Le sport

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Ce soixantième numéro sur le sport a été réalisé par François-Xavier Amherdt.

Le sport

Trimestriel • Éditions Fidélité no 60 • 3e trimestre 2004 Bureau de dépôt : Namur 1 Éd. resp. : Charles Delhez • 121, rue de l’Invasion • 1340 Ottignies

ISBN 2-87356-299-4 Prix TTC : 1,95 €

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Le sport

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e sport prend de plus en plus de place dans notre société. Tout n’est cependant pas parfait. Les dérapages font régulièrement la une de la presse. De plus, sous ce mot, il y a deux réalités : le sport de détente et celui de haut niveau avec son côté business. Il ne faudrait pas que cette activité — si belle et si importante soit-elle — en vienne à assoupir les humains et à les détourner, par l’euphorie des sens, de la question du sens de l’existence…



Le sport

Éditorial par Charles Delhez sport prend de plus en plus de place dans notre société. L’ambiance de nos villes peut être complètement transformée les soirs de grands matchs, et les Jeux olympiques sont un événement digne de la mondialisation. Les médias l’ont bien compris : il y a des journaux consacrés aux sports, des chaînes télévisées thématiques. Cette livraison de « Que penser de… ? » aborde la question d’un phénomène qui va s’amplifiant aujourd’hui. L’auteur, un prêtre, est lui-même arbitre sur les terrains de football suisses. C’est dire que ces pages tiendront à la fois de la réflexion et du témoignage. Que le sport soit une valeur positive, c’est une évidence. Le pape Jean-Paul II aime y revenir : « Le sport est joie de vivre, jeu, fête, et comme tel, il doit être valorisé et peut être racheté aujourd’hui des excès de la technicité et du professionnalisme par la récupération de sa gratuité, de sa capacité de nouer des liens d’amitié, de favoriser le dialogue et l’ouverture des uns vers les autres, comme expression de la richesse de l’être », a-t-il pu dire (Messe des sportifs en 1984).

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Tout n’est cependant pas parfait et les dérapages font aussi la une de la presse. De plus, sous ce mot unique, il y a deux réalités : le sport de détente et celui de haut niveau avec son côté business. Deux réalités somme toute différentes que notre auteur abordera avec compétence. Le sport, dira notre arbitre, n’est pas une religion. Déjà du temps des Romains et des Grecs, il suffisait d’un peu de pain et des jeux pour calmer le peuple (Panem et circenses). Il ne faudrait pas que cette activité — si belle et si importante soit-elle — en vienne à assoupir les humains et à les détourner, par l’euphorie des sens, de la question du sens de l’existence… * * * François-Xavier Amherdt est prêtre du diocèse de Sion en Valais (Suisse) depuis 1984, curé de paroisses et enseignant à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Il est aussi arbitre de football depuis près de trente ans, dont cinq ans au plus haut niveau en Ligue nationale helvétique. Ancien vicaire épiscopal de son diocèse, docteur en philosophie et en théologie, licencié en sciences bibliques et détenteur d’une habilitation en théologie pastorale, il a entre autres publié aux Editions Saint-Augustin, SaintMaurice, trois volumes de méditations bibliques : Le jour de gloire est arrivé (1999), Dieu est arbitre » (2001) et Dieu est musique (2003).


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Le sport, religion universelle du XXIe siècle ?

Des formules évocatrices « La grand-messe de l’Euro », « Le nageur Michael Phelps en état de grâce », « L’équipe du Brésil au paradis », « Les stades de la Grèce attendent leurs dieux pour les JO », « Le gardien Fabien Barthez préserve son sanctuaire inviolé » : les expressions ne manquent pas, puisant aux registres biblique, théologique ou liturgique, pour décrire les événements sportifs. Et je pourrais multiplier les exemples : tout récemment encore, le président de la FIFA, le rusé Haut-Valaisan Sepp Blatter (je suis moi-même originaire du Valais, un canton bilingue de la Confédération helvétique) ne déclarait-il pas : « Je désire que le nouveau siège de la FIFA à Zurich soit une véritable cathédrale » ? Serait-ce que le sport a confisqué le spirituel à son profit, qu’il a pris la place de la liturgie ecL’Esprit Saint ne clésiale et que les rituels du corps et se capterait-il du stade se soient substitués à ceux désormais plus des Églises ? L’Esprit Saint ne se que les baskets capterait-il désormais plus que les aux pieds ? baskets aux pieds ? 3


Des valeurs « religieuses » ? Je pense aussi à cette convention annuelle d’une grande entreprise française au Caire, en mars 2002. Sept cents cadres réunis dans la salle de conférence de l’hôtel Intercontinental. Sur l’estrade, un homme seul, David Douillet, qua- Les sportifs de druple champion olympique de pointe, mués en judo. Il harangue l’assemblée, il ex- « dieux du stade », horte chacun à « muscler son men- incarnent l’idéal tal », « à donner le meilleur de lui- de la réussite, même », tout en insistant sur la né- toutes catégories cessité de conserver une « éthique confondues professionnelle » comme on respecte les règles du jeu. Une véritable homélie, un sermon exhortatif, une parénèse quasi paulinienne d’un sportif mué en « prêtre » d’une nouvelle Église ! Or, de telles scènes se produisent des centaines de fois chaque année. Les sportifs de pointe, mués en « dieux du stade », incarnent l’idéal de la réussite, toutes catégories confondues. Sans parler des navigateurs, des joueurs de tennis, de football ou de rugby présents dans la publicité. Les professionnels du marketing connaissent les valeurs véhiculées par chaque discipline aussi parfaitement qu’ils maîtrisent le langage des couleurs ou celui des symboles. Si le monde de l’entreprise réquisitionne ainsi les athlètes pour motiver les troupes, susciter un esprit de corps ou alors séduire la clientèle, c’est bien que le sport exprime des valeurs qui dépassent largement sa propre sphère, qui 4


Au service de la pub « Le foot, c’est la fête pour tous, populaire et accessible à tout le monde, explique un jeune cadre d’une société spécialisée dans le sponsoring. C’est le sport fédérateur par excellence. Le rugby, c’est davantage haut de gamme. C’est le combat, c’est l’engagement. Et logiquement, il est très prisé par les banques et les assurances qui s’engagent aux côtés de leurs clients. La voile, c’est l’aventure, c’est l’innovation technologique, la volonté à tout prix, mais c’est aussi l’évasion et la nature. Ce n’est pas par hasard si le « défi français » de la dernière « Coupe de l’America » était parrainé par un géant de l’atome, et Alinghi le bateau suisse vainqueur de l’épreuve, soutenu par l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ainsi que l’Union de Banque Suisse (UBS), la banque qui veut faire « challenge et développement durable ». Et il y a quelques années, c’était Mc Donald qui avait sponsorisé le marathon de Moscou !

intéressent la société tout entière. Et qui finissent par constituer un réseau de significations à ce point reconnues et admises par l’opinion publique qu’elles offrent un système de référence universel à valeur quasi mystique.

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Une religion laïque universelle ? Mais tout cela n’est pas entièrement nouveau. Déjà en 1936, année des JO de Berlin, la revue allemande Der Querschnitt publiait un numéro intitulé : « Pertinence et impertinence du sport ». Sur la première page, un titre tonitruant se détachait en lettres capitales : « La religion universelle du XXe siècle ». Jetant un regard panoramique sur la situation du monde de l’époque, plusieurs articles affirmaient que le système religieux dominant dans l’aire américano-européenne n’était plus le christianisme, mais une nouvelle religion universelle dénommée « sport ». La preuve que ce nouveau mouvement religieux du XXe siècle a remplacé l’antique religion chrétienne, selon la revue, c’est que le symbole du ballon — dont la forme sphérique désigne l’infini contenu dans le fini — s’est en quelque sorte substitué au vieux symbole de la croix. Le ballon, rond comme le globe, révèle la nature terrestre de cette nouvelle reli- La devise olymgion du sport. Les auteurs souli- pique ne manignent enfin la ferveur des liturgies feste-t-elle pas sportives conduites par les « grands une recherche prêtres » de ce culte d’un genre nou- « d’autotranscenveau qui rassemble des centaines de dance » dans la milliers — nous dirions aujourd’hui performance sportive ? des millions — de « fidèles ». Cette analyse de 1936, profondément orientée idéologiquement, vu le contexte politique germanique de l’époque, ne manque cependant pas de pertinence pour le sport moderne au début du XXIe siècle, lequel 6


fonctionne à bien des égards telle une religion laïque. La devise olympique elle-même, « Citius, altius, fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort »), ne manifeste-t-elle pas d’ailleurs une espèce de recherche de transcendance, « d’autotranscendance », de dépassement de soi-même dans la performance sportive ? Si la religion se laisse définir sociologiquement comme un système par lequel l’homme tente d’expliquer l’univers, d’affronter les problèmes fondamentaux de l’existence, de dominer le contingent comme la maladie, la douleur et la mort et d’entrer en relation avec ce qui le dépasse, alors plusieurs conceptions et idéologies laïques, dont le sport, peuvent être regardées comme assumant ou ayant la prétention d’assumer la fonction sociale d’une religion au sein de l’univers contemporain. Il suffit de voir comment la multitude innombrable de fidèles supporters du sport communient en un même langage, une même passion, une même foi, ce qui leur donne l’impression d’appartenir à une gigantesque fraternité « catholique », c’est-à-dire vraiment universelle.

L’affiche officielle des JO de Berlin, en 1936, reprend la fameuse Porte de Brandebourg sur une silhouette dorée d’un athlète couronné de lauriers (source : The Olymperials, Annecy)


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Sport de détente et sport de compétition

Vers un homme nouveau ? Devant la sécularisation croissante, beaucoup n’aspirent plus aujourd’hui à un salut transcendant et renoncent à toute recherche « métaphysique » de l’au-delà. Le concept de « religion civile » inclut donc également celui de « l’homme nouveau » qui possède en quelque sorte déjà le règne de Dieu sur la terre. Ainsi, dans cette perspective, l’homme est-il envisagé comme l’artisan et le régisseur de son propre salut.

Le sport de loisirs A cet égard, pour ce qui concerne la conception du sport, un décalage gigantesque existe entre les motivations qui poussent les gens à pratiquer eux-mêmes des activités sportives en tant que loisirs et l’image du sport de compétition véhiculée par les médias. Car le sport, c’est d’abord un jeu, une récréation (« recréation ») qui se vit indépendamment de toute contrainte, en toute gratuité, pour le plaisir de se procurer du plaisir 8


Un équilibre psychique Les exercices physiques et les activités sportives aident à conserver un bon équilibre psychique, individuellement et collectivement, et à établir des relations fraternelles entre les hommes de toutes conditions, de toutes nations et de races différentes. Que les chrétiens collaborent aux manifestations et aux actions culturelles collectives qui sont de leur temps, qu’ils les humanisent et les imprègnent d’esprit chrétien. Concile Vatican II, constitution « L’Eglise dans le monde de ce temps », no 61, 3 et 4

et de se faire du bien. Dans un sentiment de détente et de relaxation, de liberté recouvrée et de spontanéité créatrice. Comme un style de vie, presque un Le sport, c’est confort. Pensons au succès de tous d’abord un jeu, les sports fun, purement ludiques et une re-création sans aucune compétition. Autre qui se vit en touexemple, le tennis, qui est de plus en te gratuité pour plus pratiqué, sans que le nombre de le plaisir de se licenciés ne croisse pour autant. faire du bien Dans les grandes surfaces commerciales, on le sait bien : ce ne sont pas les exploits des compétiteurs, mais la diminution du temps de travail — en France, les trente-cinq heures — qui ont « dopé » les ventes de VTT (vélos tous terrains), de rollers ou de chaussures de marche ! 9


Dans notre société, le sport de détente trouve donc naturellement sa place, car le souci de soi et donc l’attention à son corps y sont prépondérants. Régulièrement, les pouvoirs publics, les autorités sanitaires et les médias nous incitent à ne pas fumer, à ne pas boire, à faire des régimes, à combattre l’obésité. Les pratiques sportives s’inscrivent alors dans cette logique positive. Elles sont facteurs d’équilibre physique et psychique pour l’individu. Dans la marche, la course à pied, on évacue ses soucis ; sur un terrain de foot, on s’extrait du monde un moment. Après l’effort, on se sent bien, vidé mais détendu et libéré du stress. On éprouve de la fierté à considérer la performance réalisée.

Un espace de socialisation De plus, la plupart des activités sportives ont l’avantage de se pratiquer collectivement, en famille, entre amis, en club, en association ; et même lorsqu’on assiste à une rencontre, au stade ou devant la télévision. Le sport apparaît alors comme un espace de socialisation, et par là, un outil précieux pour la construction de chacun. Dans les milieux éducatifs, on en reste persuadé. Du reste, combien de clubs sont issus d’initiatives paroissiales, à l’image de l’AJ Auxerre en football ou de nombreuses associations nées sous le giron des écoles catholiques en Italie (les « patronages »), dans la ligne éducative de saint Don Bosco ou de saint Dominique Savio ! Le sport a un rôle à jouer dans l’éducation, mais, précisons-le, sous certaines conditions. Ce n’est pas parce qu’un gamin de banlieue pratique un sport qu’il va d’emblée 10


« Je continuerais à jouer… » Au sujet de saint Dominique Savio, on raconte l’anecdote suivante, survenue à Turin vers 1850. Des garçons ont remarqué que le jeune Dominique, dix ans à l’époque, s’intéresse beaucoup aux « choses de la religion ». Mais pour le moment, il est en récréation avec ses camarades de classes, s’en donnant à cœur joie et tapant vigoureusement dans le ballon. « Dominique, lui demandent malicieusement ses copains, si l’on te disait que dans un quart d’heure, c’est la fin du monde, que feraistu ? — Je continuerais à jouer au foot », répondit-il spontanément… Un grand saint !

comprendre les règles et les appliquer. Encore faut-il qu’un éducateur soit présent pour expliquer le pourquoi de la règle. Il convient aussi que les parents s’investissent, qu’ils soient là de temps en temps, au bord du terrain, et qu’ils discutent avec l’enfant, au retour de l’entraînement. En France notamment, dans l’enthousiasme qui a suivi la victoire à la Coupe du Monde 1998, le foot s’est trouvé paré de toutes les vertus. On y a vu la panacée pour canaliser la violence des adolescents. Et c’est vrai que, sur un terrain, l’enfant a l’occasion d’apprendre le respect de ses coéquipiers, de ses adversaires, et même — allons-y — de l’arbitre ! Il identifie ses propres limites, il développe le sens de l’effort. Il fait l’expérience de la victoire comme de la défaite, avec ce qu’elles ont parfois d’aléatoire et d’ar11


bitraire. Cependant, à lui seul, le sport ne peut pas tout, et il est utopique de l’investir de toutes les missions. Certes, il constitue comme un microcosme, un concentré du monde réel. Le football par exemple, à travers ses règles, reflète les principes des sociétés industrielles dans lesquelles il a vu le jour. Par la répartition des postes entre les joueurs et l’organisation tactique du jeu, il met en scène sur le terrain la division du travail et l’utilité d’une discipline collective. Mais il suscite également la possibilité du génie créatif d’un élément de l’équipe dont l’initiative peut faire basculer l’issue d’une partie, à l’exemple de nos sociétés où la part d’inventivité individuelle n’est pas gommée par le projet d’ensemble. En outre, avec le système des classements annuels, des promotions et des relégations des clubs, il symbolise ce qui se passe dans le monde du travail où rien ne paraît définitivement acquis et où les résultats financiers tiennent beaucoup à la performance de chaque employé et à la ligne de l’entreprise. Sans parler des gratifications « juteuses » pour telle victoire importante qui ressemblent à s’y méprendre à la prime au mérite que touchent les salariés les plus efficaces. Dans une démocratie où tous sont égaux devant la loi mais où l’inégalité en réalité règne, le football — et le sport en général — témoignent d’un système où, théoriquement, tous ont les mêmes chances au départ puisque tous sont placés à la même enseigne devant les règles du jeu ou le chronomètre. En fait, la plupart du temps, les plus riches et les plus puissants triomphent, à cause des moyens dont ils disposent, même si, occasionnellement, il arrive qu’un petit batte un grand. 12


Mais l’analogie a ses limites. Il serait illusoire et dangereux de faire croire aux jeunes que tout se passe dans la vie comme sur le terrain. Par exemple, lorsqu’on est averti ou expulsé dans un match, cela n’a de conséquence que jusqu’au coup de Pour un seul sifflet final, ou, au pire, pour les deux Zinedine Zidane, combien d’autres ou trois prochaines rencontres. Par contre, dans la réalité, c’est bien difrestent sur la férent : une unique erreur peut vous touche ! suivre toute votre existence !…. De même les vedettes peuvent susciter de faux espoirs chez les jeunes générations. Pour un seul Zinedine Zidane, combien d’autres restent sur la touche ! Bien sûr que le sport peut servir de moyen d’intégration. Mais présenter les joueurs de football tricolores « blacks, blancs, beurs » comme le reflet de la société française, c’est faire miroiter une illusion. Leur parcours reste tout à fait exceptionnel. Il y a quelque chose d’insolent et de mensonger à répéter sans cesse au jeune qu’il s’intégrera s’il se défonce sur le terrain. Cela revient à lui dire : « Hors du sport, point de salut ». Ou alors : « Tu n’es bon qu’à cela. »

Le sport de compétition : hors-jeu ? Car on bascule vite dans l’autre vision du sport, celle que véhiculent les médias, la publicité, l’entreprise. Il ne s’agit plus de loisir ou de plaisir partagé, mais de glorification de l’exploit, d’exaltation mystique du record, de divinisation de la performance comme telle. 13


Regardez les journaux : la défaite est souvent éludée — notamment à la télévision française ! — la victoire toujours magnifiée ! L’ensemble du système est orienté vers la compétition à tout prix, et bien sûr régulé par ses liens inévitables avec la sphère économique. Même en juniors, on favorise les élites.Toute la pression va dans le sens de la sélection. Mais pour un seul qui parvient en première équipe, combien restent « sur le carreau », avec le sentiment d’avoir investi pour rien tout leur temps de loisirs dans une mécanique d’où ils sortent dégoûtés et broyés, avec en plus le sentiment de ne pas valoir grand-chose. J’en ai connu, des copains, au FC Sion (qui a Quand on ne fait longtemps joué en première division pas partie des élus, helvétique et se retrouve actuelle- que devient-on ? ment relégué au « purgatoire » de la deuxième catégorie dénommée « Challenge League » — en sport, il faut des mots anglais, ça fait « in » !), victimes de la « loi de la jungle », qui, après avoir toutes leurs années de jeunesse consenti à quatre entraînements par semaine, plus le match le samedi ou le dimanche, se sont vu « piquer » la place de titulaire par un joueur acheté à l’extérieur à prix d’or et se sont retrouvés « gros Jean comme devant », avec des cicatrices et des ennuis de santé à la clé. « Hors du sport, pas de salut. » Oui, mais quand on ne fait pas partie des élus, que devient-on ? Même en arbitrage, lorsque l’amateurisme cède le pas au professionnalisme, le risque est grand de voir l’essence même du sport dans son côté ludique se dénaturer. Il n’y a pas longtemps encore, des équipes nationales de rugby s’enorgueillissaient de compter dans leurs rangs des médecins, des 14


Le meilleur comme le pire… « Quel est le rôle des élites sportives ? Quel est le sens du sport professionnel ? Les positions les plus extrêmes s’affrontent. Les uns y voient une chance pour la promotion des valeurs sportives, les autres une résurgence des jeux du cirque. Pour les premiers, l’athlète a valeur d’exemple. Pour les seconds, il n’est que l’esclave d’un système. Ceux-ci parlent du sport comme d’une fête collective, un spectacle attrayant. Ceux-là évoquent une religion abrutissante, qui consacre l’émotion et les sensations fortes, qui va dans le sens de l’aliénation des masses. A celui qui affirme que les rencontres apaisent les luttes nationalistes, il est répondu qu’au contraire, elles les exacerbent. » Jérôme Chapuis, Croire aujourd’hui, no 134 (15 mai 2002), p. 4

pompiers, des avocats… Ce n’est plus imaginable aujourd’hui. Sous le double effet de la professionnalisation et de la médiatisation, le sport quitte alors la sphère du jeu pour celle d’un réel dominé par l’argent. Les sportifs ne sont plus des joueurs, mais des salariés qui obéissent aux lois du marché, des « bêtes de spectacle » qui se vendent au plus offrant, sans plus du tout s’identifier à la ville dans laquelle ils évoluent. Ils deviennent les acteurs d’un gigantesque show médiatique — je pense à la « Champions’ League » — aux retombées économiques spectaculaires. Les incidences d’une défaite sont si considérables que les grands clubs font tout 15


Sport de détente ou sport de compétition ?

pour réduire au maximum le risque d’une élimination, en achetant par exemple à n’importe quel prix les super-vedettes. Ce qui réduit considérablement le côté impondérable qui fait le charme notamment du football et rend presque impossible la victoire d’un petit sur un grand. C’est évident, on ne joue pas au poker de la même façon selon qu’on parie des haricots ou des billets de banque. Le danger, c’est Le danger, c’est que l’enjeu prenne le pas sur le jeu. Et que l’enjeu prenne que la religion du sport se conjugue le pas sur le jeu au dieu argent pour dominer le monde.


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Les « paraliturgies » du sport moderne

Un transfert du sacré Pour caractériser la dimension religieuse du sport moderne, certains ont recours à la comparaison avec l’enracinement dans le culte des divinités grecques des jeux panhelléniques d’Olympe, de Delphes ou de Corinthe. On peut constater en effet — et cela a été particulièrement le cas aux Jeux Olympiques (JO) d’Athènes 2004 — que, dans une sorte d’élan de néopaganisme, les cérémonies d’ouverture toujours plus grandioses des JO, immédiatement répercutées pour des centaines de millions de téléspectateurs par la grâce du petit écran, se muent en paraliturgies où fleurissent les éléments rituels. Ce transfert du sacré vise à obtenir une espèce de sublimation du sport pour en faire une célébration de la grandeur de l’homme et de l’unité restaurée de l’humanité : les célébrations d’ouverture et de clôture diffusent des « bénédictions » aux personnes présentes, dans le stade ou devant leur poste ; elles leur donnent l’impression de faire partie d’une grande communauté « d’initiés » ; elles sont présidées par une nouvelle classe de « grands prêtres », les responsables du Co17


mité International Olympique (CIO) ou des diverses associations qui appartiennent aux personnes les plus puissantes de la planète, constituent une nomenklatura bénéficiant de privilèges et décident entre eux qui mérite de faire partie de leurs cercles de VIP. Ce genre de ritualisation se retrouve à tous les niveaux de l’activité sportive : l’entrée des équipes sur le stade dramatisée par le commentateur, l’échange des fanions au début et des maillots au terme des rencontres, les cérémonies protocolaires de remise des médailles, la diffusion des hymnes nationaux dans un silence religieux, la coupe exhibée en triomphe devant les fans, à laquelle chaque membre de l’équipe a droit de porter ses lèvres, les trophées conservés comme le « saint Graal » dans les vitrines des musées des clubs, l’emplacement déterminé à l’avance des spectateurs, les chants liturgiques de communion, soutenus parfois par la flamme des briquets, les écharpes brandies par tous les supporters au même rythme, les « holas » des spectateurs se levant ou battant des mains à des moments précis et codifiés… Sans parler de la folie de certains tifosi qui collectionnent maillots, casquettes, articles, photos et objets en rapport avec le club, qui vouent un culte à telle équipe ou à tel joueur, qui sont prêts à tout pour défier les supporters de l’équipe rivale. Allez à Milan un jour de derby entre l’Inter et l’AC pour vous en convaincre ! Avec les risques de débordement de violence des hooligans désœuvrés, trouvant leur raison de vivre dans les exploits de leur club, le suivant à travers le monde et cédant parfois, sous l’effet de l’alcool, de la drogue ou des provocations adverses, à la violence gratuite, dans le stade ou à 18


Quand Michel Quoist « évangélise » la liturgie du stade et la mue en prière Ce soir, au stade, la nuit remuait, peuplée de dix mille [80 000 dirions-nous aujourd’hui] ombres, Et quand les projecteurs eurent peint en vert le velours de l’immense pelouse, La nuit entonna un choral, nourri de dix mille voix. Car le maître de cérémonie avait fait signe de commencer l’office. L’importante liturgie se déroulait sans heurt. Le ballon blanc volait d’officiant en officiant, comme si tout, minutieusement, avait été préparé à l’avance. Il passait de l’un à l’autre, courait à ras de terre ou s’envolait au-dessus des têtes. Chacun était à sa place, le recevant à son tour, d’un coup de pied mesuré, il le passait à l’autre et l’autre était là pour l’accueillir et le transmettre. Et parce que chacun faisait son travail, à l’endroit qu’il fallait, Parce qu’il fournissait l’effort demandé, Parce qu’il savait qu’il avait besoin de tous les autres, Lentement mais sûrement le ballon avançait ; Et quand il eut recueilli le labeur de chacun, Quand il eut réuni le cœur de onze joueurs, L’équipe souffla dessus et marqua le but vainqueur. Dans les rues trop étroites,

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Je pensais, Seigneur, que l’histoire humaine, pour nous une longue partie, était pour Toi cette grande Liturgie. Prodigieuse cérémonie commencée à l’aurore des temps et qui ne se terminerait que lorsque le dernier officiant aurait accompli son dernier geste. En ce monde, Seigneur, nous avons notre place ; Entraîneur prévoyant, depuis toujours Tu nous la destinais. Tu as besoin de nous, ici, nos frères ont besoin de nous et nous avons besoin de tous. Ce n’est pas le poste que j’occupe, Seigneur, qui est important, mais la perfection et l’intensité de ma présence. Qu’importe que je sois avant ou arrière, Si je suis au maximum de ce que je dois être. Je rentre maintenant me reposer au vestiaire, Seigneur ; Demain, si Tu donnes le coup d’envoi, je jouerai une nouvelle mi-temps, Et ainsi chaque jour. In Prières, Ed. de l’Atelier, 2003.

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l’extérieur. Le mauvais goût peut aller jusqu’à parodier des textes ou paroles chrétiennes, comme cette revue de l’équipe de foot allemande Schalke 04 intitulée SchalkeUnser (« notre Schalke »), en guise d’imitation parodique du Notre Père (Vater-Unser). Le réflexe d’identification à un club ne touche pas que des « fans » Chacun de nous au chômage. Chacun de nous a tena tendance à dance à s’assimiler aux sportifs de s’assimiler à son pointe de son pays dans la quête équipe nationale aux médailles ou à son équipe nationale dans son affrontement avec les autres peuples. Ce n’est plus de compétition sportive qu’il s’agit alors, mais de guerre de prestige entre pays où chacun essaie de se prouver à lui-même et de prouver aux autres qu’il est le meilleur. Les dérapages de violence verbale et physique pointent très vite à l’horizon, servant d’exutoires à de profonds complexes ou à des sentiments raciaux habituellement refoulés. Lors de l’Euro 2004 au Portugal, les très nombreux Portugais des cités suisses romandes — comme ailleurs en France ou en Belgique du reste —, sortaient systématiquement en voitures après chaque victoire de leur Onze national, drapeaux dehors et klaxons en furie, afin de démontrer qu’ils étaient, pour une fois, les maîtres de la situation, eux qui d’habitude doivent se soumettre à leurs patrons suisses plus riches chez qui ils sont venus gagner de l’argent en assumant souvent des tâches subalternes. Ce qui n’a pas manqué de provoquer des réactions agacées chez les autres résidents helvètes, au point que la Municipalité de Lausanne 21


a dû édicter un règlement interdisant bruits et klaxons en ville au-delà d’une heure après la fin des rencontres… On comprend dès lors que des clubs de supporters puissent devenir des repaires de sympathisants de groupes raciaux, voire néo-nazis…

L’idéologie des JO Plus explicites encore sont les affirmations provenant des fondateurs du mouvement olympique, revendiquant clairement pour l’Olympisme un statut religieux.

Pierre de Coubertin Le baron Pierre de Coubertin, initiateur des JO de l’époque moderne, déclare dans ses Mémoires (1892) que « le sport est une religion avec une Eglise, des dogmes et un culte […], mais avant tout avec un sentiment religieux ». Pour lui, les JO possèdent un caractère sacré et confèrent au sport une dignité cultuelle. Je cite : « La première caractéristique essentielle des Olympiades antiques et L’athlète est une modernes est d’être une religion. En espèce de prêtre ciselant son corps par l’exercice, de la religion de la comme le fait le sculpteur d’une sta- force musculaire tue, l’athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau […]. Par conséquent, je pense avoir eu raison quand, pour donner une nouvelle vie aux JO, j’ai cherché dès le début à réveiller une sensibilité religieuse. […] L’athlète est une espèce de prêtre et de ministre de la religion de la force musculaire. 22


Avery Brundage Dans la même ligne que le père fondateur, le président du CIO dès 1952, Avery Brundage, attribuait à l’Olympisme, « la valeur d’une religion à caractère universel réunissant en ellemême toutes les valeurs fondamentales des autres religions. C’est une religion moderne, dynamique, qui attire la jeunesse, et nous du CIO, nous en sommes les disciples ! En elle plus d’injustice fondée sur la caste, la race, la famille ou l’argent. Si quelqu’un cherche dans l’histoire, il ne trouvera aucun système de principes qui a connu une diffusion aussi vaste et rapide que la splendide philosophie de Pierre de Coubertin. Ce dernier a allumé la flamme qui illuminera le monde ».

» Les jeunes de toutes les nations qui pratiquent le sport doivent devenir les disciples de la religion du sport […] » Le couronnement de l’idée olympique doit nécessairement provenir de la religion olympique, parce que sans religion, il lui manquerait le dynamisme, l’enthousiasme et l’absolu. » Au monde sécularisé, de Coubertin recommandait donc de continuer « à célébrer cette forme de liturgie autour de la flamme olympique à nouveau allumée ». C’est comme si le Baron avait repris quelques rituels du cadre religieux olympique antique, mais sans adhérer aux dieux grecs. À leur place, il a installé l’idée nationaliste et les sentiments patriotiques conçus comme un succédané du divin. Au point de parler, au sujet des Olympiades, d’un « authentique paganisme » et d’un « culte de l’être humain » ! 23


A noter aussi que la fameuse maxime « L’essentiel est de participer » lui est attribuée à tort et qu’elle émane en réalité de l’évêque de Pennsylvanie, lors des Jeux de Londres, en 1908 !

Carl Diem Quant à l’Allemand Carl Diem, se considérant comme le « fils spirituel » du Baron et le « gardien du Graal », il a beaucoup fait pour le développement des actions liturgiques des JO. Il déclarait en 1944, à l’occasion des cinquante ans de la fondation du CIO : « Notre génial restaurateur a démontré ses capacités à leur plus haut niveau dans la formulation spirituelle et artistique du concept des cérémonies olympiques et dans la création d’authentiques symboles qui ont élevé le sport à un niveau supérieur. » Diem a eu la « brillante » intuition de transformer la montée du feu en un geste solennel et quasi liturgique, rappelant la flamme de l’Olympe allumée dans un bois sacré par une prêtresse. Si l’idée de la course avec la flamme olympique lui est attribuée à tort — alors qu’elle provient en fait du Ministre de la Propagande de Berlin —, Diem a beaucoup fait pour conférer aux célébrations olympiques une « consécration supérieure », avec le prestige de l’Antiquité. Il voyait la flamme portée dans le stade par un dieu de la lumière, avec la rapidité d’une divinité dotée d’ailes aux pieds. Je cite Diem : « Tout ce qui donne le coup d’envoi aux cérémonies : le son des cloches, les fanfares, les chants des chœurs, le cortège solennel, le serment, les bannières, les colombes, les symboles lumineux, tout cela leur confère le 24


caractère d’une fête ecclésiastique chargée d’émotion » (Ewiges Olympia, 1948, p. 10). Il ne s’agit plus de vénérer Zeus, mais tout se passe à l’enseigne d’une foi fervente, qui donne aux célébrations un caractère ésotérique et célèbre l’être de l’homme pleinement homme. « Cette essence de l’humanité ne s’épuise pas dans la confrontation avec les difficultés de l’existence. Elle aspire à quelque chose de surnaturel, de spirituel, à ce progrès éternel qui nous rend vraiment humains » (C. DIEM, Spätlese am Rhein, Frankfurt/Main, 1957, p. 68). Comme l’affirme encore cet auteur, les JO représentent la convocation religieuse au printemps sacré des peuples : « Ce monde nouveau exigeait un homme nouveau, qui devait se forger avec une éducation nouvelle » (Olympische Erinnerungen, 1959, p. 8). C’est ce qu’écrivait Diem en été 1944. Peu de mois plus tard, en mars 1945, le même Diem se présentera aux jeunes du camp sportif du Reich à Berlin pour les inciter à une lutte finale victorieuse contre les ennemis de l’Allemagne, dans un discours enflammé où il faisait référence à Sparte et à son esprit de sacrifice. Quand l’esprit olympique se trouve récupéré au profit de la pire idéologie et complètement travesti pour fournir une ultime motivation aux candidats à la mort… Qui d’ailleurs croit encore en l’idéal de l’Olympisme, après les multiples scandales de corruption de ses membres et de dopage des athlètes — dont plusieurs médailles d’or des compétitions à Athènes —, alors même que sa charte proclame qu’il est « une philosophie de vie exaltant et combinant, en un ensemble équilibré, les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit » ?


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Telle une extase…

Un instrument de propagande Une telle conception des JO tend à fournir à l’homme contemporain un système de comportement global susceptible de donner sens à sa vie. Mais cette intention se retrouve, au-delà des Olympiades, pour le sport en général, d’autant plus que les religions traditionnelles semblent avoir perdu leur influence déterminante et laisser échapper la gestion du spirituel. L’exaltation des valeurs positives liées au sport conduit même à lui attribuer — nous l’avons déjà mentionné — des fonctions qui sont normalement du ressort d’autres sphères institutionnelles : l’activité sportive serait censée développer le sens moral, la salubrité publique, la discipline, la formation du caractère, le comportement social, l’orgueil national et les échanges commerciaux. D’où le risque attaché à une telle vision d’instrumentaliser le sport, de l’utiliser comme moyen de propagande. L’exemple le plus frappant me semble être l’ex-Allemagne de l’Est, qui, pendant des décennies, a fabriqué artificiellement d’exceptionnels résultats chez ses athlètes de pointe — les meilleures du globe — pour en faire un argument idéolo26


gique à toute épreuve. Après l’effondrement du Mur, les performances des sportifs des deux Allemagnes réunies n’ont, de loin, plus atteint le niveau de celles de l’ex-RDA (ce fut à nouveau le cas aux JO de l’été 2004).

Spiritualisation du « jogging » D’autres motivations apparaissent encore, tendant à spiritualiser le sport et à en faire un moyen de formation à la méditation. Certains recherchent, par exemple, dans la course à pied une espèce de préparation à « l’illumination intérieure ». Ils se retrouvent par groupes pour courir ensemble, ils s’y conditionnent physiquement et spirituellement, ils se rejoignent en une sorte d’esprit de famille, la philosophie du « jogging », où corps et âme sont pris en compte dans une recherche d’harmonie globale. Il y a la mentalité « Sierre-Zinal », l’esprit « Grand Raid » ou la famille du « Marathon de l’Engadine » (du nom de trois grandes courses alpestres de Suisse) : au-delà de la

La formation intégrale de l’homme Jean-Paul II lors d’une allocution à des sportifs alpins le 7 septembre 1986 à Courmayeur : « Comme on le sait, ces activités non seulement accroissent les capacités physiques, mais contribuent à la formation intégrale de l’homme, en l’ouvrant aux beautés de la création et aux valeurs de l’amitié et en développant un fort esprit de collaboration… »

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performance sportive, c’est un état d’esprit, une hygiène de vie et une conception de l’existence qui rassemblent les participants à ces événements et assurent leur communion. On connaît du reste la passion du Pape actuel pour le sport, l’escalade et le ski notamment, au point d’être surnommé par certains « l’athlète de Dieu ».

La drogue des sports extrêmes Autre phénomène frappant : la recherche de « l’extase » dans les sports dits de l’extrême, comme le kilomètre lancé à ski, le saut en parachute, le canyoning ou le rafting, le plongeon depuis Faire monter au une falaise… Ceux qui s’y adonnent maximum le decherchent à faire monter au maxi- gré d’adrénaline mum en eux le degré d’adrénaline, dans un état de très forte excitation, afin de toucher leurs limites et même de les dépasser. Il est étonnant de constater la similitude existant entre ces expériences frontières et les cérémonies extatiques des cultes à mystères. Les adeptes de ces liturgies païennes expérimentaient « l’épiphanie du divin » en dilatant leurs sens et en parvenant ainsi à une altération euphorique de leur état de conscience. Ces rituels des religions à mystères commençaient souvent par de longues périodes de jeûne et de veilles nocturnes, se poursuivaient par des danses, prolongées durant des heures et destinées à atteindre un état de transe, avec le recours à des produits stupéfiants ou euphorisants, ainsi qu’à des blessures volontairement infligées au corps. Tous ces phénomènes se déroulaient en 28


un contexte ritualisé dans le but de sortir de l’univers profane afin de pénétrer dans la sphère numineuse du divin. La perte de conscience vis-à-vis de la réalité extérieure et la perte de la maîtrise de soi constituaient les signes caractéristiques de cette « ex-stase » au sens littéral, c’est-à-dire de cette sortie de soi, qui ne se vivait que dans le cadre protecteur d’une communauté culturelle, comme par exemple dans le culte à Dionysios. De nos jours, de nombreuses personnes recherchent de telles expériences de transe extatique dans les sports extrêmes : le saut à l’élastique de plusieurs dizaines de mètres dans le vide, depuis un pont ou le sommet d’un précipice, la descente à ski sur des pentes de plus de soixante pour cent, l’ascension « d’un 8000 », le ski hors pistes, voire la conduite de voiture les yeux fermés… Il s’agit de vivre ce qu’il est convenu d’appeler le kick, la sensation forte « dernier cri », jusqu’à accepter, et même désirer le péril de mort. Pourquoi cette quête de l’événement limite toujours plus poussé sinon comme une façon d’éprouver les frontières de l’humain et un moyen de se retrouver soi-même ? Sur le marché commercial de ces sports événements, l’inflation ne connaît pas de barrière, avec évidemment le risque de dérapages fatals, comme nous en avons connu ces dernières années, lors de drames à répétition en « canyoning » ou en haute montagne. Par ce dépassement euphorique de soi se vit une absence de peur et de stress en face des périls extrêmes, une sorte d’absence ou de perte de soi. Cela débouche sur une unité totale sans plus de distance avec le monde environnant, une expérience d’ordre mystique, de sécurité « océanique » par fusion complète avec la nature. Ces expériences 29


sportives « cosmiques » se rapprochent fortement des chemins de médi- Obtenir une forme tation conduisant aux confins du soi. d’impulsion vers En escaladant les montagnes ou en l’expérience du plongeant dans les profondeurs ma- Transcendant, aux rines, l’homme croit pouvoir obtenir frontières de la vie une forme d’impulsion vers l’expé- et de la mort rience du Transcendant, aux frontières de la vie et de la mort. Le « kick » auquel aspirent ceux qui pratiquent les formes les plus extrêmes du sport ressemble à l’expérience de la drogue, par la quête incessante d’un plus, et représente le degré suprême de jouissance de soi qui puisse être atteint au niveau personnel.

Le sport « opium des peuples » ? À certains égards, le phénomène des multiples marathons à travers le globe est du même ordre. Qu’est-ce qui motive tant de monde à fournir des efforts aussi violents et d’aussi longue durée ? Ni l’argent, ni la santé (car pour se faire du bien, il n’est pas nécessaire de parcourir de telles distances). Il a été démontré au plan médical qu’après environ vingt-cinq kilomètres, le corps atteint un seuil audelà duquel il produit les endomorphines propres à l’organisme, un peu à l’exemple de l’ébriété euphorique provoquée par l’ecstasy. Celui qui court régulièrement sur de longs trajets devient en quelque sorte « toxicodépendant » et, s’il doit s’arrêter, il éprouve des symptômes similaires à ceux de l’abstinence pour la drogue. 30



En outre, il est impressionnant de voir à quelle rudesse de traitements les adeptes des disciplines les plus exigeantes sont prêts à soumettre leurs organismes. Le nom des compétitions lui-même fait peur : « l’Iron Man » (« l’homme de fer », certainement le triathlon le plus dur au monde), le « Terrific » (qui combine ski de fond, ski alpin, VTT en montée et en descente, natation en eaux lacustres et vélo sur route). « Le corps est un démon. Il doit être châtié » : déclarait sur son site personnel un médaillé olympique suisse du triathlon d’Athènes 2004. Son entraînement quotidien ? Nonante minutes de natation, cent kilomètres de vélo et quinze de marche… Dans le même contexte, mentionnons également les divers moyens d’excitation effervescente (comme l’éphédrine ou l’amphétamine), ainsi que les stéroïdes anabolisants — qui produisent une augmentation de l’agressivité —, la marijuana ou la cocaïne circulant de manière notoire dans le monde du football, comme certaines confessions d’anciennes vedettes du « calcio » nous l’ont révélé récemment. Enfin, dans la même perspective, je citerai en passant le nombre incalculable de spectateurs, y compris de « notables » de la cité — je l’ai expérimenté en tant qu’arbitre —, qui non seulement s’identifient avec les héros du stade, mais se mettent littéralement hors d’eux-mêmes lors d’un match ou d’une compétition et se trouvent comme immergés dans la masse de leurs semblables, noyés dans l’instant présent et capables des pires outrances verbales ou physiques. Le sport se révèle alors clairement comme le nouvel « opium des peuples ».


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Tout pour le sport : une tendance à la totalité

Le culte de la forme physique Le sport moderne tend à occuper toute la place dans la vie et l’engagement du compétiteur. Cela se manifeste dans le fait que la forme physique et la santé se situent au centre des valeurs reconnues par notre société, qui tend à l’efficacité. Un homme dynamique et Comme si la santé jeune, qui veut rester jeune et avoir du succès, doit nécessairement culdu corps suffisait tiver sa condition physique. Pour une société qui cherche son propre salut sur cette terre, le bien suprême est la santé. C’est d’ailleurs ce qu’expriment constamment les vœux de bonne année : « Bonne santé, avant tout, car, quand on a la santé, tout le reste suit. » Comme si la santé du corps suffisait à combler notre soif de bonheur… Ainsi l’exercice du sport devient une activité rituelle orientée à la sauvegarde de la santé, dans la conviction qu’il suffit de la pratiquer pour rester automatiquement en condition. Un peu comme si le culte du corps et de la forme physique voulait repousser les limites de la finitude humaine et que l’horizon du paradis promis se limitait au cadre terrestre… 33


Tout donner au sport La tendance totalitaire du sport de haut niveau se traduit dans le fait que le champion subordonne l’ensemble de son mode de vie à son rendement sportif. L’entraînement et la compétition constituent les principes fondamentaux qui guident son agir. Cette concentration sur un unique objectif, cette orientation exclusive vers la prestation à venir et le succès escompté, cette disponibilité à un engagement psychosomatique total requièrent non seulement un énorme investissement de temps, mais également une consécration au sport impliquant les domaines de l’affectivité et des émotions. Je pense à cet ami qui, désirant absolument faire la « Patrouille des Glaciers », une prestigieuse compétition hivernale, avait complètement délaissé sa petite amie, lui répétant pendant des mois : « Nous verrons cela après la Patrouille », si bien qu’elle avait fini par le quitter, se sentant « trompée » par cet attachement sportif plus important que leur relation amoureuse. Souvent ceux qui s’investissent à ce niveau de compétition ne sont plus en mesure de s’occuper véritablement d’autrui, ni de faire autre chose, ni de penser à autre chose. Ils mangent Dominés par sport, réfléchissent sport, respirent leur sport, comsport, « font pipi sport ». Ils sont fi- me possédés par nalement dominés par leur sport, leur passion comme possédés par leur passion. Plus rien d’autre ne compte. Rien ne limite cette absolutisation : les besoins et les intérêts, la formation scolaire et la profession, le temps libre 34


et les vacances, la nourriture et les divertissements, l’amitié et la sphère intime, les pensées et l’engagement socioculturel, tout se trouve subordonné aux nécessités de la compétition, avec l’inévitable conséquence que le sport absorbe complètement l’homme et l’empêche d’exercer quelque autre activité que ce soit. « Je voulais ce podium olympique à tout prix. J’y ai sacrifié mes études et plusieurs années de ma vie », confiait un médaillé des Olympiades athéniennes. C’est à se demander si la haute compétition n’exige pas le célibat autant que le sacerdoce ou la vie religieuse ! En tout cas, lors de préparations au mariage de sportifs de pointe, je ne manque pas d’aborder cette question clé de la priorité affective (et effective) accordée au conjoint, d’autant plus importante pour l’après carrière sportive et pour l’équilibre à retrouver une fois que les feux des projecteurs se seront éteints !

Au risque de la santé : le dopage légitimé ? Selon une pareille échelle des valeurs, tout se trouve orienté vers le succès à obtenir, y compris les dommages infligés à sa propre santé physique. Mais la fin justifie-t-elle à ce point les moyens ? Demandez aux nageuses d’Allemagne de l’Est ou aux gymnastes de la Roumanie communiste ce qu’elles en pensent ! Les sportifs d’élite évoluent dans un univers perverti, à la limite du pathologique. Dans la majeure partie des disciplines sportives les résultats les plus élevés sont obtenus après des efforts d’une rudesse inouïe, selon un entraînement étalé sur des mois et des années, si bien que beaucoup de champions finissent 35


leur carrière « sur les rotules » et littéralement usés, un peu comme des « machines industrielles ». Certains ne sont plus que des « loques » humaines, physiquement et psychiquement, et ils se montrent incapables de donner une nouvelle orientation à leur existence. La première victime de cet état de fait est l’équité sportive. Dans certaines disciplines, il devient quasiment impossible de parvenir à des succès sans avoir recours à des produits dopants. Je pense au cyclisme, avec les efforts surhumains exigés des coureurs dans une épreuve comme le Tour de France, trois semaines durant. Ou alors aux nombreuses déclarations d’athlètes de pointe, comme celle du joueur de tennis anglais, Greg Ruzelski, qui vient d’affirmer que près de la moitié de ses confrères du haut du tableau utiliseraient comme lui des produits interdits, dont certains distribués par l’ATP elle-même !…. C’est ainsi que le doping en vient à être légitimé, au nom même de la performance et des lois du marché. Et ce n’est que tout récemment que le CIO a vraiment empoigné le problème, après les suspicions pesant sur des « légendes vivantes » comme l’athlète Carl Lewis, pour empêcher la Le dopage en vient libéralisation des pharmacopées illi- à être légitimé cites et réglementer le dopage dans l’ensemble des sports. Or, on sait quelle résistance certaines fédérations, comme celle régissant le cyclisme international, ont opposée à cette initiative résolue ! On a pu constater aux JO 2004 le nombre exceptionnellement élevé de compétiteurs contrôlés positifs et exclus des Jeux, certains cherchant à « tricher dans la triche36


Le dopage fausse les cartes Longtemps, le sportif a véhiculé l’image positive du héros sain. Un cliché écorné par les récentes affaires de dopage. Le dossier Festina (1998) a révélé l’utilisation généralisée d’EPO dans le monde du cyclisme professionnel. Pour justifier ce recours, les sportifs invoquent la pression du milieu et la caution des médecins. Les contrôles mis en place sont déjà caducs, car de nouveaux produits indécelables ont été élaborés. La créatine, une substance qui accroît artificiellement la masse musculaire, est très répandue chez les rugbymen et les footballeurs. Elle est autorisée dans de nombreux pays, car ses effets néfastes ne sont pas prouvés. En France, elle est officiellement interdite, mais tolérée de fait. Le dopage fausse les cartes ; il jette le doute sur la validité des performances. Il pose aussi la question du sens du sport, censé améliorer la santé. L’espérance de vie d’un cycliste professionnel ne dépasse pas soixante ans. Croire aujourd’hui, no 134 (15 mai 2002), p. 14

rie » en procédant à une substitution d’urines, d’autres refusant de rendre leur médaille après avoir été pourtant pris en flagrant délit de dopage ! Cela ne manque pas de jeter la suspicion sur les Olympiades précédentes où les contrôles étaient très nettement moins serrés. D’autre part, on peut se demander si toutes les instances du CIO sont vrai37


ment prêtes à jeter toutes leurs forces dans la bataille contre le dopage, à voir les atermoiements au sujet des deux sprinters grecs, véritables « idoles nationales » qui s’étaient soustraits à un contrôle inopiné au début des épreuves, sans que les dirigeants du CIO ne prononcent effectivement leur exclusion…

La critique interdite À celà s’ajoute un autre facteur, typique de n’importe quelle idéologie : il s’agit de la dissolution ou de l’élimination de toute critique fondamentale ou de tout doute relatifs au « système sport ». Ceux qui prennent part aux débats consacrés au problème, tout en demeurant extérieurs à ce microcosme, se voient tout simplement ignorés. Cela signifie que les sympathisants ou les « fondamentalistes » du système restent entre eux. Ils affirment tous, naturellement, vivre pour le sport. Mais en réalité, ce sont des personnes qui vivent du sport, qui en profitent, et qui manifestent donc un goût pour le sport éminemment matériel et intéressé. De tels lobbyistes, impossible d’attendre autre chose qu’une apologie, ou tout au moins une critique très partiale du fonctionnement de cet univers clos. Par-dessus tout, les fonctionnaires du système s’emploient à défendre leurs privilèges becs et ongles. Quant aux athlètes, ils font figure de « marchandises utiles », de « ressources humaines » dont il convient de s’attirer les bonnes grâces par d’adéquates gratifications. Mais il est vrai que, depuis quelques années, les scandales et les affaires qui ont éclaté de toutes parts ont mis à 38


Les sports fun où le plaisir l’emporte sur la recherche du résultat

mal la crédibilité de l’ensemble ; les critiques ont fusé dans les médias et beaucoup de jeunes ont perdu tout attrait pour les disciplines de pointe. Ils préfèrent nettement les sports fun où le plaisir l’emporte sur la recherche du résultat et où l’aspect ludique constitue la seule motivation. Au point que tous les budgets sont revus à la baisse, parmi les organisateurs de manifestations, l’intérêt d’un certain public glissant vers des événements où la joie d’être ensemble éclipse la quête des performances ou des records.


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Le culte des idoles

La divinisation de l’homme L’écrivain Michel le Bris touche-t-il juste ? Le sport de notre époque est-il véritablement amené à jouer le rôle d’une religion laïque ? L’Esprit Saint se loge-t-il dans les chaussures des meilleurs athlètes, notamment de ceux qui se signent avant une course ? Les étoiles sportives doivent-elles être honorées comme les nouveaux « dieux et déesses du stade » ? L’habillement rituel dont les JO et les autres compétitions sont revêtus ne doit pas faire illusion. Les Olympiades ne sont plus organisées en l’honneur des divinités, comme chez les Grecs anciens. La religion se trouve en fait instrumentalisée et les énergies religieuses des foules dirigées vers d’autres objectifs. L’homme se céComme le dit le théologien Jürgen lèbre lui-même Moltmann, « dans les JO, l’homme se célèbre lui-même, il s’invoque et se récompense lui-même, il se sacrifie à lui-même. Mais une religion sans Dieu conduit à une divinisation de l’homme et de ses prestations » (« Olympie entre la politique et la religion », in Concilium no 225 (1989), p. 121-130).

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Cette idolatrisation de l’homme et cette tentative de reconduire le sport à une dimension mythique trouvent leur particulière expression dans le culte voué à certaines vedettes. Zidane n’a-t-il pas été déclaré en 2003 « homme de l’année » des Français ? L’ensemble du peuple anglais ne retient-il pas son souffle lorsque le mollet de David Beckham subit une torsion indue ? Le basketteur Michael Jordan n’était-il pas porté aux nues par l’Amérique, à l’exemple de son homonyme par le prénom, M. Jackson, dieu, lui, du show-business ? Les adolescents s’identifient à leurs idoles, surtout s’ils ne disposent plus de références familiales fortes. Le mimétisme joue à fond. S’ils voient les stars dont ils rêvent porter telle marque de baskets, et si Nike et Addidas leur font miroiter que s’ils achètent la même paire de chaussures, ils vont devenir les meilleurs, certains gars des banlieues vont donner jusqu’à leur dernier sou pour acquérir ces pantoufles. Mais, en fin de compte, que faisons-nous admirer aux jeunes ? Lorsqu’on acclame des joueurs qui gagnent des centaines de millions de dollars, n’encourage-t-on pas un système absolument immoral ? Les politiques ne devraientils pas avoir le courage — et nous tous avec eux — de dénoncer cette mystification généralisée ? Et quelle déception pour un enfant lorsqu’il constate que son héros est capable de donner de mauvais coups ou de tricher (cf. le même Zidane et les expulsions dont il a été victime à une certaine époque) ? Quelles piètres idoles ! Quelles drôles d’icônes du vrai et du bien ! Et comme elles retombent vite de leur piédestal : adulés en 1998 et en 2000, les Bleus et Zidane sont hués au Mondial (2002) et à l’Euro suivants (2004) !…. 41


Une idéologie partielle En fait, le sport ne présente aucune forme de transcendance, ni culturelle ni religieuse. Il appartient aux modalités de vie profanes et sécularisées, il n’offre aucune expérience de totalisation. L’Esprit est à chercher ailleurs qu’uniquement dans l’univers des athlètes. Certes, l’idéal du fair-play, du respect de l’adversaire et de la générosité dans l’effort demeurent très présents chez beaucoup de sportifs à tous niveaux, et c’est tant mieux ! Pour la majorité des amateurs, le primordial reste de donner tout ce qu’ils ont en eux et d’atteindre l’objectif qu’ils se sont fixé, que ce soit de finir troisième ou trentième. Dans de nombreuses manifestations, l’essentiel est vraiment de participer et l’importance du résultat se trouve fort heureusement relativisée. Cependant, il n’en va pas de même dans le « sport business de compétition à outrance » où tous les coups sont permis, surtout s’ils se parent d’oripeaux idéaux et séduisants. En proposant l’image d’un homme nouveau, jeune, musclé, bronzé et performant, le sport contemporain contribue à ren-


forcer la mise à l’écart sociale de tous ceux qui ne répondent pas à ces canons idéaux. Il donne l’illusion que la maladie, la douleur ou la mort pourraient être évacués de l’horizon de l’humanité, mais en fait il est incapable d’offrir une conception globale de l’existence humaine et d’intégrer la finitude et la vulnérabilité constitutives de cette dernière. Les héros des stades seraient-ils des dieux rédempteurs, des « êtres de lumière » ? Mais tous les autres, tous ceux qui ne parviennent à aucune performance, tous les faibles, les handicapés, les petits, les rejetés, que deviennent-ils ? Le sport n’est qu’une idéologie partielle, qui essaie parfois de fonctionner comme un système totalitaire, réduisant l’ensemble de la réalité à certains de ses éléments, en prenant une « partie » pour le « tout ». Les promesses de salut des rituels du corps, la quête jamais achevée du maximum d’excitation, la satisfaction des désirs profonds dans l’activité sportive, l’expérimentation de jouissances intenses dans son propre organisme, tout cela relève des exigences des sens, mais ne constitue pas une revendication de sens. Le vrai sens de l’existence est à trouver ailleurs.

À sa juste place Le sport n’est pas tout, il n’est pas Dieu, il n’est pas une religion. Certes, il véhicule des valeurs individuelles et communautaires, il pose des règles claires face à la violence, il est capable de la canaliser et de jouer le rôle autrefois dévolu au théâtre de « catharsis ». Mais il n’est pas « plus propre » que le reste de la réalité. Les hommes et les femmes 43


Le sport n’est pas une religion « Le sport n’est pas le tout de la vie ; il n’est pas une réalité suffisante ; il n’est pas une religion. Mais il est, lui aussi, une échelle permettant d’y parvenir. Il y aspire peut-être sans le savoir. » Paul VI, Allocution pour les Jeux Olympiques de Munich, en 1972

qui le pratiquent ont leurs faiblesses et leurs qualités. Ils sont sur le terrain et dans les salles comme ils sont dans la vie. Pourquoi y seraient-ils différents ? Pourquoi le sport serait-il le seul lieu de pureté dans un monde de commerce, d’égoïsme et de fanatisme ? la seule activité honnête dans un monde où l’on triche et l’on corrompt partout ?

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Plutôt que le sport comme religion, la religion dans le sport Vous vous souvenez encore de Pirmin Zurbriggen, l’un des meilleurs skieurs alpins de toute l’histoire ? Encore un Haut-Valaisan ! Il n’a jamais caché qu’il puisait dans sa foi vive de catholique une grande partie de son énergie : « Je suis très heureux d’avoir la foi, affirme-t-il. Elle me soutient non seulement comme sportif, mais comme homme. Elle m’aide notamment à trouver la sérénité et à relativiser les choses. J’accorde une importance capitale à la manière de vivre d’un homme, ainsi qu’à l’attitude qu’il adopte vis-à-vis de son prochain. Une piété exagérée ne sert à pas grandchose si l’on agit avec une optique différente dans la vie […] Le soir, quand je lis la Bible, que je prie, qu’une bonne idée me vient ou que je me coupe simplement de tout, je peux m’endormir plus calmement et le lendemain matin, je suis mieux concentré pour m’atteler à de nouvelles tâches. »


Conclusion

Une parabole inversée Le sport ne constitue pas une religion.Toutefois, l'écrivain genevois G. Haldas semble affirmer le contraire dans son ouvrage la Légende du football. Le Royaume des cieux ne serait-il pas comparable, comme il le prétend, à un match de foot où se jouent toutes les passions humaines ? Dans un sens, oui. Mais il est aussi, et fort heureusement, bien plus et bien mieux. Il lui est semblable, et il est tout autre. Comme tous les autres registres symboliques utilisés pour exprimer en termes humains la présence divine, le langage Les premiers du sport s’efface alors devant la réa- sont les derniers lité de l’Esprit, qui le surpasse et le transcende. « Les premiers sont les derniers » : allez appliquer cette règle dans les compétitions olympiques ! Elle ne vaut que pour les JO de l’amour ! Paul était pleinement conscient de la valeur et des limites du langage sportif pour exprimer le sens de l’existence chrétienne.Voici ce qu’il dit en « lutteur du Christ » : « Vous savez bien que, dans les courses du stade, tous les coureurs pren46


Une contribution à la paix Le sport peut apporter une contribution valable et féconde à la coexistence pacifique de tous les peuples, au-delà et audessus de toute discrimination de race, de langue et de nationalité. Conformément à la prescription de la charte olympique qui voit dans le sport l’occasion d’une « meilleure compréhension réciproque et d’amitié pour construire un monde meilleur et plus pacifique », faites que vos rencontres soient un signe symbolique pour toute la société et un prélude à cette ère nouvelle dans laquelle les peuples ne lèveront plus l’épée l’un contre l’autre » (Isaïe 2, 4). Jean-Paul II, Homélie lors d’une messe pour les sportifs, en 1984 Vivement ce jour béni où toutes les nations afflueront vers la Jérusalem d’en haut, la Sion céleste, et reconnaîtront le Seigneur Dieu comme « l’arbitre de la multitude » (Is 2, 3). Dieu, arbitre, à Sion ma ville ? Que rêver de mieux ?

nent le départ mais un seul gagne le prix. Alors, vous, courez de manière à l’emporter. Tous les athlètes à l’entraînement s’imposent une discipline sévère. Ils le font pour gagner une couronne de laurier qui va se faner, et nous, pour une couronne qui ne se fane pas » (1 Co 9, 24-25).


Pistes de lecture • « Sport et foi chrétienne », Fêtes et Saisons no 458, Paris, 1991. • J. GRITTI, B. CASSAIGNE, « Le sport : du pain et des jeux », Cahiers pour Croire aujourd’hui no 163, p. 9-26, Paris, 1995. • J. CHAPUIS, P. MIGNON, « Sport : des valeurs en jeu », Croire aujourd’hui no 134, p. 10-21, Paris, 2002. • « Violences sportives. Le foot et la fureur : gentlemen, supporters, hooligans », Esprit no 1667, Paris, 1985. • J. BUREAU (dir.), L’amour foot. Une passion planétaire, Paris, 1993. • P. BONIFACE, La terre est ronde comme un ballon. Géopolitique du football (L’épreuve des faits), Paris, 2002.

Table des matières Éditorial 1 Le sport, religion universelle du XXIe siècle ? 2 Sport de détente et sport de compétition 3 Les « paraliturgies » du sport moderne 4 Telle une extase… 5 Tout pour le sport : une tendance à la totalité 6 Le culte des idoles Conclusion Table des matières

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Ce soixantième numéro de la collection « Que penser de… ? » a été réalisé par François-Xavier Amherdt.

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Ce soixantième numéro sur le sport a été réalisé par François-Xavier Amherdt.

Le sport

Trimestriel • Éditions Fidélité no 60 • 3e trimestre 2004 Bureau de dépôt : Namur 1 Éd. resp. : Charles Delhez • 121, rue de l’Invasion • 1340 Ottignies

ISBN 2-87356-299-4 Prix TTC : 1,95 €

9 782873 562991

Le sport

L

e sport prend de plus en plus de place dans notre société. Tout n’est cependant pas parfait. Les dérapages font régulièrement la une de la presse. De plus, sous ce mot, il y a deux réalités : le sport de détente et celui de haut niveau avec son côté business. Il ne faudrait pas que cette activité — si belle et si importante soit-elle — en vienne à assoupir les humains et à les détourner, par l’euphorie des sens, de la question du sens de l’existence…


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