Sur la route des saints 20
Juan Diego l’humble Indien de Notre-Dame de Guadalupe
fidélité
Sur la route des saints 20
Juan Diego l’humble Indien de Notre-Dame de Guadalupe
Jean Mathiot
fidélité 2002
Cum permissu superiorum
Photos : © Museo de la Basílica de Guadalupe, México
© Éditions Fidélité • 7, rue Blondeau • 5000 Namur info@fidelite.be Dépôt légal : D/2002/4323/04 ISBN : 2-87356-217-X
Introduction Notre-Dame de Guadalupe, près de Mexico, est le sanctuaire marial le plus fréquenté du continent américain. C’est là qu’en 1531, Juan Diego aurait bénéficié de l’apparition de la Vierge, une Vierge métisse — la « Morenita » — dont l’image miraculeuse, imprimée sur le manteau en fibres de cactus de l’Indien et vénérée dans la basilique moderne, voit défiler chaque année près de vingt millions de pèlerins. Par ces apparitions, la Vierge montre combien Dieu considère la valeur de ces Indiens qu’on traitait comme des sous-hommes. En choisissant le nom de Guadalupe, elle manifeste aux conquérants espagnols que leur Reine qu’ils vénèrent en Espagne sous le même vocable, est aussi la mère des Indiens qui sont donc pleinement leurs frères en Jésus. « Sainte Marie de Guadalupe » tient en effet son nom d’un sanctuaire espagnol (près de Séville) qui remonte à l’an 600, où se trouve une statue « miraculeuse » de la Sainte Vierge que le pape saint Grégoire-le-Grand a offerte à l’archevêque de Séville. Conquérants et missionnaires allaient la prier avant leur départ pour l’Amérique. Jean-Paul II a béatifié Juan Diego lors de sa deuxième visite au Mexique, en 1990. Il y est retourné en 1993, sur la route de Denver, aux ÉtatsUnis (Journées mondiales de la jeunesse). A sa troisième visite, en janvier 1999, le Pape a annoncé sa décision d’étendre à toute l’Amérique la fête de 3
Notre-Dame de Guadalupe, célébrée le 12 décembre au Mexique. En 2002, Juan Diego est canonisé. Tout cela fait penser au Suaire de Turin. Quand une histoire est belle, faut-il sans cesse se demander si elle est vraie ? La beauté n’est-elle pas déjà une vérité ? Il suffit de voir la fécondité de l’événement.
Messe solennelle célébrée par Jean-Paul II en la Basilique de Notre-Dame de Guadalupe en 1999
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En plein paganisme aztèque Quand, dans la tribu de Nahua, le petit Indien aztèque Cuauhtlatoazin — le futur Juan Diego — vient au monde au village de Cuautitlan, à vingtdeux kilomètres au nord de Tenochtitlan (le futur Mexico), ses parents sont loin de soupçonner quelle sera la destinée de leur fils, dont le nom signifie « quelqu’un qui parle comme un aigle » ou « un aigle qui parle ». On est en 1474. Enfant, il va à l’école du quartier. Tout l’enseignement aztèque se transmet oralement, aidé par des pictogrammes (petits dessins). Là, il apprend le savoir-vivre, le chant et la danse, les débuts de l’art guerrier, et surtout la religion, très développée, aux multiples dieux : Tlaloc, le dieu de la pluie et de la fertilité des cultures ; Quetzalcoatl « serpent à plumes », le dieu de la connaissance, censé revenir pour renverser l’ordre existant et supprimer les sacrifices humains ; Huitzilopochtli, le dieu du soleil et de la guerre ; Xipe Tatec, dieu du printemps ; Coyolxauhqui, déesse de la lune ; Mexitl, qui a donné son nom au Mexique ; etc. C’est par des sacrifices humains qu’on se les concilie, et les victimes sont censées aller directement au paradis. Il a treize ans (1487), lorsqu’il apprend la grande consécration au dieu de la guerre qui se tient à Tenochtitlan (Mexico), où les prêtres vont sacrifier pendant quatre jours quatre-vingts mille personnes. Les Aztèques pratiquent le sacrifice humain à une 5
échelle qui n’a guère connu d’équivalent au cours de l’Histoire. Dans sa jeunesse, comme tout garçon, le futur Juan Diego est astreint à un rude service militaire de deux ans et à prendre une part active au moins à une campagne guerrière qui a pour but de contraindre les peuples d’alentour à accepter l’hégémonie des Aztèques et à leur verser un tribut important. Plus de trois cents villes obéissent à ces conditions et la quantité de marchandises qui arrive à la capitale est stupéfiante. Celui qui ne se distingue pas au combat est destiné à rester toute sa vie un homme du commun. C’est certainement le cas de Cuauhtlatoazin qui, son service militaire terminé, reprend la vie humble de paysan. Il verra Tenochtitlan (Mexico), la fierté de l’empire, avec sa population de deux cents mille personnes, la beauté des palais résidentiels, des temples et des forums publics répartis dans toute la ville, où les riches, les nobles et les prêtres ont leurs quartiers. Il verra les secteurs artisanaux florissants où l’on travaille la pierre volcanique obsidienne pour en faire des armes et outils de toutes sortes, ceux où l’on s’adonne à la céramique, à la taille des pierres de construction, au travail des métaux et des pierres précieuses, des textiles, du cuir, du bois, des plumes. Il verra le centre ville, divisé en quatre secteurs par quatre grandes artères, avec une vaste esplanade dominée par le gigantesque temple pyramidal de cinquante mètres de haut. Il s’y déroule de majestueuses liturgies avec un grand concours de peuple ; les prêtres, au son continu des tambours à peau de ser6
pent, y sacrifient sur quatre autels des êtres humains en grand nombre, en leur ouvrant, vivants, le thorax, pour en arracher le cœur encore palpitant qu’ils offrent au dieu du soleil « amant des cœurs » et « buveur de sang », afin d’en obtenir les bonnes grâces et le succès à la guerre. Les corps sont ensuite jetés en bas des marches, dépecés, les têtes alignées par milliers sur des étagères, les thorax jetés aux fauves du zoo, et le reste partagé, emporté, cuit et mangé par des assistants. Les victimes sont convaincues qu’elles iront au royaume du soleil ; la plupart d’entre elles sont consentantes. Au moins cinquante mille personnes et un enfant sur cinq sont sacrifiés chaque année dans tous les temples du pays. Les prêtres, sorciers, guérisseurs, magiciens et enseignants rendent l’âme aztèque très religieuse et superstitieuse. Si les Aztèques sont une société très organisée, un peuple très raffiné, croyant et très développé dans beaucoup de domaines, ils pratiquent la polygamie et sont belliqueux, constamment en guerre avec un pays voisin pour étendre leur domination. Aux vaincus, ils imposent un tribut annuel consistant en peaux de bêtes, pierres précieuses, cuivre, or, coton, denrées alimentaires, et surtout un contingent de victimes à sacrifier, en plus des prisonniers capturés dans les combats. Dans la basse classe Marié, Cuauhtlatoazin habite, dans un quartier populeux, une petite maison aux murs de brique et de boue séchée et au toit recouvert de tiges de maïs. Sa femme, très délicate, file, tisse et broie le maïs. Il travaille un modeste champ, cultivant le maïs, les to7
mates, les fèves et le cactus maguey pour ses fibres. Une part de ses récoltes est prélevée pour payer le tribut à l’empereur. Il aime la nature, les fleurs aux parfums subtils, les oiseaux multicolores aux chants mélodieux. Chez ces gens d’humble condition, la sensibilité de cœur est leur grande qualité. Lui, comme les siens, n’appartient à aucune des catégories sociales du grand empire aztèque, telles que les prêtres, les guerriers, les nobles et les marchands. Il n’est pas un esclave, mais un membre de la classe la plus basse et la plus nombreuse, méprisée par la haute classe qu’elle craint et fuit ; elle accepte avec une résignation stoïque d’être la plus humble des castes indiennes. Il se considérera toujours comme quelqu’un d’insignifiant. Comme ses semblables, il est habillé d’une chemise et d’une culotte grossières, recouvertes d’une tilma, sorte de couverture servant de manteau, tissée en fibres de cactus, nouée au cou et recouvrant le corps ; des sandales de fibres végétales aux pieds et un large chapeau sur la tête quand il se déplace avec son bâton de voyage. Mince et de taille élancée, il marche vite. Sa langue, celle des Aztèques, est le nahuatl, qui signifie « élégant parlé », au caractère mélodieux et poétique, à l’expression raffinée. Comme le petit peuple des paysans, astreint à des corvées quand c’est son tour, il va travailler sur les grands chantiers de construction des temples et palais ou sur les chaussées. Comme bon nombre, il va à l’immense marché qui se tient tous les jours à Tlatelolco, à une vingtaine de kilomètres, où s’y retrouvent soixante mille personnes venues pour échanger, acheter ou vendre légumes, fruits, gibier, plumes, 8
tissus, bois, pierres et métaux ordinaires ou précieux, marchandises produites dans les diverses provinces, et naturellement des esclaves. Cortés le conquérant L’empereur Moctezuma II règne tyranniquement sur son très grand territoire, subjuguant et opprimant ses peuples. Très superstitieux, il redoute depuis longtemps la venue d’hommes puissants arrivant de l’Est et accompagnant le retour du dieu Quetzalcóatl venu reprendre possession de son trône. Des présages impressionnants plongeaient son peuple dans l’angoisse. Déjà en 1509, sa sœur, la princesse Papatzin, a eu une vision inquiétante, lors d’une extase, qu’elle relata à l’empereur, aux grands prêtres et aux chefs : elle vit un ange, dont le front était marqué d’une croix noire, la conduire au bord de la mer ; il lui montra des navires aux voiles blanches arborant une grande croix noire ; ils arrivaient vers les côtes ; l’ange lui annonça que des étrangers allaient conquérir l’empire aztèque et qu’ils apporteraient la connaissance du vrai Dieu. Moctezuma croit que sa fin est arrivée lorsque Cortés débarque, avec onze navires, le Vendredi saint 22 avril 1519, à la tête de cinq cent huit soldats armés de fusils et de quatorze canons, de deux prêtres et de seize chevaux, et qu’il apprend com9
ment trois cents soldats espagnols sont venus à bout de trente mille guerriers indiens. Cuauhtlatoazin a quarante-sept ans lorsqu’il apprend l’arrivée de Cortés (trente-trois ans) et de ses hommes dans la capitale, en 1521, après s’être emparé de plusieurs villes, semant l’inquiétude dans la population. On lui rapporte comment Moctezuma, y voyant le retour du dieu Quetzalcóatl, est venu à sa rencontre avec toute sa cour et lui a offert de loger dans un confortable palais avec ses soldats. Cortés ne tarde pas à faire prisonnier l’empereur. Il fait nettoyer le sang du temple consacré à Huitzilopochtli, il fait enlever les idoles et les remplace par des crucifix et images de Notre-Dame. Une révolte éclate. Moctezuma est tué. Voyant l’effroyable boucherie humaine que pratiquent les prêtres, le cannibalisme et l’acharnement des Aztèques à la guerre, le conquistador, bénéficiant du soutien de nombreux guerriers indiens désireux de s’affranchir du joug et du tribut imposé par l’empereur, donne l’ordre de raser la capitale et d’autres cités. Après un siège de septante-cinq jours, Tenochtitlan se rend, Cortés prend possession de l’empire pour l’Espagne, s’emparant de onze millions d’Aztèques et de leurs biens. Les Espagnols font du palais impérial la résidence du vice-roi et y construisent une église. Les conquistadores s’installent, s’organisent, établissent un gouvernement, pillent les richesses, détruisent partout les temples et les statues des divinités, dévastent et écrasent les populations qui résistent, commettant toutes sortes d’exactions et de cruautés qui terrorisent les habi10
tants. Cuauhtlatoazin est au milieu de la tourmente, douloureusement témoin du bouleversement et de l’effondrement de son pays. Début de l’évangélisation Cortés veut implanter le christianisme dans toute cette région. Il écrit au roi Charles Quint pour lui demander des missionnaires. En 1524, douze franciscains arrivent d’Espagne à Mexico. Cortés et les siens, accompagnés du nouvel empereur Cuauhtenoc, de ses nobles et de nombreux Indiens, vont à leur rencontre. Les conquistadores, sautant de leurs chevaux, se prosternent avec respect, à la grande surprise des Aztèques, devant ces douze hommes fatigués et humblement vêtus. Ces missionnaires s’intègrent à la population qui apprécie leur bonté ; ils en apprennent la langue et se mettent à évangéliser et à baptiser les Indiens, mais avec beaucoup de mal à cause des abus, de l’intolérance et de l’esclavagisme des conquistadores avides de pouvoir et de richesses. Les Aztèques voient dans ces prêtres une force mystérieuse et une humanité qui surpassent l’emprise terrorisante de leurs prêtres et la férocité des conquérants. Ils apprennent qu’il n’y a qu’un Dieu, qui est vrai, bon et plein d’amour, auteur de la vie, créateur de tout, maître du ciel et de la terre ; il est partout, il entend les prières de ceux qui l’invoquent ; il a envoyé son Fils Jésus Christ qui est mort et a versé son sang pour libérer les hommes de l’emprise de Satan ; Marie est la mère de son Fils ; il pardonne l’adoration des faux dieux et la pratique des sacri11
fices humains ; il nous sauve de l’enfer et nous ouvre le ciel ; par le baptême, il nous fait vraiment devenir ses enfants… On commence à construire des églises sur les ruines des temples. Cuauhtlatoazin, avec son épouse et beaucoup d’autres, dont la princesse Papatzin, vient souvent écouter les missionnaires. Leur enseignement nouveau en attire et séduit beaucoup. En 1525, un an après l’arrivée des franciscains, Cuauhtlatoazin, renonçant à l’idolâtrie, est baptisé avec sa femme. Il a cinquante et un ans. Désormais, son nom chrétien sera Juan Diego, et celui de sa femme, Maria Lucia. Ils sont du nombre des premiers convertis. En 1528, avec beaucoup d’autres franciscains missionnaires, Mgr Juan de Zumárraga arrive d’Espagne comme évêque, nommé « protecteur des Indiens » par Charles Quint, pour prêter main forte aux premiers prêtres. Il installe son évêché à côté de la première église construite, qui devient sa cathédrale. Les colons espagnols, avides de faire fortune rapidement, développent l’esclavage. Le roi d’Espagne, mis au courant, l’interdira en 1530. Maria Lucia, de la même condition que son mari et originaire de Tolpetlac, n’a pas eu d’enfant. Tous les deux viennent au moins chaque samedi et dimanche, après une longue marche de trois heures et demie entre les villages et les montagnes, à l’église Saint-Jacques-le-Majeur, dans le quartier de Tlatelolco où est située la paroisse des religieux franciscains, à vingt-deux kilomètres au sud de leur village de Cuautitlan, pour recevoir une plus grande 12
connaissance de la doctrine chrétienne, assister à la messe matinale, aux explications de l’Evangile, aux prières et cérémonies diverses, et pour faire en même temps leur marché. Avec enthousiasme, ils partagent leur foi et prient de manière fervente. En 1529, quatre ans après son baptême, Juan Diego perd sa femme tombée gravement malade. (La princesse Papatzin meurt la même année.) Il se retrouve veuf à cinquante-quatre ans. Il ramène le corps de sa bien-aimée à son village natal de Tolpetlac (à quatorze kilomètres de Mexico), où il vient s’établir sur la propriété de son oncle Juan Bernardino, converti lui aussi. Juan Diego est connu comme un homme religieux et très dévoué, même avant sa conversion. Roturier et pauvre, humble et candide, c’est un solitaire, de caractère mystique, porté au silence et à de fréquentes pénitences. Il part très tôt le matin, avant l’aube, afin d’arriver à l’heure à la messe et à l’enseignement.
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Première apparition de la Vierge Le samedi 9 décembre 1531, enveloppé dans sa tilma pour se protéger du froid et de la brise qui souffle sur le plateau de Mexico, situé à 2250 m d’altitude, Juan Diego, comme chaque samedi, se hâte d’arriver pour ses propres affaires et pour entendre la messe dite en l’honneur de la Sainte Vierge. Il lui faut passer au pied de la colline de Tepeyac, où est situé un petit temple dédié à la déesse Tonantzin, mère des dieux et des Aztèques. C’est tout juste avant l’aube, vers cinq heures et demie. Laissons l’Indien don Antonio Valeriano rapporter dans sa Relatio, le fait guadalupain, d’après le récit de Juan Diego, qu’il a entendu maintes et maintes fois. • Soudain, il entend sur le sommet de la colline, et sur une crête de rochers qui s’élève au-dessus de la plaine près du lac [Texcoco] un chant doux et sonore qui, selon son dire, lui paraît provenir d’une grande multitude de petits oiseaux [les tzinizcanes et les corpoltotoles remarquables à leur plumage brillant et leur chant mélodieux] chantant en semble avec suavité et harmonie, et se répondant en divers chœurs, en un singulier concert, dont le haut coteau répète et redouble les échos, en résonnant sur le monticule. Et, levant les yeux vers l’est, vers le haut de la colline d’où vient ce précieux chant céleste, il voit une nuée blanche et resplendissante, entourée d’un bel arc14
en-ciel aux diverses couleurs, formé par les rayons d’une vive clarté provenant du milieu du nuage. L’Indien reste surpris et hors de lui-même en un suave ravissement, sans crainte ni aucun trou ble, sentant dans son cœur une joie profonde et inexplicable, de sorte qu’il se demande : « Qu’est-ce que j’entends et qu’est-ce que je vois ? Où donc suis-je amené ? Est-ce que par hasard je suis transporté au paradis de délices, comme l’appellent nos an cêtres, dans le lieu d’origine de notre chair, dans un jardin de fleurs ou dans une terre céleste cachée aux yeux des hommes ? » Il est encore plongé dans le ravissement, puis subitement le chant s’arrête, le silence se fait, et il s’entend appeler par son nom : « Juan ! » C’est une voix de femme, douce et délicate, provenant des splendeurs de cette nuée et lui demandant de s’approcher. •
Des collines, des rochers, un lac, des oiseaux, des chants, des échos, des nuées, de la lumière, des couleurs, de la paix, du ravissement… c’est bien là le Mexique et sa symphonie perpétuelle ! Juan Diego laisse voir ainsi combien il aime contempler la nature et la beauté qui s’en dégage. Il révèle la sensibilité et l’élévation de son âme qui va plus loin que les apparences. • Il gravit rapidement la pente de la colline pour voir d’où on l’a appelé. Quand il atteint le sommet, il voit, au milieu de la clarté, une très belle Dame, au visage affable et caressant, qui se tient là debout. Elle l’invite à s’avancer. S’appro chant d’elle, il s’émerveille de sa grandeur surhumaine ; ses vêtements brillent comme 15
le soleil, tellement que la roche sur laquelle reposent ses pieds et les rochers qui s’élèvent au-dessus du sommet de la colline, étincellent de lumière, comme entourés d’un bracelet de pierres précieuses, taillées et transparentes ; les feuilles des aubépines, des cactus nopales et des autres mauvaises herbes qui poussent petites et dégénérées en ce lieu solitaire, paraissent comme des faisceaux de fines émeraudes, leurs feuillages comme des turquoises, leurs bran ches, tronc et épines brillent comme de l’or bruni ; et même le sol d’un petit plateau de cette cime lui rappelle le jaspe aux couleurs nuancées. •
L’Indien raffole des pierres précieuses, qui sont une des richesses du Mexique ; il en connaît la variété et leurs mille et un reflets de couleur. Mais ce n’est rien à côté de la beauté de cette Dame qui le subjugue, charmante comme une petite Indienne au teint brun, ni jaune ni blanc, mais bronzé, brun mexicain, à la chevelure noire et lisse séparée en deux tresses, aux yeux pétillants de lumière et portant un profond mystère, aux lèvres divinement ciselées et souriantes, au visage et aux traits veloutés. Juan Diego entend sa parole, douce et courtoise, comme quelqu’un qui vous charme et vous enchante profondément. S’adressant à lui en nahuatl, la langue mexicaine, elle lui dit : • « Mon fils, Juan Diego, que j’aime tendrement comme un enfant petit et délicat, où vas-tu ? » L’Indien répond : « Je vais, noble Maîtresse et Dame, à Mexico dans le quartier de Tlatelolco, pour entendre 16
la messe que célèbrent les ministres de Dieu, ses délégués, et pour suivre les choses di vines qui nous sont enseignées. » Alors, elle lui dit : « Sache et comprends bien, mon fils bien-aimé, le plus humble de mes fils, que je suis la Vierge Marie, mère du vrai Dieu, pour qui nous existons, Créateur de toutes choses, Seigneur du ciel et de la terre, et qui est partout. « Je désire qu’un temple soit érigé rapidement en ce lieu, d’où, comme une mère remplie d’a mour et de compassion envers toi et tes sembla bles, je montrerai ma douce miséricorde et mon aide envers les habitants du pays et envers tous ceux qui m’aiment, m’invoquent et ont con fiance en moi. De là, j’entendrai les pleurs et les sup plications de tous ceux qui demanderont ma pro tection et m’invoqueront dans leurs peines et leurs détresses, et je les consolerai et les soulagerai. « Pour que mon désir soit exaucé, va au palais de l’évêque qui réside à Mexico, dis-lui que je t’envoie et que je désire qu’en ce lieu un temple soit con struit
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en mon honneur. Rapporte-lui dans les moin dres détails tout ce que tu as vu et en ten du. « Sois assuré que je te serai extrêmement reconnaissante pour les efforts et la fatigue que tu vas endurer pour cette mission dont je te charge, et que j’étendrai ta renommée. « Maintenant que tu connais mon désir, mon humble fils, va, je récompenserai ton travail et ta diligence. Ainsi fais tout ce qui est en ton pouvoir de faire. » •
Quelle délicatesse de langage reflétant le raffinement de la culture mexicaine dans laquelle la Vierge se coule ! Et quel amour elle révèle à cet Indien, humble de cœur, représentant type de tous les Indiens de basse classe ! C’est comme un écho du Magnificat : « Le Seigneur a jeté les yeux sur la petitesse de sa servante. » Et c’est comme un écho de l’épisode du buisson ardent où Dieu dit à Moïse : « J’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu son cri devant ses oppresseurs, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer… Maintenant va, je t’envoie… » (Exode 3, 7-10). En se présentant, Marie se montre « la servante du Seigneur » que Juan Diego apprend à connaître au catéchisme. Elle a le même comportement que Dieu : comme Dieu qui « élève les humbles », elle a « jeté les yeux sur l’humilité » de son serviteur. Elle révèle le trait fondamental de la personnalité de Juan Diego : son humilité, et ce à quoi il est particulièrement sensible, au milieu des mépris dont il souffre comme les siens : la compassion, l’amour,
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la confiance, la douceur, la miséricorde, l’esprit de service. Lui, si humble, le voici investi par la Mère de Dieu d’une mission de taille. Et en écho au « je suis la servante du Seigneur » de Marie à l’ange : • Il s’incline profondément devant elle et dit : « Très noble Dame, je vais mettre votre demande à exécution, comme votre humble serviteur. Soyez tranquille. » •
Et la Vierge disparaît. Chez l’évêque L’heure de la messe est passée ; il l’a manquée. L’aurore fait place au jour. Du sommet de la colline, il peut embrasser du regard toute la ville de Mexico, là, à cinq kilomètres devant lui. La légère brume jaune-orange recouvrant la ville s’élève lentement. Pour exécuter sa promesse, Juan Diego redescend la colline et prend l’allée qui va droit à Mexico. Il est encore tellement saisi par l’apparition qu’il ne perd pas de temps en route. Il sait où se trouve le palais de l’évêque : à côté de la première église construite, près du palais de l’empereur, sur la place du Zocalo, là où Moctezuma rencontra Cortés et lui offrit des présents dont un casque rempli de poussière d’or, là où mourut Cuauthémoc, le dernier empereur aztèque.
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• Il entre dans le palais épiscopal où réside Monseigneur Juan de Zumárraga, religieux fran ciscain, premier évêque de Mexico. •
Il le connaît pour l’avoir déjà vu, mais pas rencontré. C’est un homme noble et humble, de stature imposante. Il sait qu’il est pieux et plein de zèle, dévoué aux pauvres, avec un cœur plein de bonté pour les Indiens qu’il défend dans leur dignité humaine, luttant contre l’esclavage que les conquistadores s’acharnent à établir de façon inhumaine. Il est à Mexico depuis à peine trois ans, et déjà ses œuvres d’organisation sont nombreuses : il a fondé un collège pour l’instruction des Indiens. Déjà en Espagne, il était connu pour son détachement : les aumônes qu’il recevait allaient aux pauvres et non à son couvent franciscain. • Une fois dans le palais épiscopal, l’Indien se met à demander aux serviteurs comment faire pour voir l’évêque et lui parler. Mais il est très tôt [huit heures] et les serviteurs, trompés par l’aspect humble et pauvre du visiteur, croient qu’il s’agit d’un mendiant et l’obligent à attendre longtemps, jusqu’à ce que, émus de sa patience, ils décident de l’annoncer à l’évêque. Après huit longues heures d’attente ! Il est seize heures. L’évêque ordonne de le faire entrer. En passant la porte, Juan s’incline et s’agenouille devant l’évêque, et rend compte de sa mission ; il lui dit qu’il est envoyé par la Vierge Marie qu’il a vue ce matin et avec qui il s’est entretenu. Il lui raconte aussi tout ce qu’il a vu, contemplé et entendu. 20
L’évêque est dans l’admiration de ce qu’affirme l’Indien ; il est dans l’étonnement devant un fait si prodigieux, presque incroyable. Cependant, il ne fait pas grand cas du message rapporté ; il lui accorde ni foi ni crédit, craignant peut-être que ce soit un songe, une imagination de l’Indien, ou encore une illusion du démon, comme il arrivait aux nouveaux convertis à la foi chrétienne parmi les indigènes. Et après l’avoir beaucoup questionné sur ce qu’il rapporte et le trouver constant dans ses réponses, il le renvoie cependant en lui disant de revenir dans quelques jours ; et cela parce qu’il veut traiter l’affaire à fond. Il veut l’entendre plus à loisir pour se rendre compte de la valeur du message et se donner le temps de réfléchir : « Tu vas t’en aller, mon fils ; tu reviendras et je t’écouterai plus à mon gré. Je reprendrai tout depuis le début ; je réfléchirai sur les vœux et les désirs pour lesquels tu es venu. » L’Indien quitte le palais épiscopal, triste et inconsolable, tant pour avoir compris qu’on ne lui accordait ni foi ni crédit que pour n’avoir pas pu exécuter le désir de la très sainte Vierge dont il est le messager. • 21
Voilà le résultat ! Attendre huit longues heures pour voir l’évêque, essuyer les manques de considération des serviteurs, frisant le mépris et, de plus, rencontrer la quasi-incrédulité de l’évêque, voilà qui le dépasse, lui à qui la Vierge Marie a daigné non seulement se montrer, non seulement confier une mission, mais encore promis des bénédictions hors de prix pour les Indiens. L’évêque devrait pourtant être fier et fou de joie d’une pareille visite du ciel, surtout avec l’annonce que la Dame a faite, et quelle annonce ! Juan Diego n’est peut-être qu’un roturier, mais quand même ! Il en a d’autant plus le cœur déchiré qu’il n’a pas pu obtenir satisfaction pour la Dame du ciel : la Vierge Marie, ce n’est pas rien ! Le sentiment profond de sa petitesse l’accable, la certitude de son indignité le convainc que sa noble Dame s’est trompée dans son choix. Il ne regrette pas de l’avoir vue, il l’aime et il voudrait bien rester à son service. Quel drame se joue dans cette âme simple sur la route du retour !
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Deuxième apparition de la Vierge Le soir du même jour, après le coucher du soleil, Juan Diego retourne au village de Tolpetlac, qui est situé à la fois sur le flanc du mont le plus élevé et distant de celui-ci d’une lieue (quatre kilomètres et demi) du côté nord. (Tolpetlac, signifie « lieu de nattes de massette » [roseau des étangs] parce que la principale occupation des Indiens du village, à l’époque, était de tisser des nattes avec cette plante.) Il prend le même chemin au retour qu’à l’aller. A-t-il un pressentiment que la Dame l’attend ou souhaite-t-il la rencontrer ? Alors il gravit la colline. • Arrivant au sommet de la colline (vers dix-huit heures) où le matin il a vu la sainte Vierge et lui a parlé, l’Indien la retrouve attendant la réponse à son message. A sa vue, il se prosterne avec respect. •
Dans sa jeunesse, elle ressemble à une enfant ; mais elle est belle comme une reine, avec la noblesse d’une grande dame. Alors il épanche son âme et, très fidèlement, il rend compte de sa mission, son esprit ayant tout enregistré. • « Ma chère enfant, ma Reine et très grande Dame, j’ai fait ce que vous m’avez demandé, j’ai été là où vous m’avez envoyé, suivant vos instructions. Et bien que je n’aie pu entrer immédiatement pour voir l’évêque et lui parler, j’ai pu tout de même le voir après 23
une longue attente et je lui ai fait part de votre message, ainsi que vous me l’avez de mandé. Il m’a reçu avec bienveillance et m’a écou té attentivement ; mais d’après ce que j’ai re marqué en lui et dans les questions qu’il m’a posées, j’ai déduit qu’il n’accordait guère de crédit à mes paroles, puisqu’il m’a dit : « Tu reviendras une autre fois, et je t’entendrai à mon gré. Je reprendrai tout depuis le début ; je réfléchirai sur les vœux et les désirs pour lesquels tu es venu. » J’ai parfaitement compris, de par la façon dont il m’a répondu, qu’il pensait que votre désir d’avoir un temple qui vous soit consacré, est une invention et un caprice de ma part, mais que ce n’est pas l’expression de votre désir. Par conséquent, ajoute-t-il, je vous supplie fortement de confier votre message à quelqu’un de noble et d’important, de connu, qui inspire le respect et l’estime, afin qu’on le croie. Vous voyez bien, ma Dame, que je suis un pauvre paysan, de basse condition et roturier, et que cette mission à laquelle vous m’employez n’est pas pour moi. Vous m’avez envoyé à une place que je ne fréquente pas ni ne m’y repose. Ma Reine, pardonnez-moi mon audace, si j’ai manqué en quelque chose au respect que l’on doit à votre grandeur, soit pour avoir mérité votre indignation ou pour vous avoir donné une réponse désagréable. » •
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On reconnaît l’humilité et la candeur de cet homme devant son échec qui lui révèle son incompétence, et avec quelle délicate et respectueuse précaution il souhaite se retirer de cette mission pour laisser place à plus capable. On entend en écho les paroles de Moïse qui ne se reconnaît pas capable devant la mission si grande que Dieu lui confie : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon… Excusemoi, mon Seigneur, je ne suis pas doué pour la parole, ni d’hier ni d’avant-hier… Envoie, je t’en prie, qui tu voudras » (Exode 3, 11 ; 4, 10.13). Même écho chez le prophète Jérémie : « Ah ! Seigneur, vraiment, je ne sais pas parler, car je suis un enfant !ž» (Jérémie 1, 6). Mais la Dame ne le voit pas du même œil : • « Ecoute, mon bien cher fils, comprends que je ne manque pas de serviteurs à qui faire appel, et j’en ai beaucoup que je pourrais envoyer si je le voulais et qui feraient ce que je leur demanderais, mais c’est toi précisément que je sollicite et demande de m’aider ; c’est par ton intervention que mon désir sera accompli. Je t’implore ardemment, toi, le moindre de mes fils, et te demande fermement de retourner de main voir l’évêque. Vas-y en mon nom. Fais-lui connaître mon désir : je lui demande qu’il me construise un temple. Dis-lui que celle qui t’envoie, c’est la Vierge Marie, mère du vrai Dieu. » •
Le désir de Marie est si ferme qu’il ne souffre pas de réplique et elle n’a d’explications à donner
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à personne. Marie fait comprendre ainsi que ses pensées ne sont pas celles des hommes. • « Ne soyez pas contrariée, ma Dame, mon Enfant, reprend Juan Diego, de ce que j’ai dit. J’irai avec toute ma bonne volonté et de tout cœur, pour obéir à votre désir et porter votre message. Je ne cherche pas à m’excuser ni ne considère la marche comme un travail pénible. Mais on ne me recevra et entendra peut-être pas ; et si l’évêque m’écoute, peut-être ne me croira-t-il pas. Toutefois, je ferai ce que vous me demandez, et j’attendrai. Demain après-midi, au coucher du soleil, en ce même lieu, je vous apporterai, ma Dame, la réponse de l’évêque à votre message. Demeu rez en paix, ma grande Enfant, et que Dieu vous garde ! » •
La Dame disparaît. Juan Diego s’en va se reposer chez lui. Il est encore profondément marqué par le mépris et l’incrédulité qu’il a reçus. La honte et la confusion qu’il ressent ne sont pas dissipées. Tout ce dialogue est empreint de politesse, de courtoisie, de simplicité, de patience, de confiance maternelle, de générosité filiale. « Modeste dans sa noblesse, affable dans son orgueil, tendre dans sa rudesse, joyeux dans sa mélancolie, sobre dans sa laboriosité, lutteur dans sa mansuétude, et surtout généreux comme un seigneur tant dans la misère que dans l’opulence », c’est le type du Mexicain dont Juan Diego est une vivante illustration.
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Deuxième visite chez l’évêque • Le jour suivant, dimanche 10 décembre, Juan Diego quitte la maison avant l’aube et prend le chemin de Tlatelolco. Il arrive à l’église Saint-Jacques, y entend la messe et assiste à l’instruction. Vers dix heures, après que les ministres, suivant leur habitude, eurent compté les fidèles originaires de chaque paroisse, l’Indien, en passant par les faubourgs, se rend rapidement au palais épiscopal pour obéir au désir de la Vierge Marie. Il essaie ardemment de voir l’évêque. Les serviteurs le font de nouveau attendre longtemps avant d’avertir l’évêque. Après beaucoup de difficultés, il parvient à le rencontrer. Il s’agenouille humblement à ses pieds, et au milieu des pleurs et des gémissements, demandant à Dieu de lui accorder qu’on croie à son message et aux demandes de la Dame du ciel, il expose comment, pour la deuxième fois, il a vu la Mère de Dieu au même endroit que la première fois, qu’elle attendait la réponse à la commission dont elle l’avait chargé, et comment elle l’a fait revenir rencontrer l’évêque pour lui demander d’édifier un temple à l’endroit où elle l’a vu et lui a parlé ; et qu’elle lui a certifié être la mère de Jésus Christ, elle qui l’envoie, et la Vierge Marie. •
Dans sa profonde sensibilité, Juan Diego est blessé une nouvelle fois par le mépris humiliant des serviteurs, et sa peine éclate devant l’évêque avec la crainte d’être encore rabroué. • L’évêque l’écoute plus attentivement et commence à le croire ; et pour s’assurer davantage du simple récit 27
du fait, il lui pose question sur question à propos de ses affirmations, lui de mandant où il l’a vue et comment elle est. Il dé crit le tout à la perfection à l’évêque, qui l’avertit de bien réfléchir à ce qu’il dit, et sur les signes entourant la Dame qui l’envoie. Il reconnaît par ces signes qu’il ne peut s’agir ni de songe, ni d’invention de la part de l’Indien. Mais il veut acquérir une plus grande certitude au sujet de cette affaire. Il n’a pas de difficulté à croire un pauvre Indien aussi simple. Malgré les descriptions précises de Juan Diego sur l’apparence de la Dame et tout ce qu’il a vu et admiré, indiquant qu’il est convaincu que c’est bien la sainte Mère du Sauveur Notre Seigneur Jésus Christ, l’évêque lui fait remarquer qu’il ne suffit pas qu’il le lui dise pour qu’aussitôt il mette en œuvre ce qu’il requiert. Il lui demande enfin de dire à la Dame qui l’envoie de lui donner quelque signe pour l’aider à conclure que c’est bien la Mère de Dieu qui l’envoie, et que c’est bien son désir qu’on lui élève un temple. Juan Diego dit alors à l’évêque : « Monseigneur, écoutez. Quel signe voulez-vous ? J’irai le demander à la Dame du ciel qui m’a envoyé vers vous. » L’évêque remarque qu’en demandant un signe, l’Indien n’exprime aucune excuse, n’a aucun doute ni trouble. •
Suivi et surveillé L’évêque commence à entrevoir la sincérité de Juan Diego par la foi, l’assurance, la persévérance et la détermination qu’il manifeste. Mais pour s’assurer qu’il ne se trompe pas, il appelle alors deux personnes de son entourage, en qui il a le plus 28
confiance. Il leur parle en castillan afin que l’Indien ne comprenne pas. Il leur commande, aussitôt qu’il l’aura congédié, de l’observer de près, et de le suivre sans le perdre de vue et sans se faire remarquer, jusqu’au lieu qu’il a indiqué et où il affirme avoir vu la sainte Vierge. Ils doivent lui rendre compte de tout ce qu’ils verront et entendront, et lui dire avec qui il parle. Et l’évêque le congédie. Juan Diego sent qu’une porte s’entrouvre chez l’évêque. La confiance dans le succès final de sa mission commence à le réjouir. L’espérance monte en lui. • Après le départ de l’Indien, les serviteurs se mettent à le suivre sans se laisser voir et sans le perdre de vue. Mais dès que Juan Diego arrive au pont de Tepeyac, où coule la rivière qui se déverse dans le petit lac à l’est de la ville, jusqu’au pied de la colline, il disparaît de la vue des serviteurs. Ceux-ci le cherchent en toute diligence et, parcourant la colline de tous côtés, ils ne le retrouvent pas. Ils le prennent alors pour un trompeur, un menteur et un séducteur ; et ils s’en retournent pleins de dépit, non seulement parce qu’ils sont fatigués, mais aussi parce que leurs desseins sont déjoués et cela les met en colère. Et c’est ce qu’ils racontent à l’évêque. Pour l’influencer, ils lui disent que Juan Diego le trompe et invente ce qu’il raconte ou qu’il a rêvé ce qu’il dit et demande. Ils lui conseillent de ne plus le croire, et que, si jamais il revient, il soit retenu et sévèrement puni afin qu’il cesse de mentir et de tromper. •
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On imagine le dépit de ces messieurs : Juan Diego est là, ils le savent bien. Ils ont beau chercher partout, ils ne le trouvent pas. Ils croient qu’il est un fin rusé, bien plus malin qu’eux, alors qu’il n’en est rien. Il est si humble et si innocent que le Ciel est venu à son secours pour le rendre invisible à leurs yeux.
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Troisième apparition de la Vierge • Aussitôt que Juan Diego — qui allait en avant à portée de vue des serviteurs de l’évêque — arrive au sommet de la colline, il y trouve la sainte Vierge qui l’attend avec la réponse à son message. Il est environ dix-sept heures. Pros terné en sa présence, l’Indien lui dit que, pour accomplir sa demande, il est retourné au palais épiscopal et a communiqué le message. Et qu’après de nombreuses questions que l’évêque lui a posées, celui-ci lui a dit que son simple récit ne suffisait pas pour prendre une résolution en une affaire aussi grave. « Il a ajouté que je dois vous demander, ma Dame, un signe certain par lequel il peut reconnaître que c’est vous qui m’envoyez et que c’est votre désir que l’on vous édifie un temple en ce lieu. » La Sainte Vierge le remercie pour sa diligence et son zèle avec des paroles aimables, lui demande de revenir le lendemain au même endroit et lui dit : « Très bien, mon petit, tu repartiras là-bas afin de porter à l’évêque un signe certain par lequel il te croira, et dans son regard il n’y aura ni doute ni soupçon. Et sache, mon petit, que je te récompenserai pour ta sollicitude, tes efforts et ta fatigue à mon égard. Je t’attendrai ici demain. » Puis l’Indien lui promet obéissance et la salue poliment. • 31
L’oncle malade Sur le chemin du retour, l’esprit tout occupé par sa Dame, Juan Diego se réjouit du signe qu’il devra porter à l’évêque pour qu’on le croie. • A son arrivée au village [de Tolpetlac], il trouve un de ses oncles, du nom de Juan Bernardino, septante-trois ans, qu’il aime profondément et qui lui servait de père dans son enfance, gravement accidenté et rongé d’une fièvre maligne que les gens du pays appellent Cocolitzli. Emu de son état, il passe une grande partie de la journée en quête d’un médecin pour lui administrer un remède. En ayant trouvé un, il le conduit au malade, à qui il applique quelques médecines. Mais l’état du patient empire. A la tombée de la nuit, Juan Bernardino demande alors à son neveu de se lever de bonne heure, avant le jour, et d’aller au couvent de Saint-Jacques, à Tlatelolco, pour appeler un religieux afin de lui donner les sacrements de pénitence et d’extrême-onction, car il est certain qu’il ne se lèvera plus, ne guérira pas, et qu’il va mourir. Toute la journée du lundi 11 décembre se passe sans que Juan Diego puisse mettre à exécution la demande de la Vierge Marie. •
Ce contretemps imprévu met en lumière un autre trait du tempérament de l’Indien : son oncle est gravement malade ; il a été comme son père ; il y a urgence ; il faut le soigner. Comme il est le seul à pouvoir le faire, il remet à plus tard son rendez-vous avec Marie. Il pare au plus urgent.
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Quatrième apparition de la Vierge Le signe • Le mardi 12 décembre, avant l’aube, Juan Diego part de sa maison en toute hâte dans le but d’appeler un prêtre et de revenir avec lui en lui servant de guide. Le jour commence à poindre. Il arrive [vers six heures] à l’endroit où il doit gravir le sommet de la colline du côté de l’est. Comme il s’approche de la route qui passe au pied de la colline de Tepeyac, vers l’ouest, et où il a l’habitude de traverser cette route, il se dit : « Si je continue sur ce chemin, la Vierge Marie va sûrement me voir, et je peux être retenu pour recevoir le signe et aller le porter à l’évêque comme convenu ; mais mon premier devoir est d’aller rapidement appeler un prêtre, car mon oncle l’attend avec impatience. » Il juge avec candeur qu’en prenant un autre sentier qui passe au pied de la colline, elle ne le verra pas et ainsi ne le retardera pas. L’affaire qu’il a à régler réclame qu’il fasse vite et, une fois déchargé de ce souci, il peut revenir demander le signe qu’il doit apporter à l’évêque. C’est ce qu’il fait. Après avoir passé l’endroit où sourd une petite fontaine d’eau limpide, il va contourner le pied de la colline lorsqu’il voit venir la Sainte Vierge à sa rencontre ; elle descend du haut de la colline, entourée d’une nuée blanche et avec la clarté qu’il avait vue la première fois. Arrivée au bas de la colline, elle s’approche de lui et lui dit : « Qu’y a-t-il, le moindre de
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mes fils ? Quel est ce chemin que tu as suivi ? Où vas-tu ? » L’Indien s’arrête, confus, craintif et honteux. Il s’incline devant elle, la salue ; dans son trouble, il répond en se jetant à genoux : « Ma chère Enfant et ma Souveraine, que Dieu veuille que vous soyez satisfaite. Comme vous êtes matinale ! Est-ce que votre santé est bonne ? Ne soyez point peinée ni con trariée de ce que je vais vous dire. Sachez, mon Enfant, ma Dame, qu’un de vos serviteurs, mon oncle, est gravement malade : il a eu un accident, il a attrapé la peste ; et comme il est sur le point de mourir, je vais en hâte à l’église de Tlatelolco appeler un prêtre aimé de Dieu pour qu’il vienne le con fesser et l’oindre. Vous savez que nous naissons tous sujets à la mort. Après avoir accompli cette démarche, je reviendrai rapidement en ce lieu pour accomplir votre de mande. Je vous prie de me pardonner, ma Dame, et prenez patience avec moi pour le moment. Je ne refuse pas de faire ce que vous me demandez, je suis votre serviteur ; et il n’y a pas de feinte dans l’excuse que je vous donne. Je ne vous décevrai pas. Demain je viendrai en toute hâte. » •
Tout confus de n’avoir pas pu être là, comme promis, au rendez-vous avec Marie pour recevoir le signe pour l’évêque, et en même temps tiraillé par l’obligation urgente d’être au service de son oncle, Juan Diego, voulant apaiser la peine ou l’inquiétude qu’aurait Marie ne voyant pas venir son messager, lui ouvre son cœur entièrement et, par des mots doux et apaisants, il lui partage sa sollicitude et la peine qu’il se donne pour son oncle. Il ne 34
veut pas la décevoir, et répondra au plus tôt à sa demande pour l’évêque. Quelle familiarité toute empreinte de candeur et de simplicité dans ce dialogue ! Si, dans le ciel, on est comme des enfants, Juan Diego a déjà ce comportement sans le savoir : on entend en écho Jésus dire : « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Matthieu 18, 3). • Après avoir écouté les paroles de Juan Diego, la sainte Vierge répond : « Ecoute, mon fils, ce que je te dis maintenant, et comprends bien : rien ne doit t’effrayer ou te peiner. Que ton cœur ne soit pas troublé. N’aie pas peur de cette maladie, ni d’aucune autre maladie ou angoisse. Ne suis-je pas ici, moi, qui suis ta mère ? N’es-tu pas sous mon ombre et ma protection ? Ne suis-je pas la source de ta joie ? N’es-tu pas heureux en mon sein ? Et ne te déplaces-tu pas pour mon compte ? As-tu besoin d’autre chose ? Ne sois pas malheureux ou troublé par quoi que ce soit. Ne te fais pas de peine ni aucun souci de la maladie de ton oncle ; il ne mourra pas de cette maladie. Et sois certain que déjà il est guéri. » Et à ce moment, son oncle fut guéri, comme il devait l’apprendre par la suite, et comme c’est relaté plus loin. Quand Juan Diego entend ces mots de la Dame du ciel, il est grandement consolé. Il est heureux. Il la supplie de l’excuser : « Alors, ma Dame, envoyez-moi voir l’évêque et donnez-moi le signe dont vous m’avez parlé afin qu’il me croie. » 35
La Dame du ciel lui demande de grimper sur la colline où ils s’étaient précédemment rencontrés. Elle lui dit : « Monte, mon très cher et tendre fils, au sommet de la colline où tu m’as vue et parlé et où je t’ai donné des instructions. Tu verras différentes fleurs. Coupeles, rassemble-les dans ton manteau, puis apporteles en ma présence. Je te dirai ce que tu dois faire et dire. » L’Indien grimpe sur la colline immédiatement. Ce n’est pas une place où peuvent pousser des fleurs, encore moins des roses. Ce ne sont que des rochers en ce lieu, des ronces, des épines, des nopales et des mezquites. Occasionnelle ment, de l’herbe peut y pousser, mais au mois de décembre, la végétation est gelée. Arrivé au sommet, il est stupéfait de trouver une telle variété de roses de Castille fraîches, odorantes et recouvertes des gouttes de rosée de la nuit qui ressemblaient à des pierres précieuses. Elles sont en fleur bien avant la saison où elles doivent bourgeonner, car hors saison, elles gèlent. Ajustant son manteau, ou tilma, à la manière des indigènes, il commence aussitôt à cueillir les fleurs et à les y mettre, autant que celui-ci peut en con tenir. Puis il descend la colline et porte les fleurs à la Vierge Marie. Elle attend au pied d’un arbre [que les Indiens appellent Cuauzahuatl, ou arbre aux toiles d’araignée, ou encore arbre qui jeûne, parce qu’il pousse à l’état sauvage et ne produit aucun fruit, bien qu’il donne en son temps quelques fleurs blanches. A en juger par l’endroit indiqué, il s’agit d’un vieux tronc qui persiste encore aujourd’hui au bas de la colline où passe un
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sentier gravissant le sommet du côté de l’est ; là se trouve la fontaine d’eau.] Après s’être prosterné devant la Vierge Marie, l’Indien lui montre les roses qu’il a coupées ; la Dame les prend toutes ensemble et les dépose de nouveau dans la tilma de l’Indien en disant : « Mon fils, considère ces fleurs comme le signe que tu dois porter à l’évêque à qui tu diras ce qu’elles sont, et qu’il se hâte de faire ce que je désire. Tu es mon ambassadeur, le plus digne de ma con fiance. Je te demande instamment de ne montrer à personne ce que tu portes, et de n’ouvrir ton manteau qu’en présence de l’évêque. Tu lui raconteras bien tout ; tu lui diras que je t’ai demandé de grim per sur la colline et de cueillir les fleurs ; et aussi tout ce 37
que tu as vu et admiré. Avec cela tu le disposeras à construire un temple. » Ayant dit cela, la Vierge le salue. Alors il prend directement le chemin qui mène à Mexico, portant avec grand soin les roses sans en perdre aucune. Il les regarde de temps en temps, jouissant de leur parfum et de leur beauté. •
Pendant le trajet vers l’évêché, Juan Diego ne touche plus terre, ne voit rien, n’entend rien, tant sa joie intérieure est grande. Quel trésor il porte avec ces roses venues du ciel ! Il se réjouit à la pensée que le succès de sa mission est assuré. Des roses… de Castille ! toutes fraîches… et odorantes… en abondance… poussant sur des roches sèches… et en plein hiver… ! Un vrai prodige ! Si, par ce signe, l’évêque n’est pas convaincu que Juan Diego dit vrai et que sa mission est authentique, et qu’il faut impérativement donner suite à la demande de la Vierge Marie… Quel signe ! L’aridité du sol, symbole de l’aridité du cœur ; des roses fraîches, symbole de la grâce ; de Castille, pays d’origine de l’évêque ; odorantes, symbole de la connaissance et du bon parfum du Christ ; en hiver, symbole de l’idolâtrie au froid démoniaque où la chaleur de l’amour de Dieu fait défaut. Mais rien n’est impossible à Dieu, la preuve ! Quel signe d’espérance pour les Indiens sortant de l’idolâtrie et du mépris des conquistadores.
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Quatrième visite chez l’évêque. Le prodige de l’Image Le mardi 12 décembre, vers onze heures, quand Juan Diego arrive au palais épiscopal, le majordome vient à sa rencontre ainsi que d’autres serviteurs de l’évêque. Il les supplie d’annoncer à ce dernier qu’il désire le voir ; mais personne ne veut le faire ; tous font semblant de ne pas l’entendre, probablement parce qu’il est trop tôt ou parce qu’ils le trouvent importun et trop insistant ; de plus, leurs collègues ont rapporté qu’il avait disparu à leurs regards alors qu’ils le suivaient. • Juan Diego attend de longues heures. Quand les serviteurs voient qu’il a patienté longtemps debout, fatigué, sans rien faire, attendant d’être appelé, et paraissant avoir quelque chose dans sa tilma, ils s’approchent de lui pour savoir ce qu’il porte. Juan Diego, voyant qu’il ne peut cacher son trésor, et sachant qu’il sera molesté, bousculé, méprisé, ouvre un peu sa tilma où se trouvent les fleurs. En apercevant cette variété de roses de Castille hors saison, les serviteurs sont complètement stupéfaits parce qu’elles paraissent si fraîches, en pleine floraison, si parfumées et si belles. Ils essaient par trois fois d’en prendre quelques-unes, mais sans y parvenir. A chaque fois qu’ils veulent les saisir, les fleurs ne paraissent plus réelles. On dirait qu’elles sont peintes ou tissées avec art sur le manteau. Les serviteurs s’empressent alors d’aller dire à l’évêque ce qu’ils ont vu, l’informant que l’Indien, venu récemment à plusieurs reprises, est encore là. Il a sû-
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rement une raison pour l’avoir attendu avec anxiété si longtemps et pour être si désireux de le voir. En entendant cela, l’évêque comprend que Juan Diego apporte la preuve confirmant ses dires, et qu’il devra répondre à la requête de l’Indien. Il demande de le faire entrer immédiatement. Juan Diego s’agenouille devant lui comme à l’accoutumée et rapporte ce qu’il a vu et admiré, ainsi que le message. Il lui dit : « Monseigneur, j’ai fait ce que vous m’avez demandé, je suis allé dire à ma Dame du ciel, sainte Marie, précieuse Mère de Dieu, que vous avez demandé un signe et une preuve vous permettant de croire qu’il faut construire une église là où elle l’a souhaité. Je lui ai dit aussi que je me suis engagé à vous rapporter un signe et une preuve de son désir, comme vous me l’avez demandé. Elle s’est montrée condescendante et a répondu favorablement à votre requête. Tôt ce matin, elle m’a envoyé vous voir à nouveau ; je lui ai réclamé encore une fois le signe afin que vous puissiez me croire ; elle m’a dit qu’elle me le donnerait. C’est ce qu’elle a fait. Elle m’a envoyé sur la colline, là où j’avais l’habitude de la voir, pour cueillir une variété de roses de Castille. Après les avoir cueillies, je les lui ai portées, elles les a prises dans ses mains et les a placées dans mon vêtement afin que je vous les remette en mains propres. Même si je savais que le haut de la colline n’était pas un endroit où pousseraient des fleurs, car il y a beaucoup de rochers, d’épines, de nopales et de mezquites, j’avais encore des doutes. Quand je me suis approché du haut de la colline, j’étais comme au pa40
radis : il y avait une variété de roses exquises de Castille, couvertes de brillante rosée, et je les ai cueillies immédiatement. Elle m’a commandé de vous les porter. Et je me suis exécuté afin que vous puissiez voir en elles le signe que vous m’aviez demandé pour vous conformer à son vœu et pour que mon message soit crédible. Voilà. Recevez-les. » Juan Diego déplie son manteau où se trouvent les fleurs. Et les différentes variétés de roses de Castille tombent à terre. Soudain apparaît, peinte sur le manteau, la précieuse Image de la très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, telle qu’on la voit toujours aujourd’hui. L’évêque est plongé dans l’admiration par le prodige des roses fraîches, odorantes et chargées de rosée comme si elles étaient récemment coupées, et c’est l’époque la plus rigoureuse de l’hiver en ce climat. Mais son étonnement s’accroît encore lorsqu’il contemple la sainte Image qui lui apparaît, peinte sur le manteau de l’Indien. Avec tous les gens de son entourage qui sont présents, il la vénère comme quelque chose de céleste.
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Il dénoue, à la nuque de l’Indien, le nœud qui retient le manteau, qu’il transporte à son oratoire où, le déposant avec révérence, il rend grâces à Notre Seigneur et à sa glorieuse Mère. Ce jour-là, l’évêque retient Juan Diego dans son palais. •
Monseigneur de Zumárraga, qui est espagnol, connaît bien les roses de Castille, leur beauté et leur parfum. Quel signe la Vierge lui fait ! Et en plein hiver ! Il est touché au cœur. Et elle lui laisse sa signature par son Image, comme quoi c’est bien elle qui s’est montrée à Juan Diego dont elle fait son commissionnaire. Elle a daigné imprimer miraculeusement son Image — prodige sans pareil, qui ressemble à une peinture sans en être une — sur le pauvre manteau de l’Indien, signifiant qu’il est comme glorieusement revêtu de sa présence, et que Dieu choisit ce qui est vil et sans valeur aux yeux des hommes pour révéler sa gloire. Le manteau de Juan Diego mesure 1,78 m sur 1,05 m ; et l’Image de la Vierge, 1,43 m de la tête aux pieds, très belle et pleine de douceur, portée par un ange aux ailes déployées. Elle est devant le soleil, la lune sous les pieds, et a les mains jointes. Elle est vêtue d’une tunique rose aux arabesques d’or et d’un manteau bleu piqué d’étoiles. L’Image reflète sa présence de façon surprenante et impressionnante. Les doutes et incrédulités de l’évêque font place à une foi solide et une espérance émerveillée ; et chez ses serviteurs, les mépris et accusations, humiliations et suffisance ont disparu, remplacés par un trouble révélateur et une déférence étonnée. 42
Si l’évêque est émerveillé, Juan Diego, est au septième ciel, dans un autre monde. Monseigneur de Zumárraga a devant lui, dans cette Image, un cadeau du ciel qui dépasse toutes ses espérances. Et cela, grâce à cet Indien, que le ciel a choisi, dont il ne soupçonnait pas la qualité d’âme. Il commence à entrevoir sa foi totale, son vrai amour de Dieu, sa simplicité évangélique, et sa persévérance indéfectible. Il découvre en même temps son humilité fondamentale, sa candeur enfantine, doublées d’une innocence spirituelle et d’une piété filiale qui lui permettent d’accueillir pleinement les manifestations surnaturelles du monde de Dieu. Il est dans le Royaume de Dieu sur terre comme un poisson dans l’eau, et c’est sa joie et son bonheur d’avoir accompli la volonté de Dieu et le désir de Marie. En voyant tout le comportement de Juan Diego dans cette mission, on entend Jésus dire : « Je te bénis Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Matthieu 11, 25-26). Mais pour entrer dans ce monde de Dieu, pour accéder à cette béatitude, il n’y a pas d’autre chemin que celui décrit par Jésus dans son Sermon sur la montagne. En Juan Diego, on voit l’âme de pauvre, le doux, l’affligé, l’affamé et assoiffé de justice, le miséricordieux, le cœur pur, l’artisan de paix, le persécuté pour la justice (cf. Matthieu 5, 2-11). La prophétie de Marie s’accomplit pour lui aussi : « Il
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élève les humbles et comble de biens les affamés » (Luc 1, 53). L’évêque est tellement au comble de la joie qu’il garde Juan Diego auprès de lui jusqu’au lendemain. Quel accueil ! Monseigneur de Zumárraga s’excuse pour la peine qu’il a pu lui causer ; il lui manifeste une belle affection paternelle. Il lui fait remettre un bon manteau en remplacement de la pauvre tilma qu’il lui a enlevée, le conduit au réfectoire pour dîner avec lui et ses prêtres. Les serviteurs sont maintenant pleins de prévenance pour lui. On le questionne, on veut en savoir plus, on le vénère comme un privilégié unique du ciel. On lui prépare une chambre, un lit ; mais il est trop habitué à dormir entre deux nattes pour s’en passer. « J’étendrai ta renommée », lui a prophétisé Marie. Voilà que cela commence à s’accomplir. • Le lendemain matin, [mercredi 13], l’évêque lui demande de l’accompagner sur le lieu où la sainte Vierge désire qu’on construise un temple en son honneur. •
Juan Diego s’est levé de bonne heure. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit, tellement il est en paix, rempli de la grâce de Dieu et dans le sentiment de la douce présence de Marie. Il assiste à la messe de l’évêque devant l’Image de Marie sur sa tilma. Il déjeune avec lui. Et ils partent accompagnés de quelques serviteurs. • En arrivant sur les lieux, l’Indien montre les endroits où, par quatre fois, il a vu la Mère de Dieu et lui a 44
parlé. Puis il demande la permission de retourner voir son oncle, Juan Bernardi no, qu’il a laissé malade. L’évêque la lui accorde et envoie quelques-uns de ses serviteurs avec lui. Il leur demande, s’ils trouvent le malade guéri, de le lui amener. •
Si Juan Diego a le cœur au ciel, il a les pieds sur terre et il reste lucide sur les réalités terrestres : il garde le souci de son oncle, qui était malade et dont la Dame du ciel lui a dit qu’il était guéri. Il l’avait quitté presque mourant pour aller à Tlatelolco appeler un prêtre pour le confesser et lui donner l’onction d’huile, et l’oncle ne l’a pas vu revenir. En chemin, les serviteurs sont contents de questionner et surtout d’écouter Juan Diego tout à loisir. Apparition à Juan Bernardino • Quand ils arrivent, ils voient que l’oncle est heureux et en bonne santé. Juan Bernardino est très stupéfait de voir son neveu ainsi accompagné d’Espagnols qui l’honorent et l’acclament comme un héros. Il demande la raison d’un tel changement d’attitude et d’un tel honneur à son égard. Juan Diego répond que lorsqu’il est parti chercher un prêtre pour entendre sa confession et lui donner l’absolution, la Dame du ciel lui est apparue à Tepeyac, lui disant de ne pas être triste, que son oncle était rétabli, ce qui l’a consolé. Et elle l’a envoyé à Mexico voir l’évêque pour qu’il fasse construire un temple en son honneur à Tepeyac. Ayant connu le jour et l’heure où la Vierge a annoncé la guérison à Juan Diego, l’oncle affirme qu’à cette même heure [mardi 12 décembre, vers six heures du 45
matin], il a vu la même Dame telle que son neveu l’a décrite. Elle lui a appris qu’elle a envoyé Juan Diego à Mexico voir l’évêque parce qu’elle désire la construction d’un temple à l’endroit où son neveu l’a vue. Elle lui a dit aussi que, lorsqu’il ira voir l’évêque, il devra lui révéler ce qu’il a vu et lui expliquer de quelle façon elle l’a guéri miraculeusement, et qu’elle désire être appelée : Sainte Marie de Guadalupe. Mais elle n’en donna pas la raison. •
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Juan Bernardino et Juan Diego chez l’évêque • Alors les serviteurs amènent les deux Indiens en présence de l’évêque [qui les attend dans la paroisse Saint-Jacques de Tlatelolco. C’est le milieu d’aprèsmidi de ce mercredi 12]. Celui-ci se renseigne sur la maladie de Juan Bernardino. Il lui demande comment il a retrouvé la santé, comment était la Dame qui la lui a rendue. Ayant vérifié le fait, l’évêque emmène les deux Indiens à son palais dans la ville de Mexico. •
Quand Juan Bernardino dit que la Vierge désire être appelée : Sainte Marie de Guadalupe, l’évêque en comprend la raison, et c’est pour lui un signe d’authenticité de l’apparition : Guadalupe est un des plus anciens sanctuaires espagnols dans la province d’Estrémadure ; on y vénérait depuis le VIIe siècle une statue de la Vierge à l’enfant. Elle fut cachée quand les Maures envahirent le pays, et seulement retrouvée en 1326 à la suite d’une apparition de la Vierge à un berger près du village de Guadalupe. Le roi lui fit construire là un sanctuaire, l’un des plus célèbres d’Espagne. Christophe Colomb et Cortés vinrent y recommander leurs expéditions, et les missionnaires leur apostolat. Christophe Colomb donna le nom de Guadalupe à l’une des îles qu’il découvrit. Le mot en espagnol veut direž: « rivière du loup » à cause des loups qui étaient nombreux dans la région ; et en arabe : « rivière de lumière ». 47
De plus, le mot aztèque nahuatl coatlaxopeuh, qui se prononce | quatlasupe |, a la même sonorité que le mot espagnol Guadalupe. Coa veut dire : « serpent » ; tla : « le » ; xopeuh : « écraser » ou « piétiner ». Notre Dame est aussi « celle qui écrase le serpent ». Ce sens est très parlant pour les Indiens dont les statues des dieux étaient accompagnées de serpents. Monseigneur de Zumárraga emmène Juan Bernardino dans son oratoire pour lui montrer l’Image. Le vieil Indien, stupéfait, y reconnaît Marie telle qu’il l’a vue. Avec Juan Diego, ils en rendent encore grâces à Dieu. Les deux Indiens sont conviés à souper à la table de l’évêque. On ne sait pour qui c’est un honneur : pour Monseigneur d’avoir à ses côtés ces deux privilégiés du ciel, ou pour eux d’être ainsi distingués par le prélat. Ils restent plusieurs jours à l’évêché, retournant souvent à l’oratoire où ils passent des heures ineffables à contempler l’Image. L’oncle et son neveu vont ensuite à Tepeyac voir l’endroit des apparitions de la Vierge Marie ; pèlerinage émouvant pour eux ; sur place, le neveu est heureux de raconter tout dans le détail à son oncle. Puis ils reviennent à l’évêché. L’évêque demande à un héraut public d’en faire l’annonce sur les marchés et sur les places. La nouvelle se répand. On vient de plus en plus voir l’Image à l’oratoire de l’évêché. Les serviteurs sont heureux de guider ces premiers pèlerins, indiens pour la plupart. Juan Diego et Juan Bernardino ont beaucoup de peine à se soustraire à l’importunité des curieux. 48
L’évêque projette amicalement avec eux et son Conseil la construction du temple demandé par Marie. Il y faudra un gardien. Il propose à Juan Diego la garde de ce futur temple. La rumeur du miracle parcourt la ville et les alentours en peu de temps, et le nom de Juan Diego devient vite populaire : « J’étendrai ta renommée » a dit Marie. Mais l’Indien reste toujours aussi humble. L’affluence à l’oratoire épiscopal prend rapidement les dimensions d’une procession ininterrompue. Aussi l’évêque décide-t-il de transporter l’Image dans sa cathédrale et de l’installer au-dessus de l’autel afin que tous puissent en jouir. Le vendredi 15 décembre, l’Image est transportée et exposée à la cathédrale. Le flot des pèlerins va en grossissant. Monseigneur de Zumárraga et son conseil décident d’un commun accord la construction, au pied de la colline, d’un modeste ermitage de sept mètres sur quatre et de trois mètres et demi de haut, divisé en deux compartiments : un oratoire et un logement pour Juan Diego qui en sera le gardien. On l’inaugurerait à Noël par le transport de l’Image dans une procession solennelle du peuple, des autorités religieuses, civiles et militaires. Les travaux commencent sans tarder. Les Indiens s’y activent. Juan Diego va à Tolpetlac pour disposer de sa maisonnette et de son champ. En une semaine, le petit ermitage est construit. Les Indiens sont fiers que c’est l’un des leurs, un des plus pauvres et des plus ignorés, que le ciel a choisi pour un si étonnant prodige et un si beau message. On lui donne un petit champ à côté de l’ermitage d’où 49
il tirera sa subsistance. Il apporte de Tolpetlac le peu de mobilier qu’il possède et ses quelques instruments de travail.
Consécration à Notre Dame de Guadalupe Notre-Dame de Guadalupe, je sais avec certitude que tu es la parfaite et perpétuelle Vierge Marie, Mère du vrai Dieu. Tu me montres et m’offres ton amour, ta compassion, ton aide, ta protection. Tu es Mère miséricordieuse. Mère de tous ceux qui t’aiment, de ceux qui t’implorent, de ceux qui ont confiance en toi. Tu entends mes pleurs et mes douleurs. Tu soignes et allèges mes souffrances, mes besoins, mes malheurs. Tu me demandes de ne pas être troublé ou écrasé par mes chagrins et de ne pas craindre les maladies, les vexations, les anxiétés, les douleurs. Tu es ma Mère et je suis sous ta protection. Tu es ma fontaine de vie et je me blottis dans tes bras. Mère de miséricorde, avec amour, je te consacre tout mon être, ma vie, mes souffrances, mes joies, tous ceux que tu m’as confiés et tout ce qui m’appartient. Je désire être tout à toi et marcher avec toi sur le chemin de la sainteté. O Vierge immaculée, écoute la prière que je t’adresse avec une filiale confiance, et présente-la à ton divin Fils, Jésus Christ, notre Seigneur qui, avec Dieu le Père et l’Esprit Saint, vit et règne pour les siècles des siècles. Amen.
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Notre-Dame en son ermitage Le jour de Noël 1531, en une somptueuse cérémonie liturgique, Monseigneur de Zumárraga consacre d’abord sa cathédrale à la très sainte Vierge pour la remercier des faveurs insignes dont elle comble son diocèse. Puis c’est la procession vers l’ermitage, à cinq kilomètres et demi de là : l’Image en tête, portée en étendard au-dessus de la foule et encadrée de Juan Diego et de Juan Bernardino ; l’évêque, nu-pieds et nu-jambes, entouré de sa cour ; le gouverneur Cortés et son épouse ; les juges, les notables et le clergé ; et la foule des Espagnols et des Indiens. Sur tout le parcours, une légion de fillettes jettent à profusion des fleurs sur le passage de l’Image. La fanfare militaire, les tambours et les tam-tams accompagnent les danses rythmiques des Indiens, exécutées au pas de marche. Toute la foule chante l’Abatal, un cantique poétique composé par l’évêque pour la circonstance, dont les strophes rappellent celles du Cantique des Cantiques : 1. C’est avec ravissement que j’ai vu les fleurs s’épanouir en ta présence, ô Marie. 2. Près des eaux paisibles, j’ai entendu la Vierge Marie chanter : « Je suis la plante précieuse aux bourgeons cachés ; j’ai été créée par Dieu Un et Parfait ; je suis élevée au-dessus de toutes les créatures. »
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3. Ô Notre-Dame, vous revivez dans votre Image… 4. Ô Sainte Marie, Dieu vous a créée plus belle que les fleurs ! Et il vous a créée de nouveau en cette Image sacrée… 5. Votre Image a été peinte délicatement sur la toile bénie, sous laquelle votre âme s’est dissimulée. Sous son regard, la protection fleurit, et c’est à son ombre que, Dieu aidant, je veux vivre et mourir… A un moment donné, des Indiens, habitués à tirer des flèches au cours de leurs fêtes, décident de manifester leur joie de cette façon. A cause du danger, l’évêque tente vainement de les arrêter ; et l’inévitable se produit : une flèche transperce la gorge d’un assistant qui tombe à terre, donnant les signes d’une mort imminente. La procession s’arrête, et une confusion indescriptible s’ensuit, qui est vite contrôlée par les Espagnols, habitués à commander. Un missionnaire se fraie alors un passage à travers la foule pour porter secours au blessé. Ayant extrait la flèche et pansé la blessure, il se rend vite compte que c’en est fait du malheureux. Levant les yeux vers l’Image qui domine la foule, au milieu d’un silence impressionnant, il supplie la Vierge Marie de sauver cette vie et de ne pas permettre qu’un deuil regrettable vienne ternir l’éclat d’une fête si solennelle. Or, voilà que tout à coup, le blessé ouvre les yeux, puis la bouche, puis les mains, et qu’il se relève, plein de vigueur comme avant l’accident. Il n’en faut pas davantage pour éveiller l’enthou-
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siasme de la foule et le porter à son comble. Cette procession est marquée d’autres miracles encore. La procession arrive à l’ermitage où a lieu la cérémonie d’installation de l’Image au-dessus du petit autel. L’évêque prononce une exhortation au cours de laquelle il évoque le projet d’une souscription destinée à la construction d’un oratoire plus important. Le gouverneur Cortés dit un mot lui aussi ; les militaires présentent les armes ; les fleurs s’accumulent devant l’autel ; les Indiens exécutent une dernière danse, accompagnés de la fanfare et des tam-tams ; puis, une dernière prière et un dernier cantique clôturent la célébration. Sous la garde de Juan Diego La vie commence à l’ermitage du Tepeyac. Le grand marché de Tlatelolco est à deux kilomètres. On y vient de partout. Tout en faisant ses achats ou ses échanges, on aime s’y raconter les nouvelles. L’information sur l’apparition se répand comme une traînée de poudre. Beaucoup d’Indiens sont touchés, veulent être enseignés sur la foi des chrétiens et recevoir le baptême. Les foules commencent à affluer. Les missionnaires eux-mêmes amènent à l’ermitage leurs fidèles en pèlerinage. L’évêque y vient régulièrement ; il constate que tout s’y passe bien ; le bon ordre, la piété et la foi sont remarquables. C’est un va-et-vient incessant du matin au soir. Aux pèlerins qui le lui demandent, Juan Diego, qui est plus qu’édifiant, fait le récit complet des événements dont il a été l’acteur et le témoin privilégié, le répétant sans se lasser, comme si c’était la pre53
mière fois. Il est heureux de témoigner de Dieu et de Notre Dame, de tourner les yeux et les cœurs vers Jésus et sa sainte Mère. Il redit et répète le message de la Vierge, qu’il connaît par cœur, pour que les hommes s’ouvrent à la grâce et la reçoivent en abondance : « Comme une mère remplie d’amour et de compassion, je montrerai ma douce miséricorde et mon aide envers les habitants du pays et envers tous ceux qui m’aiment, m’invoquent et ont confiance en moi. De ce temple, j’entendrai les pleurs et les supplications de tous ceux qui demanderont ma protection et m’invoqueront dans leurs peines et leurs détresses, et je les consolerai et les soulagerai. » Il encourage les pèlerins à la confiance en Dieu et en Marie. Et les grâces pleuvent… Le Tepeyac, qui était désert, se peuple petit à petit. Les Indiens s’agglomèrent autour de la colline. Juan Bernardino est un des premiers à venir s’y installer. La plupart sont des petits artisans qui fabriquent des souvenirs de toute sorte à l’intention des visiteurs. Juan Diego est tout à l’œuvre de Dieu. Il fait de rapides progrès dans les voies de la sainteté. Parce qu’il a un amour très grand pour l’eucharistie, Monseigneur de Zumárraga l’autorise à recevoir la sainte communion trois fois par semaine, ce qui est alors exceptionnel. Son mode de vie reste bien humble : il n’a rien changé à son habillement ; rien non plus à ses habitudes de travail, cultivant soigneusement son champ d’où il tire sa subsistance. Avec quel soin assidu il veille à la propreté de l’ermitage, et à disposer avec goût les fleurs nouvelles qu’il reçoit pour 54
la décoration du lieu saint. Il remet scrupuleusement à l’évêque les aumônes qu’il reçoit. Il est l’ange gardien du lieu. Il reste attaché à la paroisse SaintJacques de Tlatelolco, tenue par les missionnaires franciscains, où il a reçu sa formation chrétienne et le baptême. On l’appelle « le pèlerin » parce qu’on le voit souvent marcher seul, pieux et recueilli comme un religieux. On a l’impression d’être devant un ascète contemplatif qui sait apprécier les choses du monde à leur juste valeur en fonction des choses du ciel. Il traite d’égal à égal avec les plus pauvres comme avec les plus instruits et les plus puissants. Quelle somme de bien accomplit ce gardien fidèle ! A quelle hauteur de sainteté il s’élève par l’exercice de son humble office ! Quelle intensité de joie intérieure emplit son âme ! Il passe la plus grande partie de ses temps libres en contemplation devant l’Image de sa Dame, la Vierge Marie. Il reçoit les pèlerins avec son esprit hospitalier naturel, leur redit inlassablement l’histoire des apparitions. Nombreux sont ceux qui la retiennent par cœur, du fait qu’à l’école la transmission orale de l’instruction développait beaucoup la mémoire. Très nombreux sont les Indiens qui en viennent à connaître dans le détail ce récit édifiant, et à le communiquer fidèlement autour d’eux et aux plus jeunes. La nouvelle de l’événement fait ainsi rapidement boule de neige. Lors du procès apostolique de 1666, qui établit officiellement la reconnaissance juridique des faits de Guadalupe transmis oralement, on fit appel à cent vingt-trois témoins qui déclarèrent que, ces choses, ils les avaient ap55
prises de témoins ayant connu personnellement Juan Diego et Monseigneur de Zumárraga. Juan Diego est considéré comme un prophète et un saint que l’on vient voir de partout, pour se recommander à ses prières dans lesquelles on a pleine confiance. On lui remet toutes sortes d’intentions. Il écoute, compatit, réconforte, encourage. Ses conseils sont toujours suivis. On le tient en grande estime. Il dirige toujours les esprits et les cœurs vers Dieu et Notre Dame. Beaucoup d’Indiens, qui ne connaissent pas encore le vrai Dieu, sont bouleversés à son contact et à la vue de l’Image. Ils sentent en cet homme une telle présence mystérieuse, vivante et bienfaisante, et un tel rayonnement, puissant et doux, émanant de la Vierge de l’Image, qu’ils se convertissent sans difficulté. Ces Indienslà voient que le Dieu de Juan Diego et de ceux des leurs devenus chrétiens est tout autre que leurs dieux assoiffés de sang humain. Ils voient que les missionnaires et les Espagnols qui aiment ce Dieu sont tout autres que les conquistadores assoiffés de pouvoir, d’or et d’argent. Un vent de conversion commence à souffler sur tout le Mexique. Pentecôte sur les Indiens L’humilité n’est-elle pas le terreau de la vocation et de la mission prophétique ? Quelle mission a Juan Diego ! Et le signe d’authenticité : cette Image, qui va provoquer comme un électrochoc spirituel parmi la population idolâtre. Elle est l’occasion d’une véritable effusion de l’Esprit Saint chez les Indiens, qui commencent à se convertir en masse et réclament le baptême pour entrer dans le Royaume de 56
Dieu. Cette Image leur permet de vivre une expérience de rencontre avec Dieu. Celui-ci avait dit à Moïse : « Voici le signe qui te montrera que c’est moi qui t’ai envoyé : quand tu feras sortir le peuple d’Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne » (Exode 3, 12). Juan Diego n’est-il pas comme un autre Moïse ? L’apparition miraculeuse de l’Image de Notre Dame n’est-elle pas le signe authentifiant qu’il est un prophète appelé et envoyé par Dieu ? L’Image provoque une effusion de l’Esprit Saint afin de faire sortir les Indiens de leur idolâtrie et de leur servitude pour adorer le Dieu unique et vrai et son envoyé Jésus Christ. En quelques mois, la nouvelle des apparitions, des messages et des miracles de Notre Dame se répand dans tout le pays. Les Indiens en viennent à renoncer à leurs idoles, à leur férocité, à leurs sacrifices humains, superstitions et polygamie. Lorsque les missionnaires viennent dans les villages, des familles entières accourent et demandent à être baptisées. Il
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arrive qu’un missionnaire baptise à lui seul plus de mille indigènes en un jour. L’événement de Guadalupe est le déclencheur d’une véritable Pentecôte continuelle sur le Mexique. Fait extraordinaire et unique dans toute l’histoire de l’Eglise : au cours des cinq ans qui suivent les apparitions, soit de 1532 à 1537, sept à huit millions d’Indiens, spontanément, demandent et reçoivent le baptême. « Passant ruisseaux et rivières, raconte le missionnaire historien Motolinia, exposés à beaucoup de peines et de périls, les enfants et les adultes, ceux qui étaient en santé et les malades, et même les vieillards décrépis, venaient de toutes les régions recevoir le baptême. Les uns demandent, les autres importunent, d’autres le demandent à genoux… en gémissant et suppliant : d’autres le demandent et le reçoivent en pleurant et poussant des soupirs… Je dis en vérité que les cinq ans que je passai dans le monastère de Quecholac, un autre prêtre et moi, nous en avons baptisé quatorze mille deux cents, faisant à tous l’onction d’huile et de Saint Chrême. » Tous renoncent de bon gré à leur polygamie : « Il est arrivé dans une mission que plus de mille couples contractèrent mariage en un jour. » Bien plus, toutes les classes de la société indienne sont touchées : « Le jour de Pâques 1540, dans le village de Tehuacan, on vit une chose mémorable : des Indiens et des seigneurs principaux de quarante provinces et villages vinrent assister aux offices de la Semaine sainte, et quelques-uns d’entre eux firent 58
jusqu’à cinquante et soixante lieues (deux cent vingt et deux cent soixante kilomètres), sans y être forcés ni appelés ; et parmi ceux-ci, il y en avait de douze régions et de douze langues différentes. Ceux qui viennent ainsi aux fêtes en amènent toujours beaucoup avec eux pour les baptiser, les marier et les confesser. » En 1541, neuf ans après les apparitions, le même historien franciscain écrit que neuf millions d’Indiens se sont convertis à la foi chrétienne. Cela revient à trois mille conversions par jour ; c’est le même nombre de convertis que le jour de la première Pentecôte. De son côté, Monseigneur de Zumárraga fonde l’université de Mexico, organise une imprimerie, institue à Tlatelolco le premier collège pour les Indiens. De concert avec l’intrépide Bartolomeo de las Casas, il mène une lutte acharnée contre la traite des Indiens et l’odieux esclavage dans lequel les conquistadores les tiennent. Il organise les paroisses, fait construire des églises, des écoles, visite les missions…
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L’Image Si l’on reconnaît en la Vierge de Guadalupe la Vierge de l’Apocalypse : « Un signe grandiose apparut au ciel : une femme, le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte… Elle reçut les deux ailes du grand aigle pour s’envoler au désert » (Apocalypse 12, 1-2.14), les Indiens, eux, voient dans l’Image quelque chose que les Espagnols ne peuvent comprendre. Ils écrivent avec des pictogrammes, sorte de petits dessins. Pour eux, l’Image est un grand pictogramme. Ils contemplent Marie affectueusement comme un enfant contemple sa mère. Juan Diego explique aux pèlerins tout ce que « dit » ce grand pictogramme. Les Indiens « lisent » : une très belle Dame, plus belle que les représentations hideuses de leurs faux dieux. Son portrait est vivant, l’expression de son visage, sublime, humble, tendre, douce et aimable. La vue de son visage fait fondre le cœur le plus endurci. Elle ressemble à une mestiza, mélange des races indienne et espagnole pour montrer qu’elle les unit dans l’égalité afin de former une nouvelle race. Elle est debout, devant le soleil, signe qui indique pour eux qu’elle est plus grande que le dieu-soleil Huitzilopochtli, qu’elle éclipse. Quant au croissant sous ses pieds, ils « lisent » que la déesse-lune Coyolxauhqui, dont les serpents qui la décorent expriment la cruauté et représentent le dieu-serpent 60
Quetzacoatl, est moins que rien, puisqu’elle est sous les pieds de la Dame. Entourée de nuages : ils « lisent » qu’elle n’est plus de ce monde et qu’elle est au paradis. Portée par un ange aux ailes d’aigle : ils pensent au symbole fondateur de leur empire, l’aigle qui tue le serpent. Sa tête légèrement inclinée en signe d’humilité et ses mains jointes en prière, montrent bien qu’elle n’est pas Dieu, mais qu’elle intercède pour eux auprès du seul vrai Dieu. Sa très belle tunique, semblable à la robe de gala d’une princesse aztèque, indique qu’elle est de race royale. Son manteau bleu étoilé révèle qu’elle vient du ciel. Il explique que l’enfant qu’elle porte est Jésus, Fils unique du Dieu créateur, qui a été sacrifié sur une croix pour sauver l’humanité du démon et de l’enfer ; et que les sacrifices humains n’ont pas de sens ; qu’il est ressuscité et qu’il a ouvert le paradis à tous les hommes, à qui il communique l’amour de Dieu par son Esprit. Il leur dit que Notre Dame est venue à Tepeyac comme Mère de tous, pour chasser la fausse déesse Tonantzin, et pour remplacer la religion aztèque par la vraie foi. Et il répète le message de Marie, toutes les paroles qu’elle a prononcées pour exprimer avec quelle tendresse elle aime les Indiens et tous les hommes. Les Indiens sont saisis par cette Image qui est beaucoup plus qu’un pictogramme. Cette dame est le signe de la présence de Marie et du Dieu vrai et bienfaisant à travers elle. Ils sont pris par l’amour, la beauté et la compassion qui rayonnent de cette Dame. Et les grâces de consolation et de soulagement tombent sur eux ! 62
Ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’une image si artistique ait pu être imprimée sur une telle matière : le tissu de la tilma est rugueux et ne se prête pas à la peinture. Pendant plus de cent ans, elle a été exposée à l’humidité, à la fumée des chandelles, à la dévotion de millions de lèvres qui l’embrassaient et de mains qui le touchaient ; de l’acide sur le tissu ne l’a pas endommagé, pas plus que l’explosion d’une bombe à son pied, alors que la déflagration fracassait tous les vitraux et tordait un grand crucifix de bronze devant elle. La tilma aurait pourtant dû se désintégrer au bout de vingt ans, alors qu’elle conserve miraculeusement son intégrité et sa fraîcheur aujourd’hui encore. De plus, aucun peintre n’a pu reproduire l’Image exactement comme elle est. L’un d’eux a découvert que trois couleurs suffisent, en les mélangeant, pour en réaliser la peinture : le rose des roses fraîches de Castille, le vert de leur feuillage et la sépia des branches où la sève est la plus abondante. Il est impossible de déterminer avec quoi elle a été peinte ; elle ne comporte aucun pigment, ni coup de pinceau, ni trace d’esquisse au crayon comme les autres peintures. L’Image est opaque lorsqu’on la regarde devant, elle devient transparente vue par derrière. Les couleurs sont brillantes, il n’y a pas moyen de détecter ce qui les cause, et il n’y a aucune couleur dans les fibres du tissu. Des experts en technique photographique déclarent que l’Image paraît comme une projection permanente d’une diapositive sur la tilma. Plusieurs ophtalmologistes, qui ont examiné les yeux de la Vierge avec les techniques modernes, y voient, comme dans des yeux 63
vivants, le reflet de plusieurs personnes, certainement Juan Diego et l’évêque et quelques serviteurs, qui se trouvaient là lors du prodige. L’Image sur le pauvre manteau de l’Indien est un miracle ininterrompu. « Dans tous les coins du pays, écrit un successeur de Monseigneur de Zumárraga, les foules affluent au sanctuaire, considérant comme un honneur de pouvoir regarder la sainte Image. Moi-même, quel n’est pas mon bonheur de pouvoir la contempler quand je veux… Pour rien au monde, je ne voudrais m’en éloigner… » Le pape Benoît XIV, en 1754, disait : « Pour aucune autre nation n’a-t-elle fait cela !ž» citant le psaume 147, 20. Pie XII, en 1945, proclamait Notre Dame de Guadalupe : « Reine du Mexique, Impératrice des Amériques ». Jean XXII l’appelait : « Missionnaire céleste du Nouveau Monde ». JeanPaul II : « L’Etoile de l’Evangélisation, Mère de l’Amérique ». « Quelle admirable Image ! dit d’elle le président Truman, des Etats-Unis. Comme elle impressionne, subjugue et enveloppe quelqu’un dans des effluves impossibles à décrire ! En l’admirant, j’ai compris la foi et la vénération qu’on lui porte. » « Je me sens attiré par cette Image de Notre Dame de Guadalupe, car son visage est plein de tendresse et de simplicité. Il m’appelle… », dit Jean Paul II.
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Dans les yeux de Marie Les descriptions de l’Image miraculeuse ont longtemps ignoré un détail que des techniques d’observation perfectionnées ont permis de découvrir il y a quelques années : la Vierge de Guadalupe a les yeux baissés, mais non fermés. En 1951, un dessinateur, Charles Salinas Chavez, observe à la loupe une photo de la Vierge. Soudain, alors qu’il observe la pupille de l’œil droit, il discerne la silhouette d’un buste d’homme. Il alerte les milieux scientifiques et un chirurgien. Le docteur en optométrie J. Wabling, de New York, avait donné cette interprétation : « Je crois qu’au moment où Juan Diego ouvrit sa tilma pour montrer à son évêque les fleurs que, sur l’ordre de l’Apparition, il avait cueillies sur le monticule Tepeyac, la Sainte Vierge était présente corporellement dans l’appartement de l’évêque, tout en demeurant invisible pour les personnes terrestres qui pouvaient être là. Au lieu de se laisser voir par ces gens, elle préféra laisser de sa présence passagère une indication durable, visible dans les siècles à venir. Elle voulut que l’impression miraculeuse accomplie sur la tilma de l’Indien soit le portrait exact d’elle-même, telle qu’elle était, là, à ce moment précis, regardant la scène, les personnes présentes étant réfléchies dans l’iris de ses yeux. De toute évidence Juan Diego et les autres personnes qu’on y voit ignoraient la présence de Marie dans l’appartement, car les deux figures identifiables regardent Juan Diego, et on peut assurer que celui-ci regarde vers l’évêque. » Le docteur Rafael Torija Lavoignet examinera l’Image originale à cinq reprises, entre juillet 1956 et mai 1958. Son rapport est éloquent : on retrouve dans l’œil de la Vierge l’image exacte, selon les lois 65
les plus récentes de l’optique, d’un homme barbu situé à quelque 35 à 40 cm, comme si les yeux de la Vierge avaient photographié la scène. D’ailleurs, sur nulle autre peinture de maître, examinée par Lavoignet et ultérieurement par le Dr Edwardo Turati Alway, on n’a pu retrouver la sensation de profondeur de l’image et de courbure de la superficie de la cornée que l’on observe sur la sainte Image. Celleci a une « vie » que nul autre peintre n’aurait pu rendre. L’image du buste, note le docteur Javier Torroella Bueno, présente elle aussi une déformation tout à fait conforme aux lois de la réflexion in vivo. Tout se passe comme si l’ayate de Juan Diego s’était comporté comme une plaque sensible et avait photographié la Vierge au moment où lui-même se reflétait dans les yeux de Marie. Un neurologue, le docteur Jorge Alvarez Loyo, a pu reconstituer la scène en photographiant deux personnages, qui jouaient le rôle de Juan Diego et de Marie. Une seule fois il a pu retrouver la position exacte de l’image reflétée dans les yeux de celle qui tenait la place de Marie : c’est lorsqu’il eut l’idée de faire un trou au centre de l’ayate et de prendre ainsi la photographie. Toutes les expériences tentées concourent à prouver que nul peintre n’aurait jamais pu respecter des lois d’optique identifiées trois siècles plus tard. Le phénomène de tridimensionnalité de l’image était tout à fait impossible à rendre à l’époque de l’Apparition, même par le peintre le plus ingénieux. Le docteur Lavoignet précise, dans son compte rendu : « J’ai utilisé un ophtalmoscope muni d’une lentille lumineuse et d’une lentille grossissante, qui 66
me permit une perception plus parfaite des détails. Après avoir effectué cinq examens, je certifie : – qu’on observe à l’œil nu le reflet d’un buste humain dans l’œil droit de l’image originale ; – que le reflet de ce buste humain se trouve situé dans la cornée… ; – qu’en plus du buste humain, on observe dans ledit œil deux reflets lumineux qui, avec le reflet du buste humain, correspondent aux trois images de Sanson-Purkinjie (lesdites images sont au nombre 67
de trois : la première produite sur la face antérieure de la cornée, la seconde sur la superficie antérieure du cristallin, et la troisième sur sa superficie postérieure. Si on place une bougie allumée devant un œil, à l’état normal, on perçoit à l’intérieur de l’œil trois petites images de la lurnière : deux sont droites et suivent le sens du mouvement que l’on imprime à la bougie, la troisième est renversée et va en sens inverse de cette bougie) ; – que ces reflets lumineux deviennent brillants en reflétant la lumière qu’on leur envoie directement ; – qu’en dirigeant une source lumineuse sur l’œil, fait remarquable, l’iris devient brillant, se remplissant de lumière, et les reflets lumineux contrastent avec une plus grande clarté, phénomène qui est perceptible à l’œil nu par l’observateur ; – que les reflets lumineux mentionnés démontrent qu’effectivement le buste humain est une image réfléchie dans la cornée, et non une illusion d’optique causée par un accident quelconque de la contexture de l’ayate ; – que dans la cornée de l’œil gauche de l’image originale, on perçoit avec une clarté suffisante le reflet correspondant du buste humain… » L’archiprêtre Aguilar terminait le communiqué du docteur Wahling par cette note : « Pour ma part, j’émets l’opinion que cette co-approbation scientifique, fruit de sérieuses études et d’un mûr examen de la question par des personnes compétentes, corroborera les paroles transcendantes de sa sainteté le pape Pie XII, disant : Des pinceaux qui ne sont pas de ce monde ont peint une image des plus suaves, que les éléments corrosifs du temps allaient laisser intacte. »
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Dernier rendez-vous Juan Diego, grâce à l’Image, a ainsi l’occasion de transmettre un catéchisme vivant aux Indiens. En 1533, les Aztèques de son village de Cuautitlan construisent une nouvelle pièce jouxtant l’ermitage où il vivra jusqu’à sa mort. En 1544, l’oncle Juan Bernardino, après avoir bénéficié de sa guérison miraculeuse pendant treize ans, meurt à quatre-vingt-quatre ans au Tepeyac. Au mois de mai 1547, on apprend à Juan Diego que Cortés, qui, rentré à Séville en 1540, avait fait peindre la Vierge de Guadalupe sur sa bannière, venait de mourir en invoquant Notre-Dame de Guadalupe dans sa dernière parole. Ce qui l’édifie et le console. Au cours de l’été 1548, on se dit l’un à l’autre, autour de Tepeyac, que la Vierge est apparue de nouveau à son messager pour l’avertir que sa fin approche. Le 8 décembre, la même rumeur circule. Le lendemain, dix-sept ans, jour pour jour, après sa première rencontre avec la Vierge, Juan Diego s’éteint paisiblement dans son modeste ermitage de Tepeyac. La Vierge Marie vint certainement le rencontrer de nouveau et lui dit avec toute sa douceur : « Mon fils, Juan Diego, que j’aime tendrement comme un enfant petit et délicat… Sois assuré que je récompenserai ton travail et ta diligence… et que j’étendrai ta renommée… » Juan Diego avait septante-quatre ans.
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Ses funérailles prirent l’allure d’une cérémonie d’action de grâces. On enterra son corps tout à côté de l’ermitage. Trois jours après, le 12 décembre 1548, dix-sept ans, jour pour jour également, après le miracle des roses et de l’apparition de l’Image, Monseigneur de Zumárraga, dont le sort avait été si intimement et mystérieusement lié à celui de Juan Diego, s’envolait à son tour pour le Ciel. Il avait quatre-vingts ans. Le 6 mai 1990, Jean-Paul II a béatifié Juan Diego au sanctuaire de Guadalupe. A cette occasion, il dit : « La Vierge l’a choisi parmi les plus humbles pour recevoir cette aimable et gracieuse manifestation que fut l’apparition de Notre Dame de Guadalupe. Son visage maternel sur sa sainte Image, qu’elle nous laissa comme cadeau, est un souvenir permanent de cela. » En 2002, Juan Diego est canonisé. La Vierge poursuit la mission qu’elle a entreprise en 1531… Des millions de pèlerins viennent voir son Image, la Femme vêtue du soleil. C’est le pèlerinage le plus important au monde. Des copies exactes de la tilma originale circulent aujourd’hui dans le monde. De nombreuses conversions et guérisons ainsi que des miracles se produisent sur son passage. Par exemple, à Louisville, aux Etats-Unis, une petite fille de trois ans en phase terminale du cancer est guérie instantanément devant l’Image. Un garçon autiste de quatre ans, qui n’avait jamais prononcé un seul mot, se met à dire : « Marie, je t’aime » en touchant l’Image. Depuis, il parle.
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Un jeune garçon qui pêchait à la ligne prit l’hameçon dans l’œil. L’ophtalmologue dit qu’il ne pouvait rien faire et que l’œil était perdu. La mère pria Notre Dame de Guadalupe et Juan Diego de venir au secours de son enfant qu’elle conduisit à un second ophtalmologue. Il examina l’œil et vit qu’une opération l’avait refait parfaitement et qu’il n’était pas besoin de l’opérer. Les examens successifs l’attestent. Le 3 mai 1990, un jeune homme de vingt-trois ans se jeta dans le vide depuis le deuxième étage. « Juan Diego, sauve mon fils unique », supplia la mère. Le jeune homme fut transporté inanimé à l’hôpital. On constata qu’il avait le crâne fracturé et des os rompus à la colonne vertébrale. La mort ou la paralysie l’attendait. Trois jours après (le jour de la béatification), il était inexplicablement rétabli. Ces miracles sont retenus pour la canonisation. Des paralysés se lèvent définitivement de leurs fauteuils, des alcooliques sont guéris, des sceptiques expérimentent physiquement la réalité de l’amour de Marie… Elle fait fondre les cœurs endurcis. Par son Amour, elle les guide vers Jésus et vers son Père et notre Père. Grâce à son humble messager, Juan Diego, Marie continue de dire : « Comme une mère remplie d’amour et de compassion, je montrerai ma douce miséricorde et mon aide envers tous ceux qui m’aiment, m’invoquent et ont confiance en moi. J’entendrai les pleurs et les supplications de tous ceux qui demanderont ma protection et m’invoqueront dans leurs peines et leurs détresses, et je les consolerai et les soulagerai. » Et elle l’accomplit.
Repères chronologiques 1474 : Naissance de Cuauhtlatoazin (Juan Diego) 1487 : 80 000 sacrifices humains à Mexico 1492 : Christophe Colomb débarque à San Salvador 1519 : Cortés débarque au Mexique 1521 : Mexico tombe sous Cortés, siège de 75 jours 1524 : 12 franciscains arrivent à Mexico 1525 : Baptême de Juan Diego et de son épouse 1528 : Arrivée de Mgr Juan de Zumárraga 1529 : Décès de Maria Lucia, épouse de Juan Diego 1530 : Charles Quint interdit l’esclavage 1531 : Du 9 au 12 décembre, 5 apparitions de la Vierge Noël : transfert de l’Image à l’ermitage 1531-1541 : 9 millions d’Aztèques sont convertis 1544 : Décès de l’oncle Juan Bernardino 1547 : Décès de Cortés, à Séville 1548 : Relation écrite des apparitions en nahuatl 1548 : 9 décembre, décès de Juan Diego (74 ans). 12 décembre, décès de Mgr de Zumárraga 1990 : 6 mai, béatification de Juan Diego 2002 : juillet, canonisation de Juan Diego
Bibliographie • Mgr C.E. ROY, La Vierge de Guadalupe, Impératrice des Amériques, Fides, Montréal, 1956. • Marie, revue du Centre marial canadien, juin 1954. • D.J. LYNCH, Notre Dame de Guadalupe et son image missionnaire, Centre de langues ACF, Belœil, Canada, 1993. • Les Aztèques, « Grandes civilisations du passé », Time Life, Amsterdam, 1992.
En neuf ans, neuf millions d’Indiens du Mexique se convertissent à la foi chrétienne, alors qu’ils adoraient quantité de dieux et pratiquaient d’innombrables sacrifices humains. Pourquoi un tel mouvement de conversion ? En décembre 1531, une « Dame du Ciel » apparaissait à un pauvre Indien de cinquante-sept ans, baptisé depuis six ans. Elle se présenta comme la Mère du vrai Dieu, miséricordieuse, et demanda que l’évêque fasse construire une église sur le lieu ; elle laissa une Image d’elle-même imprimée miraculeusement sur le manteau de son messager. Ce fut l’occasion d’une véritable Pentecôte sur les Indiens. Juan Diego était un Aztèque de la plus basse classe, connu comme un homme religieux et très dévoué, même avant sa conversion. Jusqu’à sa mort, à septante-quatre ans, il fut le gardien de l’Image, le prophète et le témoin des bontés de Dieu auprès de milliers d’Indiens. Marie disait de lui : « Le plus humble de mes fils… mon ambassadeur… le plus digne de ma confiance… J’étendrai ta renommée. »
Sur la route des saints, une lecture spirituelle qui redonne le goût de Dieu. Sur la route des saints, une lumière dans la nuit de notre foi.
isbn 2-87356-217-X Prix TTC : 3,45 €
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