Que tout s'arrange

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André RobeRti

Que tout s’arrange Préface de Jean Vanier

fidélité



 Que tout s’arrange 



AndrĂŠ Roberti

 Que tout s’arrange 

fidĂŠlitĂŠ


Imprimi potest : Xavier Dijon, s.j., Provincial Bruxelles, le 20 juin 2000

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procĂŠdĂŠ que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, rĂŠservĂŠe pour tous pays. Š Éditions FidĂŠlitĂŠ • 7, rue Blondeau • 5000 Namur info@fidelite.be DĂŠpĂ´t lĂŠgal : D/2000/4323/07 ISBN 2-87356-189-0 Couverture : photo de Patrick Bika


Merci aux pères AndrĂŠ NazĂŠ (†), Pierre Pattyn, Paul Detienne, et Ă toute l’Êquipe de l’AllĂŠluia-Arche



Après 25 annĂŠes de vie de l’Arche Ă Bruxelles, il faut s’arrĂŞter, regarder et remercier L’Arche ne fait de leçon Ă personne. Elle cueille ces fruits de la vie comme ils se donnent. LĂ oĂš on pensait ÂŤ malheureux Âť, il n’y a qu’un cri : ÂŤ Heureux sommes-nous de dĂŠcouvrir, au-delĂ des blessures, la joie des BĂŠatitudes au cĹ“ur de l’autre. Âť L’Arche ne se veut pas Ĺ“uvre de bienfaisance. Elle est plutĂ´t un port de plaisance oĂš chaque bateau est amarrĂŠ avec son histoire, son passĂŠ, son avenir. L’Arche de Bruxelles transforme son quartier (cinq foyers dans la mĂŞme commune, la mĂŞme paroisse). Chaque foyer est diffĂŠrent, mais guidĂŠ par le mĂŞme esprit. L’Arche ouvre la porte de son cĹ“ur Ă qui n’a pas peur, apporte un message Ă qui attend et cherche vraiment. L’Arche transforme la sociĂŠtĂŠ par la prĂŠsence de ceux qui ont choisi d’y vivre, d’en ĂŞtre les amis, de nous entourer, de nous porter. Le vivre ensemble part de cette vision du monde : nous pensions aider, et c’est bien nous que l’on aide ! Nous pensions donner, et c’est nous qui recevons. Ă€ l’Arche, tout reste petit Ă la mesure d’une semence. Tout devient grand Ă mesure de l’espĂŠrance qui ouvre la moisson. Tout commence par la rencontre. Tout se poursuit dans l’Êchange. L’Arche a commencĂŠ avenue de Tervueren. Le roi LĂŠopold II la crĂŠant en 1897 ne pensait pas qu’un jour son avenue serait encore plus belle par le nouveau genre de vie de ceux qui y habitent. Père AndrĂŠ Roberti Échanges. L’Arche, communautĂŠ de Bruxelles Plaquette publiĂŠe Ă l’occasion des 25 annĂŠes de prĂŠsence de l’Arche en Belgique



PrĂŠface de Jean Vanier

J’ai souvent eu l’occasion de rencontrer le père AndrĂŠ Roberti, s.j. Chaque fois, je suis ĂŠmerveillĂŠ par la vie et l’enthousiasme qui jaillissent de lui. Il aime partager les rencontres qu’il a faites et les merveilles qu’il a trouvĂŠes dans telle ou telle personne. Il a un grand cĹ“ur, un cĹ“ur d’homme, un cĹ“ur de disciple de JĂŠsus, un cĹ“ur de prĂŞtre. Nos premières rencontres datent de Pâques 1971 et du grand pèlerinage Ă Lourdes, qui fut Ă l’origine de ÂŤ Foi et Lumière Âť. Ă€ la suite de ce pèlerinage, le père Roberti a continuĂŠ Ă susciter des rassemblements oĂš se trouvaient des personnes ayant un handicap mental ou physique, leurs parents et des amis. C’Êtait de belles cĂŠlĂŠbrations auxquelles j’ai parfois eu la joie de participer. Ce livre raconte en partie l’histoire providentielle de la crĂŠation du foyer du Toit, ce rĂŞve du père Roberti qui est devenu rĂŠalitĂŠ grâce au cri des hommes comme Denis, Yvan, Patrick et d’autres. Grâce aussi Ă la lumière cachĂŠe dans leur cĹ“ur. Grâce encore Ă l’engagement des amis compĂŠtents qui se sont associĂŠs Ă lui. Le père Roberti a entendu l’appel de tant d’hommes et de femmes qui se sentaient seuls et qui avaient besoin d’un ÂŤ toit Âť familial et communautaire. Par la suite, le père Roberti a connu l’Arche et le père Thomas. En 1972, il a demandĂŠ que le Toit fasse partie de notre grande famille, acceptant avec abnĂŠgation toutes les exigences d’une telle famille, ses structures, ses façons de faire, ses mandats. Ă€ travers les annĂŠes, l’Arche Ă Bruxelles a accueilli des personnes comme Michel dont il parle dans ce livre, et qui ĂŠtaient

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en difficultĂŠ dans la communautĂŠ de l’Arche Ă Trosly. Le grand cĹ“ur du père Roberti, sa capacitĂŠ d’accueil, son intuition concernant les besoins des uns et des autres l’incitaient Ă trouver le lieu et le travail qui convenaient Ă chacun. Dans sa personne, il est sĂŠcurisant et rassurant. Chacun se sentait compris dans sa souffrance ou ses difficultĂŠs. En lui, on reconnaissait la prĂŠsence d’un père qui aime, qui encourage, qui confirme et qui pardonne. Oui, le père Roberti a un grand cĹ“ur. Et son amour de Denis, d’Yvan, de Patrick et de chacun lui a ĂŠtĂŠ rendu au centuple. Aujourd’hui, la communautĂŠ qu’a fondĂŠe le père Roberti continue parce qu’il a su laisser la place. La vie est comme un fleuve. Le rĂ´le des anciens est de communiquer un esprit qui s’incarne ensuite en d’autres. Jean Vanier


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ÂŤ Que tout s’arrange ! Âť Telle ĂŠtait l’intention de prière qu’elle me proposait pour cette Eucharistie Ă la veille de son centenaire. Dans cette prière, je reconnais cette volontĂŠ de paix, de force et d’espĂŠrance qui a ĂŠtĂŠ le don de sa vie. Pendant soixante ans et plus, j’ai vu cette dame tous les jours Ă la messe. Elle ĂŠtait lĂ , fidèle, s’appuyant parfois au bras de celui ou celle qui l’accompagnait. Elle n’aurait pas voulu lâcher cette Eucharistie qui a ĂŠtĂŠ pour elle le don de Dieu pour ÂŤ que tout s’arrange Âť, pour que le monde soit comme Il l’a rĂŞvĂŠ, pour que l’Église soit comme elle doit ĂŞtre et que le cĹ“ur de Dieu continue Ă se donner au monde comme Il a choisi de le faire, pour que les hommes vivent en enfants de ce Dieu qui a tant voulu que tout s’arrange. C’Êtait une prière d’abandon filial. Cette phrase ne peut-elle pas ĂŠclairer ce que ma vie a perçu du plan de Dieu ? Plan de Dieu qui n’est pas fait de rĂŠalisations ĂŠcrasantes, mais qui est comme l’Êpanouissement d’une fleur, la maturitĂŠ d’un fruit. Plan de Dieu entrevu Ă travers la grĂŞle et la tempĂŞte, mais aussi Ă travers le soleil et le doux vent du soir qui apaise et rafraĂŽchit. Plan de Dieu devinĂŠ Ă travers la souffrance brĂťlante et brisante, mais aussi Ă travers le sourire de l’enfant qui appelle Ă la vie.

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Première partie

Ils m’ont choisi



Une chambre remplie de bibelots, de souvenirs, d’objets variĂŠs, Ĺ“uvres d’art ou griffonnages d’enfants‌ C’est dans ce lieu que le père Roberti m’accueille pour quelques heures d’entretien. Et voilĂ qu’il se promène, ĂŠvoquant un souvenir devant chacun de ces objets, prĂŠsence continuĂŠe des personnes rencontrĂŠes au fil des annĂŠes. La source de toute joie, manifestement, ce sont les rencontres. ÂŤ Croire en l’autre jusqu’à m’Êmerveiller et Ă le remercier d’exister, commente-t-il. Rencontrer l’autre, c’est toujours l’admirer pour pouvoir l’aimer ou bien l’aimer jusqu’à l’admirer. Âť

Autour du Toit ÂŤ Dans un monde oĂš l’on a optĂŠ pour la performance, le record Ă battre, le rendement, vous avez plutĂ´t choisi le camp des faibles, de ceux dont on ose parfois se demander : ÂŤ Ont-ils bien fait de naĂŽtre ? Âť Est-ce un choix volontaire ? —Ce sont les petits, les faibles qui m’ont choisi. Je ne me souviens jamais d’avoir pris dans ma vie une grande dĂŠcision du genre : je choisis les petits contre les grands, les faibles contre les forts. En relisant mon histoire, je me dis : Ce sont eux qui m’ont appelĂŠ, ce sont eux qui m’ont conduit, ce sont eux qui ont dessinĂŠ ma route. Il y a choix, mais pas du cĂ´tĂŠ oĂš l’on croit ! Je ne suis pas le ÂŤ chic type Âť, mais celui qui a trouvĂŠ, grâce Ă eux, le vrai chemin. Ils rendent la vie plus belle parce que, avec eux, on voit les choses dans leur vĂŠritĂŠ. Avec les gens intelligents, le risque est de voir la rĂŠalitĂŠ comme ils la veulent et non comme elle est. Jamais je ne me suis orientĂŠ vers un ordre caritatif, tournĂŠ vers les pauvres, mais j’ai toujours ĂŠtĂŠ attirĂŠ par ce qui ĂŠtait fragile, faible‌ Dans ma propre famille, l’un ou l’autre ĂŠtait dĂŠficient dans son corps blessĂŠ ou dans ses crises d’Êpilepsie. Sans le

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savoir, j’Êtais avec eux. Je ne suis pas l’homme des dĂŠvouements, mais la vie m’a toujours rendu prĂŠsent Ă des situations de souffrances, de handicaps ou de rejet. Un toit pour une nouvelle aventure —Le Toit, c’est quand mĂŞme votre initiative ? —Je voulais ouvrir le collège Saint-Michel de Bruxelles que je trouvais trop fermĂŠ, tout comme la sociĂŠtĂŠ dans laquelle nous vivions en mai 68. Le Toit est un peu le fruit de ces annĂŠes-lĂ . Non pas une consĂŠquence, mais une ĂŠtrange coĂŻncidence : il y eut un premier pèlerinage Ă Lourdes en 1965 et puis ils ne se sont plus arrĂŞtĂŠs. Le Toit est arrivĂŠ Ă ce moment. Pendant cinq annĂŠes, j’ai priĂŠ durant chaque retraite pour trouver une rĂŠponse Ă mon appel : comment ouvrir les jeunes aux rĂŠalitĂŠs de ce monde ? Comment empĂŞcher ces cloisonnements et ces enfermements dans lesquels souvent nous vivions de par notre ĂŠducation, nos familles et nos traditions ? Le Toit — nom choisi par mes amis handicapĂŠs — s’est alors prĂŠsentĂŠ, avant tout comme un lieu de rencontre, d’accueil, d’Êchange, d’amitiĂŠ, de partage. J’imaginais des jeunes, des personnes de la Vie montante, des ĂŠtrangers — j’en rencontrais de plus en plus — sous la prĂŠsence vigilante de la personne handicapĂŠe. J’avais l’impression que si elle ĂŠtait au centre, non pas comme celle que l’on veut servir Ă tout prix, mais, avant tout, comme celle qui sent l’existence de notre communautĂŠ, de notre rĂŠalitĂŠ, nous allions bien dĂŠmarrer. Je me sentais protĂŠgĂŠ, guidĂŠ, inspirĂŠ par leur prĂŠsence. Et ce furent les merveilleuses dĂŠcouvertes de Denis, HĂŠlène, Patrick, Yvan, de tous ceux qui ont cheminĂŠ avec moi. D’abord, il y eut des personnes handicapĂŠes physiques, ensuite les personnes handicapĂŠes mentales dĂŠcouvertes Ă Lourdes et surtout Ă Ciney. Jamais je ne pourrai me lasser de dire : ils sont mes maĂŽtres.

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Je rĂŞve parfois de rĂŠsumer ma vie et mon expĂŠrience en quelques visages, en quelques paroles, mais ce ne serait pas juste parce que ce sont peut-ĂŞtre ceux qui n’ont rien dit qui m’ont le plus transformĂŠ. Je cite souvent une petite phrase de mon grand ami Denis qui m’accompagnait toujours dans les retraites, les rĂŠcollections. Un jour, je lui dis : ÂŤ Tu sais, Denis, les jeunes souvent me rĂŠpondent : près de la personne handicapĂŠe, nous dĂŠcouvrons l’essentiel. Pourrais-tu me dire ce qu’est pour toi l’essentiel ? Âť Et Denis, tout tordu dans sa voiturette, les bras attachĂŠs pour ne pas se blesser, me partage, me crie presque son message : ÂŤ Tu sais, Père, l’essentiel, c’est de vivre calme et dĂŠtendu. Et pour cela, il faut ouvrir les yeux et voir le Seigneur qui passe. Pour moi et pour tous. Âť Un jour, Denis m’a fait part d’une souffrance qu’il vivait Ă Lourdes. Je ne le connaissais pas encore bien. C’Êtait au temps oĂš nous allions chanter le soir dans les salles d’hĂ´pitaux. VoilĂ que tout Ă coup il me lance : ÂŤ Père, j’ai quelque chose Ă te dire. Âť Je me suis approchĂŠ de lui et il m’a expliquĂŠ : ÂŤ Comment se faitil que j’ai vĂŠcu toute cette journĂŠe dans un si grand cafard ? Tu sais, dès le matin, cafard, et puis Ă midi encore. Et quand le Seigneur est sorti de son ĂŠglise avec le Saint Sacrement, encore ce grand cafard. Je lui ai criĂŠ : Seigneur, pourquoi est-ce que j’ai le cafard ? Et puis, ce fut la procession et mĂŞme les piscines, et toujours le mĂŞme cafard. Âť Tout ĂŠmu, je lui dis : ÂŤ Mais Denis, tu ne crois pas que tu as eu le cafard comme le Christ l’a eu sur la croix ? C’est au fond cela, tout ce que tu as vĂŠcu. — Ah, Père, c’est vrai. Âť Et il a ajoutĂŠ : ÂŤ Merci, Seigneur, pour le grand cafard. Âť

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En alliance avec les personnes handicapĂŠes —Avant le Toit, vous ĂŠtiez dĂŠjĂ familier du monde des personnes handicapĂŠes. Quel a ĂŠtĂŠ le point de dĂŠpart de cette alliance ? —Peut-ĂŞtre, en remontant loin dans mon histoire, une maman merveilleuse qui a vĂŠcu cinq ou six annĂŠes de grande maladie : tumeur au cerveau, opĂŠration, re-opĂŠration, trois mois de sĂŠjour en clinique Ă Paris‌ tout cela entre l’âge de 7 et 12 ans. Sans que nous ne nous en rendions compte, elle nous a toujours beaucoup aimĂŠs, entourĂŠs. Nous n’avons pas tellement manquĂŠ d’aide parce que nous la sentions si proche de nous. Cela a dĂť me former. Ă€ propos d’une de ses trĂŠpanations, elle m’a avouĂŠ plus tard : ÂŤ Je l’ai offerte pour toi, parce qu’à ce moment-lĂ , tu n’Êtais pas très courageux au travail et un peu menteur. Âť —Vous avez aussi travaillĂŠ avec le docteur Yasse ? —Le docteur ! C’est aussi une expĂŠrience extraordinaire. Il faisait partie de notre ĂŠquipe de foyers et, très vite, nous sommes entrĂŠs dans sa vie, le CBIMC (Centre Belge pour les Infirmes Moteurs CĂŠrĂŠbraux) oĂš j’ai ĂŠtĂŠ aumĂ´nier, mĂŞme un peu professeur. Je lui suis profondĂŠment reconnaissant. Il a vraiment ĂŠtĂŠ un grand leader dans ma vie, un maĂŽtre. Après, nous nous sommes un peu ĂŠloignĂŠs Ă cause de mon choix de l’Arche. Lui s’occupe des infirmes moteurs cĂŠrĂŠbraux, nous Ă l’Arche, plutĂ´t des handicapĂŠs mentaux. Mais je ne pourrai jamais assez le remercier pour cette façon qu’il avait de regarder les personnes, de les rencontrer, de croire en elles. —Vous alliez avec les ĂŠlèves en retraite Ă Ciney. Dans ce centre, les enfants sont parfois très profondĂŠment handicapĂŠs, incapables de dire un mot. Qu’est-ce que ce silence vous a apportĂŠ ? —Ces corps blessĂŠs qui ne peuvent mĂŞme pas rĂŠagir Ă un geste d’amitiĂŠ, avec qui on ne peut pas jouer, qui ne sont pas en ĂŠtat de rĂŠpondre au mouvement, au geste, sont la prĂŠsence de

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Dieu. Je me suis souvent dit : ÂŤ Ils ne sont pas riches du bien que je leur ai fait ou donnĂŠ, mais de ce qui aura changĂŠ en moi, Ă cause d’eux. Âť Je ne pouvais jamais revenir de Ciney sans Ă chaque fois me dire : ÂŤ Vraiment, Ă cause d’eux, ma vie changera. Âť Ils ne m’auront pas dit une parole pour me transformer, ils ne m’auront mĂŞme pas regardĂŠ. Mais leur prĂŠsence, la grâce que j’ai eue de les toucher, de les embrasser, d’être près d’eux, me renvoie Ă ma vie et m’invite Ă changer. —Parlez-nous des dĂŠbuts du Toit en janvier 1971‌ —Le 17 janvier au soir, je m’endormais pour la dernière fois dans ma chambre du collège Saint-Michel, me rĂŠjouissant dĂŠjĂ d’être le lendemain et de commencer cette aventure. Je croyais que tout ĂŠtait prĂŞt. Mais je me suis vite aperçu qu’il manquait les choses ĂŠlĂŠmentaires. Nous n’avions mĂŞme pas de gaz pour faire le cafĂŠ. J’ai dĂť utiliser un petit camping gaz. Il a fallu attendre deux ou trois jours pour trouver une bonbonne convenable. Nous la gardons en souvenir. Dans le jardin du Toit, elle supporte la vasque de fleurs ! Le premier soir, en prĂŠsence d’un groupe de foyers, du docteur Yasse et de mes amis, le père Toussaint a prononcĂŠ une homĂŠlie prophĂŠtique sur l’avenir du Toit. Il sentait Ă l’avance que les pauvres devraient y avoir toujours leur place. Vrai ment, un texte prophĂŠtique que nous conservons et relisons avec dĂŠvotion ! Le père Toussaint fut un homme extraordinaire. Dieu l’a mis sur ma route. Compagnon de JĂŠsus et professeur comme moi, nous vivions une amitiĂŠ tout Ă fait dans le style de la Compagnie : on n’exprime pas tellement ce que l’on sent, mais on vit les choses ensemble. Peu Ă peu, nos existences se sont jointes : les pèlerinages Ă Lourdes et toute l’histoire du Toit et de l’Arche ont ĂŠtĂŠ vĂŠcus avec lui. Jamais je n’ai pris une dĂŠcision sans lui demander son avis. Il a ĂŠtĂŠ envoyĂŠ par Dieu pour me donner la force et l’audace de sa foi, la douceur de son amitiĂŠ et de son intĂŠrioritĂŠ.

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Je ne pourrai jamais l’oublier. J’ai encore dans ma chambre une feuille de papier qu’il mettait sur sa porte : ÂŤ Je suis Ă la chapelle. Âť C’est plus qu’un souvenir : une relique, une prĂŠsence, un appel. La rencontre avec Jean Vanier —Quelles sont les grandes ĂŠtapes de l’histoire du Toit ? —Au Toit, on ĂŠtait heureux. Il y a eu la fameuse et merveilleuse amitiĂŠ avec Marc Lemmens. Je lui donnais cours de religion — il ĂŠtait en troisième latine. J’apprends tout Ă coup qu’il est atteint d’un cancer. Ce fut un long chemin de mai 71 Ă dĂŠcembre 72, chemin de confiance, de courage, de lutte. Il a ĂŠtĂŠ aux origines de notre dĂŠcouverte de l’Arche. Quatre jours avant sa mort, il m’a donnĂŠ ses derniers mille francs en me disant : ÂŤ VoilĂ , pour la première maison de l’Arche. Âť Il n’Êtait pas encore question Ă ce moment-lĂ d’en faire partie, si ce n’est dans notre cĹ“ur, tant nous ĂŠtions ĂŠmus et ĂŠblouis par la beautĂŠ de cette nouvelle forme de vie, ce rayonnement de joie et de foi. Marc avait suivi une retraite Katimavik* de Jean Vanier, quinze jours auparavant, Ă Remersdael. Sans le savoir, il ĂŠtait prophète. Un an après, l’Arche naissait en Belgique (le 14 dĂŠcembre 1973). —Et puis, il y a eu d’autres maisons‌ —Le 18 janvier 1974, BethlĂŠem s’ouvrait Ă Bruxelles. Et en mĂŞme temps, Ă Anvers, Marie-Jeanne, Marlène, les Frères Alexiens et des amis prĂŠparaient l’ouverture de Madona pour le 1er mai. Puis ce fut la Branche, encore Ă Bruxelles, le 31 mai et toutes les autres maisons ont suivi : Namur, Liège, Bierges. Actuellement, il y a seize foyers re groupĂŠs en six communautĂŠs. On rĂŞve toujours d’en faire plus, mais il ne faut pas aller trop vite ! Nous avons des problèmes de structuration qui doivent nous appeler Ă vivre autrement qu’il y a 25 ans. Les jeunes sont aujour* Nom esquimau – ÂŤ rencontre Âť – donnĂŠ aux retraites animĂŠes par Jean Vanier. 20


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d’hui diffĂŠrents. Mais en regardant tout cela, je ne peux que dire : ÂŤ Ce n’est pas moi qui ai fait tout cela. Je n’en suis que le tĂŠmoin. Âť —Et puis est venue la ÂŤ Voisine ‌ —C’est tout simplement la maison voisine du Toit. Elle est prĂŠcieuse pour accueillir, pour organiser des rĂŠunions tout en respectant la vie du Toit, marquĂŠe par les handicaps de ses habitants. L’Êtat de santĂŠ de certaines personnes rend impossible la circulation de vingt ou trente jeunes autour d’elles. La Voisine rĂŠpond Ă un triple objectif : elle est lieu d’accueil et de rencontre, maison oĂš se structurent des Ĺ“uvres autour du Toit et de l’Arche, espace de prière. Tous les jours, il y a l’eucharistie et l’adoration. Des temps et des lieux sont en effet nĂŠcessaires pour la rencontre, le partage des joies et des peines, dans l’adoration et la prĂŠsence de Dieu. FragilitĂŠ des couples —Un lieu comme celui-lĂ vous permet d’accueillir beaucoup de gens, notamment des couples en difficultÊ‌ —Je n’ai pu porter ces souffrances que parce que mes amis handicapĂŠs les portaient. Le Seigneur m’a permis de rencontrer des peines qui dĂŠpassent l’imagination. Dans les familles les couples, dans la vie. Ce ne fut possible que parce que j’Êtais portĂŠ. Je me souviens des jours oĂš, n’en pouvant plus face au troisième deuil dans la mĂŞme famille, je me suis arrĂŞtĂŠ pour demander Ă une sĹ“ur que je connaissais de prier pour moi. Elle n’Êtait pas lĂ . J’ai demandĂŠ aux membres de la communautĂŠ que j’ai rencontrĂŠs : ÂŤ Vous ĂŞtes lĂ , priez pour moi. Je n’en peux plus. Âť C’est un très grand mystère. La souffrance dĂŠpasse parfois l’entendement. Peut-ĂŞtre est-ce ma vocation d’avoir ĂŠtĂŠ portĂŠ par tant de souffrances autour de moi afin de porter Ă mon tour celles qui sont venues vers moi. Je ne suis pas le spĂŠcialiste qui aide les

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gens Ă porter leur croix. Je me sens tout au plus capable d’essayer de pleurer avec eux. NommĂŠ père spirituel des sĂŠminaristes luxembourgeois, je me suis dis : ÂŤ Si je leur apprends Ă pleurer avec ceux qui pleurent, j’aurai fait du bon travail. Âť Je rends grâce Ă Dieu de ce que j’ai beaucoup pleurĂŠ. Petit enfant, c’Êtait dĂŠjĂ une caractĂŠristique. Je crois que c’est parce que j’ai beaucoup aimĂŠ et, finalement, parce que j’ai ĂŠtĂŠ beaucoup aimĂŠ. On n’aime pas si on n’est pas aimĂŠ. —Les couples que vous accompagnez aujourd’hui ne sont-ils pas beaucoup plus fragiles que jadis ? —Apprendre que tel couple proche rencontre des difficultĂŠs ou en arrive Ă se sĂŠparer est la chose la plus douloureuse. Pensant Ă leurs enfants, je me dis souvent : le plus grand des handicaps, c’est la brisure de sa famille. Il faut le dire sans juger. On ne sait pas ce qu’ils ont vĂŠcu ni le motif de leur dĂŠcision, mais on se sent appelĂŠ Ă les aimer davantage. J’ai passĂŠ beaucoup de temps Ă accompagner des jeunes avant leur mariage, durant les fiançailles. Je leur ai consacrĂŠ de nombreuses de soirĂŠes, toujours dans le cadre du Toit ou de la Voisine, autour de la table‌ eucharistique d’abord, puis celle du souper. Parfois, des amis handicapĂŠs sont venus. Je tenais Ă leur prĂŠsence. Mieux que tous mes beaux discours, la prĂŠsence de Michel et de Jean, le sourire malicieux d’Yvan, la paix rayonnante de Denis sont peut-ĂŞtre les meilleures formations Ă la vie d’un couple, d’une communautĂŠ, la meilleure ĂŠcole de l’amour. —Et j’ai appris que, souvent, vous les accompagnez encore lors des naissances. —Pour moi qui n’ai pas eu la joie d’avoir des enfants, une naissance, c’est Ă chaque fois la CrĂŠation qui recommence. Quand un enfant naĂŽt, j’Êcris un mot Ă ses parents ou mĂŞme Ă cet enfant en lui disant : ÂŤ J’espère ĂŞtre le premier Ă t’Êcrire !‌ Âť Je veux lui dire : ÂŤ Tu sais, tu es important pour moi. Ton papa et ta maman sont

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si importants pour moi. Aujourd’hui, ils sont tout près de toi. Vous ĂŞtes tous tellement importants pour Dieu, et pour moi ! Âť La prĂŠsence d’un enfant est un sourire de Dieu pour moi-mĂŞme et tous ceux qui souffrent. —Et quand vous rencontrez un couple qui ne peut pas avoir d’enfant ? —LĂ , vous touchez peut-ĂŞtre une des racines les plus profondes de mon histoire. Je ne la raconte pas souvent. Papa avait quatre fils. Un seul a eu des enfants. Deux de mes frères ont cheminĂŠ pour dĂŠcouvrir ce que Dieu leur demandait Ă travers ce sacrifice. Toutes nos fĂŞtes de famille ont ĂŠtĂŠ marquĂŠes par cette peine, cette absence. Et c’est peut-ĂŞtre aussi devant le courage de ces deux couples que j’ai pu dĂŠcouvrir qu’au fond, l’enfant ne peut pas ĂŞtre la rĂŠcompense d’un amour, ni mĂŞme la consĂŠquence d’un choix de vie. Il est pure gratuitĂŠ, pur signe d’un plus, d’un mieux qui nous invite Ă aller plus loin. Ceux qui n’ont pas eu d’enfant peuvent dĂŠcouvrir ce mieux et ce plus, autrement. Un peu comme moi‌ On n’a pas un enfant parce qu’on le veut, mais parce qu’on le reçoit. Il vient d’au-delĂ de moi, il n’est pas le fruit de ma volontĂŠ, d’un moment oĂš j’ai rĂŠussi presque Ă le crĂŠer en trompant peut-ĂŞtre mon partenaire. Son baptĂŞme nous rappelle qu’il n’est pas ma chose, ma possession. Il est sacrĂŠ. Il appartient Ă Dieu parce que Dieu est son premier Père. Quand une personne handicapĂŠe veut avoir un enfant, je dois entrer Ă fond dans sa souffrance. Je dois oser lui dire : un enfant n’est pas une compensation, ce n’est pas une rĂŠalisation, c’est un chemin. Si l’on choisit d’avoir un enfant, jusqu’oĂš eston capable de l’assumer ? Pensons-nous assez aux droits de cet enfant ?

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—Vous cĂ´toyez aussi des couples de personnes handicapĂŠes‌ —Il est certain que notre sociĂŠtĂŠ est orientĂŠe vers le couple. La publicitĂŠ est parfois outrageante. Blessante aussi pour tous ceux qui ne peuvent pas vivre cette aventure. Je voudrais ĂŠvoquer mes amis Michel et Jehanne. Ils ont mis du temps avant de pouvoir crĂŠer leur couple. Ils se sont mariĂŠs vers la quarantaine. Michel s’Êtonne lui-mĂŞme d’être toujours‌ avec la mĂŞme ! Et parfois, je les invite pour qu’au coin du feu, le soir, ils puissent dire Ă des jeunes couples ce qui est important, comment on doit se rĂŠconcilier, comment on ne peut pas vivre trop longtemps tendus et sĂŠparĂŠs. Je connais l’histoire de Michel, tout ce qu’il a vĂŠcu Ă l’Arche et avant l’Arche, rejetĂŠ par sa famille, plein d’animositĂŠ, plein de mĂŠchancetÊ‌ blessĂŠ par la vie. Eh bien, ce mĂŞme homme rejetĂŠ par ses parents Ă la naissance a eu cette phrase merveilleuse Ă l’enterrement de sa maman : ÂŤ Je remercie maman de m’avoir donnĂŠ la vie. Âť Il a ajoutĂŠ : ‌ de m’avoir donnĂŠ des frères et des sĹ“urs. Âť Ce fut le plus beau moment de cette cĂŠrĂŠmonie d’adieu. Michel n’est pas un saint, mais il est porteur de Dieu. J’aime passer du temps avec lui. Quand je vais souper chez eux, on allume une bougie comme au temps de l’Arche et on dit ÂŤ Je vous salue, Marie Âť en se donnant la main. C’est leur prière du soir. Le langage de la compassion —On vient de parler de la souffrance. Celle-ci peut encore prendre bien d’autres visages. La souffrance, c’est un argument contre Dieu, souvent. Un argument Ă prendre au sĂŠrieux ? —J’aimerais parler de ce sujet et j’en ai peur. Il faudrait se taire parce qu’on ne sait pas parler correctement de la souffrance. C’est une rĂŠalitĂŠ telle qu’on ne l’approche que dans les larmes ou le sang, le silence ou la tendresse. Le plus beau langage de la com-

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passion, c’est de pleurer avec ceux qui pleurent, d’entrer dans une certaine rĂŠvolte avec ceux qui n’en peuvent plus. JĂŠsus a dit : ÂŤ Père, ĂŠloigne de moi ce calice Âť, et aussi : ÂŤ Pourquoi m’as-tu abandonnĂŠ ? Âť Paroles rudes et vraies devant la souffrance. Il a fallu qu’à ce moment-lĂ , près de JĂŠsus, Marie soit lĂ , et Simon de Cyrène et VĂŠronique et les femmes de JĂŠrusalem. La souffrance demande une prĂŠsence. Pensons qu’aujourd’hui des milliers de personnes âgĂŠes vivent de lentes agonies dans des institutions oĂš elles n’ont plus d’identitĂŠ. Il y a des gens tellement seuls ! Ă€ leur mort, il n’y a personne‌ Nous devrions retrouver un monde oĂš la souffrance appelle la compassion, ce qui veut dire : si tu souffres, je veux souffrir avec toi, avoir mal avec toi. Je veux partager. L’Eucharistie, qu’estce d’autre que de porter, avec JĂŠsus et toute l’Église, les larmes et les cris des hommes d’aujourd’hui. Par le mystère de la mort et de la rĂŠsurrection de JĂŠsus, on entre en communion avec la personne handicapĂŠe, la personne âgĂŠe, la personne dĂŠsespĂŠrĂŠe. Au regard du nombre de suicides dans la sociĂŠtĂŠ actuelle, on se dit : si j’avais accordĂŠ plus d’attention aux autres, mieux ĂŠcoutĂŠ les cris de dĂŠtresse, plus chaleureusement tenu des mains, il y en aurait moins. Ai-je offert Ă ceux dont la vie s’est tragiquement terminĂŠe le temps, l’amour, la patience, la prière, le don d’une certaine prĂŠsence ? Ne sommes-nous pas un peu responsables de ces soirĂŠes oĂš ils ont ĂŠtĂŠ seuls, oĂš ils ont fait leur choix. Qui peut dire qu’il a fait tout ce qu’il pouvait ? La Belgique est un des pays oĂš il y a le plus de jeunes qui se suicident. S’ils avaient ĂŠtĂŠ vraiment entourĂŠs‌ —Comment Dieu, qui est Père, tolère-t-il tant de souffrance ? Une souffrance qui conduit parfois, comme vous le dites, jusqu’au suicide, c’est-Ă -dire le refus de ce cadeau de la vie. —J’ai dĂŠjĂ eu envie d’en vouloir Ă Dieu. Je crois alors l’entendre me dire : ÂŤ Comment vas-tu faire pour me remplacer ? Par amour, je crois en l’homme, je l’ai crĂŠĂŠ libre. Je ne vais pas tout

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le temps intervenir dans ses dĂŠcisions, ses engagements. Je vous confie Ă vous, mes prĂŞtres, mes religieuses, mes papas et mamans, mes enfants, le soin de sauver le monde du dĂŠsespoir. Par votre bontĂŠ, par votre sourire, par des ingĂŠniositĂŠs, une fleur mise au bon moment, un coup de tĂŠlĂŠphone donnĂŠ quand il le faut, un choix de vacances oĂš l’on n’accepte pas d’être tout Ă fait sĂŠparĂŠ de ceux qui en ont besoin‌ Âť Je me dis parfois que si j’Êtais curĂŠ de paroisse, je commencerais la messe du dimanche matin par cette interpellation : ÂŤ Mes frères, je suppose que, durant la semaine, vous avez pu aller voir dans les hĂ´pitaux, dans les cliniques et mĂŞme Ă la prison, tous ces amis dont l’Évangile nous parle. Âť Et je leur demanderais tout simplement : ÂŤ Qui de vous a pu faire cette dĂŠmarche Ă laquelle JĂŠsus nous invite ? Je verrais trois ou quatre doigts se lever timidement sur les deux cents personnes qui sont lĂ . Alors, je poursuivrais : ÂŤ Mes frères, vous n’avez pas eu le temps de le faire ; moi non plus. Je vous propose que nous arrĂŞtions cette eucharistie pour nous retrouver ce soir. Et d’ici-lĂ , nous tâcherons d’appliquer le conseil de JĂŠsus pour que nous puissions ensuite cĂŠlĂŠbrer sa prĂŠsence parmi nous. Âť Ce serait ĂŠvidemment un peu heurtant. Quelqu’un m’a dit : ÂŤ Tu n’aurais plus personne Ă ta messe. Âť ĂŠtre prĂŠsent Ă la mort —Vous avez aussi beaucoup vĂŠcu l’approche de la mort en accompagnant ceux qui partaient vers le Père. Que diriez-vous de ces derniers instants ? —De la mort comme de la souffrance, on ne doit pas parler. Il faut ĂŞtre prĂŠsent, et sans peur. ÂŤ Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur ! Âť Que signifie ÂŤ mourir dans le Seigneur Âť ? C’est savoir que l’on va vers lui et en mĂŞme temps reconnaĂŽtre qu’on est avec lui. Quand on voit toute cette gĂŠnĂŠrositĂŠ, cette ferveur, cette piĂŠtĂŠ qui peut entourer les personnes malades, les

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mourants, on se rend bien compte qu’il y a lĂ une prĂŠsence de Dieu. La mort ne peut pas ĂŞtre une page que l’on tourne trop facilement. Elle est sacrĂŠe comme une naissance. Chaque personne qui meurt me fait entrer dans le mystère non seulement de l’audelĂ , mais du passage. Il y a un mystère de la mort que nous n’avons pas encore vraiment percĂŠ. La Vierge de Lourdes a rĂŠvĂŠlĂŠ ce mystère Ă Bernadette quand elle lui a dit : ÂŤ Je ne te promets pas de te rendre heureuse en cette vie, mais dans l’autre. Âť Pour moi, la mort est le passage vers l’autre vie. Et l’autre vie, c’est un au-delĂ de moi, mais elle sera faite de ce que j’ai vĂŠcu. Si l’on veut, c’est la mĂŞme, mais dans un dĂŠpassement. —On hĂŠsite parfois Ă montrer un mort aux enfants‌ —Il n’y a pourtant que les enfants pour bien s’approcher de la mort. Mes parents ne m’ont pas cachĂŠ ma grand-mère sur son lit de mort quand j’avais 5 ans. Cela ne m’a pas du tout traumatisĂŠ. Dans leur approche de la mort, les enfants reflètent soit les angoisses soit l’espĂŠrance des parents. Ne leur refusez pas de regarder sur leur lit de mort leur papa ou leur maman, ou leur grand-père ou leur petit frère. Je me souviens du petit Olivier dans son cercueil. Les enfants jouaient autour. C’Êtait beau Ă voir. J’ai souvent revu des scènes analogues. Que de fois les parents veulent protĂŠger leurs enfants. En fait, c’est eux qu’ils cherchent Ă protĂŠger. Âť

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Dans l’Église Une Église bimillĂŠnaire ÂŤ Parlons maintenant de l’Église. Vous ĂŞtes prĂŞtre, homme d’Église Ă temps plein. Comment voyez-vous l’Êvolution de cette institution maintenant bimillĂŠnaire ? Avec crainte, dĂŠsespoir, espĂŠrance ? Ne vous arrive-t-il pas parfois d’être dÊçu par l’Église ? —Si le mot dĂŠception peut se dĂŠfendre, ce serait comme des parents dÊçus de leurs enfants ou des enfants dÊçus de leurs parents. Mais dans ce cas, le rĂŞve a pris la place de la rĂŠalitĂŠ. Pour moi, l’Église est faite de pĂŠcheurs depuis Pierre et Paul jusqu’à nous. Il n’y a pas donc d’Église pure qui soit tombĂŠe, d’Église en dĂŠfaite ou en dĂŠclin. Nous sommes plutĂ´t au dĂŠbut d’une Église. Nous sommes au neuvième mois de la grossesse de l’Église plutĂ´t qu’aux nonante-neuf ans de sa vieillesse. Notre pĂŠchĂŠ, notre faiblesse, c’est de n’avoir pas vraiment cru en elle. Nous avons choisi la sĂŠcuritĂŠ et l’ordre contre une certaine aventure. Dans les ĂŠphĂŠmĂŠrides du collège, on mettait en exergue L’ordre conduit Ă Dieu (saint Augustin). J’appartiens Ă cette gĂŠnĂŠration oĂš l’ordre est important, mais le Fils de Dieu ne s’est pas fait homme pour mettre de l’ordre et pour apprendre aux hommes Ă en avoir. L’ordre est un moyen, l’essentiel est ailleurs. —Que mettez-vous sous ce mot ÂŤ Église Âť ? —L’institution Église est une nĂŠcessitĂŠ, mais ce n’est pas l’essentiel. Ce qui en est le cĹ“ur, c’est, Ă travers et au-delĂ de l’institution, son message d’amour, ce partage de vie que Dieu est venu proposer aux hommes. L’Église, c’est avant tout le lieu, le temps de la rencontre entre Dieu et les hommes. Il faut donc aujour-

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d’hui que nous trouvions comment permettre Ă Dieu de rencontrer les hommes. Cela me peine parfois de voir qu’on attache tellement d’importance Ă des prĂŠsences d’Église qui sont sĂŠcurisantes, disons traditionnelles, tellement moins importantes que tout l’effort que nous devons faire pour rencontrer l’autre. J’aime l’Église. Elle doit ĂŞtre le lieu du pardon oĂš les plus petits, les plus faibles, les plus pĂŠcheurs sont aimĂŠs. Le pardon, c’est vraiment Dieu qui partage son cĹ“ur. Ça me dĂŠpasse, je ne le comprends pas, et cependant c’est vital. Nous aurons ratĂŠ notre vie chrĂŠtienne si nous ratons la joie de l’Évangile, celle de la brebis perdue, de l’enfant prodigue. Ce n’est pas un pauvre pĂŠcheur qui retourne vers son Père, c’est un cĹ“ur de Père qui attend son enfant comme il est, qui est prĂŞt Ă tout pour lui. Le pardon dans l’Église est essentiel. Pardon ner, c’est aimer plus. Nous avons peut-ĂŞtre trop souvent regar dĂŠ le pardon comme un geste rituel, juridique, confondant le tribunal et la patience. Or, il n’y a pas de tribunal dans le cĹ“ur de Dieu. —Vous dites parfois que vous avez mal Ă votre Église ? —J’ai empruntĂŠ cette expression Ă quelqu’un d’autre, mais elle exprime bien mon sentiment. Que de rivalitĂŠs, de re cherche de puissance‌ On a envie de dire : arrĂŞtons, redevenons humbles chrĂŠtiens. FĂŞtons l’humilitĂŠ du bois de la crèche sur lequel a reposĂŠ JĂŠsus. L’Église devrait ĂŞtre davantage ce visage de bontĂŠ, d’accueil, de comprĂŠhension, de pardon. Parfois, en regardant le Saint-Père Ă la tĂŠlĂŠvision, je vois Ă quel point il est plein de bontĂŠ. Mais ceux qui sont autour de lui, les monseigneurs qui sont lĂ un peu comme des potiches, ont l’air sĂŠvère, triste. PeutĂŞtre suis-je trop dur ? Pendant le temps de leur service, que ces dignitaires se laissent regarder par Dieu et la foule verra Dieu. L’Église doit ĂŞtre humaine. Dieu s’est fait homme, il est entrĂŠ dans la structure de l’humanitĂŠ Ă pleine chair, Ă plein corps.

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—Qu’est-ce qui vous fait mal dans l’Église d’aujourd’hui ? —C’est peut-ĂŞtre un certain climat de peur qui me paraĂŽt ĂŠmerger de diffĂŠrentes instructions d’Église. On annonce la beautĂŠ du Royaume, la beautĂŠ de l’Évangile, la vĂŠritĂŠ de notre histoire, mais on ressent de la peur. La peur n’est jamais bonne conseillère, elle freine, elle fait soupçonner‌ On ne s’accepte pas diffĂŠrents. Il y a des jugements de valeurs au nom d’une certaine tradition, mais la vraie tradition permet un progrès. Si l’Église n’est pas en progrès, elle devient un musĂŠe. Il faut oser croire que ce qui arrive aujourd’hui est, dans un certain sens, plus beau qu’hier, et que demain sera encore autre. Nous avons trop peur de changer, de toucher Ă des structures, de regarder les problèmes en face. Nous prĂŠfĂŠrons les rĂŠsoudre intellectuellement dans un discours qui ne rejoint pas assez le concret de la vie. Or, l’Église existe pour que les hommes vivent et non pas pour qu’ils observent des lois ou des traditions‌ —On est finalement plus attentif aux lois, aux traditions, Ă l’institution, qu’aux personnes elles-mĂŞmes. —Exactement ! Si l’Église a des dĂŠrapages, c’est presque toujours par peur. Elle est sur la dĂŠfensive alors que si elle croyait et aimait, elle retrouverait tout ce qu’il y a de beau dans la personne. Les disputes Ă propos de telle tendance de droite ou de gauche, traditionnelle ou progressiste, sont très dommageables. Si nous aimons la personne humaine, c’est parce que Dieu s’est fait homme et qu’il est venu rĂŠvĂŠler aux hommes que la personne ĂŠtait divine. L’homme n’est pas une crĂŠation secondaire parmi des animaux et les montagnes. Il est Ă l’image de Dieu, il a un caractère sacrĂŠ. Depuis un certain temps, on a retrouvĂŠ dans l’Église la place de la personne handicapĂŠe. Il y a des cĂŠlĂŠbrations oĂš elle peut, comme les autres, servir la messe, participer Ă part entière au dĂŠveloppement de la liturgie. C’est un grand bien.

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—Quels sont les bourgeons que vous voyez s’ouvrir dans l’Église d’aujourd’hui ? Les signes d’avenir ? —La place que les personnes handicapĂŠes — donc les faibles, les petits — obtiennent de plus en plus dans notre sociĂŠtĂŠ est un signe d’espĂŠrance et de joie profonde. A une ĂŠpoque, nous ĂŠtions gĂŞnĂŠs de sortir avec eux. Aujourd’hui, en leur prĂŠsence, on est plus heureux. On se sent davantage reconnus. J’aime croiser, Ă la terrasse des cafĂŠs, des groupes de jeunes dans lesquels figurent des amis en voiturette. Les jeunes sont un autre signe d’espĂŠrance. Ils sont tellement diffĂŠrents de nous que leur manière d’être crĂŠe une dimension nouvelle qu’il faut reconnaĂŽtre, accepter, aimer. Heureux sommes-nous chaque fois que, contrĂŠs et mĂŞme remis Ă notre place par des jeunes, nous parvenons Ă maintenir le dialogue. Ils ont tant de choses Ă nous apporter ! Les ĂŠtrangers, que nous laissons trop souvent sur le cĂ´tĂŠ, nous font dĂŠcouvrir un monde nouveau. Non pas un monde de rĂŞve ou de regret, mais celui qu’avec eux nous allons construire. Chaque fois que nous parvenons Ă entrer en relation avec eux, c’est une grande joie. Enfin, la rencontre avec la souffrance et la mort conforte mon espĂŠrance. Nous vivons dans un monde apparemment moins religieux, mais il l’est autrement. Dieu n’est plus celui dont on parle, ni mĂŞme celui Ă qui l’on parle. Il est celui qui nous parle, que nous entendons. Chacun de nous, Ă sa façon, rentrant en lui-mĂŞme, le perçoit. C’est parfois troublant, mais rĂŠellement rĂŠconfortant. Le ciel se rĂŠvèle en chacun de nos pas sur cette terre. —Le prĂŞtre que vous avez ĂŠtĂŠ sera-t-il le modèle du prĂŞtre de demain, ou bien y aura-t-il une autre manière d’être prĂŞtre ? —Je suis le prĂŞtre que je suis, avec mes pĂŠchĂŠs et mes dĂŠfauts. Je ne demande Ă personne de me ressembler ou de m’imiter. Je souhaite cependant Ă beaucoup de vivre ce que j’ai vĂŠcu et d’être

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heureux comme je l’ai ĂŠtĂŠ. Je veux vraiment rendre grâce Ă Dieu pour cela. Que sera le prĂŞtre de demain ? Un homme plus incarnĂŠ parce que plus spirituel. Nous avons peur de l’incarnation parce que nous ne sommes pas assez spirituels. Si vraiment je vis une intimitĂŠ profonde avec JĂŠsus Christ, je ne dois pas avoir peur de rentrer dans n’importe quel lieu, de rencontrer n’importe qui. Il nous faut demander la grâce d’être aujourd’hui des hommes de la rencontre au nom de JĂŠsus Christ. —Chaque samedi, Ă Saint-Michel, vous cĂŠlĂŠbrez l’eucharistie‌ —Ce qui se passe lĂ depuis les annĂŠes 67-68 me dĂŠpasse. Je le reçois toujours comme un appel, comme un don. Je me dis : ÂŤ Seigneur, que veux-tu que je fasse ? Âť Nous avons commencĂŠ cette cĂŠlĂŠbration dans une chapelle des caves du collège. Après, on est montĂŠ Ă l’Êtage. Elle est devenue la messe dite ÂŤ des handicapĂŠs Âť et pendant quinze Ă vingt ans, on a vraiment ĂŠtĂŠ très bien dans cette chapelle Notre-Dame des ApĂ´tres. Un jour il a fallu changer. Nous avons acceptĂŠ d’aller dans l’Êglise. Et depuis lors, deux Ă trois cents personnes s’y rassemblent chaque semaine. Parfois plus. C’est vraiment un lieu de rencontre. Ma parole est pauvre : elle ne peut plaire Ă tous. Peut-ĂŞtre aime-t-on mon sourire et ma gentillesse avec les enfants ? Peut-ĂŞtre aussi les larmes que je verse quand parfois une peine est très grande et qu’on la partage ? Cette eucharistie est faite de cris d’enfants, d’Ênervements, de tout ce qui constitue une vraie communautĂŠ ! Je l’aime beaucoup. Je sacrifierais tout pour elle. J’y viendrais du bout du monde. Il faut pourtant de plus en plus que d’autres que moi la cĂŠlèbrent pour qu’elle continue‌

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L’avenir est aux jeunes —Les jeunes ont-ils leur place dans notre Église ? —L’Église parle des jeunes, mais elle craint de les rencontrer. On la comprend ! Ils sont tellement diffĂŠrents de ses structures. Aujourd’hui, les jeunes parlent une autre langue que les adultes. Ils aiment une messe oĂš ils sont partie prenante, oĂš ils se sentent chez eux. Or ils sont isolĂŠs. Certains m’ont dit : ÂŤ Comment voulez-vous que j’aille Ă la messe du dimanche ? Il n’y a personne de moins de 60 ans‌ Âť —Vous avez ĂŠtĂŠ enseignant, père spirituel des ĂŠlèves, aumĂ´nier scout. Vous avez donnĂŠ beaucoup de retraites de classe, Ă Ciney notamment. Tout ce passĂŠ vĂŠcu avec les jeunes, que vous suggère-t-il ? Avez-vous des regrets ? —Je regrette de n’avoir pas bien rempli ce rĂ´le. Mais je ne regrette pas d’avoir vĂŠcu des ĂŠchecs. Après telle retraite qui, Ă mes yeux, ĂŠtait un dĂŠsastre, j’apprends qu’un garçon est devenu prĂŞtre. Tout contact avec les jeunes est un contact avec la vie. Ce n’est jamais du temps perdu. Il faut les respecter, les retrouver dans leurs problèmes. Le temps oĂš l’on tâchait d’Êviter qu’ils se rencontrent la nuit est rĂŠvolu. Pourquoi se battre au moment oĂš ils veulent rencontrer JĂŠsus Christ ? Pourquoi les empĂŞcher de le chercher Ă leur façon ? Quand on me parle de mes cours de religion ou de mon aumĂ´nerie scoute, je souris. J’aimais ma troupe, mais peut-ĂŞtre n’aije pas ĂŠtĂŠ bien inspirĂŠ. J’ai trop voulu faire de ce scoutisme une performance sportive ou mĂŞme spirituelle, alors que l’important est de crĂŠer une troupe oĂš chacun soit heureux dans sa personnalitĂŠ, aidĂŠ et soutenu par les autres. Pas Ă n’importe quel prix, pas n’importe comment, mais qu’il soit heureux. Il faut rendre les jeunes heureux selon leur rythme, leur temps, leur croissance‌

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—Et tout ce travail d’aumĂ´nerie, d’enseignement, d’animation spirituelle, vous l’avez vĂŠcu dans le cadre des collèges de ÂŤ nos bons pères Âť, comme on disait, dans le cadre de l’enseignement catholique tel qu’il ĂŠtait il y a 20 ou 30 ans ? —Je me considère comme un privilĂŠgiĂŠ d’avoir vĂŠcu cela, d’avoir pu rencontrer cet esprit. Qu’est-ce que c’est qu’une vocation de jĂŠsuite ? Pour moi, fondamentalement, c’Êtait d’être avec les jeunes et comme eux, un ĂŠducateur, quelqu’un qui passerait sa vie Ă les rencontrer, les aider, les soutenir, les encourager. Je n’ai pas eu une vocation de ÂŤ missionnaire Âť. Je voulais apporter JĂŠsus Christ dans le monde des collèges. Aujour d’hui, en animant une retraite, je me sens fait pour aider les jeunes Ă rencontrer JĂŠsus. Comme ils sont, comme Il est‌ —Croyez-vous encore Ă l’enseignement catholique aujourd’hui ? Peut-il prendre une forme nouvelle ? —Il faudrait la chercher. Quand les choses s’Êcroulent, il faut rebâtir. Le 11 mai 44, la maison familiale de Louvain a ĂŠtĂŠ touchĂŠe par une bombe. Huit jours après, j’ai reçu une lettre de Maman me racontant en dĂŠtails tout ce qui s’Êtait passĂŠ, mais sans un mot de critique, de lamentation ni de peine, alors qu’elle avait tout perdu. Elle chantait la vie, elle admirait que tant et tant d’amis les aident‌ Au moment oĂš la ÂŤ puissance extĂŠrieure Âť de nos monastères, de nos ĂŠcoles, disparaĂŽt, il faut que la vitalitĂŠ intĂŠrieure, l’inspiration première, le respect des personnes grandissent. Le secret de la vieillesse —Qu’est-ce que cela vous fait d’avancer en âge, d’être du cĂ´tĂŠ des aĂŽnĂŠs ? —En riant, je dis parfois qu’il y a erreur dans la dĂŠclaration du jour de ma naissance, que les registres se sont trompĂŠs, non

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pas d’un jour, mais de plusieurs annĂŠes, tant je me sens encore plein de vitalitĂŠ. Parfois, cela m’inquiète et, en mĂŞme temps, je me dis : Mais non, Seigneur, il faut vivre au jour le jour. TĂ´t ou tard, des signes viendront qui me diront : ne parle plus, ne marche plus, ne bouge plus. Ă€ ce moment-lĂ , que le mĂŞme Seigneur soit Ă mes cĂ´tĂŠs comme aujourd’hui. Accepter son âge, c’est accepter que Dieu soit au cĹ“ur de toute vie et dĂŠcouvrir qu’il est autant prĂŠsent dans le vieillard que dans l’enfant. Je vis très fort ce que j’appellerais le passage. Je me sens en continuel passage de ma jeunesse Ă ma vieillesse, mais sans m’attarder. Je dois accepter de ne plus avoir la première place, de ne plus ĂŞtre l’animateur, de ne plus diriger. Dans cette ĂŠvolution, je dois trouver non pas un motif de dĂŠpression, mais la joie. ĂŠtre heureux de ce que l’autre a, voilĂ le secret de la vieillesse. —Notre sociĂŠtĂŠ valorise beaucoup la jeunesse. Laisse-t-elle assez de place aux personnes âgĂŠes ? —Si la sociĂŠtĂŠ valorise beaucoup la jeunesse, je n’oserais pas dire qu’elle la rencontre vraiment. Si c’Êtait le cas, elle devrait ĂŞtre plus accueillante, plus ouverte, plus disponible. Mais parlons des personnes âgĂŠes. Elles sont dĂŠpendantes, limitĂŠes. Ă€ mon sens, on ne les respecte pas assez non plus. Elles sont souvent ÂŤ placĂŠes Âť et ne sont pas reconnues ni vraiment aimĂŠes. C’est un problème de sociĂŠtĂŠ : les personnes âgĂŠes ne travaillent plus. Que font-elles tout au long d’une journĂŠe ? Elles ne sont plus en ĂŠtat de bien entendre, de bien comprendre, de bien lire, de bien voir‌ Si rien ne les anime intĂŠrieurement, si elles ne sont pas aimĂŠes, elles deviennent des ĂŠpaves. On leur a tout donnĂŠ, sauf notre cĹ“ur. Il faut prendre la main du vieillard, l’accompagner. Dans les collèges, par exemple, on devrait demander Ă tous les adolescents d’avoir une personne âgĂŠe qu’ils rencontrent et avec laquelle ils dialoguent.

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Il y a des familles qui ne tiennent que par les grands-parents. Le grand-père et la grand-mère sont source de communion, de rencontre. Pour cela, ils consentent Ă d’Ênormes sacrifices. —Vous avez beaucoup frĂŠquentĂŠ les personnes âgĂŠes, les fameuses ÂŤ tantes Âť du Toit. Quel est leur message ? —Je pense Ă tante Minou. Il faudrait ĂŠcrire le message qu’elle nous a laissĂŠ. Il y eut aussi tante Ania, Ă qui on demandait, elle qui n’avait eu ni une enfance heureuse, ni un foyer rĂŠussi : ÂŤ Qu’est-ce que le Toit pour vous ? — C’est ma vie. Âť Sa vie parce qu’elle ĂŠtait avec des personnes qui l’aimaient et qu’elle aimait. Après des annĂŠes passĂŠes dans un commerce, tout Ă coup, elle se retrouvait gratuitement Ă la disposition de personnes chaleureuses. Souvent, les jeunes qui viennent au Toit sont marquĂŠs par toute une histoire. La personne âgĂŠe n’est pas tellement proche d’eux. Il faut un apprentissage pour s’apprivoiser l’un l’autre et dĂŠcouvrir que l’on a besoin de l’autre. Que la personne âgĂŠe dise au jeune : ÂŤ Tu ne peux pas savoir combien je t’apprĂŠcie et combien je t’aime ! Âť Et que le jeune puisse dire Ă la personne plus âgĂŠe : ÂŤ Tante, que c’est bien quand vous ĂŞtes lĂ ! On sent que la maison est plus belle ! Âť C’est le dĂŠfi de l’Arche. Les jeunes qui viennent y passer deux mois pendant les vacances ou qui vivent avec nous durant un an souffrent des lois, des structures. Mais dans leurs recherches, ils font l’expĂŠrience de la prĂŠsence et de la fidĂŠlitĂŠ. Qui leur donne ce tĂŠmoignage ? Les personnes âgĂŠes. —Et le pèlerinage Ă Lourdes, Ă la fin du mois d’aoĂťt, n’est-ce pas aussi un dĂŠfi ĂŠtonnant : des jeunes de 20 ans qui mènent des adultes de 40, 50, 60 ou 70 ans ? —Oui, le pèlerinage rĂŠussit et par la grâce et par mon inconscience‌ Je ris en le disant. Pendant presque une dizaine d’annĂŠes, Lourdes, c’Êtait des brancardiers et des infirmières qui se

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dĂŠvouaient auprès des malades. Et doucement, on a dĂŠcouvert qu’il fallait que ces groupes vivent ensemble au maximum, que les personnes handicapĂŠes deviennent comme le ciment qui les reliait et que la personne âgĂŠe avait aussi une place. Quand on voit la structure de ces vingt hĂ´tels qui regroupent chacun, sous la responsabilitĂŠ de deux jeunes, une vingtaine de personnes dont cinq ou six personnes handicapĂŠes et autant de personnes âgĂŠes, on dĂŠcouvre que la communautĂŠ est mieux vĂŠcue dans la diffĂŠrence. Une communautĂŠ de jeunes ne se rassemble habituellement que pour des vacances, pour un voyage, pas pour la vie. Ce que nous voulons donner aux jeunes, c’est une expĂŠrience de vie. Âť


Chez les JĂŠsuites Vocation Ă la suite de JĂŠsus ÂŤ Vous avez entendu l’appel de la vie religieuse très tĂ´t ? —C’Êtait en octobre 1939. J’avais 14 ans. Je rĂŞvais alors d’être diplomate. Mais chaque fois que j’avais un projet, j’entendais une voix qui disait : Et si tu devenais prĂŞtre dans la Compagnie de JĂŠsus* ? J’ai confiĂŠ mon secret Ă un jeune jĂŠsuite qui m’a dit de le confier Ă un prĂŞtre, le père Counet. Et puis, aux vacances, il fallait que j’en parle Ă mes parents. Je n’ai pas osĂŠ le faire parce que j’avais 2 sur 20 en flamand‌ Le temps n’Êtait pas propice. Maman, avant de nous quitter, a insistĂŠ : ÂŤ Tu as dit dans une lettre que tu voulais nous parler‌ Âť Je lui ai confiĂŠ mon secret. Elle l’a dit Ă Papa et, le soir, dans la bibliothèque — je me vois un peu comme sainte ThĂŠrèse confiant Ă son père sa vision mystique et sa vocation de carmĂŠlite — il me rĂŠpondait : ÂŤ Tu sais, Maman m’a dit ton projet. Tu comprends bien que nous serions très heureux tous les deux, mais je voudrais te faire remarquer que les jĂŠsuites sont des gens intelligents et travailleurs. Âť LĂ -dessus, j’ai eu 10 sur 20 Ă l’examen de flamand. Trois mois se passent. En mai, la guerre ĂŠclate. Ă€ cette ĂŠpoque, je ne sais pas ce que j’ai vĂŠcu, mais ce fut un temps extraordinaire d’intensitĂŠ spirituelle. J’ai l’impression que je n’ai plus jamais vĂŠcu pareille ferveur. Elle n’Êtait nullement exaltĂŠe, mais si profondĂŠment inscrite dans mon cĹ“ur. J’en ai ĂŠtĂŠ illuminĂŠ toute ma vie. J’allais Ă la messe tous les matins pendant l’exode en France. Je me dĂŠvouais pour mes frères et sĹ“ur, je m’occupais d’eux pendant que Maman cherchait Ă retourner en Belgique. Lentement, * L’Ordre des JĂŠsuites. 39


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la vocation s’est prĂŠcisĂŠe. Deux ans après, en rhĂŠtorique (classe terminale, n.d.e.), j’ai dit Ă mes parents : ÂŤ Je vous demande la permission d’entrer au noviciat, en septembre prochain. Âť Ils voulaient attendre la fin de la guerre. J’avais 16 ans. Pendant ma retraite de fin de rhĂŠtorique, je leur ai ĂŠcrit une lettre qui les a fort touchĂŠs. Ils se sont dit : ÂŤ Ce n’est pas possible ! Âť Ils ont demandĂŠ conseil au Père AbbĂŠ du Mont-CĂŠsar qui leur a rĂŠpondu : ÂŤ S’il a ĂŠcrit cette lettre seul, il est mĂťr pour entrer. Âť Elle avait ĂŠtĂŠ ĂŠcrite entre deux parties de bridge, pendant la retraite du père FiĂŠvez. Je n’avais pas besoin de cette retraite, ma vocation ĂŠtait parfaitement claire. Une vocation, ça nous dĂŠpasse tellement‌ Je suis entrĂŠ au noviciat. Très vite, j’ai priĂŠ pour ĂŞtre malade et rentrer Ă la maison ! Un ami novice avait eu cette chance. J’aurais pleurĂŠ pour l’avoir aussi. Mais je ne voulais pas paraĂŽtre ridicule : partir Ă peine entrÊ‌ ! Si j’avais ĂŠtĂŠ malade, j’aurais eu un bon motif pour sauver la face ! Ce qui m’a sauvĂŠ ? La grande retraite de trente jours, oĂš j’ai connu une relation vraie avec JĂŠsus. Que me demandait le Seigneur : vivre chez mes parents ou le suivre dans l’aventure de l’Évangile ? Deux ans de noviciat m’ont aidĂŠ Ă choisir‌ et j’y suis toujours. —Votre père, comment a-t-il vĂŠcu ces ĂŠvĂŠnements ? —Avec mon père, comme pour beaucoup, ça n’a pas ĂŠtĂŠ facile. Mais il s’est rĂŠvĂŠ lĂŠ Ă moi le jour oĂš je suis entrĂŠ au noviciat. Il a craquĂŠ. Il m’a ĂŠcrit six pages, comme un ami ĂŠcrit Ă son ami, pour me dire qu’il ne m’avait pas assez tĂŠmoignĂŠ son amour, qu’il ne m’avait pas assez dit qu’il m’aimait. Et dans ces six pages, il me l’a dit en relisant notre relation, en redisant ce qu’elle avait de privilĂŠgiĂŠ, de beau, ce qu’il voulait qu’elle soit toujours. Mon père avait une affectivitĂŠ qui ne s’exprimait pas, mais il m’aimait profondĂŠment. Ayant perdu sa maman Ă 14 ans, il se livrait autrement.

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JĂŠsuite pour l’ÊternitĂŠ —Vous ĂŞtes jĂŠsuite, après avoir ĂŠtĂŠ ĂŠlève des jĂŠsuites. Ce serait Ă recommencer, n’auriez-vous pas fait un bon franciscain, un salĂŠsien — les salĂŠsiens sont des ĂŠducateurs nĂŠs. Je crois cependant que vous n’auriez ĂŠtĂŠ ni bĂŠnĂŠdictin, ni trappiste, ni chartreux‌ Et encore‌ —Je suis heureux dans la Compagnie, et je l’aime. Toute son histoire rejoint ma sensibilitĂŠ aujourd’hui encore. Ă€ travers les mĂŠandres de l’Êvolution, je me sens heureux et fier d’être jĂŠsuite. Fier non pas au sens que l’on serait meilleur que les autres, mais parce que nous sommes faits pour servir selon l’orientation d’Ignace. Je l’aime, le père Ignace et les autres saints jĂŠsuites. J’aime l’histoire de la Compagnie. Elle n’est pas plus belle que celle des autres ordres religieux, mais elle me paraĂŽt belle Ă moi. Dernière ment, nous avons eu une rencontre des jĂŠsuites de Belgique. J’ai trouvĂŠ que les septante compagnons rassemblĂŠs avaient l’air heureux. N’est-ce pas le plus important ? Heureux de vieillir, heureux de s’effacer, heureux de donner la place Ă d’autres, heureux de voir les choses qui grandissent près d’eux‌ C’est cela, la Compagnie. Des hommes de discernement, inspirĂŠs par une expĂŠrience spirituelle. L’expĂŠrience d’un jĂŠsuite, c’est l’expĂŠrience de JĂŠsus Christ, mĂŠditĂŠ, suivi dans la contemplation du silence de la retraite et du chemin des Exercices spirituels*, de JĂŠsus Christ dĂŠcouvert dans le quotidien. Heureux sommes-nous quand deux jĂŠsuites peuvent se rencontrer et sentir leur cĹ“ur battre ensemble, pour le mĂŞme idĂŠal, pour la mĂŞme vocation. Parmi mes frères, il y a le père Toussaint. Au dĂŠbut, je n’Êtais pas proche de lui, mais, lentement, Ă travers l’histoire du Toit, * ItinĂŠraire spirituel de trente jours, structurĂŠs en quatre ÂŤ semaines Âť (en fait, des ĂŠtapes), oĂš saint Ignace a retranscrit sa propre expĂŠrience de conversion. Celui qui ÂŤ reçoit les Exercices Âť se retire dans la solitude et est accompagnĂŠ par celui qui ÂŤ donne les Exercices Âť. Il y a aussi moyen de les vivre sans quitter les occupations quotidiennes : ce sont les ÂŤ Exercices dans la vie courante Âť. 41


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pendant trente ans, il est devenu le grand frère qui m’accompagnait, me sĂŠ curisait et me rassurait. Il est certain que le Toit, qui a commencĂŠ avec lui, et l’Arche, venue ensuite, ont ĂŠtĂŠ marquĂŠs de son empreinte. Ce qui est toujours premier dans notre vocation, c’est la mission. Je dois la remplir, et Ă cette fin, il faut l’aide de mes frères. La prĂŠsence de ces compagnons priant, me regardant avec amitiĂŠ et patience, me portant Ă leur façon, est une joie pour moi. Certains de nos amis nous considèrent encore un peu trop comme des dĂŠtenteurs d’un pouvoir. Aujourd’hui, soyons humbles avant tout. L’humilitĂŠ est ĂŠvangĂŠlique ; pensons au Seigneur du lavement des pieds. Dans ma vie, la prĂŠsence des ÂŤ frères coadjuteurs Âť (des jĂŠsuites non-prĂŞtres) a ĂŠtĂŠ très importante. Ils m’ont toujours aidĂŠ Ă aimer la vie comme elle est, avec rĂŠalisme et humilitĂŠ — Ă leur image. —Et vous n’auriez jamais rĂŞvĂŠ d’être chartreux, par exemple ? —Une annĂŠe, en vacances avec de jeunes jĂŠsuites, nous sommes allĂŠs rĂ´der autour de la Grande Chartreuse. Je me suis dis : il est temps que j’y entre. Il faut que je sois chartreux pour que Dieu devienne l’essentiel. Pour moi, c’est cela, les chartreux. Ils centrent tout sur Dieu et toute chose prend la place qui lui revient. Après tout, un jĂŠsuite, c’est pareil. Pour cela, il faut une vie de prière, une fidĂŠlitĂŠ, un attachement Ă JĂŠsus. Je ne pourrais pas vivre sans penser Ă lui tout le temps. Il est celui au cĹ“ur duquel je me sens vivre. CĂŠlibat, obĂŠissance, pauvretĂŠ —Cet attachement privilĂŠgiĂŠ Ă JĂŠsus justifie-t-il le cĂŠlibat ? N’estce pas une mutilation du cĹ“ur ? —Le cĂŠlibat est un chemin mystĂŠrieux que JĂŠsus a choisi (mais pas les apĂ´tres). Il est entrĂŠ dans l’histoire de l’Église, len-

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tement, comme une grâce. C’est un appel exceptionnel, qu’on n’a peut-ĂŞtre pas assez respectĂŠ. On l’a trop regardĂŠ comme une condition. Je suis heureux de mon cĂŠlibat parce que j’ai pu mieux aimer les personnes qui ont un handicap et leur donner mon temps, ma tendresse. Homme mariĂŠ, je n’aurais pu le faire. Ne pas avoir d’enfant est un grand sacrifice. Le Seigneur a rĂŠpondu en me donnant tellement d’enfants Ă aimer autour de moi et tellement de souffrances Ă partager. Pour moi, le cĂŠlibat est le choix que je fais de JĂŠsus pour aimer davantage les souffrants et tous les hommes et femmes mis sur ma route. —Et le vĹ“u d’obĂŠissance, est-ce toujours ĂŠvident ? Comment l’avez-vous vĂŠcu ? —Tant que j’Êtais dans l’Êducation et l’enseignement, je le vivais de manière classique. Et tout Ă coup, l’Arche est arrivĂŠe et ce fut une sorte de confiance que la Compagnie me faisait en ne contrĂ´lant pas tout le temps ce que je vivais. Le moment le plus difficile fut mon envoi Ă Luxembourg. J’Êtais presque arrachĂŠ Ă l’Arche. Pendant six ans, j’ai ĂŠgalement ĂŠtĂŠ supĂŠrieur du Collège thĂŠologique. J’ai cependant trouvĂŠ dans l’obĂŠissance — pas l’obĂŠissance extĂŠrieure, mais intĂŠrieure, car si elle n’est pas intĂŠrieure, elle est fausse — une paix sereine. ObĂŠir, c’est entrer dans un projet qui me dĂŠpasse. Quand le père Provincial m’a demandĂŠ de partir pour le Luxembourg, j’ai eu l’impression en le quittant que je sortais de chez le mĂŠdecin qui m’avait rĂŠvĂŠlĂŠ que j’avais un cancer. Et il a fallu entrer dans le chemin de la prière, du dialogue, du discernement. Je vois ces deux moments de ma vie comme des temps de grâce. Ils m’ont demandĂŠ le dĂŠtachement et donc un accroissement d’amour. Les dĂŠcisions de mon SupĂŠrieur m’ont demandĂŠ d’aller plus loin et m’ont libĂŠrĂŠ. J’en rends grâce Ă Dieu. Et je suis heureux d’être jĂŠsuite, disponible.

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—Le vĹ“u de pauvretĂŠ n’a-t-il pas quelque chose de prophĂŠtique dans le monde d’aujourd’hui, le monde de consommation ? Beaucoup d’argent passe dans vos mains : vous en recevez, vous en donnez, pour les Ĺ“uvres, pour le bien‌ —À Lourdes, lors d’un partage sur ce sujet, quelqu’un nous a dit : ÂŤ La première chose que nous pouvons dire de l’argent, c’est que nous le recevons. Que ce soit par notre travail, les ĂŠvĂŠnements, notre hĂŠritage, c’est toujours un argent reçu. Âť On doit alors toujours se poser la question : ÂŤ Suis-je honnĂŞte devant ce que j’ai reçu ? Est-ce que je ne deviens pas propriĂŠtaire, possesseur, tyran ? Âť J’aimerais que l’Église ose parler argent. Il occupe tant de place dans la sociĂŠtĂŠ ! L’intuition de la vie religieuse est gĂŠniale. L’idĂŠal des jĂŠsuites, par exemple, c’est d’exceller dans l’obĂŠissance, mais une obĂŠissance qui conduit Ă la pauvretĂŠ Ă la suite de JĂŠsus. Ignace dit que la pauvretĂŠ est le mur qui dĂŠfendra la vie religieuse. Qu’est-ce qu’être pauvre ? C’est choisir les pauvres, les situations de faiblesse. Si je choisis une situation de force et de puissance, mĂŞme pour le bien, je choisis l’indĂŠpendance. Je ne suis plus en relation. Je ne possède pas d’argent par moi-mĂŞme. Chaque fois que je donne de l’argent, je demande la permission Ă ceux qui sont autour de moi, aux responsables de la communautĂŠ. Il faut que tout l’argent reçu soit bien employĂŠ. Les Exercices spirituels —Les Exercices spirituels sont le trĂŠsor de la Compagnie. Ont-ils de l’importance pour vous ? —Les Exercices spirituels sont une quĂŞte de la volontĂŠ de Dieu. Dans notre vie jĂŠsuite, nous vivons cette dĂŠmarche de trente jours deux fois au cours de notre formation : au noviciat et au ÂŤ troisième an Âť, dernière annĂŠe de formation. Après nous ĂŞtre rappelĂŠ pourquoi nous sommes crĂŠĂŠs, et avoir pris conscience

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que nous sommes des pĂŠcheurs pardonnĂŠs, nous cheminons Ă la suite de JĂŠsus Christ, selon l’Évangile. Cette expĂŠrience spirituelle — que nous revivons chaque annĂŠe durant huit jours — nous aide Ă trouver oĂš JĂŠsus nous donne rendez-vous. C’est dans le cadre de ma retraite annuelle, en 1965, qu’est nĂŠe l’intuition du Toit. J’Êtais dĂŠjĂ pris par toute la richesse de la personne handicapĂŠe. Ă€ ma façon, je vivais dĂŠjĂ un peu l’angoisse de mai 68. J’Êtais en recherche. Les premiers pèlerinages de Lourdes et la mort de Maman ont eu pour moi une très grande importance. D’abord, j’ai cru craquer quand elle est partie et puis, au contraire, j’ai eu l’impression qu’elle me faisait vivre. Elle avait ĂŠtĂŠ handicapĂŠe pendant neuf ans, vivant en voiturette, toute dĂŠpendante‌ Elle est celle qui m’a conduit depuis ce premier pèlerinage Ă Lourdes en 56, avec elle. C’est ce pèlerinage qui est l’origine de tous les autres. —Et dans la retraite annuelle, vous mĂťrissiez cela ? —Oui, très fort. Et je cherchais : ÂŤ Seigneur, que veux-tu que je fasse ? Âť J’entendais l’appel des jeunes, je sentais ce dĂŠsordre dans lequel nous ĂŠtions. Je rĂŞvais de faire dĂŠcouvrir aux jeunes et Ă leurs familles la beautĂŠ du ÂŤ prochain Âť, comme dit JĂŠsus, de celui qui est sur leur route et qui, peut-ĂŞtre, ne les attire pas plus qu’un Samaritain n’attire un Juif. Telle est mon intuition. Le ÂŤ prochain Âť que je veux secourir est en fait celui qui me sauvera. Cette idĂŠe me poursuivait. Très vite, en 1962, j’introduisis au collège, Ă mes cours de religion, des personnes handicapĂŠes. —Aujourd’hui, il n’y a plus guère de vocations dans la Compagnie, du moins dans nos pays d’Occident. Cela vous attriste, vous inquiète ? —Oui, j’en suis triste. Et en mĂŞme temps, cela me dĂŠpasse tellement que je ne me sens pas capable de rĂŠpondre Ă ce problème, si ce n’est de prier, d’en souffrir et d’aimer plus. On voit autour de nous des mouvements spirituels oĂš beaucoup de jeunes s’en-

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gagent. Je ne peux que m’en rĂŠjouir. Mais je me demande parfois oĂš est la place des pauvres au milieu d’eux ? OĂš est la place de celui qui dĂŠrange, de l’Êtranger, du blessĂŠ, du prisonnier ? Les jĂŠsuites vivent trop dans leurs sĂŠcuritĂŠs, ils ne sont pas assez interpellants. Certains de mes frères vivent cependant des expĂŠriences bouleversantes, mais chacun de son cĂ´tĂŠ. Nous les admirons sans toujours bien les connaĂŽtre. Il y a un nouveau visage de la Compagnie dans son option prĂŠfĂŠrentielle pour les pauvres. Cela change tout et nous ramène aux intuitions premières : oser aller très loin dans l’annonce de l’Évangile et dans la recherche de voies nouvelles, mais sans perdre le contact avec les pauvres. Les premiers jĂŠsuites en voyĂŠs comme thĂŠologiens au Concile de Trente logeaient dans les hospices pour les pauvres. Regards sur Dieu et son Christ —Pour vous, membre de la ÂŤ Compagnie de JĂŠsus Âť, qui est-il, JĂŠsus ? — Il y a deux dimensions : une dimension personnelle, affective : j’ai appris Ă prier, j’ai fait ma première communion, j’ai eu ma vocation Ă 14 ans, j’ai aimĂŠ JĂŠsus, je l’ai fait con naĂŽtre. Cependant, il est plus qu’une image de mon enfance, de mon adolescence. Il a une dimension cosmique. Il est la vie. Il a dit lui-mĂŞme : ÂŤ Je suis le Chemin, la VĂŠritĂŠ et la Vie. Âť JĂŠsus, c’est la vie. Il est Amour. Il est PrĂŠsence au cĹ“ur des situations douloureuses : ce pauvre, c’est JĂŠsus. L’Église et JĂŠsus, c’est tout un, comme disait Jeanne d’Arc. L’Église, c’est JĂŠsus qui continue. Je voudrais mourir en ayant sur mon cĹ“ur la croix de JĂŠsus : ÂŤ Seigneur, je sais que tu as ĂŠtĂŠ tout pour moi et que j’ai voulu ĂŞtre tout pour toi. Tu m’as aimĂŠ, tu m’as choisi, tu m’as guidĂŠ. Âť De JĂŠsus, on n’en parlera jamais assez, comme on ne parle jamais assez des vraies rĂŠalitĂŠs, des plus pures, des plus belles, des plus

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sacrĂŠes. Je peux en parler comme celui qui m’a sĂŠduit, qui m’a attirĂŠ. —Et la rĂŠsurrection ? —Oui, JĂŠsus est ressuscitĂŠ. Mais il n’est ressuscitĂŠ que parce qu’il est mort sur la croix et parce qu’il l’a portĂŠe. Pour moi, le Christ en croix n’a pas de sens s’il n’est pas ressuscitĂŠ. Quand on le montre en croix, je ne m’attarde pas Ă son sang, Ă ses larmes. Il n’est sur la croix que pour ĂŞtre vivant ĂŠternellement. —Mais la croix est le lieu oĂš il rencontre l’humanitĂŠ. Le Chemin de croix que vous vivez Ă Lourdes n’est-il pas le moment le plus fort de votre pèlerinage ? —C’est vrai. Le Chemin de croix, c’est un peu comme dans un amour, le partage de moments privilĂŠgiĂŠs : ÂŤ Tu te souviens quand nous ĂŠtions fiancĂŠs‌ Tu te souviens quand nous avons eu cette expĂŠrience en montagne‌ Tu te souviens, dit JĂŠsus, de tout ce que j’ai fait pour toi, tu te souviens de ce sang versĂŠ. Âť Ă€ la troisième station, on a envie de dire : ÂŤ Mais pourquoi tombet-il ? Qu’il se tienne debout. Âť Je sais bien qu’à ce moment-lĂ , JĂŠsus me voyait dĂŠjĂ . Cela n’aurait pas de sens d’être un spectateur. Je ne peux ĂŞtre qu’un artisan, un porteur, un Simon de Cyrène. Comme j’aime mon ami FrĂŠdĂŠric, lĂŠgèrement handicapĂŠ mental, Ă qui je demandais au dĂŠbut du Chemin de croix, lui qui portait ses deux sacs et son thermos : ÂŤ Qui vas-tu ĂŞtre pendant le Chemin de croix ? Simon de Cyrène ? Âť Et il m’a rĂŠpondu : ÂŤ JĂŠsus. Âť Qu’il ĂŠtait beau, JĂŠsus, en FrĂŠdĂŠric ! —Et Dieu ? —Dieu est pour moi un Père. Je ne peux pas un instant me sĂŠparer de cette rĂŠalitĂŠ. Il n’est pas le Dieu crĂŠateur qui est devenu Père. Il est le Père qui a crĂŠĂŠ. Ce qu’il a voulu de toute ĂŠternitĂŠ, c’est son Fils, son unique et parce qu’il aimait vraiment son Fils,

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il l’a multipliĂŠ et il a voulu l’humanitĂŠ. Il a invitĂŠ les hommes Ă entrer dans son aventure. — Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit Âť, c’est la TrinitÊ‌ – J’aime la fĂŞte liturgique de la TrinitĂŠ. C’est une très belle fĂŞte parce qu’elle est mystĂŠrieuse. Ă€ NoĂŤl, on voit un bĂŠbĂŠ dans la crèche. Ă€ Pâques, on regarde le Christ sur la croix ou dans sa rĂŠ surrection. Ă€ la fĂŞte de la TrinitĂŠ, rien n’est visible, rien n’est tangible, mais on vit un essentiel. Il s’agit d’une relation. Le cĹ“ur de Dieu TrinitĂŠ, c’est la relation. Il y a relation entre le Père et le Fils par l’Esprit. Chaque fois que nous avons eu une relation un peu privilĂŠgiĂŠe avec un vieillard, un petit enfant dans son berceau, un malade, un pauvre dans la rue, n’importe qui, nous sommes heureux, nous sommes au cĹ“ur de Dieu. —Dieu ne disparaĂŽt-il pas du paysage de notre sociĂŠtĂŠ ? —J’en pleurerais. Et quand je regarde la foule dans le mĂŠtro, par exemple, j’ai l’impression d’avoir la mission non d’annoncer JĂŠsus Christ, mais de les regarder tous avec le regard de JĂŠsus. Tous les soirs, après la messe Ă la Voisine, je sors et je salue mes amis pakistanais qui lavent les voitures dans le garage d’en face. Ils me connaissent. Ils sont venus en Belgique pour tâcher de vivre mieux qu’au Pakistan. Je sens dans leur regard beaucoup d’amour et ils sentent la mĂŞme chose chez moi. Qu’est-ce que Dieu Père ? Ce n’est pas Dieu qui aime certains hommes d’une façon et les autres autrement. Il aime chacun comme un père regarde chacun de ses enfants.

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Vie spirituelle —Quelle est plus concrètement votre manière de prier ? —Je vis très fort de l’Eucharistie. Je crois que ma prière est eucharistie. Si je m’arrĂŞte pendant une demi-heure, une heure, je prie sous le mode eucharistique. Et qu’est-ce que le mode eucharistique ? C’est JĂŠsus qui prend le pain, le bĂŠnit ; il prend ma vie, la bĂŠnit. Le pain consacrĂŠ, c’est Lui ; ma vie est en Lui. Je deviens un peu Lui Ă la communion. Toute eucharistie est pour moi ce mouvement permanent : on part des larmes des hommes pour en faire le sourire de Dieu. Sortant de l’eucharistie, nous sommes la tendresse de Dieu. L’eucharistie ne peut nous refermer sur nous-mĂŞmes. Elle est toujours passage. Dieu passe en l’homme et l’homme passe en Dieu. C’est vraiment lĂ ma spiritualitĂŠ. Ce qui a ĂŠtĂŠ vrai dans l’eucharistie de la terre reste vrai ĂŠternellement. —Le sacrement de pĂŠnitence, de rĂŠconciliation, a donc beaucoup d’importance pour vous ? —Il nous faut retrouver ces temps privilĂŠgiĂŠs oĂš nous pouvons nous arrĂŞter et recevoir le pardon. C’est ce que je fais assez souvent avec un frère, un compagnon‌ Nous nous arrĂŞtons un quart d’heure, une demi-heure, nous parlons et la rencontre se termine par un pardon rĂŠciproque. Un pauvre demande du pain‌ Le chrĂŠtien doit demander le pardon. Et Ă travers cette demande, l’amour de Dieu se dĂŠverse. —Vous avez toujours au doigt un dizainier (dix grains de chapelet, n.d.e.). Vous dites souvent le chapelet ou est-ce dĂŠcoratif ?

—Cela date de 1974. Je voulais porter dans la prière quelqu’un de très malade qui est mort peu après. Depuis lors, je n’ai plus jamais lâchĂŠ mon dizainier, fait avant tout pour porter avec Marie les malades et ceux qui sont en agonie.

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Je ne parviens jamais Ă bien le dire. Je suis toujours occupĂŠ Ă tâcher de le dire. Donc aujourd’hui, troisième essai parce que j’en ai dĂŠjĂ dit deux ce matin. Dans mon lit, le matin et le soir, je suis vraiment comme l’enfant de PĂŠguy mĂŞlant les paters et les aves, ne sachant par oĂš commencer‌ La communion des saints est quelque chose de grand. C’est un mystĂŠrieux ĂŠchange entre les ĂŞtres. Quelqu’un lĂ -bas s’offre pour quelqu’un ici. Quelqu’un qui souffre partage avec celui qui cherche. C’est un partage non seulement des mĂŠrites, mais des grâces. —Et dans tout cela, vous arrive-t-il parfois de lire la parole de Dieu, la Bible ? —Dans ma spiritualitĂŠ d’enfant, quand j’avais mon gros missel reçu pour ma première communion, je m’accrochais toujours Ă deux choses : la vie des saints et les textes d’Êvangile. Ma messe se rĂŠsumait Ă cela. Actuellement, toutes mes journĂŠes commencent par la mĂŠditation des textes de l’Écriture, ceux du jour ou du dimanche. La Bible est très importante pour moi. Je trouve dans saint Paul, dans l’Évangile de saint Jean‌ la nourriture de ma journĂŠe. La famille du jĂŠsuite —Et comme jĂŠsuite, avez-vous oubliĂŠ votre famille ? A-t-elle encore de l’importance pour vous ? —Entrant au noviciat, c’Êtait le grand dĂŠchirement. JĂŠsus seul pouvait compenser cette sĂŠparation. Depuis lors, je me suis rendu compte qu’aimer une famille, c’Êtait la porter dans ses joies et dans ses peines. Plus la famille s’Êtend, plus ses joies et ses peines sont grandes. Je me sens proche d’elle Ă travers tout ce qu’elle vit. J’ai beaucoup reçu sur les plans matĂŠriel et affectif. Je jouis, je crois, d’un certain ĂŠquilibre qui fait du bien. Je suis riche d’un rĂŠseau de

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parents, d’amis, de personnes que j’ai rencontrĂŠes qui m’ont aidĂŠ et que j’ai aidĂŠs‌ D’oĂš, sans doute, ma sĂŠrĂŠnitĂŠ. —Et dans votre famille, les mariages sont des moments importants oĂš vous ĂŞtes fort prĂŠsent‌ —Oui, essentiellement Ă la partie spirituelle. Moins au repas qui suit. Ce que j’aime, c’est de prĂŠparer le mariage, d’insĂŠrer cette prĂŠparation dans l’histoire des deux jeunes. Un garçon et une fille qui ont le cĹ“ur pris viennent me demander : Voulezvous bien bĂŠnir notre mariage ? Je leur dis : Oui, Ă condition que l’on fasse un chemin ensemble. Je recherche tout ce que je peux donner Ă un jeune couple pour que le jour de leurs noces soit un jour de foi et de joie. —Les funĂŠrailles sont aussi un moment important pour les familles‌ — Ă€ ce moment-lĂ , on a besoin d’être ensemble, et je suis lĂ , avec eux, comme je peux. Ce qu’on a vĂŠcu ensemble, on ne pourra l’oublier. Ma famille, ce sont tous ceux avec qui j’ai pleurĂŠ et espĂŠrĂŠ. —Vous faites partie d’un milieu aisĂŠ que vous continuez Ă beaucoup frĂŠquenter‌ —Je suis ce que je suis. Je ne me suis pas sĂŠparĂŠ de mon milieu. Heureusement, il y a eu et il y a toujours la prĂŠsence de mes amis handicapĂŠs. Autrement, j’aurais peut-ĂŞtre ĂŠtĂŠ trop l’homme d’un milieu. J’ai l’impression que je ne peux pas perdre du temps Ă critiquer ce que j’ai reçu, ce qui m’a construit. J’ai vĂŠcu dans une famille aisĂŠe, mais qui a connu de grandes ĂŠpreuves. Je suis nĂŠ en 1925, Ă Louvain, ville qui se reconstruisait. Ă€ 14 ans, la guerre recommençait. Mon père ĂŠtait un volontaire de guerre de 1914. Ma mère a ĂŠtĂŠ très longtemps malade, presque infirme. Au cĹ“ur mĂŞme d’une certaine abondance, nous vivions une grande souffrance. Maman a ĂŠtĂŠ en hĂ´pital psychiatrique,

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tout Ă fait par erreur. On cherchait pourquoi elle tombait dans la rue. On la croyait ĂŠpileptique. Enfin, on a dĂŠcouvert sa tumeur au cerveau. Ce fut un long chemin‌ Notre-Dame de Lourdes a jouĂŠ une part importante. Elle a guĂŠri maman en 1937. Sa plaie s’est refermĂŠe. Elle a encore vĂŠcu vingt-cinq ans. Dans mon cĹ“ur d’enfant, j’ai souvent redit : ÂŤ Notre Dame de Lourdes, je vous remercie d’avoir guĂŠri maman. Âť C’Êtait vraiment mon histoire. Ma famille m’a transmis un sens social, un sens du respect des autres, des personnes âgĂŠes notamment (je me souviens de maman me faisant une remarque parce que je m’Êtais moquĂŠ d’une personne âgĂŠe). Mon père ĂŠtait très social Ă sa façon. Notaire et nanti, il aimait passer du temps dans des maisons simples, rencontrer les gens‌ —Mais toute votre histoire personnelle, votre vocation jĂŠsuite, votre prĂŠsence Ă l’Arche, qu’apporte-t-elle Ă ce milieu ? Quel est le message dont vous ĂŞtes porteur ? —Trop souvent dans les milieux privilĂŠgiĂŠs, les gens se recroquevillent et s’enferment dans un certain intĂŠgrisme. Il est vrai que grâce Ă mon ĂŠducation, ma façon de vivre, je retrouve les gens de mon milieu comme ils sont, mais, en mĂŞme temps, mes choix de vie, mon allĂŠgresse d’avoir des amis handicapĂŠs qui me portent, qui me sauvent, dĂŠrangent et ĂŠclairent ce milieu. N’estce pas ma vocation d’accepter de ne pas ĂŞtre un grand gĂŠnie qui change le monde et les personnes, mais une petite goutte d’humilitĂŠ et de tendresse qui illumine la vie ? Confidences —Dans une vie comme la vĂ´tre, quel est le plus dur ? —C’est de ne pas ĂŞtre Ă la hauteur de ce que je reçois, de ce que je suis, qui m’est donnĂŠ, que Dieu m’a donnĂŠ. Mon ĂŠgoĂŻsme, ma vanitĂŠ. Le mal que j’ai fait me rend triste. Mais la vraie souf-

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france, c’est de ne pas assez accueillir l’autre. J’ai le dĂŠfaut de parler trop et de ne pas assez ĂŠcouter. —Avez-vous dĂŠjĂ ĂŠtĂŠ amenĂŠ Ă donner un pardon important ? —Oui ! J’ai vĂŠcu trois annĂŠes très dures. Je n’ai aucun reproche Ă faire Ă personne, mais cela a ĂŠtĂŠ très dur. Je me suis mĂŞme dit : Comment est-ce que je tiens encore de bout avec ce que je vis ? Il y avait, je pense, la prĂŠsence du dĂŠmon, la prĂŠsence du Malin. Dans tout ce que j’ai fait de grand, de valable, d’important, il ĂŠtait lĂ . Ces longs mois ont pourtant ĂŠtĂŠ fĂŠ conds, car toute souffrance est fĂŠconde. J’ai eu la grâce du pardon, Ă Paray-le-Monial, après avoir ĂŠtĂŠ prier chez les frères anglicans. Nous avions un grand rassemblement de l’Arche. Tous les matins, on priait avec les Indiens, les Anglicans, les Ortho doxes, mais en diffĂŠrents lieux. J’ai dit Ă Jean Vanier : après avoir priĂŠ ce matin ici, j’ai pu mettre dans le cĹ“ur de JĂŠsus toutes les amertumes que j’ai eues, principalement celles venant de mes amis, de mes proches. —C’est finalement la prière qui vous a permis de faire ce pas ? —C’est la communion eucharistique. L’eucharistie pour moi, c’est tout. Elle est mon mode de prière : me laisser instruire par JĂŠsus pour me laisser fortifier par lui, habiter par lui et pour pouvoir ensuite le partager aux autres. Âť



Quelques rencontres Jean Vanier et le père Thomas ÂŤ Y aurait-il l’une ou l’autre personnalitĂŠ que vous aimeriez ĂŠvoquer, de qui vous pouvez dire : ÂŤ Ma vie ne serait pas ce qu’elle est si je ne l’avais pas rencontrĂŠe Âť ? —Jean Vanier et le père Thomas. Jean Vanier a ĂŠtĂŠ ma dĂŠcouverte d’un certain mois de mai 1972 Ă Banneux. Nous nous sommes rencontrĂŠs et quelque chose a commencĂŠ. Il m’a simplement dit : ÂŤ Voulez-vous travailler avec moi ? Âť C’est tout. J’ai dit oui. J’ai participĂŠ Ă un camp de vacances de l’Arche. Pendant un an, ce furent des fiançailles et puis le mariage. Jean Vanier a une vision du monde extraordinaire, c’est un prophète. Sa façon de parler, de regarder n’a pas changĂŠ, de puis trente ans qu’il s’est engagĂŠ. Elle est toujours nouvelle et ancienne. Il ne se rĂŠpète pas, il prĂŠsente les mĂŞmes choses autrement parce que la vie paraĂŽt changer. Il ne cesse de dĂŠ couvrir la valeur de la personne blessĂŠe, la personne diminuĂŠe. Pour lui, elle est prophĂŠtique par ses dons, qui sont de l’ordre du cĹ“ur, de la spontanĂŠitĂŠ, de l’affection. —Et le père Thomas*, qui est-il ? —Le père Thomas Philippe, dominicain, avait pour moi une grande affection. J’ai gardĂŠ quelques textes oĂš il me le dit. Au dĂŠbut de l’Arche-Belgique, en effet, quand je commençais ma relation avec l’Arche de France et que je participais Ă une fĂŠdĂŠra* Le père Thomas est celui qui a permis l’Êclosion de la vocation de Jean Vanier. Durant des annĂŠes, il a habitĂŠ Ă Trosly, lieu oĂš est nĂŠe l’Arche. Il y recevait les assistants comme directeur spirituel et comme conseiller‌ 55


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tion, sans en faire encore partie, le père Thomas sentait en moi des rĂŠsonances et des consonances qui l’apaisaient et le rĂŠjouissaient. Je verrais plutĂ´t Jean Vanier dans la catĂŠgorie ÂŤ Ĺ“cumĂŠnique Âť et le père Thomas dans la catĂŠgorie ÂŤ catholique Âť. – Y a-t-il d’autres personnalitĂŠs ? — L’ancien supĂŠrieur gĂŠnĂŠral de la Compagnie, le père Pedro Arrupe, m’a conquis, lui aussi. Il nous a apportĂŠ une vision nouvelle de la Compagnie. Pour moi comme pour beaucoup de jĂŠsuites, il a ĂŠtĂŠ une lumière au bout d’un tunnel. Son successeur, le père Kolven bach, a toute mon admiration, car il continue le père Arrupe. Il y a encore Denis, ce grand handicapĂŠ moteur cĂŠrĂŠbral. Nous en avons dĂŠjĂ parlĂŠ. Il reste pour moi un maĂŽtre. Non Ă cause de ce qu’il a dit mais par ce qu’il a ĂŠtĂŠ. Il m’accompagnait souvent lors de retraites de jeunes. Ce n’Êtait pas un garçon avec qui je traitais de grands problèmes. Il n’Êtait pas capable de les porter. Mais c’Êtait vraiment l’homme des situations difficiles. Il parvenait Ă dĂŠcouvrir ce que j’appellerais l’esprit d’Évangile, une certaine tendresse. Il assumait les limites d’un handicap très grand, puisqu’il ĂŠtait infirme moteur cĂŠrĂŠbral, mais sa vie spirituelle ĂŠclatait. Il vivait avec JĂŠsus. Il aimait dire : ÂŤ Oh Père, c’est beau comme Ă Lourdes. Âť Il ne critiquait pas, il souffrait de porter son corps, mais c’Êtait peu de chose par rapport aux joies qu’il a vĂŠcues. Un jour, il m’a dit : ÂŤ Tu sais Père, quand on est ensemble, on est heureux. Âť C’est sa façon Ă lui de dire : ÂŤ J’ai besoin de toi, et je sens que tu as besoin de moi. Âť Il ne pouvait pas formuler grandement les choses, mais son histoire est très belle. —Quelles sont les figures de saintetĂŠ qui vous ont plus marquĂŠ ? —Toutes les semaines, on allait chez ma grand-mère (elle est morte quand j’avais 5 ans). On y feuilletait des brochures très simples dont seule la première page comportait une image : saint

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Hubert, sainte CĂŠcile, sainte Agnès, saint Tarcisius, saint Antoine‌ Je n’Êtais pas capable de lire, mais ils ont influencĂŠ mon enfance. Mes saints prĂŠfĂŠrĂŠs ? Sainte ThĂŠrèse, sainte Bernadette, saint Ignace, saint Jean Berchmans. Les saints jĂŠsuites ont pour moi beaucoup d’importance. Ainsi Pierre Claver, l’esclave des esclaves. Je l’ai vraiment priĂŠ avec dĂŠvotion‌ Les saints, pour moi, c’est l’Église. Il n’y a pas d’Église en dehors des saints. Ce sont les saints qui lui donnent son visage. Si l’Église est bien souvent mal perçue, c’est parce que les saints sont peu connus. Et s’ils sont peu connus, c’est parce que les chrĂŠtiens n’ont pas le courage de les rencontrer. Ils craignent d’être dĂŠrangĂŠs : ÂŤ Tu comprends, c’est un saint, comment veuxtu que je sois comme le père Damien. Âť —Pouvez-vous ĂŠvoquer ce qui peut l’être Ă propos de vos contacts avec la famille royale ? —Par tradition, par fidĂŠlitĂŠ, je suis très attachĂŠ Ă la famille royale. Durant ma jeunesse, le roi LĂŠopold III avait pour moi une valeur symbolique extraordinaire. Je portais son insigne sur ma cravate pendant la guerre. J’ai connu les enfants du roi Albert II Ă Saint-Michel. Je les ai prĂŠparĂŠs Ă leur communion. J’ai rencontrĂŠ personnellement le roi Baudouin. Un jour que nous ĂŠtions Ă table au Palais de Laeken, Baudouin, Fabiola et moi, le roi m’a de mandĂŠ : ÂŤ Père, parleznous de votre cheminement spirituel. Âť Je ne sais plus ce que j’ai mangĂŠ ni ce qui s’est passĂŠ. Je sais seulement que j’ai partagĂŠ ma vie comme rarement j’ai pu le faire ailleurs. Je retrouvais dans notre souverain l’homme ĂŠpris de la valeur de la personne et de son potentiel humain et spirituel, dĂŠpouillĂŠ de tout prĂŠjugĂŠ, ouvert Ă ceux qu’il rencontrait parce qu’il ĂŠtait habitĂŠ d’une prĂŠsence. Quand je les ai quittĂŠs, j’ai retrouvĂŠ ma petite voiture devant le palais. En me voyant partir, le Roi est restĂŠ sur le perron et il m’a saluĂŠ de la main jusqu’à ce que ma voiture disparaisse de sa

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vue. Cela a changĂŠ ma façon de dire au revoir. Hier encore, je voyais un ami qui partait. Je suis restĂŠ dans la rue Ă le saluer jusqu’à ce qu’il ait tournĂŠ au coin. Pour moi, le roi Baudouin est un homme qui a donnĂŠ sa vie Ă une cause : que les Belges se rencontrent, s’aiment, se dĂŠcouvrent dans leurs diffĂŠrences personnelles et culturelles. En outre, il avait Ă cĹ“ur l’Êpanouissement des personnes handicapĂŠes. —Et il connaissait le Toit‌ —Un jour, la Reine Fabiola est venue. Une journĂŠe extraordinaire ! D’abord, on avait voulu garder cette visite incognito. On avait annoncĂŠ la venue de la mère de Jean Vanier. C’est pour cela que l’on avait remis le salon et la maison en ordre. Et puis, j’ai expliquĂŠ Ă tous que ce n’Êtait pas Madame Vanier, mais la Reine. La bonne Marie-ThĂŠrèse n’avait pas compris. Elle se penche vers la Reine et dit : ÂŤ Bonjour, Madame Vanier. Âť Je m’exclame : ÂŤ MarieThĂŠrèse, c’est la Reine ! — Bonjour, Madame la Reine. Âť La Reine a vĂŠcu chez nous des moments extraordinaires. Charlie ĂŠtait lĂ aussi. Je le prĂŠsente : ÂŤ Madame, voilĂ Charlie qui rentre de son travail. Âť Ă€ ce garçon qui avait ĂŠtĂŠ en prison, elle demande : ÂŤ Mais bonsoir, Monsieur Charlie, oĂš travaillez-vous ? Âť Il lui rĂŠpond : ÂŤ Ă€ Laeken, près de la Maison Communale. — Mais, dit la Reine, c’est tout près de chez nous ! Âť Et Charlie : ÂŤ Mais oĂš est-ce que vous habitez, vous ? Âť On a vĂŠcu des moments de rires‌ J’aime la famille royale parce qu’elle est signe d’unitĂŠ, de cohĂŠsion. Elle est garante de valeurs importantes. Si nous n’avions plus de roi et de reine, il y aurait des cassures. —Et vous croyez encore Ă l’unitĂŠ de la Belgique ? —J’y crois vraiment. Nous devrions tous nous donner la peine d’aimer la Belgique, de croire Ă son unitĂŠ, de poser des actes de rencontre, mais peut-ĂŞtre aussi de demander pardon. Nos deux cultures sont complĂŠmentaires. Plus on en pousse une, plus

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on abĂŽme le tout. Nous partageons une histoire, un passĂŠ, des valeurs essentielles qui rĂŠclament notre unitĂŠ. La Belgique a ĂŠtĂŠ bâtie par des Flamands et des Wallons. Aujourd’hui, les Flamands sont d’un cĂ´tĂŠ et les Wallons, de l’autre. Comment rĂŠsoudre le problème ? En se parlant, en s’apprĂŠciant, en se dĂŠcouvrant, en posant des gestes de comprĂŠhension.

* —Un mot de conclusion ? —Je veux seulement dire ceci : pour moi, ce que je viens de dire est bouleversant, un peu Êpuisant. En quelques heures, relire toute ma vie ! Seul, je n’arriverais pas à le faire. Il y a une fraternitÊ, une amitiÊ entre nous, une situation de compagnons de JÊsus qui me rÊjouit. Tout ce que je vis, c’est la Parole de Dieu qui s’accomplit ; c’est au-delà de moi. Je ne me sens ni grandi, ni humiliÊ, mais comme ÊcrasÊ de tout ce que le Seigneur a fait pour moi et tout ce que je n’ai pas assez fait pour les autres et pour Lui. Prions pour  que tout s’arrange .  Septembre 1999



Deuxième partie

Il fera beau demain



I. Avec eux Mobile, immobile‌

Il y a ceux qui peuvent marcher. Il y a ceux qui n’ont jamais pu marcher. Il y a ceux qui ont beaucoup marchĂŠ. Il y a ceux qui ne marcheront plus. Aussi longtemps que nos jambes nous portent, nous oublions la souffrance de ceux qui dĂŠpendent tous les jours d’une canne, d’une voiturette, d’un bras secourable. Nous devons savoir que tĂ´t ou tard, nous aurons Ă connaĂŽtre cette expĂŠrience, l’Êpreuve de la dĂŠpendance, de la position assise ou couchĂŠe, d’oĂš nous levons les yeux vers celui qui nous parle‌ oĂš nous nous sentons regardĂŠs, rejetĂŠs, parfois mĂŞme oubliĂŠs. Ă€ Lourdes, les pèlerins vivent très fort ce contraste entre les valides et les moins valides. Nous marchons beaucoup. Nous courons de rĂŠunion en rendez-vous, de cĂŠlĂŠbration en rassemblement. Mais il y a autour de nous, tout ce monde de personnes blessĂŠes, paralysĂŠes, immobilisĂŠes qui nous rappellent un essentiel qu’il ne faut pas manquer. Nos existences citadines sont trop souvent polluĂŠes par la course au temps : ne pas rater le mĂŠtro, ne pas arriver en retard au travail‌ La marche est un don de Dieu Ă l’homme pour qu’il puisse choisir sa route et aller vers celui qu’il aime. Les premiers pas d’un enfant resteront toujours gravĂŠs dans le cĹ“ur des parents, mais quel prix y a-t-il mis ! Que de chutes n’a-t-il faites ! Il est important de savoir pourquoi nous marchons, avec qui nous marchons et pour qui nous marchons. Sainte ThĂŠrèse de

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l’Enfant-JÊsus, au dÊclin de sa vie, se traÎnait le long des couloirs de son carmel et on lui demandait : —Pourquoi vous fatiguer ainsi, ma sœur ? Elle rÊpondait : —Je marche pour un missionnaire. Que nous soyons couchÊs ou debout, que nous marchions ou que nous nous laissions porter ou conduire, n’oublions pas que tout dÊplacement se veut chemin d’amour, route d’amitiÊ. Même assis au volant de notre voiture, attendant patiemment dans une file qui n’en finit pas, nous ne sommes jamais seuls. Il y a tout un monde en marche, une Église en marche, tout un peuple marchant vers sa libÊration, marchant vers sa grandeur et sa beautÊ d’homme libre. Le monde exige cette communion, au cœur de la plus belle dÊmarche qu’il nous est demandÊ de faire :  Aller vers l’autre, aller vers les autres. 


Ma faiblesse et ma force

Qui d’entre nous aime ĂŞtre faible, ĂŞtre allongĂŠ sur un lit, dans une situation de dĂŠpendance, de fragilitĂŠ, de fatigue ? Qui aime d’être dĂŠpassĂŠ par les autres ou tout simplement ÂŤ remis Ă sa place Âť parce que les autres sont plus forts ? C’est pourtant ce chemin que Dieu a choisi. Saint Paul ne l’a-t-il pas ĂŠcrit aux Philippiens : ÂŤ Le Christ JĂŠsus, lui qui ĂŠtait dans la condition de Dieu, n’a pas jugĂŠ bon de revendiquer son droit d’être traitĂŠ Ă l’Êgal de Dieu ; mais au contraire, il se dĂŠpouilla lui-mĂŞme en prenant la condition de serviteur‌ Il s’est abaissĂŠ lui-mĂŞme en devenant obĂŠissant jusqu’à mourir et Ă mourir sur une croix ! Âť Cette ĂŠpĂŽtre que nous connaissons bien, nous ne pouvons pas dire qu’elle nous soit particulièrement chère. De temps Ă autre, elle surgit, sous nos yeux, mais nous ne dĂŠsirons pas du tout nous y habituer. Nous ne souhaitons pas qu’elle de vienne notre nourriture quotidienne. Nous prĂŠfĂŠrons une certaine puissance, une rĂŠelle efficacitĂŠ. Servir, telle est notre volontĂŠ, mais Ă condition que cela nous rapporte aussi et que nous puissions Ă notre tour mener, donner, partager. Et pourtant, n’est-ce pas souvent quand nous avons ĂŠtĂŠ petits et pauvres que nous avons touchĂŠ les cĹ“urs ? N’est-ce pas dans une certaine humiliation, dans un ĂŠchec, que nous sommes arrivĂŠs Ă la vraie relation, Ă la qualitĂŠ de la rencontre du cĹ“ur ? Combien ne connaissons-nous pas de parents d’enfants handicapĂŠs qui vivent douloureusement pareille situation et qui cependant reconnaissent que sans ces enfants il manquerait quelque chose Ă leur bonheur ! Trop souvent nous cherchons la rĂŠussite, mais nous oublions qu’elle crĂŠe la sĂŠparation. Nous cherchons l’efficacitĂŠ, mais nous

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ne remarquons pas les murs qu’elle ĂŠlève autour de nous, les faiblesses qu’elle cache, les leurres d’une fausse approche de la vĂŠritĂŠ. JĂŠsus nous recommande dans l’Évangile : ÂŤ Soyez comme des enfants. Âť L’enfant n’a rien de puissant ni d’efficace. C’est en sa faiblesse que consiste sa force. Bienheureux les petits et les faibles ! Seigneur, s’il me faut rester couchĂŠ, donne-moi la grâce d’en apprĂŠcier la bĂŠatitude. Si je rencontre une personne alitĂŠe, accorde-moi la grâce de m’agenouiller près d’elle pour arriver Ă sa hauteur et me retrouver dans sa dĂŠpendance. CouchĂŠ, assis, debout, peu m’importe, si mon cĹ“ur est assez humble pour admirer, assez pauvre pour recevoir, assez faible pour accepter d’être sauvĂŠ.


Souper entre amis‌

C’est beau, ce que je viens de vivre ce soir ! J’ai ĂŠtĂŠ invitĂŠ Ă souper par Michel et Jehanne qui se sont mariĂŠs il y a dix-huit mois dĂŠjĂ . Lui va avoir 47 ans, elle, 45. Ils cheminent en semble et leur mariage a ĂŠtĂŠ une des plus belles cĂŠrĂŠmonies que nous ayons vĂŠcues au foyer du Toit. Ce qui m’a le plus touchĂŠ, c’est de voir avec quel soin ils avaient prĂŠparĂŠ ce repas. Comme ils sont : tout simplement. On a commencĂŠ par la prière. Michel a d’abord allumĂŠ une bougie avec peine. Ensuite, nous nous sommes donnĂŠ la main. Nous avons dit ensemble la prière de leur cĹ“ur, le Notre Père. C’Êtait beau, simple, et vrai. On ne le dira jamais assez : ceux qui semblent avoir le moins reçu sont destinĂŠs Ă donner davantage. Ceux que l’on croirait ĂŞtre moins riches se rĂŠvèlent ĂŞtre la source d’eau vive. Nous avons tellement cru que c’Êtait la puissance qui allait donner la joie, que c’Êtait la force qui allait donner la sĂŠcuritĂŠ ! Nous dĂŠcouvrons qu’il n’est qu’un seul chemin : celui d’aimer. Nous avons passĂŠ cette heure Ă table, heureux ensemble autour de ce rĂ´ti. Il y avait des chicons chauds pour elle et moi, et en salade froide pour lui qui ne les aime pas autrement. Et Ă la fin de notre soirĂŠe, on s’est encore donnĂŠ la main autour de la table pour remercier Notre Dame qui a tellement bien menĂŠ ce chemin pour leur couple et qui fait en sorte que partout oĂš ils passent, un certain rayonnement se dĂŠgage. Merci, Seigneur, pour l’amour de ces amis qui est Ă l’aune de l’amour des hommes que tu as crĂŠĂŠs Ă ton image. Tu sais mieux que moi tout ce qui se passe en eux, mais je sais que, grâce Ă toi, tout concourt Ă une plus grande joie, car tu nous aimes.

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Comme un tout petit

Aujourd’hui, il est une rĂŠalitĂŠ Ă laquelle nul ne peut se soustraire. Chacun se doit de la dĂŠcouvrir, de l’accepter selon ses dons et ses possibilitĂŠs : la certitude qu’un enfant est plus apte que nous autres Ă connaĂŽtre Dieu, Ă grandir dans sa dĂŠcouverte et son amour. Souvent les adultes mus par le don de leur intelligence, rĂŠduisent la foi Ă ce mot merveilleux qui signifie ÂŤ comprendre Âť. Et, c’est vrai, la grâce de l’intelligence nous aide Ă mieux dĂŠchiffrer les mystères de Dieu et les mystères de l’homme. Mais il y a plus important que cela, il y a le fait ÂŤ d’être pris Âť, d’être saisi, d’être sĂŠduit. Un petit enfant en ce domaine est notre maĂŽtre. Pour lui, il ne faut pas interprĂŠter Dieu. Il lui suffit de savoir qu’Il est lĂ , d’ouvrir son cĹ“ur, de faire silence pour entendre Dieu qui parle. Et Dieu se rĂŠvèle Ă lui. C’est la merveille du don de l’enfance auquel l’Évangile nous appelle. Aujourd’hui, dans un monde oĂš l’on se rend compte de la fragilitĂŠ des connaissances humaines, oĂš l’on se trouve devant des adolescents qui ÂŤ ne savent Âť plus rien de la religion, de la foi ; il faut tout construire, dès leur toute petite enfance. Il ne s’agit pas de les faire ĂŠvoluer dans un conte de fĂŠes. Il s’agit de leur rĂŠvĂŠler que Dieu, bien autrement que l’enchanteur Merlin, est celui qui est toujours lĂ , qui leur parle et veut ĂŠtendre tout son ĂŞtre Ă ses crĂŠatures devenues ses enfants. Ils vont dĂŠcouvrir cela tous les jours. Rien ne sera trop grand ni trop petit pour que Dieu puisse leur parler au cĹ“ur de leur vie. Comme me le disait une personne de grande expĂŠrience et sagesse :

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Avec eux

ÂŤ PassĂŠ l’âge de cinq ans, tout est fait. L’enfant est comme dĂŠjĂ formĂŠ. Âť Alors, devant un tout petit enfant, n’ayons pas peur de nous mettre Ă genoux pour recevoir ce que lui seul peut nous donner. ÂŤ Soyez comme un enfant Âť, a dit JĂŠsus.


Le temps retrouvĂŠ

ÂŤ J’aime mon âge ! Âť Cette phrase est riche de sens. Elle est de JĂŠrĂ´me (du foyer de ÂŤ La Ruche ÂŤ), 27 ans, plein de dynamisme, d’enthousiasme. Il a criĂŠ sa joie de vivre. En nous affirmant qu’il aimait son âge, il voulait nous dire que chacun de nous se doit d’aimer l’âge qu’il a et ne pas toujours rĂŞver de celui qu’il a eu ou de celui vers lequel il va. Notre âge, que nous cĂŠlĂŠbrons lors des anniversaires, peut ĂŞtre Ă chaque fois une page que l’on tourne, une espĂŠrance qui disparaĂŽt. Mais s’il se vit comme un livre que l’on ouvre ou un matin qui se lève, alors notre âge est beau, car il est espĂŠrance. Sans doute faudra-t-il un jour compter avec le poids de l’âge et ses limites. Cela rentre dans les calculs que comporte une vie. Mais si l’on regarde en arrière et qu’on y voit toutes les beautĂŠs, tous les gestes de tendresse, tout ce qui s’est passĂŠ de merveilleux, de pardons, d’espĂŠrance, de sourires et de paix, alors on doit se dire que l’âge que l’on a est le plus beau des cadeaux parce qu’il est fait de souvenirs et d’espoirs. J’aime mon âge, c’est un peu comme dire : ÂŤ J’aime Dieu qui me le donne, j’aime ceux qui me font vivre, j’aime ceux qui m’entourent, j’aime le trottoir sur lequel je marche, le ciel gris ou bleu au-dessus de ma tĂŞte, la pluie fĂŠcondante, le soleil nous illuminant, les hommes capables d’aimer mais rĂŠclamant encore plus d’être aimĂŠs. Âť J’aime mon âge, tout un programme oĂš chacun peut se retrouver. Car l’âge, plus qu’un nombre d’annĂŠes, est toujours le prolongement d’une histoire d’amour, celle qui m’a vu naĂŽtre, celle qui me laisse grandir, celle qui me fait croire Ă demain.

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II. Visages Tante Ghislaine

Elle ĂŠtait de nos amis. Elle nous observait et nous voulait du bien. Quand notre foyer le Toit voulut acquĂŠrir la maison qui deviendra ÂŤ Cana Âť, Tante Ghislaine nous aida. Nous l’aimions bien sans tellement la connaĂŽtre. Tout en elle ĂŠtait fort, solide, raisonnable. Elle rappelait la sainte femme dont parle le livre de la Sagesse. Et voilĂ qu’un jour, elle vient me trouver. Avait-elle eu un songe ? Que nenni ! Elle voulait nous offrir une maison ! Et voici ce qu’elle raconta : ÂŤ Il y a quelques semaines, le cardinal Suenens est venu cĂŠlĂŠbrer, en la chapelle Notre-Dame des ApĂ´tres, la messe du samedi. J’y ĂŠtais. Ce fut très beau. Ă€ un moment, il a racontĂŠ l’histoire de cette famille amĂŠricaine dont la maison brĂťlait. Tous sont sortis indemnes sauf un enfant, restĂŠ bloquĂŠ Ă l’Êtage. Son papa lui crie : —Jim, jette-toi par le balcon. —Mais papa, je ne vois rien. Tout est plein de fumĂŠe. —Jim, jette-toi. Moi, je te vois. Âť Cette anecdote a touchĂŠ le grand cĹ“ur de Tante Ghislaine. Elle aime tant la paroisse et son pasteur, le père Jean Rabau. Elle sent toute l’espĂŠrance que reprĂŠsente ce monde de nos frères et sĹ“urs dits handicapĂŠs. Elle croit Ă ÂŤ L’Arche ÂŤ ! L’his toire du cardinal l’a ĂŠmue et comme poussĂŠe. Elle a trouvĂŠ une maison. Elle l’a visitĂŠe‌ ÂŤ Cana Âť, notre petit foyer va naĂŽtre.

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Tante Ghislaine s’affaire. Elle ne fait pas que donner. Elle se donne. Elle quitte son bel et grand appartement du boulevard Saint-Michel pour se retrouver dans deux chambres Ă ÂŤ Cana Âť. Elle l’a voulu. Elle l’a choisi ! Qu’elle est bonne, Tante Ghislaine ! Elle y demeurera près de deux ans. Mais un genou malade la contraindra Ă vivre dans une maison sans escalier. Toutefois, elle restera ÂŤ de Cana Âť, venant chaque semaine pour la messe et le souper‌ toujours gĂŠnĂŠreuse et fidèle. Le Seigneur l’a rappelĂŠe. En quelques heures, elle s’en est allĂŠe, sans prĂŠvenir personne, tant elle ĂŠtait prĂŞte Ă retrouver le Seigneur qu’elle a tant aimĂŠ. Ses malades, ceux Ă qui elle portait la communion, sa ÂŤ LĂŠgion de Marie Âť, la vie de sa paroisse, ÂŤ Cana Âť, sa famille, tous ceux qu’elle portait, suivait, aimait Ă sa façon, pourraient en tĂŠmoigner. Sans discours, sans adieu, elle est partie. Mais non, elle est avec nous pour toujours. Sa foi ĂŠtait si grande qu’elle nous aide Ă traverser la mort. Merci, Tante Ghislaine, de demeurer toujours celle qui a rencontrĂŠ son Seigneur, a risquĂŠ, a osĂŠ tout pour lui ; et aujourd’hui, nous le fait rencontrer par ce passage dans la vie ĂŠternelle.


Institut de beautÊ‌

Il m’est arrivĂŠ l’autre jour, un peu par hasard, je le confesse, de pĂŠnĂŠtrer dans un ÂŤ institut de beautĂŠ Âť. On ne m’avait pas prĂŠvenu. Je me suis trouvĂŠ tout Ă coup face Ă l’une ou l’autre ÂŤ apprentie esthĂŠticienne Âť et j’ai ĂŠtĂŠ assez ĂŠbloui. Elles occupaient chacune une chambre, se prĂŠparant Ă un examen final qui non seulement devait leur valoir un prix, mais devait aussi ĂŞtre pour elles l’aube d’une carrière fulgurante. Épreuve au cours de laquelle elles ne seraient pas rivales, mais bien au contraire, comme assurĂŠes toutes de l’appui d’un jury. Qu’elles ĂŠtaient belles, les trois petites sĹ“urs carmĂŠlites dans leur infirmerie ! Oui, c’est d’elles qu’il s’agit. Et cet institut de beautĂŠ oĂš l’âme dĂŠborde tellement du corps, c’Êtait ce dispensaire, ce couvent bĂŠni. Tant aimĂŠes et choyĂŠes par leurs sĹ“urs aĂŽnĂŠes, elles sont le cĹ“ur de la maison qu’elles illuminent et rĂŠchauffent de leur prĂŠsence. De plus en plus, j’en arrive Ă la conclusion que le temps que l’on consacre avec joie et vĂŠritĂŠ aux malades, les assurant d’une affection sincère, devient un temps oĂš le corps se laisse lentement envahir par une prĂŠsence. C’est ce que j’ai lu sur le visage de ces trois sĹ“urs qui me parurent tout Ă coup tellement plus belles que lorsque je les avais rencontrĂŠes au cours de causeries, qui nous rĂŠunissaient de temps Ă autre. Elles ĂŠtaient belles du regard qu’elles portaient sur Dieu, mais encore plus du regard que Dieu portait sur elles. Elles ĂŠtaient comme transparentes par le lent dĂŠtachement de ce corps qui devenait une enveloppe desserrant ses attaches pour que l’âme, le cĹ“ur puissent y rayonner encore plus intensĂŠment.

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Qu’elles ĂŠtaient belles, mes petites sĹ“urs du Carmel dont chacune portait le nom de Marie. On pouvait deviner en elles quelque chose de cette Mère merveilleuse qui enfanta JĂŠsus et qui reste jusqu’à la fin des temps la Mère de tous les hommes. Je ne pensais pas qu’un jour, il me serait donnĂŠ de pĂŠnĂŠtrer dans pareil institut de beautĂŠ ! Comme ces infirmières, il faut beaucoup prier pour ceux qui s’en vont ainsi lentement, il faut les entourer. Il faut leur rĂŠvĂŠler qu’ils sont jusqu’au bout importants pour nous, pour moi. Comme le soulignait une grande malade : ÂŤ Il est bon de sentir que l’on compte pour quelqu’un. Âť Merci Seigneur de m’avoir permis si souvent, dans ma vie de prĂŞtre, de rencontrer tant de beautĂŠ et de bontĂŠ et ce, toujours, Ă ton image.


Mon sac en cuir

J’ai un sac en cuir. Il vient de Paris. Il m’a ĂŠtĂŠ offert par un ami ayant très bon goĂťt. Mais les annĂŠes passant et malgrĂŠ tout le soin que j’en ai pris, le cuir lentement blanchit, se fendille et je suis tout ĂŠtonnĂŠ de le voir prendre un air vieillot alors que je le trouvais si beau ! L’autre jour, dans le parloir d’une ĂŠcole, je considĂŠrais quelque collier ou bracelet confectionnĂŠ par des enfants, un assemblage de perles ; elles aussi, avec le temps, avaient perdu de leur superbe et la beautĂŠ du ÂŤ bijou Âť s’en trouvait affectĂŠe. Vieillir, c’est s’Êtioler, perdre de sa fraĂŽcheur. Cependant, qu’y a-t-il de plus beau que de visiter un home de vieillards et d’y amener des enfants, des tout petits ? On voit se dĂŠtendre les rides de tous les visages, les crispations s’attĂŠnuer. La maison a changĂŠ ! Merveille ! que ces rencontres oĂš tout est donnĂŠ et partagĂŠ. Chaque annĂŠe, il est un temps oĂš tout bourgeonne, au printemps ; et un autre oĂš tout dĂŠcline, en automne. Et pourtant, de ces deux saisons, laquelle est la plus belle ? Celle de la jeune pousse fraĂŽche ou celle de la feuille aux reflets rutilants ? L’une comme l’autre, en tout cas, nous dĂŠlivrent ce message : la vie peut toujours ĂŞtre belle, Ă condition de l’accueillir comme elle est, de ne pas rĂŞver au printemps quand l’automne arrive, mais de savoir qu’au cĹ“ur de l’hiver, dĂŠjĂ un printemps se prĂŠpare. Pour ĂŠviter de nous ternir, de nous faner, ne craignons pas d’employer ce qu’il faut pour que chaque âge garde son ĂŠclat. Il en est ainsi de mon sac, que j’ai confiĂŠ Ă Marie-Louise pour qu’elle lui rende son lustre d’antan ! C’est finalement cela, la vie : employer un objet, mais le rajeunir, l’entretenir. Et si un jour il

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casse ou ne peut plus nous servir, peut-être le garder comme souvenir de celui qui nous l’a offert.


Vingt ans dĂŠjĂ !

Quel anniversaire ! Vingt ans ont sonnĂŠ dans les cĹ“urs de tant d’amis et des habitants du foyer le Toit. Vingt ans dĂŠjĂ ! Nous avons revĂŠcu tout simplement ce qu’au cours de la messe du 18 janvier 1971, jour de l’inauguration du foyer, le père Toussaint a dit dans son homĂŠlie. C’Êtait prophĂŠtique : ÂŤ Une maison qui reste pauvre est toujours une maison de rencontre ; elle suppose, de la part de ceux qui y vivent, un cĹ“ur universel‌ car l’universalitĂŠ de ceux qui se rencontreront ici ne se manifestera que s’ils sont conquis par le cĹ“ur de ceux qui savent mettre Ă l’aise — ensemble — un noir et un blanc, un athĂŠe et un croyant, une personne handicapĂŠe et une autre valide, les jeunes et les adultes ou encore les personnes âgĂŠes. ÂŤ Tout cela est une grande grâce‌ pour vous aussi, car ce doit ĂŞtre une joie de pouvoir porter ce qui nous est offert de la part du Seigneur. Vraiment, c’est très beau, de la beautĂŠ de toutes les choses qui commencent, des choses neuves, de toutes les choses qui explosent‌ On est dans l’attente‌ La rĂŠussite est au Seigneur, Ă travers cette mĂŠdiation que nous sommes tous, dans la mesure oĂš nous consentons Ă prendre notre part du projet, pour le Seigneur, que nous tâchons tous ensemble de servir au mieux. Âť Ensuite, ce fut la journĂŠe de la rencontre. Dès dix heures, ils arrivèrent, se succĂŠdant les uns aux autres, nous assurant de leur amitiĂŠ, chantant leur reconnaissance, partageant la joie de leur prĂŠsence. Tout avait ĂŠtĂŠ prĂŠparĂŠ. La maison ornĂŠe, les tables bien garnies. Ă€ l’Êtage, les panneaux avec des photos rappelant les visages et les histoires du passĂŠ. Spectacle très ĂŠmouvant !

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 Que tout s’arrange 

La tĂŠlĂŠvision fut aussi de la partie. Ils ont ĂŠtĂŠ très impressionnĂŠs, parce qu’ils ont vu et senti‌ Des moments comme ceux-lĂ dĂŠpassent ce que l’on peut capter Ă l’aide d’une camĂŠra. Il ne s’agit plus de regarder : on est pris, on est dedans, on est avec. Mais le soir, lors de l’eucharistie finale, la grâce nous a visitĂŠs par la prĂŠsence de Christelle, orpheline âgĂŠe de trois ans, venue conduite par des amis. La beautĂŠ de la messe et les chants mĂŠlodieux eurent raison de sa toute jeune sensibilitĂŠ. Elle a pleurĂŠ d’abord. Mais très vite, pendant la première lecture, elle est venue se blottir sur mes genoux et j’ai cĂŠlĂŠbrĂŠ la messe en la portant, en l’Êtreignant, en la laissant s’agripper Ă moi, dans une intensitĂŠ de foi et de tendresse qui ne venait pas de mon cĹ“ur d’homme, mais se voulait simplement traduction de l’amour de Dieu pour les plus petits. Cette eucharistie, cĂŠlĂŠbrĂŠe avec elle, annonçait pour moi l’eucharistie du salut du monde. Christelle ĂŠtait en mĂŞme temps les chrĂŠtiens sĂŠparĂŠs pour lesquels on priait, les schismes oĂš d’aucuns se fourvoyaient, la guerre et sa souffrance dans laquelle on venait d’entrer. Christelle incarnait tout cela, car elle n’a pas cessĂŠ de pleurer doucement, profondĂŠment. Ses sanglots rejoignaient, Ă travers les cris de l’humanitĂŠ, le cĹ“ur de Dieu qui nous a tant aimĂŠs. C’est seulement Ă la fin de la messe qu’elle a trouvĂŠ sa paix, qu’elle a pu repartir souriante et dĂŠtendue, rayonnante de ce qu’elle nous avait apportĂŠ. Pareille journĂŠe, dans l’infinie gĂŠnĂŠrositĂŠ du cĹ“ur de Dieu, nous a confirmĂŠ que ce qui a commencĂŠ n’a jamais ĂŠtĂŠ notre Ĺ“uvre, mais bien, avant tout, l’œuvre de Celui qui demande aux hommes de bien vouloir travailler avec Lui. C’est tout. Pour cette fidĂŠlitĂŠ de Dieu et celle de tant d’amis prĂŠsents ou absents, bĂŠni sois-tu, Seigneur !


Les sœurs de l’Arche

On n’en parle pas. Jamais, dans les rĂŠunions, leur travail ne figure Ă l’ordre du jour. Elles se mĂŞlent aux assistants de tout âge. Elles portent des responsabilitĂŠs parfois très lourdes. Elles sont prĂŠcieuses entre toutes. Ce sont les religieuses qui collaborent dans l’Arche. Je voudrais proclamer, après tant d’annĂŠes vĂŠcues avec elles, le don qu’elles reprĂŠsentent. Si les personnes handicapĂŠes restent au cĹ“ur de nos communautĂŠs comme un signe visible du choix que Dieu a fait de se rĂŠvĂŠler dans les petits, les religieuses qui vivent dans l’Arche, ont le don de nous faire dĂŠcouvrir qu’il faut beaucoup de silence et d’effacement pour donner Ă chacun la grâce de sa maturitĂŠ. Dans l’Arche, elles se dĂŠpensent sans compter. Elles sont parfois responsables et portent courageusement nos foyers. Ces ÂŤ petites sĹ“urs Âť qui nous secondent sont indispensables. Ă€ leur façon, elles dĂŠfendent la qualitĂŠ de l’être contre la tentation de l’agir. Elles sauvent la valeur de la prière, au cĹ“ur mĂŞme des urgences Ă construire. On ne pourra jamais assez les remercier de leur prĂŠsence. Elles ne sont pas mariĂŠes, alors que l’Arche grouille de bambins. Par leur disponibilitĂŠ, leur don total Ă Dieu, elles rendent cet esprit de famille ouvert Ă tous et capable de s’Êtendre bien au-delĂ du cercle de nos relations habituelles. LĂ oĂš une sĹ“ur passe, l’amour brise bien des barrières, dompte bien des peurs. Merci, petites sĹ“urs, pour ces annĂŠes donnĂŠes, Ă travers tant de difficultĂŠs : votre situation face Ă vos communautĂŠs, la peine de vous sentir parfois mal comprises et jugĂŠes. C’est JĂŠsus que vous avez rencontrĂŠ lorsque vous avez tout quittĂŠ pour Le suivre,

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 Que tout s’arrange 

mais c’est Lui que vous retrouvez dans ces visages blessĂŠs, dans tout ce monde nouveau qui devient vĂ´tre. Grâce Ă JĂŠsus, tout change, prend un sens et se transfigure. LouĂŠes soyez-vous pour ce don Ă l’Arche qui nous rĂŠvèle qu’un cĹ“ur est capable d’aimer toujours plus, Ă l’aune de cet amour que Dieu veut nous partager.


À bas l’uniforme‌

Il est des barbes, il est des cheveux, il est des boucles d’oreille, il est des jeans et des pantalons‌ Ils ne veulent pas ĂŞtre comme tout le monde, ils ne veulent plus s’habiller comme leurs aĂŽnĂŠs. Alors ils crient. Et leur cri, c’est le dernier cri, la mode ! Nous, nous serions tentĂŠs de les juger selon nos critères de beautĂŠ, dans l’esprit de notre ĂŠducation traditionnelle. Nous aurions envie de dĂŠclarer leur rĂŠaction comme ĂŠtant nulle et non avenue, irrecevable, tout au plus passable. Si chaque tignasse, chaque jean dĂŠlavĂŠ pouvait exprimer sa vĂŠritÊ‌ Qui que tu sois dans ta diffĂŠrence, tu cries vers moi en vue d’un rapprochement. Tu ne dĂŠsires pas me ressembler, mais tu voudrais entrer en communion avec ce qui en moi appartient peut-ĂŞtre dĂŠjĂ au passĂŠ, Ă la vieillesse, Ă l’expĂŠrience, mais dont tu sens toutefois la vĂŠritĂŠ. Non, ton cri n’est pas rĂŠvolte contre tout ce que je suis ou reprĂŠsente. Il est appel au dialogue, Ă l’Êcoute, Ă l’entente : ÂŤ Nous, jeunes, nous sommes lĂ et n’avons pas votre foi ; nous n’avons pas connu la guerre, n’avons pas votre expĂŠrience de la vie. Mais de grâce, acceptez-nous malgrĂŠ nos diffĂŠrences, dĂŠcouvrez qui nous sommes. Vous vous connaissez peut-ĂŞtre mieux que nous qui traversons une crise d’identitĂŠ, nous nous cherchons encore‌ Aussi, Ă notre manière, nous nous tournons vers vous pour vous appeler Ă l’aide. RĂŠpondez, faites-nous comprendre que vous croyez en nous, que vous nous aimez, que vous avez besoin de nous en vue d’Êchanger, de partager et mĂŞme pour nous remercier. Âť

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Maman Denis n’est plus

Nous l’appelions ÂŤ assistante permanente Âť Ă cause de sa chevelure si bien coiffĂŠe. Qu’elle ĂŠtait belle ! Elle venait au Toit avec son fils Denis. Ils ne pouvaient pas se sĂŠparer l’un de l’autre. Dès sa naissance, le 9 octobre 1942, alors mĂŞme que le mĂŠdecin pensait que ce bĂŠbĂŠ ne survivrait pas, elle s’est battue et a gagnĂŠ. Sans le savoir, elle a inventÊ‌ la couveuse : trois bouillottes dans un berceau et le tour ĂŠtait jouĂŠ ! Et Denis a vĂŠcu, grâce Ă ses soins continuels. Aussi, quand Denis a dĂŠbarquĂŠ au Toit, sa maman le conduisait, et quand il repartait, ÂŤ ils Âť s’en allaient. C’Êtait ainsi, il fallait les aimer comme ils ĂŠtaient, merveilleusement unis, si proches, tellement accrochĂŠs l’un Ă l’autre. C’Êtait une grande joie de les voir‌ Maman Denis devint veuve dans la quatrième annĂŠe de son fils. Il a fallu lutter et tenir le coup Ă une ĂŠpoque oĂš n’existait pas l’aide sociale comme de nos jours. La situation d’une maman ayant un enfant handicapĂŠ Ă charge ĂŠtait tragique. Sa première voiturette, nous la surnommions ÂŤ le tank Âť. Depuis, que de progrès ! Mais, dans son ÂŤ tank Âť — qui acheva sa carrière comme socle pour pots de fleurs dans le jardin — comme Denis a ĂŠtĂŠ heureux, comme il a ĂŠtĂŠ choyĂŠ ! Maman Denis permettait que Denis soit de toutes les rĂŠunions, de toutes les assemblĂŠes. Elle l’aimait tellement qu’on se rĂŠjouissait de la voir heureuse parce que son fils ĂŠtait tout simplement entourĂŠ. Elle a vaincu la peur que tant et tant de gens ont eue Ă l’Êgard de la personne handicapĂŠe. Elle a ĂŠtĂŠ plus forte, elle y a cru. Il y avait Denis, il y avait sa fille Josette, il y avait sa maison, mais il y avait aussi son jardin. Son jardin n’Êtait pas seu-

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lement celui de Rocourt, oĂš elle habitait, mais aussi celui du Toit oĂš quand arrivait le printemps, elle prenait son tournant. Elle s’y sentait chez elle et y retrouvait ses racines, son ĂŠquilibre. C’est peut ĂŞtre lĂ que sa foi s’est le plus merveilleusement rĂŠvĂŠlĂŠe. Elle ĂŠtait nĂŠe pour faire grandir les fleurs, faire pousser les lĂŠgumes, pour obtenir de la moindre petite parcelle une espĂŠrance de vie, mais aussi de la nourriture Ă partager. Fidèle Ă la crĂŠation de Dieu, elle l’entretenait, la perpĂŠtuait, elle y croyait. La foi, c’est se convaincre que Dieu nous aime, nous guide et nous conduit. Maman Denis croyait en Dieu. Elle Le voyait dans sa vie, car elle croyait en la vie qu’elle recevait de Dieu. Si ses enfants lui ont ĂŠtĂŠ si chers, si elle a tout fait pour eux, c’est parce qu’elle reconnaissait en eux le don de Dieu. Elle ĂŠtait vraiment la mère donnĂŠe Ă ses enfants, mais elle ĂŠtait aussi la femme choisie par Dieu pour ĂŞtre sur terre, Ă l’image de tant de femmes, celle qui porte, celle qui guide, celle qui tient bon. Elle s’en est allĂŠe un vendredi soir, assise dans son fauteuil, fatiguĂŠe de sa journĂŠe, mais en paix. Elle avait quatre-vingt-huit ans. Au Toit nous ne l’avons jamais considĂŠrĂŠe comme une vieille dame, elle ĂŠtait tellement disponible, jeune et enthousiaste que nous pouvions toujours la regarder avec jeunesse. Vive Maman Denis ! Vous restez des nĂ´tres, ÂŤ permanente Âť Ă jamais.


Le mendiant

Profitons des vacances‌ pour ouvrir nos quinquets ! Il est lĂ ! tout brun de l’air qu’il prend ou de la crasse qu’il garde. Il est lĂ ! tout hargneux des souffrances de la vie qu’il a peutĂŞtre causĂŠes et souvent reçues. C’est un vrai partage. Il est lĂ , au porche de l’Êglise, agressif, rĂŠclamant davantage quand on lui donne quelque chose. Il est lĂ , assis sur un banc, et quand il me voit, il dĂŠtourne la tĂŞte. Ă€ un autre, il demanderait quelque argent, trois ou quatre cents francs pour lui permettre de louer une chambre. Il n’est pas dupe des mensonges qu’il invente ! Accorda-t-on d’ailleurs jamais du crĂŠdit Ă ses propos ? Il est lĂ , sur la route, alors que je voudrais l’aider et je sais que je n’y arriverai pas. Il est lĂ , en travers de mon chemin, alors que je vais vers quelqu’un d’autre et que je passe Ă cĂ´tĂŠ, comme le prĂŞtre de l’Évangile devant l’homme blessĂŠ. Il est lĂ , il me trouble. C’est peut-ĂŞtre finalement son rĂ´le, car chacun de nous a un rĂ´le : aux uns‌ d’apporter l’espĂŠrance, aux autres‌ de bousculer. Il me dĂŠrange dans ma vision de la vie comme j’aime Ă la proclamer. Rien en lui n’appelle Ă l’amour. Il n’y a donc pas beaucoup d’amour autour de lui ! Tel est mon prochain. Mon prochain, c’est toujours celui qui apporte le salut. Il est donc lĂ pour me sauver. Passant près de lui, je le regarde furtivement, il se dĂŠrobe. Nous nous sommes ÂŤ rencontrĂŠs Âť. Puis s’Êloignant, il me maudit sans doute, et moi, je l’avoue, je voudrais commencer Ă l’aimer. Savoir que faire, savoir

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que dire, surtout ne pas gaffer, ne pas heurter, ne pas mÊpriser :  Seigneur Êclaire-moi !  Il m’a une fois de plus ouvert et les yeux et le cœur. C’est peut-être cela, son rôle. Qu’il reste pour moi celui à qui je dois plus, parce que je ne lui ai rien donnÊ.


L’abbÊ Pierre

Qu’il ĂŠtait beau, l’autre soir Ă la tĂŠlĂŠvision, ce petit homme barbu, usĂŠ, vibrant d’une passion inĂŠpuisable : celle de dire la vĂŠritĂŠ, de crier contre l’injustice, d’appeler les hommes Ă reconnaĂŽtre les racines de leurs maux, les causes de leur tristesse. L’abbĂŠ Pierre, cinquante ans après le fameux appel de l’hiver 54, ĂŠtait encore lĂ sur la brèche. Il ĂŠtait venu pour dĂŠnoncer le drame des sans-logis qui abĂŽme tant de familles dans notre humanitĂŠ. Il ĂŠtait lĂ pour condamner toute cette organisation inhumaine qui transforme les possibilitĂŠs de travail en rendement supĂŠrieur et crĂŠe le chĂ´mage, qui tue et dĂŠsespère tant d’hommes et de femmes. Il ĂŠtait lĂ , osant attaquer les fausses valeurs, osant dĂŠcrier le traĂŽtre qui abuse de la confusion, de l’Êquivoque, oĂš notre monde se dĂŠbat. Qu’il ĂŠtait beau, notre abbĂŠ Pierre, et comme on respirait en l’entendant parler ! Il ne crĂŠait pas autour de lui la haine : il venait en libĂŠrateur abattant les murs des prisons, rendant libres les opprimĂŠs et ouvrant un monde nouveau Ă la justice. Elle ĂŠtait belle, cette heure de tĂŠlĂŠvision, avec une densitĂŠ et une puissance de suggestion extraordinaire. Il rappelait l’Évangile, JĂŠsus condamnant tous ceux qui, faux et traĂŽtres dans leurs argumentations, dans leurs manĹ“uvres, spoliaient les plus faibles et les plus petits. Oui, l’abbĂŠ Pierre a vraiment prĂŠsentĂŠ le visage du Christ quand il nous a rappelĂŠ combien il est important d’oser parler

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comme il le fait, d’oser nous libĂŠrer de nous-mĂŞmes, car nous sommes trop timides pour le faire. Tu nous as rappelĂŠ que tu seras toujours du cĂ´tĂŠ de la justice et que son testament, c’est Ă nous de le continuer : ÂŤ choisir d’aimer Âť et ne pas tolĂŠrer que quelque part près de moi, il y en ait sans toit, sans pain, sans amour et amitiĂŠ. Si tous les chrĂŠtiens pouvaient ĂŞtre de cette trempe ! Merci d’être encore lĂ !


Mot de mĂ´me !

Les mots d’enfants‌ sont d’une sagesse qui n’a pas fini de nous en apprendre. Farid est le quatrième enfant d’amis marocains tenant un magasin de fruits et lĂŠgumes exotiques. Farid, quatre ans, a bien des jours de congĂŠ. Ainsi, l’autre jour, le voyant un peu traĂŽner, je lui dis : ÂŤ Viens voir notre jardin. Il est si beau, tu pourras y jouer. Âť Ă€ peine entrĂŠ, Farid se sent chez lui. Il va Ă gauche, Ă droite et apercevant quelques compagnons jĂŠsuites attablĂŠs autour d’un bon repas, il leur dit : ÂŤ Mais ici, il n’y a que des papas ! Âť Merveille, y avions-nous songĂŠ ? Tous ces sĂŠminaristes autour de la trentaine sont en âge d’être papa. Peut-ĂŞtre absor bĂŠs par leurs ĂŠtudes, ils n’y pensent pas. Plus tard, quand l’apostolat sera davantage leur terrain d’action, ils porteront le don de cette peine et le poids de ce sacrifice. Mais, comme Farid l’a dit, en chacun de nous, il y a un papa qui sommeille, Ă l’image de Dieu Ă la fois Père et Fils. Nous devons assumer cette rĂŠalitĂŠ : nous sentir aimĂŠs et faits pour aimer. Heureux ĂŠtions-nous d’être Ă cette table et de recevoir cette parole prophĂŠtique nous rĂŠvĂŠlant tout Ă coup que notre cĂŠlibat n’est pas un choix stĂŠrile, ni une solitude amère. Nous choisissons cette voie pour mieux aimer et ĂŞtre plus disponible. Elle n’est pas la plus facile, mais elle est nĂŠcessaire Ă l’amour. Tant qu’il y aura sur cette terre des hommes et des femmes capables d’aimer de cette façon, l’amour sera sauvĂŠ. Il ne faut pas que tous le fassent, mais il faudra toujours des signataires de ce manifeste de l’amour oĂš on choisit d’être ÂŤ papa ou maman au-

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trement qu’un autre . Ainsi nous dÊcouvrons le vrai cœur de notre paternitÊ. Merci, jeune Farid, d’être venu nous apprendre, encore une fois, bien des choses !


Le père Thomas

Quelle tristesse pour nous que d’apprendre la mort du père dominicain Thomas Philippe, l’un des cofondateurs de l’Arche avec Jean Vanier, dans les murs de la CommunautĂŠ Saint-Jean mise sur pied par son frère ! Malade depuis plusieurs mois, il y fut admirablement soignĂŠ. Ce dĂŠpart qui arrive Ă son heure et dont nous devons rendre grâce Ă Dieu, nous interpelle. N’est-il pas bouleversant de penser que ce 4 fĂŠvrier Ă une heure du matin, il dĂŠcĂŠda dans sa petite chambre, oĂš une dernière fois encore, Ă minuit, il venait de cĂŠlĂŠbrer la messe en compagnie de son frère ? Le père Thomas‌ comment rĂŠsumer en quelques lignes, en quelques pages ce qu’il a fait, ce qu’il a ĂŠtĂŠ, ce qu’il nous a donnĂŠ ? Lors de nos rencontres si bouleversantes et attachantes, Ă Trosly ou ailleurs, il tĂŠmoignait par son eucharistie, ses entretiens, sa parole, son sourire, sa dĂŠmarche un peu claudicante sous son habit blanc de dominicain, de l’immense tendresse de Dieu pour son peuple auquel il consacrait le meilleur de lui-mĂŞme. Comme professeur de philosophie, il avait cĂ´toyĂŠ les plus grands scientifiques. Il continuait de s’instruire, de lire, de rĂŠflĂŠchir, d’Êcrire. Mais avant tout, il ĂŠtait attentif Ă chacun. Sa capacitĂŠ d’Êcoute, malgrĂŠ une oreille handicapĂŠe, ĂŠtait remarquable. Toujours l’Esprit de Dieu ĂŠtait Ă l’œuvre, Ă travers nos balbutiements comme Ă travers son inĂŠpuisable grâce de partage et d’Êchange. Je me souviens, avec ĂŠmotion, de ces nombreuses fois oĂš il s’exclamait : ÂŤ Comme vous dites ! Âť, comme s’il voulait mettre ainsi en valeur nos pauvres petits propos qu’il aurĂŠolait, par sa

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parole et son attention dans la grâce de sa prĂŠsence, d’une dimension toute autre et combien plus profonde. Le père Thomas, homme de Dieu, ami des hommes, et pleinement homme ĂŠtait Ă la fois mystique et rĂŠaliste. Il est un petit livre qui l’incarne si bien : Les desseins de Dieu sur l’homme. Sa lecture nous rĂŠvèle que ce qu’il y a de plus beau dans l’homme, c’est son enfance et sa vieillesse. C’est Ă ces deux âges que l’homme se trouve lui-mĂŞme en plĂŠnitude. Oui, c’est dans la connaissance de sa faiblesse que l’homme trouve sa grandeur et sa force ! Qu’il ĂŠtait bon de l’entendre ainsi s’exprimer dans ses homĂŠlies qui nous dĂŠpassaient tellement ! On le comprenait beaucoup plus par tout son ĂŞtre que par l’intelligence. Il n’empĂŞche, le père Thomas ĂŠtait un grand intellectuel qui a su parler au cĹ“ur des plus humbles. C’Êtait en mĂŞme temps un pauvre qui a rencontrĂŠ tout homme dans sa vĂŠritĂŠ et dans sa recherche essentielle. Il est parti au terme d’une vie bien remplie qui force dès aujourd’hui l’admiration, la reconnaissance et un certain silence. Pour ce que vous avez ĂŠtĂŠ, père Thomas, Dieu soit bĂŠni. Pour ce qui continuera par vous, Dieu soit bĂŠni. Pour ce que vous avez commencĂŠ en nous par son Esprit, Dieu soit bĂŠni. Merci, Ă´ Notre-Dame, d’avoir formĂŠ ce cĹ“ur de prĂŞtre, Ă la mesure du cĹ“ur de JĂŠsus.


Sa MajestĂŠ le Roi Baudouin

Le roi est mort. Cette nouvelle du dimanche matin 1er aoĂťt a bouleversĂŠ tout le pays et, bien au-delĂ des frontières, tant et tant d’amis. Tout Ă coup, la Belgique s’est sentie orpheline. Tout Ă coup, une impression de sĂŠcuritĂŠ, de sagesse, de force, de tendresse qui nous entourait nous a paru s’Êloigner, s’Êteindre. Pour beaucoup, ce furent les larmes. Mais lentement, Ă mesure que le jour se levait et que la rumeur se rĂŠpandait, une merveilleuse histoire commença de circuler : celle de tout le bien accompli par la reine Fabiola et le roi Baudouin que l’on ĂŠvoquait sans fin. Étaitil possible que, ce jour-lĂ , tant de bontĂŠ jaillisse du cĹ“ur des hommes ! Et chacun de penser aux autres, de tĂŠlĂŠphoner Ă ceux qui n’Êtaient pas encore au courant, de s’efforcer d’aller Ă la rencontre de ceux qui ĂŠtaient isolĂŠs. On ĂŠprouvait le besoin de se retrouver. Le dĂŠpart du Roi a engendrĂŠ dans la population une communion de pensĂŠe, de cĹ“ur et d’âme extraordinaire. Tous s’inclinaient devant ce qu’il avait ĂŠtĂŠ et ce qu’avec la Reine il avait menĂŠ Ă bien pour notre nation. Le Roi ĂŠtait l’homme de la relation personnelle, de l’Êcoute, de la mĂŠmoire du cĹ“ur. Il ĂŠtait l’homme de la rencontre. Le Roi ĂŠtait celui vers lequel les plus pauvres pouvaient se tourner, car ils se sentaient reconnus, considĂŠrĂŠs, aimĂŠs par lui. Que de situations dĂŠlicates oĂš il intervint directement ou indirectement, oĂš il jeta dans la balance le poids de son autoritĂŠ, de son sens du service ! S’il a luttĂŠ jusqu’au bout, choisissant lui-mĂŞme le nouveau mode de vie communautaire qui deviendra le nĂ´tre, ce fut dans l’esprit que chacun soit respectĂŠ comme une personne Ă part entière. Il aurait pu pratiquer la ÂŤ po-

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litique de l’autruche Âť, refuser de s’engager sur le terrain Ă´ combien glissant de nos querelles linguistiques ! Il a assumĂŠ ce changement, il y a rĂŠflĂŠchi, il l’a portĂŠ de bout en bout, il l’a priĂŠ. C’est jusqu’au bout, qu’il a consumĂŠ sa vie pour les autres. Durant deux jours nous fĂťmes conviĂŠs Ă rendre hommage au Roi. Une foule immense, des heures d’attente, nous firent prendre conscience que c’Êtait le Roi qui nous rassemblait. Ce fut extraordinaire ! Venant de tous les coins du royaume, chacun avait hâte et joie de rencontrer les autres et de constituer durant ces heures d’attente, non une file ĂŠnervĂŠe et impatiente, mais une procession de personnes vivant une vĂŠritable fraternitĂŠ. Ce fut la grâce de ces journĂŠes au Palais Royal. Mais le samedi, jour des funĂŠrailles, le mystère a ĂŠclatĂŠ. Notre père le cardinal Danneels a reconnu, dans son homĂŠlie, que le Roi Baudouin ĂŠtait toujours vivant de cette vie qui avait ĂŠtĂŠ la sienne tout au long de son existence terrestre, celle de la foi, de l’espĂŠrance et de l’amour. Le Roi ĂŠtait vivant et il nous a fait vivre une Eucharistie d’espĂŠrance et de gloire. Il voulut jusqu’au bout, secondĂŠ par la Reine et les siens, tĂŠmoigner de cette immense preuve d’amour qui est de donner sa vie pour ceux que l’on aime. On n’ose pas le dire, tant cela pourrait sembler heurtant, mais le Roi ĂŠtait un grand croyant. On comprend que cela choque ceux qui n’ont pas la foi ou qui ne l’ont plus, qu’ils souffrent devant un tel engagement religieux du couple royal. Impossible cependant de dissocier le Roi et la Reine : tout a ĂŠtĂŠ portĂŠ, vĂŠcu ensemble. Dans un monde oĂš tant et tant de couples ĂŠclatent, nos souverains auront ĂŠtĂŠ l’exemple d’un amour exceptionnel. Oui, le Roi est vivant. Il veille, il intercède pour nous.


Le festin de Germaine

Germaine ĂŠtait notre excellente cuisinière du lundi, elle nous prĂŠparait des plats comme dans ÂŤ l’ancien temps Âť quand il n’y avait ni surgelĂŠs ni toutes sortes de succĂŠdanĂŠs empĂŞchant les bouillons de mitonner, les sauces de prendre. VoilĂ qu’un jour, traversant une rue, elle est renversĂŠe par une voiture‌ et ne se relèvera plus ! Elle ne sera plus parmi nous pour cuisiner, mais nous sommes convaincus qu’au Paradis elle prĂŠpare inlassablement, inĂŠpuisablement quelque banquet ĂŠternel. Le jour des funĂŠrailles, l’Êglise ĂŠtait pleine, une foule recueillie, marquĂŠe par la souffrance et le drame de la sĂŠparation, mais en mĂŞme temps sereine. Des jeunes, des plus âgĂŠs, tout un peuple rassemblĂŠ pour rendre hommage Ă une femme, une ĂŠpouse, une maman. Elle et son mari formaient un couple merveilleux, trois enfants, huit petits-enfants, tous sont lĂ pour dire adieu Ă Germaine, grand-mère indulgente, acceptant l’autre dans sa diffĂŠrence. C’est elle qui nous rĂŠunit comme pour une grande fĂŞte, en ce jour. C’est elle, l’image de la bontĂŠ, de l’amour, du sens de la famille, du dĂŠvouement, du service, de l’humilitĂŠ, de la prĂŠsence. Elle aimait son quartier, elle aidait ses voisins. Elle ĂŠtait la providence de tant et tant d’amis. Oui, merveille que cette femme qui nous apprend Ă croire Ă la vie après la mort, Ă vivre maintenant comme elle a vĂŠcu avec nous.

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Visages

Merveilleuse femme tout entière tournÊe vers les autres. Pour cette vie, Seigneur, sois bÊni ! Fais que se multiplient les Germaine en ce monde. Merci Germaine !


III. La foi JÊsus parle de son Père

JĂŠsus ne se lasse pas de rĂŠpĂŠter, de partager tout ce qu’il vit de relations privilĂŠgiĂŠes avec son Père. Nous sommes chrĂŠtiens, baptisĂŠs, enfants de Dieu, mais qui d’entre nous peut se prĂŠvaloir vraiment de cette relation d’enfant, de cette relation de dĂŠpendance : cette relation du Père avec le Fils ? Sommes-nous assez conscients de cette extraordinaire rĂŠvĂŠlation que JĂŠsus nous livre de son intimitĂŠ avec son Père, comme un papa avec son enfant ? Ă€ la naissance, le père reçoit dans ses bras son bĂŠbĂŠ ; puis ce sont les premiers pas que l’on entoure de tant de prĂŠcautions pour ĂŠviter l’imprĂŠvisible chute, ensuite les premiers mots que l’on cueille comme des perles de rosĂŠe sur une feuille de printemps. Il y a aussi les rencontres plus profondes oĂš, le fossĂŠ des gĂŠnĂŠrations s’accentuant, peut se glisser une apparente indiffĂŠrence et parfois mĂŞme de l’agressivitĂŠ. Ce sont ces heurts, signes de vie, mais aussi d’amour, mĂŞme s’ils nous marquent et nous font souffrir, qui fondent la relation entre père et fils. Il faut Ă ce moment qu’au fond de nos âmes demeure une grande confiance, comme une nappe d’eau limpide, que rien ne peut toucher ou souiller. Le fils estime son père et ne peut le rejeter. Le père croit en son fils et ne peut l’oublier. Et lentement, le temps et la patience aidant, se recrĂŠe doucement le tissu de la relation première. C’est le grand garçon qui s’inquiète pour son père. C’est l’homme dĂŠjĂ plus mĂťr conscient que tout

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La foi

doucement la vie s’achève. Qu’ils sont beaux, ces regards ĂŠchangĂŠs au crĂŠpuscule d’une vie et ces mains fortes et malhabiles s’entrecroisant autour d’un chapelet, une fois la dernière heure venue. Heureux l’homme qui meurt entourĂŠ de l’affection des siens. Heureux l’enfant qui peut aimer jusqu’au bout son père. Et voilĂ que JĂŠsus, Ă travers ces images, nous partage tout ce qu’il a reçu de son Père. C’est cela, l’amitiĂŠ de Dieu, ce monde invisible qui devient nĂ´tre, ce cĹ“ur mystĂŠrieux qui nourrit notre faim d’absolu.


Engagez-vous‌

Il y a d’un cĂ´tĂŠ ceux qui disent : ÂŤ J’ai perdu la foi Âť, de l’autre, ceux qui affirment : ÂŤ J’ai la foi, je crois. Âť La foi, quand on en parle, est souvent abstraction, vue de l’esprit. La foi, quand on en vit, est la rencontre avec une personne. Elle est amour, elle est don de soi. Tout est lĂ : l’engagement. C’est un mariage, une alliance. C’est, en tout cas, la fidĂŠlitĂŠ. La première qualitĂŠ de Dieu, enseigne l’Écriture, c’est la fidĂŠlitĂŠ. Et la grande qualitĂŠ de l’homme, l’exemple de Marie le prouve, c’est la disponibilitĂŠ. Ă€ nous d’être capables, comme elle, de nous conformer Ă ce que Dieu attend de nous : ÂŤ Qu’il me soit fait selon ta parole. Âť On n’a plus guère de convictions religieuses, on s’en remet Ă une personne et Ă cause d’elle, on accepte, non pas tout ce qu’elle dit, mais tout ce au nom de quoi elle vit. Ceci est plus impressionnant que l’affirmation, plus ou moins forte, plus ou moins claire de vĂŠritĂŠs qui reprĂŠsentent finalement toujours un mystère. Dans son oraison du dimanche prĂŠcĂŠdant la PentecĂ´te, l’Église nous demande que ÂŤ croyant Ă la rĂŠalitĂŠ de la prĂŠsence de JĂŠsus près de son Père, après l’Ascension, nous croyions aussi Ă la certitude de sa prĂŠsence parmi nous jusqu’à la fin des temps comme il nous l’a promis Âť. La foi ne peut pas ĂŞtre le produit d’une imagination fantasque, elle garde les pieds sur terre : un pain, symbole du corps du Christ, du vin Ă l’image de son sang versĂŠ pour nous sauver‌ une prĂŠsence plus intime Ă nous-mĂŞme que nous-mĂŞme. Alors nous concevons que la foi ne peut jamais ĂŞtre ÂŤ ce que je crois Âť,

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mais bien ce que l’Église, ÂŤ ma Mère Âť, me propose de croire, cette aventure mystĂŠrieuse qu’elle m’invite Ă expĂŠrimenter et qui reste la rĂŠvĂŠlation la plus intime de son cĹ“ur maternel. Croire, c’est vraiment suivre celui qui a dit : ÂŤ Qui croit en moi a la vie ĂŠternelle. Âť Foi et ĂŠternitĂŠ se tiennent comme vie et mort. L’une nous fait passer en l’autre, parce que cette autre est dĂŠjĂ en moi.


JĂŠsus Sauveur

Il est des jours oĂš la peine est trop grande, le poids de la vie trop lourd, les soucis trop nombreux, l’avenir trop incertain, le passĂŠ trop douloureux, le prĂŠsent trop angoissant‌ qui nous laissent abattus, criant comme les apĂ´tres dans la barque près de JĂŠsus : ÂŤ Seigneur, sauve-nous ! Âť Il est des heures que l’on peut appeler ÂŤ les heures de JĂŠsus Âť, parce qu’Il est lĂ , en dĂŠpit de nos peurs et de nos angoisses. Ă€ travers tout cela, un seul cri, une seule prière : ÂŤ JĂŠsus, souviens-toi de moi, JĂŠsus aie pitiĂŠ de moi ! Âť Bien souvent, il n’est mĂŞme pas nĂŠcessaire de construire une phrase. Prononcer ce nom ÂŤ JĂŠsus ! Âť suffit. En ces instants de grâce, l’homme revit. BousculĂŠ, stressĂŠ, dĂŠracinĂŠ, alors mĂŞme qu’il ne peut plus s’occuper de lui-mĂŞme, qu’il ne s’appartient plus, tout se dĂŠrobe sous ses pas. Sa seule certitude, c’est JĂŠsus, homme de la terre et fils de Dieu qui, dans la simplicitĂŠ de son quotidien, est lĂ Ă ses cĂ´tĂŠs, prenant visage d’homme, de femme et souvent d’enfant pour le rassurer. Alors, qui est-il pour vous, ce JĂŠsus, Roi de Gloire, Roi de Paix, Pain de Vie, Force divine ? Il est, tout simplement, Verbe de Dieu fait chair de l’homme, Fils Bien-AimĂŠ du Père, enfant de la crèche, crucifiĂŠ sur le Calvaire, ressuscitĂŠ d’entre les morts le troisième jour. C’est lui, c’est toujours lui, c’est inlassablement lui. Dès lors, que sont nos peines, nos soucis, nos angoisses en regard de sa prĂŠsence, face Ă sa grande tendresse ? ÂŤ Pourquoi doutez-vous ? Croyez ! Croyez seulement ! c’est Moi ! Âť C’est ainsi que toute chose prend son sens, parce qu’elle est enracinĂŠe en Lui et qu’à ce moment, il n’est pas un lieu de la terre qui ne soit tabernacle ou prĂŠsence de Dieu dans l’hostie ; il

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n’y a pas un homme qui ne soit enfant de Dieu ou appelĂŠ Ă le devenir : il n’est point un ÂŤ coin Âť de notre planète oĂš il n’y ait place pour la sainte Église, faite des pĂŠcheurs que nous sommes. Au nom de tout ce qui peut torturer le cĹ“ur de l’homme, au nom de toute cette paix qui vient du cĹ“ur de Dieu : JĂŠsus, merci !


La Parole de Dieu

De nos jours, et c’est une grâce pour notre temps, on aime Ă relire l’Écriture, Ă mĂŠditer son message. Cette parole de Dieu, dĂŠposĂŠe Ă travers l’Histoire sainte, garde ce privilège merveilleux de nous parler, d’être encore, pour chacun de ceux qui la reçoivent, un message personnel, un lieu de rencontre, une interpellation dans un quotidien retrouvant par lĂ tout son sens. Et l’on voit dans le monde se rĂŠpandre tous les mouvements d’un renouveau inspirĂŠ par la parole de Dieu : temps de retraites, temps de prière, semaines d’Êcoute, rien n’est nĂŠgligĂŠ pour accueillir au fond du cĹ“ur, au sein mĂŞme d’une assemblĂŠe, toute la richesse de ce message divin. Dieu parle Ă l’homme dans d’autres contrĂŠes. LĂ oĂš la pauvretĂŠ est si grande que la misère empĂŞche mĂŞme de prier, l’homme n’a plus d’autre alternative que le cri. Les communautĂŠs de base se regroupent pour partager cette lecture d’une histoire inachevĂŠe, d’une dĂŠlivrance Ă laquelle elles aspirent, dont elles ont faim, sans laquelle elles vont mourir. Elles ne peuvent interprĂŠter l’Écriture autrement qu’avec une soif de vĂŠritĂŠ, de justice, de pain et d’amour. Il est encore un troisième lieu oĂš la parole de Dieu est la bienvenue, oĂš elle peut mĂŞme ĂŞtre partagĂŠe sans privilège particulier : tout simplement lĂ oĂš vivent les humbles, les personnes handicapĂŠes. La parole de Dieu y prend un autre visage. Elle nous est redonnĂŠe par les petits. Comme JĂŠsus l’a soulignĂŠ dans l’Évangile : ÂŤ Heureux ceux qui sont pauvres de cĹ“ur. Soyez semblables Ă l’un de ces petits qui sont mes frères. Âť Nous le vivons dans l’Arche et dans Foi et Lumière. Mer veilleuse initiation Ă la

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parole de Dieu que d’accepter de se laisser enseigner par les plus petits ! La parole de Dieu, n’est-ce pas en dĂŠfinitive ÂŤ Dieu parmi les hommes Âť ? Alors, quels que soient les modes de rencontre, d’Êcoute et de comprĂŠhension, il faut dĂŠcouvrir que JĂŠsus, aujourd’hui, parle encore aux hommes, car sa parole jaillit du cĹ“ur de Dieu : ÂŤ Comme le Père m’a envoyĂŠ, moi aussi je vous envoie Âť, ÂŤ Soyez un comme le Père et moi nous sommes un Âť. DĂŠcouvrons que Dieu, toujours, est parmi nous car Il nous aime.


La onzième heure

Ce dimanche, ce boulot proposĂŠ Ă ces ouvriers de la dernière heure qui gagnent autant que ceux qui ont portĂŠ tout le poids du jour, c’est trop injuste ! C’est pourtant lĂ que se trouve la joie de l’Évangile. Nous avons Ă la dĂŠcouvrir, Ă la pratiquer jour après jour, heure après heure. Au cours d’une journĂŠe, que de fois l’occasion nous en est donnĂŠe : cette invitation attendue en vain‌ cette annonce de naissance reçue par d’autres et qui ne m’est pas parvenue‌ cette place bien situĂŠe que j’aimerais occuper, poisse ! un autre s’y est installĂŠ. Ă€ ces occasions, l’Évangile, c’est d’être heureux de ce qui arrive de bon au prochain, et de s’en rĂŠjouir Ă part entière, sans repli sur soi, dans une vĂŠritable action de grâce. C’est donc de ne pas se plaindre, d’entrer vraiment dans la bĂŠatitude de ce bonheur qui nous est apportĂŠ parce qu’un autre a rĂŠussi et qu’il manifeste sa joie. L’abbĂŠ Pierre a eu ce mot ĂŠtonnant : ÂŤ Aimer, c’est quand tu souffres, j’ai mal. Âť Aimer, devrait-on ajouter — et c’est certainement la pensĂŠe d’un homme de Dieu comme l’abbĂŠ Pierre — c’est lorsque tu es heureux, je suis heureux, ton bonheur fait le mien. Tout est lĂ . L’Êvangile des ouvriers de la onzième heure n’est donc en rien une apologie de l’injustice. Il est tout simplement la dĂŠcouverte que le bonheur ne rĂŠside pas dans ce que je possède, mais dans ce que l’autre est pour moi, dans ce que je suis pour lui. C’est le cĹ“ur mĂŞme de Dieu, la vie de la TrinitĂŠ. Merci, Seigneur, de nous en nourrir !

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Avoir confiance

Sainte ThĂŠrèse a comparĂŠ la prière Ă un levier assez puissant pour soulever le monde. Quand on parcourt son autobiographie, on est frappĂŠ de voir l’inĂŠpuisable rĂŠserve de prière que supposait la vie d’une carmĂŠlite. Il y avait les temps de prière au chĹ“ur, Ă la chapelle, mais aussi ces multiples petites recettes de prière pour tous les moments de la journĂŠe et pour tous les temps qui les prĂŠparent. On est comme effrayĂŠ et en mĂŞme temps ĂŠmerveillĂŠ de cette ĂŠpoque rĂŠvolue oĂš l’on rĂŠcitait son chapelet, oĂš l’on ÂŤ disait Âť ses prières. Aujourd’hui, il n’en va plus de mĂŞme. On constate que, mĂŞme un Ave Maria ou un Notre Père ne sont mĂŞme plus assez connus que pour ĂŞtre rĂŠcitĂŠs spontanĂŠment comme par le passĂŠ. Alors : qu’est-ce que prier ? En disant l’Ave Maria, nous demandons Ă la Vierge de ÂŤ prier pour nous Âť. Lors de plusieurs de ses apparitions, Marie tenait le chapelet en main et, bien souvent, ses lèvres murmuraient une prière que nous ne connaissons plus. Qu’est-ce que prier ? Dans un monde bouleversĂŠ comme le nĂ´tre, en perpĂŠtuelle mutation, parfois si merveilleusement ou si douloureusement diffĂŠrent, n’avons-nous pas besoin de prier pour porter ce monde, pour le sauver, pour supporter nos peines, pour nous garder dans l’espĂŠrance ? La prière n’est pas un refus d’affronter nos problèmes en regardant vers le ciel. Elle est avant tout prĂŠsence du ciel Ă la terre : prĂŠsence de Dieu Ă l’homme, Ă ses prĂŠoccupations aussi bien qu’à ses joies. Il convient donc, comme le recommandent les saints, de prier sans relâche, non de rabâcher, mais plutĂ´t de nous ouvrir

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 Que tout s’arrange 

sans cesse Ă la tendresse d’un Dieu aimant, d’être en communion avec tous ceux qui cherchent, demandent, crient vers un salut qu’ils ne peuvent rĂŠaliser par eux-mĂŞmes. N’est-ce pas cela, prier : avoir confiance en l’autre, accepter ses limites, ses manques, accepter de ne pas vouloir s’en sortir seul, ne pas se replier sur soi ? Prier, c’est toujours compter sur son prochain, et s’en remettre Ă lui. VoilĂ pourquoi toute prière est avant tout action de grâce car, avant mĂŞme d’avoir reçu, l’on remercie. Saint Ignace disait qu’il fallait demander Ă Dieu ce qu’Il veut nous donner. C’est cela, prier. Non pas une fuite de la terre vers le ciel, non pas un enlisement de la tendresse de Dieu dans notre ĂŠgoĂŻsme, mais une communion d’âme, un cĹ“ur Ă cĹ“ur. Prier, c’est donner Ă Dieu le temps de me dire qu’Il m’aime et c’est prendre le temps de m’arrĂŞter pour l’Êcouter, le rencontrer, ĂŞtre avec lui.


Crise de foi

Il l’affirme. Il n’a plus la foi. Ă€ quinze ans, il croyait intensĂŠment. Depuis, que s’est-il passĂŠ ? Nous n’avons pas Ă le juger. S’il ne demande rien, nous nous devons de respecter son silence. S’il pose des questions et relève des dĂŠfis, soyons Ă ses cĂ´tĂŠs pour y rĂŠpondre et les affronter. Dernièrement, sans ambages, il me dit qu’il prie. Sans trop rĂŠflĂŠchir, je lui demande : ÂŤ Comment fais-tu ? Âť ÂŤ J’ai con fiance Âť, rĂŠtorque-t-il. Dans ce monde en proie Ă tant d’inquiĂŠtude et Ă la lumière d’un Évangile qui, sans cesse, invite l’homme Ă ne pas avoir peur, Ă ne rien craindre, sa rĂŠponse n’est pas ĂŠloignĂŠe de ce que JĂŠsus professe : ÂŤ Ayez confiance, c’est moi, je serai avec vous jusqu’à la fin des temps. Âť Aussi, la foi d’un chrĂŠtien aujourd’hui ne devrait-elle pas s’exprimer avant tout, par cette confiance qui l’inspire, qui l’habite ; par ce rayonnement, cette façon de vivre et d’être, lui permettant de vaincre l’anxiĂŠtĂŠ, l’angoisse et le rend lumineux Ă tous au milieu des tĂŠnèbres ? Il devient ainsi prĂŠsence auprès de ceux qui crient leur solitude. N’est-ce pas cela, une vraie prière ? celle qui me remet chaque matin et chaque soir dans cette intimitĂŠ et qui, finalement, n’est pas le pari que fait l’homme sur l’existence de Dieu, mais bien l’audacieuse certitude assumĂŠe par Dieu qui croit en l’homme. C’est Ă Lui que nous devons nous en remettre, toujours plus. Prier, c’est avoir confiance. La confiance n’est pas affaire de raison, mais bien de sentiment. Elle ne s’adresse pas Ă une puissance, mais toujours Ă une personne. Avoir confiance, c’est ĂŞtre sĂťr que quelqu’un vous aime et qu’il veille sur vous.

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 Que tout s’arrange 

Comme ces enfants qui, pour dĂŠfinir le mot sauveur, disent tout simplement : ÂŤ C’est celui qui nous protège. Âť Avoir confiance, c’est se sentir Ă l’abri dans des bras tendres et puissants qui rĂŠvèlent tout un cĹ“ur.


ÂŤ Apprends-nous Ă prier Âť

Ils avaient quand mĂŞme toutes les audaces, les disciples de JĂŠsus ! ÂŤ Dis, tu ne pourrais pas nous apprendre Ă prier ? Âť Il faut croire que cela les avait touchĂŠs, de Le voir prier seul dans la montagne ! TĂŠmoins de son recueillement avant la guĂŠrison de l’aveugle ou du sourd-muet, ils ont senti qu’il se passait quelque chose en Lui. C’Êtait peut-ĂŞtre donc cela, la prière ? Quand tout Ă coup Dieu prend place, plus aucun obstacle ne l’arrĂŞte : alors le corps blessĂŠ se redresse, l’âme torturĂŠe se retrouve belle et pure comme au premier jour. Ils attendaient peut-ĂŞtre de la part de JĂŠsus des conseils, des ÂŤ trucs Âť pour remettre Ă leur place ces pharisiens et ces scribes qui se croient plus malins qu’eux, les mĂŠprisant, les traitant comme des ignorants au nom de leur science. Et voilĂ que JĂŠsus les regarde avec une grande tendresse et leur dit : ÂŤ Quand vous priez, dites Notre Père. Âť Ils tombent des nues, les pauvres ! Le grand YahvĂŠ, le Dieu du ciel et de la terre, le CrĂŠateur, le Tout-Puissant qui fend les rochers, tout Ă coup, il est Père et il est ÂŤ Notre Père Âť. C’est vrai ! JĂŠsus est son Fils, il y a tant en lui. Lui seul peut dire ÂŤ Père Âť Ă ce Dieu impressionnant, merveilleux et passionnant. Mais partager ce nom avec eux : non, cela ne va pas ! ÂŤ Notre Père Âť, qu’ils disent tout simplement ÂŤ Père bien-aimĂŠ, mon Père bien-aimĂŠ Âť. Telle est la prière qu’il leur rĂŠvèle. Qu’Il leur apprenne Ă dire : ÂŤ Oh Dieu qui avez un cĹ“ur de Père, qui ĂŞtes bon comme un Père‌ Âť Non, tout Ă coup l’inouĂŻ se rĂŠvèle Ă leurs yeux, Ă leurs cĹ“urs, Ă leurs ĂŞtres. Dieu n’est pas père au sens commun du terme, il est Père et sa bontĂŠ est dans le jaillissement

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 Que tout s’arrange 

de sa paternitĂŠ. Elle n’est pas comme une qualitĂŠ que l’on attribue Ă un père parce qu’il se dĂŠvoue pour ses enfants. Elle est comme le sang qui coule dans les veines de Celui qui de toute ĂŠternitĂŠ est Père, mais qui Ă partir de JĂŠsus Christ, attend, espère que les hommes aussi lui disent : ÂŤ Notre Père Âť, car ils sont ses enfants. C’est la merveilleuse, l’inouĂŻe audace qui depuis deux mille ans bouleverse la terre. C’est l’intimitĂŠ mĂŞme de Dieu s’ouvrant, se dĂŠchirant et permettant Ă toute l’humanitĂŠ d’y prendre sa part, d’y avoir sa place. ÂŤ Notre Père Âť, tel que l’a vĂŠcu JĂŠsus, ÂŤ Notre Père Âť, comme JĂŠsus, ÂŤ Notre Père Âť, en JĂŠsus, ÂŤ Notre Père Âť, par JĂŠsus. Et tous les hommes de la terre alors sont comme rassemblĂŠs et la merveilleuse histoire continue. La TrinitĂŠ n’est plus un mystère lointain, mais devient notre quotidien. ÂŤ Notre Père Âť, merci !


L’amour vainqueur

Souvent, on pense que la foi, c’est accepter des vĂŠritĂŠs que l’on ne comprend pas, c’est croire en des rĂŠalitĂŠs invisibles et souvent incomprĂŠhensibles, pour ne pas dire contradictoires. Non, ce n’est pas cela, la foi. Avoir la foi, c’est dĂŠpasser le plan des hommes pour entrer dans le projet de Dieu. Je dĂŠcouvrirais toute la beautĂŠ de l’humanitĂŠ et ses richesses pour me plonger dans le mystère infini d’une tendresse venant vers moi. Il s’agit moins de connaĂŽtre et d’affirmer des certitudes, que d’en ĂŞtre habitĂŠ, de les rayonner, d’en ĂŞtre les traducteurs. La foi me conduit toujours vers un au-delĂ parce qu’elle vient de lĂ . Alors tout ce qui dans la vie aura ĂŠtĂŠ bontĂŠ, beautĂŠ, partage, amour, pardon, tĂŠmoignera de la foi. Tout ce qui se sera rĂŠvĂŠlĂŠ peur, fuite, crainte, divisions, sĂŠparation, attestera du pĂŠchĂŠ contre la foi. La foi, c’est croire, Ă chaque fois qu’il est possible, que l’amour l’emporte. La foi, c’est reconnaĂŽtre Ă travers tout, audelĂ de ce que je vis et peux comprendre, qu’il y a Quelqu’un qui m’aime, qu’il est plus grand que moi, qu’il veut m’aider Ă avancer, Ă aller plus loin, et Ă entrer dans son projet d’amour. Telle est la foi que je reçois pour la vivre et la rayonner en Église.

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Usure‌ à l’œil !

Quand la vue commence Ă baisser, il est bien difficile de l’accepter. De mĂŞme, un jour viendra, plus si lointain, oĂš l’on n’entendra plus : un certain nombre de confidences devront ĂŞtre criĂŠes Ă l’oreille ou ĂŠcrites‌ D’aucuns trouveront plus pĂŠnible d’être sourd qu’aveugle ! Le chant des oiseaux et la beautĂŠ de la musique nous ĂŠchappant, mais il me semble que tant que l’on peut voir, mĂŞme si l’on n’arrive plus Ă se faire comprendre ou Ă comprendre les autres, il reste la communication du regard qui est si importante. L’autre soir, Ă la gare, au moment oĂš le train partait pour Paris, que de visages douloureux et blessĂŠs s’offraient Ă ma vue ! Comme je me sentais proche d’eux sans vouloir leur parler, car la parole suppose une approche plus complexe que le regard‌ Non pas le regard indĂŠcent du curieux dĂŠsireux de s’approprier ce qui est cachĂŠ et surtout ce que l’on veut ca cher, mais un regard d’enfant. Sur ce garçon dont l’abondante chevelure le fait ressembler Ă une fille, sur cette fille s’habillant comme un garçon, sur ces couples qui se forment, les uns ayant les oreilles percĂŠes d’anneaux, les autres arborant des chaĂŽnes d’or autour du cou‌ , il y a un regard d’amour Ă porter, voilĂ l’essentiel ! De cela, nous ne pouvons nous lasser. Dieu nous a donnĂŠ des yeux, non pour juger, mais pour aimer ; non pour rejeter, mais pour unir. Dieu nous a donnĂŠ de voir pour continuer ce premier regard qu’Il a lui-mĂŞme posĂŠ sur le monde, aussi vrai qu’il est ĂŠcrit dans la Bible, non pas ÂŤ Il dit que cela ĂŠtait bon Âť, mais ÂŤ Il vit que cela ĂŠtait bon Âť.

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La foi

Au cĹ“ur des difficultĂŠs, il est bon de garder une certaine qualitĂŠ du regard qui nous laisse croire que tout est possible. N’Êtaitce pas celui du père de l’enfant prodigue ? Celui de Marie et de Joseph dans la crèche ? Celui des bergers et des mages ĂŠblouis et ravis ? Pour tous ces regards, bĂŠni sois-tu Seigneur ! J’irai encore au dĂŠpart des trains ou Ă leur arrivĂŠe, cueillir par mon regard tant de visages affamĂŠs, assoiffĂŠs d’espĂŠrance et d’amour. Une façon de regarder, un certain art de sourire‌ sont de bonnes rĂŠsolutions de CarĂŞme.


18 dĂŠcembre

Quelle histoire ! Ils n’Êtaient pas moins de quatre cents Ă ĂŞtre venus de leur ĂŠcole, reprĂŠsentant les trois classes terminales pour cĂŠlĂŠbrer NoĂŤl en cette dernière journĂŠe de cours. Ils ĂŠtaient lĂ de toutes races et certainement de toutes religions. Ils ĂŠtaient lĂ , appelĂŠs par leurs professeurs pour vivre cette cĂŠlĂŠbration de NoĂŤl. Les textes, chansons anglaises pour la plupart leur allaient droit au cĹ“ur. L’Évangile, Ă première vue choquant, rapportait le drame divisant Joseph et Marie lors de la prise de conscience de la venue de JĂŠsus. Dur moment dans ce beau couple oĂš il fallut toute la foi et la grâce de l’Esprit pour que l’un et l’autre s’acceptent dans une telle diffĂŠrence : Joseph l’homme juste, Marie, la Vierge Mère. Et cet Évan gile — qui avait ĂŠtĂŠ choisi — a ĂŠtĂŠ introduit d’une façon merveilleuse par le tĂŠmoignage de Micheline et Jacques qui ont tout simplement racontĂŠ leur histoire, comment ils ĂŠtaient devenus parents d’une ribambelle de douze bambins dont cinq retenus en raison de leurs handicaps. Qu’elle est belle cette page de l’Évangile attestant qu’aujourd’hui encore, le miracle s’accomplit dès lors que l’on a la foi pour accepter, comme Marie, que ÂŤ rien n’est impossible Ă Dieu Âť. Et cette cĂŠrĂŠmonie de NoĂŤl a durĂŠ près de deux heures, pendant lesquelles il y eut des moments de moindre recueillement et d’autres d’intenses et profonds silences. Ce qui ĂŠtait merveilleux, c’Êtait que chacun se sentait interpellĂŠ bien au-delĂ des paroles annoncĂŠes et dont chacun prenait sa part selon ses besoins. En effet, la parole de Dieu n’est pas adressĂŠe Ă une masse anonyme, mais bien Ă chacun. Les lectures prĂŠparĂŠes, les chants ĂŠcoutĂŠs et priĂŠs, que tout cela ĂŠtait beau ! Il est des chants qui de-

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mandent une qualitĂŠ de prĂŠsence qui vient du cĹ“ur de Dieu et va droit au cĹ“ur de l’homme. Quand nous nous sommes quittĂŠs, nous ĂŠtions tous très bouleversĂŠs par ce qui venait de se passer. JĂŠsus dĂŠjĂ avait commencĂŠ ce 18 dĂŠcembre Ă cĂŠlĂŠbrer NoĂŤl dans nos cĹ“urs. En dĂŠfinitive, n’est-ce pas toujours lui qui vient et n’avons-nous pas toujours Ă l’accueillir ? Cette cĂŠlĂŠbration voulue, portĂŠe, prĂŠparĂŠe, souhaitĂŠe, rĂŠalisĂŠe ĂŠtait son Ĺ“uvre Ă lui en nos cĹ“urs. Une Église pareille est une Église qui chante, mĂŞme si dimanche prochain ils seront peut-ĂŞtre moins nombreux Ă la messe, mĂŞme s’ils ne savent plus très bien ce que l’Église leur demande dans le respect de la vie et dans le respect d’autrui. Mais ils ĂŠtaient heureux en cette matinĂŠe, car NoĂŤl avait apportĂŠ sa part d’espĂŠrance au cĹ“ur de leur recherche en chemin vers plus d’amour et de bontĂŠ.


Souvenez-vous de Tarcisius !

De plus en plus, les chrĂŠtiens qui communient pensent aux malades et demandent Ă pouvoir leur porter la grâce et la force qu’ils reçoivent lors de la messe. Avant le Concile, il n’en allait pas ainsi. Le malade appelait un prĂŞtre qui arrivait, souvent accompagnĂŠ d’un enfant de chĹ“ur. Dans les villages, il portait mĂŞme un cierge et une sonnette. Porter l’Eucharistie chez un particulier, c’est lui apporter un grand rĂŠconfort et rappeler aux voisins, Ă la famille, que JĂŠsus vient ! C’est important‌ car on l’oublie. Avant, cela n’Êtait pas facile. Maintenant, au contraire, tout est simplifiĂŠ, sans extĂŠrieur, sans pompe aucune. Peut-ĂŞtre a-ton exagĂŠrĂŠ dans l’autre sens ? Telle personne va chercher la communion et, après la messe, s’arrĂŞte longuement pour bavarder avec une voisine de choses qui ont sans doute leur intĂŠrĂŞt, mais que la prĂŠsence du Seigneur demanderait de postposer. N’avons-nous pas Ă retrouver un certain rituel pour accomplir cette mission extraordinaire d’être des ÂŤ porteurs de Christ Âť ? Tout au dĂŠbut de l’Église, la prĂŠsence rĂŠelle ĂŠtait confinĂŠe dans les tabernacles. C’est seulement par souci des malades que, lentement, s’est instaurĂŠe cette coutume, devenue fondamentale Ă notre foi : JĂŠsus prĂŠsent, toujours lĂ , au cĹ“ur de nos ĂŠglises, de nos chapelles, et mĂŞme parfois de nos maisons. Souvenez-vous de Tarcisius ! Il est mort parce que ses amis voulaient lui retirer l’hostie qu’il portait aux prisonniers. ÂŤ Tarcisius a veillĂŠ sur mon enfance et m’a appris que c’Êtait beau de porter Dieu aux malades et aux prisonniers : une prĂŠsence que

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l’on mange, une prĂŠsence que l’on adore, une prĂŠsence qui donne la vie. Âť C’est pourquoi il faut toujours avoir Ă l’esprit que communier, c’est recevoir le Christ dans cette partie de moi-mĂŞme malade de ne pas assez aimer et prisonnière de liens qui me paralysent et dont seul JĂŠsus peut me dĂŠlivrer. Merci pour ces malades qui nous rappellent que Dieu est Ă leur disposition mais qu’ils ont besoin de nous pour le rencontrer, le recevoir, en vivre.


L’onction des malades

Comme prĂŞtres, nous sommes souvent appelĂŠs dans les familles quand ÂŤ ça ne va pas Âť. Nous sommes aussi envoyĂŠs par l’Église auprès des malades pour leur apporter le signe ĂŠmouvant de son amour : le sacrement des malades. Par lĂ , l’Église se porte au devant de ceux qui souffrent, les console par cette onction d’huile qui, comme une caresse, est signe de force, jusqu’à les apaiser dans la prière et par l’imposition des mains. Ă€ ce moment, le malade reçoit tellement plus que ces fleurs, ces cadeaux et tous ces gages d’amitiĂŠ si agrĂŠables pourtant Ă partager avec lui. Nous entrons dans un autre monde, celui d’une relation essentielle oĂš l’on peut enfin se dire les choses les plus importantes, parce que l’on parle de ce Dieu aimant, non pas Dieu de mort, mais Dieu de vie ; non pas un père faisant payer et expier, mais un Père pardonnant tendrement et dĂŠsireux de toujours recommencer Ă aimer. Que de fois au cours de ma vie de prĂŞtre, je fus comblĂŠ par ces visites. Ă€ chaque fois, il ne s’agissait pas tant de paroles ou encore d’idĂŠes que je pouvais trouver belles, mais plutĂ´t de l’humanitĂŠ de JĂŠsus retrouvant le cĹ“ur des hommes, de la tendresse du Fils rĂŠvĂŠlant le cĹ“ur du Père, et tout cela Ă travers les blessures de l’être ! Alors, plutĂ´t que de nous mettre en avant en de telles circonstances, apprenons Ă notre frère blessĂŠ ou malade que l’essentiel, c’est d’être et non pas de paraĂŽtre. Si nous sommes des instruments de paix, et mĂŞme de guĂŠrison, et en tout cas d’apaisement, ce ne sera jamais notre Ĺ“uvre, mais bien celle de Celui qui nous envoie.

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La foi

Ă€ chaque fois que nous rencontrons un malade, nous pourrons lui dire merci de son accueil, merci de ce qu’il nous donne, merci de tout ce qui nous fait vivre grâce Ă Lui. Le malade a ĂŠgalement besoin de nous sauver, car nous sommes nous aussi faibles et pauvres‌ Je voudrais garder, inscrits dans mon cĹ“ur, tous les noms de ceux Ă qui j’ai administrĂŠ ce sacrement, tous les noms de ceux que j’ai accompagnĂŠs dans leurs derniers moments. Ils auront ĂŠtĂŠ mes maĂŽtres, eux qui m’ont appris Ă aimer.


Un refuge dans la nuit

Sur l’autoroute, de nuit, les phares se croisent et se dĂŠfient‌ agressifs comme les ÂŤ balles traçantes Âť jaillies de fusils qui vous tiendraient en joue, vous menaçant de mort. Les lumières rouges des poids lourds donnent l’impression d’un feu d’artifice en mouvement, hallucinant, envahissant, ĂŠblouissant. La nuit est partout synonyme de paix, sauf sur ce ÂŤ long ruban Âť oĂš le trafic continue de dĂŠfiler Ă toute allure. Pourtant il existe, le long de celui-ci, des endroits plus propice au calme : les aires de repos. Durant les vacances, ces ÂŤ oasis Âť sont envahies par des familles de touristes s’y dĂŠlassant et faisant lĂ une halte ĂŠlĂŠmentaire pour tenir le coup. LĂ , c’est le silence. LĂ règne la paix dans la nuit. Et ils sont nombreux, les routiers Ă y ĂŠlire domicile, le temps d’une escale, au milieu d’un voyage extĂŠnuant. Sur cette route, je songe Ă tout ce qui se passe dans le cĹ“ur des automobilistes et des camionneurs. Lequel d’entre eux se doute que Dieu l’aime ? Lequel d’entre eux sait que Dieu lui donne rendez-vous chaque nuit afin de terminer le jour et de prĂŠparer le matin ? Lequel d’entre eux rĂŠalise que Dieu est un Père entourant ses enfants de multiples soins ? Dans le grand silence de la nuit, Dieu parle au cĹ“ur de chacun et nous dit son amour. Il faut rouler seul pour entendre sa voix. Alors, tous ceux qui habitent mon cĹ“ur reprennent leur place, plus rien ne me distrait ; ils sont tout Ă moi. La vraie prière est faite de prĂŠsence. Ils sont lĂ . Je suis lĂ . Nous sommes ensemble. Alors, merci Seigneur, quand je dois rouler la nuit, de me donner d’entendre — dans le silence — ton cĹ“ur qui me parle de tous mes amis. Tu m’invites aussi Ă penser Ă ceux que l’on oublie

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La foi

trop souvent : les malades, les mourants, ceux qui les soignent, les soutiennent. Ce soir, Seigneur, je te les confie tous. Ils te ressemblent. Ă€ leur façon, ils veillent sans savoir parfois combien ils aiment ceux pour lesquels ils se fatiguent ; mais ils sont lĂ , signes d’une prĂŠsence qui est le plus beau des dons de notre existence. Merci !


IV. FĂŞtes NativitĂŠ

Chaque annĂŠe, devantures de magasins et guirlandes de lumières dans les rues tĂŠmoignent de l’approche de NoĂŤl. NoĂŤl, c’est Dieu qui vient sauver les hommes. Il a tellement bien rĂŠussi que les hommes, sauvĂŠs par Lui, ne cĂŠlèbrent mĂŞme plus leur salut. Ils ĂŠvoquent, par habitude, une vĂŠritĂŠ dont le sens leur ĂŠchappe. NoĂŤl, ne serait-ce pas l’occasion de recommencer Ă zĂŠro, en partant de ce que nous sommes et de ce que Dieu attend de nous ? NoĂŤl, c’est entrer dans une aventure oĂš le meneur n’est pas l’homme, mais bien Dieu guidĂŠ lui-mĂŞme par l’amour. Plus que ÂŤ l’humiliation Âť d’un Dieu se faisant homme, voyons dans la fĂŞte de NoĂŤl le lieu oĂš s’exprime la tendresse d’un Dieu qui, en acceptant de prendre la condition d’homme, nous permet de sentir son propre CĹ“ur battre en nous. On est frappĂŠ, Ă l’approche des fĂŞtes, par tout ce poids d’habitudes et de traditions rassurant tout un peuple. N’y aurait-il pas moyen que, dans chaque famille, dans chaque cĹ“ur d’homme, NoĂŤl soit non seulement la rĂŠpĂŠtition de rites anciens, mais la dĂŠcouverte d’un amour nouveau ? N’est-il pas important de dĂŠcouvrir que la vraie crèche, c’est Ă chaque fois que mon cĹ“ur, mes mains et mes yeux s’ouvrent ? Qu’ils sont capables d’admirer et de croire rĂŠalisable l’impossible ? Je pense Ă tous ces foyers marquĂŠs par la sĂŠparation d’avec un ĂŞtre cher. Je pense Ă ces tables vides oĂš ne vinrent pas ceux que l’on espĂŠrait. Je pense Ă ces cĹ“urs fermĂŠs qui ont empĂŞchĂŠ la convivialitĂŠ autour d’un excellent repas. Je pense Ă tous ceux

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FĂŞtes

qui n’ont pas pu ĂŞtre invitĂŠs parce qu’ils n’ont pas le vĂŞtement nuptial ou plutĂ´t le rite sĂŠcurisant des siècles passĂŠs. NoĂŤl, c’est Ă chaque fois que je me laisse dĂŠranger : comme Marie dans son attente ne comprenant pas le projet de Dieu. Marie et Joseph ne trouvant pas de place pour eux Ă BethlĂŠem et, bien vite, contraints de fuir vers l’Égypte, premiers de ces rĂŠfugiĂŠs qui, depuis lors, n’ont pas cessĂŠ d’être en marche‌ Que la grâce de NoĂŤl nous soit donnĂŠe Ă chaque fois que nous serons bousculĂŠs dans nos habitudes, nos routines ! Nous aurons Ă dire Ă l’instar de Marie : ÂŤ Comment cela se fera-t-il ? Âť sans avoir trop vite la rĂŠponse‌ mais sĂťrs de Celui qui vient.


Quel NoĂŤl ?

Vous souvenez-vous du tapage mĂŠdiatique autour de l’insurrection et de la libĂŠration de la Roumanie, de l’opĂŠration ÂŤ TempĂŞte du dĂŠsert Âť, de la chute du mur de Berlin, du putsch Ă Moscou et de la folle inquiĂŠtude qui s’ensuivit ? Aujour d’hui, tout cela qui nous a tenus en suspens s’avère ĂŞtre tellement vain et dĂŠrisoire Ă cĂ´tĂŠ de l’inimaginable transformation du monde dans lequel nous ĂŠvoluons chaque jour‌ OĂš en sommes-nous ? Que faisons-nous ? Sans cesse, on nous abreuve des terribles nouvelles d’un monde en perdition. Les plus grands empires s’effondrent, l’histoire des grandes familles est livrĂŠe Ă la presse sous forme de mĂŠdiocres feuilletons, etc. On se demande franchement oĂš l’on va ! Depuis un mois, les rues s’illuminent, les couronnes se dressent entre les maisons pour annoncer la fĂŠĂŠrie de NoĂŤl, traduisant la surenchère des cadeaux, des dĂŠpenses, des incroyables renouvellements de fĂŞte ! NoĂŤl dans l’opulence pour les uns, dans la misère pour les autres : voilĂ l’injustice. Cependant, NoĂŤl est la fĂŞte de la justice. Chaque homme a le droit, ce soir-lĂ , d’être reconnu, aimĂŠ, non exploitĂŠ, non trompĂŠ, tout simplement heureux, car tout Ă coup, au milieu de ce qui se passe, une ĂŠvidence saute aux yeux : ÂŤ Dieu s’est fait homme. Il a habitĂŠ parmi nous. Âť Chaque annĂŠe, nous cĂŠlĂŠbrons cette naissance et l’espĂŠrance qu’elle reprĂŠsente. Nous ne pouvons nier cette vĂŠritĂŠ. Qui, mieux que les enfants, peut comprendre la puissance de ce message ? Eux qui ne peuvent sĂŠparer la fĂŞte de NoĂŤl de la prĂŠsence et des besoins des pauvres. Eux qui, rentrant de l’Êcole, parlent Ă leurs parents des victimes

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FĂŞtes

oubliĂŠes des guerres de l’ex-Yougoslavie, de la Somalie et de tous les points chauds de notre planète. Nous n’aimons pas cette ĂŠvocation. Et pourtant, il faut savoir faire un rĂŠveillon avec au cĹ“ur le cri des hommes, de ceux qui sont seuls, des enfants qui ont faim. Il faut, peut-ĂŞtre ce soir-lĂ , apprendre Ă s’aimer ÂŤ autrement Âť Ă cause d’eux. Impossible de leur envoyer nos dindes farcies et nos bĂťches de NoĂŤl, mais nous pouvons, autour de la mĂŞme table, dĂŠcouvrir qu’il fait bon de s’aimer et de penser les uns aux autres. La nuit de NoĂŤl est comme un sacrement nous rĂŠapprenant Ă aimer et Ă croire davantage les uns dans les autres. C’est non seulement la fĂŞte des enfants, mais aussi celle de tous les adultes qui gardent un cĹ“ur d’enfant, qui croient qu’il est possible de se laisser aimer comme un enfant. C’est cela, NoĂŤl ! Il ne faut pas avoir peur de se donner du bon temps, d’apporter de la joie, de la lumière, de la chaleur Ă ceux qui n’en ont pas, de mĂŞme qu’à ceux qui en ont besoin autrement. Un dessin d’enfant au pied de l’arbre de NoĂŤl vaut le plus riche des prĂŠsents ! Mais le plus beau cadeau sera celui prĂŠparĂŠ avec amour pour celui qui manque de tout. Il est peut-ĂŞtre tout près de moi, celui-lĂ ! NoĂŤl, partage de Dieu fait homme, pour que les hommes croient enfin Ă la grandeur et Ă la rĂŠalitĂŠ de l’amour que Dieu leur porte. Penchons-nous sur les rĂŠclames de NoĂŤl ! Osons les regarder et les traduire. Voyons comment, en partant de ces slogans ÂŤ exceptionnels et combien rĂŠflĂŠchis Âť, il est une Bonne Nouvelle Ă vanter aux autres ; non comme une ÂŤ occasion Ă saisir Âť, mais comme le seul don qui se partage.


Épiphanie

Ils sont partis. Ils ont marchĂŠ. Ils ont perdu l’Êtoile Ă laquelle ils s’Êtaient accrochĂŠs. Ils ont remuĂŠ toute la ville de JĂŠrusalem par leurs questions. Ils ont mis dans le cĹ“ur d’HĂŠrode une grande angoisse : un rival possible. Ă€ cause d’eux et des textes de l’Écriture, que leur prĂŠsence rend tellement actuels, ils furent involontairement Ă l’origine du massacre des Saints Innocents. Tout cela au nom de leur recherche. Aujourd’hui, qu’ils sont beaux les acquits de la science dans tous les domaines ! Vive le progrès ! Rien n’est oubliĂŠ, plus aucun sujet n’est tabou et l’homme se doit de chercher sous peine de perdre son identitĂŠ. Mais ce Ă quoi il doit s’employer avant tout, c’est Ă mieux connaĂŽtre son semblable ; tâche difficile et pourtant si gratifiante : la connaissance, la comprĂŠhension, l’Êchange, le partage‌ toutes choses bien moins confortables Ă assumer que de s’enfermer dans sa tour d’ivoire ! Il a fallu que les mages nous partagent leur expĂŠrience pour que nous comprenions, tout Ă coup, les raisons de leur voyage : le dĂŠsir de rencontrer un sauveur, une espĂŠrance. En tout ĂŞtre que le hasard met sur notre route, il y a une espĂŠrance que nous cherchons, une grâce que nous frĂ´lons. Le don que nous apporte une ĂŠtoile dans notre vie n’est pas tant de voir quelque chose, mais d’être vus par quelqu’un et Ă travers ce regard, de voir toute chose diffĂŠrente.

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HĂŠrode, la peur

Quelle aberration ! ce pauvre roi HĂŠrode ridiculisĂŠ Ă la face du monde entier quand il avoue sa crainte devant un nouveaunĂŠ ! Il veut le faire disparaĂŽtre. La peur est toujours mauvaise conseillère ! S’il y eut ce jour-lĂ tant d’enfants massacrĂŠs, tant de parents abĂŽmĂŠs pour toujours dans les larmes de leur cĹ“ur, c’est parce qu’un monarque s’est affolĂŠ Ă l’idĂŠe de perdre son trĂ´ne‌ et la face‌ Notre sociĂŠtĂŠ impĂŠrialiste et technologique a peur d’un enfant. Qui ÂŤ s’encombre Âť encore, de nos jours, d’une crèche et de santons ! On ne voit plus guère dans les foyers de petits JĂŠsus enveloppĂŠs de langes et ses parents près de lui. Qu’on y ajoute un bĹ“uf et un âne, ou encore des oiseaux, des moutons comme dans la crèche de saint François, pourquoi pas ? Le drame, c’est que l’on oublie l’enfant. NoĂŤl, serait-ce la peur de l’enfant ? Pourtant, c’est lui dont l’Évangile affirme : ÂŤ Un Sauveur vous est nĂŠ, vous le reconnaĂŽtrez Ă ceci : un enfant nouveau-nĂŠ couchĂŠ dans une mangeoire. Âť Dieu, loin de vouloir intimider l’homme, s’est fait le plus petit pour que personne ne se sente rejetĂŠ du fait de sa faiblesse. Un enfant nouveau-nĂŠ rassemble. Un petit enfant libère, il n’est pas agressif. Pourtant, dans notre sociĂŠtĂŠ oĂš l’on a tellement peur de la vie et de la mort, il a fallu que l’on perçoive en l’enfant une menace supplĂŠmentaire. Le jour oĂš nous nous mettrons debout et que nous reconnaĂŽtrons que l’enfant est un don de Dieu et que nous nous laisserons ĂŠmouvoir par lui, remuer dans nos entrailles et notre vie ; acceptant que ce petit ĂŞtre compte autant pour nous, bien plus que la carrière, les loisirs‌ ce jour-lĂ , notre sociĂŠtĂŠ sera fière d’être elle-

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 Que tout s’arrange 

même. Pouvoir apporter au monde, non pas la peur de l’enfant, mais le partage avec l’espÊrance de l’enfant comme nous y sommes appelÊs en cette nuit de NoÍl. Vive Dieu qui nous parle par les petits, vive les petits qui nous parlent de Dieu !


ÂŤ Vaut le dĂŠtour Âť

Les agents de voyage songèrent-ils jamais qu’ils pourraient avancer comme ÂŤ argument publicitaire Âť l’Histoire sainte et tous les voyages qui y sont racontĂŠs ? Un vrai ÂŤ catalogue ÂŤ ! Depuis le grand dĂŠpart de notre père Abraham, l’exode organisĂŠ par MoĂŻse jusqu’à cette merveilleuse ĂŠpoque que nous rĂŠvèlent l’arrivĂŠe et la naissance de JĂŠsus, que d’ÊvĂŠnements se sont passĂŠs ! Par exemple, ce dĂŠpart ÂŤ prĂŠcipitĂŠ Âť de Marie chez sa cousine Élisabeth. Pourquoi cette hâte ? Quand nous voyons quelqu’un de pressĂŠ, rempli d’une certaine inquiĂŠtude Ă l’idĂŠe de partir ou d’arriver, posons-nous toujours la question : ÂŤ N’y a-t-il pas autre chose que le trajet qui le prĂŠoccupe ou le motive ? Âť Chaque voyage a sa part de mystère et si l’on pouvait lire dans les cĹ“urs, que de fois on se tairait, on admirerait. Ou encore, cette ÂŤ grande randonnĂŠe Âť qui pour ne pas ĂŞtre improvisĂŠe n’en fut pas moins dĂŠrangeante : quitter Nazareth, alors que l’on attend un enfant, pour aller se faire recenser Ă BethlĂŠem ! Marie et Joseph n’ont pas critiquĂŠ le gouvernement qui leur avait imposĂŠ ce dĂŠplacement. Ils ont reconnu que le Messie viendrait de Juda, comme le confirmeront les sages en IsraĂŤl, consultĂŠs par HĂŠrode. Entreprise plus raisonnable, en apparence bien prĂŠparĂŠe, mais combien pĂŠnible et douloureuse, ĂŠtant donnĂŠ l’absence de place pour eux Ă l’arrivĂŠe sauf quelque pauvre crèche dans le fond d’une ĂŠtable. ÂŤ Passionnante excursion Âť pour ces bergers qui, au milieu de la nuit, sont tout Ă coup rĂŠveillĂŠs et doivent quitter leur campement provisoire pour aller plus loin, parce que des ambassadeurs extraterrestres — ces messagers de Dieu que sont les anges —

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 Que tout s’arrange 

viennent leur annoncer qu’il ne s’agit plus de dormir. La nouvelle est trop importante : ÂŤ Un Sauveur vous est nĂŠ. Âť Il leur faudra aussi accomplir tout un cheminement en eux-mĂŞmes pour dĂŠcouvrir ce Sauveur. Il n’est pas le Tout-Puissant attendu, mais bien l’infiniment petit, un nouveau-nĂŠ emmaillotĂŠ dans ses langes. Et puis, il y a cette Âť incroyable expĂŠdition Âť des Mages qui donna matière Ă tant de tableaux de maĂŽtres illustrant ÂŤ l’Adoration Âť. Ils ne sont pas souverains absolus. Ils tiennent de ces grands personnages d’Éthiopie qui ĂŠtaient de petits seigneurs. Pour ĂŞtre chefs, ils n’en ĂŠtaient pas moins vassaux d’un monarque surnommĂŠ le ÂŤ roi des rois Âť. Il a fallu, lĂ encore, dĂŠcouvrir que les voyageurs ne sont pas seulement ceux qui partent de chez nous, mais aussi ceux qui viennent jusqu’à nous. Ces trois infatigables marcheurs marquèrent l’Histoire sainte de leur empreinte. Que ces explorations du monde tiennent des pèlerinages ou que ces pèlerinages tiennent d’explorations du monde, peu importe : ce qui est magnifique, c’est que la venue de JĂŠsus rassemble les hommes, abolit les frontières, fait ĂŠclater les solitudes. Il nous force Ă aller plus loin dans ce chemin qui nous est prĂŠparĂŠ, celui de l’aventure oĂš Dieu nous parle et oĂš il n’a jamais fini de se rĂŠvĂŠler, parce qu’il nous aime. RentrĂŠs chez eux par ÂŤ un autre chemin Âť, les mages sont des hommes nouveaux. Ils ont dĂŠcouvert que Celui que l’Êtoile leur avait donnĂŠ de rencontrer ĂŠtait dĂŠsormais Ă leurs cĂ´tĂŠs, en chacun de ces petits qui ont tant Ă nous dire, si nous nous attardons près d’eux.


CarĂŞme

Quoi de plus merveilleux, comme introduction au CarĂŞme, qu’un soleil printanier nous faisant goĂťter aux joies d’un peu de chaleur retrouvĂŠe, de beaucoup de bourgeons, promesses de fleurs Ă venir ! Le vrai visage du CarĂŞme devrait ĂŞtre la bontĂŠ. Tous les exemples, les paraboles de l’Évangile, pourraient se rĂŠsumer en une formule très simple : rĂŠconciliez-vous, rĂŠconcilions-nous. C’est ce Ă quoi nous convie l’Église le mercredi des Cendres. Mais pourquoi pas l’interprĂŠtation de ÂŤ rĂŠconciliez-vous Âť, au sens de ÂŤ choisissez d’aimer Âť ? Qu’en toute circonstance, l’amour soit premier ! L’amour Ă la suite du Christ qui nous a dit : ÂŤ C’est Ă l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaĂŽtra que vous ĂŞtes de mes disciples. Âť L’amour est contradiction parce qu’il est dĂŠpassement infini de nous-mĂŞmes. Certains diront mĂŞme que ce mot est tellement beau qu’il ne faut pas le galvauder, l’abĂŽmer. PrivilĂŠgions un CarĂŞme oĂš la rĂŠconciliation se traduirait par le choix que nous faisons ÂŤ d’être bons Âť. Oui, nous dĂŠcidons d’être bons, pour nous retrouver dans nos diffĂŠrences, pour nous pardonner nos blessures et nos incohĂŠrences, pour entrer dans une relation plus vraie oĂš chacun est aimĂŠ et peut aimer. La bontĂŠ, c’est de croire en l’autre, l’accepter dans sa diffĂŠrence, reconnaĂŽtre qu’il a quelque chose Ă m’apporter. C’est l’accueillir Ă travers ce qu’il est, ce qu’il veut me donner. C’est un regard qui voit tout, ne juge pas, mais comprend. C’est une parole qui se veut sourire et ĂŠchange, mais qui apprend peut-ĂŞtre d’abord Ă ĂŠcouter.

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ĂŠtre bon comme JĂŠsus l’a ĂŠtĂŠ en remettant le tentateur Ă sa place et en ne succombant pas aux belles formules, mĂŞme si elles sont tirĂŠes de l’Écriture. Si chaque jour de notre CarĂŞme nous pouvions commencer la journĂŠe en souriant et la terminer en embrassant, c’est-Ă -dire en entrant dans le dialogue, l’Êcoute, l’acceptation de l’autre ! JĂŠsus, donne-nous d’être bons, six semaines seulement, après on verra ! Jusqu’à Pâques, avec toi, fais-moi monter dans cette dĂŠcouverte.


Bonjour saint Joseph

Tu connais les hommes. Tu les aimes. Tu es de leur race. Que n’inspires-tu de sages paroles Ă tous ces mĂŠnages en proie Ă la discorde, aux dissensions avec Ă la clĂŠ divorces, remariages, incomprĂŠhension, traumatismes d’enfants dĂŠchirĂŠs entre leurs parents‌ Tout cela, Joseph, tu le comprends d’autant mieux qu’un jour, tu t’es rendu compte qu’il y avait en Marie un enfant qui n’Êtait pas de toi ! Comme tu l’aimais, ta Marie ! Tu voulais tout faire pour elle. Pourtant, tu ne pouvais quand mĂŞme pas accepter, mĂŞme pour elle, que cette situation se prolonge. Alors, tu as dĂŠcidĂŠ hĂŠroĂŻquement de te sĂŠparer d’elle. Mais que ce fut dur pour ton cĹ“ur d’homme amoureux ! car, s’il y en a un qui a bien ĂŠtĂŠ capable d’aimer, c’est toi ! Du reste, tu avais ĂŠtĂŠ choisi par Dieu pour cela. Alors, ne pourrais-tu pas aider ces hommes et femmes qui doivent tout Ă coup s’engager dans la vie de couple, sans avoir l’aide que pourtant l’Église souhaiterait leur apporter ? Ce que j’admire en toi, Joseph, c’est le sens de la vĂŠritĂŠ, de la rectitude. Lorsque tu dĂŠcidas de ÂŤ rĂŠpudier Âť Marie, tu voulus le faire discrètement, par dĂŠlicatesse, car l’amour ĂŠtait le plus fort. Vois-tu, dans tout cela, c’est ce qui t’a sauvĂŠ. Par crainte des jugements, des condamnations qui pouvaient la menacer, tu as prĂŠfĂŠrĂŠ la discrĂŠtion. C’est la plus belle forme de l’amour, dont parle l’Évangile, nous invitant Ă aimer, avec respect et tendresse. Alors, dans ces impasses pour les jeunes couples et leurs parents, devant l’engagement de leur amour, il faudrait toujours

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qu’il y ait ce tact qui les rende capables d’aimer, de s’aimer en respectant les autres, en se respectant eux-mêmes. C’est ce que je souhaite à chacun de ceux qui, dans la vie aujourd’hui, sont confrontÊs si souvent à de telles difficultÊs. Je veux croire que pour nous tous, tu es là , avec nous, Joseph, toi dont l’Écriture relate le drame d’amour le plus intime. Tu as acceptÊ d’en être dÊpossÊdÊ afin que tous ceux qui vivront un jour des situations semblables puissent y puiser la force et la paix.


Examen de passage !

Pâques signifie ÂŤ passage Âť. Nous vivons un vĂŠritable voyage, comme une transhumance, le jour oĂš nous passons de l’autre cĂ´tĂŠ, ÂŤ sur l’autre rive Âť. Ce qui prime, c’est bien ce que nous avons Ă vivre : ĂŞtre prĂŞts pour le ÂŤ grand dĂŠpart Âť et, comme le Seigneur, ÂŤ sachant que son heure ĂŠtait venue de passer de ce monde Ă son Père Âť, poser les actes essentiels pour ne pas rater ce passage. Alors, nous dĂŠcouvrons que Pâques, au cĹ“ur de la vie chrĂŠtienne, est la fĂŞte nous conduisant, non pas de la terre au ciel, mais des rĂŠalitĂŠs les plus temporelles aux vĂŠritĂŠs les plus ĂŠternelles. Ne nous ancrons pas dans nos sĂŠcuritĂŠs, dans de rigides traditions, nous qui sommes appelĂŠs Ă vivre autrement un ÂŤ passage Âť, Ă connaĂŽtre une ÂŤ mĂŠtamorphose Âť (comme la chenille se transforme en papillon) : - celle de l’homme qui par son baptĂŞme devient enfant de Dieu ; - celle du pĂŠcheur qui dans le pardon devient l’être aimĂŠ, source de toute fĂŞte ; - celle du pain de l’autel, symbole de toutes les joies et peines de notre vie qui devient le corps du Christ et nous fait demeurer en lui ; - celle de l’angoisse et du poids de nos maladies qui deviennent offrande, communion et espĂŠrance ; - celle de l’homme et de la femme dans le consentement de leur amour qui traduit le mieux l’amour premier Ă Dieu ; - celle de la confirmation de notre baptĂŞme qui, grâce Ă l’Esprit Saint, nous apprend Ă vivre au rythme du cĹ“ur de Dieu ;

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- celle de l’homme appelĂŠ par Dieu pour ĂŞtre son prĂŞtre, qui nous fait dĂŠsormais passer en Lui en se donnant aux autres. Tout cela, c’est Pâques, la fĂŞte du ÂŤ passage Âť du Seigneur.


Pâques, la vie

Pâques, dĂŠcouverte des Ĺ“ufs dans le jardin et contemplation des fleurs sur les arbres. Pâques, une espĂŠrance, c’est le printemps qui s’annonce. Mais Pâques, la vraie fĂŞte des juifs et des chrĂŠtiens, oĂš est-elle ? C’est la fĂŞte de la vie, non pas celle contrĂ´lĂŠe par les hommes, mais celle que Dieu nous donne. C’est la fĂŞte de l’espĂŠrance, non pas celle de nos limites, mais celle de nos potentialitĂŠs, parce que Pâques n’a rien Ă voir avec une Ĺ“uvre humaine. Pour un chrĂŠtien, c’est la vĂŠritĂŠ fondamentale, celle que chaque dimanche il renouvelle, lors de l’eucharistie, oĂš la mort est cĂŠlĂŠbrĂŠe mais oĂš la vie est assurĂŠe. Cette fĂŞte dĂŠpasse l’entendement des hommes parce que cette fois-ci, Dieu est Ă son origine. Souvent on l’oublie. Le Père nous a envoyĂŠ son Fils pour nous sauver, le Fils est entrĂŠ dans sa Passion et dans sa mort pour accomplir cette Ĺ“uvre de salut. C’est le mystère de la RĂŠsurrection oĂš la paix dans le cĹ“ur des hommes est donnĂŠe pour toujours. Pâques, c’est la fĂŞte que les hommes ne comprennent pas parce que comme mortels, on est dĂŠsarmĂŠs ; on ne peut qu’attendre, espĂŠrer, pleurer, supplier jusqu’au moment oĂš tout Ă coup, on est saisi par une main tendue, par un regard plein de bontĂŠ, par un cĹ“ur Ă cĹ“ur avec Dieu qui s’est tellement fait homme qu’Il appelle l’homme Ă entrer dans sa vie, Ă ne plus ĂŞtre sĂŠparĂŠ de Lui, mais Ă Lui ĂŞtre uni : ÂŤ comme le Père et moi, nous sommes un Âť, disait JĂŠsus. Il faut toutes les larmes des hommes de la terre pour pleurer la mort. Il faut toute l’espĂŠrance du cĹ“ur de Dieu pour donner la vie.

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Quand ils virent le tombeau vide, ils crurent. Nous croyons parfois que la foi, c’est l’amoncellement des preuves, des arguments, des certitudes. La foi, c’est un tombeau vide devant lequel on retrouve une prĂŠsence. Alors Pâques, c’est chaque fois que la nuditĂŠ du tombeau nous rĂŠvèle une absence. C’est chaque fois que nous sommes dÊçus mais que nous gardons notre espĂŠrance. Oui, il faut en convenir, Pâques, c’est quand Il n’est pas lĂ et qu’on Le cherche. C’est quand Il est lĂ et qu’on ne s’en rend pas compte, que tout Ă coup la rencontre se passe et c’est fait, JĂŠsus est lĂ ! Pâques, c’est, au-delĂ des fleurs du printemps, la certitude des fruits de l’ÊtĂŠ. ÂŤ Les uns sèment, d’autres rĂŠcolteront Âť, a dit JĂŠsus.


Il est ressuscitĂŠ !

Pour tout croyant, s’en remettre Ă Dieu n’est guère dĂŠrangeant si l’on maintient Dieu Ă distance. S’en remettre Ă l’Église est par contre plus ardu mais combien purifiant ! Comment reconnaĂŽtre dans cet ensemble de pĂŠcheurs un plan divin, une dimension prophĂŠtique ? Et pourtant, s’il semble facile de croire en Dieu, s’il est presque impossible de croire en l’Église, c’est qu’il manque un chaĂŽnon dans le dialogue de notre foi. Les chrĂŠtiens ne se sont pas rĂŠvĂŠlĂŠs d’abord comme des croyants en Dieu, ni mĂŞme comme des croyants en l’Église. Ils se sont prĂŠsentĂŠs comme ceux qui se fiaient Ă cet homme JĂŠsus, ÂŤ Fils de Dieu Âť, dont tous ont constatĂŠ l’arrestation, la passion, la mort et la rĂŠsurrection ! Tout le problème de notre engagement chrĂŠtien se situe Ă ce niveau. Le Dieu lointain prend corps en son Fils envoyĂŠ par amour pour nous sauver. L’Église, pĂŠcheresse, devient sainte parce que le plan de Dieu prend tout son sens dans la rĂŠsurrection de JĂŠsus. Il n’y a pas Ă discuter, car nul ne peut ÂŤ comprendre Âť, il y a Ă accepter. Cette vie au-delĂ de la mort de meure et dure toujours. JĂŠsus, vivant aujourd’hui ! JĂŠsus vainqueur de la mort, hier et demain ! JĂŠsus au cĹ“ur de toutes les questions des hommes ! C’est pour cela qu’Il a pu nous dire : ÂŤ Je suis la rĂŠsurrection et la vie, celui qui croit en moi, mĂŞme s’il meurt, vivra. Âť Pâques, c’est cela ! C’est proclamer que JĂŠsus est ressuscitĂŠ, Le chanter, Le laisser vivre en nous et dĂŠcouvrir que cette vie n’est pas un leurre, mais une chance d’accĂŠder Ă l’essentiel de la rĂŠalitĂŠ.

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C’est ainsi qu’à chaque mort, l’Église et tous les chrĂŠtiens cĂŠlèbrent ce dĂŠpart, proclament inlassablement qu’au-delĂ de la mort, il y a la vie, que du cĹ“ur de la mort jaillit la vie. Comme le Christ est mort et ressuscitĂŠ, ainsi chaque homme, Ă travers la mort, est appelĂŠ Ă vivre de cette vie nouvelle. Pâques prend alors tout son sens dans le quotidien. Ce n’est plus la fĂŞte du printemps, ni des crocus qui sortent du sol‌ La RĂŠsurrection de JĂŠsus qui ne peut pas ĂŞtre notre Ĺ“uvre, donne un sens, un goĂťt et une espĂŠrance Ă tout ce que nous entreprenons. C’est cela, la rĂŠalitĂŠ de Pâques au cĹ“ur de nos vies : ÂŤ JĂŠsus ressuscitĂŠ ! Âť Ma famille considĂŠrĂŠe avec un autre regard, ma communautĂŠ acceptĂŠe avec une autre foi, la terre que j’ai Ă exploiter, reconnue dans une autre dimension. La rĂŠsurrection, c’est toutes les choses de la terre qui prennent un sens, un goĂťt du ciel. C’est aussi le ciel qui n’est pas ĂŠloignĂŠ de la terre, mais qui en jaillit, si nous ouvrons nos yeux, et surtout, notre cĹ“ur.


PentecĂ´te

En ĂŠcoutant ce passage des Actes des ApĂ´tres relatif Ă la descente du Saint-Esprit, j’ai ĂŠtĂŠ bouleversĂŠ par ces versets : ÂŤ Et tout Ă coup, ils se mirent Ă parler et chacun entendait la langue de l’autre comme la sienne propre. Âť L’autre parlait, non pas une langue ĂŠtrangère, mais sa propre langue. La diffĂŠrence s’estompait au profit d’une très grande communion. Les apĂ´tres devenaient tĂŠmoins d’une Parole qu’ils ressentaient comme personnelle, propre Ă eux-mĂŞmes. Dans ce monde oĂš il y a tant de difficultĂŠs Ă se parler et Ă se comprendre, il me semble que cette rĂŠvĂŠlation ĂŠvangĂŠlique est très importante. Bien souvent, nous voulons ĂŠcouter l’autre avec une grande bontĂŠ, beaucoup de gentillesse et nous lui prĂŞtons une oreille attentive et disponible. Mais en fait, nous ĂŠcoutons l’autre s’exprimer dans sa propre langue et nous ne voulons pas bien le comprendre. Nous ne voulons pas assumer, faire nĂ´tre ce qu’il nous apprend de lui. Tandis qu’ici, il nous est affirmĂŠ qu’ils entendaient la parole de l’autre comme leur propre langue‌ Il y a une assimilation, une communion, une fusion qui doit se faire si l’on veut ĂŞtre disponible pour rencontrer l’autre. Nous vivons dans une sociĂŠtĂŠ victime d’un manque d’Êchanges, de dialogue. En tĂŠmoigne une certaine surditĂŠ qui empĂŞche vraiment d’être ouvert Ă l’autre. Or l’attention que l’on porte au prochain ne consiste pas Ă lui tendre une oreille condescendante, mais bien Ă s’ouvrir de telle sorte que sa parole puisse me toucher, me transformer, devenir mienne. Si je me dĂŠfends contre cette parole pour sauvegarder ce que je crois ĂŞtre ma vĂŠritĂŠ, ma raison, je ne l’entends pas de la bonne

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 Que tout s’arrange 

oreille. Je ne prĂŞte pas mon cĹ“ur Ă la vĂŠritable attention. Il est bien dit : ‌et chacun entendait la parole de l’autre rĂŠsonner en lui dans sa propre langue‌ Âť Tout est lĂ . Savoir que c’est la parole d’un autre ; reconnaĂŽtre aussi qu’elle a un accord fondamental, une harmonie, une vraie communion avec ma propre parole au point qu’elle n’est plus une parole ĂŠtrangère, mais devient comme ma propre langue, mon vrai langage. C’est bien cela, le rĂ´le de l’Esprit Saint : rassembler le monde, rassembler les peuples dans leur diversitĂŠ, et donner cette unitĂŠ et cette communion dont les hommes ont tant besoin.


V. Au fil des jours Derrière les barreaux

Ă€ la prison de Lantin, un vent de rĂŠvolte a soufflĂŠ dĂŠvastant trois ĂŠtages d’un des bâtiments. Ce fut ĂŠvidemment la panique, l’angoisse dans cette prison ultramoderne. Après que le calme fĂťt revenu, il a fallu rĂŠintĂŠgrer dans d’autres cellules ou cachots les ÂŤ mutins Âť, ces hommes qui, Ă leur façon brutale et dĂŠplaisante, ont criĂŠ leur ÂŤ ras-le-bol Âť, leur dĂŠsespoir, leur solitude, leur dĂŠsĹ“uvrement. Des milliers de chrĂŠtiens ont entendu cette nouvelle Ă la radio et se sont vite rĂŠconfortĂŠs en pensant que tout ĂŠtait rentrĂŠ dans l’ordre, grâce Ă la brigade spĂŠciale de gendarmes envoyĂŠe sur place Ă cet effet. Ainsi soit-il. Nous estimons l’ordre. Nous apprĂŠcions d’être rassurĂŠs quand le dĂŠsordre pointe Ă l’horizon. Nous aimons Ă entendre dire que les choses sont arrangĂŠes. Pourtant — comme disciple de JĂŠsus, comme lecteur de sa vie Ă travers l’Évangile, les ĂŠpĂŽtres de saint Paul, les ĂŠcrits inspirĂŠs et surtout, comme membre de cette Église qui (depuis deux mille ans) tâche de suivre le Christ tant bien que mal — chaque chrĂŠtien ne devrait-il pas se sentir du cĂ´tĂŠ des prisonniers parce que les plus seuls et les plus malheureux ? S’ils sont enfermĂŠs, c’est qu’ils sont probablement dangereux ! Mais la menace qu’ils reprĂŠsentent et qui les isole est-elle pour ceux qui sont Ă l’abri un appel Ă l’amour ou un motif de condamnation supplĂŠmentaire ? Si nous ne pouvons pas visiter ces hommes et ces femmes que la sociĂŠtĂŠ ÂŤ doit Âť placer, n’avons-nous pas Ă laisser germer dans notre cĹ“ur Ă leur ĂŠgard un sentiment, non pas de pitiĂŠ ou de mĂŠ-

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 Que tout s’arrange 

pris, mais de respect, de tendresse ? JÊsus a dit :  Ce prisonnier que vous êtes allÊs visiter, c’Êtait moi.  À dÊfaut d’aller les voir, ne devrions-nous pas au moins être avec eux, au sens de l’Évangile ? TÊmoin, cette grande malade immobilisÊe, blessÊe, qui, chaque matin, prie pour les prisonniers. Elle ne les connaÎt pas. Elle n’est pas de ce milieu, mais meurtrie dans son corps, dÊpendant en tout des autres ; elle comprend la dÊtresse de ceux qui ont un cœur brisÊ, ignorÊ et mÊconnu des autres. Que Lantin, ou quelque univers carcÊral que ce soit au monde, Êveille en nous le sentiment de notre communion avec ces hommes et ces femmes qui sont de notre race, parfois de notre famille, mais en tout cas‌ de notre cœur.


Le poids des mots‌

Il est des personnes qui parlent bien, d’autres beaucoup‌ certaines mĂŞme de trop ! De fait, la parole est un don, mais toute mĂŠdaille a son revers. On dĂŠsirerait parfois que ces gens loquaces, prolixes, voire hâbleurs, sachent aussi se taire. Qu’ils apprennent dans le silence Ă prendre du temps pour donner raison aux autres, sans vouloir toujours avoir le dernier mot ! Que faut-il conseiller Ă ces bavards impĂŠnitents auxquels on ne veut pas adresser de grands reproches, sinon celui de risquer de nous faire perdre du temps ou, en tout cas, d’en accaparer trop, de trop se centrer sur eux-mĂŞmes, alors que ce temps est confiĂŠ par Dieu aux hommes pour ne rien en perdre ? Que l’on aimerait ces personnes plus attentives Ă ĂŠcouter leur prochain et n’ayant pas toujours rĂŠponse Ă tout ! Il en est d’autres trop taiseuses. On apprĂŠcierait d’entendre leur jugement, de les voir entrer dans le cercle d’amis et, qu’à leur tour, mĂŞme maladroitement peut-ĂŞtre, elles prennent part Ă la conversation et se rĂŠvèlent aux autres, au-delĂ des apparences. Il est des eaux dormantes pleines de richesses. Que l’on goĂťterait de les voir s’extĂŠrioriser et s’Êpanouir afin de livrer leurs trĂŠsors cachĂŠs ! Que l’on voudrait partager leurs confidences et nous laisser former par tout ce qu’elles ont appris dans le calme ! Je songe Ă cette mère de famille nombreuse, ĂŠpouse adulĂŠe par son mari et ses enfants qui, du jour au lendemain, Ă soixante-deux ans, se rĂŠveilla paralysĂŠe et aphasique. Depuis, neuf ans ont passĂŠ, elle a rĂŠcupĂŠrĂŠ sa motricitĂŠ, mais le mĂŞme silence règne toujours sauf dans ses beaux yeux si expressifs, dans son

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 Que tout s’arrange 

sourire irrĂŠsistible. Son mari s’est mis Ă faire les courses, Ă accomplir avec elle toutes les tâches du mĂŠnage. Leur couple merveilleux, qui avait chantĂŠ l’amour et la joie d’être heureux, continue aujourd’hui, sur un autre mode, Ă louer les merveilles de Dieu. Quand je pense Ă son silence, je me sens gĂŞnĂŠ ! Quand je pense Ă leur amour, Ă leur communion de tendresse, je me sens portĂŠ. Merci Ă ceux qui savent accepter de se taire et Ă ceux qui parlent Ă bon escient pour que, dans ces deux cas, la parole de Dieu puisse par eux se rĂŠpandre sur la terre !


S.O.S dĂŠcibels !

Souvent, dans l’Écriture, on prĂŠsente la prière ainsi : ÂŤ Seigneur, ĂŠcoute le cri de ma prière. Âť Pourtant, si souvent dans la vie, les hommes ÂŤ disent leurs prières Âť sans conviction‌ Il est pourtant une prière qui tient du cri le plus dĂŠchirant qui soit au monde, c’est la prière de celui qui avait ĂŠcrit, avant le geste fatal : ÂŤ Mon Christ, j’en ai marre, je viens vers toi ! Âť Oui, la prière de ceux qui se suicidèrent, qui dĂŠcidèrent de mettre un terme Ă leur vie, parce qu’ils se sentaient trop seuls, qu’ils souffraient trop, que plus rien ici-bas ne leur paraissait envisageable, est celle-lĂ . Le vagissement du nouveau-nĂŠ manifeste la vie, mais le hurlement du dĂŠsespĂŠrĂŠ tĂŠmoigne aussi de la vie. L’un est bruyant et spontanĂŠ. L’autre est intĂŠrieur, mais appelle la libĂŠration. Parfois, lors de la messe, on entend des enfants hurler, et c’est lourd Ă porter pour le cĂŠlĂŠbrant, pour les fidèles essayant de se recueillir. Si nous ĂŠtions davantage tendus vers Dieu, peut-ĂŞtre que le cri de ces bambins retrouverait en nous ce cri fondamental et pour la vie, et pour l’amour. L’autre jour, un prĂŞtre, au cours de l’eucharistie, a demandĂŠ Ă une maman de reprendre son enfant parce qu’il criait et que lui ne pouvait plus parler. N’est-ce pas plutĂ´t au prĂŞtre Ă se taire pour qu’ensemble nous entendions dans le cri de l’enfant, et le cri de l’homme, et le cri de Dieu ? Si tous ceux qui ont perdu un ĂŞtre cher d’une façon brutale, inexplicable, pouvaient comprendre que ce dĂŠpart est un grand cri qui interpelle notre sociĂŠtĂŠ et le monde entier‌ Un homme qui abdique sa vie, c’est l’humanitĂŠ entière qui a mal. Alors, te-

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 Que tout s’arrange 

nons-nous autour de ceux qui souffrent, non pas avec la fausse pitiÊ, ni dans la fuite, mais dans la vÊritÊ de la rencontre qui a mal, accepte, espère. Que son cri pÊnètre en moi, me fasse mal, mais devienne aussi pour moi libÊration. Seigneur, apprends-nous à être attentifs aux cris pour la vie !


S’Êveiller à Dieu, en Dieu

C’est le matin ! Depuis quelques minutes dĂŠjĂ , au saut du lit, s’opère lentement la prise de conscience ; dans le brouhaha d’un sommeil qui s’Êtire, l’âme se rĂŠveille. Comment se dĂŠroulera cette journĂŠe ? Qui le dira ? Il n’y a qu’à se jeter dans les bras de Celui qui nous aime jour et nuit, de toute ĂŠternitĂŠ, pour bien commencer sa journĂŠe. S’extirper des bras de MorphĂŠe en sachant que nous sommes aimĂŠs, portĂŠs, attendus, que chacun de nos pas, que chacun de nos gestes, regards, pensĂŠes mĂŞme, ne Le laisse pas indiffĂŠrent. Je pensais Ă me lever machinalement, et voilĂ que tout Ă coup je rĂŠalise que je suis pleinement en Dieu, que c’est lui qui se prĂŠoccupe de moi, bien plus que moi de lui. Il me faudra du temps tout Ă l’heure pour que, dans ma prière, je me retrouve face Ă lui. Lui, Il est depuis si longtemps près de moi, en moi. L’aube reste pour beaucoup un moment de souffrance. On quitte un peu le cocon maternel de la nuit pour entrer dans la rĂŠalitĂŠ et l’austĂŠritĂŠ du jour oĂš la lutte, les combats, les souffrances, la solitude nous attendent. Mais l’amour de Dieu est le plus fort. Au-delĂ de cette journĂŠe qui dĂŠbute, il y a la nuit oĂš l’on dort, oĂš Il veille. ÂŤ Tandis que je dors, mon cĹ“ur veille Âť, chante le psaume. Oui, la nuit de l’homme, c’est la veille de Dieu. Alors, que ce jour qui s’Êveille continue cette communion avec Lui !

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Rubrique nÊcrologique‌

Quand il m’arrive de repenser Ă des amis qui ne sont plus de ce monde, il me vient souvent Ă l’esprit cette vĂŠritĂŠ : ÂŤ La mort, ça n’existe pas. Âť Comparaison n’est pas raison, mais il y a bien une chan son qui prĂŠtend que la solitude, ça n’existe pas. Or, quand on a partagĂŠ quelque peu la vie des hommes, on serait tentĂŠ de voir dans l’isolement la plus grande tragĂŠdie. La solitude, on n’en meurt pas toujours, mais elle nous dĂŠtruit Ă petit feu. La disparition d’un proche, ou la sienne propre, on peut l’envisager sous un angle autre qu’uniquement sentimental ! Une phrase de l’Évangile a vaincu la mort. C’est lorsque JĂŠsus affirme : ÂŤ Celui qui croit en moi, mĂŞme s’il meurt, vivra Âť, ÂŤ Celui qui mange mon corps et boit mon sang aura la vie ĂŠternelle Âť. La mort correspondrait-elle donc Ă une illusion et la vie qui demeure serait-elle la rĂŠalitĂŠ ? Oui, et dans cet esprit, nous ne devons pas regarder la mort comme un terme, un gouffre, un silence ĂŠternel. La mort, c’est une autre façon de vivre, c’est un passage en Dieu oĂš tout devient lumineux. Mais il y a toujours la foi qui nous est demandĂŠe, alors que le contact, le regard, la prĂŠsence nous sont refusĂŠs. Le père Toussaint affirmait que la mort est un mot paĂŻen. Il prĂŠfère parler de JĂŠsus venant, de Dieu rappelant Ă lui celle ou celui qu’il aime. Dans ce contexte, la mort n’apparaĂŽt plus seulement comme une terrible ĂŠchĂŠance Ă laquelle nul ne peut se soustraire‌ mais surtout comme une rencontre en vĂŠritĂŠ oĂš chacun Ă son tour peut enfin se sentir reconnu, aimĂŠ.

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Au fil des jours

AppelĂŠs par Dieu, saisis par JĂŠsus Christ, nous ne sommes plus les ĂŠchecs de la condition humaine, nous en devenons les pionniers, les aventuriers convaincus que tout est possible Ă Dieu, que rien ne doit lui ĂŞtre refusĂŠ. La mort, c’est finalement le ÂŤ oui Âť que l’on prononce toujours, le consentement total fait d’amour, de tendresse et de partage inĂŠpuisable. Une formule de l’Évangile le rĂŠsume très bien : ÂŤ Venez les bĂŠnis de mon Père. Âť Chacun Ă son tour est bĂŠni et chacun Ă sa façon entre dans le cĹ“ur et l’intimitĂŠ du Père. Vive Dieu qui, Ă travers la mort, fait de nous ses enfants vivants pour toujours !


Le rĂŞve de Dieu

Nous sommes parfois tristes de ne pas voir nos rĂŞves se rĂŠaliser ! Nous vivons souvent l’impression d’un ĂŠchec parce que nous avions rĂŞvĂŠ que‌, nous avions pensĂŠ que‌ Cependant, quand nous y rĂŠflĂŠchissons, force nous est de constater alors que bien souvent nous avions voulu mettre notre projet, notre idĂŠe, notre inspiration en premier. Tout homme est ainsi fait, il joue la carte de l’indĂŠpendance, et ce rĂŞve commence dès l’enfance. Il se poursuit chez l’adulte dĂŠsirant que ses rejetons voient en lui un modèle. De tels rĂŞves, tous les hommes en connurent. Ne devrions-nous pas voir la vie autrement et partir de notre petite enfance, de cette vĂŠritĂŠ première que c’est Dieu qui a des projets sur nous, que c’est Dieu qui souhaite que nous puissions ĂŞtre heureux comme Lui. Alors nos rĂŞves n’Êtant plus axĂŠs sur nos aspirations un peu naĂŻves, car trop centrĂŠes sur nous-mĂŞmes, prendraient une dimension d’espĂŠrance et d’audace infinie. Que de fois nous sommes-nous attachĂŠs Ă des babioles alors que nous sommes pressentis pour des richesses bien plus importantes ! Que de fois nous gaspillons du temps en lectures futiles ou vaines ! ActivitĂŠ nous racornissant le cĹ“ur, le privant du souffle et de l’air dont il a besoin ! Tout compte dans le rĂŞve d’un enfant, mais tout est douloureux dans la dĂŠception d’un adulte. Et si, l’un comme l’autre, nous vivions dans un monde oĂš l’essentiel est de savoir qu’il y a Quelqu’un qui nous aime, qu’Il nous veut du bien, nous protège et nous guide ? Que la vie serait belle si, au lever du matin, au lieu de peser le poids de nos fatigues, nous nous laissions regarder

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Au fil des jours

par Dieu, tout simplement. Si nous commencions la journĂŠe dans ses bras, près de son CĹ“ur envoyĂŠ sur cette terre pour donner du bonheur et sachant très bien que tout vient de Lui ? Qu’elle serait belle, alors, notre vie si nos rĂŞves ĂŠmanaient de Dieu !


DĂŠforestation

C’est ĂŠtonnant ! Il a fallu que soudain la nature se rĂŠveille, ou plutĂ´t nous rĂŠveille, pour nous rappeler Ă l’Êvidence que, mĂŞme si l’homme est bien malin, il ne peut pas tout vouloir ni tout rĂŠgler selon ses idĂŠes, ses goĂťts, ses aspirations. Et en voilĂ pour preuve cet ouragan qui balaya l’Europe fin 1999, tempĂŞte que l’on n’avait jamais connue aussi violente, aussi longue, aussi mortelle. Et voilĂ qu’en plus des morts d’hommes, il y eut l’incalculable dĂŠvastation des arbres brisĂŠs, dĂŠracinĂŠs. Les arbres sont de si fidèles compagnons de l’homme. Nous avons redĂŠcouvert leur prĂŠsence, leur beautĂŠ, leur danger. Ils sont nĂŠcessaires pour que nous vivions et respirions, leurs frondaisons nous protĂŠgeant des ardeurs du soleil. Mais ils sont aussi, en de certaines circonstances, de dangereux voisins, des ennemis potentiels. Y avionsnous songĂŠ ? Un arbre dans une forĂŞt ressemble Ă un pilier de cathĂŠdrale. Dans un jardin, il semble avoir ĂŠtĂŠ mis lĂ pour nous apporter sa beautĂŠ, sa croissance, son ombre, ses couleurs et toute l’espĂŠrance d’un passĂŠ qui sans cesse recommence. Alors, de cette tempĂŞte et de toutes ses consĂŠquences, n’y a-t-il pas quelque enseignement Ă tirer ? L’homme se croit le maĂŽtre : la nature a encore beaucoup Ă lui apprendre. L’homme pense pouvoir tout diriger : et voilĂ que tout Ă coup il se retrouve bien petit, bien dĂŠpendant. Il y a la joie de planter un arbre. Il y a parfois la peine Ă le couper, mais cette perspective vaut mieux que de courir le risque de le voir tomber en provoquant des dĂŠgâts. Il y a lĂ autre chose qu’une beautĂŠ ĂŠphĂŠmère. L’homme a besoin de tout un climat d’espĂŠrance, d’amitiĂŠ, de complicitĂŠ, d’harmonie pour pouvoir s’Êpanouir, les arbres aussi. Quand le vent souffle en tor-

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nade, l’homme doit savoir qu’il est petit, faible sans doute, mais aussi roi de cet univers qui, sans lui, n’aurait pas de sens. Alors un arbre tombĂŠ, mĂŞme dans l’absence du bruissement de ses feuilles, parle encore. Il retrouve le chemin de notre âme, face Ă tous ces ĂŠlĂŠments dĂŠchaĂŽnĂŠs. En ce moment, je songe Ă ma mère qui aimait, au cours des nuits d’orage, sortir de son armoire un cierge bĂŠni le jour de la Chandeleur. Elle y trouvait paix, rĂŠconfort et douceur. Elle croyait que Dieu veillait sur elle ; elle se sentait toute rassurĂŠe. Nous la taquinions, nous l’enviions‌


Interlude

S’il est une pĂŠriode de l’annĂŠe attendue par beaucoup d’entre nous, c’est bien celle des ÂŤ vacances Âť. Que seront-elles, ces huit ou dix semaines passĂŠes loin du foyer ? Une joie d’abord : pour celui qui part, mais pas pour celui qui reste, faute de moyens‌ Une dĂŠsillusion parfois : on n’a pas les vacances dont on rĂŞve, mais celles que l’on trouve. On pensait se dorer au soleil et voilĂ qu’il pleut. On espĂŠrait un peu de fraĂŽcheur et voilĂ qu’on ĂŠtouffe‌ OĂš sont nos rĂŞves d’enfant, oĂš sont nos projets d’antan ? Les vacances restent pour beaucoup d’entre nous bien plus belles peut-ĂŞtre dans leurs souvenirs que sur les photos de l’album. Cet ensemble de considĂŠrations nous amène Ă regar der dans leur vrai sens ce que seront les vacances. Avant tout, un temps d’accueil, d’Êchanges, de dĂŠcouverte et surtout d’Êmerveillement devant les diffĂŠrences. Les vraies vacances demandent un dĂŠpaysement que l’on peut vivre Ă vingt kilomètres de chez soi. Toute rencontre exige que l’on soit capable de se quitter, de se libĂŠrer du carcan de ses habitudes. Dans une seigneurie, une dame d’un âge certain peut vivre un temps de vacances. Vivre quinze jours de vacances avec un autre horaire, mĂŞme dans un autre cadre, pourquoi pas ? Les vacances doivent toujours ĂŞtre aurĂŠolĂŠes de quelque esprit d’aventure nous donnant de croire que, quel que soit notre âge, on peut encore oser partir. Les vrais dĂŠparts ÂŤ ne s’encombrent pas Âť de valises ou d’horaires, ils existent Ă chaque fois que je suis disponible, que j’accepte d’être dĂŠrangĂŠ, d’être emmenĂŠ. Alors, laissons cette expĂŠrience

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Au fil des jours

se manifester par un esprit d’enchantement oÚ l’on cueille les fruits des vacances comme les pommes dans un verger à l’automne. Il y a tant de choses belles que l’on peut rapporter. On profite du soleil non comme anticipation d’une privation que l’on va, au cours de l’annÊe, comptabiliser, mais comme sursaut d’Ênergie qui nous Êclairera, nous soutiendra jusqu’en hiver. Ainsi, et c’est important, les vacances deviennent un temps oÚ l’on se retrouve soi-même. Au contact de ce qui change, on explore, on se voit tout autre. Il faut rentrer en soi-même pour dÊcouvrir ce que, par les vacances, nous sommes capables d’être, bien au-delà des apparences. Puisse ce temps être Êgalement celui de lectures saines, enrichissantes ! Chacun devrait partir en vacances avec un livre qui ouvre son cœur à une vision plus large sur le monde, qui aide l’homme à rÊaliser qu’il y a plus en lui qu’il ne le pense. Telle biographie de saint ou d’homme illustre constitue un prÊcieux atout dans cette quête du bonheur. Il est essentiel de vivre cette expÊrience, celle d’un monde oÚ le plus beau est cachÊ, oÚ le meilleur est partagÊ. Partez alors à la chasse aux trÊsors, mais n’oubliez pas qu’il y a plus en votre cœur que dans l’accessoire qui vous sera prÊsentÊ. RÊussir ses vacances, c’est donc — si l’on peut dire — mettre les battements de son cœur au diapason de celui des autres et c’est alors que l’on goÝte le mieux la tendresse du cœur de Dieu, lui que la vision de ses enfants heureux emplit de joie.


Bas les masques !

Elle a vingt ans. Il n’y a pas longtemps qu’elle a quittĂŠ l’Êcole, le lycĂŠe. L’occasion se prĂŠsente pour elle de suivre des cours de sciences religieuses. A-t-elle vraiment choisi et voulu cela ? Elle l’ignore. Mais elle se retrouve tout Ă coup devant un monde qu’elle ne connaissait pas, dont tout lui ĂŠchappe. Elle ĂŠcoute. Elle est avide d’apprendre. Elle avoue Ă son père : ÂŤ Dommage tout de mĂŞme qu’on ne m’ait pas enseignĂŠ tout cela durant mes humanitĂŠs. Qu’est-ce qu’on a pu perdre son temps au cours de religion ! Âť C’est vrai‌ Nos jeunes contemporains sont ainsi privĂŠs d’un bagage essentiel dont ils ont pourtant un urgent besoin. Qui donc va le leur dispenser ? Ils sont lĂŠgion, ces jeunes qui ne savent pas. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir voulu leur partager cet ensemble de traditions et de convictions, mais le contact, la relation n’ont pu ĂŞtre ĂŠtablis. Les professeurs ont abandonnĂŠ, parfois dĂŠprimĂŠs, les lacunes demeurent‌ Cette histoire au plan scolaire est celle de tous les jours, en tout cas de chaque dimanche dans nos eucharisties qui rassemblent notre peuple de pratiquants. Que signifie ÂŤ ĂŞtre croyant Âť ? Pourquoi aller Ă la messe chaque dimanche ? Que veut dire suivre JĂŠsus Christ ? Devant ce vide, ce silence, cette absence, s’imposent les questions : ÂŤ Que faire ? que rĂŠpondre ? dans quel sens agir ? pourquoi ne pas oser ? Âť Comment les hommes pourraient-ils croire que Dieu les aime s’ils n’ont pas ĂŠtĂŠ aimĂŠs par leurs semblables ? Comment pourraient-ils lire et interprĂŠter l’Écriture si elle ne leur a pas ĂŠtĂŠ expliquĂŠe ? Comment pourraient-ils entrer dans

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cette culture et cette dimension si diffĂŠrentes, si personne n’a ĂŠtĂŠ Ă leurs cĂ´tĂŠs pour leur faciliter le passage ? Oui, nous avons vraiment Ă dĂŠcouvrir un monde nouveau, celui oĂš sans rejet, tout simplement par ignorance, par oubli, par lassitude, par choix inconscient, par fatigue, toute une vĂŠritĂŠ de la foi et de l’Église s’en est allĂŠe au grĂŠ des flots, emportĂŠe comme les pierres d’un torrent, comme la terre fertile d’un champ dĂŠvastĂŠ. Comment exprimer aux hommes d’aujourd’hui cette vĂŠritĂŠ que Dieu les aime ? Comment leur parler de l’Écriture qui leur paraĂŽt ĂŠcrite en un langage abscons ? Comment entrer en relation avec eux sans ĂŞtre ĂŠmu de leurs blessures, conscient de leurs souffrances, heureux de leurs joies profondes ? Église, rĂŠveille-toi pour nous apprendre Ă rencontrer JĂŠsus. ChrĂŠtiens, bas les masques, et parlez-nous de ce que vous savez de Lui. Frère athĂŠe, n’aie pas peur de nous partager ta peine de ne pas croire, ton attente de trouver chez nous une rĂŠponse Ă tes questions. Merci, Seigneur, de nous ĂŠclairer !


Vocation canon !

Marie-ThĂŠrèse, Ă mesure qu’elle grandit et vieillit, nous rĂŠvèle d’inĂŠpuisables trĂŠsors de sagesse. Elle a de ces formules lapidaires très ĂŠclairantes : ÂŤ Si on n’est pas un peu curieux, on n’apprendra jamais rien. Âť Cette phrase de Marie-ThĂŠrèse prend place dans ma rĂŠflexion. Nous fĂŞtons les saints non seulement Ă l’occasion de la Toussaint, mais encore tous les jours. Comme j’aimerais savoir ce qui les a rendus saints et ce qui, hĂŠlas, m’empĂŞche d’atteindre leur idĂŠal ! Je voudrais, comme Marie-ThĂŠrèse nous le suggère, ĂŞtre assez curieux pour connaĂŽtre ce qui, dans la vie des saints, a d’abord dĂť ĂŞtre un obstacle et puis lentement, Ă travers une certaine purification, est devenu un moyen pour que Dieu seul ait toute la place. Je songe Ă toutes ces compensations qui, bien souvent, se lĂŠgitiment Ă nos yeux ĂŠtant donnĂŠ l’Êtat de fatigue, de surcharge, de dĂŠcouragement ou de dĂŠpression oĂš nous sommes. Elles freinent, peut-ĂŞtre Ă notre insu, le geste dĂŠcisif ou nous empĂŞchent d’aimer jusqu’au bout. Lors d’une rencontre de l’Arche, un assistant me con fiait qu’il n’avait pas dĂŽnĂŠ la veille. Devant mon ĂŠtonnement et la crainte d’un dĂŠbut de maladie, il m’a simplement rĂŠpondu : ÂŤ Non, j’Êtais trop agressif, alors j’ai jeĂťnĂŠ. Âť Dernièrement, je relisais la lettre d’un jeune enthousiasmĂŠ par la venue du Pape, mais aussi ĂŠnervĂŠ de ce que la police l’empĂŞchait de prendre des photos. DÊçu, il ĂŠtait prĂŞt Ă quitter le rassemblement quand, tout Ă coup, il voit une femme accompagnĂŠe de ses enfants et leur cède sa place. Et d’ajouter : ÂŤ Je me suis rĂŠconciliĂŠ parce que j’ai partagÊ‌ Âť

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Finalement, il y a bien des moments dans la journÊe oÚ, recroquevillÊs sur nous-mêmes, nous n’osons pas faire confiance en acceptant de nous dÊ passer. Nous nous accrochons trop souvent à nos petites drogues (peu importe le nom, chacun de nous les connaÎt). Elles nous confortent dans nos certitudes, alors que la saintetÊ suppose toujours une remise en question. Face à la tension que je traverse, je compense en mangeant, en buvant ou en fumant. Oh ! loin de nous l’idÊe de juger qui que ce soit, mais reconnaissons que souvent nous usons, et parfois même abusons, de ces moyens pour nous soustraire à nos obligations de chrÊtien ! En outre, ne tombons pas dans le travers de limiter notre champ de connaissance aux actualitÊs tÊlÊvisÊes, à la lecture de romans ou à l’exercice de la rêverie. Bref, ne ratons pas une occasion d’être un peu curieux de Dieu ! Il a tant à nous dire !


Pardonner ?

On entend de bons chrĂŠtiens affirmer très honnĂŞtement : ÂŤ Je pardonne, mais je n’oublie pas. Âť Le pardon ne vient pas du cĹ“ur de l’homme. On pourrait presque dire que l’homme y est allergique, car le pardon va tellement Ă l’encontre de son dĂŠsir de puissance, de ses rĂŞves de domination, de ses angoisses, de sa peur. Le pardon est comme une faiblesse dans notre système. Face Ă l’agression, Ă l’ennemi, Ă l’injustice, Ă toutes ces atteintes au droit et Ă la vĂŠritĂŠ, il semble que seuls la justice, le code des lois et une certaine rigiditĂŠ soient finalement garants de la vĂŠritĂŠ. Le pardon ne vient pas du cĹ“ur de l’homme, mais du cĹ“ur de Dieu. L’unique chose que l’homme puisse faire, c’est demander pardon, demander la grâce d’avoir vraiment au fond de son cĹ“ur une attitude, non pas d’oubli, mais d’amour pour qui l’a blessĂŠ. Retrouver un dialogue lĂ oĂš il n’y a souvent plus que dĂŠfense, opposition, procĂŠdure. L’homme crie vers Dieu, car Lui seul peut donner cette assurance de pardon et de paix. Sans cette ĂŠventualitĂŠ, l’homme reste dĂŠmuni. TĂŠmoins, tous ceux qui vĂŠcurent des situations très douloureuses et pour lesquelles ils n’osèrent pas implorer le pardon et se crurent mĂŞme indignes de cette grâce. Le pardon vient du cĹ“ur de Dieu. Avant mĂŞme que l’homme ne soit crĂŠĂŠ, le pardon existait en Dieu. Le pardon a ce je ne sais quoi de plus inouĂŻ qu’on ne le pense, qui va au-delĂ de toute attente humaine. Quelle liesse dans le cĹ“ur du père au retour de l’enfant prodigue ! Joie s’exprimant bien davantage par le silence, rĂŠvĂŠlĂŠe par les gestes mĂŞmes du vieillard : il l’attendait, le regar-

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dait ; il a couru, l’a embrassĂŠ, lui a fait la fĂŞte. VoilĂ le langage du pardon. Or, les hommes rancuniers sont très loin de cette fĂŞte. C’est pourquoi nous devons prier les uns pour les autres, parce que nous avons tous entre nous des blessures qui demandent le pardon. C’est lĂ le seul vrai pouvoir de l’homme : demander pardon. Si chacun reste sur ses positions, voulant avoir raison, l’abcès s’installe et la solitude s’approfondit. Le pardon, c’est vraiment le cri de l’homme vers Dieu. Le cri de Dieu vers l’homme. L’un demande, l’autre attend et rĂŠpond. Le pardon, c’est le commencement du dialogue, c’est l’ouverture, c’est l’espĂŠrance. Seigneur, apprends-moi Ă demander pardon, Ă le rechercher, Ă le recevoir, Ă le partager, Ă le donner ! JĂŠsus assimile toujours le pardon Ă une relation avec son Père. Dieu ne peut pardonner si l’homme ne le lui demande pas, si l’homme ne reconnaĂŽt pas, Ă sa façon, qu’il est dĂŠpendant du pardon Âť de Dieu. Alors, il nous faut entrer dans ce pardon avec une âme neuve, un cĹ“ur nouveau capable de croire qu’à chaque fois que l’on pardonne, Dieu crĂŠe, aime et sauve.


Il n’y a plus de jeunesse !

Qu’il ĂŠtait bon, dans l’ancien temps, de donner cours Ă des enfants qui s’avançaient en rang, dociles, sages et obĂŠissants ! Ils ĂŠtaient comme ces beaux parterres de fleurs dans des jardins ratissĂŠs, ordonnĂŠs, protĂŠgĂŠs ! Qu’il est bon, aujourd’hui, mais aussi dĂŠpaysant et bouleversant, de passer une journĂŠe avec des enfants en ce dĂŠbut de siècle‌ Ceux d’aujourd’hui, comme on dit, il ne faut pas attendre longtemps pour savoir ce qu’ils pensent et s’apercevoir que bien des paroles ne les touchent plus guère, car ils vivent dans un perpĂŠtuel va-et-vient d’Êchanges et de pensĂŠes, inĂŠpuisablement exprimĂŠes, et qui souvent se cherchent plus qu’elles ne se disent. ÂŤ Ces enfants d’aujourd’hui Âť doivent entrer dans notre vie telles ces fleurs de montagne, de terrain vague, de bas-cĂ´tĂŠs des autoroutes, qui poussent malgrĂŠ tout Ă travers la pierraille et ne sont nullement le signe de soins attentifs, mais bien la preuve que la vie est plus forte et qu’elle les pousse Ă grandir partout. Je pense aux efforts inimaginables que doivent faire pa rents et ĂŠducateurs pour aimer les enfants comme ils sont, pour entrer dans leur cĹ“ur et leurs pensĂŠes sans ĂŞtre dÊçus, ni critiques, ni amers. Toujours ĂŞtre de ceux qui espèrent‌ Ainsi un jour, lors d’une rĂŠcollection. Tant bien que mal, la journĂŠe s’est dĂŠroulĂŠe‌ Ă€ seize heures, c’Êtait terminĂŠ. Bilan : un carreau cassÊ‌ ÂŤ L’assurance paiera ! ‌ et un carrelage bien souillĂŠ par la boue du terrain de football. Alors l’un des garçons, spontanĂŠment, propose de nettoyer. Et d’ajou ter : ÂŤ Ce sera tou-

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jours autant de gagnĂŠ pour les SĹ“urs, car elles doivent avoir beaucoup de travail dans cette grande maison. Âť La rĂŠcollection a ĂŠtĂŠ très bonne. Pour une messe qui n’a pas ĂŠtĂŠ dite, pour une prière non exempte de fous rires et de distractions, il y a ce joyau, ce signe merveilleux de penser aux autres jusque dans l’accomplissement des tâches les plus humbles‌


ÂŤ Hospitalo-hospitalier Âť

Bien souvent, nous pensons aux malades et prions Ă leur intention ! Que de fois nous nous sentons proches d’eux par la pensĂŠe ! Mais, pensons-nous assez Ă tous ceux qui les soignent, veillent sur eux, les aident, souffrent par eux et pour eux ? Il y a tant de dĂŠtresses ! Tous ces visiteurs qui quatre, cinq fois par jour franchissent le portail de la clinique et portent jour et nuit dans leur cĹ“ur les malades qui n’en peuvent plus et les regardent avec tant d’espĂŠrance. Le sourire d’une infirmière, la sĂŠcuritĂŠ d’un kinĂŠsithĂŠrapeute, la parole gentille de la petite dame apportant le dĂŽner‌ rĂŠconfortent tant celui qui est fatiguĂŠ de lutter ! Il est bon de se rendre compte que la souffrance qui prend visage de maladie peut devenir temps et lieu de communion ! Il n’y a pas de puissants qui se penchent vers les faibles, il n’y a pas de gens valides qui s’occupent de malades. Qui ne se sent fragile devant la maladie qui empĂŞche mĂŞme de parler et de crier ? Il y a communion de vie, d’amour Ă protĂŠger, Ă partager. S’il est un lieu oĂš Dieu est prĂŠsent, c’est bien dans les hĂ´pitaux et les cliniques. S’il est un lieu oĂš l’Église est vivante, c’est bien dans ce microcosme oĂš petits et grands sont rassemblĂŠs dans une mĂŞme souffrance, dans une mĂŞme dĂŠsespĂŠrance. Alors, il y a le sourire d’un enfant qui tout Ă coup redonne courage. Il y a le geste dĂŠlicat du visiteur qui fait jaillir la confiance. Tout cela nous est donnĂŠ et vient comme un sourire de Dieu, qui se veut proche des hommes jusqu’à la fin du monde. Le rendez-vous d’une chambre de clinique ne sera jamais manquĂŠ si nous sommes sĂťrs d’y retrouver Celui qui nous at-

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tend. Il n’est pas garanti que nous le sachions en entrant, mais, en partant, nous serons comblĂŠs de ce que nous aurons reçu.


Rwanda

En 1994, par le biais du journal tĂŠlĂŠvisĂŠ et de son cortège d’images combien prenantes et ĂŠmotionnantes, nous avons vĂŠcu le drame de la guerre. Certes, il y a ces ÂŤ rapatriĂŠs Âť dont le sort nous ĂŠmeut, mais il y a aussi ces milliers de frères et sĹ“urs assassinĂŠs‌ Impossible de les oublier. Qui pourra jamais comprendre le mystère d’une telle souffrance ? Com ment peut-on en venir Ă s’entre-tuer de la sorte s’il n’y avait pas au cĹ“ur de tout homme une volontĂŠ attisant ce qu’il y a en lui de dur, de mĂŠchant, de cruel ? Ce que l’on apprend — via le petit ĂŠcran ou les articles de la presse — des massacres qui eurent lieu lĂ -bas confirme cette grande faiblesse dans le cĹ“ur de l’homme. Ne jugeons pas, ne condamnons pas trop vite, mais tentons plutĂ´t une introspection. Si mon bien, mes droits ou mes intĂŠrĂŞts venaient Ă ĂŞtre menacĂŠs, n’y aurait-il pas en moi une haine telle que je sois amenĂŠ Ă tuer‌ pour ne pas ĂŞtre tuĂŠ ; que je sois trop violent, de peur que l’autre prenne le dessus ? Rarement comme en ces jours-lĂ j’ai rĂŠalisĂŠ qu’il fallait vraiment la grâce de Dieu, au-delĂ mĂŞme des sacrements — ou Ă travers eux, si nous les pratiquions mieux — pour arriver Ă aimer. Seul JĂŠsus peut nous donner cette force. Seul JĂŠsus peut m’apprendre Ă aimer. Seul JĂŠsus peut me rĂŠvĂŠler l’amour du prochain. Mais il a payĂŠ le prix, lui aussi. Quel sang ! Dans quelle dĂŠtresse n’est-il pas tombĂŠ ? Nous comprenons pourquoi JĂŠsus est mort sur la croix, pourquoi il a fallu du sang pour sauver le monde, pourquoi Ă chaque messe on ne parle plus de vin, mais du sang du Christ. Le sang de Dieu est appelĂŠ par le sang des hommes. Le pardon de Dieu est appelĂŠ par le pĂŠchĂŠ des hommes. Saint Jean nous le dit : ÂŤ Mes

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petits enfants, je vous ĂŠcris pour que vous ĂŠvitiez le pĂŠchĂŠ, mais si l’un de vous vient Ă pĂŠcher, nous avons un dĂŠfenseur devant le Père, JĂŠsus Christ. Il est la victime offerte pour nos pĂŠchĂŠs. Et non seulement pour les nĂ´tres, mais encore pour ceux du monde entier. Âť Oui, avant d’ergoter sur les dĂŠfauts du prochain, avant de vouloir un monde plus juste, reconnaissons-nous tellement pĂŠcheurs qu’il n’y a que le sang du Christ pour nous laver de nos fautes. Nous pourrons alors regarder la tĂŠlĂŠvision et supporter le poids intolĂŠrable des visions dantesques du Rwanda et de tout conflit, oĂš qu’il ĂŠclate‌ Tant de pĂŠchĂŠ Ă l’origine de tant de sang, tant de sang Ă la source de tant d’amour. Ne demandons pas seulement Ă Dieu de leur apporter la paix, mais soyons-en les instruments, lĂ oĂš nous sommes : dans notre famille, dans notre patrie oĂš, si nous n’y prenons pas garde, la zizanie pourrait s’installer. Soyons vigilants pour ne pas laisser grandir en nous ce dĂŠmon de la haine, de l’injustice. Sauvons ce monde en aimant plus ! Alors, que ces morts du Rwanda soient le ciment de la reconstruction d’un nouveau pays, d’un nouveau peuple. Ils en ont tellement besoin ! Et nous aussi !


Casques bleus

Ils sont sortis ce jour-lĂ pour escorter une personnalitĂŠ rwandaise. Ils ĂŠtaient lĂ comme des paras, mais bien davantage comme les tĂŠmoins de la vĂŠritĂŠ et de la justice. Et c’est ainsi qu’ils sont tombĂŠs, privĂŠs de leurs armes, pour la justice et la vĂŠritĂŠ. L’avenir dira la grandeur de leur geste. Aujourd’hui, notre pays, bouleversĂŠ par le choc de leur fin et la douleur au cĹ“ur de leurs familles, s’incline avec respect et admiration devant ces hommes. Ils ĂŠtaient les tĂŠmoins d’une force qui se voulait pacifique. Ils sont morts pour dĂŠ fendre la vie avec d’autres armes que celles utilisĂŠes d’ordinaire. Nos soldats belges sont des hĂŠros dont nous sommes fiers. Nos soldats belges sont des amis que nous pleurons. Nos soldats belges symbolisent ce qu’il y a de bon en nous, de gĂŠnĂŠreux et de fort. Leur sacrifice, leur mort hĂŠroĂŻque, nous laissent un tĂŠmoignage et constituent un appel. Nous ne pourrons jamais les oublier. Heureux sommesnous d’être aujourd’hui des compatriotes de ces jeunes qui ont cru possible de partir lĂ -bas pour ÂŤ semer Âť la paix. Il faut le dire aussi, comme religieux, ce jour fut douloureusement vĂŠcu au Rwanda. Trois compagnons jĂŠsuites, deux prĂŞtres sĂŠculiers, une dizaine de jeunes femmes et des membres de la communautĂŠ Christus Ă Kigali ont ĂŠtĂŠ massacrĂŠs. Tous d’origine rwandaise. Victimes innocentes de ce chemin de croix que vit leur pays. Ils sont morts. C’est leur tĂŠmoignage. Il n’y avait pas de plan qui voulait leur anĂŠantissement ; il y avait un instinct de domination, de revanche et finalement de peur. Ils sont morts Ă leur façon, pour ce Christ ÂŤ Roi de toutes les nations Âť que leur pays, dans le sang, doit apprendre Ă connaĂŽtre, Ă aimer et Ă suivre.

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Au fil des jours

Merci ! frères et sĹ“urs qui, sans l’avoir choisi, ĂŞtes devenus des tĂŠmoins. Vous nous rappelez aujourd’hui que la Bonne Nouvelle s’annonce sur la croix. Grâce Ă vous, l’espĂŠrance renaĂŽt au Rwanda.


Au voleur !

Il est de ces petites histoires qui, lorsqu’elles nous arrivent, paraissent tellement inattendues, incongrues que l’on se dit que leur rĂŠcit ne peut avoir d’autre but que de rĂŠjouir quelqu’un. C’est ainsi que j’ai pensĂŠ que ce qui, dernièrement, s’Êtait passĂŠ au Toit pouvait donner matière Ă un petit conte susceptible d’enchanter quelque ÂŤ Tante Jacqueline Âť lointaine et toujours si proche de nous. Donc un soir, comme je quittais la maison pour rentrer au Bellarmin, j’arrivai Ă la porte du foyer et remarquai quelqu’un occupÊ‌ Ă cueillir nos jonquilles ! Ă€ les arracher toutes, ni plus ni moins, et Ă en former un tas‌ Quel culot ! Un peu plus loin, dans un sac en plastique, gisaient les trois pauvres primevères, orgueil de notre parterre. Ce brave garçon m’avoua, balbutiant et sentant quelque peu l’alcool : ÂŤ Je suis un ouvrier de jardin et je viens pour l’entretien. Je viens mettre de l’engrais organique. Âť Point d’engrais Ă la vĂŠritĂŠ, mais visiblement un garçon apte Ă se sentir bien chez nous ! Je l’ai introduit. Nous avons quelque peu bavardĂŠ. Il devait ĂŞtre un peu paumĂŠ, se prĂŠtendant originaire de plusieurs lieux, dires dont nous n’avons pu contrĂ´ler la vĂŠracitĂŠ. En tout cas, il semblait bien malheureux. Comme nous ĂŠvoquions les gendarmes, il rĂŠpondit : ÂŤ Prison Âť. Nous lui avons dit : ÂŤ Si tu avais pris ces fleurs pour ta maman, pour ton papa malade, nous en aurions ĂŠtĂŠ très contents. Mais pourquoi faire cela ? Âť Sa capacitĂŠ de raisonnement n’Êtant pas trop forte, nous n’avons pas insistĂŠ !

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Au fil des jours

J’ai pris son adresse, peut-être aurons-nous un jour la joie de le retrouver ? Il est parti vers quelque destin inconnu et nous avons repiquÊ nos fleurs en pensant à la joie de Tante Jacqueline quand elle les reverrait‌ Voilà un petit trait parmi tant d’autres qui donne à cette maison un  je ne sais quoi d’ailleurs et de toujours  !


Bulletin mĂŠtĂŠo

Elle ĂŠtait sortie timidement, Ă l’abri du vent, contre le mur du jardin. C’Êtait une jonquille pas plus forte que les autres, peutĂŞtre mieux placĂŠe et plus amoureusement plantĂŠe. Elle est sortie, rattrapant les perce-neige qui nous ĂŠgayaient depuis plusieurs semaines. Elle ĂŠtait en avance sur son temps. Tout Ă coup, moins cinq degrĂŠs, un vent d’est si froid, et la voilĂ couchĂŠe, brĂťlĂŠe par le gel tout comme les bourgeons du poirier voisin, eux aussi trop prĂŠcoces. Nous ĂŠtions si heureux de notre hiver, sans grand froid : on s’est rĂŠjoui trop vite ! Il faut ainsi recueillir ce qui se passe sur notre route. On rĂŞvait de soleil et on eut de la pluie. On rĂŞvait de douceur et on eut le gel. Quand accepterons-nous de passer tous ses ca prices Ă ce ÂŤ garnement Âť de temps ? Quand pourrons-nous ĂŞtre de ceux qui chantent tous les jours la beautĂŠ de la vie Ă travers la pluie, le soleil, le froid, l’orage ? N’est-ce pas cela, la vocation du chrĂŠtien ? La louange des moines dans les abbayes ne monte-t-elle pas vers le ciel pour nous apprendre, Ă nous, chrĂŠtiens des villes ou des champs, Ă dĂŠcouvrir qu’il y a un soleil prĂŞt Ă briller pour tous et qu’il y a un froid Ă mĂŞme de mordre bien cruellement certains ? La louange de Dieu invoque alors la compassion avec les hommes, nous invite Ă nous entraider. Avons-nous tĂŠlĂŠphonĂŠ Ă cette vieille tante pour prendre de ses nouvelles, pour savoir si ses gĂŠraniums ne sont pas gelĂŠs lĂ -bas Ă la campagne oĂš elle vit très discrètement ? Pensons-nous aux plus âgĂŠs qui ne peuvent pas sortir ? Ils ont tellement besoin de notre aide‌ Et si nous faisions leurs courses !

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Au fil des jours

Le climat — surtout quand il pleut, neige ou vente — est toujours rappel d’une communion entre les hommes. N’y manquons pas ! Cela nous est nÊcessaire. Ne manquons pas le rendez-vous des intempÊries, le rendez-vous de la solidaritÊ.


VI. L’Église que j’aime Ne juge pas, aime !

On dit souvent de quelqu’un qu’il est bon parce qu’il partage. On dit parfois aussi de quelqu’un qu’il est très bon parce qu’on ne l’a jamais entendu dire du mal de son prochain. Il m’a semblĂŠ l’autre jour entendre dans mon cĹ“ur une troisième bĂŠatitude de la bontĂŠ, celle de celui qui ne juge pas ou, s’il doit juger, excuse, comprend, porte, parce qu’il aime. Oh ! ce terrible jugement qui empĂŞche d’aimer ! Il est souvent la consĂŠquence des dons reçus, d’une certaine ĂŠducation ou d’une certaine intelligence, nous permettant de nous mettre Ă l’Êcart et d’avoir plus de recul pour mieux nous dissocier et donc juger. C’est sans doute cela, le drame du jugement que l’on porte sur l’autre : c’est qu’on s’en ĂŠloigne. On n’est plus avec lui, on n’est pas pour lui, mais on est ĂŠtranger Ă l’autre. Cela arrive souvent quand on parle de l’Église. Qui de nous n’a jamais dit : ÂŤ L’Église est impitoyable, l’Église est intransigeante, l’Église est trop dure, l’Église est scandaleuse‌ Âť alors qu’il devrait dire : ÂŤ Je suis dur, intransigeant, intraitable, etc. Âť Juger, c’est quand on prĂŠfère le ÂŤ je Âť au ÂŤ nous Âť et qu’en s’isolant, on se construit une forteresse qui, d’abord, se veut dĂŠfensive, mais devient très vite offensive. Oui, pourquoi juger mon prochain sinon par peur que lui ne me juge, par peur de reconnaĂŽtre que moi aussi j’ai mes dĂŠfauts, mes faiblesses‌ remise en question personnelle bien plus complexe Ă assumer que le rĂ´le facile de contempteur, de dĂŠnigreur !

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L’Église que j’aime

Se doute-t-on que derrière tout jugement, il y a souvent une condamnation pure et simple. Or, l’Évangile nous dit : ÂŤ Je ne suis pas venu pour juger, condamner, mais je suis venu pour sauver. Âť Le jugement qu’il nous faut retrouver, c’est celui de l’enfant. Un enfant ne se croit pas au-dessus des autres. Il ne dira pas : ÂŤ Un tel est vaniteux, un tel est orgueilleux. Âť Non. L’enfant croit en celui qui vient vers lui. Il se laisse tout simplement attirer et sĂŠduire. Il sait qu’on l’aime et qu’il ne peut en aller autrement. C’est toute la beautĂŠ de l’enfance. Finalement, pour vraiment bien juger, il convient d’abord d’aimer, farouchement, solidement. Quand l’amour est ÂŤ incarnĂŠ Âť jusqu’à devenir l’autre, un autre moi-mĂŞme, alors peut-ĂŞtre puis-je dire : ÂŤ Comme moi, il est vaniteux ; comme moi, il est paresseux. Âť Alors, juger peut devenir une sorte de conjugaison du verbe aimer.


Difficile amour

Une fois encore, la nouvelle m’arrive : un mĂŠnage saute, un autre se refait. Tant de souffrances sont enfouies dans cette double rĂŠalitĂŠ. Comment est-ce possible ? Ils s’Êtaient pourtant promis fidĂŠlitĂŠ et cela n’a pas marchÊ‌ Ils avaient pensĂŠ ĂŞtre toujours fidèles, obĂŠissants Ă l’Église. Et voilĂ qu’ils se sentent rejetĂŠs. Cette Église qui se veut Mère et qui refuse une bĂŠnĂŠdiction de mariage Ă ses enfants qui se sont trompĂŠs, tout simplement, et qui voudraient aujourd’hui recommencer. On trouvera un thĂŠologien expliquant, avec raison, que ce n’est pas possible, que le sacrement du mariage dans l’Église est signe de l’amour de JĂŠsus Christ pour son peuple et que l’on ne peut pas le donner deux fois parce que cet amour est unique. C’est la mission du couple chrĂŠtien de tĂŠmoigner ainsi de l’amour de Dieu : la fidĂŠlitĂŠ des hommes, reflet de la fidĂŠlitĂŠ de Dieu. Non seulement la bĂŠnĂŠdiction leur sera refu sĂŠe, mais l’Église de surenchĂŠrir : la communion Ă l’Eucha ristie ne doit pas leur ĂŞtre accordĂŠe. Que j’ai mal quand j’entends ces phrases ! Et pourtant, je sais que l’Église est ma Mère et qu’elle ne peut affirmer ces vĂŠritĂŠs si ce n’est parce qu’elle m’aime. Alors, que rĂŠpondre ? Seigneur, je veux m’arrĂŞter près de toi et tout simplement me taire en souffrant, en pleurant, mais en ne voulant, Ă aucun prix, condamner l’Église, ni condamner ces petits qui cherchent tout simplement Ă survivre. Alors, que faire ? Jouer un double jeu, ĂŞtre un peu ĂŠquivoque, faire semblant d’ignorer que‌ Non ! Comment expliquer que le plus important, c’est de se laisser approcher par Dieu et de croire en sa misĂŠricorde ? Que,

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L’Église que j’aime

finalement, recevoir JĂŠsus dans l’Eucharistie, c’est très bien, mais cela n’a aucun sens si je le reçois en dehors de l’Église. Il n’est prĂŠsent dans le tabernacle que parce que l’Église le cautionne, le certifie. Alors, pourquoi n’y aurait-il pas des chrĂŠtiens se rendant Ă la messe tous les dimanches sans communier, conscients toutefois que Dieu est avec eux par sa misĂŠricorde, par sa bontĂŠ, par son pardon, bien plus que dans le rite de l’hostie, de la cĂŠlĂŠbration ? Je le sais, chacun aime faire comme tout le monde et voudrait, comme tout le monde, avoir et sa messe de mariage, et sa rĂŠception, et sa robe blanche. Mais n’y a-t-il pas autre chose Ă dĂŠcouvrir que ces rites qui paralysent ? Sommes-nous en ĂŠtat de chercher, ou sommes-nous simplement avides de sĂŠcuritĂŠ ? Tout est lĂ ! En tout cas, s’il est une vĂŠritĂŠ Ă dĂŠfendre avant mĂŞme de proclamer que l’Église a raison, c’est d’affirmer que Dieu nous aime et qu’il veut le pardon. De cela, nous sommes certains et nous voulons en vivre ! Pourquoi condamner celui qui va se remarier ? Pour quoi condamner cette jeune femme heureuse de se marier avec un homme divorcĂŠ ? Elle l’aime, ils s’aiment, ils veulent s’engager. Eh bien ! qu’ils croient Ă l’amour de Dieu, qui est plus grand que l’amour des hommes, mais qui n’accepte pas que l’amour des hommes mal compris abĂŽme l’amour de Dieu. Qu’ils ne demandent pas Ă l’Église d’agir autrement que ce qu’elle fait. Elle crie pour la vie, elle crie pour l’amour. Le Christ a donnĂŠ sa vie pour ces vĂŠritĂŠslĂ , et l’Église, Ă sa suite, n’est pas lĂ pour avoir plus de pratiquants, mais pour qu’à sa façon, il y ait plus d’amoureux. Aimer, ce n’est pas se rechercher soi-mĂŞme, mais c’est donner tout pour celui que l’on aime afin qu’il grandisse. Alors, acceptons de ne pas comprendre, mais refusons de juger et soyons de ceux qui, dans ces circonstances-lĂ , choisissent jusqu’au bout d’aimer.


L’Êlue de mon cœur

Un jour, j’ai eu la joie de voir Bernadette, le très beau spectacle des fĂŞtes de Tourinnes, Ă l’occasion de la Saint-Martin. Le titre pouvait paraĂŽtre ĂŠtrange Ă un certain nombre de personnes non interpellĂŠes par cette petite bonne femme des lointaines PyrĂŠnĂŠes. Pour moi qui, chaque annĂŠe, suis comme ÂŤ nourri Âť par cette grâce mystĂŠrieuse de Lourdes, j’aimais aller ĂŠcouter Bernadette en notre terre brabançonne, en cette vieille ĂŠglise perchĂŠe sur la colline oĂš soudain, Ă travers cette actrice, Dieu allait me parler. Après les joies des apparitions, le courage et le tĂŠmoignage parfois hĂŠroĂŻque de Bernadette, j’ai vĂŠcu le drame de voir ce ÂŤ petit bout de femme Âť se consumer lentement dans une vie religieuse dont on voyait la puissance et le dynamisme, mais oĂš l’on sentait un certain mĂŠpris pour ce qui ĂŠtait petit‌ ÂŤ Vous, Bernadette, votre emploi sera la prière Âť, disait la maĂŽtresse des novices. Tout Ă coup, au cours de cette mystĂŠrieuse soirĂŠe qui m’a profondĂŠment remuĂŠ, j’ai rĂŠalisĂŠ qu’il ne s’agissait pas d’une parodie de la vie religieuse ni de l’exaltation d’une petite sainte voulant faire la leçon Ă ses aĂŽnĂŠes, mais que nous vivions tout simplement en Bernadette le drame, l’aventure passionnante de l’Église. Chaque fois que l’on ouvre les yeux sur la vie d’un saint, c’est la vie de l’Église qui se rĂŠvèle Ă nous et nous montre son vrai visage. Il n’y a pas l’Église d’un cĂ´tĂŠ, institution forte et puissante, et de l’autre cĂ´tĂŠ, les saints, exemples plus ou moins rĂŠussis. Non, Bernadette qui a vu, Bernadette qui a cru, Bernadette qui a tĂŠmoignĂŠ jusqu’à en mourir : c’est l’Église. Bernadette inutile,

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L’Église que j’aime

Bernadette bafouĂŠe, ĂŠcrasĂŠe et mourant presque seule, c’est encore l’Église. Oh, que je l’aime donc notre Mère l’Église qui, au cĹ“ur de ses erreurs, est encore porteuse de Dieu ; au cĹ“ur de ses faiblesses, crie vers sa Puissance ; au cĹ“ur de ses pĂŠchĂŠs, nous rĂŠvèle son inĂŠpuisable Patience. Oui, Bernadette, Ă Lourdes, n’avait pas choisi la voie la plus facile, mais elle nous a appris Ă ĂŞtre heureux. Le vrai bonheur, c’est quand on meurt Ă soi-mĂŞme pour que l’autre vive. Le vrai bonheur, c’est quand on accepte l’autre diffĂŠrent de soi. Rendons grâce Ă Dieu pour tous ceux qui ont portĂŠ cette pièce de thÊâtre qui nous a fait davantage aimer l’homme.


Blessure de la division

HĂŠlas, la division entre chrĂŠtiens ne date pas d’hier. Il fut un temps — pas si lointain — oĂš des chrĂŠtiens ĂŠtaient ĂŠlevĂŠs dans le mĂŠpris d’autres chrĂŠtiens. Heureusement, sous Jean XXIII, l’Église catholique prit officiellement position en faveur du mouvement Ĺ“cumĂŠnique. Les Belges contribuèrent pour une grande part Ă sa naissance : le cardinal Mercier (Malines) ; Dom Albert Baudouin (Chevetogne). En 1925, un prĂŞtre français, l’abbĂŠ Couturier, lançait la semaine de prière pour l’UnitĂŠ. Il est grand temps que nous nous rapprochions les uns des autres pour que, comme disait JĂŠsus, le monde croie. J’ai enfin compris qu’il ne s’agissait pas de ramener de force Ă la maison les enfants perdus, mais qu’il fallait laisser la porte grande ouverte pour que tous, fils aĂŽnĂŠ et enfant prodigue, puissent y entrer, non pas la tĂŞte haute, mais le cĹ“ur ouvert. L’œcumĂŠnisme, c’est avant tout le respect de chacun dans sa fidĂŠlitĂŠ, dans sa foi, dans son cheminement‌ L’œcumĂŠnisme n’appartient Ă personne. Il est le cĹ“ur d’un Père voulant que tous ses enfants soient rassemblĂŠs. Il est le sang de JĂŠsus versĂŠ pour que tous soient un. ÂŤ Père, comme toi et moi nous sommes un. Âť Il est le silence de Marie qui reçoit le corps blessĂŠ et dĂŠjĂ froid de son fils au pied de la croix, sans avoir d’autre parole Ă ajouter. Je me souviens de cette visite du camp de concentration Ă Majdansk, près de Lublin en Pologne. Deux jeunes Allemands se joignirent Ă nous. Ils nous accompagnèrent et, tandis que nous chantions ÂŤ Père, unis-nous tous, que le monde croie en ton amour Âť, ils pleuraient.

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L’Église que j’aime

L’œcumÊnisme, ce sont ces larmes qui n’ont pas fini de couler. Nous ne sommes vraiment œcumÊniques que dans la mesure oÚ nous pleurons le pÊchÊ de la division, les blessures que nous avons causÊes. L’œcumÊnisme demande un esprit de repentance. Il ne s’agit pas de regarder l’autre comme la brebis ÊgarÊe qu’il faut à tout prix ramener au bercail. L’autre est aussi sur la route de l’unitÊ. Il nous faut le reconnaÎtre, le respecter et marcher avec lui. Devant les meurtrissures de la division, il ne sert à rien de comparer, de discuter pour savoir qui a raison ou qui a tort. Il suffit simplement d’accepter qu’à travers les blessures renaisse une unitÊ. La cicatrisation ne pourra s’opÊrer que par un amour plus grand.


Père Damien

Sur les affiches dans le mĂŠtro et dans les rues, la silhouette du père Damien est ĂŠvoquĂŠe avec cette mention : ÂŤ Relevons le dĂŠfi de la lèpre ! Âť Si on savait ce qu’est cette terrible maladie, on s’impliquerait beaucoup plus pour la vaincre. Que ne donnerait-on pas pour qu’elle s’arrĂŞte ! Cette maladie est un peu comme le symbole des blessures de l’humanitĂŠ, de ses faiblesses, du mal qui partout rĂ´de, abĂŽme, fait dĂŠsespĂŠrer. Alors, chacun doit rĂŞver qu’un jour la lèpre sera guĂŠrie et avec elle tout ce qu’elle reprĂŠsente, tout ce qu’elle ĂŠvoque, tout ce qu’elle rappelle‌ Aujourd’hui encore, les collectes les plus fructueuses sont celles organisĂŠes pour lutter contre la lèpre, ou comme on dit, ÂŤ pour sauver les lĂŠpreux Âť. C’est lĂ que Damien a relevĂŠ plus d’un dĂŠfi : le dĂŠfi de l’amour, le dĂŠfi de la vie, le dĂŠfi de l’amitiĂŠ et de la fidĂŠlitĂŠ. Il ne pouvait pas s’imaginer qu’on puisse passer quinze jours avec les lĂŠpreux et puis s’en retourner au pays comme si de rien n’Êtait. Il y est restĂŠ quinze ans ! Il ne pouvait pas accepter qu’ils s’enfoncent lentement dans la dĂŠgradation de leurs dĂŠchĂŠances sans personne pour leur dire : ÂŤ Tu es important pour moi ! La preuve, je reste avec toi‌ Âť Tout dĂŠfi est une façon de rester ÂŤ avec Âť. Pensons-nous assez au dĂŠfi de Dieu qui a cru en l’homme et lui a envoyĂŠ son Fils ? C’est tellement fort que l’on n’ose pas y croire. C’est peut-ĂŞtre aussi tellement fort qu’on n’a pas voulu regarder Damien plus audacieusement jusqu’à prĂŠsent. Pourtant, il a ĂŠtĂŠ dit : ÂŤ Pas un homme dans le monde journalistique n’a tĂŠmoignĂŠ comme lui ! Âť Le pari de Damien, c’est de dire : ÂŤ Je reste jusqu’au bout ! Âť

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L’Église que j’aime

Le pari des chrĂŠtiens d’aujourd’hui, c’est d’imiter Damien : ÂŤ LĂ oĂš il y a des pauvres, je serai. LĂ oĂš il y a des rejetĂŠs, je serai. LĂ oĂš il y a des dĂŠsespĂŠrĂŠs, je serai. Âť Soins palliatifs, Arche, A.T.D., Mère Teresa‌ ne prenons pas pour nous seuls ces dĂŠfis, d’autres les mènent avec nous. Nous avons besoin qu’ils revitalisent nos engagements, qu’ils nous disent Ă leur façon : ÂŤ Allez-y, ça vaut la peine de ne pas lâcher cette fidĂŠlitĂŠ. Âť Comme le disait un prisonnier Ă son aumĂ´nier au soir de sa condamnation : ÂŤ Aide-moi Ă tenir jusqu’au bout de ma peine. Âť Comme Damien Ă la suite de JĂŠsus, comme Gandhi en recherche de JĂŠsus, comme tout homme qui loyalement ose poser cette question : ÂŤ Pour moi et pour Toi, qui es-Tu, toi qui m’appelles Ă aller jusqu’au bout ? Âť


IdĂŠal

Il est des saints authentiques qui n’ont pas Ă ĂŞtre imitĂŠs parce que leur vocation est tellement exceptionnelle et unique qu’on ne peut que l’admirer. Il en est d’autres qui prĂŠfèrent les dĂŠpartementales aux autoroutes, comme le frère Mutien-Marie, Jean Berchmans, et d’autres. Ceux-lĂ nous disent que le seul moyen pour aller vers Dieu est de choisir un chemin de pauvretĂŠ, d’humilitĂŠ, de service. Nous n’avons pas Ă rechercher autre chose que cette voie. C’est un itinĂŠraire sĂťr, et l’Église, qui est Mère et connaĂŽt ses enfants, ne peut leur montrer d’autre route que celle d’une certaine sĂŠcuritĂŠ. Il n’empĂŞche que notre histoire Ă chacun de nous est remplie de ces tĂŠmoins qui ont bouleversĂŠ notre vie. Ce qu’ils ont fait, nous ne l’aurions jamais imaginĂŠ, tant d’amour s’y est exprimĂŠ. Ils ont acceptĂŠ des situations vraiment impossibles. Ils ont pu hĂŠroĂŻquement louer et servir Dieu. Il est important, dans une famille, que l’on ait son calendrier des saints. Ceux qui ont une fĂŞte dans la reconnaissance de l’Église, mais aussi ceux qui ont une fĂŞte parce que dans notre histoire familiale, personnelle, ils ont un grand rĂ´le. Peut-on oublier le prĂŠnom de cette personne qui a servi toute sa vie une famille et qui est morte en disant tout simplement ÂŤ merci Âť ? Peuton oublier telle naissance, tel ĂŠvĂŠnement, mais aussi telle mort, tel deuil ? Chaque famille devrait avoir son livre d’heures qui raconte, dès la première enfance, les rencontres de Dieu Ă travers les personnes. On y trouverait la certitude qu’Il est toujours près de ses enfants.

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L’Église que j’aime

Osons y croire, la saintetĂŠ des saints n’est pas Ă relĂŠguer au rayon des hagiographies. Elle est Ă cueillir au cĹ“ur de notre vie, lĂ oĂš nous leur ressemblons, car ils sont terriblement proches de nous. C’est bien la mission que Dieu leur a confiĂŠe : partager avec nous ce qu’il y a d’humain en eux et de divin en Lui. Rendons grâce Ă Dieu !


Veritatis splendor

L’encyclique de Jean-Paul II sur la morale chrĂŠtienne et tous les problèmes y affĂŠrents a pour titre Veritatis splendor. De fait, seule la vĂŠritĂŠ dans toute sa splendeur est Ă mĂŞme de nous ĂŠclairer, de nous apaiser, de nous fortifier et de nous consoler. Devant ce message adressĂŠ par le Pape Ă tous les chrĂŠtiens et Ă tous les hommes de bonne volontĂŠ, nous pouvons entrer dans la contestation et la critique et regretter que ceci n’ait pas ĂŠtĂŠ dit, que cela ait ĂŠtĂŠ trop dĂŠveloppĂŠ, que ces portes-ci n’aient pas ĂŠtĂŠ ouvertes et que ces perspectives demeurent fermĂŠes‌ C’est un moment de foi. Il nous faut accepter Ă nouveau d’être dĂŠpassĂŠs par ce que nous vivons, par ce que l’Église nous demande d’accueillir. Le Saint-Père doit parler. Il ne le fait pas en ĂŠtant obnubilĂŠ par une certaine vision de la morale et de la vie chrĂŠtienne. Il le fait parce qu’il est Père. Ă€ l’image de Dieu, il ne dĂŠsire que le bonheur et l’Êpanouissement de ses enfants. Mais pas Ă n’importe quel prix ! Or, il est certain que depuis plusieurs annĂŠes un laxisme, une incomprĂŠhension de plus en plus grande font que la morale chrĂŠtienne est tombĂŠe bien bas. Toutes les familles sont touchĂŠes, tous les individus en sont marquĂŠs. Il ne s’agit donc pas de faire de l’Église et des chrĂŠtiens des surhommes. Il s’agit de savoir ce que Dieu a voulu en crĂŠant l’homme, en lui confiant cette extraordinaire richesse qu’est sa sexualitĂŠ et toutes ses possibilitĂŠs d’amour ; en sachant que cet amour ne peut pas ĂŞtre vĂŠcu dans la splendeur mĂŞme de sa vĂŠritĂŠ, si ce n’est Ă l’image de Dieu. Oh, sans doute seront-ils peu nombreux ceux d’entre nous qui prĂŠtendent pouvoir accĂŠder Ă cet idĂŠal. Alors nous serons dĂŠpassĂŠs, nous entrerons dans une certaine

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L’Église que j’aime

incomprÊhension, mais en Êtant conscients que Dieu veille sur son peuple, que tout le travail inspirÊ pour l’Êclairer ne peut être qu’un travail d’amour, de patience et de foi, car Dieu est misÊricorde. Seigneur, aide-moi à apprendre ce que je ne comprends pas, à aimer ce qui me fait peur, à oser quand tout en moi me pousse à la dÊmission. Le reconnaÎtre, c’est commencer à aimer. Accueillir l’encyclique, c’est croire en Dieu aujourd’hui.


RĂŠvolution

Que de changements en cette fin de millĂŠnaire ! Il me semble que je suis plus proche de notre père Abraham (mort en 1750 avant notre ère) que de tant de jeunes d’aujourd’hui. Enfant, je lisais Jules Verne. Eux, aujourd’hui, le vivent et le dĂŠpassent. Devant ces grands bouleversements, ces grands changements, on est tentĂŠ de dire : ÂŤ OĂš va notre monde ? Âť Les uns ajoutent : ÂŤ OĂš est Dieu ? Âť D’autres posent la question : ÂŤ OĂš est l’Église ? Âť Dieu, le maĂŽtre du temps, nous partage son ĂŠternitĂŠ Ă travers les minutes qui s’Êcoulent. La vie peut aller plus vite, Dieu demeure ! Au cĹ“ur des inventions, Dieu est ! Dans tout ce qui change, Dieu est ! Dans tout ce qui se propose Ă nous, Dieu est ! Il n’est pas l’absent dont on va ĂŠvoquer le souvenir, Il est prĂŠsent partout. Chaque fois que l’homme croit, aime, donne, reçoit, partage, Il est lĂ ! Car c’est toujours Ă son image que tous ces gestes se font, que tous ces sentiments se vivent. N’ayons pas peur pour l’Église, car elle est notre Mère. Elle peut prendre des visages variĂŠs. Elle s’adapte, innove constamment. C’est souvent elle, bien davantage, qui change et ĂŠvo lue vers l’avenir, tandis que nous gĂŠmissons sur ses lenteurs, ses raideurs, ses traditions. Si ! l’Église est Ă la mesure du cĹ“ur de Dieu, en perpĂŠtuel recommencement. Elle traduit un cĹ“ur qui aime et qui chaque jour rĂŠinvente. Elle incarne un projet qui dĂŠpasse de loin nos peurs, nos angoisses et nous rive Ă l’incroyable aventure d’un Dieu qui, acceptant de prendre la condition d’homme, fait que tout en l’homme est dĂŠsormais consacrĂŠ Ă Dieu.

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Cela est dĂŠjĂ visible Ă travers les grands changements au sein du monde et de l’Église. Ils traduisent l’actualitĂŠ de Dieu et la certitude de sa prĂŠsence. Certains refusent de s’associer Ă cette ÂŤ renaissance Âť. Mais d’autres — Ă l’image de la nature se renouvelant toujours au rythme des saisons, du temps qui passe — ont confiance. Dieu est lĂ ! Il est vraiment celui que rien n’arrĂŞte parce qu’Il est le Dieu ToutPuissant qui dans l’homme se rĂŠvèle, qui par l’homme se donne. N’ayons pas peur de tous ces changements, ils appellent Ă la confiance.


Assise

Jean-Paul II l’avait pressenti : pour offrir un lieu de rencontre, un terrain d’entente, une possibilitĂŠ d’Êchange et de prière pour chacun, rien de plus indiquĂŠ qu’une simple ville, un lieu oĂš la paix s’est mesurĂŠe Ă la guerre, mais oĂš le pardon a amenĂŠ la conversion : Assise. Quand on s’imagine cette citĂŠ telle qu’elle devait ĂŞtre en 1200, tout ĂŠvoque la guerre, Ă commencer par les remparts, et retrouve les palpitations des cĹ“urs d’aujourd’hui. Mais François y a semĂŠ la paix. Nous l’avons goĂťtĂŠe ! Nous rentrons d’Assise bouleversĂŠs. Nous y ĂŠtions une petite centaine de l’Arche de Bruxelles afin d’y cĂŠlĂŠbrer les vingt ans de notre existence (1974). Rendre grâce Ă Dieu et partager, tout simplement, ensemble, loin du tohu-bohu, un temps d’Êcoute. Ah ! la paix d’Assise, quel rĂŠconfort ! Et tant pis pour le froid vraiment mordant, les draps de lit humides‌ broutilles que tout cela en regard de ce que nous apporte cette retraite ! Qu’il faisait bon louer ÂŤ messire Âť le soleil, brillant au firmament, car il ĂŠtait notre consolation et notre chaleur. Et nous avons connu l’expĂŠrience d’un peuple humble menĂŠ par les petits. Oh ! sans doute tout avait-il ĂŠtĂŠ prĂŠparĂŠ avec soin, qualitĂŠ, attention extraordinaires. Mais quand on a tout agencĂŠ, que les plus beaux carnets de route sont faits, il reste la relation Ă la personne et l’Êcoute. Tout cela s’est dĂŠroulĂŠ d’une façon merveilleuse au rythme des interpellations et des questions que chacun osait poser aux autres. Ainsi, comme nous ĂŠvoquions le passage de l’Évangile oĂš une femme verse du parfum sur les pieds de JĂŠsus lors de l’onction de BĂŠthanie, cette question a fusĂŠ du cĹ“ur de l’un des participants : —Pourquoi a-t-elle versĂŠ du parfum sur les pieds de JĂŠsus ?

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Ă€ quoi il fut rĂŠpondu : —Parce qu’on allait Lui faire mal le vendredi. Ă€ Assise, impossible de ne pas ĂŞtre ĂŠbloui par la lĂŠgende de saint François, rapportĂŠe dans les Fioretti. Mais ce que nous avons vĂŠcu est encore plus beau que la conversion du loup de Gubbio, le chant des oiseaux apprivoisĂŠs par cet excellent compagnon de JĂŠsus que fut François. Nous avons vĂŠcu des temps de rencontre d’une qualitĂŠ telle que nous nous sommes sentis profondĂŠment transformĂŠs. Il y avait plus en ce que nous sentions qu’en ce que nous raisonnions. C’Êtait vraiment la grâce de Dieu qui venait en notre cĹ“ur et s’exprimait Ă travers ces visages d’enfants, merveilleux bambins de ces couples d’amis qui nous portent et nous aiment. Merveilleux enfants qui se laissèrent apprivoiser par ce monde des petits et qui dĂŠcouvrirent, Ă partir de ce que Dieu leur demandait, une qualitĂŠ d’appel sans ĂŠgal ! On les sentait marquĂŠs, intĂŠriorisĂŠs. Nous avons perçu que l’Arche ĂŠtait une rĂŠponse aux appels du temps, Ă la vocation de l’Église. Quand les petits sont accueillis, ils deviennent prophètes. Quand les plus faibles se sentent reconnus, ils deviennent grands et sont capables de porter, d’entraĂŽner. Quand il se crĂŠe autour d’eux une fraternitĂŠ, alors le monde est meilleur. Nous avons essayĂŠ d’être un ensemble et ce fut merveilleux. Pour tout cela, Vive Dieu !


VII. Notre Dame Prier Marie

Marie ! Les uns en parlent, les autres l’oublient. Certains mĂŞme la rejettent, crispĂŠs, ĂŠnervĂŠs. Mais pourtant, la toute petite cadette du genre humain qui est venue nous rĂŠvĂŠler le cĹ“ur de notre Dieu, n’a rien fait qui ne soit rĂŠponse Ă un amour, qui ne soit fidĂŠlitĂŠ Ă un appel. Sa grandeur, c’est d’avoir correspondu Ă ce que Dieu attendait d’elle. Annonciation, tout est possible et tout commence. As somption, tout est consommĂŠ et tout continue. Deux mots vitaux pour l’histoire de l’humanitĂŠ, et aujourd’hui dĂŠpour vus de sens pour tant d’hommes. Il est donc normal que l’on se remette Ă connaĂŽtre cette grande dame, cette petite fille comme nous la rĂŠvèlent le chapelet et le rosaire. Dire Ă Marie : ÂŤ Tu es si belle que je ne cesse de te saluer et de te dire bonjour. Âť Dire Ă Marie : ÂŤ Tu es ma Mère puisqu’en Dieu, je suis enfantĂŠ Ă une nouvelle vie et que tu pries pour nous comme seule la Mère de Dieu peut le faire. Âť Dans un monde en proie au dĂŠsespoir ou au drame de la solitude, Marie est celle qu’on ne peut cesser de regarder, qu’on ne peut cesser d’implorer, celle vers laquelle on n’a jamais fini de se tourner. Elle est la contemplation par excellence, mais elle incarne aussi l’action dans toute sa beautĂŠ, car il n’a pas fallu longtemps pour qu’en elle naisse la vie, pour que par elle soit rĂŠvĂŠlĂŠe Ă tous la vĂŠritĂŠ, et pour qu’en elle l’ÊternitĂŠ nous soit assurĂŠe. Redisons ce chapelet : ÂŤ Je te salue. Je me rĂŠjouis. Je m’unis Ă toi. Âť Sans cesse, remĂŠmorons-nous les ĂŠpisodes de cette histoire

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Notre Dame

si simple : Marie chez sa cousine, JĂŠsus perdu au Temple, le portement de la croix, la crucifixion, la PentecĂ´te‌ Tout cela, c’est Marie qui nous le donne. C’est en elle que nous pouvons le comprendre. C’est elle qui nous aide Ă le recevoir jusqu’au plus profond de notre cĹ“ur. Sans elle, nous serions tellement pauvres de vie, d’amour, de joie. Et comme il ne faut pas regarder le ciel en oubliant la terre, se soustraire au temporel en se rĂŠfugiant dans le spirituel, chaque Ave sera enrichi de toute la prière de nos intentions, de nos souffrances, de nos peines. Chaque Ave sera un don divin : ÂŤ N’aie pas peur de tout emporter dans ta prière, de tout dire Ă ta Mère. N’oublie personne, car avec un cĹ“ur comme le sien, tout peut ĂŞtre partagĂŠ, tout doit devenir lieu de ÂŤ communion. ÂŤ Âť Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, priez pour eux, priez pour ceux qui en ont besoin, priez pour moi, peut-ĂŞtre le plus pauvre de tous.


ImmaculĂŠe

Sous l’Occupation, durant les sĂŠances de tortures, la victime, Ă bout de forces, murmurait parfois ĂŠpuisĂŠe : ÂŤ Maman ! Âť Un homme de soixante ans appelait encore sa mère ! Dans le cĹ“ur de l’homme, il y a toujours une place pour l’amour d’une mère. Dieu le sait, lui qui a choisi Marie pour ĂŞtre la mère de JĂŠsus. Elle seule peut comprendre notre dĂŠtresse et, face au pĂŠchĂŠ, elle seule peut nous apaiser. Dans ses litanies, Marie est invoquĂŠe sous ce beau titre ÂŤ Refuge des pĂŠcheurs Âť, ÂŤ Consolatrice des affligĂŠs Âť. Dans ce mot de refuge, tout est dit. Pourtant, ce titre ne lui vient pas de Dieu mais des hommes qui l’implorèrent sous cette dĂŠnomination. Quand Dieu donne une mère Ă son Fils, il dĂŠcide de la mettre Ă l’abri du pĂŠchĂŠ. Le dogme de l’ImmaculĂŠe Concep tion risque cependant de faire passer Marie pour la femme ÂŤ parfaite Âť, inaccessible aux pĂŠcheurs que nous sommes. Mais non, le privilège de Marie n’est pas d’être en dehors de la faiblesse des hommes, ÂŤ elle qui sera leur Mère Âť, mais d’être au-delĂ de cette faiblesse pour les encourager Ă croire qu’au-delĂ du pĂŠchĂŠ, il y a l’amour ; qu’au travers du pĂŠchĂŠ, il y a le pardon. Ainsi prĂŠparĂŠe pour sa maternitĂŠ divine, Marie renonce Ă cet attachement qui unit tout homme au pĂŠchĂŠ. Cette sorte de possession oĂš l’homme cède au mal tout en sachant très bien qu’il s’en trouvera malheureux, Marie ne l’a pas connue. ÂŤ Oui, ma faute est devant moi sans relâche, mon pĂŠchĂŠ, moi, je le connais. Âť Il est toujours ĂŠmouvant de rencontrer des personnes âgĂŠes revenant sur des fautes de jeunesse, oubliant que dĂŠjĂ plus d’une

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Notre Dame

fois ces pĂŠchĂŠs leur furent pardonnĂŠs. L’angoisse est plus forte comme si avant de se prĂŠsenter Ă Dieu, on n’avait d’autres richesses que cet aveu : ÂŤ J’ai pĂŠchĂŠ. Âť Marie n’a pas connu le pĂŠchĂŠ originel. Cela lui fut ĂŠpargnĂŠ pour qu’elle soit, dès avant sa naissance, comme baptisĂŠe Ă l’avance, comme prĂŠparĂŠe Ă ce monde mystĂŠrieux de l’au-delĂ du pĂŠchĂŠ : celui du pardon, de la paix pour laquelle JĂŠsus est mort et ressuscitĂŠ. Sauveur du monde, c’est ton nom, JĂŠsus. Toi, en qui nous ne voyons trop souvent qu’un tĂŠmoin, un acteur, reconnaissons que tu es le Sauveur, toi vers qui nous crions, toi qui, seul, peut nous arracher Ă ce grand drame de notre humanitĂŠ : le pĂŠchĂŠ. S’il est vrai que c’est lĂ que je suis moi-mĂŞme, c’est dans la plĂŠnitude de ton pardon que je naĂŽtrai enfin Ă l’amour en renonçant Ă tout ce qui m’appauvrit, me rabaisse pour entrer en relation avec toi, mon libĂŠrateur et ma joie.


Retrouver Marie

ÂŤ Père, pourquoi les jeunes n’aiment-ils plus la Vierge ? Âť Que leur rĂŠpondre ? Faut-il se taire ? Faut-il en parler tout le temps au risque de les lasser, parce que je l’aime tant ? Pourquoi ne reprĂŠsente-t-elle plus rien Ă leurs yeux ? Osons poser la question ! Peut-ĂŞtre n’en voit-on plus la raison ? Cherche-t-on seulement une raison pour parler de sa maman ? Une enfant demandait Ă l’annonce du dĂŠcès de sa mère : ÂŤ Qui s’occupera de mon linge ? Qui mettra en ordre mes affaires ? Âť Elle ne considĂŠrait pas sa maman comme une servante. Elle manifestait par lĂ que sa maman ĂŠtait unique, irremplaçable ; elle savait très bien qu’audelĂ de ces tâches domestiques Ă recommencer sans cesse, il y avait l’amour. Quant Ă Marie, il convient d’abord de l’accueillir comme un don divin. Dieu a voulu qu’elle soit dans notre vie. Non pas comme du superflu, mais comme celle qui donne son sens Ă toute existence. Marie, choix mystĂŠrieux, incomprĂŠhensible de Dieu, n’est pas dans la logique. Marie, mère de JĂŠsus, Vierge Mère selon le plan de Dieu, cela nous dĂŠpasse. Je voudrais demander Ă ceux qui n’aiment pas Marie s’ils connaissent la TrinitĂŠ ! Perçurent-ils jamais le dialogue du Père et du Fils, les confidences de l’Esprit Saint ? C’est Ă ce niveau que se situe Marie. Non dans le raisonnement logique d’une vĂŠritĂŠ ĂŠcrasante, mais dans un cheminement, une explosion, une croissance, une ouverture qui a la grandeur de la crĂŠation, l’humilitĂŠ de l’incarnation, l’Êmerveillement de l’Assomption.

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Notre Dame

Marie est celle dont on ĂŠvite de parler faute de pouvoir dire ÂŤ pourquoi Âť on aime sa propre mère. Cela ne se dit pas ! On sait qui est sa mère. On l’accueille, on l’accepte. Ils ont raison, ceux qui choisirent le mois de mai pour mettre Marie Ă l’honneur. Ils ont raison, ceux qui comprirent que le langage des fleurs dĂŠpassait de loin celui des mots, qu’il leur fallait simplement remettre des fleurs près de son image et balbutier des mots comme un enfant. Comme on dit ÂŤ maman Âť, on dit ÂŤ Marie Âť. Comme on dit : ÂŤ Prends pitiĂŠ de moi Âť, on dit ÂŤ Mère de Dieu, prie pour moi, pauvre pĂŠcheur Âť. Comme on dit : ÂŤ Je n’en peux plus Âť, on dit ÂŤ Tu es ma Mère, souviens-toi de moi Âť. On ne ÂŤ prouvera Âť jamais Marie, mais on ÂŤ trouvera Âť toujours Marie, celle qui se livre dans la petitesse, les dĂŠtails, dans le ton sans relief, dans le quotidien, Notre Dame de tous les jours, Notre Dame de chez nous, Notre Dame du fond du jardin, vous ĂŞtes pour moi celle qui me gardez la main dans la main de JĂŠsus, celle qui m’apprenez Ă mettre mes pas dans les pas de JĂŠsus, celle qui me rĂŠvĂŠlez qu’il faut toujours faire confiance, c’est-Ă -dire ÂŤ laisser faire selon Sa parole Âť. Qu’il me soit fait ainsi !


AngĂŠlus

Il est midi. Tout s’arrĂŞte dans le plein soleil. Tout s’arrĂŞte dans le cĹ“ur des hommes, dans leurs bras fatiguĂŠs. Autrefois, l’AngĂŠlus sonnait au clocher du village, embaumait les champs d’une prĂŠsence insaisissable. On s’inclinait et l’on priait. Aujourd’hui, on ne sait plus ces mots, pourtant si importants, qui, dans le temps, habitaient le cĹ“ur des enfants : ÂŤ L’ange du Seigneur annonça Ă Marie. Âť On dĂŠcouvre soudain que c’est Dieu qui nous parle, que c’est Dieu qui nous appelle, que c’est Dieu qui a tant Ă nous dire et Ă nous donner. Que m’a-t-il offert ce matin ? Plus encore que le soleil qui luit, ou la pluie qui fĂŠconde, il y a tout ce qui s’est passĂŠ entre lui et moi dans un certain silence qui jamais ne se tait, car Dieu aime et parle. Dieu ĂŠchange, communique et durant toute cette matinĂŠe, pour lui, je fus l’unique. Merci, Seigneur, pour tout cela. ÂŤ Et Marie a conçu du Saint-Esprit. Âť Ainsi en va-t-il de Dieu, quand il entre dans la vie des hommes et la transforme : l’irrĂŠalisable n’est plus hors de portĂŠe, l’impensable devient vie et fĂŠconditĂŠ. La Vierge porte son fruit, Marie devient la mère de Dieu. VoilĂ comment Dieu se rĂŠvèle Ă chacun de nous. Ai-je ĂŠtĂŠ assez audacieux ce matin pour croire Ă l’impossible et passer outre les timides rĂŠflexions d’un esprit qui se cherche ? Ai-je eu confiance en Celui qui est lĂ , qui a tant Ă me dire et veut tout me donner ? ÂŤ Voici la servante du Seigneur. Âť Ă€ l’instar de Marie, dans le dialogue avec Dieu, il ne faut pas dire ÂŤ Pourquoi ? Âť mais ÂŤ Me voici Âť.

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Notre Dame

Dans ce plein midi, je m’aperçois que j’aurais volontiers rĂŠpondu Ă son appel, mais que j’y ai manquĂŠ, faute de me reconnaĂŽtre assez ÂŤ servante Âť, assez humble, restant convaincu que c’est Ă moi de diriger tout, d’annoncer, d’organiser, d’avoir ces ÂŤ mille fois Âť raison qu’on aimerait tant transformer en un silence d’amour. C’est vrai, pour comprendre ce que Dieu dit-il me faut ĂŞtre petit, pauvre et dĂŠpendant, acceptant que l’autre me parle et me donne plus. C’est alors qu’à la lumière de cet enseignement, il me faut revoir tout ce qui au cours de cette courte journĂŠe est allĂŠ Ă l’encontre de cet idĂŠal, Ă cause de mes peurs et de mes angoisses : ÂŤ Qu’il me soit fait selon ta parole. Âť Qu’en est-il de cette vĂŠritĂŠ ĂŠvangĂŠlique que, depuis ce matin, j’ai choisie comme ÂŤ phare Âť pour me guider ? OĂš est-elle, Seigneur, ta parole ? Je t’en supplie, garde-moi fidèle jusqu’au bout. Père très bon, ÂŤ que tout se passe selon ta volontĂŠ ! Âť ÂŤ Et le Verbe s’est fait chair. Âť Oui, prendre conscience Ă l’instant que l’Êternelle TrinitĂŠ s’est brisĂŠe d’amour pour envoyer sur terre le cĹ“ur de son ĂŞtre, le Verbe bien-aimĂŠ. Un nouveau monde commence, celui oĂš le Verbe s’est incarnĂŠ et devient JĂŠsus le Sauveur, comme s’il y avait eu au cĹ“ur de Dieu des possibilitĂŠs de pardon et de salut prĂŠexistant au pĂŠchĂŠ originel. ÂŤ Et le Verbe s’est fait chair. Âť C’est toute la sollicitude de Dieu qui refuse que l’homme soit dĂŠsespĂŠrĂŠ, dĂŠcouragĂŠ. ÂŤ Et le Verbe s’est fait chair. Âť Ce n’est pas Dieu dĂŠsertant le ciel, c’est la terre s’enrichissant de Dieu ; toute chose de la terre prenant alors son sens. Et quand je repense Ă ce que j’ai vĂŠcu dans cette matinĂŠe qui s’achève, je revois ma vie : ÂŤ Ai-je ĂŠtĂŠ assez attentif Ă ce que Dieu m’a donnĂŠ ? Ai-je accueilli son Verbe dans ma chair, dans toute chair d’homme ? Âť Cette chair que l’on sent, que l’on ĂŠchange, que l’on monnaie : elle est devenue la chair de Dieu, la chair du Verbe de Dieu. IncomprĂŠhensible ÂŤ transformation Âť dont cependant je ne pourrai jamais assez rendre grâce au Seigneur !


 Que tout s’arrange 

ÂŤ Et Il a habitĂŠ parmi nous. Âť Me voilĂ relancĂŠ dans la vie, dĂŠcouvrant qu’il ne faut pas penser Ă Dieu comme Ă un ĂŞtre lointain, mais qu’il faut l’accueillir comme il se donne, le dĂŠcouvrir comme il est. Il est lĂ sur ma route et je suis heureux de repartir vers l’après-midi, plein d’espĂŠrance, car Dieu est avec moi. C’est ainsi que l’AngĂŠlus m’a amenĂŠ Ă faire un examen de conscience. Non, ma vie n’est pas une ÂŤ voie de garage Âť encombrĂŠe de pĂŠchĂŠs ou de regrets, mais, au contraire, une grande route ouverte, un chemin folâtrant parmi les blĂŠs, les fleurs‌ et les orties oĂš je suis appelĂŠ Ă vivre, car ÂŤ Il habite parmi nous Âť, ce Dieu d’amour qui m’a tout donnĂŠ, celui Ă qui je ne dirai jamais : ÂŤ C’est assez ! Âť Merci, Seigneur, pour ce temps d’arrĂŞt près de Marie, en plein midi !


Le rosaire

Pour s’Êveiller Ă la vie, rien de tel qu’un mois de mai ĂŠclatant de fraĂŽcheur, de soleil et de fleurs ! Pour entrer dans le mystère de la terre qui meurt, il est bon que vienne le mois d’octobre. Avec ÂŤ l’ÊtĂŠ de sainte ThĂŠrèse Âť, il nous faut entrer dans le mystère de l’automne qui appelle une disparition Ă ce qu’il y a d’ÊgoĂŻste, de renfermĂŠ en nos vies. Mois de mai, mois du rosaire avec Marie, près de Marie ; l’un comme l’autre sont agrĂŠmentĂŠs de cette merveilleuse tradition qu’est le rosaire. Les roses de nos Ave sont autant de fleurs ceignant le front de notre Mère d’une magnifique couronne qui lui dit : ÂŤ Je t’aime Âť. Pour le fervent, il n’y a pas une rose de trop, il n’y a pas un Ave qui ne peut pas ĂŞtre dit. Ces Ave ont aussi la saveur des fruits de la fin de l’ÊtĂŠ. ÂŤ Ă€ chacun de dĂŠcouvrir ce temps de rĂŠcolte, ce temps de maturitĂŠ qui permet de regarder la vie avec plus de recul. En automne, l’être vit au rythme de ses rĂŠcoltes intĂŠrieures. Son cĹ“ur devenu coupe recueille un Ă un les fruits que le temps y a dĂŠposĂŠs. Ne sont-ce pas les fruits de la sagesse ? Âť (extrait du Trèfle Ă quatre feuilles, d’Ivan de Villeneuve). Heureux sont ceux qui le matin n’ont pas peur de dire Ă Marie : ÂŤ Je te salue Marie‌ Âť Heureux sont ceux qui le soir s’endorment en pensant : ÂŤ Prie pour nous maintenant. Âť C’est cela, le rosaire, cette prière Ă la fois du ciel et de la terre, cette prière rappelant tout ce que JĂŠsus a vĂŠcu au travers de ces quinze mystères joyeux, douloureux et glorieux ; mais aussi d’autres mystères qui peuvent en jaillir, tous ceux que l’on peut ĂŞtre amenĂŠ Ă vivre. Nous ignorons quelle fut la première parole de JĂŠsus pour

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 Que tout s’arrange 

sa mère, mais nous pouvons, en priant le chapelet, nous mettre Ă l’unisson des cĹ“urs de Marie, Joseph et JĂŠsus, cĹ“urs dont les ÂŤ battements Âť rĂŠsonnent Ă nos oreilles, nous dĂŠvoilent leur tendresse. C’est cela, le chapelet : se laisser emporter par ce grand amour nous submergeant, oĂš — grâce Ă Marie — toute parole de l’Écriture devient intelligible et proche du plus petit des hommes ; car il nous suffit d’entendre, comme Marie lors de l’Annonciation, cette parole de Dieu relayĂŠe par l’Ange : ÂŤ Je te salue‌ Âť Et notre rĂŠponse sera, comme en Elle et pour Elle : ÂŤ Prie pour nous, Ă´ Notre Dame, maintenant, et Ă l’heure de notre mort. Âť LouĂŠ soit ce mois d’octobre oĂš, par le chapelet, Marie peut Ă nouveau ĂŞtre chez nous.


Marie au cœur de l’ÊtÊ

Le mois d’aoĂťt est celui de la fĂŞte de Marie, fontaine de vie et d’amour. N’est-ce pas le moment de redĂŠcouvrir celle que Dieu a choisie pour mener Ă terme son plan d’amour ? Sans Marie, bien des hommes risquent de rĂŠduire JĂŠsus Ă ce qu’ils en imaginent. Aussi, elle est lĂ pour rappeler que Dieu nous aime et comment il entend nous aimer, pour nous aider Ă entrer dans la merveilleuse rĂŠvĂŠlation d’un Dieu amoureux. La grâce n’a rien d’un ÂŤ bulldozer Âť ĂŠcrasant tout sur son passage, mais ressemble Ă une source jaillissante, Ă une oasis au fond du dĂŠsert, Ă la rosĂŠe qui, Ă l’aube, donne envie de partir, de marcher, d’espĂŠrer et d’aimer. Elle est comme Marie mise sur la route des hommes par Dieu pour garantir la vĂŠritĂŠ de son plan d’ÊternitĂŠ, la certitude de son espĂŠrance‌ Marie a ĂŠtĂŠ prĂŠvue Ă l’avance pour qu’au cĹ“ur de leur dĂŠrĂŠliction, de leurs dĂŠsappointements et de leur dĂŠsespĂŠrance, les hommes sachent toujours que leur Mère les protège et veille sur eux. Et quand l’homme risque de se replier sur sa tristesse, dans ses ĂŠchecs, ses angoisses, il entend tout Ă coup le cĹ“ur de sa Mère battre en lui, comme pour le rassurer, comme pour le dĂŠlivrer. La libertĂŠ est sauve, car l’amour est premier‌

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Table des matières

PrĂŠface de Jean Vanier 9 ÂŤ Que tout s’arrange Âť 11 Première partie. Ils m’ont choisi Autour du Toit 15 Dans l’Église 29 Chez les JĂŠsuites 39 Quelques rencontres 55

Deuxième partie. Il fera beau demain I. Avec eux 63 II. Visages 71 III. La foi 96 IV. FĂŞtes 122 V. Au fil des jours 143 VI. L’Église que j’aime 176 VII. Notre Dame 194




Que tout s’arrange «Que tout s’arrange!» Telle était l’intention de prière que me proposait une dame pour cette Eucharistie à la veille de son centenaire. «Que tout s’arrange», pour que le monde soit comme Dieu l’a rêvé, pour que l’Église soit comme elle doit être et que le cœur de Dieu continue à se donner au monde comme Il a choisi de le faire. Cette phrase ne peut-elle pas éclairer ce que ma vie a perçu du plan de Dieu ? Plan de Dieu qui n’est pas fait de réalisations écrasantes, mais qui est comme l’épanouissement d’une fleur, la maturité d’un fruit. Plan de Dieu entrevu à travers la grêle et la tempête, mais aussi à travers le soleil et le doux vent du soir qui apaise et rafraîchit. Plan de Dieu deviné à travers la souffrance brûlante et brisante, mais aussi à travers le sourire de l’enfant qui appelle à la vie.

En 1988, les éditions Fidélité publiaient le premier ouvrage du Père André Roberti, Heureux avec eux. Douze ans plus tard, Que tout s’arrange reprend le même schéma : une sélection, soigneusement ordonnée, des billets hebdomadaires que l’auteur publie dans le feuillet «Alleluia-Arche». Ce volume est enrichi d’une longue interview du Père Roberti réalisée par son confrère et ancien élève Charles Delhez. Une occasion unique de découvrir le fondateur de l’Arche en Belgique.

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