Des laïcs au service de l'Evangile

Page 1

Alphonse Borras - Benoît Malvaux

Des laïcs au service de l’Évangile

fidélité



Alphonse Borras - Benoît Malvaux, s.j.

Des laïcs au service de l’Évangile Le défi des nouveaux ministères

fidélité


Ce texte a paru pour la première fois dans la revue PRO-JET du diocèse de Liège en 2000 (no 10) sous le titre Nouveaux ministères. Il a été remanié par les auteurs pour la présente édition.

© Éditions Fidélité • 7, rue Blondeau • 5000 Namur info@fidelite.be Dépôt légal : D/2002/4323/06 ISBN : 2-87356-226-9 Photo de couverture : Charles Delhez, s.j.


Introduction

Il est désormais bien loin, le temps où monsieur le curé avait tout à dire dans la paroisse et où l’Église était spontanément identifiée au seul clergé. Aujourd’hui, des laïcs exercent des responsabilités dans tous les domaines de la vie ecclésiale (catéchèse, pastorale des jeunes, aumôneries d’hôpitaux, animation liturgique…). Ils sont ainsi amenés à se dépenser au service de l’Évangile et à collaborer de ce fait avec prêtres et diacres, dans un difficile mais passionnant apprentissage du « travailler ensemble ». Une telle évolution est sans doute un des plus beaux fruits du concile Vatican II. Ce dernier concile a en effet remis en évidence cette vérité traditionnelle, mais quelque peu oubliée au cours des siècles, selon laquelle tout le peuple de Dieu est concerné par la vie de l’Église et le témoignage de la Bonne Nouvelle au cœur de ce monde. Chaque chrétien, en vertu de son baptême, est appelé à participer à la mission ecclésiale. Dans l’Église, les fonctions sont variées, mais chacun à son rôle à jouer, au service de l’annonce de l’Évangile et de l’accueil du Royaume de Dieu au cœur de l’histoire des hommes. Au sein de cette mission commune, certains baptisés reçoivent cependant une responsabilité particulière, qu’on a coutume d’appeler un « ministère ». Ici encore, Vatican II a bouleversé la manière traditionnelle de voir les choses, en invitant les pasteurs à « reconnaître et promouvoir la responsabilité des laïcs, leur remettant avec confiance des charges au service de l’Église » (Lumen Gen-

3


tium, no 37). Les ministères ecclésiaux ne sont donc plus l’apanage

des prêtres, comme ils ont pu l’être autrefois. Pour que l’Église vive et réalise sa mission de servir l’Évangile au cœur de ce monde, il importe qu’en elle, certains acceptent de servir pour la disposer à sa mission. Il faut que quelques-uns acceptent d’être appelés et envoyés pour assurer en son sein des « ministères ». L’Église, en effet, n’a de sens qu’au cœur de l’histoire des hommes pour y témoigner de l’amour infini de Dieu pour tout être humain : servir la communauté ecclésiale pour qu’elle soit ce qu’elle doit être, témoin de l’amour de Dieu, n’estce pas servir sa mission ? Les ministères dans leur diversité n’ont de sens que pour appuyer, soutenir et promouvoir le témoignage de tous les baptisés au cœur de ce monde. Quelquesuns se voient confier le service de tous pour qu’ensemble tous les baptisés, ministres y compris, attestent l’alliance de Dieu avec notre humanité et l’espérance qu’elle engendre pour la vie du monde. Des baptisés ayant les qualités requises sont donc appelés aujourd’hui à exercer des tâches indispensables à l’annonce de l’Évangile, à l’édification de la communauté et à la réalisation de sa mission. Les prêtres ne sont plus les seuls à être appelés pour assumer un « ministère ». Avec eux, d’autres baptisés reçoivent également des « ministères ». Cette évolution laisse cependant un certain nombre de questions ouvertes. Tout service d’Église peutil être qualifié de « ministère » ? Quelles sont les conditions requises pour pouvoir exercer de telles charges et responsabilités ? Dans quel esprit les exercer ? Sont-elles vraiment toutes accessibles aux laïcs ? Quelle est alors la spécificité du ministère des prêtres ? Comment favoriser une collaboration fructueuse entre les uns et les autres ? Autant de défis lancés à l’Église d’aujourd’hui, en recherche d’un véritable partenariat entre les baptisés.

4


Cette brochure entend modestement apporter sa contribution dans ce débat. Par expérience pastorale autant que par conviction théologique, les auteurs croient aux chances d’une Église « pluri-ministérielle ». Après avoir d’abord été éditée dans le cadre d’une réflexion diocésaine sur les « laïcs en charge ecclésiale », cette brochure fait l’objet à présent d’une réédition qui la met ainsi à la disposition d’un public plus large… en Europe et en Amérique du Nord. Certes, cette brochure ne prétend pas traiter du sujet de manière exhaustive. Plutôt que de fournir des réponses définitives ou des recettes miracles, elle se propose simplement de donner des points de repère, de nourrir une réflexion dans les communautés et d’encourager la mise en œuvre de différents ministères. Les auteurs espèrent ainsi contribuer à ce que chacun, au sein du peuple de Dieu, ait sa place au service de l’annonce de l’Évangile au cœur du monde d’aujourd’hui.


1 Aujourd’hui comme jadis…

Caroline, 37 ans, épouse et mère de famille, exerce sa profession d’infirmière à mi-temps. Depuis sept ans, elle anime l’équipe de préparation à la confirmation. Avec cinq autres personnes du secteur pastoral, elle chemine ainsi, d’année en année, avec une trentaine de jeunes curieux de Jésus Christ. Sa passion : avec d’autres et en lien avec les communautés locales du secteur, témoigner de l’Évangile. Joseph surnommé Barnabé (ce qui signifie « l’homme du réconfort »), originaire de Chypre, rejoint la première communauté de disciples de Jésus à Antioche — c’est d’ailleurs là qu’on a commencé à les qualifier de « chrétiens » (cf. Ac 11, 26). Avant sa conversion, il était « lévite ». Il a quitté cette charge pour se mettre tout entier au service de l’Évangile. Saint Luc nous apprend que Barnabé était un grand croyant, tellement ouvert à l’action de l’Esprit Saint qu’il s’engage à fond dans l’annonce de la Bonne Nouvelle aux gens de culture grecque, non issus du judaïsme — les « païens » disait-on. Il entraînera Paul de Tarse dans l’aventure missionnaire. Alexis, 19 ans, vient de finir sa première année de graduat en mécanique automobile. Il a accepté d’assumer la charge d’un groupe du MEJ (Mouvement Eucharistique des Jeunes) à la suite du décès accidentel de Gwenaëlle. C’est vrai qu’il a fallu insister :

6


à côté de ses études, du judo, de ses copains et de sa petite amie, cette charge constitue un engagement assez prenant qu’il a accepté sachant que ce service l’aidera aussi à suivre Jésus et à partager son bonheur d’être chrétien. Junia, épouse d’Andronicus, que saint Paul qualifie « d’apôtre éminente » (Rm 16, 7), était une chrétienne de la première génération dans la capitale de l’Empire. Elle a pris part à différentes missions pour répandre la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui, en Jésus Christ, offre son amour à tout être humain. Son zèle missionnaire lui a d’ailleurs valu la prison… C’est parfois le prix à payer quand on s’attache à Jésus Christ et qu’on se met au service de la communauté chrétienne. Robert, 46 ans, père de famille, est éducateur spécialisé. L’évêque l’a appelé à devenir diacre : le diocèse a en effet besoin de quelqu’un susceptible de rassembler des travailleurs sociaux de différentes catégories pour réfléchir avec eux sur la précarité économique et l’exclusion sociale et répercuter leurs questions et interpellations auprès des catholiques et communautés du diocèse. En l’ordonnant au diaconat, l’évêque lui confie la mission de rappeler le Christ Serviteur dans toute sa vie et de susciter, comme par un effet d’entraînement, une plus grande attention aux exclus. L’Évangile n’est-il pas bonne nouvelle pour tous, et d’abord pour les pauvres ? Jacques, le « frère du Seigneur », c’est-à-dire sans doute un de ses proches, est le chef de la première communauté à Jérusalem. Comme d’autres disciples de la première heure, il s’implique dans l’animation de cette communauté au point qu’on parle de lui comme d’une « colonne ». Il anime avec zèle et en lien avec les Douze, dont Pierre, qui lui rappellent, à lui et à ses frères et sœurs, l’enracinement de sa foi dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Exécuté en 62, il mourra pour l’Évangile.

7


Chantal, 54 ans, mère de famille, est veuve depuis trois ans. Licenciée en sciences religieuses, elle a poursuivi sa formation en liturgie et, de ce fait, est devenue la cheville ouvrière de l’équipe liturgique de sa paroisse. L’année dernière, l’évêque l’a envoyée comme animatrice dans une région du diocèse comprenant cinq « paroisses nouvelles » (trente-quatre communautés locales). Elle a en charge la formation des membres des équipes liturgiques. Elle sait par expérience qu’une bonne pratique liturgique aide les communautés à prendre corps, à vivre de Jésus Christ et de son Esprit. Aquilas et Priscille, mari et femme, vinrent d’Italie à Corinthe où, à l’arrivée de saint Paul, ils participèrent avec lui à l’animation de la communauté naissante. Leur métier — la fabrication de tentes — ne les empêcha pas de collaborer avec Paul à l’annonce de l’Évangile, à Corinthe d’abord, puis à Éphèse et enfin à Rome. Dans cette ville, ils accueillaient chez eux les chrétiens pour la prière. Leur service de l’Évangile et leur zèle de la mission, au point de risquer leur vie pour protéger Paul, les rendront très populaires dans les communautés comprenant des chrétiens issus du paganisme. Ceux-ci avaient saisi tout de suite la nécessité et le bienfait de leur ministère. Jean-Victor, contremaître à la retraite, a accepté depuis peu l’invitation qui lui a été faite par l’équipe des visiteurs de malades de les rejoindre pour assurer avec eux ce service de consolation et de prière auprès des personnes souffrantes et isolées de l’unité pastorale (une « nouvelle paroisse » en devenir avec quatre clochers !). Ses qualités de tact et de délicatesse, la profondeur de sa vie chrétienne et son aisance à prier avec les malades font de Jean-Victor, déjà connu du voisinage pour toutes ces raisons, un précieux collaborateur de la pastorale des malades. Désormais, c’est d’une manière plus « officielle », que la paroisse l’envoie au service de l’Évangile.

8


Phœbé appartient à la communauté chrétienne de Cenchrées, le port oriental de Corinthe. Elle est d’un milieu social très aisé. Sans doute est-ce pour cela que, mesurant les exigences de l’Évangile, elle n’a pas hésité à se mettre au service des pauvres et des démunis. Paul la salue même comme « sa protectrice ». Phœbé est qualifiée de « diaconesse » : il y a des raisons de croire qu’elle exerçait un ministère au sein de la communauté en faveur des pauvres leur prodiguant certes une aide matérielle et surtout le bien le plus précieux : la découverte de Jésus Christ. Karl, 30 ans, actuellement célibataire, a quitté son métier d’éducateur pour accepter, à la demande de son curé-doyen, un poste « d’assistant paroissial ». Il ne s’occupe pas des services déjà existants comme la catéchèse, la visite des malades, la liturgie, l’entraide et la solidarité ou la liturgie. Il est, avec d’autres, responsable du « Seuil », un groupe où des jeunes de 18 à 35 ans se rencontrent pour partager leurs questions, leurs inquiétudes, leurs raisons d’espérer et faire un bout de chemin sur la route de l’Évangile. Ces personnages d’hier et d’aujourd’hui ont en commun d’avoir été appelés à servir l’Église et porter l’Évangile. Certes, aux personnages de l’Église naissante mentionnés à l’instant, il aurait fallu ajouter des plus connus : le groupe des Douze, notamment Pierre, l’apôtre Paul et ses collaborateurs, mais aussi les apôtres itinérants, les évangélistes-enseignants, les maîtres et docteurs, les guides ou les pasteurs, les anciens, les épiscopessurveillants, les « diacres », etc. Pareillement de nos jours, outre l’évêque qui préside à une Église locale (ou « diocèse ») et l’ensemble des évêques, le pape y compris, on pourrait mentionner les curés et les vicaires (qui se font rares) ainsi que les différents agents pastoraux en paroisse, dans des services diocésains, dans les mouvements, etc., sans oublier les innombrables personnes impliquées dans la catéchèse, la pastorale du baptême, la préparation au mariage, etc.

9


La passion de l’Évangile est en effet portée par une multitude de personnes. Jadis comme aujourd’hui. Il est heureux qu’il en soit ainsi. C’est notre conviction. C’est aussi notre espoir pour demain.


2 Au service de l’Église et de sa mission

Le service de l’Évangile à l’époque du Nouveau Testament Ces exemples sont des illustrations de la variété de services, de « ministères », utiles et indispensables pour annoncer l’Évangile jadis comme aujourd’hui. Cette diversité s’est d’ailleurs manifestée dès les origines de l’Église. On sait que, dès la mission de Jésus en Galilée, celui-ci se choisit parmi les disciples les « Douze ». Un peu comme une parabole vivante de ce que Jésus était en train d’opérer, les Douze signifiaient par leur nombre même cette convocation de Dieu adressée d’abord à tout Israël (les douze tribus). Après sa mort et sa résurrection, les Douze seront ses témoins et, en même temps, les garants de la continuité entre le message de Jésus et la prédication de l’Église. Ils sont comme une « charnière » entre l’accomplissement des promesses en Jésus Christ et l’annonce de celles-ci par l’Église en attendant son retour. Au sein du groupe des Douze, Pierre aura un rôle singulier lié à l’origine de la foi en la Résurrection, celui de confirmer, c’est-à-dire de rendre ferme, de consolider ce don de la foi. Dans les communautés de la première génération chrétienne — disons entre 30 et 65 ap. J.-C. environ — il y avait, outre le groupe des Douze, un ministère itinérant au service des com-

11


munautés naissantes. Il s’est d’abord exercé dans les communautés issues du judaïsme, puis au sein des communautés avec des membres provenant du paganisme. Ce ministère itinérant était accompli par des « apôtres », c’est-à-dire des envoyés, pèlerins de communauté en communauté pour y annoncer Jésus ressuscité. Dans bien des cas, ces missionnaires fondaient les communautés et les consolidaient par leur prédication et les mettaient en lien les unes avec les autres. Dès que la foi en Jésus était bien implantée dans les communautés, ces apôtres itinérants repartaient sur les routes pour des missions nouvelles. La figure type de l’apôtre est sans conteste saint Paul. Conjointement au ministère itinérant des apôtres au sein des communautés établies par eux dans la confession du Christ Sauveur surgira le ministère des « prophètes », des « docteurs » ou des « maîtres ». Au-delà des appellations différentes, ces ministres ont en commun la prédication de l’Évangile (la « Parole annoncée ») et l’exhortation au témoignage évangélique (la « Parole vécue »). Autrement dit, ils prêchent et enseignent, mais sans être itinérants comme les apôtres. Ils contribuent ainsi à l’approfondissement de la foi chez les fidèles et à leur enracinement ecclésial comme témoins de Jésus Christ. Le Nouveau Testament nous apprend aussi l’existence de chefs ou d’animateurs de communautés. C’est surtout dans les lettres de Paul que l’on découvre ce ministère de direction de l’ensemble de la communauté. Dans les communautés issues du judaïsme, des « anciens » (des « presbytres ») assurent ainsi la direction collégiale de l’Église locale. Dans les communautés issues du paganisme, ce sera plutôt des « surveillants » (des « épiscopes ») ou des « serviteurs » (des « diacres » dont leurs homologues actuels n’ont en commun que le nom) qui seront préposés à la direction de la communauté. Quel que soit le modèle de direction, ce qui frappe dans les

12


communautés, surtout fondées par Paul, c’est la diversité des tâches assumées par une variété de ministres auxquels l’Église locale reconnaît le charisme approprié, c’est-à-dire le don de l’Esprit donné à chacun pour le bien de tous : animateurs de la prière libre, sages pour discerner l’action de l’Esprit, catéchètes, accompagnateurs spirituels, etc. (1 Co 12, 4-11 ; Rm 12, 3-8). Ce qui est plus frappant encore, c’est que les chrétiens, quel que soit leur engagement dans la communauté, reconnaissent partager la même vie divine depuis qu’ils ont été plongés dans la mort et la résurrection du Christ. Ils se découvrent avec émerveillement comme enfants d’un même Père dans le Christ et par l’Esprit en même temps qu’ils se reconnaissent frères et sœurs les uns des autres. La communauté ecclésiale est vécue comme une fraternité. C’est pour qu’elle le devienne vraiment et qu’elle soit signe de la fraternité à laquelle Dieu appelle toute l’humanité, qu’il existe une variété de services, un éventail de ministères pour annoncer l’Évangile, l’accueillir dans la foi et en témoigner avec fidélité. Les services et ministères contribuent en effet à faire Église et à réaliser la mission confiée par le Christ, à savoir annoncer la Bonne Nouvelle de l’alliance de Dieu avec notre humanité, scellée dans sa pâque et communiquée par son Esprit. Du vivant des Douze, la fidélité au message de Jésus et la continuité du témoignage évangélique s’effectueront en référence à leur autorité « apostolique ». A la deuxième génération chrétienne, l’exigence de durer dans la foi et de tenir ferme dans l’espérance se fera plus vive d’autant que l’attente d’un retour prochain du Christ est différée dans le temps. L’épreuve du temps impose une attention au « dépôt de la foi » et une vigilance accrue de la cohésion des communautés menacées par les divisions. La référence à l’autorité des apôtres désormais disparus se fera par un rite d’investiture des responsables de communautés (presbytres ou épiscopes, principalement) : l’imposition des mains par laquelle un don de l’Esprit — grâce ou charisme — est invoqué et accueilli pour accomplir le ministère.

13


Dans le courant de la première moitié du deuxième siècle va se généraliser un modèle de direction pastorale exercé par l’épiscope entouré du Conseil des presbytres et assisté des diacres. Cela donnera lieu à l’épiscopat, au presbytérat et au diaconat. Au fil des siècles, l’Église comprendra ces trois ministères en référence à l’autorité apostolique. A l’instar des Douze, les chefs des Églises locales, en l’occurrence les évêques, comprendront en effet leur charge comme un témoignage de la foi « apostolique », mettant à leur tour en lien la foi de leur communauté avec la foi tenue par les « apôtres » et celle de toute l’Église. Dans cette perspective, les évêques sont également des « charnières » entre leur Église locale et les autres Églises, portant à la fois l’inquiétude de l’universel au cœur de leur diocèse et le souci de la diversité catholique au sein de la communion de toute l’Église. Outre la concession de la grâce pour la mission confiée, un des effets du rite d’investiture de l’ordination sera précisément de faire entrer dans un ordre. Chacun de ces ministères s’exercera en effet en référence à un « ordre », c’est-à-dire à un collectif ou à un corps assumant solidairement la charge en question : l’ordre des diacres, celui des presbytres ou des prêtres dans un « presbyterium » dont l’évêque local est la tête et enfin l’ordre épiscopal où les évêques forment un « collège » — au sein duquel se dégagera peu à peu la figure de l’évêque de Rome, ministre de l’unité. Autrement dit, le ministère, fût-il épiscopal, ne se réduit pas à une prérogative strictement personnelle : il est tout autant une réalité collective dont la solidarité des membres montre bien qu’il s’agit d’une tâche qui dépasse les capacités d’un seul individu. En outre, cette perspective collégiale prévient toute tentation de monopoliser un ministère. Un individu ne peut prétendre épuiser à lui seul toute la charge de l’épiscopat, du diaconat ou du presbytérat. Remarquons enfin que, durant les premiers siècles, ces ministères « ordonnés » n’absorberont cepen-

14


dant pas les autres services utiles et indispensables à la prédication de l’Évangile, à l’animation de la communauté et à l’accomplissement de sa mission.

Du monopole sacerdotal à la diversité ministérielle Pendant plusieurs siècles, bien que selon des modalités différentes, les Églises locales auront en effet à leur disposition un éventail de services et ministères nécessaires pour édifier les communautés, les enraciner dans la foi et accompagner les chrétiens dans leur témoignage évangélique. Cependant, dès le IVe siècle et sous l’effet de plusieurs facteurs, on assistera à une « professionnalisation » de l’engagement en Église et à une sorte « d’emboîtement » des ministères. Le service de l’Église va devenir peu à peu le monopole de ceux qui s’engagent dans la « carrière » ecclésiastique — les « clercs ». Cet établissement progressif d’un clergé avec ses degrés successifs aura pour conséquence de créer une Église à deux classes, les actifs (les « clercs ») et les passifs (les « laïcs »). Par ailleurs, cette carrière culminera dans l’étape décisive sinon ultime du « sacerdoce » des prêtres avec le ministère de l’autel et plus précisément la présidence de l’eucharistie. Cette évolution débouchera sur une cléricalisation de ministères, le ministère sacerdotal étant devenu le ministère par excellence. Au fil des siècles, surtout à la fin du Moyen Age, il en résultera une telle abondance de prêtres que ceux-ci en viendront à absorber complètement les charges et les tâches autrefois assumées par d’autres ministres. Le commun des mortels ne concevra plus d’autres services de l’Église que le « sacerdoce » assuré par les prêtres. Celui-ci jouira d’un véritable monopole ministériel. Cette situation se perpétuera jusqu’au début de la seconde moitié du XXe siècle. C’est à la faveur du renouveau ecclésial dû au concile Vatican II que la vocation baptismale a été remise en valeur et que

15


les baptisés ont mieux pris conscience de leur participation à la mission de l’Église. Les uns avec les autres, ils ont à discerner les dons que l’Esprit leur inspire pour le service de l’Évangile. A la suite du Christ, il leur revient de mettre à profit ces dons — ces charismes, dirait saint Paul — pour annoncer en paroles et en actes la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu (fonction prophétique), faire de leur vie un don inscrit dans l’offrande du Christ qui donne sa vie pour tous les êtres humains (fonction sacerdotale) et orienter l’histoire de l’humanité dans la dynamique du Royaume de Dieu (fonction royale). La redécouverte de la dignité des baptisés a ainsi ouvert la voie à une mise en valeur de leurs charismes propres, à savoir des dons de l’Esprit offerts à chacun pour le bien de tous en vue de l’édification de la communauté ecclésiale et de la réalisation de sa mission évangélique. C’est par ce biais de la merveilleuse variété des charismes des baptisés que l’on a vu ces dernières décennies différents services et ministères être assumés par des fidèles laïcs. Au monopole sacerdotal de ces derniers siècles a succédé une situation nouvelle qui renoue avec la pratique ecclésiale des premiers siècles, à savoir la diversité des services et des ministères.

De la nostalgie du passé à l’accueil du présent La situation présente des Églises locales en Occident donne cependant lieu à des appréciations négatives et pessimistes : le monde va mal, dit-on, il vit sans Dieu ; la société est malade de sa recherche de biens matériels et de plaisirs superficiels ; la sécularisation, c’est-à-dire le désenchantement du monde, amène à vivre et à organiser la vie sociale, culturelle et politique sans référence au sacré, à Dieu, etc. Dans cette perspective, on pointe le faible recrutement « sacerdotal » comme conséquence de cette crise de l’Église, mais une conséquence qui, à son tour, accentue la déchristianisation et la sécularisation.

16


On en arrive ainsi à insister de manière excessive sur la nécessité de « prêtres » : on en a besoin pour l’évangélisation, l’affirmation de l’identité chrétienne, la résolution de la crise de l’Église, etc. Face au manque de prêtres, notamment de curés résidant dans chaque paroisse, il n’est pas rare d’entendre chez certains chrétiens la fameuse phrase du saint curé d’Ars : « Laissez une paroisse sans prêtre pendant vingt ans, on y adorera les bêtes. » Mais une telle surestimation des prêtres s’accompagne immanquablement d’une disqualification des autres baptisés. Cette majoration du rôle des prêtres n’est certes pas toujours consciente. Elle a cependant comme effet une insuffisante attention aux signes de vitalité des communautés ecclésiales. Il y a en effet une autre lecture possible des choses pour peu que l’on change de… lunettes, mais aussi de point de comparaison. La réaction décrite à l’instant consiste en réalité à juger le présent à partir d’une situation qui n’existe plus. Or, le monde a changé : sous l’effet de différents facteurs étalés dans le temps — facteurs à la fois d’ordre culturel, économique, social et politique —, notre société occidentale ne repose plus sur une vision sacrée de l’univers et la religion n’y joue plus le rôle de ciment social. La société de jadis se caractérisait par une valorisation de la tradition, une stabilité de la vie sociale, une insistance sur l’autorité selon un modèle autocratique ou monarchique ainsi qu’une concentration des savoirs dans les mains des élites, notamment des clercs. Dans cette société cimentée par l’adhésion à une même religion, ces circonstances favorisaient le pouvoir social du clergé d’autant que les prêtres étaient devenus les sujets actifs, les acteurs principaux de la vie ecclésiale. Aujourd’hui en revanche, nous vivons dans une société où l’instruction est généralisée et où l’ouverture à d’autres cultures et le pluralisme des croyances et des convictions sont des réalités. L’individu y a une place centrale sans toujours avoir une emprise effective sur la société et les citoyens revendiquent plus

17


d’initiative sans toujours aboutir à la réalisation de leurs aspirations légitimes. Dans une société culturellement et politiquement démocratique, la participation des gens est une requête, certes pas nécessairement satisfaite, mais toujours pressante. Elle est rencontrée par la conviction, sinon l’expérience que l’Église est (ou devrait être) une fraternité, qu’elle a beaucoup à apprendre du monde d’aujourd’hui mais qu’elle a aussi beaucoup à lui apporter. Bien des chrétiens pressentent les chances de la modernité sans négliger cependant ses limites et ses dangers. Leur adhésion confiante à Jésus Christ leur fait comprendre que c’est dans la société actuelle, et non pas dans celle d’hier, qu’ils doivent annoncer la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu. Pour bon nombre de catholiques, dont nous sommes, changer de lunettes, c’est aussi reconnaître avec joie la vocation chrétienne : par la mort et la résurrection du Christ et le don de l’Esprit, Dieu invite chaque baptisé à entrer à la suite de Jésus dans la dynamique pascale d’une existence offerte à autrui et à Dieu et inspirée par son souffle d’amour : mourir pour vivre, perdre sa vie pour la trouver, naître et renaître au souffle de l’Esprit. La redécouverte de leur vocation de baptisés les conduit souvent à se dévouer dans leur communauté, à s’impliquer dans leur paroisse, à s’engager dans des domaines comme la catéchèse, l’animation liturgique, l’entraide et la solidarité avec les pauvres d’ici et d’ailleurs, l’accueil et l’écoute des laissés pour compte, etc. Bref, par ce biais d’un éveil à leur vocation baptismale, ils apprennent à mettre à profit leurs talents, leurs qualités et leurs charismes au service de l’annonce de l’Évangile et de la construction de la communauté.


3 L’amour de Dieu attesté par Jésus Christ et annoncé par l’Église

Un trésor porté dans des vases d’argile Pour le lecteur attentif du Nouveau Testament, une chose est frappante : la diversité des services et ministères est principalement centrée sur la Parole de Dieu, c’est-à-dire aussi bien la « Parole vécue », le témoignage sous ses diverses formes qui doit sans cesse être promu, stimulé et encouragé, que la « Parole annoncée », que ce soit la première annonce, le « kérygme », la catéchèse, l’exhortation spirituelle, les recommandations morales, la prédication, etc. Certes, la prière communautaire, la célébration de la foi et les gestes de la grâce ne sont pas absents des écrits du Nouveau Testament. Ils supposent une prise en charge par des ministres. C’est un fait. Mais le Nouveau Testament en parle peu, peut-être parce que le premier service est l’annonce de la Parole sans laquelle on ne peut devenir croyant. Cela suppose qu’elle soit proclamée, prêchée mais aussi attestée dans des actes par des croyants fascinés et interpellés par Jésus Christ, mus et inspirés par l’Esprit Saint, habités et travaillés par la grâce de Dieu. Cette observation nous suggère que les différents ministères dans l’Église sont foncièrement au service de l’Évangile, ce tré-

19


sor que nous portons comme dans des vases d’argile (cf. 2 Co 4, 7). Le monopole sacerdotal du ministère qui s’est constitué au fil du temps a focalisé l’attention sur le culte, en particulier l’eucharistie. Aujourd’hui encore, pour beaucoup de catholiques, même engagés, assumer une tâche dans l’Église ou accomplir un service en son sein, cela signifie surtout participer au culte, à la liturgie, à l’assemblée en prière, notamment à l’eucharistie dominicale. Le Nouveau Testament nous invite à reconnaître la priorité de la Parole vécue et annoncée, même et surtout aujourd’hui : si des baptisés assument des ministères, ce n’est pas d’abord, ni uniquement pour suppléer au manque de prêtres, c’est pour porter l’Évangile dans la vie des gens, nos contemporains pour qui, aujourd’hui comme hier, l’amour de Dieu peut être une bonne nouvelle, salutaire et salvifique ! C’est que l’Évangile, c’est avant tout quelqu’un : Jésus Christ. Quelqu’un dont on fait mémoire aujourd’hui pour y reconnaître l’amour d’un Dieu qui s’est fait l’un des nôtres en épousant notre condition humaine, jusque dans la souffrance et la mort. En devenant chair de notre chair, Dieu parle désormais non seulement au cœur de l’histoire mais au sein de notre humanité qu’il assume vraiment, lui donnant toute sa dignité. Dieu nous a rejoint par amour, gracieusement. Et il nous invite à accueillir tout aussi gracieusement son amour, manifesté en Jésus Christ et communiqué au cœur de nos vies par son Esprit. Telle est la Bonne Nouvelle en Jésus Christ : Dieu nous aime en se donnant en Jésus Christ et il nous appelle à entrer à notre tour dans cette dynamique du don de soi. Dieu nous a « livré » Jésus, son Fils et notre frère en humanité. Celui-ci s’est « livré » pour nous afin qu’à notre tour nous puissions nous « livrer » à autrui et à Dieu. Cette Bonne Nouvelle attestée en Jésus de Nazareth n’est crédible que par le témoignage des croyants avec l’assistance de l’Esprit Saint. Sans le témoignage vécu, la « livraison » des croyants, sans la « Parole vécue », la Bonne Nouvelle ne serait qu’un mes-

20


sage d’amour universel de plus, une doctrine morale de plus sur le marché religieux. La Bonne Nouvelle, c’est quelqu’un, Jésus Christ qui appelle l’adhésion de tout notre être dans la foi en Dieu, son Père, dont l’amour est fidèle éternellement. Dieu, en effet, ne déçoit pas.

Les baptisés, solidairement responsables de l’Évangile Plongés dans la mort avec le Christ pour ressusciter avec lui, tous les baptisés ont à témoigner qu’il est vivant. Par le baptême, ils se reconnaissent enfants d’un même Père en Jésus Christ son Fils, mais, en même temps, ils sont donnés les uns aux autres dans une fraternité. C’est notre devoir et notre joie d’en faire part ensemble au cœur de l’histoire des hommes. C’est la mission du peuple croyant que nous sommes : rassemblés en Jésus Christ et par son Esprit, nous annonçons cet amour fou de Dieu qui vient rassembler l’humanité appelée à la réconciliation. Au cœur de ce monde, l’Église est dès lors appelée à être ce peuple de frères et de sœurs qui dit qu’une fraternité est possible. Telle est la mission de l’Église. Sa raison d’être. C’est donc en vertu de leur baptême — et de leur adhésion croyante à la Parole de Dieu — que tous les chrétiens participent à cette mission unique mais diverse et complexe de témoigner, au cœur de l’histoire et parmi leurs contemporains, de ce grand projet de Dieu — de son « mystère », dirait saint Paul —, celui de rassembler l’humanité divisée et dispersée. Faire Église, c’est témoigner solidairement de l’amour de Dieu, c’est « faire part » de cet amour qui nous habite et qui travaille au cœur du monde comme un ferment de réconciliation. Tous les baptisés sont « coresponsables » de la mission : fidèles, laïcs, religieux et religieuses, évêques, diacres et prêtres, chacun « selon la grâce qui lui est donnée » (Ep 4, 7). Ils sont

21


tous sur le même terrain, la réalité de ce monde et les aléas de l’histoire, mais chacun y témoigne de l’Évangile selon sa vocation particulière et les dons spécifiques que l’Esprit lui accorde. « Chacun reçoit de Dieu un don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là » (1 Co 7, 7). Il n’y aurait pas deux domaines : le temporel pour les laïcs, le spirituel pour les clercs (et les religieux) de telle sorte que les premiers se consacreraient aux réalités de ce monde et les autres aux affaires de l’Église ! Il n’y a qu’un chantier pour le Royaume : l’histoire des hommes.


4 Coresponsabilité baptismale de tous et collaboration ministérielle de quelques-uns

Il est heureux que de plus en plus de catholiques redécouvrent cette coresponsabilité de tous les baptisés dans l’annonce de l’Évangile. Le concile Vatican II les y encourageait. Depuis quarante ans, il y a lieu de se réjouir de cette conscience plus vive de la vocation des baptisés. Il y a cependant encore du chemin à faire : beaucoup de « fidèles », consommateurs passifs de religiosité, se contentent d’un rôle de spectateurs et s’adressent « à l’Église » pour satisfaire leurs besoins religieux, notamment par la sacralisation des grands moments de l’existence (naissance, sortie de l’enfance, mariage, mort). Ces chrétiens doivent être respectés dans (la lenteur de) leur cheminement. Les mentalités, en effet, évoluent lentement : elles ne se transforment ni par des décrets épiscopaux, ni par des injonctions disciplinaires, ni par des discours théoriques ou des arguments théologiques. Les mentalités évoluent par apprentissage ! A cet égard, un des lieux majeurs d’apprentissage de la coresponsabilité baptismale de tous est constitué par les Conseils et assemblées d’Église. Certes, tous les baptisés ne siègent pas dans un Conseil pastoral. Mais l’existence de ces instances est suffisamment connue dans les paroisses pour que, d’une manière ou d’une autre, des catholiques, même peu pratiquants, découvrent leur

23


dynamique participative. Cela dit, il y a un autre lieu tout aussi stratégique, bien que plus symbolique, pour faire l’apprentissage de la coresponsabilité : la liturgie, en particulier l’assemblée dominicale. Selon les vœux du dernier concile, l’action liturgique doit impliquer toute l’assemblée célébrante selon différentes modalités : l’occupation de l’espace liturgique, l’attitude corporelle, la qualité des chants, les prières diverses et les répons de l’assemblée, etc. Une bonne liturgie permet non seulement l’implication de l’assemblée mais favorise, par ce fait même, une conscience ecclésiale plus vive. Dans l’assemblée dominicale, les participants jouent en quelque sorte leur identité ecclésiale : le rassemblement en un lieu pour l’écoute de la Parole de Dieu et le partage du Pain de vie est une figure, sinon une parabole du grand rassemblement auquel Dieu, gracieusement, convie toute l’humanité. L’Église, dit le concile Vatican II, est organisée et dirigée selon une merveilleuse variété (cf. Lumen Gentium no 32a). Autrement dit, elle trouve sa cohérence et son sens comme peuple de Dieu selon la diversité des charismes. Nos communautés ecclésiales sont toutes appelées à être « charismatiques », c’est-à-dire à laisser s’exprimer la grande variété de dons, de talents, de qualités, de compétences, de sensibilités, etc. car « c’est toujours pour le bien commun que le don de l’Esprit se manifeste dans un être humain » (1 Co 12, 7). Ces charismes sont bel et bien pour l’édification de l’Église. C’est d’ailleurs un des critères de leur authenticité (1 Co 14, 12 ; Ep 4, 12). Pour être tels, ils doivent faire l’objet d’un discernement en Église, avec d’autres chrétiens, pour savoir s’ils rencontrent les besoins de l’Évangile et la volonté du Seigneur. Les charismes sont multiples et personne ne peut prétendre posséder tous les charismes (1 Co 12, 28-31 ; Rm 12, 6-8). D’où la complémentarité des charismes et, par voie de conséquence, la solidarité des baptisés qui ensemble, mais de manière différente en fonction de leurs charismes spécifiques, témoignent de la richesse de l’Évangile, de la profondeur de l’amour de Dieu, du façonnement des dons de l’Esprit. « Chacun selon la grâce reçue [gr. cha-

24


risma], écrit saint Pierre, mettez-vous au service les uns des autres, comme de bons intendants de la grâce bariolée de Dieu » (1 P 4, 10). Si tous les baptisés sont appelés en Église à reconnaître les charismes qui sont les leurs et à les mettre en œuvre pour témoigner de Jésus Christ, tous, cependant, ne peuvent prétendre exercer un service ou un ministère. Pour ce faire, un charisme spécifique est certes nécessaire mais pas suffisant : il faut en outre un appel de l’Église quelle qu’en soit la modalité concrète. Prenons un exemple : Jean-Victor dont nous avons parlé au début visitait volontiers des malades de son entourage ou de son milieu professionnel. C’était pour lui une façon de mettre en œuvre sa vocation de baptisé grâce à ses charismes de tact et de délicatesse, de sollicitude et de discrétion, de capacité de prier et d’intercéder, etc. Il avait les qualités humaines et spirituelles pour visiter des malades bien avant de faire partie de l’équipe de visiteurs. Il le faisait « au nom de sa foi », en disciple de Jésus Christ. A partir du moment où il fut appelé à rejoindre l’équipe des visiteurs, les charismes mentionnés à l’instant étaient bien évidemment requis, mais désormais Jean-Victor allait les exercer « au nom de la communauté » en quelque sorte, c’est-à-dire d’une manière « officielle », dirions-nous, ou mieux « autorisée » du fait qu’il était « mandaté » par la communauté paroissiale, en l’occurrence le curé et l’équipe des visiteurs. Pour Jean-Victor, l’appel à devenir membre de cette équipe ne crée pas les charismes ad hoc ; il les présuppose. A vrai dire, tout ministère en Église suppose en principe les charismes requis pour la tâche ou le service demandé. L’Église, en effet, ne crée pas les charismes, qui sont par nature l’œuvre de l’Esprit Saint. Elle les reconnaît : elle en prend acte au terme d’un discernement. Certes, il arrive qu’elle se trompe mais, en principe, elle veille à s’assurer des qualités requises. Ces qualités seront variables selon la charge à confier.

25


Un service ou ministère résulte de la rencontre d’un charisme chez l’intéressé et de l’appel de la communauté ecclésiale. Cet appel est lourd de signification : ce que Jean-Victor va dorénavant faire, il le fera au nom de la communauté. Il accomplit une tâche qui revient à la communauté, c’est-à-dire aux membres qui la composent. C’est ainsi que les différents ministères expriment la sollicitude de l’Église : quelques-uns parmi les baptisés sont appelés à faire ce qui appartient à l’Église comme telle, à tous les baptisés. Quelques-uns signifient ce que tous sont appelés à vivre. Par le fait même d’être désignés à cet effet, ils rappellent à tous que c’est l’Église dans son ensemble qui reçoit tous les charismes pour l’édification de la communauté et la réalisation de sa mission. Ce rapport « tous – quelques-uns » est proprement symbolique, c’est-à-dire qu’il distingue et à la fois réunit deux éléments distincts qui n’ont de sens que conjointement et en référence à un tout, à savoir le « tout » ecclésial, le corps ecclésial dans son ensemble. Cette dimension symbolique d’un service d’Église peut être illustrée par un exemple. La catéchèse paroissiale des enfants est une tâche qui revient en principe à la communauté paroissiale. Mais tous en son sein n’ont pas les charismes requis et ne peuvent la mettre en œuvre. C’est pourquoi elle est prise en charge par quelques-uns qui signifient que cette tâche relève du souci de tous et appartient comme telle au cahier des charges de la paroisse. L’action de « quelques-uns », les catéchistes, n’a de sens que parce que « tous », les paroissiens, sont appelés à faire ce qu’ils font. La mission de « tous » s’éclaire concrètement et s’effectue à la fois par l’engagement de « quelques-uns », car tous n’ont pas nécessairement les charismes requis en l’occurrence pour faire la catéchèse. On pourrait appliquer ce rapport à d’autres services comme, par exemple, la visite des malades ou le rôle de certaines fonctions liturgiques en lien avec la participation de toute l’assemblée.

26


Autrement dit, la coresponsabilité baptismale de tous n’est effectivement opératoire que par la collaboration ministérielle de quelques-uns. Celle-ci traduit et en même temps signifie concrètement la coresponsabilité de tous qui, sans les « quelques-uns », en resterait au plan des intentions ou des vœux pieux. La collaboration de quelques-uns et la coresponsabilité de tous disent ensemble la mission de tout le corps ecclésial. On pourra ainsi parler du ministère de l’Église dans son intégralité, — l’annonce de l’Évangile —, qui est porté par la coresponsabilité baptismale de tous selon la diversité des vocations et des charismes et signifié dans les faits par les différents services ou ministères confiés à quelques-uns.


5 La variété des services et des ministères

Afin de stimuler et de promouvoir la vocation de tous les baptisés en accord avec leurs charismes spécifiques, l’Église appelle et envoie certains de ses membres pour l’accomplissement des services et ministères indispensables à sa croissance comme corps ecclésial du Christ et au témoignage de l’Évangile. A l’instar des charismes qu’ils présupposent, ces services et ministères sont nombreux. A la faveur du renouveau conciliaire et à l’occasion de la pénurie de prêtres, ces tâches ministérielles ne sont plus monopolisées par ceux-ci mais elles sont, pour la plupart, assumées par d’autres fidèles. Certains y voient une suppléance des prêtres, d’autres le reflet de la diversité ministérielle et de la variété des charismes qu’elle implique. Sans entrer dans le détail ni prétendre tout dire en la matière, il nous semble intéressant de traiter des services et ministères sous cinq angles différents : le cadre de l’Église locale diocésaine, le contenu objectif de ces tâches ministérielles, le mode d’investiture dans ces fonctions, la communauté ecclésiale au sein de laquelle s’accomplit le ministère et enfin la durée ou la permanence dans l’exercice de la charge.

Le cadre de la mission de l’Église « en ce lieu » La réflexion théologique de ces dernières décennies nous a rendu progressivement plus sensibles à la réalité des Églises lo-

28


cales. Ces dernières ne sont pas des circonscriptions d’une Église « universelle », ni des parties de celle-ci qu’il faudrait additionner pour obtenir vraiment l’Église voulue par Jésus Christ. Chaque Église locale, concrètement un diocèse, est bien plutôt la réalisation « en un lieu », — c’est-à-dire un territoire autant qu’un terroir —, de l’annonce de l’Évangile et de son accueil dans la foi, de la célébration de la grâce du salut et des gestes de la foi ainsi que de l’engagement des communautés et du témoignage des chrétiens. C’est ainsi que la Bonne Nouvelle s’inscrit dans une histoire, une culture, un peuple, etc. C’est ainsi que l’amour de Dieu est traduit aujourd’hui dans la diversité des situations humaines en rencontrant leurs traits spécifiques et leur originalité propre. C’est ainsi que l’Église devient catholique, c’est-à-dire susceptible de dire Jésus Christ et de faire part de son Esprit dans la variété des circonstances existentielles et historiques. L’Église de Dieu s’édifie en effet « en un lieu » par la Parole, les sacrements et le témoignage qui en résulte. Au service de cette édification de l’Église et de la réalisation de sa mission ici et maintenant, il y a le ministère de l’évêque qui préside à l’annonce de la Parole, à la célébration des sacrements et au dynamisme de l’engagement des croyants. Comme « chef » de l’Église locale, il stimule et encourage la vitalité spirituelle de son Église au sein de laquelle il atteste la foi apostolique. Le ministère épiscopal est à la charnière de son Église et des autres Églises locales : il manifeste et entretient ce lien réciproque avec ses collègues dans l’épiscopat et autour de l’évêque de Rome, gardien et promoteur de l’unité. Pour l’exercice de son ministère, en l’occurrence le service de son diocèse, l’évêque peut compter sur les prêtres qui, à leur tour, président des communautés et les mettent en relation entre elles et avec le diocèse. Il peut également compter sur les diacres qui signifient et rappellent concrètement la figure du Christ Serviteur dans des domaines et des secteurs de la vie ecclésiale en

29


même temps que leur ministère doit stimuler, comme par effet d’entraînement, le zèle et l’engagement des chrétiens. Parce qu’ils n’ont pas tous les charismes, ni toutes les qualités, ni toutes les compétences, l’évêque diocésain, les prêtres et les diacres doivent à leur tour compter sur d’autres chargés d’office. C’est en effet ensemble, dans la riche diversité des services et des ministères, qu’ils contribuent à « faire Église en ce lieu ».

La diversité objective des services et ministères Ces différents services et ministères, il convient de les considérer à partir de leur objet, — de leur cahier des charges, dirait-on aujourd’hui —, à savoir la tâche objective qu’ils ont chacun à faire et à signifier. Pour l’épiscopat et le ministère des prêtres, c’est la tâche objective de présidence de la communauté ecclésiale qui nous semble principalement caractériser leur charge. Leur tâche de présidence signifie sacramentellement que le Christ est le vrai berger, le bon pasteur par excellence pour que les communautés ecclésiales qui leur sont confiées soient entraînées à se mettre à sa suite sur le chemin de l’Évangile. Le ministère diaconal a pour objet des tâches concrètes, parfois très diverses, à travers lesquelles les diacres sont appelés, consacrés et envoyés pour signifier la présence du Christ Serviteur au milieu des siens et les entraîner au service de leurs frères et sœurs en humanité. Quant aux services et ministères confiés à des laïcs, leur contenu peut être également très divers. Tous concernent l’Évangile, d’une manière ou d’une autre — pas d’abord un « message », mais quelqu’un : Jésus Christ, témoin du Père. Il y a les services et ministères qui relèvent de la « Parole annoncée » : ces laïcs sont envoyés pour servir l’annonce de la Parole de Dieu le plus souvent par la catéchèse des jeunes, des enfants ou des adultes, mais aussi par la prédication et l’enseignement, ou encore par l’exhortation spirituelle ou la consolation. Il y a ensuite un

30


deuxième registre, celui des services et ministères qui traitent plus directement de la célébration de la foi : ils concernent la « Parole célébrée », à savoir la prière liturgique de l’Église, l’animation des assemblées, la préparation des sacrements, la présidence des funérailles, etc. Il y a enfin les services et ministères destinés à susciter et promouvoir le témoignage évangélique de tous. On songe ici aux laïcs qui sont associés plus étroitement à la direction pastorale des communautés avec les prêtres, comme membres des équipes pastorales ou dans un rôle de répondants locaux ou de relais de communautés, mais aussi à toutes les tâches indispensables pour favoriser l’entraide et la solidarité, l’accueil et le partage, la proximité avec les pauvres et la promotion de la justice, etc. Ce troisième registre concerne autant la diaconie de la communauté, son témoignage fervent et généreux que sa direction pastorale et la promotion de la communion ecclésiale. Il concerne la « Parole vécue ». A vrai dire, ces différents services et ministères ne sont pas strictement cloisonnés dans un registre : l’annonce de la Parole renvoie à sa célébration, celle-ci s’enracine dans la vie et le témoignage qui, à leur tour, se nourrissent de l’écoute de la Parole annoncée, etc. Tous les ministères laïcs ont ceci en commun : leurs titulaires accompagnent sur le chemin de l’Évangile les chrétiens et les chrétiennes, voire leurs frères et sœurs en humanité. Ils consistent à proprement parler en un ministère d’accompagnement pour accueillir la Bonne Nouvelle, se laisser toucher et convertir par l’amour de Dieu et apprendre à donner sa vie comme le Christ et avec la force de son Esprit. Si l’accompagnement est la « tâche à faire » dans le chef des laïcs investis d’un service ou d’un ministère, le cheminement est sans doute leur « tâche à signifier » : ils signifient que Dieu en Jésus Christ et par son Esprit a pris le chemin de notre humanité, que sur nos routes humaines il vient aujourd’hui à la rencontre de nos contemporains et que ceux-ci, comme ce soir-là en chemin vers Emmaüs, sont invités à le reconnaître et à l’accueillir.

31


Nous dirions volontiers que les ministres laïcs signifient de multiples façons le Christ en route pour nous rencontrer au cœur de nos vies et qu’ils suscitent, comme par effet d’entraînement, un peuple d’hommes et de femmes en marche sur le chemin de l’Évangile. Selon le rapport symbolique décrit plus haut, les ministres laïcs sont ces « quelques-uns » qui, dans la diversité des tâches qui leur confiées, cheminent pour que « tous » se mettent en chemin. Ils manifestent concrètement que le Christ vient à la rencontre des hommes et des femmes d’aujourd’hui, et que c’est sur nos chemins d’humanité qu’il nous ouvre une espérance, non pas en répondant aux questions que nous ne nous posons pas mais en nous donnant la parole : « De quoi discutiezvous en chemin ? » (Lc 24, 17). C’est ainsi que Dieu se fait compagnon de notre humanité.

Une variété de modes d’investiture Nul ne se fait ministre de l’Évangile : personne ne peut s’autoproclamer serviteur de l’Église et de sa mission. C’est la communauté ecclésiale qui appelle et, concrètement, elle le fait par ses pasteurs, l’évêque diocésain ou ses prêtres, souvent par l’intermédiaire des différents responsables de la pastorale. On ne se donne pas un ministère, on le reçoit de l’Église. On ne s’octroie pas le service de l’Évangile : on y est appelé par la communauté chrétienne et ses responsables. Selon la tâche ecclésiale et son importance pastorale, ce sera l’évêque diocésain qui l’attribuera aux intéressés ou, au contraire, d’autres responsables locaux ou des animateurs du terrain qui la confieront aux personnes en tenant compte des besoins des communautés ainsi que des charismes, qualités et talents de chacun. L’entrée en fonction se fera par une « investiture » plus ou moins formalisée, plus ou moins officielle ou solennelle pour bien montrer qu’en principe c’est toujours la communauté ecclésiale qui,

32


non seulement appelle, mais envoie les serviteurs de l’Évangile et, à cet effet, les soutient notamment par la prière. Pour les évêques comme pour les autres ministres ordonnés, les diacres et les prêtres, l’investiture se fait d’abord par un rite d’ordination, par le sacrement de l’ordre qui signifie la référence apostolique. Pour les laïcs qui se voient confier une charge ecclésiale ou une responsabilité pastorale par l’évêque diocésain — le plus souvent un « office », comme on dit dans le jargon canonique —, l’entrée en fonction s’opère le plus souvent par un acte administratif, selon les formalités du droit canonique ou les dispositions du droit civil. Parfois, elle est accompagnée d’un rite liturgique, simple et sobre à la fois. Pour la plupart des laïcs qui œuvrent bénévolement dans nos paroisses et communautés, il n’y a pas vraiment d’entrée en fonction « officielle ». On peut le regretter. Ce serait en effet significatif et bénéfique aussi bien pour les communautés que pour les intéressés appelés à leur service qu’il y ait une investiture de type « liturgique », c’est-à-dire à proprement parler de l’Église en prière qui accueille et envoie ces laïcs et, à la fois, les soutient par sa prière et la sollicitude de tous. On ne se fait pas ministre tout seul, on ne tient pas non plus tout seul dans le ministère : mais par la grâce de l’Esprit, sans cesse invoquée par la communauté, avec le soutien spirituel signifié par la liturgie et l’appui discret tellement souhaitable des autres, on entre en fonction au service de l’Église et de l’Évangile. Il est heureux de constater que, dans certaines paroisses ou d’autres communautés, ceux et celles qui y sont appelés à une tâche ecclésiale sont introduits dans leur charge par un rite d’investiture liturgique consistant en une invocation de la grâce nécessaire à leur mission, une intercession et une bénédiction.


6 Exigences et joies du service de l’Évangile dans l’Église

Aujourd’hui, de plus en plus de chrétiens s’engagent dans des services ou des ministères d’Église, donnant à la communauté ecclésiale un visage nouveau qui n’est pas sans évoquer celui de l’Église des origines, comme nous le montrions déjà dans le premier chapitre de cette brochure. Si Caroline, Alexis, Chantal, Jean-Victor et tant d’autres éprouvent ainsi le besoin de se mettre au service de l’Église et de l’Évangile, ce n’est généralement pas d’abord par sens du devoir, mais parce qu’ils trouvent dans ce ministère une source de joie. La joie toute simple de servir le Seigneur dans son Église, de partager avec d’autres une même foi, de pouvoir donner et de recevoir en retour. Une animatrice pastorale confiait ainsi que tout avait commencé pour elle par l’accompagnement informel d’un groupe de jeunes adultes, qui souhaitaient réfléchir au sens de leur vie. Cheminer avec ces jeunes, chercher avec eux des signes du Ressuscité dans le quotidien, lui avait procuré une telle joie qu’elle avait senti qu’elle ne pouvait en rester là, mais qu’il était bon de faire un pas de plus, en s’engageant d’une manière plus permanente dans un service d’Église. C’est ainsi qu’elle était devenue animatrice pastorale. Les responsabilités avaient augmenté, les soucis aussi, mais c’était toujours fondamentalement la même joie.

34


Des qualités requises Si tout service d’Église est d’abord une source de joie, il a aussi ses exigences. Comme pour toute responsabilité, la prise en charge d’un ministère ecclésial requiert un certain nombre de qualités, d’aptitudes indispensables pour pouvoir être exercé avec fruit. Aujourd’hui plus qu’autrefois, peut-être, on est sensible au fait que n’importe qui ne peut être « bombardé » en charge d’une responsabilité ecclésiale mais que l’enjeu même du service à accomplir exige que la personne soit à même de l’exercer — qu’elle soit « idoine », comme dit le jargon du droit canonique. En d’autres termes, la seule bonne volonté ne suffit pas. Ceci doit être souligné avec d’autant plus de force que l’urgence des tâches pastorales à accomplir et la difficulté de trouver des candidats à cet effet poussent parfois à accepter des personnes qui ne conviennent pas vraiment pour le ministère dont elles sont investies. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’attendre la perle rare, qui serait dotée de toutes les qualités, mais il reste que la seule bonne volonté ne suffit pas à pallier le manque de compétence. L’enjeu de la mission est tel qu’on ne peut se contenter de « bricolage ». Avant d’appeler quelqu’un à exercer un service ou un ministère dans l’Église, il convient donc de vérifier qu’il possède un certain nombre de qualités qui le rendent apte à assumer cette charge. Ainsi, on est en droit d’attendre de lui une vie de foi personnelle et un réel attachement à l’Église, sous peine de perdre une bonne part de sa crédibilité. Cela suppose notamment un certain bagage théologique, d’autant plus nécessaire si le service exercé comporte une dimension d’enseignement. Il importe également que la vocation à exercer une charge ecclésiale ait été authentifiée par un appel de cette dernière. En effet, on ne s’institue pas ministre, mais on y est appelé par la communauté ecclésiale, représentée en général par l’évêque, le curé ou toute autre personne « manda-

35


tée » pour agir en son nom. Pour les ministères plus importants, cet appel de l’Église se concrétisera par une lettre de mission, qui investira officiellement le ministre dans sa fonction. Une autre qualité essentielle requise du titulaire d’un ministère ecclésial est d’aimer les personnes auxquelles il sera envoyé, et de pouvoir reconnaître en elles, bien plus que des bénéficiaires d’un service, des partenaires avec lesquels il va cheminer. Cela suppose une grande capacité d’écoute, une sensibilité attentive à discerner ce dont l’autre a besoin, afin de pouvoir prononcer la parole ou émettre le geste qui pourra aider, mais aussi une disponibilité à recevoir de l’autre, à se laisser interpeller et remettre en question par lui. De telles exigences sont particulièrement requises pour les personnes appelées à cheminer avec des jeunes. Ces derniers sont en général assez empreints de culture religieuse. Ils sont du reste tout à fait étrangers à l’appareil ecclésial et à ses structures. Ils sont même parfois très éloignés de la vie des communautés, mais ils sont en quête de personnes qui puissent les écouter dans ce qu’ils sont et avoir une parole vraie susceptible de les éclairer. Aider le jeune à se construire, être attentif à sa quête de sens, mais aussi être prêt à se laisser secouer par lui, c’est sans aucun doute un chemin exigeant, mais cela peut déboucher sur de grandes joies, comme on l’évoquait plus haut. Tout service dans l’Église requiert aussi un grand respect des personnes. Le titulaire d’un ministère ecclésial, quel qu’il soit, sera fréquemment appelé à recevoir des confidences, dans lesquelles son interlocuteur se livrera au plus profond de son être. Il ne suffit pas d’écouter de telles confidences en vérité, mais il faut encore pouvoir les garder. La discrétion est une qualité essentielle dans tout service d’Église. Sans elle, le ministère ne peut être crédible. Dans le même esprit, l’animateur pastoral s’abstiendra de porter des jugements hâtifs sur les personnes ou les situations auxquelles il est confronté. Pouvoir accueillir et

36


écouter les personnes en vérité, cela suppose aussi d’aller audelà de ses préjugés ou de ses réactions spontanées pour pouvoir rejoindre son interlocuteur là où il est. Une autre qualité importante requise aujourd’hui pour le ministère est sans aucun doute la capacité de travailler en équipe. Le temps où le curé administrait seul sa paroisse est bel et bien résolu. Aujourd’hui, les tâches nécessaires à l’édification de la communauté et à la réalisation de sa mission gagnent à être prises en charge par des équipes. Il ne s’agit pas ici seulement d’une question d’efficacité, mais plus profondément d’un authentique témoignage ecclésial. Si la pastorale est prise en charge par une équipe, les gens comprendront mieux que l’Église est fondamentalement un ensemble de disciples, une communauté réunie au nom du Christ et rassemblée par son Esprit. Cela suppose une réelle aptitude à collaborer, tant avec ses pairs qu’avec l’autorité hiérarchique. Avant tout, le titulaire d’une charge ecclésiale devra avoir la capacité de susciter et de soutenir des collaborations, surtout là où, faute de personnel ou de tradition participative, il se trouve au départ isolé dans sa tâche. Lorsqu’une équipe aura été constituée, il s’agira de créer la confiance, d’écouter, d’éveiller, de coordonner. Dans ce travail d’équipe, la bonne relation entre laïcs et clercs est particulièrement importante. Elle se construit par le dialogue et un partage clair des responsabilités, de manière à éviter suspicions et jalousies. Il va de soi qu’un tel esprit de collaboration et une pratique de travail en équipe supposent une loyauté foncière avec les partenaires impliqués avec soi dans le service des communautés. Ce loyalisme se cultive comme d’ailleurs toutes les autres qualités évoquées précédemment. Peut-être pourrait-on ajouter une qualité comme l’humour dans la mesure où celui-ci signifie en définitive l’indispensable distance à créer et à sauvegarder avec sa fonction. Rien de plus désolant que quelqu’un qui s’est à ce point identifié avec sa fonc-

37


tion que toute critique sur celle-ci l’affecte au plus profond de son être. Il importe de se rappeler que, dans son objectivité d’un ensemble de choses à faire et à signifier, un ministère représente une charge que l’Église attribue à un titulaire qui en est certes le sujet, mais celui-ci ne peut se considérer comme le propriétaire de cette charge. Cette distance salutaire entre le sujet d’un ministère et l’objet de son ministère évitera tout détournement de la fonction qui finit bien souvent par servir le narcissisme de l’individu au lieu de servir le bien de la communauté ecclésiale. D’autres formes de manque de distance sont le surinvestissement maladif, l’engagement frénétique ou le dévouement sans borne : ces attitudes traduisent parfois l’utilisation du ministère pour combler un vide intérieur ou tout simplement pour contribuer à une valorisation excessive de soi. Là aussi, on se trompe lourdement sur le sens et la finalité du ministère si celui-ci n’est pas exercé pour l’édification de la communauté ecclésiale et la réalisation de sa mission évangélique. Ces exigences générales requises pour tout ministère dans l’Église s’accompagneront, selon les cas, d’exigences spécifiques à la charge à assumer, aux compétences qu’elle requiert et aux qualités qu’elle suppose. Cela pose immanquablement la question de la formation à suivre par les titulaires d’un service d’Église.

L’importance de la formation La nécessité d’être formé au ministère que l’on va assumer n’a pas toujours été comprise par l’Église, surtout à l’époque où les prêtres occupaient tout le terrain ministériel. Il pouvait sembler alors que de bonnes études de théologie suffisaient pour faire un bon pasteur. Aujourd’hui, il n’en va plus ainsi. Le peuple de Dieu attend de ses agents pastoraux — qu’ils soient clercs ou laïcs — d’être des hommes et des femmes compétents, formés à

38


la tâche qui est la leur. Il y a ici un enjeu capital pour la crédibilité des ministères dans l’Église. Cette formation dépendra bien évidemment de multiples facteurs, à commencer par le type de tâches à exercer. Il est néanmoins possible d’énoncer un certain nombre de principes valables pour toute situation. Ainsi, de manière générale, il ne conviendra pas de nommer à un ministère une personne sans expérience pastorale préalable, qui aura permis de vérifier l’existence des qualités citées plus haut. Le temps de formation sera alors l’occasion de prendre du recul par rapport à ce premier engagement sur le terrain, de s’enrichir de connaissances, notamment théologiques, et d’approfondir son expérience spirituelle. Ce temps de formation sera ainsi un gage de fécondité apostolique. Toute formation à un ministère d’Église devrait nécessairement, d’une manière ou d’une autre, être orientée vers l’acquisition d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir-être. Devenir compétent dans un ministère ecclésial implique en effet des connaissances à acquérir, une pratique pastorale à maîtriser et une prise de conscience personnelle qui mette en état d’accomplir la mission confiée. Sur le plan du savoir, la formation à un ministère d’Église comprendra nécessairement un approfondissement du message chrétien, à travers l’étude de différentes matières théologiques. Le contenu de cette formation variera bien évidemment selon le ministère exercé ; il sera particulièrement important si ce ministère comporte une dimension d’enseignement. Etant donné l’exigence de collaboration relevée plus haut, elle comportera nécessairement des notions d’ecclésiologie, pour mieux comprendre les diverses réalités ecclésiales et leur fonctionnement (diocèse, paroisse, services, mouvements) et le rôle qui y est exercé par chacun (évêque, prêtres, diacres permanents, ministres laïcs dans leur diversité…).

39


Il ne suffit cependant pas de connaître le message à transmettre. Encore faut-il connaître quelque peu aussi ceux auxquels on est appelé à en témoigner. La formation aux ministères ecclésiaux devra donc aussi favoriser l’attention aux grandes questions de la société et plus encore l’attention aux personnes vers lesquelles le ministre, clerc ou laïc, sera particulièrement envoyé. La formation à un travail d’Église doit également introduire à un savoir-faire pastoral. Il ne s’agit pas ici tellement d’être initié à un ensemble de techniques, mais bien plutôt de savoir faire face à des situations déterminées. En ce sens, le savoir-faire pastoral relève plus d’une certaine qualité d’accompagnement des communautés ecclésiales que d’actions spécifiques à poser. Il s’agira donc surtout de former à un « sentir » pastoral, une sensibilité qui suppose une capacité de discerner les situations. Ceci inclut la formation au travail d’équipe, dont l’importance a été relevée plus haut. La formation prendra encore une dimension spirituelle. Il s’agit en effet de former des personnes qui puissent répondre de leur foi comme des témoins, qui s’engagent avec tout ce qu’ils sont. Plus fondamentalement encore, puisque la source et le dynamisme de tout service ecclésial se trouve dans le Christ et dans son Esprit, on ne peut accomplir un authentique service d’Église que dans la docilité à l’Esprit Saint et un attachement au Christ. D’où l’intérêt d’approfondir son adhésion croyante au Christ et d’être attentif à la présence et au travail de l’Esprit. Cet approfondissement spirituel suppose également une formation, qui est davantage de l’ordre du « savoir-être ». Cette formation spirituelle renvoie au monde intérieur de la personne, là où se fait son unité. Bien formé spirituellement, l’agent pastoral sera d’autant plus à l’aise pour se situer dans son ministère et réagir aux succès ou échecs éventuels. Il n’est pas rare en effet qu’en début de responsabilité, certains anima-

40


teurs se sentent dépassés par leur tâche, voire accablés par les difficultés rencontrées, ou encore qu’ils se montrent exagérément autoritaires. Prendre conscience qu’il s’agit d’abord de laisser l’Esprit du Christ agir à travers eux peut aider à relativiser le manque de fruit apparent ou encore adopter une attitude plus respectueuse de chacun. La formation initiale ne suffira cependant pas pour accomplir la tâche confiée par l’Église. C’est en fait tout au long de l’exercice du ministère qu’il convient de se former, notamment par une évaluation continue de son travail. Il est ainsi important de prévoir des lieux où on puisse prendre du recul par rapport à sa pratique quotidienne, de manière à pouvoir discerner de nouvelles initiatives à prendre, ou encore « rectifier le tir », le cas échéant. La formation continuée est une nécessité indéniable pour l’exercice du ministère dans le monde d’aujourd’hui. Les mutations contemporaines et les bouleversements culturels incitent en effet à mettre sans cesse en dialogue critique l’exercice du ministère avec les enjeux de société et les questions des gens, leurs soucis et leurs préoccupations pour que l’Évangile demeure une Bonne Nouvelle capable de les confirmer dans la foi et de les rendre fermes dans l’espérance. Une telle exigence de formation, à la fois initiale et continuée, dit bien le sérieux requis par tout service d’Église. Ce sérieux n’enlève rien à la joie du service relevée plus haut. Au contraire, l’agent pastoral compétent et bien formé n’en éprouvera que davantage la joie du service de l’Évangile.


Conclusion

Nous voici parvenus au terme de notre parcours. Sans doute comprenons-nous mieux en quoi l’exercice par des laïcs de responsabilités ecclésiales s’inscrit dans la tradition la plus ancienne de l’Église. Nous distinguons plus clairement la coresponsabilité baptismale de tous, au service de l’annonce de l’Évangile, et la collaboration ministérielle de quelques-uns sous ses diverses formes. Nous saisissons davantage la diversité des ministères et les exigences qu’ils requièrent ainsi que la dynamique générale dans laquelle ils s’inscrivent : une Église de partenaires au service de la mission. Toutes les questions n’ont certes pas été résolues mais nous mesurons mieux le défi qui se présente à nos communautés, notamment aux paroisses : il s’agit d’œuvrer à une Église où la vocation et les charismes de chacun soient reconnus, valorisés et mis à profit. C’est le défi du partenariat ecclésial. Les avancées incontestables de ces dernières décennies appellent évaluation et discernement pour aller plus loin. Des ajustements seront sans doute nécessaires. En toute hypothèse, il conviendra d’approfondir le profil spécifique à chaque ministère, tout comme la mise en œuvre concrète de la coresponsabilité de tous. Tâche difficile, mais ô combien exaltante. L’Esprit de Dieu travaille au cœur de ce monde. Il œuvre au sein de l’Église qu’il édifie en corps du Christ par la richesse de ses dons. Nous osons croire qu’il nous donnera l’audace de les faire fructifier.


Sélection bibliographique • J.L. BLAISE, « Être prêtre dans les conditions d’aujourd’hui », dans J. DORÉ et M. VIDAL (dir.), Des Ministres pour l’Église, Paris, Bayard et Centurion et Fleurus et Mame et Cerf, coll. « Documents d’Église », 2001, 93-104. • A. BORRAS, « Petite grammaire canonique des nouveaux ministères », dans Nouvelle Revue Théologique 117 (1995), 240-261. • A. BORRAS (dir.), Des laïcs en responsabilité pastorale ? Accueillir de nouveaux ministères, Paris, Cerf, 1998. • A. BORRAS, « Les Assistants paroissiaux : des partenaires bienvenus dans le champ paroissial », dans Lumen Vitae 53 (19982), 170-186. • A. BORRAS, « Les laïcs : suppléance ou partenariat ? Une mise en perspective du canon 230 », dans Revue d’histoire ecclésiastique no 95 (20003), 305-326. • X. DE CHALENDAR, « Des laïcs en responsabilité pastorale », dans Études 366 (1987), 811-822. • Y. CONGAR, « Mon cheminement dans la théologie des ministères » et « Ministères et structuration de l’Église », dans Ministères et communion ecclésiale, Paris, Cerf, 1971, respectivement p. 7-30 et 31-49. • P. DE CLERCK, « Des laïcs ministres des sacrements ? », dans La Maison-Dieu 194 (1993), 27-45. • J. DELOUPY, Laïcs et prêtres : perspectives d’avenir, Paris, Vie chrétienne, 1990. • J. DORÉ et M. VIDAL (dir.), Des Ministres pour l’Église, Paris, Bayard et Centurion et Fleurus et Mame et Cerf, coll. « Documents d’Église », 2001. • G. DUPERRAY, « Ministères laïcs. Une nouvelle tradition », dans Études 379 (1993), 63-74.

43


• A. FAIVRE, Les premiers laïcs lorsque l’Église naissait au monde, Strasbourg, Éditions du Signe, 1999. • A. JACOBS, « La Participation des laïcs à la mission de l’Église dans le Code de droit canonique », dans Revue Théologique de Louvain 18 (1987), 317-336. • P. LATHUILIÈRE (dir.), « Des laïcs au service de l’Église », dans Fêtes & Saisons 529 (1999). • H. LEGRAND, « Crises du clergé : hier et aujourd’hui essai de lecture ecclésiologique », dans Lumière et Vie no 167 (1984), 90-106. • H. LEGRAND, « Nouveaux accents requis en théologie des ministères », dans Spiritus 143 (1996), 158-170. • A. LEMAIRE, Les ministères aux origines de l’Église, Paris, Cerf, 1971. • A. MINET, « La formation diocésaine des animateurs pastoraux. Quelques points de repère », dans A. BORRAS (dir.), Des laïcs en responsabilité pastorale ? Accueillir de nouveaux ministères, Paris, Cerf, 1998, 259-272. • L. PAREYDT, « La question des ministères », dans Cahiers pour croire aujourd’hui 109 (1992), 7-11. • Gh. PINCKERS, « Fondements et conditions des ministères liturgiques laïcs », dans Communautés et liturgie 69 (1987), 305-324. • J. RIGAL, Ministères dans l’Église, aujourd’hui et demain, Paris, Desclée, 1980. • J. RIGAL, Découvrir les ministères, Paris, Desclée de Brouwer, 2001 • J.P. ROCHE, Prêtres-laïcs. Un couple à dépasser, Paris, L’Atelier et Éditions Ouvrières, 1999. • G. ROUTHIER, A. BORRAS (dir.), Paroisses et ministère. Métamorphoses du paysage paroissial et avenir de la mission, Montréal, Médiaspaul, 2001. • B. SESBOÜÉ, « Les animateurs pastoraux laïcs. Une prospective théologique », dans Études 377 (1992), 253-265.

44


• B. SESBOÜÉ, N’ayez pas peur ! Regards sur l’Église et les ministères aujourd’hui, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Pascal Tomas - Pratiques chrétiennes », no 12, 1996. • B. SESBOÜÉ, Rome et les laïcs. Une nouvelle pièce au débat : l’Instruction romaine du 15 août 1997, Paris, Desclée de Brouwer, 1998. • TORFS (éd.), Parochie-assistenten. Leken als bedienaar van de eredienst ? Leuven, Peeters, 1998. • M. VIDAL, « Que deviennent les « simples prêtres » ? », dans J. DORÉ et M. VIDAL (dir.), Des Ministres pour l’Église, Paris, Bayard et Centurion et Fleurus et Mame et Cerf, coll. « Documents d’Église », 2001, 87-93. • Ph. WEBER, « Assistants paroissiaux et formation universitaire », dans A. BORRAS (dir.), Des laïcs en responsabilité pastorale ? Accueillir de nouveaux ministères, Paris, Cerf, 1998, 245-258.




Achevé d’imprimer le 5 avril 2002 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).



Au sein du Peuple de Dieu, les fonctions sont variées, mais chaque baptisé a un rôle à jouer dans l’annonce de l’Évangile au cœur du monde d’aujourd’hui. Certains sont cependant appelés à exercer une responsabilité plus spécifique dans cette mission : un ministère. Dans l’esprit de Vatican II, plusieurs ministères sont confiés de plus en plus fréquemment à des laïcs, qui apprennent ainsi à collaborer avec les prêtres et les diacres. Cette évolution laisse un certain nombre de questions ouvertes que les auteurs, tous deux canonistes, abordent ici avec clarté, convaincus que la « pluri-ministérialité » est une chance pour l’Église.

Alphonse Borras est vicaire général du diocèse de Liège et enseigne l’ecclésiologie et le droit canon, notamment à l’Université catholique de Louvain (UCL). Benoît Malvaux, jésuite, enseigne l’ecclésiologie et le droit canon au Centre Lumen Vitae et à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles (IET).

ISBN 2-87356-226-9 Prix TTC : 2,45 €

fidélité


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.