êlire domicile, le temps d’une escale, au milieu d’un voyage extÊnuant. Sur cette route, je songe à tout ce qui se passe dans le cœur des automobilistes et des camionneurs. Lequel d’entre eux se doute que Dieu l’aime ? Lequel d’entre eux sait que Dieu lui donne rendez-vous chaque nuit afin de terminer le jour et de prÊparer le matin ? Lequel d’entre eux rÊalise que Dieu est un Père entourant ses enfants de multiples soins ? Dans le grand silence de la nuit, Dieu parle au cœur de chacun et nous dit son amour. Il faut rouler seul pour entendre sa voix. Alors, tous ceux qui habitent mon cœur reprennent leur place, plus rien ne me distrait ; ils sont tout à moi. La vraie prière est faite de prÊsence. Ils sont là . Je suis là . Nous sommes ensemble. Alors, merci Seigneur, quand je dois rouler la nuit, de me donner d’entendre — dans le silence — ton cœur qui me parle de tous mes amis. Tu m’invites aussi à penser à ceux que l’on oublie
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trop souvent : les malades, les mourants, ceux qui les soignent, les soutiennent. Ce soir, Seigneur, je te les confie tous. Ils te ressemblent. À leur façon, ils veillent sans savoir parfois combien ils aiment ceux pour lesquels ils se fatiguent ; mais ils sont là , signes d’une prÊsence qui est le plus beau des dons de notre existence. Merci !
IV. FĂŞtes NativitĂŠ
Chaque annÊe, devantures de magasins et guirlandes de lumières dans les rues tÊmoignent de l’approche de NoÍl. NoÍl, c’est Dieu qui vient sauver les hommes. Il a tellement bien rÊussi que les hommes, sauvÊs par Lui, ne cÊlèbrent même plus leur salut. Ils Êvoquent, par habitude, une vÊritÊ dont le sens leur Êchappe. NoÍl, ne serait-ce pas l’occasion de recommencer à zÊro, en partant de ce que nous sommes et de ce que Dieu attend de nous ? NoÍl, c’est entrer dans une aventure oÚ le meneur n’est pas l’homme, mais bien Dieu guidÊ lui-même par l’amour. Plus que  l’humiliation  d’un Dieu se faisant homme, voyons dans la fête de NoÍl le lieu oÚ s’exprime la tendresse d’un Dieu qui, en acceptant de prendre la condition d’homme, nous permet de sentir son propre Cœur battre en nous. On est frappÊ, à l’approche des fêtes, par tout ce poids d’habitudes et de traditions rassurant tout un peuple. N’y aurait-il pas moyen que, dans chaque famille, dans chaque cœur d’homme, NoÍl soit non seulement la rÊpÊtition de rites anciens, mais la dÊcouverte d’un amour nouveau ? N’est-il pas important de dÊcouvrir que la vraie crèche, c’est à chaque fois que mon cœur, mes mains et mes yeux s’ouvrent ? Qu’ils sont capables d’admirer et de croire rÊalisable l’impossible ? Je pense à tous ces foyers marquÊs par la sÊparation d’avec un être cher. Je pense à ces tables vides oÚ ne vinrent pas ceux que l’on espÊrait. Je pense à ces cœurs fermÊs qui ont empêchÊ la convivialitÊ autour d’un excellent repas. Je pense à tous ceux
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FĂŞtes
qui n’ont pas pu être invitÊs parce qu’ils n’ont pas le vêtement nuptial ou plutôt le rite sÊcurisant des siècles passÊs. NoÍl, c’est à chaque fois que je me laisse dÊranger : comme Marie dans son attente ne comprenant pas le projet de Dieu. Marie et Joseph ne trouvant pas de place pour eux à BethlÊem et, bien vite, contraints de fuir vers l’Égypte, premiers de ces rÊfugiÊs qui, depuis lors, n’ont pas cessÊ d’être en marche‌ Que la grâce de NoÍl nous soit donnÊe à chaque fois que nous serons bousculÊs dans nos habitudes, nos routines ! Nous aurons à dire à l’instar de Marie :  Comment cela se fera-t-il ?  sans avoir trop vite la rÊponse‌ mais sÝrs de Celui qui vient.
Quel NoĂŤl ?
Vous souvenez-vous du tapage mÊdiatique autour de l’insurrection et de la libÊration de la Roumanie, de l’opÊration  Tempête du dÊsert , de la chute du mur de Berlin, du putsch à Moscou et de la folle inquiÊtude qui s’ensuivit ? Aujour d’hui, tout cela qui nous a tenus en suspens s’avère être tellement vain et dÊrisoire à côtÊ de l’inimaginable transformation du monde dans lequel nous Êvoluons chaque jour‌ OÚ en sommes-nous ? Que faisons-nous ? Sans cesse, on nous abreuve des terribles nouvelles d’un monde en perdition. Les plus grands empires s’effondrent, l’histoire des grandes familles est livrÊe à la presse sous forme de mÊdiocres feuilletons, etc. On se demande franchement oÚ l’on va ! Depuis un mois, les rues s’illuminent, les couronnes se dressent entre les maisons pour annoncer la fÊÊrie de NoÍl, traduisant la surenchère des cadeaux, des dÊpenses, des incroyables renouvellements de fête ! NoÍl dans l’opulence pour les uns, dans la misère pour les autres : voilà l’injustice. Cependant, NoÍl est la fête de la justice. Chaque homme a le droit, ce soir-là , d’être reconnu, aimÊ, non exploitÊ, non trompÊ, tout simplement heureux, car tout à coup, au milieu de ce qui se passe, une Êvidence saute aux yeux :  Dieu s’est fait homme. Il a habitÊ parmi nous.  Chaque annÊe, nous cÊlÊbrons cette naissance et l’espÊrance qu’elle reprÊsente. Nous ne pouvons nier cette vÊritÊ. Qui, mieux que les enfants, peut comprendre la puissance de ce message ? Eux qui ne peuvent sÊparer la fête de NoÍl de la prÊsence et des besoins des pauvres. Eux qui, rentrant de l’Êcole, parlent à leurs parents des victimes
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FĂŞtes
oubliÊes des guerres de l’ex-Yougoslavie, de la Somalie et de tous les points chauds de notre planète. Nous n’aimons pas cette Êvocation. Et pourtant, il faut savoir faire un rÊveillon avec au cœur le cri des hommes, de ceux qui sont seuls, des enfants qui ont faim. Il faut, peut-être ce soir-là , apprendre à s’aimer  autrement  à cause d’eux. Impossible de leur envoyer nos dindes farcies et nos bÝches de NoÍl, mais nous pouvons, autour de la même table, dÊcouvrir qu’il fait bon de s’aimer et de penser les uns aux autres. La nuit de NoÍl est comme un sacrement nous rÊapprenant à aimer et à croire davantage les uns dans les autres. C’est non seulement la fête des enfants, mais aussi celle de tous les adultes qui gardent un cœur d’enfant, qui croient qu’il est possible de se laisser aimer comme un enfant. C’est cela, NoÍl ! Il ne faut pas avoir peur de se donner du bon temps, d’apporter de la joie, de la lumière, de la chaleur à ceux qui n’en ont pas, de même qu’à ceux qui en ont besoin autrement. Un dessin d’enfant au pied de l’arbre de NoÍl vaut le plus riche des prÊsents ! Mais le plus beau cadeau sera celui prÊparÊ avec amour pour celui qui manque de tout. Il est peut-être tout près de moi, celui-là ! NoÍl, partage de Dieu fait homme, pour que les hommes croient enfin à la grandeur et à la rÊalitÊ de l’amour que Dieu leur porte. Penchons-nous sur les rÊclames de NoÍl ! Osons les regarder et les traduire. Voyons comment, en partant de ces slogans  exceptionnels et combien rÊflÊchis , il est une Bonne Nouvelle à vanter aux autres ; non comme une  occasion à saisir , mais comme le seul don qui se partage.
Épiphanie
Ils sont partis. Ils ont marchÊ. Ils ont perdu l’Êtoile à laquelle ils s’Êtaient accrochÊs. Ils ont remuÊ toute la ville de JÊrusalem par leurs questions. Ils ont mis dans le cœur d’HÊrode une grande angoisse : un rival possible. À cause d’eux et des textes de l’Écriture, que leur prÊsence rend tellement actuels, ils furent involontairement à l’origine du massacre des Saints Innocents. Tout cela au nom de leur recherche. Aujourd’hui, qu’ils sont beaux les acquits de la science dans tous les domaines ! Vive le progrès ! Rien n’est oubliÊ, plus aucun sujet n’est tabou et l’homme se doit de chercher sous peine de perdre son identitÊ. Mais ce à quoi il doit s’employer avant tout, c’est à mieux connaÎtre son semblable ; tâche difficile et pourtant si gratifiante : la connaissance, la comprÊhension, l’Êchange, le partage‌ toutes choses bien moins confortables à assumer que de s’enfermer dans sa tour d’ivoire ! Il a fallu que les mages nous partagent leur expÊrience pour que nous comprenions, tout à coup, les raisons de leur voyage : le dÊsir de rencontrer un sauveur, une espÊrance. En tout être que le hasard met sur notre route, il y a une espÊrance que nous cherchons, une grâce que nous frôlons. Le don que nous apporte une Êtoile dans notre vie n’est pas tant de voir quelque chose, mais d’être vus par quelqu’un et à travers ce regard, de voir toute chose diffÊrente.
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HĂŠrode, la peur
Quelle aberration ! ce pauvre roi HÊrode ridiculisÊ à la face du monde entier quand il avoue sa crainte devant un nouveaunÊ ! Il veut le faire disparaÎtre. La peur est toujours mauvaise conseillère ! S’il y eut ce jour-là tant d’enfants massacrÊs, tant de parents abÎmÊs pour toujours dans les larmes de leur cœur, c’est parce qu’un monarque s’est affolÊ à l’idÊe de perdre son trône‌ et la face‌ Notre sociÊtÊ impÊrialiste et technologique a peur d’un enfant. Qui  s’encombre  encore, de nos jours, d’une crèche et de santons ! On ne voit plus guère dans les foyers de petits JÊsus enveloppÊs de langes et ses parents près de lui. Qu’on y ajoute un bœuf et un âne, ou encore des oiseaux, des moutons comme dans la crèche de saint François, pourquoi pas ? Le drame, c’est que l’on oublie l’enfant. NoÍl, serait-ce la peur de l’enfant ? Pourtant, c’est lui dont l’Évangile affirme :  Un Sauveur vous est nÊ, vous le reconnaÎtrez à ceci : un enfant nouveau-nÊ couchÊ dans une mangeoire.  Dieu, loin de vouloir intimider l’homme, s’est fait le plus petit pour que personne ne se sente rejetÊ du fait de sa faiblesse. Un enfant nouveau-nÊ rassemble. Un petit enfant libère, il n’est pas agressif. Pourtant, dans notre sociÊtÊ oÚ l’on a tellement peur de la vie et de la mort, il a fallu que l’on perçoive en l’enfant une menace supplÊmentaire. Le jour oÚ nous nous mettrons debout et que nous reconnaÎtrons que l’enfant est un don de Dieu et que nous nous laisserons Êmouvoir par lui, remuer dans nos entrailles et notre vie ; acceptant que ce petit être compte autant pour nous, bien plus que la carrière, les loisirs‌ ce jour-là , notre sociÊtÊ sera fière d’être elle-
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 Que tout s’arrange 
même. Pouvoir apporter au monde, non pas la peur de l’enfant, mais le partage avec l’espÊrance de l’enfant comme nous y sommes appelÊs en cette nuit de NoÍl. Vive Dieu qui nous parle par les petits, vive les petits qui nous parlent de Dieu !
ÂŤ Vaut le dĂŠtour Âť
Les agents de voyage songèrent-ils jamais qu’ils pourraient avancer comme  argument publicitaire  l’Histoire sainte et tous les voyages qui y sont racontÊs ? Un vrai  catalogue  ! Depuis le grand dÊpart de notre père Abraham, l’exode organisÊ par Moïse jusqu’à cette merveilleuse Êpoque que nous rÊvèlent l’arrivÊe et la naissance de JÊsus, que d’ÊvÊnements se sont passÊs ! Par exemple, ce dÊpart  prÊcipitÊ  de Marie chez sa cousine Élisabeth. Pourquoi cette hâte ? Quand nous voyons quelqu’un de pressÊ, rempli d’une certaine inquiÊtude à l’idÊe de partir ou d’arriver, posons-nous toujours la question :  N’y a-t-il pas autre chose que le trajet qui le prÊoccupe ou le motive ?  Chaque voyage a sa part de mystère et si l’on pouvait lire dans les cœurs, que de fois on se tairait, on admirerait. Ou encore, cette  grande randonnÊe  qui pour ne pas être improvisÊe n’en fut pas moins dÊrangeante : quitter Nazareth, alors que l’on attend un enfant, pour aller se faire recenser à BethlÊem ! Marie et Joseph n’ont pas critiquÊ le gouvernement qui leur avait imposÊ ce dÊplacement. Ils ont reconnu que le Messie viendrait de Juda, comme le confirmeront les sages en IsraÍl, consultÊs par HÊrode. Entreprise plus raisonnable, en apparence bien prÊparÊe, mais combien pÊnible et douloureuse, Êtant donnÊ l’absence de place pour eux à l’arrivÊe sauf quelque pauvre crèche dans le fond d’une Êtable.  Passionnante excursion  pour ces bergers qui, au milieu de la nuit, sont tout à coup rÊveillÊs et doivent quitter leur campement provisoire pour aller plus loin, parce que des ambassadeurs extraterrestres — ces messagers de Dieu que sont les anges —
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 Que tout s’arrange 
viennent leur annoncer qu’il ne s’agit plus de dormir. La nouvelle est trop importante :  Un Sauveur vous est nÊ.  Il leur faudra aussi accomplir tout un cheminement en eux-mêmes pour dÊcouvrir ce Sauveur. Il n’est pas le Tout-Puissant attendu, mais bien l’infiniment petit, un nouveau-nÊ emmaillotÊ dans ses langes. Et puis, il y a cette  incroyable expÊdition  des Mages qui donna matière à tant de tableaux de maÎtres illustrant  l’Adoration . Ils ne sont pas souverains absolus. Ils tiennent de ces grands personnages d’Éthiopie qui Êtaient de petits seigneurs. Pour être chefs, ils n’en Êtaient pas moins vassaux d’un monarque surnommÊ le  roi des rois . Il a fallu, là encore, dÊcouvrir que les voyageurs ne sont pas seulement ceux qui partent de chez nous, mais aussi ceux qui viennent jusqu’à nous. Ces trois infatigables marcheurs marquèrent l’Histoire sainte de leur empreinte. Que ces explorations du monde tiennent des pèlerinages ou que ces pèlerinages tiennent d’explorations du monde, peu importe : ce qui est magnifique, c’est que la venue de JÊsus rassemble les hommes, abolit les frontières, fait Êclater les solitudes. Il nous force à aller plus loin dans ce chemin qui nous est prÊparÊ, celui de l’aventure oÚ Dieu nous parle et oÚ il n’a jamais fini de se rÊvÊler, parce qu’il nous aime. RentrÊs chez eux par  un autre chemin , les mages sont des hommes nouveaux. Ils ont dÊcouvert que Celui que l’Êtoile leur avait donnÊ de rencontrer Êtait dÊsormais à leurs côtÊs, en chacun de ces petits qui ont tant à nous dire, si nous nous attardons près d’eux.
CarĂŞme
Quoi de plus merveilleux, comme introduction au Carême, qu’un soleil printanier nous faisant goÝter aux joies d’un peu de chaleur retrouvÊe, de beaucoup de bourgeons, promesses de fleurs à venir ! Le vrai visage du Carême devrait être la bontÊ. Tous les exemples, les paraboles de l’Évangile, pourraient se rÊsumer en une formule très simple : rÊconciliez-vous, rÊconcilions-nous. C’est ce à quoi nous convie l’Église le mercredi des Cendres. Mais pourquoi pas l’interprÊtation de  rÊconciliez-vous , au sens de  choisissez d’aimer  ? Qu’en toute circonstance, l’amour soit premier ! L’amour à la suite du Christ qui nous a dit :  C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaÎtra que vous êtes de mes disciples.  L’amour est contradiction parce qu’il est dÊpassement infini de nous-mêmes. Certains diront même que ce mot est tellement beau qu’il ne faut pas le galvauder, l’abÎmer. PrivilÊgions un Carême oÚ la rÊconciliation se traduirait par le choix que nous faisons  d’être bons . Oui, nous dÊcidons d’être bons, pour nous retrouver dans nos diffÊrences, pour nous pardonner nos blessures et nos incohÊrences, pour entrer dans une relation plus vraie oÚ chacun est aimÊ et peut aimer. La bontÊ, c’est de croire en l’autre, l’accepter dans sa diffÊrence, reconnaÎtre qu’il a quelque chose à m’apporter. C’est l’accueillir à travers ce qu’il est, ce qu’il veut me donner. C’est un regard qui voit tout, ne juge pas, mais comprend. C’est une parole qui se veut sourire et Êchange, mais qui apprend peut-être d’abord à Êcouter.
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 Que tout s’arrange 
Être bon comme JÊsus l’a ÊtÊ en remettant le tentateur à sa place et en ne succombant pas aux belles formules, même si elles sont tirÊes de l’Écriture. Si chaque jour de notre Carême nous pouvions commencer la journÊe en souriant et la terminer en embrassant, c’est-à -dire en entrant dans le dialogue, l’Êcoute, l’acceptation de l’autre ! JÊsus, donne-nous d’être bons, six semaines seulement, après on verra ! Jusqu’à Pâques, avec toi, fais-moi monter dans cette dÊcouverte.
Bonjour saint Joseph
Tu connais les hommes. Tu les aimes. Tu es de leur race. Que n’inspires-tu de sages paroles à tous ces mÊnages en proie à la discorde, aux dissensions avec à la clÊ divorces, remariages, incomprÊhension, traumatismes d’enfants dÊchirÊs entre leurs parents‌ Tout cela, Joseph, tu le comprends d’autant mieux qu’un jour, tu t’es rendu compte qu’il y avait en Marie un enfant qui n’Êtait pas de toi ! Comme tu l’aimais, ta Marie ! Tu voulais tout faire pour elle. Pourtant, tu ne pouvais quand même pas accepter, même pour elle, que cette situation se prolonge. Alors, tu as dÊcidÊ hÊroïquement de te sÊparer d’elle. Mais que ce fut dur pour ton cœur d’homme amoureux ! car, s’il y en a un qui a bien ÊtÊ capable d’aimer, c’est toi ! Du reste, tu avais ÊtÊ choisi par Dieu pour cela. Alors, ne pourrais-tu pas aider ces hommes et femmes qui doivent tout à coup s’engager dans la vie de couple, sans avoir l’aide que pourtant l’Église souhaiterait leur apporter ? Ce que j’admire en toi, Joseph, c’est le sens de la vÊritÊ, de la rectitude. Lorsque tu dÊcidas de  rÊpudier  Marie, tu voulus le faire discrètement, par dÊlicatesse, car l’amour Êtait le plus fort. Vois-tu, dans tout cela, c’est ce qui t’a sauvÊ. Par crainte des jugements, des condamnations qui pouvaient la menacer, tu as prÊfÊrÊ la discrÊtion. C’est la plus belle forme de l’amour, dont parle l’Évangile, nous invitant à aimer, avec respect et tendresse. Alors, dans ces impasses pour les jeunes couples et leurs parents, devant l’engagement de leur amour, il faudrait toujours
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qu’il y ait ce tact qui les rende capables d’aimer, de s’aimer en respectant les autres, en se respectant eux-mêmes. C’est ce que je souhaite à chacun de ceux qui, dans la vie aujourd’hui, sont confrontÊs si souvent à de telles difficultÊs. Je veux croire que pour nous tous, tu es là , avec nous, Joseph, toi dont l’Écriture relate le drame d’amour le plus intime. Tu as acceptÊ d’en être dÊpossÊdÊ afin que tous ceux qui vivront un jour des situations semblables puissent y puiser la force et la paix.
Examen de passage !
Pâques signifie  passage . Nous vivons un vÊritable voyage, comme une transhumance, le jour oÚ nous passons de l’autre côtÊ,  sur l’autre rive . Ce qui prime, c’est bien ce que nous avons à vivre : être prêts pour le  grand dÊpart  et, comme le Seigneur,  sachant que son heure Êtait venue de passer de ce monde à son Père , poser les actes essentiels pour ne pas rater ce passage. Alors, nous dÊcouvrons que Pâques, au cœur de la vie chrÊtienne, est la fête nous conduisant, non pas de la terre au ciel, mais des rÊalitÊs les plus temporelles aux vÊritÊs les plus Êternelles. Ne nous ancrons pas dans nos sÊcuritÊs, dans de rigides traditions, nous qui sommes appelÊs à vivre autrement un  passage , à connaÎtre une  mÊtamorphose  (comme la chenille se transforme en papillon) : - celle de l’homme qui par son baptême devient enfant de Dieu ; - celle du pÊcheur qui dans le pardon devient l’être aimÊ, source de toute fête ; - celle du pain de l’autel, symbole de toutes les joies et peines de notre vie qui devient le corps du Christ et nous fait demeurer en lui ; - celle de l’angoisse et du poids de nos maladies qui deviennent offrande, communion et espÊrance ; - celle de l’homme et de la femme dans le consentement de leur amour qui traduit le mieux l’amour premier à Dieu ; - celle de la confirmation de notre baptême qui, grâce à l’Esprit Saint, nous apprend à vivre au rythme du cœur de Dieu ;
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- celle de l’homme appelÊ par Dieu pour être son prêtre, qui nous fait dÊsormais passer en Lui en se donnant aux autres. Tout cela, c’est Pâques, la fête du  passage  du Seigneur.
Pâques, la vie
Pâques, dÊcouverte des œufs dans le jardin et contemplation des fleurs sur les arbres. Pâques, une espÊrance, c’est le printemps qui s’annonce. Mais Pâques, la vraie fête des juifs et des chrÊtiens, oÚ est-elle ? C’est la fête de la vie, non pas celle contrôlÊe par les hommes, mais celle que Dieu nous donne. C’est la fête de l’espÊrance, non pas celle de nos limites, mais celle de nos potentialitÊs, parce que Pâques n’a rien à voir avec une œuvre humaine. Pour un chrÊtien, c’est la vÊritÊ fondamentale, celle que chaque dimanche il renouvelle, lors de l’eucharistie, oÚ la mort est cÊlÊbrÊe mais oÚ la vie est assurÊe. Cette fête dÊpasse l’entendement des hommes parce que cette fois-ci, Dieu est à son origine. Souvent on l’oublie. Le Père nous a envoyÊ son Fils pour nous sauver, le Fils est entrÊ dans sa Passion et dans sa mort pour accomplir cette œuvre de salut. C’est le mystère de la RÊsurrection oÚ la paix dans le cœur des hommes est donnÊe pour toujours. Pâques, c’est la fête que les hommes ne comprennent pas parce que comme mortels, on est dÊsarmÊs ; on ne peut qu’attendre, espÊrer, pleurer, supplier jusqu’au moment oÚ tout à coup, on est saisi par une main tendue, par un regard plein de bontÊ, par un cœur à cœur avec Dieu qui s’est tellement fait homme qu’Il appelle l’homme à entrer dans sa vie, à ne plus être sÊparÊ de Lui, mais à Lui être uni :  comme le Père et moi, nous sommes un , disait JÊsus. Il faut toutes les larmes des hommes de la terre pour pleurer la mort. Il faut toute l’espÊrance du cœur de Dieu pour donner la vie.
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Quand ils virent le tombeau vide, ils crurent. Nous croyons parfois que la foi, c’est l’amoncellement des preuves, des arguments, des certitudes. La foi, c’est un tombeau vide devant lequel on retrouve une prÊsence. Alors Pâques, c’est chaque fois que la nuditÊ du tombeau nous rÊvèle une absence. C’est chaque fois que nous sommes dÊçus mais que nous gardons notre espÊrance. Oui, il faut en convenir, Pâques, c’est quand Il n’est pas là et qu’on Le cherche. C’est quand Il est là et qu’on ne s’en rend pas compte, que tout à coup la rencontre se passe et c’est fait, JÊsus est là ! Pâques, c’est, au-delà des fleurs du printemps, la certitude des fruits de l’ÊtÊ.  Les uns sèment, d’autres rÊcolteront , a dit JÊsus.
Il est ressuscitĂŠ !
Pour tout croyant, s’en remettre à Dieu n’est guère dÊrangeant si l’on maintient Dieu à distance. S’en remettre à l’Église est par contre plus ardu mais combien purifiant ! Comment reconnaÎtre dans cet ensemble de pÊcheurs un plan divin, une dimension prophÊtique ? Et pourtant, s’il semble facile de croire en Dieu, s’il est presque impossible de croire en l’Église, c’est qu’il manque un chaÎnon dans le dialogue de notre foi. Les chrÊtiens ne se sont pas rÊvÊlÊs d’abord comme des croyants en Dieu, ni même comme des croyants en l’Église. Ils se sont prÊsentÊs comme ceux qui se fiaient à cet homme JÊsus,  Fils de Dieu , dont tous ont constatÊ l’arrestation, la passion, la mort et la rÊsurrection ! Tout le problème de notre engagement chrÊtien se situe à ce niveau. Le Dieu lointain prend corps en son Fils envoyÊ par amour pour nous sauver. L’Église, pÊcheresse, devient sainte parce que le plan de Dieu prend tout son sens dans la rÊsurrection de JÊsus. Il n’y a pas à discuter, car nul ne peut  comprendre , il y a à accepter. Cette vie au-delà de la mort de meure et dure toujours. JÊsus, vivant aujourd’hui ! JÊsus vainqueur de la mort, hier et demain ! JÊsus au cœur de toutes les questions des hommes ! C’est pour cela qu’Il a pu nous dire :  Je suis la rÊsurrection et la vie, celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra.  Pâques, c’est cela ! C’est proclamer que JÊsus est ressuscitÊ, Le chanter, Le laisser vivre en nous et dÊcouvrir que cette vie n’est pas un leurre, mais une chance d’accÊder à l’essentiel de la rÊalitÊ.
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C’est ainsi qu’à chaque mort, l’Église et tous les chrÊtiens cÊlèbrent ce dÊpart, proclament inlassablement qu’au-delà de la mort, il y a la vie, que du cœur de la mort jaillit la vie. Comme le Christ est mort et ressuscitÊ, ainsi chaque homme, à travers la mort, est appelÊ à vivre de cette vie nouvelle. Pâques prend alors tout son sens dans le quotidien. Ce n’est plus la fête du printemps, ni des crocus qui sortent du sol‌ La RÊsurrection de JÊsus qui ne peut pas être notre œuvre, donne un sens, un goÝt et une espÊrance à tout ce que nous entreprenons. C’est cela, la rÊalitÊ de Pâques au cœur de nos vies :  JÊsus ressuscitÊ !  Ma famille considÊrÊe avec un autre regard, ma communautÊ acceptÊe avec une autre foi, la terre que j’ai à exploiter, reconnue dans une autre dimension. La rÊsurrection, c’est toutes les choses de la terre qui prennent un sens, un goÝt du ciel. C’est aussi le ciel qui n’est pas ÊloignÊ de la terre, mais qui en jaillit, si nous ouvrons nos yeux, et surtout, notre cœur.
PentecĂ´te
En Êcoutant ce passage des Actes des Apôtres relatif à la descente du Saint-Esprit, j’ai ÊtÊ bouleversÊ par ces versets :  Et tout à coup, ils se mirent à parler et chacun entendait la langue de l’autre comme la sienne propre.  L’autre parlait, non pas une langue Êtrangère, mais sa propre langue. La diffÊrence s’estompait au profit d’une très grande communion. Les apôtres devenaient tÊmoins d’une Parole qu’ils ressentaient comme personnelle, propre à eux-mêmes. Dans ce monde oÚ il y a tant de difficultÊs à se parler et à se comprendre, il me semble que cette rÊvÊlation ÊvangÊlique est très importante. Bien souvent, nous voulons Êcouter l’autre avec une grande bontÊ, beaucoup de gentillesse et nous lui prêtons une oreille attentive et disponible. Mais en fait, nous Êcoutons l’autre s’exprimer dans sa propre langue et nous ne voulons pas bien le comprendre. Nous ne voulons pas assumer, faire nôtre ce qu’il nous apprend de lui. Tandis qu’ici, il nous est affirmÊ qu’ils entendaient la parole de l’autre comme leur propre langue‌ Il y a une assimilation, une communion, une fusion qui doit se faire si l’on veut être disponible pour rencontrer l’autre. Nous vivons dans une sociÊtÊ victime d’un manque d’Êchanges, de dialogue. En tÊmoigne une certaine surditÊ qui empêche vraiment d’être ouvert à l’autre. Or l’attention que l’on porte au prochain ne consiste pas à lui tendre une oreille condescendante, mais bien à s’ouvrir de telle sorte que sa parole puisse me toucher, me transformer, devenir mienne. Si je me dÊfends contre cette parole pour sauvegarder ce que je crois être ma vÊritÊ, ma raison, je ne l’entends pas de la bonne
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oreille. Je ne prête pas mon cœur à la vÊritable attention. Il est bien dit : ‌et chacun entendait la parole de l’autre rÊsonner en lui dans sa propre langue‌  Tout est là . Savoir que c’est la parole d’un autre ; reconnaÎtre aussi qu’elle a un accord fondamental, une harmonie, une vraie communion avec ma propre parole au point qu’elle n’est plus une parole Êtrangère, mais devient comme ma propre langue, mon vrai langage. C’est bien cela, le rôle de l’Esprit Saint : rassembler le monde, rassembler les peuples dans leur diversitÊ, et donner cette unitÊ et cette communion dont les hommes ont tant besoin.
V. Au fil des jours Derrière les barreaux
À la prison de Lantin, un vent de rÊvolte a soufflÊ dÊvastant trois Êtages d’un des bâtiments. Ce fut Êvidemment la panique, l’angoisse dans cette prison ultramoderne. Après que le calme fÝt revenu, il a fallu rÊintÊgrer dans d’autres cellules ou cachots les  mutins , ces hommes qui, à leur façon brutale et dÊplaisante, ont criÊ leur  ras-le-bol , leur dÊsespoir, leur solitude, leur dÊsœuvrement. Des milliers de chrÊtiens ont entendu cette nouvelle à la radio et se sont vite rÊconfortÊs en pensant que tout Êtait rentrÊ dans l’ordre, grâce à la brigade spÊciale de gendarmes envoyÊe sur place à cet effet. Ainsi soit-il. Nous estimons l’ordre. Nous apprÊcions d’être rassurÊs quand le dÊsordre pointe à l’horizon. Nous aimons à entendre dire que les choses sont arrangÊes. Pourtant — comme disciple de JÊsus, comme lecteur de sa vie à travers l’Évangile, les ÊpÎtres de saint Paul, les Êcrits inspirÊs et surtout, comme membre de cette Église qui (depuis deux mille ans) tâche de suivre le Christ tant bien que mal — chaque chrÊtien ne devrait-il pas se sentir du côtÊ des prisonniers parce que les plus seuls et les plus malheureux ? S’ils sont enfermÊs, c’est qu’ils sont probablement dangereux ! Mais la menace qu’ils reprÊsentent et qui les isole est-elle pour ceux qui sont à l’abri un appel à l’amour ou un motif de condamnation supplÊmentaire ? Si nous ne pouvons pas visiter ces hommes et ces femmes que la sociÊtÊ  doit  placer, n’avons-nous pas à laisser germer dans notre cœur à leur Êgard un sentiment, non pas de pitiÊ ou de mÊ-
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pris, mais de respect, de tendresse ? JÊsus a dit :  Ce prisonnier que vous êtes allÊs visiter, c’Êtait moi.  À dÊfaut d’aller les voir, ne devrions-nous pas au moins être avec eux, au sens de l’Évangile ? TÊmoin, cette grande malade immobilisÊe, blessÊe, qui, chaque matin, prie pour les prisonniers. Elle ne les connaÎt pas. Elle n’est pas de ce milieu, mais meurtrie dans son corps, dÊpendant en tout des autres ; elle comprend la dÊtresse de ceux qui ont un cœur brisÊ, ignorÊ et mÊconnu des autres. Que Lantin, ou quelque univers carcÊral que ce soit au monde, Êveille en nous le sentiment de notre communion avec ces hommes et ces femmes qui sont de notre race, parfois de notre famille, mais en tout cas‌ de notre cœur.
Le poids des mots‌
Il est des personnes qui parlent bien, d’autres beaucoup‌ certaines même de trop ! De fait, la parole est un don, mais toute mÊdaille a son revers. On dÊsirerait parfois que ces gens loquaces, prolixes, voire hâbleurs, sachent aussi se taire. Qu’ils apprennent dans le silence à prendre du temps pour donner raison aux autres, sans vouloir toujours avoir le dernier mot ! Que faut-il conseiller à ces bavards impÊnitents auxquels on ne veut pas adresser de grands reproches, sinon celui de risquer de nous faire perdre du temps ou, en tout cas, d’en accaparer trop, de trop se centrer sur eux-mêmes, alors que ce temps est confiÊ par Dieu aux hommes pour ne rien en perdre ? Que l’on aimerait ces personnes plus attentives à Êcouter leur prochain et n’ayant pas toujours rÊponse à tout ! Il en est d’autres trop taiseuses. On apprÊcierait d’entendre leur jugement, de les voir entrer dans le cercle d’amis et, qu’à leur tour, même maladroitement peut-être, elles prennent part à la conversation et se rÊvèlent aux autres, au-delà des apparences. Il est des eaux dormantes pleines de richesses. Que l’on goÝterait de les voir s’extÊrioriser et s’Êpanouir afin de livrer leurs trÊsors cachÊs ! Que l’on voudrait partager leurs confidences et nous laisser former par tout ce qu’elles ont appris dans le calme ! Je songe à cette mère de famille nombreuse, Êpouse adulÊe par son mari et ses enfants qui, du jour au lendemain, à soixante-deux ans, se rÊveilla paralysÊe et aphasique. Depuis, neuf ans ont passÊ, elle a rÊcupÊrÊ sa motricitÊ, mais le même silence règne toujours sauf dans ses beaux yeux si expressifs, dans son
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sourire irrÊsistible. Son mari s’est mis à faire les courses, à accomplir avec elle toutes les tâches du mÊnage. Leur couple merveilleux, qui avait chantÊ l’amour et la joie d’être heureux, continue aujourd’hui, sur un autre mode, à louer les merveilles de Dieu. Quand je pense à son silence, je me sens gênÊ ! Quand je pense à leur amour, à leur communion de tendresse, je me sens portÊ. Merci à ceux qui savent accepter de se taire et à ceux qui parlent à bon escient pour que, dans ces deux cas, la parole de Dieu puisse par eux se rÊpandre sur la terre !
S.O.S dĂŠcibels !
Souvent, dans l’Écriture, on prÊsente la prière ainsi :  Seigneur, Êcoute le cri de ma prière.  Pourtant, si souvent dans la vie, les hommes  disent leurs prières  sans conviction‌ Il est pourtant une prière qui tient du cri le plus dÊchirant qui soit au monde, c’est la prière de celui qui avait Êcrit, avant le geste fatal :  Mon Christ, j’en ai marre, je viens vers toi !  Oui, la prière de ceux qui se suicidèrent, qui dÊcidèrent de mettre un terme à leur vie, parce qu’ils se sentaient trop seuls, qu’ils souffraient trop, que plus rien ici-bas ne leur paraissait envisageable, est celle-là . Le vagissement du nouveau-nÊ manifeste la vie, mais le hurlement du dÊsespÊrÊ tÊmoigne aussi de la vie. L’un est bruyant et spontanÊ. L’autre est intÊrieur, mais appelle la libÊration. Parfois, lors de la messe, on entend des enfants hurler, et c’est lourd à porter pour le cÊlÊbrant, pour les fidèles essayant de se recueillir. Si nous Êtions davantage tendus vers Dieu, peut-être que le cri de ces bambins retrouverait en nous ce cri fondamental et pour la vie, et pour l’amour. L’autre jour, un prêtre, au cours de l’eucharistie, a demandÊ à une maman de reprendre son enfant parce qu’il criait et que lui ne pouvait plus parler. N’est-ce pas plutôt au prêtre à se taire pour qu’ensemble nous entendions dans le cri de l’enfant, et le cri de l’homme, et le cri de Dieu ? Si tous ceux qui ont perdu un être cher d’une façon brutale, inexplicable, pouvaient comprendre que ce dÊpart est un grand cri qui interpelle notre sociÊtÊ et le monde entier‌ Un homme qui abdique sa vie, c’est l’humanitÊ entière qui a mal. Alors, te-
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nons-nous autour de ceux qui souffrent, non pas avec la fausse pitiÊ, ni dans la fuite, mais dans la vÊritÊ de la rencontre qui a mal, accepte, espère. Que son cri pÊnètre en moi, me fasse mal, mais devienne aussi pour moi libÊration. Seigneur, apprends-nous à être attentifs aux cris pour la vie !
S’Êveiller à Dieu, en Dieu
C’est le matin ! Depuis quelques minutes dÊjà , au saut du lit, s’opère lentement la prise de conscience ; dans le brouhaha d’un sommeil qui s’Êtire, l’âme se rÊveille. Comment se dÊroulera cette journÊe ? Qui le dira ? Il n’y a qu’à se jeter dans les bras de Celui qui nous aime jour et nuit, de toute ÊternitÊ, pour bien commencer sa journÊe. S’extirper des bras de MorphÊe en sachant que nous sommes aimÊs, portÊs, attendus, que chacun de nos pas, que chacun de nos gestes, regards, pensÊes même, ne Le laisse pas indiffÊrent. Je pensais à me lever machinalement, et voilà que tout à coup je rÊalise que je suis pleinement en Dieu, que c’est lui qui se prÊoccupe de moi, bien plus que moi de lui. Il me faudra du temps tout à l’heure pour que, dans ma prière, je me retrouve face à lui. Lui, Il est depuis si longtemps près de moi, en moi. L’aube reste pour beaucoup un moment de souffrance. On quitte un peu le cocon maternel de la nuit pour entrer dans la rÊalitÊ et l’austÊritÊ du jour oÚ la lutte, les combats, les souffrances, la solitude nous attendent. Mais l’amour de Dieu est le plus fort. Au-delà de cette journÊe qui dÊbute, il y a la nuit oÚ l’on dort, oÚ Il veille.  Tandis que je dors, mon cœur veille , chante le psaume. Oui, la nuit de l’homme, c’est la veille de Dieu. Alors, que ce jour qui s’Êveille continue cette communion avec Lui !
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Rubrique nÊcrologique‌
Quand il m’arrive de repenser à des amis qui ne sont plus de ce monde, il me vient souvent à l’esprit cette vÊritÊ :  La mort, ça n’existe pas.  Comparaison n’est pas raison, mais il y a bien une chan son qui prÊtend que la solitude, ça n’existe pas. Or, quand on a partagÊ quelque peu la vie des hommes, on serait tentÊ de voir dans l’isolement la plus grande tragÊdie. La solitude, on n’en meurt pas toujours, mais elle nous dÊtruit à petit feu. La disparition d’un proche, ou la sienne propre, on peut l’envisager sous un angle autre qu’uniquement sentimental ! Une phrase de l’Évangile a vaincu la mort. C’est lorsque JÊsus affirme :  Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ,  Celui qui mange mon corps et boit mon sang aura la vie Êternelle . La mort correspondrait-elle donc à une illusion et la vie qui demeure serait-elle la rÊalitÊ ? Oui, et dans cet esprit, nous ne devons pas regarder la mort comme un terme, un gouffre, un silence Êternel. La mort, c’est une autre façon de vivre, c’est un passage en Dieu oÚ tout devient lumineux. Mais il y a toujours la foi qui nous est demandÊe, alors que le contact, le regard, la prÊsence nous sont refusÊs. Le père Toussaint affirmait que la mort est un mot païen. Il prÊfère parler de JÊsus venant, de Dieu rappelant à lui celle ou celui qu’il aime. Dans ce contexte, la mort n’apparaÎt plus seulement comme une terrible ÊchÊance à laquelle nul ne peut se soustraire‌ mais surtout comme une rencontre en vÊritÊ oÚ chacun à son tour peut enfin se sentir reconnu, aimÊ.
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AppelÊs par Dieu, saisis par JÊsus Christ, nous ne sommes plus les Êchecs de la condition humaine, nous en devenons les pionniers, les aventuriers convaincus que tout est possible à Dieu, que rien ne doit lui être refusÊ. La mort, c’est finalement le  oui  que l’on prononce toujours, le consentement total fait d’amour, de tendresse et de partage inÊpuisable. Une formule de l’Évangile le rÊsume très bien :  Venez les bÊnis de mon Père.  Chacun à son tour est bÊni et chacun à sa façon entre dans le cœur et l’intimitÊ du Père. Vive Dieu qui, à travers la mort, fait de nous ses enfants vivants pour toujours !
Le rĂŞve de Dieu
Nous sommes parfois tristes de ne pas voir nos rêves se rÊaliser ! Nous vivons souvent l’impression d’un Êchec parce que nous avions rêvÊ que‌, nous avions pensÊ que‌ Cependant, quand nous y rÊflÊchissons, force nous est de constater alors que bien souvent nous avions voulu mettre notre projet, notre idÊe, notre inspiration en premier. Tout homme est ainsi fait, il joue la carte de l’indÊpendance, et ce rêve commence dès l’enfance. Il se poursuit chez l’adulte dÊsirant que ses rejetons voient en lui un modèle. De tels rêves, tous les hommes en connurent. Ne devrions-nous pas voir la vie autrement et partir de notre petite enfance, de cette vÊritÊ première que c’est Dieu qui a des projets sur nous, que c’est Dieu qui souhaite que nous puissions être heureux comme Lui. Alors nos rêves n’Êtant plus axÊs sur nos aspirations un peu naïves, car trop centrÊes sur nous-mêmes, prendraient une dimension d’espÊrance et d’audace infinie. Que de fois nous sommes-nous attachÊs à des babioles alors que nous sommes pressentis pour des richesses bien plus importantes ! Que de fois nous gaspillons du temps en lectures futiles ou vaines ! ActivitÊ nous racornissant le cœur, le privant du souffle et de l’air dont il a besoin ! Tout compte dans le rêve d’un enfant, mais tout est douloureux dans la dÊception d’un adulte. Et si, l’un comme l’autre, nous vivions dans un monde oÚ l’essentiel est de savoir qu’il y a Quelqu’un qui nous aime, qu’Il nous veut du bien, nous protège et nous guide ? Que la vie serait belle si, au lever du matin, au lieu de peser le poids de nos fatigues, nous nous laissions regarder
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par Dieu, tout simplement. Si nous commencions la journÊe dans ses bras, près de son Cœur envoyÊ sur cette terre pour donner du bonheur et sachant très bien que tout vient de Lui ? Qu’elle serait belle, alors, notre vie si nos rêves Êmanaient de Dieu !
DĂŠforestation
C’est Êtonnant ! Il a fallu que soudain la nature se rÊveille, ou plutôt nous rÊveille, pour nous rappeler à l’Êvidence que, même si l’homme est bien malin, il ne peut pas tout vouloir ni tout rÊgler selon ses idÊes, ses goÝts, ses aspirations. Et en voilà pour preuve cet ouragan qui balaya l’Europe fin 1999, tempête que l’on n’avait jamais connue aussi violente, aussi longue, aussi mortelle. Et voilà qu’en plus des morts d’hommes, il y eut l’incalculable dÊvastation des arbres brisÊs, dÊracinÊs. Les arbres sont de si fidèles compagnons de l’homme. Nous avons redÊcouvert leur prÊsence, leur beautÊ, leur danger. Ils sont nÊcessaires pour que nous vivions et respirions, leurs frondaisons nous protÊgeant des ardeurs du soleil. Mais ils sont aussi, en de certaines circonstances, de dangereux voisins, des ennemis potentiels. Y avionsnous songÊ ? Un arbre dans une forêt ressemble à un pilier de cathÊdrale. Dans un jardin, il semble avoir ÊtÊ mis là pour nous apporter sa beautÊ, sa croissance, son ombre, ses couleurs et toute l’espÊrance d’un passÊ qui sans cesse recommence. Alors, de cette tempête et de toutes ses consÊquences, n’y a-t-il pas quelque enseignement à tirer ? L’homme se croit le maÎtre : la nature a encore beaucoup à lui apprendre. L’homme pense pouvoir tout diriger : et voilà que tout à coup il se retrouve bien petit, bien dÊpendant. Il y a la joie de planter un arbre. Il y a parfois la peine à le couper, mais cette perspective vaut mieux que de courir le risque de le voir tomber en provoquant des dÊgâts. Il y a là autre chose qu’une beautÊ ÊphÊmère. L’homme a besoin de tout un climat d’espÊrance, d’amitiÊ, de complicitÊ, d’harmonie pour pouvoir s’Êpanouir, les arbres aussi. Quand le vent souffle en tor-
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nade, l’homme doit savoir qu’il est petit, faible sans doute, mais aussi roi de cet univers qui, sans lui, n’aurait pas de sens. Alors un arbre tombÊ, même dans l’absence du bruissement de ses feuilles, parle encore. Il retrouve le chemin de notre âme, face à tous ces ÊlÊments dÊchaÎnÊs. En ce moment, je songe à ma mère qui aimait, au cours des nuits d’orage, sortir de son armoire un cierge bÊni le jour de la Chandeleur. Elle y trouvait paix, rÊconfort et douceur. Elle croyait que Dieu veillait sur elle ; elle se sentait toute rassurÊe. Nous la taquinions, nous l’enviions‌
Interlude
S’il est une pÊriode de l’annÊe attendue par beaucoup d’entre nous, c’est bien celle des  vacances . Que seront-elles, ces huit ou dix semaines passÊes loin du foyer ? Une joie d’abord : pour celui qui part, mais pas pour celui qui reste, faute de moyens‌ Une dÊsillusion parfois : on n’a pas les vacances dont on rêve, mais celles que l’on trouve. On pensait se dorer au soleil et voilà qu’il pleut. On espÊrait un peu de fraÎcheur et voilà qu’on Êtouffe‌ OÚ sont nos rêves d’enfant, oÚ sont nos projets d’antan ? Les vacances restent pour beaucoup d’entre nous bien plus belles peut-être dans leurs souvenirs que sur les photos de l’album. Cet ensemble de considÊrations nous amène à regar der dans leur vrai sens ce que seront les vacances. Avant tout, un temps d’accueil, d’Êchanges, de dÊcouverte et surtout d’Êmerveillement devant les diffÊrences. Les vraies vacances demandent un dÊpaysement que l’on peut vivre à vingt kilomètres de chez soi. Toute rencontre exige que l’on soit capable de se quitter, de se libÊrer du carcan de ses habitudes. Dans une seigneurie, une dame d’un âge certain peut vivre un temps de vacances. Vivre quinze jours de vacances avec un autre horaire, même dans un autre cadre, pourquoi pas ? Les vacances doivent toujours être aurÊolÊes de quelque esprit d’aventure nous donnant de croire que, quel que soit notre âge, on peut encore oser partir. Les vrais dÊparts  ne s’encombrent pas  de valises ou d’horaires, ils existent à chaque fois que je suis disponible, que j’accepte d’être dÊrangÊ, d’être emmenÊ. Alors, laissons cette expÊrience
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se manifester par un esprit d’enchantement oÚ l’on cueille les fruits des vacances comme les pommes dans un verger à l’automne. Il y a tant de choses belles que l’on peut rapporter. On profite du soleil non comme anticipation d’une privation que l’on va, au cours de l’annÊe, comptabiliser, mais comme sursaut d’Ênergie qui nous Êclairera, nous soutiendra jusqu’en hiver. Ainsi, et c’est important, les vacances deviennent un temps oÚ l’on se retrouve soi-même. Au contact de ce qui change, on explore, on se voit tout autre. Il faut rentrer en soi-même pour dÊcouvrir ce que, par les vacances, nous sommes capables d’être, bien au-delà des apparences. Puisse ce temps être Êgalement celui de lectures saines, enrichissantes ! Chacun devrait partir en vacances avec un livre qui ouvre son cœur à une vision plus large sur le monde, qui aide l’homme à rÊaliser qu’il y a plus en lui qu’il ne le pense. Telle biographie de saint ou d’homme illustre constitue un prÊcieux atout dans cette quête du bonheur. Il est essentiel de vivre cette expÊrience, celle d’un monde oÚ le plus beau est cachÊ, oÚ le meilleur est partagÊ. Partez alors à la chasse aux trÊsors, mais n’oubliez pas qu’il y a plus en votre cœur que dans l’accessoire qui vous sera prÊsentÊ. RÊussir ses vacances, c’est donc — si l’on peut dire — mettre les battements de son cœur au diapason de celui des autres et c’est alors que l’on goÝte le mieux la tendresse du cœur de Dieu, lui que la vision de ses enfants heureux emplit de joie.
Bas les masques !
Elle a vingt ans. Il n’y a pas longtemps qu’elle a quittÊ l’Êcole, le lycÊe. L’occasion se prÊsente pour elle de suivre des cours de sciences religieuses. A-t-elle vraiment choisi et voulu cela ? Elle l’ignore. Mais elle se retrouve tout à coup devant un monde qu’elle ne connaissait pas, dont tout lui Êchappe. Elle Êcoute. Elle est avide d’apprendre. Elle avoue à son père :  Dommage tout de même qu’on ne m’ait pas enseignÊ tout cela durant mes humanitÊs. Qu’est-ce qu’on a pu perdre son temps au cours de religion !  C’est vrai‌ Nos jeunes contemporains sont ainsi privÊs d’un bagage essentiel dont ils ont pourtant un urgent besoin. Qui donc va le leur dispenser ? Ils sont lÊgion, ces jeunes qui ne savent pas. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir voulu leur partager cet ensemble de traditions et de convictions, mais le contact, la relation n’ont pu être Êtablis. Les professeurs ont abandonnÊ, parfois dÊprimÊs, les lacunes demeurent‌ Cette histoire au plan scolaire est celle de tous les jours, en tout cas de chaque dimanche dans nos eucharisties qui rassemblent notre peuple de pratiquants. Que signifie  être croyant  ? Pourquoi aller à la messe chaque dimanche ? Que veut dire suivre JÊsus Christ ? Devant ce vide, ce silence, cette absence, s’imposent les questions :  Que faire ? que rÊpondre ? dans quel sens agir ? pourquoi ne pas oser ?  Comment les hommes pourraient-ils croire que Dieu les aime s’ils n’ont pas ÊtÊ aimÊs par leurs semblables ? Comment pourraient-ils lire et interprÊter l’Écriture si elle ne leur a pas ÊtÊ expliquÊe ? Comment pourraient-ils entrer dans
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cette culture et cette dimension si diffÊrentes, si personne n’a ÊtÊ à leurs côtÊs pour leur faciliter le passage ? Oui, nous avons vraiment à dÊcouvrir un monde nouveau, celui oÚ sans rejet, tout simplement par ignorance, par oubli, par lassitude, par choix inconscient, par fatigue, toute une vÊritÊ de la foi et de l’Église s’en est allÊe au grÊ des flots, emportÊe comme les pierres d’un torrent, comme la terre fertile d’un champ dÊvastÊ. Comment exprimer aux hommes d’aujourd’hui cette vÊritÊ que Dieu les aime ? Comment leur parler de l’Écriture qui leur paraÎt Êcrite en un langage abscons ? Comment entrer en relation avec eux sans être Êmu de leurs blessures, conscient de leurs souffrances, heureux de leurs joies profondes ? Église, rÊveille-toi pour nous apprendre à rencontrer JÊsus. ChrÊtiens, bas les masques, et parlez-nous de ce que vous savez de Lui. Frère athÊe, n’aie pas peur de nous partager ta peine de ne pas croire, ton attente de trouver chez nous une rÊponse à tes questions. Merci, Seigneur, de nous Êclairer !
Vocation canon !
Marie-ThÊrèse, à mesure qu’elle grandit et vieillit, nous rÊvèle d’inÊpuisables trÊsors de sagesse. Elle a de ces formules lapidaires très Êclairantes :  Si on n’est pas un peu curieux, on n’apprendra jamais rien.  Cette phrase de Marie-ThÊrèse prend place dans ma rÊflexion. Nous fêtons les saints non seulement à l’occasion de la Toussaint, mais encore tous les jours. Comme j’aimerais savoir ce qui les a rendus saints et ce qui, hÊlas, m’empêche d’atteindre leur idÊal ! Je voudrais, comme Marie-ThÊrèse nous le suggère, être assez curieux pour connaÎtre ce qui, dans la vie des saints, a d’abord dÝ être un obstacle et puis lentement, à travers une certaine purification, est devenu un moyen pour que Dieu seul ait toute la place. Je songe à toutes ces compensations qui, bien souvent, se lÊgitiment à nos yeux Êtant donnÊ l’Êtat de fatigue, de surcharge, de dÊcouragement ou de dÊpression oÚ nous sommes. Elles freinent, peut-être à notre insu, le geste dÊcisif ou nous empêchent d’aimer jusqu’au bout. Lors d’une rencontre de l’Arche, un assistant me con fiait qu’il n’avait pas dÎnÊ la veille. Devant mon Êtonnement et la crainte d’un dÊbut de maladie, il m’a simplement rÊpondu :  Non, j’Êtais trop agressif, alors j’ai jeÝnÊ.  Dernièrement, je relisais la lettre d’un jeune enthousiasmÊ par la venue du Pape, mais aussi ÊnervÊ de ce que la police l’empêchait de prendre des photos. DÊçu, il Êtait prêt à quitter le rassemblement quand, tout à coup, il voit une femme accompagnÊe de ses enfants et leur cède sa place. Et d’ajouter :  Je me suis rÊconciliÊ parce que j’ai partagÊ‌ 
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Finalement, il y a bien des moments dans la journÊe oÚ, recroquevillÊs sur nous-mêmes, nous n’osons pas faire confiance en acceptant de nous dÊ passer. Nous nous accrochons trop souvent à nos petites drogues (peu importe le nom, chacun de nous les connaÎt). Elles nous confortent dans nos certitudes, alors que la saintetÊ suppose toujours une remise en question. Face à la tension que je traverse, je compense en mangeant, en buvant ou en fumant. Oh ! loin de nous l’idÊe de juger qui que ce soit, mais reconnaissons que souvent nous usons, et parfois même abusons, de ces moyens pour nous soustraire à nos obligations de chrÊtien ! En outre, ne tombons pas dans le travers de limiter notre champ de connaissance aux actualitÊs tÊlÊvisÊes, à la lecture de romans ou à l’exercice de la rêverie. Bref, ne ratons pas une occasion d’être un peu curieux de Dieu ! Il a tant à nous dire !
Pardonner ?
On entend de bons chrÊtiens affirmer très honnêtement :  Je pardonne, mais je n’oublie pas.  Le pardon ne vient pas du cœur de l’homme. On pourrait presque dire que l’homme y est allergique, car le pardon va tellement à l’encontre de son dÊsir de puissance, de ses rêves de domination, de ses angoisses, de sa peur. Le pardon est comme une faiblesse dans notre système. Face à l’agression, à l’ennemi, à l’injustice, à toutes ces atteintes au droit et à la vÊritÊ, il semble que seuls la justice, le code des lois et une certaine rigiditÊ soient finalement garants de la vÊritÊ. Le pardon ne vient pas du cœur de l’homme, mais du cœur de Dieu. L’unique chose que l’homme puisse faire, c’est demander pardon, demander la grâce d’avoir vraiment au fond de son cœur une attitude, non pas d’oubli, mais d’amour pour qui l’a blessÊ. Retrouver un dialogue là oÚ il n’y a souvent plus que dÊfense, opposition, procÊdure. L’homme crie vers Dieu, car Lui seul peut donner cette assurance de pardon et de paix. Sans cette ÊventualitÊ, l’homme reste dÊmuni. TÊmoins, tous ceux qui vÊcurent des situations très douloureuses et pour lesquelles ils n’osèrent pas implorer le pardon et se crurent même indignes de cette grâce. Le pardon vient du cœur de Dieu. Avant même que l’homme ne soit crÊÊ, le pardon existait en Dieu. Le pardon a ce je ne sais quoi de plus inouï qu’on ne le pense, qui va au-delà de toute attente humaine. Quelle liesse dans le cœur du père au retour de l’enfant prodigue ! Joie s’exprimant bien davantage par le silence, rÊvÊlÊe par les gestes mêmes du vieillard : il l’attendait, le regar-
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dait ; il a couru, l’a embrassÊ, lui a fait la fête. Voilà le langage du pardon. Or, les hommes rancuniers sont très loin de cette fête. C’est pourquoi nous devons prier les uns pour les autres, parce que nous avons tous entre nous des blessures qui demandent le pardon. C’est là le seul vrai pouvoir de l’homme : demander pardon. Si chacun reste sur ses positions, voulant avoir raison, l’abcès s’installe et la solitude s’approfondit. Le pardon, c’est vraiment le cri de l’homme vers Dieu. Le cri de Dieu vers l’homme. L’un demande, l’autre attend et rÊpond. Le pardon, c’est le commencement du dialogue, c’est l’ouverture, c’est l’espÊrance. Seigneur, apprends-moi à demander pardon, à le rechercher, à le recevoir, à le partager, à le donner ! JÊsus assimile toujours le pardon à une relation avec son Père. Dieu ne peut pardonner si l’homme ne le lui demande pas, si l’homme ne reconnaÎt pas, à sa façon, qu’il est dÊpendant du pardon  de Dieu. Alors, il nous faut entrer dans ce pardon avec une âme neuve, un cœur nouveau capable de croire qu’à chaque fois que l’on pardonne, Dieu crÊe, aime et sauve.
Il n’y a plus de jeunesse !
Qu’il Êtait bon, dans l’ancien temps, de donner cours à des enfants qui s’avançaient en rang, dociles, sages et obÊissants ! Ils Êtaient comme ces beaux parterres de fleurs dans des jardins ratissÊs, ordonnÊs, protÊgÊs ! Qu’il est bon, aujourd’hui, mais aussi dÊpaysant et bouleversant, de passer une journÊe avec des enfants en ce dÊbut de siècle‌ Ceux d’aujourd’hui, comme on dit, il ne faut pas attendre longtemps pour savoir ce qu’ils pensent et s’apercevoir que bien des paroles ne les touchent plus guère, car ils vivent dans un perpÊtuel va-et-vient d’Êchanges et de pensÊes, inÊpuisablement exprimÊes, et qui souvent se cherchent plus qu’elles ne se disent.  Ces enfants d’aujourd’hui  doivent entrer dans notre vie telles ces fleurs de montagne, de terrain vague, de bas-côtÊs des autoroutes, qui poussent malgrÊ tout à travers la pierraille et ne sont nullement le signe de soins attentifs, mais bien la preuve que la vie est plus forte et qu’elle les pousse à grandir partout. Je pense aux efforts inimaginables que doivent faire pa rents et Êducateurs pour aimer les enfants comme ils sont, pour entrer dans leur cœur et leurs pensÊes sans être dÊçus, ni critiques, ni amers. Toujours être de ceux qui espèrent‌ Ainsi un jour, lors d’une rÊcollection. Tant bien que mal, la journÊe s’est dÊroulÊe‌ À seize heures, c’Êtait terminÊ. Bilan : un carreau cassÊ‌  L’assurance paiera ! ‌ et un carrelage bien souillÊ par la boue du terrain de football. Alors l’un des garçons, spontanÊment, propose de nettoyer. Et d’ajou ter :  Ce sera tou-
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jours autant de gagnÊ pour les Sœurs, car elles doivent avoir beaucoup de travail dans cette grande maison.  La rÊcollection a ÊtÊ très bonne. Pour une messe qui n’a pas ÊtÊ dite, pour une prière non exempte de fous rires et de distractions, il y a ce joyau, ce signe merveilleux de penser aux autres jusque dans l’accomplissement des tâches les plus humbles‌
ÂŤ Hospitalo-hospitalier Âť
Bien souvent, nous pensons aux malades et prions à leur intention ! Que de fois nous nous sentons proches d’eux par la pensÊe ! Mais, pensons-nous assez à tous ceux qui les soignent, veillent sur eux, les aident, souffrent par eux et pour eux ? Il y a tant de dÊtresses ! Tous ces visiteurs qui quatre, cinq fois par jour franchissent le portail de la clinique et portent jour et nuit dans leur cœur les malades qui n’en peuvent plus et les regardent avec tant d’espÊrance. Le sourire d’une infirmière, la sÊcuritÊ d’un kinÊsithÊrapeute, la parole gentille de la petite dame apportant le dÎner‌ rÊconfortent tant celui qui est fatiguÊ de lutter ! Il est bon de se rendre compte que la souffrance qui prend visage de maladie peut devenir temps et lieu de communion ! Il n’y a pas de puissants qui se penchent vers les faibles, il n’y a pas de gens valides qui s’occupent de malades. Qui ne se sent fragile devant la maladie qui empêche même de parler et de crier ? Il y a communion de vie, d’amour à protÊger, à partager. S’il est un lieu oÚ Dieu est prÊsent, c’est bien dans les hôpitaux et les cliniques. S’il est un lieu oÚ l’Église est vivante, c’est bien dans ce microcosme oÚ petits et grands sont rassemblÊs dans une même souffrance, dans une même dÊsespÊrance. Alors, il y a le sourire d’un enfant qui tout à coup redonne courage. Il y a le geste dÊlicat du visiteur qui fait jaillir la confiance. Tout cela nous est donnÊ et vient comme un sourire de Dieu, qui se veut proche des hommes jusqu’à la fin du monde. Le rendez-vous d’une chambre de clinique ne sera jamais manquÊ si nous sommes sÝrs d’y retrouver Celui qui nous at-
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tend. Il n’est pas garanti que nous le sachions en entrant, mais, en partant, nous serons comblÊs de ce que nous aurons reçu.
Rwanda
En 1994, par le biais du journal tÊlÊvisÊ et de son cortège d’images combien prenantes et Êmotionnantes, nous avons vÊcu le drame de la guerre. Certes, il y a ces  rapatriÊs  dont le sort nous Êmeut, mais il y a aussi ces milliers de frères et sœurs assassinÊs‌ Impossible de les oublier. Qui pourra jamais comprendre le mystère d’une telle souffrance ? Com ment peut-on en venir à s’entre-tuer de la sorte s’il n’y avait pas au cœur de tout homme une volontÊ attisant ce qu’il y a en lui de dur, de mÊchant, de cruel ? Ce que l’on apprend — via le petit Êcran ou les articles de la presse — des massacres qui eurent lieu là -bas confirme cette grande faiblesse dans le cœur de l’homme. Ne jugeons pas, ne condamnons pas trop vite, mais tentons plutôt une introspection. Si mon bien, mes droits ou mes intÊrêts venaient à être menacÊs, n’y aurait-il pas en moi une haine telle que je sois amenÊ à tuer‌ pour ne pas être tuÊ ; que je sois trop violent, de peur que l’autre prenne le dessus ? Rarement comme en ces jours-là j’ai rÊalisÊ qu’il fallait vraiment la grâce de Dieu, au-delà même des sacrements — ou à travers eux, si nous les pratiquions mieux — pour arriver à aimer. Seul JÊsus peut nous donner cette force. Seul JÊsus peut m’apprendre à aimer. Seul JÊsus peut me rÊvÊler l’amour du prochain. Mais il a payÊ le prix, lui aussi. Quel sang ! Dans quelle dÊtresse n’est-il pas tombÊ ? Nous comprenons pourquoi JÊsus est mort sur la croix, pourquoi il a fallu du sang pour sauver le monde, pourquoi à chaque messe on ne parle plus de vin, mais du sang du Christ. Le sang de Dieu est appelÊ par le sang des hommes. Le pardon de Dieu est appelÊ par le pÊchÊ des hommes. Saint Jean nous le dit :  Mes
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petits enfants, je vous Êcris pour que vous Êvitiez le pÊchÊ, mais si l’un de vous vient à pÊcher, nous avons un dÊfenseur devant le Père, JÊsus Christ. Il est la victime offerte pour nos pÊchÊs. Et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier.  Oui, avant d’ergoter sur les dÊfauts du prochain, avant de vouloir un monde plus juste, reconnaissons-nous tellement pÊcheurs qu’il n’y a que le sang du Christ pour nous laver de nos fautes. Nous pourrons alors regarder la tÊlÊvision et supporter le poids intolÊrable des visions dantesques du Rwanda et de tout conflit, oÚ qu’il Êclate‌ Tant de pÊchÊ à l’origine de tant de sang, tant de sang à la source de tant d’amour. Ne demandons pas seulement à Dieu de leur apporter la paix, mais soyons-en les instruments, là oÚ nous sommes : dans notre famille, dans notre patrie oÚ, si nous n’y prenons pas garde, la zizanie pourrait s’installer. Soyons vigilants pour ne pas laisser grandir en nous ce dÊmon de la haine, de l’injustice. Sauvons ce monde en aimant plus ! Alors, que ces morts du Rwanda soient le ciment de la reconstruction d’un nouveau pays, d’un nouveau peuple. Ils en ont tellement besoin ! Et nous aussi !
Casques bleus
Ils sont sortis ce jour-là pour escorter une personnalitÊ rwandaise. Ils Êtaient là comme des paras, mais bien davantage comme les tÊmoins de la vÊritÊ et de la justice. Et c’est ainsi qu’ils sont tombÊs, privÊs de leurs armes, pour la justice et la vÊritÊ. L’avenir dira la grandeur de leur geste. Aujourd’hui, notre pays, bouleversÊ par le choc de leur fin et la douleur au cœur de leurs familles, s’incline avec respect et admiration devant ces hommes. Ils Êtaient les tÊmoins d’une force qui se voulait pacifique. Ils sont morts pour dÊ fendre la vie avec d’autres armes que celles utilisÊes d’ordinaire. Nos soldats belges sont des hÊros dont nous sommes fiers. Nos soldats belges sont des amis que nous pleurons. Nos soldats belges symbolisent ce qu’il y a de bon en nous, de gÊnÊreux et de fort. Leur sacrifice, leur mort hÊroïque, nous laissent un tÊmoignage et constituent un appel. Nous ne pourrons jamais les oublier. Heureux sommesnous d’être aujourd’hui des compatriotes de ces jeunes qui ont cru possible de partir là -bas pour  semer  la paix. Il faut le dire aussi, comme religieux, ce jour fut douloureusement vÊcu au Rwanda. Trois compagnons jÊsuites, deux prêtres sÊculiers, une dizaine de jeunes femmes et des membres de la communautÊ Christus à Kigali ont ÊtÊ massacrÊs. Tous d’origine rwandaise. Victimes innocentes de ce chemin de croix que vit leur pays. Ils sont morts. C’est leur tÊmoignage. Il n’y avait pas de plan qui voulait leur anÊantissement ; il y avait un instinct de domination, de revanche et finalement de peur. Ils sont morts à leur façon, pour ce Christ  Roi de toutes les nations  que leur pays, dans le sang, doit apprendre à connaÎtre, à aimer et à suivre.
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Merci ! frères et sœurs qui, sans l’avoir choisi, êtes devenus des tÊmoins. Vous nous rappelez aujourd’hui que la Bonne Nouvelle s’annonce sur la croix. Grâce à vous, l’espÊrance renaÎt au Rwanda.
Au voleur !
Il est de ces petites histoires qui, lorsqu’elles nous arrivent, paraissent tellement inattendues, incongrues que l’on se dit que leur rÊcit ne peut avoir d’autre but que de rÊjouir quelqu’un. C’est ainsi que j’ai pensÊ que ce qui, dernièrement, s’Êtait passÊ au Toit pouvait donner matière à un petit conte susceptible d’enchanter quelque  Tante Jacqueline  lointaine et toujours si proche de nous. Donc un soir, comme je quittais la maison pour rentrer au Bellarmin, j’arrivai à la porte du foyer et remarquai quelqu’un occupÊ‌ à cueillir nos jonquilles ! À les arracher toutes, ni plus ni moins, et à en former un tas‌ Quel culot ! Un peu plus loin, dans un sac en plastique, gisaient les trois pauvres primevères, orgueil de notre parterre. Ce brave garçon m’avoua, balbutiant et sentant quelque peu l’alcool :  Je suis un ouvrier de jardin et je viens pour l’entretien. Je viens mettre de l’engrais organique.  Point d’engrais à la vÊritÊ, mais visiblement un garçon apte à se sentir bien chez nous ! Je l’ai introduit. Nous avons quelque peu bavardÊ. Il devait être un peu paumÊ, se prÊtendant originaire de plusieurs lieux, dires dont nous n’avons pu contrôler la vÊracitÊ. En tout cas, il semblait bien malheureux. Comme nous Êvoquions les gendarmes, il rÊpondit :  Prison . Nous lui avons dit :  Si tu avais pris ces fleurs pour ta maman, pour ton papa malade, nous en aurions ÊtÊ très contents. Mais pourquoi faire cela ?  Sa capacitÊ de raisonnement n’Êtant pas trop forte, nous n’avons pas insistÊ !
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J’ai pris son adresse, peut-être aurons-nous un jour la joie de le retrouver ? Il est parti vers quelque destin inconnu et nous avons repiquÊ nos fleurs en pensant à la joie de Tante Jacqueline quand elle les reverrait‌ Voilà un petit trait parmi tant d’autres qui donne à cette maison un  je ne sais quoi d’ailleurs et de toujours  !
Bulletin mĂŠtĂŠo
Elle Êtait sortie timidement, à l’abri du vent, contre le mur du jardin. C’Êtait une jonquille pas plus forte que les autres, peutêtre mieux placÊe et plus amoureusement plantÊe. Elle est sortie, rattrapant les perce-neige qui nous Êgayaient depuis plusieurs semaines. Elle Êtait en avance sur son temps. Tout à coup, moins cinq degrÊs, un vent d’est si froid, et la voilà couchÊe, brÝlÊe par le gel tout comme les bourgeons du poirier voisin, eux aussi trop prÊcoces. Nous Êtions si heureux de notre hiver, sans grand froid : on s’est rÊjoui trop vite ! Il faut ainsi recueillir ce qui se passe sur notre route. On rêvait de soleil et on eut de la pluie. On rêvait de douceur et on eut le gel. Quand accepterons-nous de passer tous ses ca prices à ce  garnement  de temps ? Quand pourrons-nous être de ceux qui chantent tous les jours la beautÊ de la vie à travers la pluie, le soleil, le froid, l’orage ? N’est-ce pas cela, la vocation du chrÊtien ? La louange des moines dans les abbayes ne monte-t-elle pas vers le ciel pour nous apprendre, à nous, chrÊtiens des villes ou des champs, à dÊcouvrir qu’il y a un soleil prêt à briller pour tous et qu’il y a un froid à même de mordre bien cruellement certains ? La louange de Dieu invoque alors la compassion avec les hommes, nous invite à nous entraider. Avons-nous tÊlÊphonÊ à cette vieille tante pour prendre de ses nouvelles, pour savoir si ses gÊraniums ne sont pas gelÊs là -bas à la campagne oÚ elle vit très discrètement ? Pensons-nous aux plus âgÊs qui ne peuvent pas sortir ? Ils ont tellement besoin de notre aide‌ Et si nous faisions leurs courses !
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Le climat — surtout quand il pleut, neige ou vente — est toujours rappel d’une communion entre les hommes. N’y manquons pas ! Cela nous est nÊcessaire. Ne manquons pas le rendez-vous des intempÊries, le rendez-vous de la solidaritÊ.
VI. L’Église que j’aime Ne juge pas, aime !
On dit souvent de quelqu’un qu’il est bon parce qu’il partage. On dit parfois aussi de quelqu’un qu’il est très bon parce qu’on ne l’a jamais entendu dire du mal de son prochain. Il m’a semblÊ l’autre jour entendre dans mon cœur une troisième bÊatitude de la bontÊ, celle de celui qui ne juge pas ou, s’il doit juger, excuse, comprend, porte, parce qu’il aime. Oh ! ce terrible jugement qui empêche d’aimer ! Il est souvent la consÊquence des dons reçus, d’une certaine Êducation ou d’une certaine intelligence, nous permettant de nous mettre à l’Êcart et d’avoir plus de recul pour mieux nous dissocier et donc juger. C’est sans doute cela, le drame du jugement que l’on porte sur l’autre : c’est qu’on s’en Êloigne. On n’est plus avec lui, on n’est pas pour lui, mais on est Êtranger à l’autre. Cela arrive souvent quand on parle de l’Église. Qui de nous n’a jamais dit :  L’Église est impitoyable, l’Église est intransigeante, l’Église est trop dure, l’Église est scandaleuse‌  alors qu’il devrait dire :  Je suis dur, intransigeant, intraitable, etc.  Juger, c’est quand on prÊfère le  je  au  nous  et qu’en s’isolant, on se construit une forteresse qui, d’abord, se veut dÊfensive, mais devient très vite offensive. Oui, pourquoi juger mon prochain sinon par peur que lui ne me juge, par peur de reconnaÎtre que moi aussi j’ai mes dÊfauts, mes faiblesses‌ remise en question personnelle bien plus complexe à assumer que le rôle facile de contempteur, de dÊnigreur !
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L’Église que j’aime
Se doute-t-on que derrière tout jugement, il y a souvent une condamnation pure et simple. Or, l’Évangile nous dit :  Je ne suis pas venu pour juger, condamner, mais je suis venu pour sauver.  Le jugement qu’il nous faut retrouver, c’est celui de l’enfant. Un enfant ne se croit pas au-dessus des autres. Il ne dira pas :  Un tel est vaniteux, un tel est orgueilleux.  Non. L’enfant croit en celui qui vient vers lui. Il se laisse tout simplement attirer et sÊduire. Il sait qu’on l’aime et qu’il ne peut en aller autrement. C’est toute la beautÊ de l’enfance. Finalement, pour vraiment bien juger, il convient d’abord d’aimer, farouchement, solidement. Quand l’amour est  incarnÊ  jusqu’à devenir l’autre, un autre moi-même, alors peut-être puis-je dire :  Comme moi, il est vaniteux ; comme moi, il est paresseux.  Alors, juger peut devenir une sorte de conjugaison du verbe aimer.
Difficile amour
Une fois encore, la nouvelle m’arrive : un mÊnage saute, un autre se refait. Tant de souffrances sont enfouies dans cette double rÊalitÊ. Comment est-ce possible ? Ils s’Êtaient pourtant promis fidÊlitÊ et cela n’a pas marchÊ‌ Ils avaient pensÊ être toujours fidèles, obÊissants à l’Église. Et voilà qu’ils se sentent rejetÊs. Cette Église qui se veut Mère et qui refuse une bÊnÊdiction de mariage à ses enfants qui se sont trompÊs, tout simplement, et qui voudraient aujourd’hui recommencer. On trouvera un thÊologien expliquant, avec raison, que ce n’est pas possible, que le sacrement du mariage dans l’Église est signe de l’amour de JÊsus Christ pour son peuple et que l’on ne peut pas le donner deux fois parce que cet amour est unique. C’est la mission du couple chrÊtien de tÊmoigner ainsi de l’amour de Dieu : la fidÊlitÊ des hommes, reflet de la fidÊlitÊ de Dieu. Non seulement la bÊnÊdiction leur sera refu sÊe, mais l’Église de surenchÊrir : la communion à l’Eucha ristie ne doit pas leur être accordÊe. Que j’ai mal quand j’entends ces phrases ! Et pourtant, je sais que l’Église est ma Mère et qu’elle ne peut affirmer ces vÊritÊs si ce n’est parce qu’elle m’aime. Alors, que rÊpondre ? Seigneur, je veux m’arrêter près de toi et tout simplement me taire en souffrant, en pleurant, mais en ne voulant, à aucun prix, condamner l’Église, ni condamner ces petits qui cherchent tout simplement à survivre. Alors, que faire ? Jouer un double jeu, être un peu Êquivoque, faire semblant d’ignorer que‌ Non ! Comment expliquer que le plus important, c’est de se laisser approcher par Dieu et de croire en sa misÊricorde ? Que,
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L’Église que j’aime
finalement, recevoir JÊsus dans l’Eucharistie, c’est très bien, mais cela n’a aucun sens si je le reçois en dehors de l’Église. Il n’est prÊsent dans le tabernacle que parce que l’Église le cautionne, le certifie. Alors, pourquoi n’y aurait-il pas des chrÊtiens se rendant à la messe tous les dimanches sans communier, conscients toutefois que Dieu est avec eux par sa misÊricorde, par sa bontÊ, par son pardon, bien plus que dans le rite de l’hostie, de la cÊlÊbration ? Je le sais, chacun aime faire comme tout le monde et voudrait, comme tout le monde, avoir et sa messe de mariage, et sa rÊception, et sa robe blanche. Mais n’y a-t-il pas autre chose à dÊcouvrir que ces rites qui paralysent ? Sommes-nous en Êtat de chercher, ou sommes-nous simplement avides de sÊcuritÊ ? Tout est là ! En tout cas, s’il est une vÊritÊ à dÊfendre avant même de proclamer que l’Église a raison, c’est d’affirmer que Dieu nous aime et qu’il veut le pardon. De cela, nous sommes certains et nous voulons en vivre ! Pourquoi condamner celui qui va se remarier ? Pour quoi condamner cette jeune femme heureuse de se marier avec un homme divorcÊ ? Elle l’aime, ils s’aiment, ils veulent s’engager. Eh bien ! qu’ils croient à l’amour de Dieu, qui est plus grand que l’amour des hommes, mais qui n’accepte pas que l’amour des hommes mal compris abÎme l’amour de Dieu. Qu’ils ne demandent pas à l’Église d’agir autrement que ce qu’elle fait. Elle crie pour la vie, elle crie pour l’amour. Le Christ a donnÊ sa vie pour ces vÊritÊslà , et l’Église, à sa suite, n’est pas là pour avoir plus de pratiquants, mais pour qu’à sa façon, il y ait plus d’amoureux. Aimer, ce n’est pas se rechercher soi-même, mais c’est donner tout pour celui que l’on aime afin qu’il grandisse. Alors, acceptons de ne pas comprendre, mais refusons de juger et soyons de ceux qui, dans ces circonstances-là , choisissent jusqu’au bout d’aimer.
L’Êlue de mon cœur
Un jour, j’ai eu la joie de voir Bernadette, le très beau spectacle des fêtes de Tourinnes, à l’occasion de la Saint-Martin. Le titre pouvait paraÎtre Êtrange à un certain nombre de personnes non interpellÊes par cette petite bonne femme des lointaines PyrÊnÊes. Pour moi qui, chaque annÊe, suis comme  nourri  par cette grâce mystÊrieuse de Lourdes, j’aimais aller Êcouter Bernadette en notre terre brabançonne, en cette vieille Êglise perchÊe sur la colline oÚ soudain, à travers cette actrice, Dieu allait me parler. Après les joies des apparitions, le courage et le tÊmoignage parfois hÊroïque de Bernadette, j’ai vÊcu le drame de voir ce  petit bout de femme  se consumer lentement dans une vie religieuse dont on voyait la puissance et le dynamisme, mais oÚ l’on sentait un certain mÊpris pour ce qui Êtait petit‌  Vous, Bernadette, votre emploi sera la prière , disait la maÎtresse des novices. Tout à coup, au cours de cette mystÊrieuse soirÊe qui m’a profondÊment remuÊ, j’ai rÊalisÊ qu’il ne s’agissait pas d’une parodie de la vie religieuse ni de l’exaltation d’une petite sainte voulant faire la leçon à ses aÎnÊes, mais que nous vivions tout simplement en Bernadette le drame, l’aventure passionnante de l’Église. Chaque fois que l’on ouvre les yeux sur la vie d’un saint, c’est la vie de l’Église qui se rÊvèle à nous et nous montre son vrai visage. Il n’y a pas l’Église d’un côtÊ, institution forte et puissante, et de l’autre côtÊ, les saints, exemples plus ou moins rÊussis. Non, Bernadette qui a vu, Bernadette qui a cru, Bernadette qui a tÊmoignÊ jusqu’à en mourir : c’est l’Église. Bernadette inutile,
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Bernadette bafouÊe, ÊcrasÊe et mourant presque seule, c’est encore l’Église. Oh, que je l’aime donc notre Mère l’Église qui, au cœur de ses erreurs, est encore porteuse de Dieu ; au cœur de ses faiblesses, crie vers sa Puissance ; au cœur de ses pÊchÊs, nous rÊvèle son inÊpuisable Patience. Oui, Bernadette, à Lourdes, n’avait pas choisi la voie la plus facile, mais elle nous a appris à être heureux. Le vrai bonheur, c’est quand on meurt à soi-même pour que l’autre vive. Le vrai bonheur, c’est quand on accepte l’autre diffÊrent de soi. Rendons grâce à Dieu pour tous ceux qui ont portÊ cette pièce de thÊâtre qui nous a fait davantage aimer l’homme.
Blessure de la division
HÊlas, la division entre chrÊtiens ne date pas d’hier. Il fut un temps — pas si lointain — oÚ des chrÊtiens Êtaient ÊlevÊs dans le mÊpris d’autres chrÊtiens. Heureusement, sous Jean XXIII, l’Église catholique prit officiellement position en faveur du mouvement œcumÊnique. Les Belges contribuèrent pour une grande part à sa naissance : le cardinal Mercier (Malines) ; Dom Albert Baudouin (Chevetogne). En 1925, un prêtre français, l’abbÊ Couturier, lançait la semaine de prière pour l’UnitÊ. Il est grand temps que nous nous rapprochions les uns des autres pour que, comme disait JÊsus, le monde croie. J’ai enfin compris qu’il ne s’agissait pas de ramener de force à la maison les enfants perdus, mais qu’il fallait laisser la porte grande ouverte pour que tous, fils aÎnÊ et enfant prodigue, puissent y entrer, non pas la tête haute, mais le cœur ouvert. L’œcumÊnisme, c’est avant tout le respect de chacun dans sa fidÊlitÊ, dans sa foi, dans son cheminement‌ L’œcumÊnisme n’appartient à personne. Il est le cœur d’un Père voulant que tous ses enfants soient rassemblÊs. Il est le sang de JÊsus versÊ pour que tous soient un.  Père, comme toi et moi nous sommes un.  Il est le silence de Marie qui reçoit le corps blessÊ et dÊjà froid de son fils au pied de la croix, sans avoir d’autre parole à ajouter. Je me souviens de cette visite du camp de concentration à Majdansk, près de Lublin en Pologne. Deux jeunes Allemands se joignirent à nous. Ils nous accompagnèrent et, tandis que nous chantions  Père, unis-nous tous, que le monde croie en ton amour , ils pleuraient.
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L’œcumÊnisme, ce sont ces larmes qui n’ont pas fini de couler. Nous ne sommes vraiment œcumÊniques que dans la mesure oÚ nous pleurons le pÊchÊ de la division, les blessures que nous avons causÊes. L’œcumÊnisme demande un esprit de repentance. Il ne s’agit pas de regarder l’autre comme la brebis ÊgarÊe qu’il faut à tout prix ramener au bercail. L’autre est aussi sur la route de l’unitÊ. Il nous faut le reconnaÎtre, le respecter et marcher avec lui. Devant les meurtrissures de la division, il ne sert à rien de comparer, de discuter pour savoir qui a raison ou qui a tort. Il suffit simplement d’accepter qu’à travers les blessures renaisse une unitÊ. La cicatrisation ne pourra s’opÊrer que par un amour plus grand.
Père Damien
Sur les affiches dans le mÊtro et dans les rues, la silhouette du père Damien est ÊvoquÊe avec cette mention :  Relevons le dÊfi de la lèpre !  Si on savait ce qu’est cette terrible maladie, on s’impliquerait beaucoup plus pour la vaincre. Que ne donnerait-on pas pour qu’elle s’arrête ! Cette maladie est un peu comme le symbole des blessures de l’humanitÊ, de ses faiblesses, du mal qui partout rôde, abÎme, fait dÊsespÊrer. Alors, chacun doit rêver qu’un jour la lèpre sera guÊrie et avec elle tout ce qu’elle reprÊsente, tout ce qu’elle Êvoque, tout ce qu’elle rappelle‌ Aujourd’hui encore, les collectes les plus fructueuses sont celles organisÊes pour lutter contre la lèpre, ou comme on dit,  pour sauver les lÊpreux . C’est là que Damien a relevÊ plus d’un dÊfi : le dÊfi de l’amour, le dÊfi de la vie, le dÊfi de l’amitiÊ et de la fidÊlitÊ. Il ne pouvait pas s’imaginer qu’on puisse passer quinze jours avec les lÊpreux et puis s’en retourner au pays comme si de rien n’Êtait. Il y est restÊ quinze ans ! Il ne pouvait pas accepter qu’ils s’enfoncent lentement dans la dÊgradation de leurs dÊchÊances sans personne pour leur dire :  Tu es important pour moi ! La preuve, je reste avec toi‌  Tout dÊfi est une façon de rester  avec . Pensons-nous assez au dÊfi de Dieu qui a cru en l’homme et lui a envoyÊ son Fils ? C’est tellement fort que l’on n’ose pas y croire. C’est peut-être aussi tellement fort qu’on n’a pas voulu regarder Damien plus audacieusement jusqu’à prÊsent. Pourtant, il a ÊtÊ dit :  Pas un homme dans le monde journalistique n’a tÊmoignÊ comme lui !  Le pari de Damien, c’est de dire :  Je reste jusqu’au bout ! 
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Le pari des chrÊtiens d’aujourd’hui, c’est d’imiter Damien :  Là oÚ il y a des pauvres, je serai. Là oÚ il y a des rejetÊs, je serai. Là oÚ il y a des dÊsespÊrÊs, je serai.  Soins palliatifs, Arche, A.T.D., Mère Teresa‌ ne prenons pas pour nous seuls ces dÊfis, d’autres les mènent avec nous. Nous avons besoin qu’ils revitalisent nos engagements, qu’ils nous disent à leur façon :  Allez-y, ça vaut la peine de ne pas lâcher cette fidÊlitÊ.  Comme le disait un prisonnier à son aumônier au soir de sa condamnation :  Aide-moi à tenir jusqu’au bout de ma peine.  Comme Damien à la suite de JÊsus, comme Gandhi en recherche de JÊsus, comme tout homme qui loyalement ose poser cette question :  Pour moi et pour Toi, qui es-Tu, toi qui m’appelles à aller jusqu’au bout ? 
IdĂŠal
Il est des saints authentiques qui n’ont pas à être imitÊs parce que leur vocation est tellement exceptionnelle et unique qu’on ne peut que l’admirer. Il en est d’autres qui prÊfèrent les dÊpartementales aux autoroutes, comme le frère Mutien-Marie, Jean Berchmans, et d’autres. Ceux-là nous disent que le seul moyen pour aller vers Dieu est de choisir un chemin de pauvretÊ, d’humilitÊ, de service. Nous n’avons pas à rechercher autre chose que cette voie. C’est un itinÊraire sÝr, et l’Église, qui est Mère et connaÎt ses enfants, ne peut leur montrer d’autre route que celle d’une certaine sÊcuritÊ. Il n’empêche que notre histoire à chacun de nous est remplie de ces tÊmoins qui ont bouleversÊ notre vie. Ce qu’ils ont fait, nous ne l’aurions jamais imaginÊ, tant d’amour s’y est exprimÊ. Ils ont acceptÊ des situations vraiment impossibles. Ils ont pu hÊroïquement louer et servir Dieu. Il est important, dans une famille, que l’on ait son calendrier des saints. Ceux qui ont une fête dans la reconnaissance de l’Église, mais aussi ceux qui ont une fête parce que dans notre histoire familiale, personnelle, ils ont un grand rôle. Peut-on oublier le prÊnom de cette personne qui a servi toute sa vie une famille et qui est morte en disant tout simplement  merci  ? Peuton oublier telle naissance, tel ÊvÊnement, mais aussi telle mort, tel deuil ? Chaque famille devrait avoir son livre d’heures qui raconte, dès la première enfance, les rencontres de Dieu à travers les personnes. On y trouverait la certitude qu’Il est toujours près de ses enfants.
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Osons y croire, la saintetÊ des saints n’est pas à relÊguer au rayon des hagiographies. Elle est à cueillir au cœur de notre vie, là oÚ nous leur ressemblons, car ils sont terriblement proches de nous. C’est bien la mission que Dieu leur a confiÊe : partager avec nous ce qu’il y a d’humain en eux et de divin en Lui. Rendons grâce à Dieu !
Veritatis splendor
L’encyclique de Jean-Paul II sur la morale chrÊtienne et tous les problèmes y affÊrents a pour titre Veritatis splendor. De fait, seule la vÊritÊ dans toute sa splendeur est à même de nous Êclairer, de nous apaiser, de nous fortifier et de nous consoler. Devant ce message adressÊ par le Pape à tous les chrÊtiens et à tous les hommes de bonne volontÊ, nous pouvons entrer dans la contestation et la critique et regretter que ceci n’ait pas ÊtÊ dit, que cela ait ÊtÊ trop dÊveloppÊ, que ces portes-ci n’aient pas ÊtÊ ouvertes et que ces perspectives demeurent fermÊes‌ C’est un moment de foi. Il nous faut accepter à nouveau d’être dÊpassÊs par ce que nous vivons, par ce que l’Église nous demande d’accueillir. Le Saint-Père doit parler. Il ne le fait pas en Êtant obnubilÊ par une certaine vision de la morale et de la vie chrÊtienne. Il le fait parce qu’il est Père. À l’image de Dieu, il ne dÊsire que le bonheur et l’Êpanouissement de ses enfants. Mais pas à n’importe quel prix ! Or, il est certain que depuis plusieurs annÊes un laxisme, une incomprÊhension de plus en plus grande font que la morale chrÊtienne est tombÊe bien bas. Toutes les familles sont touchÊes, tous les individus en sont marquÊs. Il ne s’agit donc pas de faire de l’Église et des chrÊtiens des surhommes. Il s’agit de savoir ce que Dieu a voulu en crÊant l’homme, en lui confiant cette extraordinaire richesse qu’est sa sexualitÊ et toutes ses possibilitÊs d’amour ; en sachant que cet amour ne peut pas être vÊcu dans la splendeur même de sa vÊritÊ, si ce n’est à l’image de Dieu. Oh, sans doute seront-ils peu nombreux ceux d’entre nous qui prÊtendent pouvoir accÊder à cet idÊal. Alors nous serons dÊpassÊs, nous entrerons dans une certaine
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incomprÊhension, mais en Êtant conscients que Dieu veille sur son peuple, que tout le travail inspirÊ pour l’Êclairer ne peut être qu’un travail d’amour, de patience et de foi, car Dieu est misÊricorde. Seigneur, aide-moi à apprendre ce que je ne comprends pas, à aimer ce qui me fait peur, à oser quand tout en moi me pousse à la dÊmission. Le reconnaÎtre, c’est commencer à aimer. Accueillir l’encyclique, c’est croire en Dieu aujourd’hui.
RĂŠvolution
Que de changements en cette fin de millÊnaire ! Il me semble que je suis plus proche de notre père Abraham (mort en 1750 avant notre ère) que de tant de jeunes d’aujourd’hui. Enfant, je lisais Jules Verne. Eux, aujourd’hui, le vivent et le dÊpassent. Devant ces grands bouleversements, ces grands changements, on est tentÊ de dire :  OÚ va notre monde ?  Les uns ajoutent :  OÚ est Dieu ?  D’autres posent la question :  OÚ est l’Église ?  Dieu, le maÎtre du temps, nous partage son ÊternitÊ à travers les minutes qui s’Êcoulent. La vie peut aller plus vite, Dieu demeure ! Au cœur des inventions, Dieu est ! Dans tout ce qui change, Dieu est ! Dans tout ce qui se propose à nous, Dieu est ! Il n’est pas l’absent dont on va Êvoquer le souvenir, Il est prÊsent partout. Chaque fois que l’homme croit, aime, donne, reçoit, partage, Il est là ! Car c’est toujours à son image que tous ces gestes se font, que tous ces sentiments se vivent. N’ayons pas peur pour l’Église, car elle est notre Mère. Elle peut prendre des visages variÊs. Elle s’adapte, innove constamment. C’est souvent elle, bien davantage, qui change et Êvo lue vers l’avenir, tandis que nous gÊmissons sur ses lenteurs, ses raideurs, ses traditions. Si ! l’Église est à la mesure du cœur de Dieu, en perpÊtuel recommencement. Elle traduit un cœur qui aime et qui chaque jour rÊinvente. Elle incarne un projet qui dÊpasse de loin nos peurs, nos angoisses et nous rive à l’incroyable aventure d’un Dieu qui, acceptant de prendre la condition d’homme, fait que tout en l’homme est dÊsormais consacrÊ à Dieu.
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Cela est dÊjà visible à travers les grands changements au sein du monde et de l’Église. Ils traduisent l’actualitÊ de Dieu et la certitude de sa prÊsence. Certains refusent de s’associer à cette  renaissance . Mais d’autres — à l’image de la nature se renouvelant toujours au rythme des saisons, du temps qui passe — ont confiance. Dieu est là ! Il est vraiment celui que rien n’arrête parce qu’Il est le Dieu ToutPuissant qui dans l’homme se rÊvèle, qui par l’homme se donne. N’ayons pas peur de tous ces changements, ils appellent à la confiance.
Assise
Jean-Paul II l’avait pressenti : pour offrir un lieu de rencontre, un terrain d’entente, une possibilitÊ d’Êchange et de prière pour chacun, rien de plus indiquÊ qu’une simple ville, un lieu oÚ la paix s’est mesurÊe à la guerre, mais oÚ le pardon a amenÊ la conversion : Assise. Quand on s’imagine cette citÊ telle qu’elle devait être en 1200, tout Êvoque la guerre, à commencer par les remparts, et retrouve les palpitations des cœurs d’aujourd’hui. Mais François y a semÊ la paix. Nous l’avons goÝtÊe ! Nous rentrons d’Assise bouleversÊs. Nous y Êtions une petite centaine de l’Arche de Bruxelles afin d’y cÊlÊbrer les vingt ans de notre existence (1974). Rendre grâce à Dieu et partager, tout simplement, ensemble, loin du tohu-bohu, un temps d’Êcoute. Ah ! la paix d’Assise, quel rÊconfort ! Et tant pis pour le froid vraiment mordant, les draps de lit humides‌ broutilles que tout cela en regard de ce que nous apporte cette retraite ! Qu’il faisait bon louer  messire  le soleil, brillant au firmament, car il Êtait notre consolation et notre chaleur. Et nous avons connu l’expÊrience d’un peuple humble menÊ par les petits. Oh ! sans doute tout avait-il ÊtÊ prÊparÊ avec soin, qualitÊ, attention extraordinaires. Mais quand on a tout agencÊ, que les plus beaux carnets de route sont faits, il reste la relation à la personne et l’Êcoute. Tout cela s’est dÊroulÊ d’une façon merveilleuse au rythme des interpellations et des questions que chacun osait poser aux autres. Ainsi, comme nous Êvoquions le passage de l’Évangile oÚ une femme verse du parfum sur les pieds de JÊsus lors de l’onction de BÊthanie, cette question a fusÊ du cœur de l’un des participants : —Pourquoi a-t-elle versÊ du parfum sur les pieds de JÊsus ?
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À quoi il fut rÊpondu : —Parce qu’on allait Lui faire mal le vendredi. À Assise, impossible de ne pas être Êbloui par la lÊgende de saint François, rapportÊe dans les Fioretti. Mais ce que nous avons vÊcu est encore plus beau que la conversion du loup de Gubbio, le chant des oiseaux apprivoisÊs par cet excellent compagnon de JÊsus que fut François. Nous avons vÊcu des temps de rencontre d’une qualitÊ telle que nous nous sommes sentis profondÊment transformÊs. Il y avait plus en ce que nous sentions qu’en ce que nous raisonnions. C’Êtait vraiment la grâce de Dieu qui venait en notre cœur et s’exprimait à travers ces visages d’enfants, merveilleux bambins de ces couples d’amis qui nous portent et nous aiment. Merveilleux enfants qui se laissèrent apprivoiser par ce monde des petits et qui dÊcouvrirent, à partir de ce que Dieu leur demandait, une qualitÊ d’appel sans Êgal ! On les sentait marquÊs, intÊriorisÊs. Nous avons perçu que l’Arche Êtait une rÊponse aux appels du temps, à la vocation de l’Église. Quand les petits sont accueillis, ils deviennent prophètes. Quand les plus faibles se sentent reconnus, ils deviennent grands et sont capables de porter, d’entraÎner. Quand il se crÊe autour d’eux une fraternitÊ, alors le monde est meilleur. Nous avons essayÊ d’être un ensemble et ce fut merveilleux. Pour tout cela, Vive Dieu !
VII. Notre Dame Prier Marie
Marie ! Les uns en parlent, les autres l’oublient. Certains même la rejettent, crispÊs, ÊnervÊs. Mais pourtant, la toute petite cadette du genre humain qui est venue nous rÊvÊler le cœur de notre Dieu, n’a rien fait qui ne soit rÊponse à un amour, qui ne soit fidÊlitÊ à un appel. Sa grandeur, c’est d’avoir correspondu à ce que Dieu attendait d’elle. Annonciation, tout est possible et tout commence. As somption, tout est consommÊ et tout continue. Deux mots vitaux pour l’histoire de l’humanitÊ, et aujourd’hui dÊpour vus de sens pour tant d’hommes. Il est donc normal que l’on se remette à connaÎtre cette grande dame, cette petite fille comme nous la rÊvèlent le chapelet et le rosaire. Dire à Marie :  Tu es si belle que je ne cesse de te saluer et de te dire bonjour.  Dire à Marie :  Tu es ma Mère puisqu’en Dieu, je suis enfantÊ à une nouvelle vie et que tu pries pour nous comme seule la Mère de Dieu peut le faire.  Dans un monde en proie au dÊsespoir ou au drame de la solitude, Marie est celle qu’on ne peut cesser de regarder, qu’on ne peut cesser d’implorer, celle vers laquelle on n’a jamais fini de se tourner. Elle est la contemplation par excellence, mais elle incarne aussi l’action dans toute sa beautÊ, car il n’a pas fallu longtemps pour qu’en elle naisse la vie, pour que par elle soit rÊvÊlÊe à tous la vÊritÊ, et pour qu’en elle l’ÊternitÊ nous soit assurÊe. Redisons ce chapelet :  Je te salue. Je me rÊjouis. Je m’unis à toi.  Sans cesse, remÊmorons-nous les Êpisodes de cette histoire
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si simple : Marie chez sa cousine, JÊsus perdu au Temple, le portement de la croix, la crucifixion, la Pentecôte‌ Tout cela, c’est Marie qui nous le donne. C’est en elle que nous pouvons le comprendre. C’est elle qui nous aide à le recevoir jusqu’au plus profond de notre cœur. Sans elle, nous serions tellement pauvres de vie, d’amour, de joie. Et comme il ne faut pas regarder le ciel en oubliant la terre, se soustraire au temporel en se rÊfugiant dans le spirituel, chaque Ave sera enrichi de toute la prière de nos intentions, de nos souffrances, de nos peines. Chaque Ave sera un don divin :  N’aie pas peur de tout emporter dans ta prière, de tout dire à ta Mère. N’oublie personne, car avec un cœur comme le sien, tout peut être partagÊ, tout doit devenir lieu de  communion.   Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, priez pour eux, priez pour ceux qui en ont besoin, priez pour moi, peut-être le plus pauvre de tous.
ImmaculĂŠe
Sous l’Occupation, durant les sÊances de tortures, la victime, à bout de forces, murmurait parfois ÊpuisÊe :  Maman !  Un homme de soixante ans appelait encore sa mère ! Dans le cœur de l’homme, il y a toujours une place pour l’amour d’une mère. Dieu le sait, lui qui a choisi Marie pour être la mère de JÊsus. Elle seule peut comprendre notre dÊtresse et, face au pÊchÊ, elle seule peut nous apaiser. Dans ses litanies, Marie est invoquÊe sous ce beau titre  Refuge des pÊcheurs ,  Consolatrice des affligÊs . Dans ce mot de refuge, tout est dit. Pourtant, ce titre ne lui vient pas de Dieu mais des hommes qui l’implorèrent sous cette dÊnomination. Quand Dieu donne une mère à son Fils, il dÊcide de la mettre à l’abri du pÊchÊ. Le dogme de l’ImmaculÊe Concep tion risque cependant de faire passer Marie pour la femme  parfaite , inaccessible aux pÊcheurs que nous sommes. Mais non, le privilège de Marie n’est pas d’être en dehors de la faiblesse des hommes,  elle qui sera leur Mère , mais d’être au-delà de cette faiblesse pour les encourager à croire qu’au-delà du pÊchÊ, il y a l’amour ; qu’au travers du pÊchÊ, il y a le pardon. Ainsi prÊparÊe pour sa maternitÊ divine, Marie renonce à cet attachement qui unit tout homme au pÊchÊ. Cette sorte de possession oÚ l’homme cède au mal tout en sachant très bien qu’il s’en trouvera malheureux, Marie ne l’a pas connue.  Oui, ma faute est devant moi sans relâche, mon pÊchÊ, moi, je le connais.  Il est toujours Êmouvant de rencontrer des personnes âgÊes revenant sur des fautes de jeunesse, oubliant que dÊjà plus d’une
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Notre Dame
fois ces pÊchÊs leur furent pardonnÊs. L’angoisse est plus forte comme si avant de se prÊsenter à Dieu, on n’avait d’autres richesses que cet aveu :  J’ai pÊchÊ.  Marie n’a pas connu le pÊchÊ originel. Cela lui fut ÊpargnÊ pour qu’elle soit, dès avant sa naissance, comme baptisÊe à l’avance, comme prÊparÊe à ce monde mystÊrieux de l’au-delà du pÊchÊ : celui du pardon, de la paix pour laquelle JÊsus est mort et ressuscitÊ. Sauveur du monde, c’est ton nom, JÊsus. Toi, en qui nous ne voyons trop souvent qu’un tÊmoin, un acteur, reconnaissons que tu es le Sauveur, toi vers qui nous crions, toi qui, seul, peut nous arracher à ce grand drame de notre humanitÊ : le pÊchÊ. S’il est vrai que c’est là que je suis moi-même, c’est dans la plÊnitude de ton pardon que je naÎtrai enfin à l’amour en renonçant à tout ce qui m’appauvrit, me rabaisse pour entrer en relation avec toi, mon libÊrateur et ma joie.
Retrouver Marie
 Père, pourquoi les jeunes n’aiment-ils plus la Vierge ?  Que leur rÊpondre ? Faut-il se taire ? Faut-il en parler tout le temps au risque de les lasser, parce que je l’aime tant ? Pourquoi ne reprÊsente-t-elle plus rien à leurs yeux ? Osons poser la question ! Peut-être n’en voit-on plus la raison ? Cherche-t-on seulement une raison pour parler de sa maman ? Une enfant demandait à l’annonce du dÊcès de sa mère :  Qui s’occupera de mon linge ? Qui mettra en ordre mes affaires ?  Elle ne considÊrait pas sa maman comme une servante. Elle manifestait par là que sa maman Êtait unique, irremplaçable ; elle savait très bien qu’audelà de ces tâches domestiques à recommencer sans cesse, il y avait l’amour. Quant à Marie, il convient d’abord de l’accueillir comme un don divin. Dieu a voulu qu’elle soit dans notre vie. Non pas comme du superflu, mais comme celle qui donne son sens à toute existence. Marie, choix mystÊrieux, incomprÊhensible de Dieu, n’est pas dans la logique. Marie, mère de JÊsus, Vierge Mère selon le plan de Dieu, cela nous dÊpasse. Je voudrais demander à ceux qui n’aiment pas Marie s’ils connaissent la TrinitÊ ! Perçurent-ils jamais le dialogue du Père et du Fils, les confidences de l’Esprit Saint ? C’est à ce niveau que se situe Marie. Non dans le raisonnement logique d’une vÊritÊ Êcrasante, mais dans un cheminement, une explosion, une croissance, une ouverture qui a la grandeur de la crÊation, l’humilitÊ de l’incarnation, l’Êmerveillement de l’Assomption.
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Marie est celle dont on Êvite de parler faute de pouvoir dire  pourquoi  on aime sa propre mère. Cela ne se dit pas ! On sait qui est sa mère. On l’accueille, on l’accepte. Ils ont raison, ceux qui choisirent le mois de mai pour mettre Marie à l’honneur. Ils ont raison, ceux qui comprirent que le langage des fleurs dÊpassait de loin celui des mots, qu’il leur fallait simplement remettre des fleurs près de son image et balbutier des mots comme un enfant. Comme on dit  maman , on dit  Marie . Comme on dit :  Prends pitiÊ de moi , on dit  Mère de Dieu, prie pour moi, pauvre pÊcheur . Comme on dit :  Je n’en peux plus , on dit  Tu es ma Mère, souviens-toi de moi . On ne  prouvera  jamais Marie, mais on  trouvera  toujours Marie, celle qui se livre dans la petitesse, les dÊtails, dans le ton sans relief, dans le quotidien, Notre Dame de tous les jours, Notre Dame de chez nous, Notre Dame du fond du jardin, vous êtes pour moi celle qui me gardez la main dans la main de JÊsus, celle qui m’apprenez à mettre mes pas dans les pas de JÊsus, celle qui me rÊvÊlez qu’il faut toujours faire confiance, c’est-à -dire  laisser faire selon Sa parole . Qu’il me soit fait ainsi !
AngĂŠlus
Il est midi. Tout s’arrête dans le plein soleil. Tout s’arrête dans le cœur des hommes, dans leurs bras fatiguÊs. Autrefois, l’AngÊlus sonnait au clocher du village, embaumait les champs d’une prÊsence insaisissable. On s’inclinait et l’on priait. Aujourd’hui, on ne sait plus ces mots, pourtant si importants, qui, dans le temps, habitaient le cœur des enfants :  L’ange du Seigneur annonça à Marie.  On dÊcouvre soudain que c’est Dieu qui nous parle, que c’est Dieu qui nous appelle, que c’est Dieu qui a tant à nous dire et à nous donner. Que m’a-t-il offert ce matin ? Plus encore que le soleil qui luit, ou la pluie qui fÊconde, il y a tout ce qui s’est passÊ entre lui et moi dans un certain silence qui jamais ne se tait, car Dieu aime et parle. Dieu Êchange, communique et durant toute cette matinÊe, pour lui, je fus l’unique. Merci, Seigneur, pour tout cela.  Et Marie a conçu du Saint-Esprit.  Ainsi en va-t-il de Dieu, quand il entre dans la vie des hommes et la transforme : l’irrÊalisable n’est plus hors de portÊe, l’impensable devient vie et fÊconditÊ. La Vierge porte son fruit, Marie devient la mère de Dieu. Voilà comment Dieu se rÊvèle à chacun de nous. Ai-je ÊtÊ assez audacieux ce matin pour croire à l’impossible et passer outre les timides rÊflexions d’un esprit qui se cherche ? Ai-je eu confiance en Celui qui est là , qui a tant à me dire et veut tout me donner ?  Voici la servante du Seigneur.  À l’instar de Marie, dans le dialogue avec Dieu, il ne faut pas dire  Pourquoi ?  mais  Me voici .
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Notre Dame
Dans ce plein midi, je m’aperçois que j’aurais volontiers rÊpondu à son appel, mais que j’y ai manquÊ, faute de me reconnaÎtre assez  servante , assez humble, restant convaincu que c’est à moi de diriger tout, d’annoncer, d’organiser, d’avoir ces  mille fois  raison qu’on aimerait tant transformer en un silence d’amour. C’est vrai, pour comprendre ce que Dieu dit-il me faut être petit, pauvre et dÊpendant, acceptant que l’autre me parle et me donne plus. C’est alors qu’à la lumière de cet enseignement, il me faut revoir tout ce qui au cours de cette courte journÊe est allÊ à l’encontre de cet idÊal, à cause de mes peurs et de mes angoisses :  Qu’il me soit fait selon ta parole.  Qu’en est-il de cette vÊritÊ ÊvangÊlique que, depuis ce matin, j’ai choisie comme  phare  pour me guider ? OÚ est-elle, Seigneur, ta parole ? Je t’en supplie, garde-moi fidèle jusqu’au bout. Père très bon,  que tout se passe selon ta volontÊ !   Et le Verbe s’est fait chair.  Oui, prendre conscience à l’instant que l’Êternelle TrinitÊ s’est brisÊe d’amour pour envoyer sur terre le cœur de son être, le Verbe bien-aimÊ. Un nouveau monde commence, celui oÚ le Verbe s’est incarnÊ et devient JÊsus le Sauveur, comme s’il y avait eu au cœur de Dieu des possibilitÊs de pardon et de salut prÊexistant au pÊchÊ originel.  Et le Verbe s’est fait chair.  C’est toute la sollicitude de Dieu qui refuse que l’homme soit dÊsespÊrÊ, dÊcouragÊ.  Et le Verbe s’est fait chair.  Ce n’est pas Dieu dÊsertant le ciel, c’est la terre s’enrichissant de Dieu ; toute chose de la terre prenant alors son sens. Et quand je repense à ce que j’ai vÊcu dans cette matinÊe qui s’achève, je revois ma vie :  Ai-je ÊtÊ assez attentif à ce que Dieu m’a donnÊ ? Ai-je accueilli son Verbe dans ma chair, dans toute chair d’homme ?  Cette chair que l’on sent, que l’on Êchange, que l’on monnaie : elle est devenue la chair de Dieu, la chair du Verbe de Dieu. IncomprÊhensible  transformation  dont cependant je ne pourrai jamais assez rendre grâce au Seigneur !
 Que tout s’arrange 
 Et Il a habitÊ parmi nous.  Me voilà relancÊ dans la vie, dÊcouvrant qu’il ne faut pas penser à Dieu comme à un être lointain, mais qu’il faut l’accueillir comme il se donne, le dÊcouvrir comme il est. Il est là sur ma route et je suis heureux de repartir vers l’après-midi, plein d’espÊrance, car Dieu est avec moi. C’est ainsi que l’AngÊlus m’a amenÊ à faire un examen de conscience. Non, ma vie n’est pas une  voie de garage  encombrÊe de pÊchÊs ou de regrets, mais, au contraire, une grande route ouverte, un chemin folâtrant parmi les blÊs, les fleurs‌ et les orties oÚ je suis appelÊ à vivre, car  Il habite parmi nous , ce Dieu d’amour qui m’a tout donnÊ, celui à qui je ne dirai jamais :  C’est assez !  Merci, Seigneur, pour ce temps d’arrêt près de Marie, en plein midi !
Le rosaire
Pour s’Êveiller à la vie, rien de tel qu’un mois de mai Êclatant de fraÎcheur, de soleil et de fleurs ! Pour entrer dans le mystère de la terre qui meurt, il est bon que vienne le mois d’octobre. Avec  l’ÊtÊ de sainte ThÊrèse , il nous faut entrer dans le mystère de l’automne qui appelle une disparition à ce qu’il y a d’Êgoïste, de renfermÊ en nos vies. Mois de mai, mois du rosaire avec Marie, près de Marie ; l’un comme l’autre sont agrÊmentÊs de cette merveilleuse tradition qu’est le rosaire. Les roses de nos Ave sont autant de fleurs ceignant le front de notre Mère d’une magnifique couronne qui lui dit :  Je t’aime . Pour le fervent, il n’y a pas une rose de trop, il n’y a pas un Ave qui ne peut pas être dit. Ces Ave ont aussi la saveur des fruits de la fin de l’ÊtÊ.  À chacun de dÊcouvrir ce temps de rÊcolte, ce temps de maturitÊ qui permet de regarder la vie avec plus de recul. En automne, l’être vit au rythme de ses rÊcoltes intÊrieures. Son cœur devenu coupe recueille un à un les fruits que le temps y a dÊposÊs. Ne sont-ce pas les fruits de la sagesse ?  (extrait du Trèfle à quatre feuilles, d’Ivan de Villeneuve). Heureux sont ceux qui le matin n’ont pas peur de dire à Marie :  Je te salue Marie‌  Heureux sont ceux qui le soir s’endorment en pensant :  Prie pour nous maintenant.  C’est cela, le rosaire, cette prière à la fois du ciel et de la terre, cette prière rappelant tout ce que JÊsus a vÊcu au travers de ces quinze mystères joyeux, douloureux et glorieux ; mais aussi d’autres mystères qui peuvent en jaillir, tous ceux que l’on peut être amenÊ à vivre. Nous ignorons quelle fut la première parole de JÊsus pour
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 Que tout s’arrange 
sa mère, mais nous pouvons, en priant le chapelet, nous mettre à l’unisson des cœurs de Marie, Joseph et JÊsus, cœurs dont les  battements  rÊsonnent à nos oreilles, nous dÊvoilent leur tendresse. C’est cela, le chapelet : se laisser emporter par ce grand amour nous submergeant, oÚ — grâce à Marie — toute parole de l’Écriture devient intelligible et proche du plus petit des hommes ; car il nous suffit d’entendre, comme Marie lors de l’Annonciation, cette parole de Dieu relayÊe par l’Ange :  Je te salue‌  Et notre rÊponse sera, comme en Elle et pour Elle :  Prie pour nous, ô Notre Dame, maintenant, et à l’heure de notre mort.  LouÊ soit ce mois d’octobre oÚ, par le chapelet, Marie peut à nouveau être chez nous.
Marie au cœur de l’ÊtÊ
Le mois d’aoÝt est celui de la fête de Marie, fontaine de vie et d’amour. N’est-ce pas le moment de redÊcouvrir celle que Dieu a choisie pour mener à terme son plan d’amour ? Sans Marie, bien des hommes risquent de rÊduire JÊsus à ce qu’ils en imaginent. Aussi, elle est là pour rappeler que Dieu nous aime et comment il entend nous aimer, pour nous aider à entrer dans la merveilleuse rÊvÊlation d’un Dieu amoureux. La grâce n’a rien d’un  bulldozer  Êcrasant tout sur son passage, mais ressemble à une source jaillissante, à une oasis au fond du dÊsert, à la rosÊe qui, à l’aube, donne envie de partir, de marcher, d’espÊrer et d’aimer. Elle est comme Marie mise sur la route des hommes par Dieu pour garantir la vÊritÊ de son plan d’ÊternitÊ, la certitude de son espÊrance‌ Marie a ÊtÊ prÊvue à l’avance pour qu’au cœur de leur dÊrÊliction, de leurs dÊsappointements et de leur dÊsespÊrance, les hommes sachent toujours que leur Mère les protège et veille sur eux. Et quand l’homme risque de se replier sur sa tristesse, dans ses Êchecs, ses angoisses, il entend tout à coup le cœur de sa Mère battre en lui, comme pour le rassurer, comme pour le dÊlivrer. La libertÊ est sauve, car l’amour est premier‌
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Table des matières
PrÊface de Jean Vanier 9  Que tout s’arrange  11 Première partie. Ils m’ont choisi Autour du Toit 15 Dans l’Église 29 Chez les JÊsuites 39 Quelques rencontres 55
Deuxième partie. Il fera beau demain I. Avec eux 63 II. Visages 71 III. La foi 96 IV. Fêtes 122 V. Au fil des jours 143 VI. L’Église que j’aime 176 VII. Notre Dame 194
Que tout s’arrange «Que tout s’arrange!» Telle était l’intention de prière que me proposait une dame pour cette Eucharistie à la veille de son centenaire. «Que tout s’arrange», pour que le monde soit comme Dieu l’a rêvé, pour que l’Église soit comme elle doit être et que le cœur de Dieu continue à se donner au monde comme Il a choisi de le faire. Cette phrase ne peut-elle pas éclairer ce que ma vie a perçu du plan de Dieu ? Plan de Dieu qui n’est pas fait de réalisations écrasantes, mais qui est comme l’épanouissement d’une fleur, la maturité d’un fruit. Plan de Dieu entrevu à travers la grêle et la tempête, mais aussi à travers le soleil et le doux vent du soir qui apaise et rafraîchit. Plan de Dieu deviné à travers la souffrance brûlante et brisante, mais aussi à travers le sourire de l’enfant qui appelle à la vie.
En 1988, les éditions Fidélité publiaient le premier ouvrage du Père André Roberti, Heureux avec eux. Douze ans plus tard, Que tout s’arrange reprend le même schéma : une sélection, soigneusement ordonnée, des billets hebdomadaires que l’auteur publie dans le feuillet «Alleluia-Arche». Ce volume est enrichi d’une longue interview du Père Roberti réalisée par son confrère et ancien élève Charles Delhez. Une occasion unique de découvrir le fondateur de l’Arche en Belgique.
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