Lambert Louis Conrardy

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Lambert Louis Conrardy L’abbé Conrardy, prêtre liégeois, est beaucoup moins connu que le père Damien dont il fut le successeur à Molokaï au service des lépreux. Pourtant, son parcours est tout aussi étonnant : il fut tour à tour vicaire à Stavelot, missionnaire chez les Indiens à Portland, assistant du père Damien à Molokaï, étudiant en médecine aux Etats-Unis à 55 ans (!) et finalement médecin et aumonier de lépreux en Chine. Cet itinéraire atypique se dévore comme un roman sous la plume enjouée du père François Tellings, jésuite liégeois décédé en 2003.

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Conrardy Au service des lépreux

Sur la route des saints Editions Fidélité 61, rue de Bruxelles BE-5000 Namur

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fidélité

ISBN : 2-87356-295-1 Prix TTC : 4,95 €

François Tellings

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Lambert Louis

Lambert Louis Conrardy

Sur la route des saints

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Sur la route des saints

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Lambert Louis

Conrardy Au service des lépreux 1841–1914

François Tellings, s.j. (†)

Préface de Monseigneur Jousten, Evêque de Liège

fidélité 2004


Dans la même collection : Le Frère Mutien Claude La Colombière, … Vincent de Paul, … Alberto Hurtado Monseigneur Romero Damien le lépreux Saints et Bienheureux de Belgique Dominique Pire Julienne de Cornillon Catherine de Sienne Marie de Jésus Julie Billiart Marcellin Champagnat Dom Marmion Juan Diego François Xavier

Cum permissu superiorum

Photo de couverture : Lambert Louis Conrardy vers 1875 © Archives diocésaines Baker, Oregon.

© Editions

fidélité

61, rue de Bruxelles • BE-5000 Namur fidelite@catho.be Dépôt légal : D/2004/4323/15 – ISBN : 2-87356-295-1


Préface

Prêtre diocésain liégeois, apôtre des lépreux. Voilà deux titres que je tiens à souligner dans la personne de Lambert Louis Conrardy. En tant qu’évêque de Liège, je suis fier de cet ancien prêtre de notre diocèse, d’autant plus que l’abbé Conrardy fut l’assistant et l’ami du bienheureux père Damien De Veuster à Molokaï. Ce dernier est devenu le patron de l’institut dont j’ai été directeur à Eupen de 1975 à 1985. On reste pantois devant le courage, la persévérance et la fidélité d’un homme comme l’abbé Conrardy : Dieu peut réaliser de grandes choses lorsque quelqu’un est prêt à mettre toutes ses capacités au service des pauvres et des faibles. Ce qui me frappe aussi dans la vie de l’abbé Conrardy, c’est le professionnalisme avec lequel il a voulu assumer le soin des lépreux en Chine : à cinquante-cinq ans, il entreprend les études de médecine et collecte lui-même les fonds nécessaires pour acheter une île, y construire et équiper les léproseries. Il y a cinq ans paraissait le monumental ouvrage, fruit de vingt années de recherches à travers tous les continents, L’abbé Conrardy, apôtre des lépreux, œuvre de l’abbé Werner Promper, professeur de missiologie à l’université de Münster… qui fut mon professeur de religion et d’anglais au collège de Saint-Vith ! 3


Et voici que la plume alerte du père François Tellings (†) nous fait revivre l’épopée de ce prêtre de chez nous, hors du commun, étonnant et fascinant. C’est en effet au collège Saint-Servais, collège des Jésuites à Liège, que le jeune Lambert Louis fit ses humanités et s’enthousiasma pour la mission. + Aloys Jousten, Evêque de Liège


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Un soir en Chine… e reste votre affectionné et reconnaissant serviteur et ancien condisciple. » Avec un soupir d’aise le Père apposa sa signature au bas des quatre longues pages couvertes de sa petite écriture serrée. Il se redressa ce qui provoqua une brève quinte de toux qu’il réprima en respirant deux ou trois fois l’air moite de sa cellule. Il déposa sur un coin de sa table la calotte noire qui habituellement masquait sa calvitie naissante, s’épongea le front où perlait une sueur fiévreuse et remonta la mèche de sa lampe à pétrole. La lumière plus vive accrocha le long tablier blanc pendu au mur, laissant deviner dans un coin une natte en paille de riz, avec, soigneusement pliée, une mince couverture de coton brunâtre. Le Père se leva lentement. C’était un homme de taille moyenne, sans grande robustesse mais dont la stature trapue révélait une résistance peu commune. Sur sa mince soutane noire, déteinte par endroits, une longue barbe tranchait par sa blancheur et s’illuminait d’un large sourire perpétuellement malicieux. Au-dessus d’un nez un peu fort, deux yeux bruns laissaient deviner une force tranquille et une énergie pleine de douceur. Il se dirigea vers la grosse malle en fer qui, avec la natte et la table boiteuse, formait l’ameublement de ce logis plus que modeste. Il revint s’asseoir, tenant en main une solide enveloppe de papier brun. Par précaution, il commença par mentionner au verso : « From L.L. Conrardy. Leper Island – Sheklung. Kwantung, China ».

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Ensuite, au recto, d’une large écriture en bâtons, il rédigea l’adresse de son destinataire : « A Son Excellence Monseigneur Martin Rutten, Révérendissime Evêque de Liège, rue de l’Evêché – Liège – Belgium ». Tandis que sa main s’activait machinalement, sa pensée le reportait septante-trois ans en arrière, vers ce quartier qui l’avait vu naître. Il était en effet venu au monde dans l’immeuble que ses parents occupaient au 293 de cette rue des Carmes, qui, à l’époque ne connaissait pas encore l’agitation de la halle aux viandes. L’ambiance paisible de l’endroit se feutrait encore davantage à travers la rue du Vertbois, le long du prestigieux ensemble du XVIIe siècle, qui pendant tout l’Ancien Régime, avait abrité les vieillards impotents et les filles repenties. Cette rue du Vertbois était celle, en effet, qu’il empruntait régulièrement avec sa famille vers l’église SaintJacques dressant sa vaste nef gothique à une centaine de mètres de la Meuse d’Avroy. Chaque dimanche, avec sa maman, il est là, à droite de la nef, entre la chaire de vérité et la statue de son patron Saint Lambert, œuvre du renommé sculpteur Jean Del Cour. Les yeux levés vers le plafond richement ouvragé, l’enfant se laisse envoûter par la majesté du lieu. Lui, volontiers expansif, il garde un silence dont se réjouit sa pieuse mère. Mais tout à coup, derrière lui, un grondement retentit, au milieu duquel, soudain, s’élève une ritournelle espiègle, semblable au gazouillis d’un oiseau printanier. Lambert, surpris, se retourne vers l’imposant buffet d’orgues d’où viennent ces flots d’harmonie. Craignant les réactions intempestives du bambin, Maman Dieudonnée le rappelle doucement au calme : « Chut ! écoute, c’est Papa qui joue ! » Il se rappelle à propos qu’on lui a expliqué pourquoi son père n’accompagne jamais vers l’église le petit cortège familial. 6


Au moment où celui-ci quitte la maison, Walther Conrardy est déjà depuis une demi-heure au jubé de Saint-Jacques dont il est l’organiste attitré. Cette fonction liturgique n’est d’ailleurs que le complément de sa profession officielle : maître de musique au Conservatoire. La cérémonie s’achève : l’assistance s’écoule vers la sortie en passant devant les fonts baptismaux où Dieudonnée ne manque jamais de rappeler : « Tu vois ? c’est ici que tu es devenu chrétien, le frère de Jésus ! Tu étais tout petit comme ça, alors. Maintenant, tu es un grand garçon ! » Pas besoin de le lui dire : n’a-t-il pas cinq ans et demi ? Il parle comme un grand, il mange comme un grand, il marche et court comme un grand. Sa menotte dans la large main de son père, n’est-il pas allé jusqu’à la Meuse qui longe paisiblement l’ancien couvent des Prémontrés, devenu, il y a vingt-cinq ans la résidence épiscopale. « Tu vois ? c’est ici la maison de Monseigneur l’Evêque ! » Du séminaire tout proche sortent trois jeunes étudiants dont l’austère soutane noire accentue plus qu’elle ne dissimule la juvénile candeur de leurs traits. « Tu vois ? Ils sont ici pour apprendre à dire la messe, comme Monsieur le Curé ! » Tu vois… Tu vois… que de choses à voir et dont il se souvient maintenant devant la petite table branlante, dans son pauvre logis au fin fond de la Chine. Les souvenirs ! Voilà qu’ils affluent en masse. Sa première communion, par exemple. Il n’avait pas encore huit ans qu’on lui parlait déjà de ce grand jour. C’était avec envie qu’il voyait ses frères et sœurs aînés quitter leur place aux messes des grandes fêtes, puis revenir s’agenouiller, les yeux clos, les mains jointes. Lambert alors redouble de calme : il ne faut pas les distraire puisqu’ils ont Jésus dans leur cœur. Avec une impatience grandissante, il attend ses douze ans. Ce n’est pourtant pas à Saint-Jacques qu’il vivra 7


cette première rencontre eucharistique. Depuis quelques années déjà, les Conrardy sont venus s’établir au 52 de la rue Saint-Gilles, longue artère animée de commerces variés. C’est donc à l’église paroissiale de Saint-Christophe que se déroulera la cérémonie qui devait le marquer pour toujours. Au lieu de la profusion du gothique flamboyant, c’est la pure austérité du roman qui fut le cadre de cette heureuse journée. Mais ce changement de quartier allait jouer sans doute un rôle plus décisif dans l’avenir du jeune adolescent.


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Comme un lointain appel n tiède après-midi de mars 1857. Pas question de week-end à cette époque. De sa voix claire et posée, le père Bosquet vient d’entamer le discours de Vercingétorix : « Nihil, inquit, de eorum sententia dicturus sum… » Depuis un an et demi déjà, Lambert est élève au collège Saint-Servais, tout proche du nouveau domicile de ses parents. Voilà vingt ans déjà que les Jésuites se sont de nouveau établis à Liège, après la restauration de leur ordre en 1815. Retrouvant leur rôle traditionnel d’éducateurs, ils ont pris la relève de l’école ouverte en 1838 par l’abbé Juliot, lui-même décidé à entrer au noviciat de la Compagnie de Jésus. Quittant le quartier Saint-Servais, qui l’avait vu naître, le Collège avait trouvé une avantageuse implantation rue Saint-Gilles, dans une belle demeure patricienne entourée de terrains spacieux promettant de nombreux agrandissements. C’est ainsi que dès 1843, s’élevaient déjà les deux longs bâtiments parallèles qui, pendant près d’un siècle et demi constitueraient la structure principale de l’établissement. Treize ans après, le père Bossaert, recteur et responsable des études, inscrivait sur ses registres le jeune Lambert que nous retrouvons en cinquième latine. « Dicturus sum… Pouvez-vous m’analyser cette forme, Monsieur Conrardy ? » Bien sûr, il le pourrait, mais depuis dix minutes sa pensée est bien loin d’Alésia. « Euh !… » Péniblement, il essaie en vain de reprendre contact avec la réalité. Déjà ses compagnons chuchotent. Le père Bosquet est

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perplexe : certes, ce Conrardy n’a rien d’un élève brillant, mais c’est plutôt un acharné. De plus, il émane de lui un tel désir de bien faire qu’il lui attire une sympathie quasi unanime. Aussi, est-ce sans une sévérité excessive qu’il le rappelle à l’ordre : « Allons, Monsieur Conrardy, ce n’est pas encore l’heure des rêveries printanières ! » Et il repose la question à un autre, peut-être à celui dont il avait surpris le sourire ironique devant l’ignorance de son condisciple. A vrai dire, la distraction peu habituelle de Lambert n’avait rien à voir avec l’éclatement des bourgeons tout neufs, moins encore avec les premiers émois de l’adolescence. Comme tous les quinze jours, Lambert avait passé une bonne partie de son temps de midi à la réunion du Cercle missionnaire. Les Pères s’étaient toujours montrés soucieux d’ouvrir l’esprit de leurs élèves aux grands problèmes de l’Eglise, au nombre desquels, en ce milieu du XIXe siècle, figurait en bonne place l’évangélisation des terres lointaines, pour laquelle tant de jeunes congrégations venaient de voir le jour. Sans rien d’obligatoire, le Cercle missionnaire faisait l’objet d’une invitation discrète auprès des élèves. Esprit ouvert et un brin aventureux comme tous les jeunes, Lambert en fut un des membres les plus assidus. Ce samedi, il a été gâté ! Le Cercle avait profité du passage du père Desmet, un robuste Flamand qui, dès cette époque était mondialement connu comme l’apôtre des Montagnes Rocheuses. Avec un réalisme volontiers teinté d’humour, le grand missionnaire avait su enthousiasmer son jeune auditoire pour cette vie terriblement dure mais si exaltante au milieu des Peaux-Rouges. Et c’est à cela que rêvait Lambert, loin des subtilités du participe futur latin. Eclos dans le cœur d’un adolescent de quinze ans, ce rêve de missions lointaines allait lentement mûrir, s’élargir. Les Rocheuses, c’est bien beau, mais il y a des âmes partout : il y a 10


l’Inde, il y a la Chine. Bientôt sans doute, il y aura l’Afrique centrale, cette « terre inconnue » dont on commence à parler, suite aux rapports d’un certain docteur Livingstone. Est-ce le désir de ne pas précipiter son choix ? Est-ce l’exemple de son oncle Mathias, curé de Sainte-Croix ? Toujours est-il que, dès sa sortie de rhétorique, Lambert entre en philosophie au petit séminaire de Saint-Trond. Cette institution était l’œuvre et, pourrait-on dire, le cher souci de Monseigneur Van Bommel, évêque de Liège depuis 1829. Bien que Hollandais lui-même, ce prélat avait su se concilier une telle estime qu’on ne songea guère à le remplacer lors de l’indépendance de la Belgique. En fait, on se figure difficilement la tâche écrasante des évêques belges à cette époque. Après les ruines de la période révolutionnaire, la renaissance catholique avait encore été freinée par le régime hollandais et protestant de Guillaume Ier, peu enclin à encourager les initiatives papistes. En tête des préoccupations de l’épiscopat, on trouve évidemment la formation d’un clergé pieux et compétent, ouvert aux multiples problèmes qui, de plus en plus, s’éloignait des traditions de l’ancien régime. Monseigneur Van Bommel était un homme bon mais sans illusion sur les faiblesses humaines. Persuadé que ses futurs prêtres ne commenceraient jamais trop tôt l’apprentissage d’une stricte discipline personnelle, il avait doté son petit séminaire d’un règlement qui pourrait nous sembler draconien : le futur pape Pie IX n’en avait-il pas fait, à plusieurs reprises les plus vifs éloges. Reconnaissons cependant la nécessité à cette époque, de prémunir le jeune clergé contre l’anarchie idéologique toujours latente. Voici donc Lambert à Saint-Trond où, pour sa deuxième année, il eut la joie d’être rejoint par ses deux frères, venus pour accomplir leurs études secondaires. 11


Puis, c’est le retour à Liège, dans ce quartier des Prémontrés qu’il avait si souvent arpenté dans ses jeunes années. Le voilà devenu comme l’un de ces « grands séminaristes » dont il enviait jadis l’allure modestement pimpante, sur les rives de la Meuse endormeuse. Il s’agit cependant maintenant de tout autre chose que de joyeuses ballades en soutane et chapeau plat. Le programme des études est terriblement chargé et exigeant. Le nouvel évêque, Monseigneur de Montpellier, y a pourvu : il est le digne représentant de la tendance ultramontaine, de cet alignement inconditionnel sur les doctrines et les usages romains, annonciateur de Vatican I. Cours de dogmatique, de morale, d’écriture sainte, de droit canonique, d’éloquence sacrée se succèdent à un rythme foudroyant. Et par-dessus tout, une vie spirituelle intense doit préparer une pléiade de jeunes prêtres pour cette Eglise de Belgique en plein essor. Et l’envie des missions, dans tout cela ? On en a peu de traces. Une nouvelle visite du père Desmet, au séminaire cette fois, est venue sans doute raviver ce projet qui risquait de se mettre en veilleuse. Peut-être plus encore de fréquents entretiens avec le père Schouppe, un jésuite à qui Monseigneur de Montpellier avait confié la direction spirituelle des séminaristes. Sans doute, entre eux, ont-ils pu évoquer les perspectives d’un apostolat lointain : le père Schouppe n’allait-il pas, lui-même, bien des années plus tard, s’embarquer pour les Indes, à l’âge de soixante-cinq ans ! Quatre ans de théologie, c’est peut-être long, mais un travail acharné peut le faire paraître plus court. Et puis, il y a les étapes, de plus en plus décisives. 1866 déjà : Lambert est sous-diacre. C’est un pas important, puisqu’il comporte l’engagement au célibat, mais plus encore parce qu’il marque une proximité plus étroite avec l’Eucharistie et fait poindre déjà l’aurore bienheureuse de la première Messe. 12


Cet heureux jour survient enfin, le 15 juillet 1867. En visite officielle à Rome, Monseigneur de Montpellier avait délégué pour cette importante cérémonie le Doyen de son Chapitre, Monseigneur Charles d’Argenteau. C’est à lui aussi, que, quelques jours plus tard, Lambert fut invité à rendre visite pour recevoir officiellement sa première désignation. Monseigneur l’attend, debout à côté de son bureau. Octogénaire, il reste néanmoins droit comme un i et, malgré sa soutane bien coupée, on imagine facilement le dolman à brandebourgs du ci-devant officier d’Empire. Il ne porte évidemment aucune décoration : la croix pectorale suffit à son prestige. Cependant, elle est là, au mur, dans un cadre de bois précieux, cette Légion d’Honneur jadis reçue des mains mêmes de Napoléon. « Alors, Monsieur l’Abbé ? Pas de surprise pour vous ? Vous voilà vicaire à Stavelot ! Monseigneur vous en avait déjà parlé, je pense. » Quelques judicieux conseils, les compliments d’usage… S’agenouillant devant le prélat, Lambert reçoit sa paternelle bénédiction et se retire, un peu songeur. Stavelot, ce n’est ni la Chine ni les Rocheuses, mais c’est déjà un peu plus à l’est et l’Ardenne est plus montagneuse que Liège. Pour un premier départ, on s’en contentera.



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Le prélude ardennais

ous le gai soleil de cette après-midi d’été, Lambert, sa valise à la main, franchit d’un pas décidé le portillon de la gare de Trois-Ponts, inaugurée depuis quelques mois à peine. Derrière lui, le préposé hèle le conducteur d’une sorte de cabriolet stationné à l’ombre d’un gros tilleul. « Voilà ton client, Joseph ! » L’interpellé descend de son siège, s’approche en soulevant sa casquette noire, débarrasse Lambert de son bagage qu’il hisse à l’arrière du véhicule : « Ça fait qu’on va à Stavelot, Monsieur l’Abbé ? » Souriant, Lambert répond à cette banale salutation sous laquelle perce cependant une franche cordialité. De Trois-Ponts la distance n’est pas grande et le petit cheval ne demande qu’à trotter. Joseph est plutôt taiseux, ou tout au moins discret. Lambert a tout loisir de songer à sa première entrevue avec le Doyen. La prise de contact est brève : depuis quinze ans qu’il administre une paroisse, l’abbé Nyssen sait bien qu’il est inutile de noyer son nouveau vicaire dans une foule de détails. On est jeudi. D’ici dimanche, Lambert aura tout le temps de se familiariser avec son nouveau logement et d’entreprendre la préparation du cours de religion qu’il devra assurer à l’institut Saint-Remacle, dès la rentrée de septembre. Dans trois jours, on comptera sur lui pour la messe basse de huit heures.

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Ce dimanche-là, devant le porche de l’église, trois paroissiennes, poussées par la curiosité, ont tenu à arriver un peu plus tôt. Déjà les commentaires vont leur train : « Moi, je l’ai vu hier matin qui traversait la place. Mon Dieu ! quel bel homme ! » annonce Aurélie. Un éclat de rire des deux autres salue la naïve remarque. « Toi, ça m’étonnerait que tu n’aies pas remarqué ça ! » constate Marie-Ange. « En tout cas, intervient Angeline, Joseph a dit à mon homme qu’il avait l’air bien brave ! On verra ça, hein ! De toute façon, un nouveau ramón balaie toujours bien ! » Un coup de sonnette et les fidèles, plus nombreux que d’habitude à cette messe matinale, le voient enfin leur nouveau vicaire. Aurélie avait dit vrai. Assez grand, mince, il évolue avec aisance sous la chasuble verte. Sa prononciation est claire, ses gestes naturels et mesurés. Et surtout, il y a cette courte barbe noire, qu’il a été autorisé à garder et qui surprend un peu les paroissiens habitués à un clergé paroissial réglementairement glabre. Durant le sermon que s’est réservé Monsieur le Doyen, il observe discrètement de son siège le groupe attentif des fidèles. Et puis, c’est l’offertoire, la consécration où il apprécie le silence recueilli, seulement ponctué par le tintement rituel de la clochette, puis le long ébrouement de la foule qui se redresse. Les quelques communions – la coutume n’est pas encore à la communion dominicale – l’émeuvent du sentiment très vif de vraiment donner à ces paroissiens ce qu’il y a de meilleur. Et lorsqu’il se retourne enfin pour la bénédiction, ceux-ci devinent que ce nouveau prêtre les aime sans doute un peu. Quant à lui, en retrouvant l’ombre fraîche de la sacristie, il sent profondément qu’il les aime déjà beaucoup. Cette affection fraternelle, il allait la montrer quotidiennement. Son contact aisé, ses paroles toujours encou16


rageantes furent vite appréciées de toute la communauté. Ses initiatives aussi, même si elles surprenaient parfois la mentalité ardennaise, plutôt attachée aux traditions. Ne s’était-il pas avisé, un dimanche, de chanter les vêpres en français. L’expérience fut-elle renouvelée ? L’histoire ne le dit pas mais elle montre à souhait son désir d’être toujours le plus près possible des âmes qui lui étaient confiées. Il devait le montrer d’une façon plus marquante encore au cours des années suivantes. Malgré les découvertes de Jenner au XVIIIe siècle, la vaccination antivariolique n’était pas encore généralisée et la terrible maladie sévissait encore par endroits, à des intervalles plus ou moins réguliers. En 1869, ce fut au tour de la région de Stavelot, de payer son lourd tribut au fléau. Comme toujours, ce furent les plus pauvres qui en subirent les premières et les plus graves conséquences. N’écoutant que son cœur, c’est sur eux que Lambert se pencha en priorité, apportant à leurs corps et à leurs âmes tous les soins qui étaient en son pouvoir. Un matin, vers cinq heures, un ouvrier qui se rendait à son travail, le rencontra, qui rentrait à son logis. Il le salua et passa son chemin sans y penser davantage. C’est au cours de la journée qu’on apprit que le vicaire avait passé la nuit sur une chaise, à l’église, son lit étant occupé par un malade qu’il avait hébergé. Et ses élèves ? On se souvient que Lambert avait aussi la charge d’un cours de religion à l’institut Saint-Remacle, devenu depuis peu collège épiscopal. L’établissement, pourtant récent, avait un rayonnement qui dépassait largement le cadre de la modeste bourgade. De toute la Belgique, mais aussi des régions germanophones toutes proches, les élèves affluaient, attirés par l’excellente réputation des cours d’allemand, cette langue qui plus que l’anglais était, à l’époque, le sésame indispensable pour tous les jeunes soucieux d’un brillant avenir industriel ou commercial. 17


Parmi les élèves de ce collège, un des plus prestigieux, le Général Baron Jacques de Dixmude, héros de la guerre 1914-1918, devait, en 1919 rappeler le souvenir ému de ses anciens maîtres. Sans le citer nommément, il a sans doute dû être impressionné par l’allant et l’enthousiasme de son jeune professeur de religion. Et les missions, dans tout cela ? Pas plus qu’il n’a renoncé au port de la barbe, Lambert n’oublie pas son rêve d’apostolat lointain. Et si les multiples tâches de son vicariat absorbent le plus clair de son temps, divers événements sont là, pour raviver en lui l’invitation du Seigneur « Duc in altum ! Cingle vers le large ! » Ne venait-on pas d’apprendre le martyre de dix Filles de la Charité, massacrées à Tien-Tsin en 1870 et au nombre desquelles se trouvait une Stavelotaine, sœur Marie-Josèphe Adam. Plus impressionnant encore dut être l’enthousiasme des trois cents religieuses de la congrégation qui sollicitèrent comme une grâce d’aller remplacer leurs consœurs. C’en fut assez pour que Lambert rappelât à son évêque l’idéal qui le poursuivait depuis si longtemps. Revenu du concile Vatican I, où il avait rencontré tant d’évêques missionnaires, Monseigneur de Montpellier était suffisamment sensibilisé aux problèmes des jeunes chrétientés, pour accorder volontiers son approbation. Plus encore que de nos jours, les missions étaient confiées presque exclusivement à des instituts religieux. Les prêtres diocésains que leurs évêques acceptaient de détacher étaient pris en charge par la Société des Missions étrangères de Paris. L’abbé Conrardy commença chez eux une année de probation, le 12 juillet 1871, un mois à peine après avoir signé une dernière fois le registre des baptêmes à Saint-Sébastien de Stavelot.


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L’or dans la fournaise

ne fois de plus, le rêve chinois devait être ajourné. Le 23 juin 1872, Lambert quittait Marseille à destination de Pondichéry. Capitale de l’Inde française – situation qui devait perdurer jusqu’en 1954 – la ville était le centre d’une chrétienté déjà ancienne : n’avait-elle pas pour origine une mission de la Compagnie de Jésus lancée par Louis XIV ? Considérablement écourté grâce au canal de Suez – inauguré depuis 1869 –, le voyage se passe sans encombre. Lambert échange déjà des projets d’avenir avec ses deux compagnons, un Français et un Suisse, destinés comme lui pour le diocèse de Monseigneur Laouënan. Aussi Breton que son nom le laisse deviner, celui-ci est un homme rude et vigoureux, clairvoyant aussi et peu prompt aux emballements intempestifs. C’est pourtant avec enthousiasme qu’à deux reprises, il remercie le directeur des Missions étrangères pour l’envoi de ces trois nouvelles recrues. Sans doute a-t-il déjà remarqué l’abbé Conrardy, puisque dès son arrivée, il l’avait désigné pour Karikal, comme assistant de l’abbé Giraud. Ce dernier, arrivé depuis un an, est une espèce de Curé d’Ars dont le temps est partagé entre les longues heures devant le Saint-Sacrement et les séances interminables dans son confessionnal perpétuellement assiégé. C’est dire qu’il fait grand accueil à Lambert Conrardy, lequel, de son côté apprécie d’emblée la bonté et la douceur de son nouveau curé. Allons ! Le travail ne manquera pas, Deo gratias !

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Ce qu’il entrevoit rejoint parfaitement les précisions fournies par son Evêque sur la situation de son district. Karikal est un centre important : quatre chapelles secondaires appuient l’action de la paroisse principale ; un collège dont les prêtres aident également dans les divers lieux de culte ; outre une école pour filles européennes, quatre autres se partagent les jeunes indigènes sous la direction des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, lesquelles gèrent également un orphelinat. Plus de neuf mille baptisés constituent un petit îlot chrétien plein de promesses. Mgr Laouënan peut donc en être légitimement fier et se féliciter d’y avoir placé un élément de la trempe de Lambert Conrardy. Hélas, malgré tout son zèle spirituel, ce dernier doit bien vite déchanter et ce sont des réflexions bien amères qui hantent ses nuits sans sommeil sous la moustiquaire qui rend moins respirable encore un air déjà confiné. Le travail dans cette atmosphère torride lui fait l’effet d’un bain de vapeur continuel. Lui qui naguère débordait d’énergie se sent, depuis deux mois, en proie à une envahissante torpeur. Malgré les conseils réitérés de ses confrères, il ne peut se résoudre à adopter une nourriture indigène, plus légère mais en même temps plus tonique. Plus grave encore, il éprouve comme un engourdissement de son esprit : certes, il n’a jamais été un intellectuel mais son acharnement lui a permis jusqu’ici de mener à bien ses études. Or, maintenant, malgré un labeur quotidien il ne parvient pas, ou si peu, à assimiler la langue tamoule. Jusqu’à la prière qui lui devient difficile, lui qu’une piété sans ostentation mais solide avait toujours soutenu à travers tout. Malgré ces sombres pensées, la fatigue a fini par le faire tomber dans un demi-sommeil, envahi de sensations étranges. La soudaine fraîcheur d’une brise passagère le transporte en rêve sur les lointains bords de Meuse. Il se re20


voit, en plein décembre, plongeant bravement dans cette petite anse de l’île Monsin, à l’abri des roseaux scintillants de givre. Il croit sentir le frais contact de ses vêtements enfilés en hâte sur son corps ruisselant d’où s’élève comme une légère brume dans l’air hivernal. Lui, le nordique, le mosan, qu’est-il venu faire dans cette Inde étouffante qui, de jour en jour, lui pompe ses énergies physiques et mentales ? Monseigneur Laouënan n’a pas été sans remarquer le délabrement de son jeune vicaire. Lui dont la robustesse granitique est passée sans encombre de la fraîcheur des Côtes d’Armor à la fournaise de l’Océan Indien, conclut un peu hâtivement à une crise passagère d’adaptation. Quelques semaines de repos dans les collines et on n’en parlera plus. Et de fait, un séjour à Ottacamund semble porter de bons résultats. Mais, pour Lambert, cela fait l’effet d’une contreépreuve. Sous un climat plus frais, ses forces semblent lui revenir. Mais le doute n’est plus permis : l’origine de ses maux, ce n’est ni la difficulté de l’apostolat, ni les pièges de la langue tamoule, ni le travail harassant. C’est son inadaptation radicale au climat. Son désir de servir reste intact, mais… « Hélas, ce n’est pas dans ce pays qu’il me sera donné de réaliser mon rêve le plus cher. » Telle est la conclusion réaliste que le Vicaire Apostolique peut lire au bas de la lettre qu’il a trouvée sur sa table au début d’août 1873. Sa réponse est tout empreinte de la surprise peinée qu’il éprouve. Sa sollicitude paternelle lui fait regretter le long silence de l’abbé Conrardy concernant ses ennuis de santé. Et puis, avare de compliments, il n’avoue pas sa déception de devoir se priver d’une collaboration si prometteuse. Avec quelques bons conseils d’hygiène tropicale, il promet de chercher rapidement pour Lambert, un poste plus aéré et mieux en rapport avec son tempérament. 21


Par retour de courrier, Lambert se déclare prêt à tenter un nouvel essai, bien que ses confrères se montrent fort sceptiques sur les effets réels d’un prétendu changement de climat. De son côté, Monseigneur Laouënan informe le directeur des Missions étrangères du problème rencontré. Entre supérieurs, le langage perd beaucoup de son ton paternel, même s’il y gagne en clarté. Selon l’Evêque, il n’y a guère d’espoir de retenir Lambert dans cette mission de l’Inde « où il semblerait n’être venu qu’avec une extrême répugnance… » [sic] Quant aux maux dont se plaint Lambert, il n’est pas loin de les attribuer à un excès d’imagination. Il suggère donc diverses régions – le Japon, la Corée, la Mandchourie – où pourrait s’exercer à plein le zèle de son subordonné. Bien entendu, cela peut prendre du temps car ce départ nécessitera toute une réorganisation du Vicariat. Cette politique dilatoire, fréquente dans tous les bureaux, ecclésiastiques ou autres, se voit brusquement interrompue par un coup de théâtre. Le docteur Haubert, prié d’examiner Monsieur Conrardy, rend un diagnostic formel. Un anévrisme au cœur risque à tout moment d’emporter son patient. Déconcerté par ce verdict, Lambert passe encore plusieurs mois d’hésitations en divers sens, d’ailleurs partagées par les responsables de la Société qui semblent de plus en plus enclins à le rayer de leurs effectifs. Entre-temps parvient la nouvelle du décès du père Desmet dont Lambert avait tellement admiré le zèle missionnaire parmi les Peaux-Rouges. Au fait ? Pourquoi pas ? Ce nouveau projet résoudrait bien des problèmes. Aussi les autorisations ne se font-elle pas attendre. Dès mai 1874, après un bref séjour chez ses parents à Liège, Lambert fait son entrée au Collège américain de Louvain. Fondé en 22


1857 cet institut préparait des prêtres pour renforcer les effectifs des jeunes chrétientés – tant indiennes qu’européennes – d’Amérique du Nord. Ordonné depuis plus de sept ans, déjà riche d’une certaine expérience pastorale, Lambert n’y restera que le temps des formalités au terme desquelles il s’embarquera pour le diocèse d’Oregon City, aujourd’hui Portland.



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Himtuken 1

’isthme de Panama vient d’être franchi grâce au tout nouveau chemin de fer transpanaméen qui, au prix de vingt-cinq heures de wagon surchauffé, évite l’interminable contournement par le Cap Horn de sinistre réputation. C’est maintenant la lente remontée vers San Francisco : treize jours de mer, et si tout va bien, la vaste métropole californienne sera en vue vers la mi-novembre. Lambert est plein d’espoir ! Bien sûr, il aspire à autre chose qu’à diriger un collège ou administrer une paroisse d’Européens. C’est ce que comprend d’emblée Monseigneur Blanchet qui, au terme d’un bref séjour de deux mois, lui donne le feu vert pour rejoindre la mission indienne d’Umatilla où il arrive fin janvier 1875. A vrai dire, les premiers contacts avec le climat américain n’avaient pas été des plus encourageants. Les environs de Portland sont froids et humides. Tout autre est la situation en Oregon oriental, sur l’autre versant de la chaîne des Cascades où règne un temps plus sec et moins froid. Lambert est enchanté : physiquement, il se sent littéralement renaître. Impression hâtive d’un nouvel arrivant ? Pas du tout ! Cinq ans plus tard, en plein hiver 1881, dans une lettre à un père bénédictin de Collegeville, il ne tarira pas d’éloge

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1. Ce mot amérindien signifie « le Barbu » ! Le petit collier du vicaire de Stavelot s’est développé majestueusement, à la grande admiration des Peaux-Rouges, peu habitués à cette luxuriance pileuse.

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sur la douceur paradisiaque de l’endroit : « Les gens labourent comme si nous étions en plein avril… Nul n’ignore que la réserve d’Umatilla est le paradis de l’Oregon ! » Avec la santé physique, toutes ses facultés reprennent le dessus : lui qui, en Inde s’efforçait en vain d’assimiler la langue de l’endroit, se met, avec ardeur et succès à l’étude des divers parlers des « Nez-Percés ». Entreprise d’autant plus ardue qu’il n’existe à l’époque aucune méthode structurée pour cet apprentissage : quelques glossaires, l’un ou l’autre texte manuscrit et c’est tout. Or il s’agit non pas d’un vague idiome mais d’une langue comparable au latin ou au grec par la richesse de ses déclinaisons et la précision de ses nuances. De l’avis même du père Morville, jésuite, elle pourrait sans difficultés exprimer les réalités spirituelles les plus subtiles. Sans doute Lambert n’en est-il pas encore là, néanmoins rapidement l’aide d’un interprète lui devient de moins en moins nécessaire. N’allons cependant pas imaginer que la mission d’Umatilla était une sorte d’Athènes d’outre-Atlantique. Les mœurs des Indiens, d’ailleurs fort abîmées par le contact avec la colonisation, étaient fort peu compatibles avec les usages les plus élémentaires de l’urbanité. Si riante que soit la nature dans ces régions, elle exigeait des hommes rudes chez qui la vigueur physique passait avant les préceptes du savoir-vivre. Il en résultait des heurts parfois douloureux pour des tempéraments longuement modelés par la civilité bourgeoise et l’onction ecclésiastique préconisée dans les séminaires d’Europe. Au XVIIe siècle déjà, des missionnaires jésuites français – les futurs « Martyrs canadiens » – avaient souligné avec un humour héroïque, le choc toujours pénible des mentalités. Et cependant, Lambert est heureux : sa vigueur revenue, son goût de l’effort physique, son indifférence relative au 26


confort matériel, lui rendent supportables les longues courses équestres par monts et par vaux, la nourriture plus que frugale, les nuits à la belle étoile, sans compter les mille et une corvées quotidiennes lorsqu’il s’agit d’organiser le campement au terme d’une étape déjà harassante. Et tout cela dans une bonne humeur qui fait l’admiration de sa petite escorte. Sa barbe atteint maintenant les vingt-cinq centimètres mais est devenue bien inutile pour convaincre ces infatigables hommes de la Prairie : vraiment, leur brave Himtuken n’a rien d’une mauviette ni d’un « cœur de Squaw » ! Aussi est-ce avec une sincère fierté qu’ils l’adoptent pour l’un des leurs. Quant à lui, il découvre graduellement les qualités humaines qui se cachent sous les manières frustes de ses ouailles. Pas des anges, bien sûr ! Mais faut-il être des anges pour chanter les louanges du Seigneur ? Or, justement, ces Indiens adorent chanter. Il existe, dans leur langue, tout un répertoire religieux dont les rythmes étranges et les accords insolites témoignent d’un enthousiasme qui doit ravir le fils de l’organiste de SaintJacques. Aussi, est-ce toujours avec joie qu’il organise les grandes tournées pastorales de son nouvel évêque, Monseigneur Seghers, un Gantois. Le goût très vif des Peaux-Rouges pour ces grands rassemblements de fête est chaque fois un gage de succès assuré. Hautement pittoresques, ces déplacements de plusieurs semaines. Jugez-en plutôt ! Par un beau dimanche de juillet, après une grand-messe pontificale où il avait conféré le sacrement de confirmation, le prélat regarde embarquer ses bagages dans l’espèce de berline mise à sa disposition pour son grand périple à travers les réserves indiennes. Soudain, s’élève une clameur qui se rapproche graduellement, ponctuée çà et là par des salves de mousqueterie. Chevauchant botte à botte, le 27


grand chef Wap-ta-Shen-Kein et le père Conrardy arrivent au petit trot, suivis d’un groupe de Nez-Percés en costume d’apparat. Ils vont escorter l’évêque et le supérieur de la mission, le père Cataldo. C’est à grands cris que se met en marche la petite colonne où, au dire d’un témoin, notre Lambert n’est pas le moins bruyant ! La route traverse une région montagneuse piquée çà et là de villages dont les habitants descendent pour acclamer les augustes visiteurs. Certains, de plus en plus nombreux, se joignent au cortège qui prend, petit à petit, l’aspect d’un fleuve majestueux. A chaque village important, c’est la fête : selon l’heure, messe solennelle ou salut au Saint-Sacrement, cérémonies de Confirmation… Le 3 août, ils seront mille quatre cents à la mission Saint-Ignace pour accueillir les voyageurs arrivés après une étape démesurément allongée par les routes défoncées et la rivière en crue. Comme tous les nomades, les Indiens se font un point d’honneur de pratiquer l’hospitalité la plus généreuse. La nuit cependant surprend parfois la colonne en dehors de tout endroit habité. Encore heureux quand on découvre une de ces cabanes isolées, jalonnant la piste en vue du passage occasionnel d’un missionnaire : logement improvisé, repas à la – pauvre – fortune du pot : une marmite de thé, un morceau de viande rissolé à la poêle et, luxe suprême, quatre pommes de terre, celles qui, percées d’un trou, ont servi de chandelier, ce matin même, sur l’autel de fortune. Depuis quelques jours, le temps s’est remis au beau. C’est un superbe coucher de soleil qui accueille le cortège après un assez long parcours à travers bois. Un vaste plateau herbeux s’étend devant eux avec, à quelques miles, un village d’aspect assez important. Monseigneur est descendu de sa berline pour admirer le paysage et se dérouiller les jambes. Le père Conrardy a respectueusement mis pied 28


à terre et les deux hommes se taisent un instant devant le spectacle grandiose. Et tout à coup, l’évêque aperçoit son compagnon en proie à un début de fou rire. « Quelque chose de spécial ? s’enquiert le jovial Flamand. — Oui, plutôt, Monseigneur ! Vous voyez cet arbre, là-bas ? poursuitil, en désignant un érable de belle taille… Eh bien, c’est là que j’aurais dû être pendu ! — Lieve deugd ! Pendu, ditesvous ? Et vous êtes encore en vie ! — Pour vous servir, Monseigneur. Le chef du village que vous voyez là et où je passais la nuit, vint m’annoncer la nouvelle dans la hutte où ils m’avaient poussé sous bonne garde. J’ai pris ma montre et lui ai dit simplement : « Alors, je n’aurai plus besoin de ça ! Tiens, je t’en fais cadeau ! » Il a couru dire aux autres : « Ça ne sert à rien de le pendre : il n’a pas peur, et ça n’a même pas l’air de l’ennuyer. » Vous voyez, Monseigneur ! N’est pas pendu qui veut ! » Que de souvenirs a-t-il encore pu évoquer, aux rares moments où ils se retrouvaient à deux après d’interminables palabres avec les Indiens, toujours avides de nouvelles explications. Malgré le surcroît de fatigue qu’elle lui occasionnent, Lambert apprécie ces visites pastorales. Pas pour se glorifier des résultats pourtant appréciables, ni pour jouer au héros luttant dans des conditions épouvantables. Mais c’est une occasion pour lui d’un encouragement particulièrement bienvenu : il se sent, non plus un pauvre prêtre, se débattant seul dans un petit coin du globe, mais à travers son évêque, l’héritier de la mission confiée par le Christ à l’Eglise tout entière : « Allez enseigner toutes les nations. ! » Aussi, est-ce avec une joie toute spéciale qu’il accueillit chez lui, une dernière fois Monseigneur Seghers accompagné d’un autre Belge, Monseigneur Brondel, un Brugeois promu évêque de Victoria. Avec un jeune abbé faisant fonc29


tion de secrétaire, nos Révérends s’entassent tant bien que mal dans l’unique pièce qui constitue le logement du père Conrardy. Ils ont ainsi l’occasion d’apprécier l’ingéniosité de l’aménagement : un des coins lui sert de cuisine, un autre de bureau, le troisième de parloir – avec un piano, s’il vous plaît ! – et le dernier de chambre à coucher. Au milieu, la salle à manger où tous les quatre prennent place autour d’un plat de viande entourée de pommes de terre en robe des champs. Vaisselle et argenterie sont à la hauteur du menu : l’archevêque a droit à une tasse avec soucoupe, l’évêque à une tasse seule, le secrétaire à un gobelet d’étain et l’amphitryon… à une boite à conserve. Les préséances étant ainsi respectées, la mine compassée des visiteurs eut tôt fait de se dissiper devant les sourires et les bonnes blagues dont Lambert les gratifie sans désemparer. Ni Flamands ni Wallons n’ont jamais eu la réputation de se complaire dans la mélancolie. Néanmoins, le retour de ces expéditions à grand spectacle laisse toujours un peu d’amertume dans le cœur du Père Conrardy. C’est que, de retour vers le centre de la mission, maints problèmes d’un autre genre vont l’assaillir. Tout à son zèle missionnaire, il aurait un peu tendance, paraît-il, à délaisser ses ouailles européennes. C’est du moins l’impression qu’éprouvent certaines d’entre elles. N’exagérons rien cependant : le contact permanent avec ses bien-aimés Indiens lui rend plus qu’agréable l’atmosphère qu’il rencontre dans maints foyers chrétiens venus d’Europe. Là aussi, ses dons de conteur et le pittoresque de ses récits font la joie des petits comme des grands. Les enfants en particulier sont médusés par sa barbe de plus en plus drue mais charmés par les mots en langue indienne qu’il leur apprend à prononcer correctement et dont ils feront fièrement étalage le lendemain à l’école. 30


Une fillette de douze ans s’approche, un livret à la main : c’est son recueil de poésies où elle demande au Père de lui écrire quelque chose. Quarante-cinq ans plus tard, devenue mère Mildred de la Congrégation de l’Enfant-Jésus, elle conservera encore pieusement un de ces autographes : Nemitz akamkeneke emana watashkast – « Que Dieu vous bénisse ! » Mais ces séjours parmi les blancs ne sont pas toujours aussi idylliques : habitué à évoluer habilement parmi les Peaux-Rouges, il se sent moins sûr lorsqu’il s’agit de maîtriser les problèmes administratifs. Ceux-ci ne manquent pas cependant : le nombre croissant des colons rend de plus en plus urgente la construction d’églises et de chapelles permanentes. Achats de terrains, autorisations de bâtir, financement des travaux… autant de problèmes pour lesquels il rencontre heureusement la collaboration dévouée de ses paroissiens, Irlandais pour la plupart. Plus éprouvante est la question des écoles. C’est qu’il s’y trouve confronté avec les vues, parfois fort divergentes, des divers agents fédéraux dont dépend l’enseignement. Malgré les difficultés inhérentes à sa connaissance, jugée insuffisante, de la langue anglaise, Lambert avait fini par gagner la confiance de Monsieur Conroyer, qui reconnaissait sa compétence comme maître d’école. Tout autres allaient être ses rapports avec les administrateurs suivants, Messieurs Fay et Sommerville. Sans doute ces derniers maniaient-ils un peu facilement les arguments d’autorité. Sans doute par tempérament, le Liégeois Conrardy a-t-il une tendance marquée à dire clairement ce qu’il pense… et parfois davantage. Et ses chers Nez-Percés étaient bien peu qualifiés pour lui enseigner la diplomatie. Ces querelles où tant d’énergies se dépensent en pure perte auraient encore pu être relativisées si Lambert avait 31


senti un consensus unanime des religieuses désignées pour le seconder. Mais l’accord était loin d’être parfait et si beaucoup d’entre elles reconnaissaient son courage et son savoir-faire, d’autres le trouvaient « contrariant » et s’en plaignaient, sans songer à comprendre qu’au retour de ses tournées à travers les villages, le Père aspirait sans doute à autre chose qu’à devoir subir des arguties administratives. Toutes ces difficultés n’entament cependant en rien l’acharnement de notre apôtre. Un bref séjour en Belgique pour consoler les derniers moments de son père qui devait décéder en janvier 1886, aurait pu lui inspirer la tentation de rester au pays. Au contraire, Monseigneur Gross qui a succédé à Monseigneur Seghers aura encore l’occasion, lors d’une visite pastorale durant l’été suivant, de constater les fruits de son labeur infatigable et de son indéfectible dévouement. Aucun découragement n’apparaît non plus dans la longue lettre qu’il adresse à madame Massange, une ancienne paroissienne de Stavelot. Et pourtant son analyse de la situation dans les missions d’Amérique est d’une lucidité sans indulgence. Il y déplore principalement le matérialisme des Blancs, le culte effréné du tout-puissant dollar et l’immoralité qui en découle. Quant aux Indiens, ils sont touchants par leur piété expansive, surtout au cours des grandes cérémonies. Mais à côté de cela, quelles perturbations n’a pas provoqué chez eux le choc brutal avec les conditions de vie européennes : perte de leur identité culturelle, ruine de leur mode de vie ancestral, catastrophe sanitaire due à l’extension galopante de la tuberculose, venue d’outre-Atlantique. Et sous la plume du père Conrardy, cette constatation qui n’est même plus un cri d’alarme mais qui prend l’accent inéluctable et funèbre d’une sonnerie de glas : « Le sort des Indiens est fixé à tout jamais : la 32


mort est leur fin. Il y a vingt-cinq ans, ils étaient deux mille cinq cents, aujourd’hui six cents tout au plus. Rien ne peut les sauver : la civilisation les tue ! » Et voilà que la lettre se termine par une nouvelle bouleversante : « Dans quelques mois, je laisserai mes Indiens et me dirigerai vers une autre contrée à cinq cents lieues d’ici ! » Que s’est-il passé : ce lutteur acharné se résout-il à déclarer forfait ? Tâchons plutôt de lui trouver d’autres motivations, plus en rapport avec ce que nous savons de son tempérament de feu.



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Deux âmes se rencontrent evenons huit ans plus tôt : dans l’antichambre de la résidence épiscopale de Portland, Lambert Conrardy ne parvenait pas à se défendre d’un certain sentiment d’inquiétude. Ce n’était évidemment pas la première fois qu’il rendait visite à son évêque, mais en ce mois d’octobre 1879, ce n’était plus Monseigneur Blanchet qui l’attendait, mais son coadjuteur nouvellement promu, Monseigneur Seghers, et l’enjeu de cette entrevue était, aux yeux de Lambert, d’une importance capitale : il s’agissait de fournir un rapport détaillé de la situation dans les réserves, à ce nouvel évêque que son état de santé empêchait de venir se rendre compte de visu. Les aiguilles tournent. Malgré la patience apprise au contact des Peaux-Rouges, le père éprouve un brin de nervosité et les quelques reproductions de tableaux religieux qui ornent les murs ne lui apportent qu’un dérivatif bien passager. Sur une tablette basse, quelques publications accrochent son regard. Une d’entre elles particulièrement éveille son intérêt. Il n’est pas tout neuf, ce numéro de Missions catholiques. Il date en fait de 1874 et son dos fatigué, ses feuillets écornés montrent qu’il est déjà passé par de nombreuses mains. Sous les doigts de l’abbé Conrardy, la revue s’ouvre toute seule à la page 188. L’article fait état d’un prêtre belge, un Campinois de l’ordre des SacrésCœurs de Jésus et de Marie, mieux connu comme les

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« Pères de Picpus », du nom de leur maison mère parisienne. Le père Damien était arrivé à Honolulu le 19 mars 1864. Jeune encore et débordant d’enthousiasme, il s’était colleté à pleins bras avec les divers problèmes qui étaient ceux de tous les missionnaires : l’établissement de paroisses, la construction d’églises et d’écoles, la gestion de dispensaires… le tout dans des conditions climatiques bien peu favorables. Déjà sujettes à des ouragans parfois terribles, ces îles étaient de plus périodiquement menacées par des éruptions volcaniques, provoquant séismes et raz-de-marée. Quoique favorisée par le souverain de l’endroit, l’évangélisation catholique devait compter avec la concurrence de missionnaires protestants particulièrement zélés. Très vite cependant, les problèmes sanitaires avaient pris une importance préoccupante. Le phénomène n’était pas nouveau : de trois cent mille âmes en 1770, la population, en moins d’un siècle, était tombée à septante mille ! A côté des maladies vénériennes, des effets désastreux de la malnutrition, de la tuberculose venue d’Europe, la lèpre prélevait annuellement son nombre effrayant de victimes. On sait suffisamment combien, sous tous les climats et à toutes les époques, cette maladie était l’objet de mesures prophylactiques d’autant plus sévères que souvent, elles interféraient avec les interdits religieux. Alarmés par l’extension du fléau, les services de santé américains avaient fait, dès 1865, l’acquisition d’une partie de l’île de Molokaï. Isolé par une mer perpétuellement agitée et par des falaises particulièrement abruptes, l’endroit permettait par ailleurs à la population de subvenir à ses besoins alimentaires. Dès le mois de janvier de l’année suivante les arrivages commencèrent, à peine ralentis par les catastrophes naturelles, qui, malgré les prévisions officielles, rendaient précaires les 36


conditions matérielles des habitants. Tout un temps, ceuxci purent bénéficier de l’assistance spirituelle de prêtres de passage, y compris celle de Monseigneur Maigret qui allait venir au mois de mai, inaugurer la toute neuve église SaintAntoine. Ce fut l’occasion pour les malheureux relégués d’adresser à l’évêque une pétition qui allait tout décider : « Le Gouvernement a grand soin de nous : il ne nous manque qu’une chose : la présence d’un prêtre ! » Il était bel et bien question d’un curé en titre, d’un prêtre à demeure, avec ce que cela comportait de risques de contamination. Malgré cette sombre perspective, il se trouva trois religieux volontaires pour cette mission toute héroïque, parmi lesquels Monseigneur Maigret allait désigner le père Damien De Veuster, sans pour autant exclure l’idée que ce séjour ne serait que temporaire. D’abord l’objet d’une certaine méfiance de la part de ses nouveaux paroissiens, Damien comprit très vite que son efficacité apostolique ne serait réelle qu’en acceptant de partager totalement leur séquestration. Ce pas décisif, il devait l’accomplir en 1873. Cette décision sans retour avait immédiatement défrayé la presse mondiale et l’article des Missions catholiques qui s’en faisait l’écho publiait de larges extraits d’une lettre que Damien adressait à son frère, religieux comme lui, mais resté en Belgique. Avidement, le père Conrardy dévora ces lignes, ébranlé comme par un coup de tonnerre. Une fois terminé l’entretien avec son évêque, qui dut le trouver exceptionnellement rêveur, Lambert revint dans l’antichambre et relut fiévreusement les passages les plus significatifs. Les Liégeois, dit-on, ont l’âme épique : or, n’était-ce pas une véritable épopée spirituelle qu’à travers un style serein et objectif laissait deviner son confrère flamand. Plus encore 37


la référence à cette foi dans la providence divine a dû émouvoir l’âme confiante de Lambert Conrardy. N’avait-il pas déjà à maintes reprises éprouvé la sollicitude de ce « Pasteur d’Israël »… celui qui conduit Joseph comme une brebis ! Une période de germination silencieuse allait se dérouler pendant plusieurs années. Comment les deux prêtres allaient-ils entrer en contact par-delà les océans ? Il est bien difficile de le dire et aucune trace significative de leur correspondance ne nous est parvenue. Des notes de l’abbé Conrardy affirment cependant qu’un échange épistolaire est intervenu dès 1876. Ces lettres qui n’étaient peut-être que des mots d’encouragement et de sympathie devaient prendre un tout autre tour en 1884. Ce qui était prévisible était arrivé : le 17 mars, le docteur Arning qui avait accompagné un nouveau contingent de malades examina le père Damien et le déclara officiellement lépreux. Les mesures de ségrégation devaient lui être appliquées dès l’année suivante. C’est alors qu’un rêve se fit jour dans le cœur du lépreux volontaire : « Ah ! s’il pouvait avoir auprès de lui un compagnon qui un jour pourrait poursuivre son œuvre ! » Ses supérieurs firent plusieurs tentatives pour lui procurer cette assistance, mais toutes se soldèrent par un échec : aucun des pères désignés ne parvint à tenir le coup : l’un d’eux, devenu malade à son tour en fut tellement affecté qu’il en perdit la raison. Un autre s’avéra d’un caractère incompatible avec celui du bouillant Damien. Car ce héros de la charité n’avait rien d’une colombe roucoulante, moins encore d’un mouton bêlant. Conrardy, ce prêtre si lointain et pourtant si fraternel, n’était-ce pas la solution rêvée ? Ses appels épistolaires se firent de plus en plus précis, plus pressants encore devant les progrès de la maladie. Quand Lambert 38


prit-il la décision de répondre à cet appel de détresse, il serait bien difficile de le dire ! Aucune trace de ses démarches pour être déchargé de son travail en Amérique. Cela s’explique peut-être par le fait que son nouvel évêque, Monseigneur Gross était devenu, dès son accession à l’épiscopat, l’admirateur et le bienfaiteur de l’apôtre de Molokaï. Son accord et sa bénédiction furent sans doute d’emblée une chose acquise. Tout autres allaient être les réactions de l’autre côté de l’océan et le projet de Lambert allait rencontrer pas mal de réticences de la part des autorités religieuses de l’île. Il s’ensuivit entre Monseigneur Hermann Köckemann, le père Damien lui-même, le père Bousquet, général de l’Ordre, et le père Léonor Fouësnel, supérieur provincial, un chassécroisé de lettres dont nous essayerons de résumer les grandes lignes. Tout d’abord, on reprochait au père Damien d’avoir pris sur lui d’appeler le père Conrardy : outre que cela constituait une entorse aux habitudes des ordres religieux, cette initiative semblait de nature à porter ombrage à la Société picpussienne tout entière : manquaient-ils donc tous d’abnégation et d’obéissance au point qu’il faille faire appel à des étrangers ? Disons de suite que cette interprétation n’aurait reposé sur rien de réel et que plus d’un membre de la Société s’était offert pour seconder leur héroïque confrère. Plus grave encore : Damien avait plus d’une fois fait part à son ami et correspondant du sort effrayant des lépreux. Interrogé à son tour par des journalistes, Lambert, n’écoutant que son zèle ne chercha nullement à idéaliser le tableau. On sait le parti que les journalistes savent tirer de semblables déclarations. La grande presse se mit à crier au scandale devant cette situation inhumaine dont on rejetait 39


la responsabilité sur les missions et sur le gouvernement américain. Le père Conrardy y gagna la réputation d’un trublion, déjà dangereux à distance mais qui menaçait de l’être plus encore une fois sur place. Une lueur d’espoir peut-être : l’admettre au noviciat de l’ordre, où lui-même d’ailleurs s’était déclaré prêt à entrer. Mais quelles chances avait-on de remodeler suivant un modèle courant, un prêtre plus que quadragénaire et que la vie dans les réserves indiennes avait habitué à un esprit d’initiative que les maîtres des novices taxent si facilement d’indépendance ? Bref, les premières avances de Lambert et les premières demandes de Damien se heurtèrent à des fins de non-recevoir. Cette opposition ne faiblit guère au cours des années qui suivirent : elle devait se poursuivre jusqu’en 1888. Depuis quatre années déjà, le père Damien avait fait l’objet d’un complet isolement : quatre ans déjà, où, s’adressant à ses ouailles, il pouvait leur dire : « Nous, les lépreux ! » Son état de plus en plus désespéré, ses appels de plus en plus pathétiques et, faut-il le dire, une certaine lassitude devaient aboutir à un certain revirement. Le 16 février, sans cacher qu’il avait surtout été déterminé par un sentiment de compassion, Monseigneur Köckemann annonça au père Damien qu’il accédait à sa demande et que Lambert Conrardy pouvait le rejoindre immédiatement. Plus émouvante est l’annonce que, dès le 18 courant, Damien fait parvenir à son ami : « Benedictus es qui venis in nomine Domini ! » Son cri de joie se termine néanmoins par une poignante supplication : « Venez bien vite ! » Les lenteurs du courrier ajournèrent la réponse de Lambert jusqu’au 17 mars. Il y exprime sa résolution de ne même pas passer dans sa famille d’Europe et son regret d’être retardé 40


par l’obligation d’assurer jusqu’au 1er avril, son ministère en Oregon. Cette correspondance n’offre qu’une bien froide idée du Magnificat qui, par-delà les mers, dut s’élever de ces deux âmes d’élite vers Celui qui les inspirait !



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Les travaux partagés

oilà vingt-quatre heures que Lambert Conrardy a débarqué à Honolulu. Et pourtant, malgré le soulagement que lui apporte la fin de la traversée, son séjour lui pèse déjà. Certes la mission révèle une prospérité et une organisation qui font honneur au zèle des Pères des SacrésCœurs. Mais tout cela est presque trop beau. Il règne dans les bureaux de l’évêché une atmosphère officielle dont Lambert a depuis longtemps perdu l’habitude. Religieux exemplaire et administrateur prudent, Monseigneur Köckemann se trouve dépaysé devant l’enthousiasme et le caractère extraverti de sa nouvelle recrue. De là à lui trouver « la tête légère » et déplorer ses principes « libéraux », il n’y a qu’un pas. « Pensez donc, écrit-il au Supérieur général, en trois jours il a vu plus de monde que je n’en visite toute l’année ! » [sic]. Ça, c’est ce qui se dit dans les bureaux. Dans la cuisine des bonnes sœurs, l’impression n’est pas plus favorable : n’a-t-il pas, à table, redemandé du vin ! « Potator et comestor », disaient déjà les pharisiens au sujet de Jésus. Le serviteur n’est pas mieux traité que son Maître. Cette ambiance lourde et tendue, Lambert la ressent profondément. Aussi est-ce avec un sentiment de délivrance qu’il s’embarquera bientôt pour Molokaï. Salué par les cris stridents des oiseaux marins, le petit vapeur fend la mer aux reflets d’émeraude. Déjà se profile la ceinture de palmiers qui annonce le rivage. Debout à la proue, Lambert reste in-

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sensible à cette nature luxuriante : il n’a d’yeux que pour la modeste jetée sur laquelle il devine une petite silhouette qui agite un mouchoir en signe de bienvenue. Chaque tour d’hélice en précise les traits : oui, c’est bien lui, tel que les photos l’ont popularisé, avec sa soutane délavée et l’espèce de canotier de paille dont il se coiffe habituellement. Exécuté par des marins expérimentés, l’accostage ne prend guère de temps et c’est d’un bond que Lambert franchit la frêle passerelle qui le conduit au quai. Les effusions entre les deux amis sont des plus brèves, conformément aux coutumes ecclésiastiques. Mais le bonheur qui transparaît dans leur regard illumine le visage déjà tuméfié du père Damien et celui, apitoyé de Lambert Conrardy. Ce que les photos ne rendaient qu’imparfaitement lui apparaît maintenant dans toute sa poignante vérité. Toute sa vérité ? Hélas non ! Les lèvres et le nez rongés par la maladie, les yeux au regard éteint, les mains et les pieds tombant en lambeaux : tel est le spectacle atroce qu’il découvre petit à petit au cours de ses contacts avec la colonie sans cesse grandissante, malgré les coupes sombres occasionnées par les nombreux décès : entre le 15 mai, date de son arrivée, et sa première lettre à l’évêque de Portland, c’est nonante malheureux qu’il aura dû accompagner dans leurs derniers instants. Plus horribles encore que les effrayants symptômes extérieurs, sont peut-être les crises d’asthme et d’étouffement qui étreignent les poumons envahis par le bacille de Hanssen. Quelle est la vie du père Conrardy dans ces conditions ? Le gouvernement de l’île pourvoit de manière largement satisfaisante aux besoins matériels. C’est donc à travers ce qu’on appelle aujourd’hui les soins palliatifs que va se concrétiser en grande partie son activité. Avec courage, il s’est attelé à l’apprentissage de la 44


langue canaque qu’au bout de deux mois il commence à manier avec succès. Mais par-dessus tout, c’est par sa gentillesse qu’il apporte quelque allégement aux souffrances physiques et morales de ses nouveaux paroissiens. Dieu sait pourtant combien l’adaptation, quoique rapide, avait exigé de courage et d’abnégation. La vue de ces êtres physiquement défigurés n’avait certes rien de réjouissant, mais les nombreuses photographies répandues dans la presse avaient créé une certaine préparation psychologique. C’était compter sans l’odeur, dont aucun cliché ne pouvait donner une idée. Et que dire de l’horreur de devoir déposer l’hostie dans une bouche d’où la langue a disparu, appliquer l’huile sainte sur des pieds et des mains devenus inexistants. Ajoutez à cela l’apathie qui s’emparait fatalement des malheureux à mesure qu’approchait l’issue fatale. Si tout cela avait pu se dérouler dans une certaine sérénité ! Mais en haut lieu, si on lui reconnaît pas mal de zèle et de savoir-faire, les ragots ne désarment pas : on le trouve imprudent, on déplore son superbe mépris des formes. Les plus indulgents rejettent ces défauts sur le père Damien, avec qui on le soupçonne de faire bande à part, grave infraction aux habitudes conventuelles. Tout à leur zèle pour les lépreux, n’en viennent-ils pas à « oublier les intérêts supérieurs de la congrégation » ! Et Monseigneur Köckemann de conclure : « Vivement qu’un noviciat en bonne et due forme vienne remettre tout cela en ordre ! » Et pourtant, qu’elle est précieuse cette amitié qui unit ces deux lutteurs pacifiques dans le combat contre l’indifférence et la ségrégation. Et les entretiens fraternels entre ces deux âmes qui se comprennent ne surpassent-ils pas tout ce que pourrait enseigner le plus fervent maître des novices. C’est ce que le Père écrit un jour, avec sa franchise habituelle. En-

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core une gaffe, Lambert, et qui va s’ajouter à toutes celles qui, déjà, parsèment ton dossier ! Hélas, le moment approchait où la séparation allait devenir inéluctable. Dès le 7 novembre, l’état du père Damien empire : symptôme alarmant, les poumons sont atteints. Dans les rares périodes de rémission, il n’arrête pas de veiller à la construction de sa nouvelle église, gardant l’œil à tout, pressant et encourageant l’équipe des bâtisseurs. L’onction des pieds faisait à l’époque partie intégrante du sacrement des malades. Dans le même ordre d’idées, l’intégrité du pouce et de l’index conditionnait pour un prêtre, la capacité de célébrer l’Eucharistie. Seul l’affaiblissement général des dernières semaines épargna au père Damien l’ultime disgrâce de se voir privé de la célébration. L’année 1888 s’achève sur la visite d’un protestant converti, peintre de profession, qui immortalisera les traits du père Damien tels que la postérité allait les conserver. L’année suivante s’étire avec ses alternatives de crises et d’accalmies. Puis les événements se précipitent. Le 28 mars, Damien commence à garder le lit. Il est trop habitué à l’évolution de la maladie pour garder quelque illusion sur son état : « J’ai vu trop de lépreux mourants : je ne me trompe pas, la mort n’est pas loin. » Le soir du 2 avril, un message parvient au père Conrardy, en tournée parmi ses paroissiens : son ami est au plus mal ! Aussitôt, il éperonne sa monture, celle même que Damien lui avait vendue deux mois plus tôt. Il arrive à point pour lui apporter le sacrement des malades. Les derniers jours s’écoulent. Chaque soir, un quart d’heure avant minuit, Lambert apporte à son ami la SainteCommunion. Un aide laïc le précède portant un cierge et agitant une clochette. Cette scène intime mais d’une poignante grandeur allait se répéter jusqu’au 15 avril, jour où 46


le bon pasteur rejoignit Celui que, toute sa vie, il n’avait cessé de prendre pour modèle. Durant les dernières semaines, le père Wendelin avait fait préparer un caveau au pied même de cet arbre où, faute de trouver un autre abri, Damien avait passé sa première nuit sur l’île. C’est dans un profond sentiment de solitude que vont se passer les années qui suivent. La mort du père Damien et les fatigues endurées les dernières semaines ont eu raison de la résistance physique de Lambert. Un grave accès de dysenterie exige son hospitalisation à Honolulu. Elle sera de courte durée : encore mal remis, il reprend le chemin de Molokaï où sa présence est de plus en plus nécessaire. Pas question pour lui d’assumer la direction de la léproserie : il n’est pas Picpussien ! Mais il est le seul à connaître les détails de l’organisation mise au point par Damien. Il est surtout le seul à posséder l’allant et l’initiative indispensables pour assurer des conditions moins inhumaines à la réclusion. Le supérieur en titre est un homme intègre, impartial : il sera un des rares à avoir écrit sur Lambert Conrardy des avis objectifs. Mais il possède un tempérament froid, compassé, contrastant avec la gaîté du père Conrardy, dont un collaborateur laïc écrit : « C’est un bon, naturel, agréable petit monsieur… assurément une parfaitement bonne nature. » Qui en douterait en le voyant organiser pour garçons et jeunes gens des réunions de chorale, d’inoubliables séances de jeux variés, se terminant le plus souvent dans de francs éclats de rire. Ce charisme, car c’en est un, n’est malheureusement pas celui du père Wendelin. Malgré ses quelques efforts, les garçons le trouvent « huhu », maussade, vite excédé et semblant toujours considérer le sourire comme une inconvenance. Et pourtant, le rire n’est-il pas le seul antidote aux souffrances morales qui doivent ronger ces condamnés à la mort lente. 47


Depuis février 1892, Monseigneur Gulstan Ropert a repris la charge de son prédécesseur décédé depuis peu. Contrastant avec le caractère agressif de Monseigneur Köckemann, le nouvel évêque est plein de gentillesse, soucieux avant tout de faire régner la paix parmi son troupeau. Conscient des priorités à établir, c’est à Molokaï qu’il réserve sa première visite apostolique. La cérémonie grandiose vient momentanément rompre l’atmosphère déprimante de la léproserie : au bas de la falaise abrupte qui barre inexorablement la route vers le pays des hommes libres, Monseigneur est accueilli par un groupe important de Canaques à cheval. Son approche du village est saluée par les éclats de la fanfare et les acclamations des femmes qui ont emboîté le pas des musiciens. Durant quelques instants, Lambert retrouve un peu de cette aimable cohue que déclenchaient les visites de Monseigneur Seghers dans les réserves d’Umatilla. Pour la première fois depuis son ordination épiscopale, Monseigneur Ropert administre le sacrement de la Confirmation, puis tous se réunissent sur le parvis pour l’inauguration d’une gigantesque statue du Sacré-Cœur, offerte par de pieuses dames françaises. Et la vie reprend, avec ses succès et ses échecs. Parmi les lépreux, l’ivrognerie et l’immoralité continuent à sévir. Par ailleurs, Lambert a la consolation de susciter la générosité de ses jeunes brebis, pourtant démunies de tout. Témoin, ce garçon avalant sur ses pieds douloureux six longs miles afin de capturer quelques petits poissons dont la vente lui permettra d’offrir… cinq centimes ! Pour une amélioration quelconque des conditions de vie ? Non ! pour aider le fonctionnement d’un Institut Père Damien, nouvellement inauguré… à Aarschot ! Ces joies et ces épreuves, Lambert a maintenant la consolation de pouvoir s’en exprimer à cœur ouvert avec 48


son nouvel évêque. Ses lettres ont pris un ton de résignation non dépourvue d’une bonhomie teintée d’humour. Et pourtant… ! Les bonnes dispositions de l’évêque vont se révéler inopérantes devant les manœuvres de l’Office de la Santé. Ses fonctionnaires apprécient peu l’action sociale du père Conrardy : de quoi se mêle ce prêtre trop zélé à leur goût ? Qu’il reste dans son église, qu’il administre ses mourants et ensevelisse ses morts, et tout sera pour le mieux ! Et la longue campagne de dénigrement s’accentue, d’autant que Lambert ne cache pas ses idées libérales et son christianisme de choc. Ses lettres en Belgique sont l’écho des espoirs que lui donne la naissance de la démocratie chrétienne. La misère du prolétariat européen le révolte profondément. Il y a en Belgique, ose-t-il écrire, à Seraing, Liège, Chênée, des gens plus malheureux que les lépreux de Molokaï. Aussi est-ce avec enthousiasme qu’il accueille l’élection du pape Léon XIII et l’accession à l’épiscopat de Monseigneur Doutreloux. Et de saluer d’un vibrant hourra l’audacieuse action de l’abbé Daens à Alost et de l’abbé Pottier à Liège ! Hélas, il n’est jamais prudent d’avoir raison trop tôt. Le sort de ces pionniers de l’action sociale chrétienne allait être le sien également. L’idée de son renvoi de Molokaï fait son chemin à travers les bureaux du Board of Health. Absorbé par ses responsabilités générales, Monseigneur Ropert, à son corps défendant, est bien obligé de suivre le mouvement. Déjà le père Pamphile, le propre frère du père Damien, est désigné, malgré son âge, pour reprendre la direction de la mission catholique. Puis les événements se précipitent. Le 27 décembre 1895, le père Wendelin peut noter dans son diaire : « Le père Conrardy quitte la léproserie. Les gens de Kalawao l’accompagnent jusqu’à la falaise. » Huit ans s’étaient écoulés depuis le pathétique ap49


pel du père Damien : « Venez vite à mon secours pour m’aider et me remplacer. » A quoi peut passer son temps un prêtre arraché à son ministère et replongé dans l’atmosphère confinée des bureaux d’un évêché ? Cette ambiance d’attente n’allait évidemment pas retenir longtemps notre bouillant père Conrardy. Son séjour à Honolulu ne durera guère plus de trois mois. Le 25 mars, il s’embarque pour le Japon. Son projet ? Rallier Canton où, a-t-il appris, le nombre de lépreux augmente de façon alarmante. Peu de détails nous sont parvenus sur son séjour qui devait d’ailleurs être fort bref. Pas assez cependant pour qu’il ne puisse s’être rendu compte de l’acuité des problèmes qu’il allait devoir affronter. Certes, il était familiarisé avec les ravages physiques causés par le terrible bacille. D’autre part, lépreux et lépreuses de Molokaï ne constituaient pas des sociétés angéliques. Rien de comparable cependant à ce qu’il devait découvrir en Chine. Une épouvantable misère morale, due principalement au sort inéluctable des petites filles, livrées sans alternative possible soit à l’esclavage conjugal, soit à la prostitution, territoire d’élection pour la propagation des maladies de toutes sortes. De plus, administrativement, son projet rencontrait une objection inattendue : à Molokaï, on voulait le confiner dans son rôle d’aumônier et on trouvait inadmissibles ses interventions sur le plan sanitaire ou social. Ici, c’est le contraire : on n’a que faire d’un prêtre, et sans se départir de la stricte politesse chinoise, on lui fait comprendre sans ambage que s’il était médecin, mais à ce prix seulement, on pourrait réfléchir. Mais, précisément, trop réfléchir n’est pas dans la nature de Lambert Conrardy. Sa décision n’allait guère se faire attendre.


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Un studieux intermède ar une froide matinée de décembre, Maud et Jennifer pépient joyeusement en parcourant la liste, nouvellement affichée, d’une série de nouveaux arrivants à l’Institut médical de Portland. Une aubaine ! Onze nouveaux garçons avec qui on pourrait sympathiser : John Cunnigham (Massachussetts), Patrick O’Brien (New England)… Soudain, un nouveau nom accroche leur intérêt : Lambert Conrardy (Belgium)… Un Européen ! quelle chance ! Enfin un peu de nouveauté ! Et parmi la troupe jacassante qui emplit l’auditoire de physiologie, leur regard cherche à repérer l’oiseau rare. A peine effleure-t-il un imposant quinquagénaire barbu, occupé dans un coin à rassembler quelques documents. L’appariteur fait son entrée et après quelques réflexions hilares, entame l’appel des étudiants. Nos deux amies dressent l’oreille. Le nom si attendu arrive enfin : Mister Conrardy ! Une silhouette se déploie tandis que sa main droite se lève pour signaler sa présence. Le geste a écarté la longue barbe, découvrant la blancheur d’un col romain ! Non seulement le prince charmant rêvé est un old gentleman mais, de surcroît, un Révérend ! Les deux amies échangent une œillade qui en dit long et Maud conclut philosophiquement par un : « Hard luck ! » Très vite cependant, l’entrain et la gentillesse de Lambert ont charmé professeurs et étudiants. D’abord, il parle anglais à la perfection, un anglais qui n’a rien de livresque et

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recèle même quelques provincialismes de bon aloi. Et puis, c’est un courageux, un appliqué mais aussi un serviable toujours prêt à venir en aide à un plus jeune, embarrassé au cours des premières séances de labo ou d’amphithéâtre. Son âge même lui apporte un atout supplémentaire : les Américains apprécient les courageux changements d’orientation et ce Father plus que mûr abordant un cycle complet de médecine a de quoi attirer la sympathie. De son côté, Lambert se sent de plus en plus motivé par cette science toute neuve qu’il est en train d’acquérir. Entre les longues séances d’auditoire ou de labo, il a l’occasion d’évoquer l’idéal qui l’anime : faire du bien à tous, quelle que soit leur religion, beau trait de tolérance qui lui vaut un supplément d’estime dans le milieu essentiellement pluraliste d’une Université américaine. Bref, c’est avec une joie bien légitime qu’il annonce en mars 1900 que ses trente-quatre mois d’efforts ont abouti : le voilà Docteur en Médecine… à cinquante-neuf ans ! Reste à trouver l’argent pour matérialiser son projet. Là encore, il voit grand : conférences et sermons de charité vont se succéder, en Amérique tout d’abord, où la presse répercute à l’envi le courage de ce « jeune sexagénaire » et ses objectifs grandioses. Ce qui n’empêche nullement les médisances d’aller leur train : des articles continuent à le présenter comme un bohême et un homme difficile à vivre. La presse américaine cependant, fait généralement preuve de plus de clairvoyance, en concluant que l’héroïsme de Lambert Conrardy devrait décidément clouer le bec au « dragon de l’intolérance ». Puis, c’est l’Europe : Rome, Paris et enfin Liège qui pour lui, évoque tant de souvenirs, où il a laissé tant de parents et d’amis. Les visites seront nombreuses et toujours marquées de cette convivialité bon enfant propre aux familles liégeoises. 52


Il profitera aussi de son passage pour acquérir un complément de formation médicale à l’université et à l’hôpital de Bavière qui en dépend. Loin de lui cependant l’idée d’être à charge de sa famille ou de puiser dans le produit de ses collectes. Successivement, il sera désigné par l’évêché pour occuper divers postes : aumônier des Clarisses de Verviers, chapelain du village de Hèvremont… et toujours conférences et sermons de-ci de-là. Prédications qui souvent soulèvent l’enthousiasme par leur caractère dénué d’artifices mais toutes brûlantes de la flamme évangélique. Cinq ans de ce régime forcené ne lui ont pourtant apporté qu’une bien maigre recette, fort éloignée en tout cas des six cent mille francs qu’il souhaitait rassembler. Que faire ? Repartir vers cette opulente Amérique dont il sait à l’occasion déplorer les défauts, mais dont il a appris également à apprécier la cordiale générosité. Ses lettres décrivent minutieusement ses succès et ses échecs, ses fatigues et l’inconfort de ces voyages, la « concurrence » provoquée par le tremblement de terre de San Francisco, drainant momentanément les dons unanimes. Trois années vont se passer de la sorte, à frapper à toutes les portes, celles des humbles communautés religieuses comme celle du président Roosevelt auquel il fut présenté le 3 juin 1903. New York, Pittsburg, Chicago, Cincinnati, New Orleans, Detroit, sans compter les haltes intermédiaires, tel est le carrousel saintement infernal auquel il va s’astreindre. L’année 1908 allait enfin voir tant d’efforts donner le résultat escompté. Le 7 avril 1908, c’est le grand départ : il a soixante-sept ans !



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Prêtre, médecin et directeur de lépreux chinois

Le père François Tellings, jésuite, auteur des huit premiers chapitres de ce livre, étant mort d’une pneumonie, comme Conrardy, sans avoir commencé le dernier chapitre, il a semblé bon à l’éditeur de donner la parole au père Gustave-Joseph Deswazières, des Missions étrangères de Paris, qui fut un de ses continuateurs en Chine, puis évêque de 1928 à 1951, décédé à Tourcoing en 1959. Dans une lettre de Shek-Lung du 15 février 1916, reproduite dans le livre de l’abbé Werner Promper aux pages 362 à 367, voici ce qu’il dit des dernières années de Lambert Louis Conrardy. Canton (…), ne s’accordant pas un seul jour de repos, (…) il se mit immédiatement à la recherche de ses lépreux, comme il aimait de les appeler tous. Moimême j’avais alors un ministère en ville. (…) Je pus voir (…) ce petit vieillard, d’une apparence si frêle, frappé d’un asthme impitoyablement crucifiant, dans ses va-et-vient continuels à gauche et à droite des rues et chemins étroits de la ville, s’éreintant et toujours haletant, mais toujours gai, s’arrêtant auprès de chaque lépreux qu’il rencontrait, pour le soigner aussitôt avec des allures affectueuses, à la surprise indescriptible et sous l’admiration des passants. Tous les jours il visitait le quartier des lépreux aux abords de la ville. Il y passait les heures fuyantes de la journée, insensible à tout effort ou répit, négligeant même ses repas.

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Ce faisant, pendant cette éreintante besogne, il fait effort à tout moment pour mémoriser par-ci, par-là quelque expression de la si rudement difficile langue chinoise, afin de se qualifier sans délai pour leur communiquer le divin message de l’espérance, de la résignation, de la paix et du salut. Les lépreux allaient bientôt comprendre non seulement ses quelques bribes de leur langue, mais surtout le grand silence si éloquent de son infatigable charité. Ils commençaient bientôt à le vénérer et aimer comme leur ami et père. Il tenait toujours en main son cours élémentaire. Il ne tardera pas à assumer la tâche ardue et presque désespérée de mémoriser et annoter un gros dictionnaire ainsi qu’un catéchisme et une édition de la Bible en transcription, une tâche tellement redoutée par les missionnaires qui arrivent après l’âge de trente ans. En un temps relativement court, il réussissait à retenir de nombreux textes sacrés et proverbes chinois, qui lui permettaient de donner un enseignement rudimentaire pour évangéliser ses patients. Un tel homme n’avait pas le temps de s’aliter. Bien que souffrant de nombreuses attaques d’asthme, il a poursuivi l’étude jusqu’à ce qu’il mourût, tenant d’une main son crucifix et son dictionnaire chinois de l’autre… » Après avoir obtenu toutes les informations utiles et s’étant mis au courant de la situation et des lieux de séjour de ses chers lépreux, le père Conrardy entreprit l’établissement d’une léproserie proprement dite. Il choisit un endroit idoine au bord du fleuve, près de la ville importante de Shek-Lung. Il acheta une petite île au prix de sept mille dollars et y établit une station pour les hommes et une autre pour les femmes, également une maison pour les religieuses qu’il attendait du Canada et une baraque pour luimême, et, au centre de tout cela, une chapelle provisoire. Aussi longtemps que tous ses projets étaient en chantier, il 56


était sur la brèche. On pouvait le voir partout, veillant à tout, pressant les travaux, allant à l’encontre des lenteurs et des lassitudes. Lorsque sa « demeure pour les lépreux » fut passablement prête à occuper, il y réunit quelques dizaines de lépreux. Pour eux il était médecin, soignant, infirmier, pendant qu’en même temps il les consolait, les égayait, les instruisait comme un père et un prêtre. Il ne pensait jamais à lui-même, il n’aurait pas gardé sur lui sa propre chemise si l’un de ses « amis » en restait dépourvu. Il ne connaissait lui-même pas d’autre confort en dehors de celui qu’il s’efforçait de leur procurer. Il menait donc une vie de pauvre, ou plutôt celle d’un mendiant. Il faisait fi, en ce qui le concernait personnellement, de toute ombre d’aises ou de commodités. Pendant une période de plus de six années, il n’a jamais engagé un boy ou un cuisinier. Il pourvoyait lui-même à tous ses besoins, voire les plus pressants, mais en cas de nécessité urgente, il n’hésitait pas à se faire aider occasionnellement par un de ses lépreux. Il prenait si peu soin de lui-même que ses privations et austérités dépassaient la mesure de ce qui pouvait être considéré comme raisonnable et que certains de ses confrères prêtres devaient le gronder de temps en temps. Ceux qui le connaissaient le mieux, s’amusaient entre eux par des conversations distrayantes et facétieuses au sujet de sa personne et surtout de ses menus, qui furent en effet si maigres et si misérables que même les lépreux déclinaient respectueusement de les partager. Je n’ai aucun souvenir de ce qu’il aurait jamais dépensé un seul dollar pour son habillement : il avait une préférence pour des vêtements usés que quelque âme charitable lui offrait. Lorsque son attention était attirée sur un veston trop large ou des pantalons trop longs, il répondait avec un large et cordial sourire : « Ne vous en faites pas ! Je suis maigre comme une latte et, à part 57


cela, d’une stature de nain : comment pourrais-je rivaliser avec la taille de mes bienfaiteurs ? » » Ce comportement si austère et si héroïque allait, hélas, abréger sa vie si précieuse, mais c’est grâce à cette ascèse personnelle qu’il pouvait accueillir une moyenne de soixante lépreux durant six années, sans jamais ronger sur le capital constitué par les charités de ses bienfaiteurs et investi pour soulager la détresse des plus abandonnés. Il réussissait même à augmenter chaque année ce capital en faisant des économies sur les dons occasionnels d’anciens ou de nouveaux bienfaiteurs. Il vivait toujours dans la crainte que ses ressources ne puissent suffire pour achever l’œuvre de son rêve. Il caressait un désir insatiable de réunir sous sa protection paternelle tous les lépreux qui frapperaient à la porte de son cœur. Finalement vint cependant un jour où il fut béni d’un bonheur sans précédent, quand il se sentait en mesure de réaliser ce qu’il aimait appeler l’unique raison d’être de son existence. » Le gouvernement chinois de Canton, se rendant compte du résultat louable et substantiel obtenu dans l’institution du docteur Conrardy, examina l’opportunité de lui confier un asile officiel et permanent. Dans ce but, les autorités firent des démarches auprès de lui et de la Mission catholique. Le subside restait cependant en dessous de ce qui est requis pour un tel établissement. Les autorités de la Mission catholique, après avoir sérieusement délibéré avec le père Conrardy, jugeaient toutefois ne pas devoir décliner cette offre. Elles consentirent à signer avec le gouvernement un accord en vertu duquel elles s’engageaient à accueillir tous les lépreux qui lui seraient envoyés par le Ministère de la Santé de Canton. Ce fut un jour de fête pour notre « Samaritain » qu’il se proposait d’organiser selon ses propres vues. 58


» Sans perdre un moment, il fit construire des bâtiments sur une plus large échelle, à peine cependant plus modernes, à côté des maisons existantes. Les rives du fleuve furent élevées et renforcées en vue des crues périodiques. Une seconde île à proximité fut achetée pour recueillir les femmes lépreuses. A cet effet, le père Conrardy retrancha plus de vingt mille dollars de son modeste capital. Dans le courant d’une année, il bâtit quinze nouveaux pavillons, une chapelle et deux nouvelles maisons d’habitation : une pour le clergé dans une île, et une autre pour des religieuses dans l’île voisine. » Le 20 septembre 1913, la léproserie, considérablement agrandie, accueillit le premier groupe de lépreux envoyés par le gouvernement. Plus tard, vers la fin d’octobre, elle démarrait avec un total de sept cents lépreux, hommes et femmes. Depuis lors, ce nombre a pu être maintenu comme une moyenne permanente. […] » Le père Conrardy a toujours eu l’ambition de repêcher ces pauvres créatures de leur dégradation morale, de les relever de leur bassesse. Il a dû affronter et calmer des séditions et des révoltes, car certains regrettaient leur liberté antérieure et leur vie de vagabondage. Le gouvernement les forçait à un célibat perpétuel, pour lequel ils n’avaient aucune inclination. Le père Conrardy réussissait toujours à mâter leurs désinvoltures, avec fermeté et bienveillance, de sorte que les délinquants finissaient par admettre que leur nouvelle vie valait la peine d’être vécue. Le brave père organisait des ateliers de charpenterie, de couture, de tissage, de confections de filets, etc. Des terrains à cultiver leur étaient assignés. » Après trois ou quatre mois de labeur, les lépreux étaient fiers de leurs rizières, potagers et vergers. En outre, deux magasins furent ouverts où ils pouvaient dépenser leurs 59


maigres revenus pour acheter quelques douceurs et se payer quelques autres petits luxes. Avec le temps, tous les pensionnaires allaient apprécier leur nouvelle situation et la préféraient à leur vie de vagabonds antérieure. Ils réalisent tous les avantages et remercient sans réserve celui qui les a domptés en leur imposant un régime sévère mais de grande bienveillance. Ils disent : « Jamais le soleil n’a brillé sur deux hommes comme notre excellent iseng [« docteur »], nous lui devons plus de gratitude qu’à notre propre père. » […] » [Le père Conrardy] a voulu partager le sort des affligés les plus abandonnés, voulant être le plus humble parmi les humbles, le plus pauvre parmi les pauvres. Bref, il a voulu être l’apôtre et le serviteur de la lie de l’humanité. » Laissons la conclusion à Monseigneur James Edward Walsh (1891–1981), prêtre de Maryknoll, en Chine de 1918 à 1936,

puis de 1946 à 1970, préfet apostolique en 1924, vicaire apostolique en 1927, Supérieur général de Maryknoll de 1936 à 1946, incarcéré en Chine de 1958 à 1970 : « [Le père Conrardy] a abandonné le monde, sans retour. Il a même renoncé à la vie religieuse qui comporte bien des facettes agréables… Comme Darwin, il a laissé la musique… Dans un abandon total, il fut l’homme des lépreux, laissant de côté tout le reste pour le devenir. Il oubliait de manger et de dormir, n’y consacrant que des moments perdus, sous des manières originales… Il fut un homme des lépreux de première classe. Il a vécu pour les lépreux et des lépreux vivront encore, parce que des hommes de cette trempe ont vécu et sont morts. On l’appelle le Damien chinois. C’est un titre qu’il a mérité au singulier » (in Werner Promper, op. cit., p. 456).

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Lambert Louis Conrardy mourut à Hong-Kong, à l’asile des Sœurs de Saint-Paul de Chartres, le mardi 24 août 1914, jour de la Saint-Louis, après huit jours de maladie, une pneumonie infectieuse. Il n’est donc pas mort de la lèpre qu’il n’a jamais attrapée. Il fut enterré d’abord à Hong-Kong puis, quelques années plus tard, transféré au cimetière de la léproserie à ShekLung. Le quotidien namurois Vers l’Avenir en fit l’écho le mardi 7 janvier 1919, la Gazette de Liège les 6 et 7 juin 1920 et la Libre Belgique le 10 octobre 1926.



Chronologie 12 juillet 1841, naissance à Liège, 293 rue des Carmes. Fils de Lambert Conrardy, professeur de musique, et de Dieudonnée Renard. Son oncle, Mathias Conrardy (1803–1882), est curé de Sainte-Croix à Liège. Sa sœur, Marie Conrardy (1846–1901) sera religieuse de Marie Réparatrice à Liège, Strasbourg et Liesse. Son cousin, Alfred Conrardy (1875–1953), sera prêtre de Scheut en Mongolie. Un autre cousin, Edgard Conrardy (1876–1946), sera frère Salésien à Liège. 1856–1861, élève au collège jésuite Saint-Servais à Liège. Il y rencontre le père Pierre De Smet, jésuite, apôtre des Indiens dans les Montagnes Rocheuses d’Oregon, en tournée de conférences en Belgique. 1861–1863, études de philosophie au séminaire de SaintTrond, avec Martin Rutten, futur évêque de Liège. 1863-67, études de théologie au grand séminaire de Liège. Son directeur spirituel est le père jésuite François-Xavier Schouppe, futur missionnaire en Inde de 1888 à 1904. Il y rencontre une deuxième fois le père Pierre De Smet. 15 juillet 1867, ordination sacerdotale à Liège par Monseigneur d’Argenteau, ancien Nonce en Bavière, doyen du chapitre de la cathédrale. 1867-71, Vicaire à Saint-Sébastien, Stavelot, et professeur de religion à l’Institut Saint-Remacle. Un de ses élèves sera le futur général Jacques de Dixmude. Le 21 juin 1870, à Tien-Tsin en Chine, martyre de dix Filles de la Charité, dont deux 63


Belges de Soiron et de Stavelot, ainsi que de deux pères Lazaristes. Cet événement l’impressionnera. 1871–1872, Paris, séminaire des Missions étrangères de Paris (MEP), année de formation. Il demande à partir en Chine. 19 juin 1872, Marseille, départ pour Pondichéry, Indes françaises, anciennement mission jésuite. 1872–1874, Inde, vicaire à Karikal. Il y rencontre des lépreux. Il y souffre de la chaleur. Il rêve du Japon beaucoup plus froid, puis demande d’aller en Amérique du Nord, sur les traces du père Pierre De Smet, décédé le 23 mai 1873. 1874, Belgique, stage au Collège américain de Louvain. 20 novembre 1874, USA, arrivée à San Francisco via l’isthme de Panama (le canal ne sera percé qu’en 1915). Décembre 1874, arrivée à Oregon City (aujourd’hui Portland). Janvier 1875 à avril 1888, chargé de la mission indienne d’Umatilla (Pendleton) : les Nez-Percés (Oregon oriental) et la pastorale des colons dans quatre cantons, sous la juridiction des trois premiers évêques de Portland : le Québécois Monseigneur Blanchet, le Gantois Monseigneur Seghers et l’Américain Monseigneur Gross. Depuis 1876, il est en correspondance avec le père Damien qui lui demande de plus en plus expressément de venir le rejoindre à Molokaï. Juillet 1885 à avril 1886, retour à Liège pour la dernière maladie et le décès de son père. En 1888, quand il quittera Umatilla, la mission sera confiée à nouveau aux Jésuites. 12 mai 1888, arrivée à Honolulu. Rencontre de Monseigneur Köckemann, Picpus allemand, Vicaire apostolique. 64


17 mai 1888, assistant du père Damien à Molokaï. 15 avril 1889, mort du père Damien, dans ses bras. Le supérieur du père Damien, le père Wendelin Möllers, est arrivé quelques heures plus tard, de sa station éloignée de cinq kilomètres. 27 décembre 1895, continuateur du travail du père Damien durant six ans et sept mois, il est renvoyé de Molokaï par les autorités locales. Il est remplacé par le père Pamphile De Veuster, frère aîné du père Damien, et quatre frères Picpus. 25 mars 1896, quitte Honolulu pour Canton, via Tokyo. Visite de lépreux chinois. Fin septembre 1896, retour à Portland, Oregon. Janvier 1897, étudiant en médecine à l’Université d’Oregon, Portland. Il a cinquante-cinq ans ! 2 avril 1900, Docteur en Médecine. Le 22 avril, il quitte Portland pour San Francisco. Mai 1900, il est à Washington. Conférences et collectes sur la côte Est. 20 juin 1900, Rome puis Paris (MEP). Juillet 1900, Strasbourg, visite à sa sœur cadette, religieuse. En Chine, martyre de Sœur Amandine, Belge de Hasselt, Franciscaine missionnaire de Marie, ainsi que de cinq évêques, vingt-huit prêtres, deux frères, huit religieuses et de nombreux chrétiens, massacrés par les Boxers. Ils seront béatifiés en 1946, 1951 et 1955, et canonisés le 1er août 2000. Octobre 1900, Stavelot, Liège, Louvain, conférences et collectes. Décembre 1900, chapelain à Londres, conférences et collectes.

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Septembre 1901, aumônier des Clarisses à Verviers, conférences et collectes. Avril 1902 à Janvier 1905, chapelain à Hèvremont (DolhainLimbourg), conférences et collectes. Juin 1904, première rencontre du père Fleureau, en Chine depuis 1881, envoyé par l’évêque de Canton, Monseigneur Mérel. Octobre 1904, deuxième rencontre du père Fleureau. Février 1905, prédication en l’église des Jésuites de Verviers. Décembre 1905, retour aux Etats-Unis. Prédications et conférences à New York, Brooklyn, Baltimore, Philadelphie, Washington. 18 avril 1906, tremblement de terre à San Francisco : ralentissement des collectes. Juillet 1906, New York, rencontre du Président des Etats-Unis. Août 1906, Boston, puis New York, reprise des collectes. Avril 1907, Nouvelle-Orléans, puis Montréal, Canada. Juillet 1907, Cincinnati, Ohio, puis Pittsburg. Novembre 1907, Chicago, puis Detroit et New York. Janvier 1908, Chicago. 7 avril 1908, départ de San Francisco pour Hong-Kong via Honolulu, Yokohama, Kobe, Nagasaki et Shanghaï. 8 mai 1908, Canton puis Shek-Lung. Achat de deux îles pour cinq cents lépreux et deux cents lépreuses. Il y est le prêtre, le médecin et le directeur. Il se définit surtout comme le Bon Samaritain.

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1912, par deux fois, des brigands volent tout ce qu’ils peuvent prendre. Octobre 1913, quatre sœurs Missionnaires de l’Immaculée Conception d’Outremont (Montréal) s’occupent des lépreuses. Un prêtre chinois, André Tchao (1859–1925) et un prêtre français, Gustave Deswazières (1882–1959), aident les lépreux. Ils seront les successeurs de Lambert Louis Conrardy et accueilleront jusqu’à trois mille cinq cents lépreux. Le père Deswazières deviendra évêque en 1928. Il restera en Chine jusqu’en 1951. 24 août 1914, atteint de pneumonie, soigné quelque temps chez les Sœurs françaises de Saint-Paul de Chartres à HongKong, Lambert Louis Conrardy s’endort dans le Seigneur. Son témoignage touchera entre autres Francis X. Ford, né aux Etats-Unis en 1892, qui devint prêtre de Maryknoll, alla en Chine en 1918, fut évêque de Mei-Xian (suffragant de Canton) en 1946, et décéda en prison à Canton en 1952.

N.B. : Cette chronologie a été rédigée par le frère Roland Francart, s.j. (Bruxelles) et corrigée par l’abbé Werner Promper, prêtre diocésain de Liège, attaché de 1964 à 1984 à l’Institut de Missiologie de l’Université de Münster en Westphalie, auteur du livre L’Abbé Conrardy, Apôtre des Lépreux, Vie et Documents, Bulletin de la Société d’Art et d’Histoire du diocèse de Liège, t. LXIV, 1999, 476 pages.



Table des matières Préface de Monseigneur Jousten, Evêque de Liège ...................... 3 1. Un soir en Chine… ............................................................ 5 2. Comme un lointain appel .................................................. 9 3. Le prélude ardennais ........................................................ 15 4. L’or dans la fournaise ...................................................... 19 5. Himtuken ........................................................................ 25 6. Deux âmes se rencontrent .............................................. 35 7. Les travaux partagés ........................................................ 43 8. Un studieux intermède .................................................... 51 9. Prêtre, médecin et directeur de lépreux chinois ................ 55 Chronologie .......................................................................... 63 Table des matières ................................................................ 69

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Achevé d’imprimer le 30 septembre 2004 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).



Lambert Louis Conrardy L’abbé Conrardy, prêtre liégeois, est beaucoup moins connu que le père Damien dont il fut le successeur à Molokaï au service des lépreux. Pourtant, son parcours est tout aussi étonnant : il fut tour à tour vicaire à Stavelot, missionnaire chez les Indiens à Portland, assistant du père Damien à Molokaï, étudiant en médecine aux Etats-Unis à 55 ans (!) et finalement médecin et aumonier de lépreux en Chine. Cet itinéraire atypique se dévore comme un roman sous la plume enjouée du père François Tellings, jésuite liégeois décédé en 2003.

9 782873 562953

Conrardy Au service des lépreux

Sur la route des saints Editions Fidélité 61, rue de Bruxelles BE-5000 Namur

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fidélité

ISBN : 2-87356-295-1 Prix TTC : 4,95 €

François Tellings

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Lambert Louis

Lambert Louis Conrardy

Sur la route des saints

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