Chemin de croix au Colisée André Louf
Chemin de croix au Colisée
Chemin de croix au Colisée
Écrit pour le Pape et prêché au Colisée, le Chemin de croix de Dom André Louf propose une méditation sur la Passion du Christ à la fois très classique et très nouvelle par certains accents. On y retrouve toute la sagesse et l’érudition de l’auteur dues à une longue fréquentation des textes du Premier et du Second Testament. On y perçoit aussi toute la tendresse du moine pour le Christ et pour les hommes qui essaient aujourd’hui encore de Le suivre. Si le chemin de croix nous invite à méditer sur la vie et la mort de Jésus, André Louf nous convie également, dans une belle introduction, à réfléchir sur la souffrance dans l’expérience humaine. La « puissance de la croix » n’est pas une puissance de mort, mais le lieu de la communion définitive avec le Christ où souffrance et résurrection sont indissociablement liées. La participation des chrétiens à la Passion du Christ, par leur propre passion, est comme un travail d’enfantement, douloureux, mais déjà imprégné de la joie de Pâques.
André Louf
Vie spirituelle
9 782873 563028
fidélité
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ISBN : 2-87356-302-8 Prix TTC : 7,95 €
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André Louf
Chemin de croix au Colisée
fidélité
Namur – Paris
Dans la même collection : Brèves rencontres, Willy Gettemans, 2002. La compassion, Henri Nouwen, 2003 (2e éd. 2004). Sous mon figuier, Jacques Patout, 2004. Ce Dieu caché que nous prions, Gaston Lecleir, 2004. Dans le feu du buisson ardent, Mark Ivan Rupnik, 2004. Chemin de croix au Colisée, André Louf, 2005.
© Éditions Fidélité 61, rue de Bruxelles 14, rue d’Assas BE-5000 Namur FR-75006 Paris BELGIQUE FRANCE fidelite@catho.be ISBN : 2-87356-302-8 Dépôt légal : D/2005/4323/03 Imprimé en Belgique
Avant-propos
La Passion de Jésus et la nôtre Le film que Mel Gibson a consacré à la Passion de Jésus nous invite à réfléchir une nouvelle fois sur le rôle de la souffrance dans la vie et la mort non seulement de Jésus, mais encore de chacun de nous. L’on se souviendra que, mis à part ses qualités cinématographiques qui ne sont pas en question, ce film avait suscité un mouvement de division dans le public des croyants. Les uns avaient été touchés – convertis même, semble-t-il – d’autres, au contraire, avaient été scandalisés, jusqu’à se lever au beau milieu de la projection et sortir en claquant la porte. Un regard aussi réaliste sur le martyre de Jésus leur avait semblé insupportable. Les plus hautes autorités de l’Eglise, elles-mêmes, n’avaient pas réussi à s’exprimer d’une voix unanime : les uns avaient conseillé d’aller voir le film, d’autres avaient émis des réserves ou s’étaient retirés dans un prudent silence. « Incroyable » aurait soufflé Jean-Paul II à son secrétaire, après avoir visionné cette « Passion de Jésus », appréciation plutôt neutre, mais qui fut sur-le-champ exploitée en faveur de chacun des deux camps… Notre intention n’est pas de prendre position dans un débat dont les arguments doivent sans doute beaucoup à
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l’environnement culturel des interlocuteurs, pour ne rien dire de certaines motivations inconscientes qui, par définition, échappent à leur emprise et qu’il est délicat de soumettre à l’analyse d’une tierce personne. Au moins, l’exigence de réfléchir sereinement au rôle de la souffrance dans l’expérience humaine et surtout chrétienne est-elle à inscrire au bilan positif du film. Cela est d’autant plus nécessaire qu’une certaine dérive psychologique demeure toujours possible. Elle commence à apparaître à partir des XIIe et XIIIe siècles et s’est exacerbée durant les XVe et XVIe siècles en Occident, prenant une direction inverse de l’Orient. Comme l’écrivait Jean Delumeau, dans un livre récent paru précisément à la suite de ce film : « Les représentations morbides de la Passion, la complaisance pour le spectacle de la souffrance, la fascination pour la douleur, relèvent du dolorisme. Projecteur braqué sur les souffrances du Christ, de Marie, et des saints, conviction qu’il est nécessaire de souffrir pour se racheter et racheter l’humanité, le dolorisme a longuement marqué l’histoire du christianisme occidental 1. » En la matière, les récits évangéliques de la Passion font plutôt montre de sobriété. S’ils s’attardent sur certains détails, c’est plutôt pour souligner ce qu’ils ont de concordants avec les annonces faites par les prophètes et les psaumes dans l’Ancien Testament. Ce n’est jamais pour 1. Jean DELUMEAU, Gérard BILLON, Jésus et sa Passion, Paris, DDB, 2004, p. 101.
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en faire ressortir la cruauté. Ainsi en va-t-il pour la flagellation, les crachats, la couronne d’épines qui doit souligner a contrario la royauté de Jésus, les deux malfaiteurs entre lesquels Jésus est crucifié, le partage de ses vêtements, le vin mêlé de fiel qu’il refuse de boire, son cri plaintif d’être abandonné par son Père, le coup de lance dans son côté, ses os non brisés par les soldats venus constater sa mort. Si l’on veut un récit plus circonstancié des éléments plus tragiques de la Passion de Jésus, c’est dans la Lettre aux Hébreux qu’il faut le chercher. L’intention de l’auteur est de décrire le sacre de Jésus comme grand prêtre de la Nouvelle Alliance, sacre qui est célébré à travers sa Passion, et plus particulièrement à travers la faiblesse humaine dont Jésus « s’est enveloppé » – l’on pourrait aussi traduire : « s’est habillé » – au moment de son Incarnation. C’est elle qui lui permet de « ressentir de la commisération pour les ignorants et les égarés » (Hb 5, 2), et c’est cette condition qu’il lui faudra traverser pour « apprendre l’obéissance à partir de ce qu’il souffrit » (Hb 5, 8). L’humaine faiblesse, dans la Passion de Jésus, deviendra ainsi la chasuble pontificale qui lui permettra d’être « salué par Dieu du titre de grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech » (Hb 5, 10). Mais avant cela, il y aura eu son passage obligé à travers la mort, point culminant de l’humaine faiblesse, et en même temps point de départ de sa vie nouvelle. L’auteur s’attarde quelque peu à en décrire les affres, dont certains détails sont confirmés par les récits évangéliques : « C’est lui qui, aux jours de sa chair, ayant offert,
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avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de son amour de fils, tout Fils qu’il était, apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance ; après avoir été sacré pontife 2, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel » (Hb 5, 7-9). Un sacerdoce d’intercession donc, qui ne cessera plus désormais puisqu’il « est toujours vivant pour intercéder » en notre faveur (Hb 7, 25), mais qui lui a été conféré à travers les souffrances inhérentes à l’humaine faiblesse qu’il avait endossée. Il fut cependant « exaucé à cause de son amour de fils », précise le texte, non pas au sens où la Passion et la mort lui auraient été épargnées, mais parce que c’est à travers elles qu’il accéda à son sacerdoce de grand prêtre, entraînant à sa suite une multitude de frères. En effet, en annonçant sa propre Passion, Jésus avait annoncé en même temps celle de ses disciples dont le propre sera de « porter leur croix à sa suite », geste assimilé au fait de « se renier soi-même », et de « perdre sa vie » dans l’espoir de la gagner (Mt 16, 24-25 ; Mc 8, 34-35 ; Lc 9, 2324). Annonce qui suscitera une protestation véhémente de Pierre, suivie d’une remarque cinglante de Jésus (Mt 16, 23-24), alors que Pierre n’exprimait que l’incompréhension générale de tous les apôtres qui « ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l’interroger » (Mc 9, 12). Luc, 2. Traduction probable de l’expression en grec des LXX : « être rendu parfait ».
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dans le récit qu’il donne de la marche de Jésus vers le Calvaire, semble se souvenir des termes que ce dernier avait alors employés, puisque, en relatant l’incident de Simon de Cyrène réquisitionné par les soldats afin d’aider Jésus à porter sa croix, il note que ceux-ci « le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus » (Lc 23, 26), honneur insigne dont la charge symbolique était telle que ses deux fils, Alexandre et Rufus, sans doute encore en vie lorsque Marc couche son évangile par écrit, méritent d’être nommément cités dans son récit. Paul est peut-être l’auteur du Nouveau Testament qui, avant la rédaction des évangiles, est hautement conscient de cette assimilation de tout chrétien à la mort du Christ. Pour ce dernier, elle a commencé lors de son baptême qui l’a greffé sur le mystère pascal du sauveur. C’est là que « nous sommes devenus un même être avec le Christ par une mort semblable à la sienne », que « notre vieil homme a été crucifié avec lui » (Rm 6, 5-6), afin que « morts au péché nous soyons vivants à Dieu dans le Christ Jésus » (Rm 6, 11). De cette « mise en croix avec Jésus », l’Apôtre discerne les traces dans les nombreux tracas de son ministère, où il reconnaît les « souffrances de mort de Jésus » qu’il porte dans son corps : « Nous sommes continuellement livrés à la mort », avoue-t-il, « à cause de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre chair mortelle » (2 Co 4, 9-11). Il ira même jusqu’à confesser porter dans son corps les « marques » ou les « stigmates » de Jésus (Ga 6, 12). Pour gagner cette « vie dans le Christ », Paul se dira
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prêt à « tout perdre », à « tout considérer comme des balayures » pour le gagner ; c’est-à-dire pour « le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts » (Ph 3, 8-11). Paul ira même jusqu’à prescrire cette communion aux souffrances du Christ comme sa tâche personnelle et celle de tous les croyants, source de leur joie : « En ce moment, je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous et je complète en ma chair ce qui manque aux tourments du Christ pour son corps qui est l’Eglise » (Col 1, 24). Aux yeux de l’Apôtre, les souffrances que le Christ, tête du corps, a traversées seront aussi le lot des membres. L’on aura cependant remarqué que, dans tous ces passages, la Passion du Christ et des chrétiens n’est jamais dissociée de la résurrection, pas même dans le dernier passage où Paul résume le mystère du Christ, qu’il est chargé d’annoncer, dans la formule : « Le Christ au-dedans de vous ! L’espérance de la gloire ! » (Col 1, 27). Souffrances et résurrection, mort et vie, constituent un couple dont les éléments sont strictement inséparables. En parcourant les textes du Nouveau Testament qui ont trait à la participation des croyants à la Passion du Christ, une dernière remarque s’impose : le moment et les circonstances de cette participation ne dépendent ni de leur choix personnel ni de leur initiative. Pierre qui s’était fait fort de sa disposition à « aller (avec Jésus) en prison et à la mort » se voit rabroué par lui, et cet excès de confiance en
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lui-même devient d’ailleurs l’occasion que Jésus saisit pour annoncer sa chute prochaine (Lc 22, 33-34), conséquence de sa tentative prématurée de le suivre. Pierre n’en est pas pour autant dispensé de cette suite du Christ, jusque dans la mort, mais elle n’aura pas lieu dans l’immédiat : « Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant, lui dit Jésus, mais tu me suivras plus tard » (Jn 13, 36) ; prédiction qui recevra une forme plus explicite encore, après la résurrection de Jésus : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas. » Et l’évangéliste commente : « Il signifiait, en parlant ainsi, le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu » (Jn 21, 18-19). Les témoignages les plus anciens de la Tradition concernant les souffrances de la Passion sont marqués par une même sobriété. L’on sait que les plus anciennes icônes du Christ le représentent sous les traits du Bon Pasteur portant la brebis égarée, sous les traits du baptisé dans les flots du Jourdain, de la Sagesse de Dieu, ou du vainqueur de la mort, descendant aux enfers et saisissant Adam et Ève par la main. Il faut attendre le quatrième ou le cinquième siècle pour trouver une évocation de la crucifixion plus que discrète, à travers la silhouette des trois croix du Golgotha, sur lesquelles les crucifiés sont à peine lisibles, reportée sur les portes de la basilique de Sainte-Sabine à Rome. Les « Christ en croix » les plus anciens de la période
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romane présentent d’ailleurs un crucifié drapé dans un manteau de pourpre impérial et couronné non d’une couronne d’épines mais d’un diadème. Et lorsque les premières gouttes de sang y feront leur apparition, elles entoureront la plupart du temps des visages d’une admirable sérénité, qui rayonnent encore aujourd’hui une paix surhumaine et proprement divine. Lorsqu’à partir du quatorzième siècle apparaissent en Occident – en Allemagne et en Flandres surtout – les admirables « Christs ou Vierges de Pitié », ils ne s’attardent que rarement sur les tourments du Christ, mais s’efforcent seulement de susciter des sentiments de tendre compassion. Et si le fameux Christ mort du retable d’Isenheim semble faire exception à la règle, il convient de ne pas oublier que celui-ci ne constitue qu’un seul panneau du polyptyque en question, largement compensé par une nativité pleine de tendresse et, surtout, par l’une des résurrections les plus lumineuses de toute l’iconographie chrétienne ; sans oublier que les marques de la lèpre qui parsèment le corps du crucifié devaient rappeler aux malades, à qui le retable était destiné, que par sa Passion le Christ avait voulu prendre sur lui toutes les langueurs de l’humanité, jusqu’aux plus honnies. Ces images d’un Christ aussi sanguinolent n’étaient d’ailleurs pas appelées à durer. « Déjà au XIXe siècle, écrit Jean Delumeau, la tendance était à amender sa rigueur. L’iconographie sulpicienne peut nous paraître mièvre aujourd’hui, mais c’est qu’elle s’est justement caractérisée par un apaisement certain en réaction contre les vio-
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lences de la période précédente et, en ce sens, elle a été la bienvenue 3. » Retournons un instant aux témoignages littéraires les plus anciens. Ceux qui non seulement traitent de la Passion de Jésus, mais qui font aussi l’éloge du martyre subi à sa suite entrent évidemment en première ligne de compte. Parmi les plus vénérables, remontant au début du second siècle, il y a les Lettres que saint Ignace d’Antioche adresse aux Églises d’Asie mineure, sur le chemin qui le conduit à Rome où il doit combattre les fauves. L’on se souvient des accents dramatiques avec lesquels Ignace essayait de détourner ses correspondants de quelque possible intervention en sa faveur, auprès des autorités civiles. Ce qu’Ignace désire de tout son cœur, c’est « rencontrer son Dieu » ou le Christ, à travers une mort qui imitera la sienne (Lettre aux Romains, 6, 3). Car Ignace est tout entier « tendu » vers cette union (Lettre aux chrétiens de Philadelphie, 8, 1), une union qui est à la fois « de chair et d’esprit » (Lettre aux chrétiens de Smyrne, 12, 2). Qu’on le laisse donc poursuivre sa course à la suite du Christ : « Je vous en supplie, n’ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ » (Lettre aux Romains, 4, 1). Plus loin, il insiste : « C’est maintenant que
3. Op. cit., p. 111.
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je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m’empêche par jalousie de trouver le Christ », et il se laisse même aller à énumérer par le détail toutes les tortures imaginables : « Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus Christ. » « Trouver Jésus Christ », opar_i¡fi, c’est le terme grec qui a la préférence d’Ignace, et qui comporte nombre de nuances qu’une traduction ne rend que pauvrement : « trouver », « rencontrer », « atteindre », « saisir ». C’est toujours de la personne de Jésus Christ dont il s’agit, et non pas de ses souffrances. Un autre document ancien, de datation plus incertaine, les Actes de la Passion de saint André, qui racontent la crucifixion de l’apôtre qui aurait eu lieu à Patras, en Grèce, s’étend en termes émouvants sur la ferveur avec laquelle celui-ci salue la croix qu’on lui prépare. « L’apercevant de loin, André s’écria : Salut ô croix, reçois le disciple de celui qui fut suspendu à toi, mon Maître, le Christ. Ô croix bienheureuse et bonne, désirée depuis longtemps et désormais apprêtée à mon âme qui aspire après elle, je m’approche de toi, plein d’assurance et d’allégresse. Toi aussi, exulte à ton tour, et reçois le disciple de celui qui fut suspendu à toi. J’étais toujours ton amant et désirais t’étreindre. Ô croix bienheureuse et bonne, qui as reçu ta beauté et ta splendeur des membres du Seigneur, reçois-moi en me séparant des hommes et rends-moi à mon
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Maître ; qu’il puisse me recevoir grâce à toi, celui qui par toi m’a racheté. Salut ô croix qui as été consacrée dans le corps du Christ, et as été rendue belle comme avec des perles à partir de ses membres. » Et lorsqu’il fut question un instant de détacher l’apôtre de la croix pour abréger ses souffrances, sa prière se fit plus instante : « Tu es mon Dieu que j’ai vu, en qui je me suis plu et que j’ai aimé ; ne permets pas que l’on me dépose de la croix parce que j’ai reconnu sa puissance ; ô Christ, tu es mon maître que j’ai aimé, connu et confessé, exauce au moins cette prière ! » Si l’enthousiasme de l’apôtre André devant la croix ne semble pas connaître de limites, l’on remarquera cependant qu’elle ne comporte, ici encore, aucune description de la torture elle-même. Cette ferveur est sans cesse rapportée à la personne du Christ, tendrement aimé, non pas d’abord pour reproduire la crucifixion de celui-ci, mais parce qu’elle est le seul chemin pour le rejoindre. La « puissance de la croix », chantée par l’apôtre, consiste dans le fait qu’elle peut le réunir définitivement à lui. La tradition patristique a progressivement explicité le sens des souffrances du Christ, et la façon dont le croyant peut se les approprier. Les témoignages en sont nombreux. Contentons-nous ici d’un texte de saint Pierre Chrysologue, auteur du Ve siècle. En commentant le sacrifice du Christ, il met dans la bouche de ce dernier : « Ne craignez pas : cette croix n’est pas mon aiguillon, mais l’aiguillon de la mort. Ces clous ne m’infligent aucune souffrance, ils font croître mon amour pour vous. Ces plaies ne provoquent pas des gémis-
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sements, elles vous introduisent plus intimement dans mes entrailles. Mon corps étendu sur la croix est comme un sein élargi, mais n’augmente pas mes souffrances. Mon sang n’est pas une perte pour moi, mais le prix de votre rachat. » Du sacrifice du Christ, l’auteur passe ensuite à celui des chrétiens qui sont invités par saint Paul à « offrir leurs corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12, 1). De ce culte, à l’exemple du Christ, ils sont à la fois les prêtres et les victimes : « Ô richesse inouïe du sacerdoce chrétien : l’homme est à la fois prêtre et victime ! Le chrétien ne doit plus chercher à l’extérieur de lui l’offrande qu’il doit offrir à Dieu, il la porte avec lui et en lui. La victime comme le prêtre restent intacts ; la victime immolée continue à vivre, et le prêtre qui offre le sacrifice ne pourrait pas tuer la victime […] Ce sacrifice est une image de celui du Christ qui, tout en demeurant vivant, immola son corps pour la vie du monde […]. D’un tel sacrifice la mort faisait partie, mais la victime demeurait vivante, la mort fut châtiée, et la victime, en échange, ne perdit pas la vie. […]. Homme, sois toi-même le sacrifice et le prêtre de Dieu. Ne méprise pas ce que la puissance de Dieu t’a accordé. Revêts-toi de la tunique de la sainteté, que la chasteté soit ta ceinture, que le Christ soit le casque de ta tête, que la croix défende ton front, qu’en ta poitrine demeure la connaissance des mystères de Dieu, que ta prière brûle sans cesse comme un parfum d’encens, prends en mains le glaive de l’Esprit, fais de ton cœur un autel, et ainsi, t’appuyant sur Dieu, offre ton corps en sacrifice au Seigneur. »
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Et l’auteur de conclure : « Dieu attend ta foi, il ne désire pas ta mort ; il a soif de ton engagement, non de ton sang ; il est apaisé non par ta mort, mais par ta bonne volonté 4. » Dans cette représentation du sacrifice du Christ, à laquelle le disciple de Jésus est appelé, ce n’est donc nullement le poids de la souffrance qui compte aux yeux de Dieu, mais l’intention intérieure. Tel fut aussi le prix des souffrances avec lesquelles le Christ a racheté le monde. L’on se souviendra que pour saint Thomas, une toute petite souffrance de la part du Christ aurait largement suffi pour la rédemption de l’humanité (S. Th., I-IIae pars, qu. 46, art. 5 et 6). La question reste alors ouverte de savoir pourquoi Dieu a privilégié une mort aussi atroce, et, selon le même auteur, des « douleurs les plus intenses que l’on puisse endurer dans la vie présente ». Il énumère plusieurs motifs dont le plus émouvant est peut-être le désir de Jésus d’assumer toute la douleur humaine que, soufferte avec amour, il aurait fallu pour contrebalancer le péché humain. Le père M.-J. Nicolas, qui commente cette partie de la Somme, conclut : « Dieu ne s’est pas fait homme pour économiser ce que l’homme avait à faire, mais pour le faire d’abord lui-même 5. » ***
La méditation de la Passion du Christ, grâce à l’exercice du Chemin de croix, est traditionnelle en Occident depuis les XIVe et XVe siècles. Elle fut importée de Jérusalem où les fran4. Sermon 108, PL 52, 499-500. 5. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, Paris, 1986, p. 341.
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ciscains, gardiens du Saint-Sépulcre, avaient inauguré une Via dolorosa censée suivre pas à pas le chemin parcouru par Jésus sur la route vers le Golgotha. En refaisant encore aujourd’hui ce même exercice, l’on veillera à ne pas se laisser entraîner par un dolorisme exacerbé, si contraire au « bon sens » que respirent les évangiles et la grande Tradition. « Une Passion de Jésus qui déborderait de sang, de coups et de violence de toute sorte, écrit encore Jean Delumeau, non seulement contrasterait avec la sobriété des récits évangéliques mais elle se laisserait entraîner par la ronde folle des images fortes, des impressions violentes et par la fascination pour la souffrance et la douleur ; en un mot, elle ne retiendrait que le spectaculaire et laisserait échapper l’essentiel 6. » Sans doute Jésus a-t-il lui-même donné la meilleure description de ce que pourrait être une Passion vécue à sa suite, en se servant de l’image – une véritable trouvaille ! – des souffrances de la femme en travail d’enfantement : « La femme sur le point d’accoucher s’attriste parce que son heure est venue ; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu’un homme soit venu au monde » (Jn 16, 21). Pour le disciple de Jésus, tout souvenir de sa Passion, et de la sienne, est d’avance tout imprégnée par la joie de Pâques. Derrière la couronne d’épines, il devine le diadème de la gloire.
6. Op. cit., p. 91.
Introduction
Frères et sœurs, nous voici encore une fois sur le point de suivre le Seigneur Jésus sur le chemin qui l’a conduit au Calvaire. Nous y rejoindrons ses proches les plus chers, Marie, Jean, Madeleine, et tous les êtres secourables qui ont cherché à le consoler et à alléger sa peine. Nous y croiserons aussi ceux qui avaient projeté sa mort et à qui, dans un excès d’amour, il a voulu pardonner. Demandons-lui de mettre dans notre cœur les sentiments qui furent les siens (Ph 2, 5), pour que, saisis par lui, nous puissions « le connaître, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts » (Ph 3, 10-11). En cette année (2004, NDE) où la date de Pâques coïncide providentiellement dans toutes les Églises, nos pensées s’unissent à tous nos frères, disciples de Jésus, qui dans le monde entier commémorent en ce même instant sa mort et sa mise au tombeau.
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Un moment de silence Jésus, victime innocente du péché, accueille-nous sur ce chemin de ta Pâque, qui de la mort conduit à la vie, et apprends-nous à vivre le temps qui nous reste à passer dans la chair, enracinés dans la foi en toi qui nous as aimés et qui t’es livré pour nous (Ep 2, 20).
PREMIÈRE STATION
Jésus face à son Père au jardin des Oliviers
Luc 22, 39-45
J
ÉSUS sortit et se rendit, comme de coutume, au mont
des Oliviers, et les disciples aussi le suivirent. Parvenu en ce lieu, il leur dit : « Priez pour ne pas entrer en tentation. » Puis il s’éloigna d’eux d’environ un jet de pierre et, fléchissant les genoux, il priait, en disant : « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! » Alors lui apparut, venant du ciel, un ange qui le réconfortait. Entré en agonie, il priait de façon plus instante, et sa prière devint comme de grosses gouttes de sang qui tombaient à terre. Se relevant de sa prière, il vint vers les disciples qu’il trouva endormis de tristesse, et il leur dit : « Qu’avez-vous à dormir ? Relevez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation. »
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Méditation Arrivé au seuil de sa Pâque, Jésus se tient face à son Père. Il ne pouvait en être autrement, car le dialogue secret d’amour avec son Père n’avait jamais cessé, ni de jour ni de nuit. « Je ne suis pas seul, le Père est avec moi » (Jn 16, 32), avait-il assuré paisiblement. Mais ce soir, maintenant que « l’Heure est venue » (Jn 16, 32), cette heure, entrevue dès le début et annoncée par bribes à ses disciples, cette heure qui ne ressemble à aucune autre, qui les contient et les résume toutes, alors qu’elles vont s’achever dans les bras de son Père, la voilà, cette heure soudainement redoutée. De cette peur, Jésus n’a rien voulu nous cacher, ni les évangélistes non plus. Il commença, écrit l’un d’eux, « à ressentir tristesse et angoisse, et il leur dit : “Mon âme est triste à en mourir” » et, tel un appel au secours adressé aux trois disciples préférés, il ajoute : « Demeurez ici et veillez avec moi. » Au cœur de son désarroi, Jésus se réfugie auprès de son Père, dans la prière. Quelques jours auparavant, en vue de Jérusalem, dans une scène que seul saint Jean relate, il avait déjà souhaité échapper aux affres de la Passion : « Père, sauvemoi de cette heure ! » Mais, se reprenant sans tarder, il avait ajouté dans un même souffle : « Mais c’est pour cela que je suis venu à cette Heure. Père, glorifie ton Nom ! », le Père répondant sur-le-champ à l’attente de son Fils, totalement abandonné à sa volonté : « Du
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ciel vint alors une voix : « Je l’ai glorifié et de nouveau je le glorifierai ! » (Jn 12, 27-28). A Gethsémani, ce soir, la lutte reprend de plus belle – c’est Luc qui utilise ici un terme qui signifie à la fois « combat » et « agonie » –, une lutte si insistante qu’un témoin a rapporté avoir vu sur le visage de Jésus le ruissellement d’une sueur qui ressemblait à du sang. Et Jésus d’oser une dernière fois, face à son Père, faire valoir le trouble qui l’envahit : « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant, non pas ma volonté mais que ta volonté se fasse » (Lc 22, 42). Deux volontés qui se heurtent un moment, pour confluer dans un abandon d’amour, comme Jésus venait de l’annoncer : « Afin que le monde sache que j’aime mon Père, et que je fais comme le Père m’a commandé » (Jn 14, 31).
Prière Jésus, notre frère en humanité, pour ouvrir à tous les hommes le chemin de la Pâque, tu as voulu connaître le vertige qui nous surprend souvent au moment de la tentation, et la peur qui nous saisit lorsqu’il nous faut consentir à ton dessein sur nous, à l’inconnu qu’il comporte et qui ébranle nos ferveurs d’un moment. Apprends-nous à nous réfugier auprès de toi, et redis avec nous les paroles d’abandon et de consentement qui, à Gethsémani, ont valu le salut de l’uni-
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vers : que notre volonté s’efface devant la tienne, qui est toujours celle de ton Père, afin que le monde connaisse à travers tes disciples l’amour extrême (Jn 13, 1), le plus grand amour qui est de donner sa vie lorsqu’on aime (Jn 15, 13). Nous te confions particulièrement ceux qui sont assaillis de tentations, dont la fidélité chancelle et semble parfois sur le point de céder. Que ta prière les soutienne, comme tu en fis la promesse à Pierre, en lui annonçant que Satan l’avait réclamé pour le cribler comme du froment, lui assurant en même temps qu’il avait prié pour lui afin que sa foi ne défaille point, et que, revenu de l’épreuve, il puisse à son tour affermir ses frères (Lc 22, 31-32). ✠
DEUXIÈME STATION
La trahison de Judas Luc 22, 47-48
T
ANDIS que Jésus parlait encore, voici une foule, et
à sa tête marchait le nommé Judas, l’un des Douze, qui s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. Mais Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ! »
Méditation Dès la première mention de Judas, les évangélistes le désignent comme « celui qui allait le livrer » (Mt 10, 4 ; Mc 3, 19 ; Lc 6, 13). Ce nom de « traître » colle à tout jamais à son souvenir. Comment a pu en arriver là celui que Jésus avait un jour distingué, parmi d’autres, pour qu’il le suive de plus près ? La cupidité et l’amour de l’argent, qui l’avaient conduit à puiser régulièrement dans la bourse commune (Jn 12, 6), causèrent en partie la désertion de Judas, mais non pas seulement. Il se laissa sans doute gagner par un amour dépité pour Jésus, qui tourna en soupçon et en res-
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CHEMIN DE CROIX AU COLISÉE
sentiment, comme semble le suggérer le baiser dont il se servira encore pour désigner ce dernier à la cohorte : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? » Enfin, peut-être fut-il miné par une déception politique devant un messie qui semblait se dérober au rôle qu’il aurait voulu le voir jouer ? Bien des mesquineries ont en fait pu converger vers ce qui avait été providentiellement prévu, sans pour autant disculper Judas. Mais lorsque Jésus fera lui-même allusion à Judas comme à un « fils de la perdition », il se contentera de rappeler que c’est ainsi que « l’Écriture devait s’accomplir » (Jn 17, 12), par une sorte de fatalité divine dont le mystère nous échappe ici-bas. De toute façon, Judas ne tardera pas à s’apercevoir que ce qui, à ses yeux, ne devait être qu’un subtil chantage, tournait au désastre. Ce n’était pas la mort du Messie qu’il avait voulue, mais seulement qu’il se réveillât enfin. Il se mit alors à regretter son geste, d’un repentir étonnant qui le poussera même à se débarrasser du salaire de sa trahison (Mt 27, 4). Repentir toutefois insuffisant, puisque Judas finit par céder au désespoir, en mettant fin à sa vie. Péché sans doute plus grave que la trahison elle-même, comme Jésus l’aurait affirmé à sainte Catherine de Sienne, prétendant que la plus grande douleur que lui avait infligée Judas n’était pas celle d’avoir été livré par lui, mais qu’il ait par la suite douté de sa miséricorde, avant d’ajouter dans une demi-confidence qui lui ressemble telle-
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ment : « Ce que j’ai fait de Judas, je ne te le dirai pas, afin que personne n’abuse de ma miséricorde ».
Prière Jésus, ami des hommes, toi qui es venu sur terre et qui as revêtu notre chair, afin d’offrir ton amitié à tous tes frères et sœurs de race ; Jésus doux et humble de cœur, ne cherchant qu’à soulager tous ceux qui peinent sous leurs fardeaux (Mt 11, 29), les tiens ne t’ont pas accueilli (Jn 1, 11), l’offre de ton amour fut si souvent déclinée ! Parmi ceux qui avaient commencé par t’accueillir, plusieurs se sont même peu à peu dédits et ont fini par trahir leur engagement. Où que leurs pas les aient conduits, et quoi qu’ils aient fait par la suite, jamais tu n’as cessé de les aimer, jusqu’à laisser tous les autres, partant à leur recherche, dans l’espoir de les ramener un jour auprès de toi, juchés sur tes épaules (Lc 15, 5), ou portés contre ton sein (Jn 13, 25). Nous confions à ta miséricorde infinie, dont la véritable portée, si surprenante, ne nous sera révélée qu’à l’heure de notre mort, tous tes enfants guettés par le découragement ou le désespoir, pour avoir cédé à la tentation ou parce qu’ils sentent douloureusement que tes commandements semblent dépasser leurs forces affaiblies par le péché. Donne-leur de chercher inlassablement refuge auprès de toi, et de « ne jamais désespérer de ta miséricorde » (Règle de saint Benoît, 3, 74).
TROISIÈME STATION
Jésus est condamné par le Sanhédrin
Luc 22, 66-71
Q
UAND il fit jour, le conseil des Anciens du peuple
s’assembla, grands prêtres et scribes. Ils l’amenèrent dans leur Sanhédrin et dirent : « Si tu es le Christ, dis-le nous. » Il leur dit : « Si je vous le dis, vous ne croirez pas, et si je vous interroge, vous ne répondrez pas. Mais désormais le Fils de l’homme siégera à la droite de la Puissance de Dieu ! » Tous dirent alors : « Tu es donc le Fils de Dieu ! » Il leur déclara : « Vous le dites : je le suis. » Et ils dirent : « Qu’avonsnous encore besoin de témoignage ? Car nous-mêmes l’avons entendu de sa bouche ! »
Méditation Devant le Sanhédrin où la cohorte des soldats l’a conduit, Jésus se tient seul. Ses disciples se sont enfuis, désemparés par son arrestation, non sans avoir esquissé
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quelques gestes de défense belliqueux et mémorables, comme ceux de Pierre. Certains d’entre eux, dont Thomas, avaient pourtant eu peu avant un sursaut de courage, lorsque Jésus leur avait annoncé son intention de retourner en Judée : « Allons, nous aussi, avaitil dit, pour mourir avec lui ! » (Jn 11, 16). Mais cela n’avait pas suffi à exorciser la peur qui les tenaillait. La brutalité de l’événement a emporté leur fragile résolution. Ils ont faibli. Certes, les futurs apôtres n’ont pas trahi, comme Judas, mais ils se sont laissés emporter par un vent puissant de lâcheté. Ils laissent Jésus affronter seul son sort. Ils formaient ensemble cependant le cercle de ses tout proches. Jésus les avaient même appelés ses « amis » (Jn 15, 15). Maintenant, il n’est plus autour de lui qu’une assemblée hostile, soudée dans une commune volonté de le voir mourir. À leurs yeux, il valait mieux « qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière » (Jn 11, 51). Le prétexte est tout trouvé. À plusieurs reprises déjà, l’ombre de la mort s’était étendue au-dessus de Jésus, alors qu’il faisait allusion à son origine divine. Lors de ses disputes avec les juifs, ses auditeurs avaient déjà tenté de le lapider, non pas pour une bonne œuvre, affirmaient-ils, « mais pour un blasphème, parce que toi, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu » (Jn 10, 33). Sommé solennellement par le Grand Prêtre de déclarer devant tous si oui ou non il est le Fils de Dieu, Jésus ne se dérobe pas : il l’atteste
TROISIÈME STATION
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avec la même gravité et, ce faisant, signe son arrêt de mort : « Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant : “Il a blasphémé […]. Vous venez d’entendre le blasphème ! Qu’en pensez-vous ?” Ils répondirent : “Il est passible de mort.” »
Prière Jésus, seul témoin fidèle (Ap 1, 5), alors que tes proches t’ont abandonné de manière outrageante, face à la mort tu as sereinement confessé ton identité divine, et tu as annoncé ton retour glorieux à la fin des temps pour achever l’œuvre que ton Père t’avait confiée. Nous confions à ta douce pitié nos doutes et nos hésitations, nos continuels va-et-vient entre nos flambées de générosité vite éteinte et nos veuleries, nos désertions même, « lorsque surviennent une tribulation ou une persécution à cause de la Parole » (Mt 13, 21), la nonchalance aussi avec laquelle nous laissons « le souci du monde et la séduction de la richesse » (Mt 13, 22) étouffer la petite étincelle que ton regard ou ta Parole ont parfois su faire jaillir dans nos cœurs endurcis. Accueille de la même façon ceux qui ont commencé à te suivre, mais qui se figent, épouvantés à l’idée des renoncements entrevus et qu’exagère l’aiguillon de la tentation. Apprends-leur à quel point tu es doux et humble de cœur. Fais-leur
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éprouver combien ton joug est facile à porter et ton fardeau léger. Donne-leur de connaître d’expérience ce repos que toi seul peux offrir (Mt 11, 28-30). ✠
QUATRIÈME STATION
Le reniement de Pierre Lc 22, 54-62
Q
UANT à Pierre, il suivait de loin. Comme (les sol-
dats) avaient allumé du feu au milieu de la cour et s’étaient assis autour, Pierre s’assit au milieu d’eux. Une servante le vit assis près de la flambée et, fixant les yeux sur lui, elle dit : « Celui-là aussi était avec lui ! » Mais lui nia en disant : « Femme, je ne le connais pas. » Peu après, un autre, l’ayant vu, déclara : « Toi aussi tu en es ! » Mais Pierre déclara : « Homme, je n’en suis pas. » Environ une heure plus tard, un autre soutenait avec insistance : « Sûrement, celui-là aussi était avec lui, et d’ailleurs il est Galiléen ! » Mais Pierre dit : « Homme, je ne sais ce que tu dis. » Et à l’instant même, comme il parlait encore, un coq chanta, et le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole du Seigneur, qui lui avait dit : « Avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. » Et, sortant dehors, il pleura amèrement.
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Méditation Parmi les disciples en fuite, deux revinrent sur leurs pas, suivant prudemment et de loin la cohorte et son prisonnier. Affectueuse curiosité sans doute ; inconscience aussi du risque pris. Pierre ne tarde pas à être reconnu. Son accent de Galiléen a dû le trahir, et un proche de Malchus qui l’a vu dégainer au Jardin l’identifie sans hésitation. Tel un gamin pris sur le fait, Pierre se réfugie dans le mensonge : il nie, peut-être sans avoir une claire conscience de s’être engagé sur la voie du reniement de son maître bien-aimé, et de faire mentir ses protestations enflammées de fidélité absolue, « jusqu’en prison et dans la mort » (Lc 22, 33), qui ne remontent qu’à une paire d’heures ; sans comprendre non plus sur l’instant que se réalise alors la prédiction toute récente de Jésus, contre laquelle il s’était si violemment insurgé. Il lui faut le regard de Jésus pour secouer l’engourdissement dans lequel le maintient sa peur, et revenir douloureusement à soi. Au chant du coq, Jésus se retourne et pose sur lui son regard. Et Pierre se souvient. Il quitte les lieux et fond en larmes. Des larmes amères, dit l’évangile. Sans doute aussi, des larmes extraordinairement douces. Le regard de Jésus ne pouvait être accusateur ni impliquer une condamnation : « Je ne suis pas venu pour condamner mais pour sauver », avait-il dit (Jn 12, 47). Jésus était un océan infini de miséricorde, de « ten-
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dresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour […], qui ne nous traite pas selon nos péchés, ne nous rend pas selon nos fautes » (Ps 102, 8). Pierre s’y engloutit, irrésistiblement. Le dernier acte de ce drame se jouera au matin de Pâques : « Il est ressuscité, et il est apparu à Simon » (Lc 24, 34). Cet événement changera, s’il en était encore besoin, ses larmes amères en larmes de joie. Si Pierre peut désormais paître les brebis du troupeau, à l’invitation de Jésus, c’est parce qu’il aura été le premier à tomber (1 Tm 1, 15), et le premier à avoir succombé à l’éblouissement de la miséricorde. Sa primauté est d’abord celle que lui vaut son titre d’être le premier pécheur pardonné.
Prière Jésus, unique espoir de ceux qui sont meurtris par leur faiblesse ou qui sont douloureusement tombés, tu sais ce qu’il y a dans l’homme (Jn 2, 25). Tu ne t’étonnes d’aucune de ses faiblesses, mais tu as toujours refusé de le condamner au moment même où tu lui pardonnais (Jn 8, 11). A la lumière de ta miséricorde, « fais-nous voir nos faux pas », « purifie-nous du mal caché » (Ps 18, 13), afin que, sans cesse graciés par ton amour, nous puissions à notre tour proclamer les merveilles de ta grâce. En particulier, donne à ceux qui ont reçu quelque autorité sur leurs frères de ne jamais se préva-
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loir du choix que tu as fait d’eux, mais, au contraire, de se souvenir, comme ton apôtre Pierre, qu’ils sont parmi les premiers des pécheurs (1 Tm 1, 15), et d’oser se glorifier avant tout dans leurs faiblesses, afin que repose en eux ta puissance (2 Co 12, 9). ✠
CINQUIÈME STATION
Jésus devant Pilate Lc 23, 13-25
A
convoqué les grands prêtres, les chefs et le peuple, Pilate leur dit : « Vous m’avez présenté cet homme comme détournant le peuple, et voici que moi je l’ai interrogé devant vous, et je n’ai trouvé en cet homme aucun motif de condamnation pour ce dont vous l’accusez. Hérode non plus d’ailleurs, puisqu’il l’a renvoyé devant nous. Vous le voyez ; cet homme n’a rien fait qui mérite la mort. Je le relâcherai donc, après l’avoir châtié. » Mais eux se mirent à pousser des cris tous ensemble : « A mort cet homme ! Et relâche-nous Barabbas. » Ce dernier avait été jeté en prison pour une sédition survenue dans la ville et pour meurtre. De nouveau Pilate, qui voulait relâcher Jésus, leur adressa la parole. Mais eux répondaient en criant : « Crucifie-le ! crucifie-le ! » Pour la troisième fois, il leur dit : « Quel mal a donc fait cet homme ? Je n’ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort ; je le relâcherai donc, après l’avoir châtié. » Mais eux insistaient à grands cris, demandant qu’il fût crucifié ; et leurs clameurs gagnaient en violence. Et YANT
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CHEMIN DE CROIX AU COLISÉE
Pilate prononça qu’il fût fait droit à leur demande. Il relâcha celui qui avait été jeté en prison pour sédition et meurtre, celui qu’ils réclamaient. Quant à Jésus, il le livra à leur bon plaisir.
Méditation L’évangéliste Luc souligne à plusieurs reprises qu’aux yeux de la loi romaine, Jésus aurait dû être innocenté. Pilate semble d’ailleurs un administrateur probe qui souhaite être équitable. Il a instruit le procès de Jésus en respectant consciencieusement les étapes de la procédure du droit. Apprenant que Jésus était Galiléen, il a même voulu solliciter l’avis d’Hérode, le tétrarque de cette province. Les conclusions des deux juridictions se recouvrent : mieux vaudrait classer l’affaire. L’accusé est sans doute un illuminé un peu fanatique, mais il n’a rien commis qui lui mérite la mort. Ceux qui poussent à une condamnation sont visiblement manipulés par les prêtres dont Pilate soupçonne quelques arrière-pensées non dénuées d’ambiguïté. Ils lui présentent Jésus comme un séditieux dont il vaudrait mieux se débarrasser, une personne plus dangereuse même que ce Barabbas, révolutionnaire avéré et assassin, dont ils réclament la grâce. Leur insistance s’exprime par des cris dont la rumeur ne cesse d’enfler. Attaché au bon ordre public, Pilate se
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laisse impressionner. Craint-il pour son autorité ? En tout cas, il veut prévenir toutes les suites fâcheuses, et finit par céder. Contre toute attente, la chose se conclut par les préparatifs à la crucifixion : « Quant à Jésus, il le livra à leur bon plaisir », euphémisme qui dispense l’évangéliste de décrire une flagellation particulièrement cruelle, ou de s’étendre sur l’humiliation infligée au Fils de Dieu, à qui un assassin est préféré.
Prière Jésus, agneau innocent conduit à l’abattoir (Is 53, 7) pour enlever le péché du monde (Jn 1, 29) et accomplir la parole du psaume prédisant que nombreux seraient ceux qui t’en voudraient sans raison (Jn 15, 25 ; Ps 34, 19 ; 68, 5), jette un regard de tendresse sur tous les innocents persécutés, sur les prisonniers qui gémissent en des geôles innommables, parfois au mépris du droit, sur ceux qui sont victimes de leur amour pour les opprimés et pour la justice, sur ceux qui n’entrevoient pas la fin d’une longue peine qu’ils savent imméritée. Porte avec eux leur souffrance, que ta présence secrètement ressentie adoucisse leur amertume et perce les ténèbres de leur prison. Que jamais nous ne nous résignions à voir enchaîné ce don de la liberté que tu as fait à chaque homme, créé à ton image et à ta ressemblance.
SIXIÈME STATION
Jésus flagellé et couronné d’épines Lc 22, 63-65
L
ES hommes qui le gardaient le bafouaient et le bat-
taient ; ils lui voilaient le visage et l’interrogeaient en disant : « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? » Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres injures.
Jean 19, 2-3
L
ES soldats, tressant une couronne avec des épines,
la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avançaient vers lui et disaient : « Salut, roi des juifs ! »
Méditation A deux reprises, Jésus a été soumis à la torture de la flagellation. Ce fut d’abord le fait de ses gardiens et frères de race qui n’y voyaient qu’une occasion de
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s’amuser aux dépens d’un suspect. Ensuite vint le tour de l’occupant romain, avec le jeu cruel de la soldatesque, en rite préparatoire d’une crucifixion. Entre les mains des hommes, le corps que Jésus avait reçu de la Vierge Marie, et qui faisait de lui « le plus beau parmi les enfants des hommes », et par lequel il dispensait l’onction de sa parole : « La grâce est répandue sur ses lèvres » (Ps 44, 3) – ce corps fut cruellement lacéré par le fouet. Sans se dérober, Jésus avance sur ce chemin de douleur, accomplissant à la lettre, de vive chair comme d’une vive voix, la prophétie d’Isaïe : « J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats » (Is 55, 6), prophétie annonciatrice encore de la longue méditation de l’Eglise au fil du temps sur le mystère de ces outrages : « Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette […] ; bien qu’il n’y ait pas eu de tromperie dans sa bouche, le Seigneur a voulu l’écraser par la souffrance, et il offre sa vie en sacrifice expiatoire » (Is 53, 7-10).
SIXIÈME STATION
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Prière Jésus, roi de douleur et roi de gloire, dans la splendeur de ton humanité, tu étais le « resplendissement de la gloire de ton Père, l’effigie de sa substance » (He 1, 3), mais tu as accepté d’être réduit à l’état de loque humaine, piteux supplicié, « sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits, objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu’un devant qui on se voile la face » (Is 53, 2-3). Ce sont nos souffrances que tu portais, nos douleurs dont tu étais chargé, c’est à cause de nos fautes que tu as été écrasé (Is 53, 5). Par tes blessures, guéris celles que nos péchés nous ont infligées. Donne à ceux qui sont cruellement torturés, injustement méprisés ou laissés pour compte, à ceux aussi que la maladie a défigurés, de comprendre qu’avec toi et comme toi ils sont crucifiés au monde (Ga 2, 19) jusque dans leur chair avec ses passions et ses convoitises (Ga 5, 24), et qu’ils portent ainsi dans leur corps ces marques qui sont les tiennes (Ga 6, 17), afin que l’Esprit seul les fasse désormais agir (Ga 5, 25), et que tu puisses achever en eux ce qui manque encore à ta Passion, pour le salut du monde (Col 1, 24). ✠
SEPTIÈME STATION
Jésus est chargé de la croix Mc 15, 20
I
LS
mènent Jésus dehors afin de le crucifier.
Méditation Pour exécuter un condamné, et signer en même temps son retranchement du milieu de la nation, les juifs ne connaissaient que la lapidation. Les romains disposaient d’une mise à mort plus raffinée, sous la forme de la crucifixion. C’est elle que les accusateurs de Jésus ont réclamée contre lui à Pilate, assemblés en une sorte de meute sanguinaire déchirant déjà le cœur et le corps de Jésus sous le fouet de leur implacable sentence de mort, dans le martèlement régulier d’une même et unique vocifération meurtrière : « Crucifiele, crucifie-le ! » Et Pilate avait fini par céder. Les soldats chargent maintenant les épaules de Jésus de cette lourde pièce du gibet, que le condamné à mort doit traîner jusqu’au lieu de son exécution. Pour l’heure,
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la croix n’est pas encore devenue le trophée glorieux, le signe de la victoire, qui accompagnera un jour le Christ ressuscité sur toutes les icônes de Pâques. Elle n’est encore qu’un instrument de torture, un bois d’ignominie, un fardeau exténuant, qui pèse lourdement sur les plaies de ses épaules labourées ; poids sous lequel il vacille et qui l’emporte à trois reprises dans une chute lamentable, comme le raconte la tradition. Jésus est à bout de force ; il n’a rien réservé de son amour qu’il a même poussé jusqu’au bout, sur cette route de sang et de douleur (Jn 13, 1).
Prière Jésus, roi de gloire, couronné d’épines et ployant sous l’instrument de ta mort que des mains d’homme ont préparé pour toi, notre cœur se serre et nous voudrions retenir le cri navré qui monte à nos lèvres devant le spectacle de ta détresse et du cortège qui te conduit hors de la ville, vers le lieu de ton supplice. Grave en nos cœurs l’image de ta face couverte de sang et de sueur, afin qu’elle nous rappelle toujours à quel point tu nous as aimés, jusqu’à te livrer pour nous (Ga 2, 20), en t’offrant ainsi à Dieu en sacrifice d’agréable odeur (Ep 5, 1). Que notre regard ne se détache jamais de ce signe de notre salut, dressé au cœur du monde, comme le serpent fut dressé par
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Moïse au cœur du désert, afin que ceux qui le contemplent et croient en lui ne se perdent pas, mais aient la vie éternelle (Jn 3, 14-16). ✠
HUITIÈME STATION
Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix
Lc 23, 26
Q
ils emmenèrent Jésus, ils mirent la main sur un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs, et le chargèrent de la croix, pour la porter derrière Jésus. UAND
Méditation C’est un fait du hasard que Simon se trouvât sur le chemin de Jésus à l’heure de la croix : il revenait des champs. Sans doute était-ce là sa route quotidienne, avant de rejoindre son foyer. Mais voici que les soldats jugent prudent de trouver quelqu’un d’autre, pour se substituer au condamné et porter la croix à sa suite, car le supplice déjà enduré par Jésus a épuisé ses forces. Les trois synoptiques ont retenu son nom et ses origines – il s’agit d’un juif originaire d’une ville étrangère aux consonances grecques – et l’un d’eux note
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même qu’il est le père de deux membres connus de la première communauté chrétienne, Alexandre et Rufus, tant sont grands à leurs yeux l’honneur et la faveur qui furent ainsi faits à Simon, en soulageant Jésus. Il n’est pas certain que celui-ci ait alors eu conscience de vivre des instants privilégiés. Les soldats lui avaient intimé un ordre. Simon s’exécutait sans discussion. Il ne s’était nullement porté volontaire pour partager l’opprobre d’un condamné à mort. Comme tant d’autres, ce n’est peut-être qu’après coup, au lendemain de Pâques, que Simon finit par comprendre la grâce insigne qui lui avait été faite. Pour l’heure, il n’est encore qu’un acteur anonyme et inconscient de la Pâque de Jésus, même si, dans ce cortège qui avance vers la mort, il reproduit, sans le savoir, à la lettre et au détail près, ce que Jésus avait précisément demandé à ses disciples : porter la croix chaque jour et marcher derrière lui (Lc 9, 23 ; 14, 27).
Prière Jésus, notre chef et notre maître, tu as marché résolument sur le chemin qui te conduisait à Jérusalem (Lc 9, 51) ; par tes souffrances tu es devenu le guide des hommes sur la voie qui mène au salut (Hb 2, 10) ; tu es notre précurseur sur la route de ta Pâque (Hb 6, 20), capable de secourir tous ceux qui y rencontrent
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l’épreuve parce que tu as toi-même souffert l’épreuve (Hb 2, 18). Viens au secours de tous ceux qui portent une croix à ta suite, appelés à compléter en leur chair ce qui manque à tes souffrances en faveur de ton corps qui est l’Eglise (Col 1, 24). Viens au secours non seulement de ceux qui sont pleinement conscients, dans leur foi, d’être ainsi crucifiés pour le monde, et pour qui le monde est crucifié (Ga 6, 14), qui savent porter dans leur chair les marques (Ga 6, 17) de ta Passion, mais encore de ceux que des événements, dont le sens leur demeure caché, contraignent à marcher malgré eux sur tes pas, en suiveurs anonymes et inconscients, dont le mérite et le prix ne leur seront révélés qu’au jour de ta manifestation : « Heureux les affligés, car ils seront consolés » (Mt 5, 5). ✠
NEUVIÈME STATION
Les saintes femmes et Véronique Lc 23, 27-31
U
grande masse du peuple le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Mais, se retournant vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Car voici venir des jours où l’on dira : « Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n’ont pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri ! » Alors on se mettra à dire aux montagnes : « Tombez sur nous ! et aux collines : Couvrez-nous ! » Car si l’on traite ainsi le bois vert, qu’adviendra-t-il du sec ? » NE
Méditation Le cortège du condamné progresse, flanqué par un attroupement de femmes qui se lamentent sur son sort. Sans doute s’y rassemble-t-il celles qui suivaient déjà Jésus lors de ses tournées apostoliques, qui avaient été guéries par lui et qui l’assistaient de leurs
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biens (Lc 8, 2-3 ; 23, 55). Deux évangélistes, Matthieu et Marc, citent même quelques noms. Curieusement, Marie, mère de Jésus, n’apparaît pas dans leurs listes sommaires. Il nous faudra attendre le quatrième évangéliste pour apprendre qu’elle était présente, elle aussi, et qu’elle se tenait bel et bien sous la croix, plus près qu’aucune autre (Jn 19, 25). Celles qui suivent Jésus sur son chemin de croix se lamentent, prenant les attitudes du deuil, comme pour pleurer un défunt. Jésus les détrompe et éclaire leur compassion : ce qui lui arrive leur est promis à elles aussi, et en pire. La légende a retenu ici le geste touchant de l’une d’entre elles, à qui il fut donné le nom de Véronique, geste que seule une femme pouvait inventer et oser en pareille circonstance. Munie d’un voile, elle essuie le visage de Jésus, ruisselant de sueur et de sang, visage qui lui est miraculeusement restitué dans une surprenante icône de sa Sainte Face, une vera icona, celle que nos frères d’Orient vénèrent comme l’icône achiropoïtis, « non tracée de main d’homme ». Elle sera multipliée sous toutes les latitudes et dans tous les styles, reflétant cependant les traits toujours aisément reconnaissables d’un même et unique visage : une face douloureuse transformée en image de gloire, « resplendissement de la gloire » de son Père, « et effigie de sa substance » (Hb 1, 3).
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Prière Jésus, Roi de gloire, couronné d’épines, au visage souillé de sang et de crachats, incapable cependant de soustraire entièrement à nos regards la splendeur divine dont tu ne cesses de rayonner, toi le plus beau des enfants des hommes dont la grâce est répandue sur les lèvres (Ps 44, 3), apprends-nous à chercher inlassablement ta face, ne nous la cache pas (Ps 27, 89). Que luise sur nous ta face (Ps 30, 17), car c’est à sa lumière que nous voulons marcher (Ps 88, 15), et cache-nous ici-bas dans son secret (Ps 30, 21), en attendant de nous réveiller pour nous rassasier à jamais de ton image (Ps 16, 15), de nous tenir devant toi, là où, devant ta face, sont plénitude de joie et délices éternelles (Ps 15, 11). Apprends-nous à discerner encore ton visage sous les traits de l’homme marqué par le découragement, déprimé, abattu sous le fouet de la maladie, tourmenté par des souffrances de toutes sortes, par l’injustice et la haine des hommes. Que ne se dérobe pas à nos yeux la trace de ton visage aimé dont les « plus petits de tes frères » (Mt 25, 41), surtout, sont un lumineux reflet, eux par qui tu es sans cesse présent parmi nous. ✠
DIXIÈME STATION
Jésus est mis en croix Lc 23, 33
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ORSQU’ILS
furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils l’y crucifièrent ainsi que les malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche.
Méditation Nous voici devant un abîme de douleur et d’humiliation. De douleur, parce que nul ne saurait parler du supplice aussi atroce que celui d’être attaché et suspendu à un gibet, dans une lente agonie, luttant contre la mort qui resserre implacablement et victorieusement son étau ; d’humiliation aussi, parce que, comme Isaïe l’avait annoncé (Is 53, 12), Jésus a été abaissé jusqu’au rang des malfaiteurs : deux condamnés de droit commun partagent ce jour-là le même sort que lui, l’un crucifié à sa droite et l’autre à sa gauche. Ainsi, même à la société des hommes réprouvés et exclus du milieu de leurs semblables, Jésus est offert en spectacle, avant d’être abreuvé de moqueries
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et d’insultes par des témoins, prêtres et scribes, qui avaient juré sa mort. Un centurion de l’armée d’occupation veille sur la bonne marche de cette exécution familière au peuple romain. Rien n’a échappé à son regard. L’instant est tout proche où ce qu’il a vu va faire de lui un témoin de la foi. Il a assisté à toute cette scène inhumaine, depuis les clous traversant les mains et les pieds de Jésus jusqu’à son dernier soupir de supplicié ; il a entendu les vociférations de la foule, peut-être aussi quelques bribes de la prière que Jésus ne cessait de murmurer. Il en sera bouleversé. C’est encore l’évangéliste Luc qui souligne les bons sentiments de cet officier païen, invinciblement amené à confesser l’innocence de ce condamné de droit commun. Sa conversion inattendue s’opérera au pied de la croix. L’icône de la rédemption sera alors achevée. S’y trouveront réunis Marie, la mère de Jésus ; saint Jean, témoin du regard contemplatif à l’intérieur du collège apostolique ; les saintes femmes qui lui étaient proches, parmi lesquelles une pécheresse pardonnée ; le bon larron, le sauvé de la dernière heure ; et finalement, cet officier romain, étranger au Peuple élu, qui représente la foule des païens rachetés, destinés à être à leur tour greffés sur l’olivier franc (Rm 11, 17ss).
DIXIÈME STATION
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Prière Jésus, seul un petit troupeau, auquel il a plu à ton Père de donner le Royaume (Lc 12, 32), t’a reconnu au sein de ton Peuple, mais ton Esprit en fera bientôt tes témoins « à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). Donne à ceux qui annoncent aujourd’hui ta Parole dans le monde entier, à la suite des apôtres, l’audace (Ph 1, 14) et la liberté (Phm 1, 8) glorieuses, grâce auxquelles ton Esprit peut investir avec la puissance de ta Pâque le langage de la croix, scandale aux yeux du monde, et changer sa folie en sagesse pour ceux qui croient et s’y abandonnent (1 Co 1, 17ss). Souvienstoi aussi de ceux et celles qui, tels le centurion romain, sont étrangers au Peuple de la première Alliance. Éclaire-les peu à peu, eux qui comme à leur insu, dans le riche déploiement de leurs croyances et de leurs rites, sont attirés par les splendeurs de ta grâce, voilées encore pour un temps. ✠
ONZIÈME STATION
Jésus promet le Royaume au bon larron
Lc 23, 39-43
L
’UN des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et nous aussi. » Mais l’autre, le reprenant, déclara : « Tu n’as même pas crainte de Dieu, alors que tu subis la même peine ! Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes ; mais lui n’a rien fait de mal. » Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras dans ton Royaume. » Et il lui dit : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. »
Méditation Alors que les témoins de son supplice couvrent Jésus d’insultes, cherchant à provoquer un coup d’éclat de sa part, auquel ils ne croient guère d’ailleurs, l’un des deux malfaiteurs, au milieu desquels il a été crucifié, se joint à eux pour essayer de lui extorquer un miracle. Puis,
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déçu, il se répand en reproches. L’autre l’admoneste et finit par s’adresser directement à Jésus, se confiant alors à ce dernier, de façon tout à fait inattendue et surprenante. Il va jusqu’à l’interpeller par son prénom, fait rare dans les évangiles : « Jésus ! », lui dit-il. Il ne lui adresse ni le titre de « Maître » ni celui de « Seigneur », comme s’il voulait exprimer par la nudité d’un simple prénom la complicité qui le lie avec celui qui partage un même sort. Malgré tout, à travers sa demande faite à un condamné à mort innocent, perce sa reconnaissance de l’identité de Jésus comme le Messie qui doit un jour revenir établir son Royaume : « Souviens-toi alors de moi, demande-t-il, lorsque tu reviendras ! » Il parle au futur, parce qu’il songe à un avenir indéterminé et imprévisible. Mais Jésus lui répond au présent : « Dès aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis ! » Admis à accompagner ainsi Jésus de si près, il précédera tous les autres. Les icônes pascales de tradition russe l’expriment de façon émouvante. Derrière le Ressuscité qui saisit Adam par la main, voici que monte l’impressionnant cortège des justes de l’Ancien Testament, ayant à leur tête Jean-Baptiste, suivi par Moïse, les Prophètes et les Rois. Or, sur le seuil de la porte ouverte du Paradis les attend, pour les accueillir, le bon larron, les reins encore ceints de son linge et une croix à la main, accomplissant ainsi, aux yeux de tous, la promesse de Jésus que « les publicains et les pécheurs vous précéderont dans le Royaume » (Mt 21, 31).
ONZIÈME STATION
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Prière Jésus, ami des pécheurs et des publicains (Mt 9, 11 ; 11, 19, Lc 15, 1-2), tu es venu pour sauver non pas les justes mais les pécheurs (Mt 9, 13), et tu as voulu prouver ton amour « trop grand » (Ep 2, 4, selon la Vulgate) et l’abondance de ta miséricorde, en consentant à mourir pour nous alors que nous étions pécheurs (Rm 5, 8). Jette sur nous ton regard de bonté, celui qui a touché au cœur le larron associé à ta croix, afin que nous ne désespérions jamais du pardon, quelles que soient les tentations qui nous assaillent, jusqu’à nous donner l’impression d’être sur le point de succomber ; quelles que soient aussi les chutes dans lesquelles notre faiblesse se laisse entraîner, afin qu’ayant goûté à l’amertume purificatrice de l’humiliation, nous nous précipitions avec plus de confiance encore vers tes bras paternels, transformant le mal en bien, et la souillure du péché une fois pardonné en vêtement de gloire. ✠
DOUZIÈME STATION
Jésus en croix, Marie et Jean Jn 19, 25-27
O
R, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et
la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Jésus donc, voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui.
Méditation Au Golgotha, alors que « les amis de Jésus ainsi que les femmes qui l’accompagnaient depuis la Galilée se tenaient à distance » (Lc 23, 49) pour regarder la scène du supplice, Marie, sa mère, s’est approchée et se tient debout sous la croix de son fils, brisée de douleur, certes, mais toujours maternellement présente, attentionnée, secourable à l’extrême limite de ses forces. La conception virginale de l’enfant Jésus avait épargné à Marie, nouvelle Ève, les douleurs de l’enfante-
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ment, lors de la naissance de Jésus à Bethléem, rapporte une tradition ancienne. Aujourd’hui, en ce lieu d’infamie, de peine et de sang, Marie est rejointe par les douleurs d’enfantement de l’homme nouveau, le second Adam sur le point de passer de ce monde au Paradis de son Père. Elle assiste impuissante à l’agonie de son enfant. L’événement de la croix signe le dernier acte de la longue suite de séparations et de retrouvailles avec son fils, qui ont jalonné sa vie de maman, depuis l’annonce faite jadis par Siméon qu’un glaive lui transpercerait le cœur (Lc 2, 35). Devenue Mère des douleurs, elle en reçoit aujourd’hui la confirmation jusque dans son corps, ployant sous les souffrances partagées avec son fils, pour le salut du monde. Jean aussi est là, seul parmi les apôtres à avoir trouvé assez d’audace pour braver les soldats, les prêtres et la foule hostile ; non pas Pierre, le chef déjà à demi présumé du collège des apôtres, mais le fils privilégié de l’amour de Jésus. Seul l’amour a su enjamber tous les obstacles, seul l’amour a su persévérer et demeurer jusqu’au bout. Ce soir, au pied de la croix, il est plus que les autres habilité à accueillir chez lui la Vierge Marie et à prendre soin d’elle. Marie qui, tout comme lui, depuis toujours, ne voit qu’avec les yeux du cœur.
DOUZIÈME STATION
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Prière Jésus, Fils bien-aimé du Père et enfant tendrement chéri de la Vierge Marie, parmi toutes les souffrances endurées sur ta croix, celle de voir ta mère brisée de douleur auprès de toi ne fut pas la moindre. Tu as voulu la soulager en la confiant aux soins de ton disciple bien-aimé qui, comme elle, était venu t’accompagner jusqu’au seuil de la mort, mais tu lui signifias en même temps que le lien unique qui l’attachait à toi était sur le point de se rompre irrémédiablement, pour prix de son renouvellement, au matin de Pâques, dans une intimité radicalement nouvelle mais insoupçonnée pour l’heure. Nous te confions la désolation, parfois le découragement ou même la révolte de parents désemparés devant les souffrances imméritées ou la mort d’un enfant, celle aussi de tant d’orphelins abandonnés ou esseulés, enfants de parents prématurément disparus ou de pères inconnus. Tu es présent dans leurs souffrances comme tu l’étais, en fils le plus affectionné qui fût, dans celles de la Vierge Marie. Que vienne le jour de la joie des retrouvailles sans fin où les larmes n’auront plus de place. ✠
TREIZIÈME STATION
Jésus expire entre les bras de son Père
Lc 23, 44-46
C
’ÉTAIT déjà environ la sixième heure quand, le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur la terre entière, jusqu’à la neuvième heure. Le voile du sanctuaire se déchira par le milieu et, jetant un grand cri, Jésus dit : « Père, en tes mains je remets mon esprit. » Ayant dit cela, il expira.
Méditation Après l’agonie au Jardin de Gethsémani, voici le deuxième face-à-face de Jésus avec son Père, sur la croix. Leurs regards ont dû se croiser intensément. Au milieu de souffrances sans nom, Jésus parle à son Père, il prie. Il invoque d’abord la miséricorde pour ses bourreaux – détail qui est propre à Luc : « Père, pardonneleur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Ensuite, il prend à son compte l’un des psaumes
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annonciateurs de sa Passion. Certains témoins ont transmis à la mémoire des croyants quelques-uns des versets qui nourrissaient alors la prière de Jésus, dont le premier fut clamé par Jésus dans un grand cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46). C’est jusqu’à ce sentiment de déréliction – que certains mystiques expérimenteront après lui – que Jésus a voulu descendre ; épreuve du profond désespoir dont est cause le péché séparateur de Dieu. Jésus a voulu en assumer les fruits amers. L’évangéliste Luc a retenu un autre verset du même psaume, qui se confondit avec le cri d’expiration de Jésus : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46). Sentiment de déréliction éprouvé par le Fils, noyé dans un total abandon dans les bras de son Père ; dernier souffle de mourant, changé en un cri de victoire ; baiser de la mort métamorphosé en baiser d’amour, par lequel l’humanité prodigue est à nouveau accueillie en Dieu.
Prière Jésus, notre frère, dans ta mort, tu as rouvert pour nous le chemin qui nous était resté interdit depuis la faute d’Adam, notre premier père. Tu nous as ainsi précédés en Précurseur sur le chemin qui mène de la mort à la vie (Hb 6, 20). À travers ta propre mort
TREIZIÈME STATION
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humaine, tu as pu ressentir à quel point Dieu aime tous les hommes, et, en prenant sur toi les peurs et les affres de la mort, tu en as radicalement commué le sens : tu as tourné le désespoir qu’elles entretiennent, en faisant de la mort une rencontre d’amour. Réconforte tous ceux qui sont aujourd’hui sur le point d’emprunter ce même chemin. Apaise les appréhensions de ceux qui se distraient inconsciemment de la peur de la mort, parce que leur peur est trop vive. Quand l’Heure bénie sera venue pour nous aussi, accueillenous dans ta joie éternelle, non pas à cause de nos mérites, mais à cause des merveilles que ta grâce aura opérées en nous. ✠
QUATORZIÈME STATION
Jésus est déposé au tombeau Lc 23, 50-54
V
un homme nommé Joseph, membre du Conseil, homme droit et juste. Celui-là n’avait pas donné son assentiment au dessein ni à l’acte des autres. Il était d’Arimathie, ville juive, et il attendait le Royaume de Dieu. Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus. Il le descendit, le roula dans un linceul et le mit dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n’avait été placé. C’était le jour de la Préparation, et le sabbat commençait à poindre. OICI
Méditation C’est là l’unique signe que Jésus avait annoncé aux juifs pour attester de sa mission, le signe de Jonas : « De même que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits » (Mt 12, 40 ; Lc 11, 30). Alors que sa dépouille mortelle est confiée au tombeau, Jésus
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descend au séjour des morts et pénètre au shéol pour y briser les portes de l’enfer, réduire à l’impuissance celui qui détenait le pouvoir de la mort, le diable (Hb 2, 14), détruire son dernier opposant, la mort ellemême (1 Co 15, 26), et faire briller la vie et l’immortalité (2 Tm 2, 10) en proclamant la bonne nouvelle aux esprits qui y étaient retenus captifs (1 P 3, 19), dans l’attente de la rédemption. Les démons firent entendre des hululements, surpris d’être soudainement devenus à leur tour des proies, eux qui furent si longtemps des prédateurs (Vénance Fortunat). Surtout, auprès de Jésus portant à la main la croix de sa victoire, se rassemblèrent en cortège les justes du premier Testament que le shéol retenait captifs. Fendant cette foule, Jésus atteint alors le premier couple, Adam et Ève, ployant encore sous le fardeau séculaire de leur peine. Jésus leur tend la main ; Adam et Ève la saisissent et leur visage, jusque-là ravagé par les suites du péché, s’illumine soudain de la gloire de la résurrection, à la stupéfaction de tous ceux qui assistent à la scène : le premier Adam et le second se ressemblent et se reconnaissent, le père lointain et le plus récent de ses fils ! Le premier Adam, en effet, avait été modelé à l’image de celui qui viendrait un jour le libérer avec tous ses enfants (Gn 1, 26). Ce Jour est enfin arrivé. En Jésus, toute mort peut désormais déboucher sur la vie.
QUATORZIÈME STATION
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Prière Jésus, Dieu riche en miséricorde à cause du grand amour dont tu nous as aimés, tu es en même temps homme, notre frère, victorieux du péché et de la mort. Tu es descendu au shéol pour en ramener nos premiers parents, alors qu’ils étaient morts par suite de leurs fautes, et toute l’humanité avec eux, pour les faire revivre avec toi, les ressusciter et les faire asseoir aux cieux auprès de toi (cf. Ep 2, 4-6). Bon pasteur qui nous conduit vers les eaux du repos, prends-nous par la main, reste auprès de nous quand nous traverserons les ombres de la mort (Ps 22, 2-4), afin qu’à notre tour nous puissions te glorifier par notre mort (Jn 21, 19), être à jamais avec toi, là où tu es déjà, pour contempler ta gloire (Jn 17, 24) et louer éternellement l’extraordinaire richesse de ta grâce (Ep 2, 7). ✠✠✠
Table des matières
Avant-propos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 PREMIÈRE STATION
Jésus face à son Père au jardin des Oliviers . . . . . . . . 19 DEUXIÈME STATION
La trahison de Judas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 TROISIÈME STATION
Jésus est condamné par le Sanhédrin . . . . . . . . . . . . 27 QUATRIÈME STATION
Le reniement de Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 CINQUIÈME STATION
Jésus devant Pilate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 SIXIÈME STATION
Jésus flagellé et couronné d’épines. . . . . . . . . . . . . . 39 SEPTIÈME STATION
Jésus est chargé de la croix . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 HUITIÈME STATION
Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix. . . . . . . 47 NEUVIÈME STATION
Les saintes femmes et Véronique . . . . . . . . . . . . . . 51
DIXIÈME STATION
Jésus est mis en croix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 ONZIÈME STATION
Jésus promet le Royaume au bon larron . . . . . . . . . . 59 DOUZIÈME STATION
Jésus en croix, Marie et Jean . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 TREIZIÈME STATION
Jésus expire entre les bras de son Père . . . . . . . . . . . 67 QUATORZIÈME STATION
Jésus est déposé au tombeau . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Achevé d’imprimer le 21 janvier 2005 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique)
Chemin de croix au Colisée André Louf
Chemin de croix au Colisée
Chemin de croix au Colisée
Écrit pour le Pape et prêché au Colisée, le Chemin de croix de Dom André Louf propose une méditation sur la Passion du Christ à la fois très classique et très nouvelle par certains accents. On y retrouve toute la sagesse et l’érudition de l’auteur dues à une longue fréquentation des textes du Premier et du Second Testament. On y perçoit aussi toute la tendresse du moine pour le Christ et pour les hommes qui essaient aujourd’hui encore de Le suivre. Si le chemin de croix nous invite à méditer sur la vie et la mort de Jésus, André Louf nous convie également, dans une belle introduction, à réfléchir sur la souffrance dans l’expérience humaine. La « puissance de la croix » n’est pas une puissance de mort, mais le lieu de la communion définitive avec le Christ où souffrance et résurrection sont indissociablement liées. La participation des chrétiens à la Passion du Christ, par leur propre passion, est comme un travail d’enfantement, douloureux, mais déjà imprégné de la joie de Pâques.
André Louf
Vie spirituelle
9 782873 563028
fidélité
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ISBN : 2-87356-302-8 Prix TTC : 7,95 €
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