9 782873 563134
fidélité
Claire Faucon
Claire Faucon
Des yeux bleu amour
Des yeux bleu amour
Lettres à ma fille différente
A la première personne
ISBN 2-87356-313-3 Prix TTC : 5,95 €
A la première personne
La vie n’est pas courte ou longue, elle est vide ou remplie d’amour ! C’est la conviction très forte d’une mère de famille nombreuse qui a accompagné les sept courtes années d’existence de sa fille Evelyne, polyhandicapée et atteinte d’une maladie neurodégénérative. Claire Faucon raconte ici simplement tous les petits et grands événements de la vie de sa fille : les jeux, les fêtes, les maladies et les hospitalisations, la nature, les relations familiales et amicales, la souffrance et la fin de sa vie… des moments qui tous, ont été porteurs de valeurs réellement transformatrices pour elle. « Qui étais-tu, parmi nous, Evelyne ? Plus qu’une attente, plus qu’un creux ? Alors que tu ne pouvais répondre à rien, n’exprimer ni désir, ni joie, ni soif, ni faim, ni chaud, ni froid, tu étais là, parmi nous, avec nous, attente à l’état pur, creux à combler. Tes lacs immenses d’yeux bleus étaient aspiration à refléter la beauté. Tes yeux bleus, déjà, voyaient l’invisible pour nous. » L’irrémédiable détérioration de l’état de l’enfant n’a pas empêché sa présence attentive aux autres, manifestée par la chaleur et la profondeur de son regard. Toute entière accueil, réceptivité pure, Evelyne a creusé dans la vie de son entourage un sillon d’étoiles.
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Des yeux bleu amour
fidélité
Des yeux bleu amour
Claire Faucon
Des yeux bleu amour Lettres à ma fille différente
fidélité 2005
Dans la même collection : Adela Diaz, Faim de vie, 2001. Edith de Voghel-Jacques, Sur la touche, 2002. Marie-Jeanne Notermans, Le monde vu d’en bas, 2005. Claire Faucon, Des yeux bleu amour, 2005.
© Editions Fidélité • 61, rue de Bruxelles • BE-5000 Namur ISBN : 2-87356-313-3 Dépôt légal : D/2005/4323/14 Imprimé en Belgique Illustration de couverture : Isabelle Herpoel
Avant-propos
Le but de ce livre est de vous sensibiliser à ce que ma fille Evelyne a été et a vécu durant ses presque sept années de vie sur terre. Ce récit n’est pas romancé, il est tout à fait authentique. Il n’est cependant pas chronologique. Il ne reprend pas non plus en détail la vie d’Evelyne au jour le jour, ni ses évolutions et régressions par rapport à son handicap. Il relate simplement, pour moi sa maman, les événements porteurs qui m’ont vraiment transformée. Les réflexions que vous y trouverez sont miennes et n’ont pas la prétention d’être la « vérité ». Qu’elles vous fassent surtout percevoir combien j’ai été touchée par cette petite qui m’a été confiée.
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Introduction
Nous avons, mon mari et moi, six enfants : Thérèse, Evelyne, Jonathan, Christophe, Maximilien et Jean-Pierre. Nous habitons à Bruxelles, dans un quartier proche de la gare du Midi. Quartier plutôt modeste et très mélangé au niveau des nationalités et des cultures. Evelyne, notre deuxième enfant, qui nous a été confiée le 3 août 1993 et a rejoint le Père le 6 mai 2000, n’était pas une enfant comme les autres. Voici quelques extraits de lettres de condoléances qui en témoignent. Et c’est eux aussi qui me poussent à écrire ce livre pour partager à tous ceux qui le souhaitent ces presque sept années vécues avec Evelyne.
Texte de Fernand (un ami) Ecrit pour les deux ans d’Evelyne et offert à son décès. Il est resté très pertinent. Qui étais-tu, qui es-tu parmi nous, Evelyne ? Plus qu’une attente, plus qu’un creux ? Alors que tu ne pouvais répondre à rien, ne dire rien, n’exprimer ni désir, ni joie, ni soif, ni faim, ni chaud, ni froid, ni nom, tu étais là, parmi nous, avec nous, attente à l’état pur, creux à combler. 7
CLAIRE FAUCON
Tes lacs immenses d’yeux bleus sont aspiration à refléter la beauté. Ta bouche accepte ce que l’amour lui a préparé à boire et à manger. Ta langue, petit oiseau, gazouille un chant venu du fond des âges. Tes oreilles sont coquilles faites pour entendre et réentendre des mots d’amour, des mots qui sentent bon. Tes joues invitent aux bisous tendres. Ta peau innocente s’offre aux caresses, aux doux effleurements qui te font fleurir. Tout ton petit corps invite à l’entourer d’un coude de chaude protection ou de deux bras étonnés que tu sois si peu de chose tenant tant de place ! Evelyne, tout en toi n’est qu’accueil. Comme le petit prince tu ne réponds à rien, frêle princesse retournée à ton ciel parsemé d’étoiles où scintillent tes clins d’œil. Tout en toi est un creux à remplir, trou dans le sable que la mer va bercer de ses vagues avant de le combler. Tout en toi est pure réceptivité ; tu es réceptivité, rien d’autre, rien de plus. Merci Evelyne. Que de choses tu nous as dites dans ton parfois souriant silence. N’as-tu pas rappelé que tout est donné, donné gratuitement, gracieusement ? N’étais-tu pas évidence, parmi nous, que nous nous recevons nous-mêmes des autres — de l’Autre ? — dans l’amour ? Que la vie reçue se remplit seulement par l’amour qu’on reçoit et qu’on donne ?
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Ton message : laisse-toi aimer, « regarde les oiseaux du ciel… les lis des champs… si Dieu les habille ainsi, ne fera-t-il pas bien plus pour vous… ? » (Mt 6, 25-34). Tes yeux bleus, déjà, voyaient l’invisible pour nous : « Vois ! Vois toi aussi de quel fol amour tu es aimé. Quel amour fou tu peux toi-même donner à ceux qui en ont le plus besoin, à ceux « en manque », ceux que tu pourras faire vivre parce que « ta vie, si tu la perds en la donnant, tu la gardes, tu l’épanouis » (Jn 12, 25). Si ma pâque — mon bref passage — sur cette planète t’apprenait pour ton propre passage à te recevoir toi-même dans l’amour, à mourir à toi-même dans l’amour, à vivre en te donnant dans l’amour ! »
Texte de Jean-Marie (un ami) Evelyne pour moi. Le regard de Dieu dans le silence. Le silence dans la patience. La patience dans la sagesse. La sagesse dans l’Amour infini. Cet infini qu’elle a découvert, qu’elle vit tous les jours du Père. Evelyne auprès de William et des autres, tous dans le visage du Seigneur, tous nous visitant le fond du cœur, nous révélant patience : le temps viendra du sourire, de l’abondance, de la victoire, de l’Amour. Evelyne, un espoir, une foi en Jésus Christ, en l’Esprit qui souffle à l’oreille à en sourire, une victoire de l’Amour sur soi. Une profonde cicatrice bienfaitrice qui ouvre le cœur, les cœurs à qui veut dans son sourire voir le fin fond du vrai bonheur. 9
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Le regard de Dieu dans le silence. Le silence dans la patience. La patience dans la sagesse. La sagesse dans l’Amour infini du Père.
Autres extraits de différents amis «Un regard peut dépasser les mots… » « Si beau visage d’Evelyne toujours souriant et les yeux débordant d’amour, de joie et de reconnaissance envers ses parents, ses frères et sœur… » « Pendant son bref séjour sur terre, elle s’était fait tant d’amis. » « Petite flamme vacillante, si faible et si forte à la fois… » « Mais si ton départ me fait mal, je te donne mille fois raison, tu m’as tellement donné. » « Tu as toujours eu une longueur d’avance sur nous. » « Quel aimant d’amour, votre petite Evelyne. Elle ne faisait qu’attirer affection, amitié, tendresse.. Elle en a changé des cœurs ! » « La bonne humeur, le courage, la volonté de vivre et surtout ton magnifique sourire. Toutes ces qualités qui te caractérisent et que nous côtoyions chaque fois que l’on pouvait nous rappelleront éternellement combien ta place était importante parmi nous… »
Paroles de ses plus proches « Ma chère petite Puce, Tu as été un magnifique rayon de soleil pour beaucoup d’entre nous.
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Tu ne parlais pas, pas avec ta bouche du moins, mais ton sourire et tes yeux en disaient long ! Tu exprimais et tu communiquais ainsi ta joie de vivre et ta paix, tu consolais, tu rendais courage, tu nous faisais relativiser nos épreuves… mais tes yeux exprimaient aussi ton désarroi et ta souffrance lors des maladies. Tu ne te déplaçais pas, mais tout le monde venait à toi, particulièrement ta sœur Thérèse et tes frères Jonathan, Christophe et Maximilien pour te câliner, se réconforter, se réchauffer à ta flamme et se remplir de ta paix. Comme Jésus, quand tu posais un regard sur quelqu’un, c’était un regard d’amour. Tu avais un regard pénétrant, car tu voyais le cœur, au-delà du corps. Par ton regard, tu communiquais en profondeur. Tu avais le don d’apaiser et de redonner goût à la vie à ceux qui l’avaient perdu. Tu faisais vivre. Tu as aussi été un merveilleux exemple de courage. Tu aurais pu partir depuis longtemps déjà, mais tu t’accrochais à la vie pour nous donner le temps de nous préparer à ton départ. Evelyne, tu as été pour ta maman et moi un merveilleux cadeau de Dieu, une grâce. Evelyne, tu nous manqueras beaucoup, mais je sais que tu seras toujours avec nous. Tu resteras à jamais dans mon cœur et dans celui de tous ceux qui ont eu la très grande joie de te connaître. Ton papa qui t’aime beaucoup. » « Evelyne, tu m’as appris plein de choses comme aimer, faire plaisir aux autres. Ton sourire m’a surprise et ta joie restera en moi. Je sais que tu me comprends, 11
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je suis triste mais d’un côté, je sais que tu es heureuse. Merci » (sa grande sœur Thérèse, 8 ans). « Maman, as-tu vu là, dans les nuages, Evelyne qui est en train de tirer une girafe ? Parce que maintenant Evelyne elle sait marcher et Jésus lui a demandé d’aller chercher une girafe qui était morte en Afrique » (son petit frère Jonathan, 5 ans). Pour ma part, je n’ai pas une âme d’écrivain. Aussi aije décidé d’écrire ce livre sous forme d’une lettre adressée à Evelyne. C’est ainsi que mon témoignage me semblait le plus authentique. Mon souhait est de vous faire connaître Evelyne, mais aussi et surtout vous aider à réaliser que la Vie n’est qu’amour. C’est ce message qu’Evelyne veut nous faire passer aujourd’hui. La vie n’est pas courte ou longue, elle est vide ou remplie d’amour !
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Sens de ton arrivée chez nous
Evelyne, il y a quelque chose que je ne t’ai jamais raconté de ton vivant. Pourtant c’est à partir de cela que ton arrivée dans notre famille a pris sens pour moi. A dix-huit ans, mes parents m’ont offert un voyage d’une semaine à Taizé : Taizé, petit village de France, réunit chaque semaine, autour de la communauté de frère Roger, des milliers de jeunes chrétiens du monde entier qui se rassemblent pour prier et approfondir la Bible. Lors de ce séjour, j’avais fait la connaissance d’une maman polonaise et de son petit garçon handicapé (son handicap était semblable au tien). J’étais révoltée. J’étais persuadée que si les milliers de jeunes présents cette semaine-là priaient ensemble pour la guérison de ce petit, un miracle de guérison pouvait avoir lieu. J’ai été trouver le frère Roger afin qu’il fasse une prière publique pour la guérison de cet enfant. Il m’avait répondu que le miracle ne se situait pas là où je pensais. Parole de sage, sans doute, mais je n’avais pas compris… J’étais encore plus révoltée, le vivant comme un refus. Est-ce pour cela que tu m’as été confiée par Dieu ? Je le crois, car cela m’a fait comprendre beaucoup de choses. 13
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Notamment que même s’il y a des moments de souffrances (moments d’angoisses, de doutes, de découragements, ta souffrance physique aussi), il y a à côté de cela une joie immense, un amour partagé, un bonheur que l’on n’aurait pas pu connaître sans avoir une enfant différente comme toi, comme ce petit polonais, comme tous tes semblables. Tu sais, quand tu étais parmi nous, je n’aurais plus voulu que tu sois autrement. Pourtant, beaucoup ont prié pour que tu guérisses parce qu’ils ne pouvaient pas comprendre où se situait le miracle. Par toi, j’ai compris que même dans la souffrance ou dans des situations qui semblent révoltantes, injustes aux yeux des autres, on peut acquérir un regard qui permet de trouver de la joie, du bonheur dans mille et une petites choses. Ceci permet même de vivre plus heureux que les personnes dites « sans problème », vivant au rythme métro-boulot-dodo. Cette découverte m’aide aussi dans ma relation avec les personnes qui ont des difficultés. J’ai compris l’importance d’aimer l’autre tel qu’il est, sans jugement et sans sentiment de pitié. L’autre que je vois comme « souffrant » peut être plus heureux que moi ; il peut avoir compris où se situe le vrai bonheur et m’apprendre beaucoup. D’ailleurs, je n’aimais pas, et toi non plus, Evelyne, quand les gens posaient sur nous un regard de pitié. Tu étais même terrible, car tu les ignorais superbement en détournant ton regard quand ils se penchaient sur toi. Tu m’as appris à aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’il paraît.
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Du sein maternel à ton arrivée à la maison
Comme pour Thérèse, ton papa et moi avions choisi un chant, « L’enfant au tambour », qui t’accompagnerait tous les jours de ta vie intra-utérine et après. Quand tu étais bébé, chaque fois qu’on te le fredonnait, on avait droit à de grands sourires. Puis les années ont passé… Deux jours avant ton décès, en feuilletant par hasard un chansonnier de Thérèse, je l’ai trouvé et je te l’ai chanté. Là, j’ai vu ton regard scintillant de lumière et un sourire débordant. T’ai-je permis, par cette mélodie, de naître pour la deuxième fois ? J’ai vécu une belle grossesse. J’étais beaucoup moins malade que pour Thérèse, mais une chose m’étonnait : tu bougeais très peu. Tes mouvements étaient doux et lents et je pouvais passer plusieurs jours sans même te sentir bouger. Comme pour ta sœur et tes frères, j’ai rêvé de toi pendant la grossesse. Pour les autres, je n’ai rêvé d’eux qu’une seule fois, voyant dans mon songe leur sexe et leur physique. De toi, j’ai fait trois rêves : - dans le premier, je te voyais nouveau-né, petite fille merveilleuse aux cheveux très noirs. 15
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- dans le deuxième, on devait t’embarquer très vite après l’accouchement parce que tu avais un problème. Mais lequel ? - dans le troisième, je te voyais âgée d’un an environ et Thérèse de deux ans. Tu étais couchée sur une couverture dans une prairie, tu ne bougeais pas et ne savais même pas t’asseoir. Ta sœur, elle, courait autour de toi. Au moment de ma grossesse, ces songes m’ont fort interpellée et je les ai partagés avec ton papa, car pour moi ils révélaient que tu serais handicapée. Ton papa était très à l’écoute et nous avons vraiment pris le temps de parler du fait de t’accueillir différente des autres enfants. Nous acceptions cette possibilité tous les deux, dans la confiance. Tu étais là, nous t’aimions déjà et nous t’accepterions telle que tu serais. Ceci dit, objectivement, tout allait bien et les échographies étaient parfaites. A huit mois de grossesse, le 1er août 1993, j’ai commencé à avoir des contractions. Le gynécologue m’a alors fait une piqûre pour les stopper et m’a mise au repos. Mais la nuit du 2 au 3, la rupture de poche s’est produite et nous sommes partis à la maternité. N’ayant toujours pas de contractions le 3 au matin, on a dû provoquer la naissance. La poche rompue, tu devais naître. Et à midi, tu es née très facilement, mais tu n’as pas pleuré tout de suite. Tu étais toute petite, superbe, cheveux, yeux et longs cils très noirs. L’accoucheuse te fit les premiers soins. Après t’avoir mise quelques secondes sur mon ventre, elle t’a envoyée dans un service de néonatologie, juste par précaution, m’a-t-elle dit, 16
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pour vingt-quatre heures, parce que tu étais un peu prématurée. Mes deux premiers rêves se confirmaient. Je m’attendais donc de plus en plus à la vérification du troisième. Cela arriva un an plus tard, en juillet 1994, alors que nous étions en vacances à Cens, petit village ardennais. Le décor était identique à mon rêve. Je l’ai fait remarquer à ton papa : « Jean, regarde bien, la scène que tu vois maintenant, c’est celle de mon rêve. » Très vite, j’ai compris que nous n’étions qu’au début d’une longue histoire. La vie n’allait pas être facile. Bébé, tu étais hypotonique (tu manquais de tonus) et hypothermique, c’est-à-dire que tu n’arrivais pas à maintenir une température corporelle assez élevée. Tu ne réclamais jamais une tétée, tu ne pleurais ni lors de ton bain, ni pendant les soins (prises de sang…). Tu étais adorable, une vraie petite poupée, la plus calme du service. Pour moi, ce n’était pas normal, même si tout le monde essayait de me rassurer en me disant que c’était seulement dû au mois de prématurité. Ceci dit, l’équipe de néonatologie était géniale. Une grande partie du personnel était néerlandophone et te parlait en néerlandais. De là te sont restés des surnoms comme Miske ou Evelyneke. Par la suite, tu as toujours aimé que quelqu’un te parle en néerlandais. Lorsque tu as pu sortir de l’hôpital, un médecin m’a affirmé que tout irait bien. Pour moi, cela signifiait : « On ne peut plus rien faire pour Evelyne. Elle gardera des problèmes, mais rentrez chez vous, vous y serez mieux. » En effet, à dix jours, je ne t’avais toujours pas entendu pleurer, tu ne te réveillais pas spontanément pour tes tétées 17
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et tu restais hypothermique. Pour maintenir ta température malgré la chaleur de cet été-là, nous devions te mettre trois couvertures, une bouillotte et un bonnet ! Ce qui fait que ton état de santé ne me rassurait pas du tout ! Tu m’as appris à faire confiance à mes intuitions.
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Tes premiers mois
Tu étais adorable et très vite tu as eu une relation de complicité exceptionnelle avec Thérèse, ta grande sœur. Ce qui était pénible, c’était de devoir t’allaiter toutes les trois heures sans que tu ne réclames, et ce même la nuit. En effet, non seulement il n’était pas facile de te réveiller, mais en plus, tu te rendormais aisément, te sentant un peu trop vite rassasiée ! Pourtant tu appréciais le sein, ton visage exprimant à ce moment-là un sentiment de plénitude. Une autre constatation se fit jour : après deux ou trois semaines, je réalisai que j’étais la seule à penser encore que tu étais une enfant différente. Le pédiatre était persuadé que tu démarrerais plus tard. Et ton papa lui faisait confiance. Une période difficile, où je me suis sentie très seule, commençait pour moi. Au début, je tenais le coup grâce aux travaux de restauration dans notre nouvelle maison, là où nous allions nous installer en novembre. Mais à la longue, cela me pesait. Je déprimais et pleurais tout le temps, d’autant plus que chaque fois que j’allais chez le pédiatre, il me disait que je te comparais trop à ta sœur Thérèse et que ma formation d’infirmière m’amenait à imaginer 19
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un tas de choses. Comme quoi il ne suffit pas d’être du métier pour être entendu ! A cinq mois, je lui ai dit fermement que ce n’était quand même pas normal que tu ne réclames pas tes repas ! Il m’a répondu que c’était sans doute moi qui précédais la demande. Et toi, tu étais peut-être seulement un peu paresseuse. Il ajouta que si tu avais vraiment un problème, tu n’aurais pas un si beau visage. Je l’ai quitté furieuse et désespérée ! Le mois suivant, un soir, je t’ai allaitée vers dix-neuf heures. Le lendemain j’avais rendez-vous à quatorze heures chez le pédiatre. J’avais décidé de ne plus t’allaiter avant que tu ne réclames, mais à treize heures, j’ai cédé, car cela faisait dix-huit heures que tu n’avais plus rien bu. Je demandai alors au pédiatre si là encore j’avais précédé la demande… ? Il trouva comme moi que ce n’était pas normal et décida d’investiguer davantage, préférant toutefois attendre encore un mois, ce qui t’en ferait sept (six d’âge réel plus le mois de prématurité). Je suis sortie un peu soulagée de ce rendez-vous. Mon combat pour faire admettre que ma fille avait un handicap allait-il enfin aboutir ? Quand je parlais de mes appréhensions à mon entourage, tout le monde semblait dire que je m’en faisais trop vite. Même ma maman me disait que moi aussi j’avais été le bébé le plus sage de la maternité, que tout le monde avait eu très peur, car j’avais failli mourir à dix jours et que je n’avais qu’à me regarder maintenant. Il ne servait donc à rien de s’inquiéter ! Ces réflexions m’énervaient, me mettaient à bout. Pourquoi tous restaient-ils 20
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aveugles à la réalité ? Ceci dit, avec du recul, je ne leur en veux pas. A ce moment-là, malgré leur bonne volonté, ils n’étaient pas capables d’admettre la réalité que je pressentais. J’étais donc seule, très seule, malgré tout un entourage bien intentionné ! Une seule personne osa me dire qu’elle aussi pensait qu’Evelyne serait handicapée : c’est Gerty, une amie de notre paroisse. Elle aussi était la mère d’un enfant handicapé. Pour elle, Evelyne avait le même regard que Daniel lorsqu’il était bébé. Merci encore à Gerty pour sa sincérité. Elle m’a aidée à ne pas abandonner mon combat. Au rendez-vous des sept mois chez le pédiatre, on te fit donc l’examen de l’âge osseux : une radiographie osseuse permettant une étude comparative entre la longueur réelle de tes os et celle théorique d’un enfant de ton âge. Or, ton âge osseux correspondait à celui d’un bébé de quatre mois et demi. Cette fois, c’était objectif : tu avais un retard et ta courbe de croissance dérivait. Le pédiatre me proposa de chercher une kiné qui favoriserait ton développement moteur et il modifia ton régime alimentaire. Lui-même n’ayant pas de kiné à me conseiller, ce fut Gerty qui me guida et me recommanda Françoise. Une fois de plus, je la remercie. Après deux séances, Françoise, craignant un problème sérieux, m’envoya chez le Dr M., une neuropédiatre. Tout se mettait maintenant en route. Ainsi, mon combat aboutissait. Comme je l’avais toujours pensé, tu serais différente des autres enfants. Mais, enfin comprise, j’étais plus sereine et, au lieu de m’enfermer dans 21
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ma bulle et ma déprime, je pouvais apprécier d’autant mieux tout ce que tu nous apportais de merveilleux. Ne vaut-il pas mieux répondre par le silence quand la réalité nous fait trop mal ?
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Ta conscience de ton handicap
On nous a dit que tu étais polyhandicapée, puis que tu avais une maladie neurodégénérative. Aujourd’hui, nous ne savons toujours pas exactement laquelle, mais peu importe. Ton évolution indiquait bien une régression lente et continue. Ton retard se marquait au niveau moteur : tu ne marchais pas, tu ne tenais pas assise, tu n’avais pas la force de tenir un objet en main. Bientôt, tu ne pouvais même plus mâcher tes aliments ni aller à selles toute seule. Tu as réussi à dire deux, trois mots, mais très vite tu n’as plus su parler. Par contre, intelligente, tu l’étais, bien que plusieurs en aient douté puisque tu ne parlais pas. Mais est-ce parce qu’on est muet, qu’on est bête… ? Ton intelligence te permettait d’ailleurs d’être bien consciente de ton handicap et des réactions des uns et des autres par rapport à celui-ci. Toute petite, tu avais souvent tendance à te replier sur toi-même, sauf avec Thérèse. Tu savais que ta sœur t’aimait telle que tu étais, t’adorait même. Avec elle, tu pouvais « être toi ». Avec papa et moi, tu es devenue beaucoup plus présente une fois ton handicap confirmé, vers tes sept mois. A ce moment, nous arrivions à t’aimer réelle23
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ment, telle que tu étais, avec ton regard pénétrant et ton sourire merveilleux. Tes rapports avec les autres dépendaient de la façon dont ils t’acceptaient ; bien souvent, tu préférais les ignorer. Tu as aussi fait voir à quel point tu étais consciente de ton handicap quand ton petit frère Jonathan s’est mis à te dépasser au niveau moteur. Ton regard s’est éteint quand il a commencé à s’asseoir et à marcher à quatre pattes. Tu étais triste, tu te fermais. Tu voyais qu’on se réjouissait des progrès de ton petit frère et toi tu n’y arrivais pas… Un autre tournant a été ton entrée au CREB-Solidaritas (centre de jour pour enfants polyhandicapés non scolarisables). Tu avais presque trois ans. Le neuropédiatre me conseilla de te mettre dans un centre durant la journée. Tu pourrais y avoir une vie sociale et cela m’épargnerait beaucoup d’allées et venues chez les kiné, logopède, psychomotricienne… J’étais peinée à cette idée, mais je ne l’ai pas regretté ! Tu y es entrée le 1er avril 1996. Cela t’a transformée. Tu es devenue très sociable, tu as séduit de très nombreuses personnes. Tu as attiré beaucoup de monde autour de toi. Je pense qu’à ce moment-là, tu as pu t’ouvrir parce que tu as réalisé que sur la terre, il y avait d’autres enfants comme toi, différents. Tu n’étais pas la seule, tu n’étais plus « la bête curieuse » mais bien une personne à part entière qui pouvait être elle-même. Cela t’a permis de faire découvrir aux autres la belle perle qui était enfouie au fond de toi. Et nous, donnons-nous aux autres la chance de nous faire découvrir la perle magnifique cachée en eux ?
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L’arrivée de tes petits frères
C’est toi qui m’as chaque fois annoncé que j’étais enceinte de tes petits frères. J’avais deux ou trois jours de retard de règles et ton regard pour moi changeait. Il était plus lumineux, plus pénétrant encore que d’habitude et ton sourire traduisait un réel bonheur. Tu te souviens sûrement que j’ai aussi été enceinte entre la naissance de Christophe et celle de Maximilien. Tout semblait bien se passer et pourtant, après quelques semaines de grossesse, ton regard avait changé, il n’était plus aussi lumineux. Cela m’avait interpellée mais sans plus. J’ai pensé que tu n’étais pas dans ton assiette. Pour ma part, ma grossesse se passait comme les précédentes. J’avais seulement davantage de nausées que pour Jonathan et Christophe. J’imaginais donc une petite fille. A dix semaines, nous sommes partis confiants pour la première échographie. Vous étiez tous avec nous ainsi que ton cousin Jean-Marc. Nous étions heureux de découvrir ce nouveau petit être qui allait agrandir notre famille. C’était au début du mois d’août 1998. Au visage de la technicienne, j’ai très vite compris que quelque chose n’allait pas. Effectivement, elle nous annonça peu après que le bébé était mort. Elle ne décelait aucune activité cardiaque. Ce fut un choc, je ne m’y attendais vraiment 25
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pas. Or, toi, tu le savais déjà, tu m’avais prévenue et je n’avais pas su l’entendre à ce moment-là. Oui, Evelyne, tu avais un don particulier. Tu ne voyais pas seulement avec tes yeux, mais aussi avec ton cœur. Tu pouvais alors discerner la vie, la mort, la souffrance… Maintenant tu as rejoint ce petit bout qu’on n’aura jamais vu et que j’ai prénommé « Malaïka » (petite étoile des mers). Quand j’étais enceinte, ton bonheur était intense. Pourtant, à la naissance de Jonathan — tu avais alors vingt-deux mois —, tu as réagi comme tous les petits derniers. Tu n’étais pas heureuse de perdre ta place de cadette et tu l’as clairement manifesté. Tant que j’étais à la maternité, tu n’as pas voulu regarder ton frère. On l’amenait devant toi, mais chaque fois tu détournais la tête. De retour à la maison, tu as alors apprivoisé petit à petit ce nouveau venu dans la famille. Tu adorais son pleur de bébé. Chaque fois que Jonathan pleurait, tu riais (et ce fut pareil avec Christophe et Maximilien). Ce que tu n’avais pas vécu comme bébé te faisait rire chez tes petits frères. Les naissances de Christophe et Maximilien, elles, te réjouirent dès le début. J’imagine donc l’intense joie que tu as vécue là-haut à la naissance de Jean-Pierre. Tu l’as vraiment désiré et attendu avant de partir. Il était conçu de sept semaines quand tu as rejoint l’autre monde. Et tu avais eu beaucoup de plaisir durant cette période quand je te prenais contre mon ventre. Quand tu es partie, je me suis dit que Jean-Pierre pouvait choisir : soit te rejoindre, soit continuer à s’épanouir en moi pour venir agrandir notre famille en décembre. Il a décidé de lutter, démontrant ainsi que la vie 26
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continue au-delà de ton départ auprès du Père. Merci Evelyne pour ce merveilleux cadeau que tu nous as fait d’attendre que je sois enceinte de ton petit frère pour prendre le grand envol. Quand Jean-Pierre, bébé, réclamait ses tétées, je t’imaginais riant aux éclats là-haut au milieu des étoiles. Aujourd’hui, Jean-Pierre est déjà grand et même s’il n’a pas eu l’occasion de te voir au milieu de nous, il te connaît déjà bien et te nomme quand il cite ses frères et sœurs. Tu nous as montré que la Vie est plus forte que la mort.
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Agrandir notre famille : une inconscience ?
En nous mariant, ton papa et moi, nous souhaitions six ou huit enfants. A ton arrivée, Evelyne, vu les problèmes de santé et de développement que tu présentais, nous avons réfléchi. Avoir deux enfants comme toi, même si nous t’adorions, cela ne nous semblait pas possible, ne fût-ce qu’au niveau du temps qui t’était consacré (kiné, suivi médical, etc.) Si le prochain enfant devait présenter la même maladie, nous devrions vous négliger, toi et Thérèse. Et cela, nous ne le voulions pas. Lors de notre première visite chez le Dr M. — tu avais alors neuf ou dix mois — nous lui avons fait part de notre projet de famille nombreuse. Nous lui avons demandé si elle pensait que c’était raisonnable. Il faut dire qu’à ce moment-là tu n’étais pas ouverte aux autres, si ce n’est à Thérèse, Papa et moi. Tu fuyais trop souvent du regard, tu t’enfermais dans ta bulle quand les autres essayaient d’établir une relation. C’est la raison pour laquelle la neuropédiatre voyait plutôt chez toi une éventuelle dépression du nouveau-né ou un problème d’autisme. Elle ne voyait donc aucun risque à ce qu’on ait un troisième enfant. Dès lors ton frère Jonathan fut accueilli et suivi de ton frère Christophe. 29
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Au cours de la gestation de Christophe, nous avons dû changer de neuropédiatre. Le Dr M., souffrant, avait décidé d’arrêter son activité professionnelle. Nous consultons alors le Dr B. Tu avais presque deux ans et demi. Après t’avoir examinée et nous avoir interrogés, il m’interpella : « Vous êtes de nouveau enceinte ? Et vous n’avez pas peur ? » Il pensait à une éventuelle récidive de handicap. Je lui explique donc que le Dr M. nous avait bien dit qu’il n’y avait rien à craindre au niveau hérédité, Evelyne présentant plutôt un trouble psychiatrique. Le Dr B., lui, n’excluait pas une maladie génétique et rejetait l’hypothèse d’autisme ou de dépression. Il nous conseilla de faire des recherches génétiques plus approfondies avant d’avoir d’autres enfants. J’ai évidemment vécu dans l’angoisse le reste de ma grossesse. Mais, à la naissance, Christophe se portait comme un charme, était très mignon, te ressemblant beaucoup physiquement. Ensuite, nous avons entrepris des examens à Loverval (centre de recherches génétiques) : un long interrogatoire, une prise de sang chez toi, chez Papa et chez moi pour établir la carte génétique ainsi qu’une biopsie de la peau chez toi. Les résultats des examens n’indiquaient aucune maladie génétique connue. On se dirigea donc vers l’hypothèse d’une maladie neuro-dégénérative style Rett mais un Rett atypique. Il ne s’agissait donc pas d’une maladie génétique et nous avions le feu vert pour agrandir notre famille. A ce moment-là, nous ne souhaitions plus que six enfants, sachant que ton état exigeait déjà beaucoup de 30
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temps et d’énergie. Maximilien et Jean-Pierre sont donc encore venus agrandir notre famille, tous deux en très bonne santé. Quelle grâce que ces enfants !
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Ton ami Giuseppe
En entrant au CREB-Solidaritas, à deux ans et huit mois, tu t’es fait des amis, tout comme tes frères et sœur en avaient à l’école. Il y avait Matthew, Yasmina, Olivier, César, Gabriel, Stanislas, Giuseppe et plus tard Salma et d’autres encore. Parmi eux, je choisis de parler de Giuseppe. Pour moi, il a toujours été comme un grand frère qui te précédait et te montrait le chemin. D’après mon souvenir, son handicap, également important, relevait davantage d’un problème d’oxygénation à la naissance. Il ne marchait pas, ne parlait pas, voyait très peu et était nourri par sonde gastrique. Mais, stabilisé, son état ne l’empêcherait pas de vivre jusqu’à l’âge adulte. La première fois que j’ai vu Giuseppe, il devait avoir un an. C’était peu avant ta naissance. Ses parents venaient rechercher leur grand fils à un camp de jeunes et Giuseppe était là. J’ai parlé avec sa maman qui me raconta son histoire. Sa famille habitait notre quartier. Après ta naissance, j’ai revu Giuseppe l’une ou l’autre fois aux fêtes paroissiales. De plus, quand nous sommes allés visiter le CREB-Solidaritas pour t’y inscrire, oh surprise, Giuseppe était là ! Tu serais dans le même groupe que lui. 33
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Alors une complicité entre lui et toi a commencé, doublée d’une relation d’amitié entre sa maman et moi. Je garde en mémoire ce jour où, Giuseppe étant malade, nous avions été lui rendre visite. Il était couché sur un lit pour deux personnes et je t’ai installée à côté de lui. Vous vous êtes regardés d’un de ces regards complices, souris, puis entrelacés comme des petits amoureux. C’était adorable. Plus tard, sa maman m’a parlé : elle avait un problème de logement et toute sa famille vivait chez sa maman à elle. Cela lui était pénible. J’en ai parlé à ton papa et nous avons décidé de libérer notre premier étage et de le leur louer pour un an, en dépannage. Cette année-là, évidemment, vous vous êtes vus souvent. Tous les matins, vous attendiez ensemble le bus qui venait vous chercher pour le CREB et tous les soirs, vous reveniez ensemble. Je mettais vos voiturettes face à face en attendant le bus. De nouveau, un regard complice passait entre vous, des sourires, des rires. Vous sembliez vraiment en train de vous dire un tas de choses et vous étiez heureux ensemble. L’année écoulée, Giuseppe et sa famille ont déménagé. Peu après, nous avons appris que notre « Giu-Giu » comme on l’appelait, avait la leucémie. Je n’y croyais pas ; encore ça en plus ! Il supportait relativement bien son traitement et était en voie de guérison quand une pneumonie l’a fauché. Il mourait le jour de sa fête, à la Saint-Joseph, le 19 mars 2000. A ce moment-là, tu souffrais aussi d’une pneumonie, mais tu as réussi à t’en sortir. Une fois encore, Giuseppe t’avait précédée pour être là le 6 mai 2000, jour où tu l’as rejoint. 34
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Vous êtes enterrés dans la même plaine, au cimetière, distants de quelques allées, mais en vis-à-vis. Je pense souvent à vous deux, imaginant un petit couple d’anges là-haut dans le ciel. J’ai envie de remercier ici Giuseppe de t’avoir toujours précédée pour t’accueillir comme un grand frère. J’ai aussi une pensée pour Stanislas qui a pris le grand envol quinze jours après ton entrée au CREB et pour Salma qui t’a rejointe le 4 juin 2003. Un petit ange ne s’en va jamais seul, m’avait-on dit au CREB.
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Tes hospitalisations
Durant ta vie, tu as été hospitalisée deux fois, deux fois de trop. Cependant, c’est grâce au Dr F., notre médecin de famille, que tu ne l’as été que deux fois. Nous pouvons vraiment le remercier ici d’avoir accepté ce suivi à domicile durant tes nombreuses pneumonies, ou tes semi-comas, parfois inexpliqués… Périodes où il passait souvent te voir, te visitant tous les jours de la semaine et jusqu’à trois fois dans la même journée ! Peu de médecins traitants l’auraient fait ! Ta première hospitalisation eut lieu lors de tes dixhuit mois. Nous quittions le pédiatre, tu avais une forte fièvre et je devais te donner des antibiotiques. Au retour, la visite d’une amie retarde la prise de tes médicaments. Mon amie, qui t’avait dans les bras, me dit tout à coup : « Regarde ta fille, il y a quelque chose qui n’est pas normal ». Tes yeux étaient tout à fait révulsés, tu étais fort cyanosée. Tu faisais des convulsions hyperthermiques. Prise de panique, mon premier réflexe fut d’appeler l’ambulance. Tu n’étais vraiment pas bien, tu avais 41 °C de température et tu étais tout à fait absente. Les ambulanciers ont commencé par te donner de l’oxygène et te réanimer tout en appelant l’équipe de réanimation. Celle-ci essaya de te placer une perfusion, mais sans suc37
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cès. Je me souviens de l’ambulancier qui me disait : « On n’arrive pas à la piquer ! On va aller tout de suite à l’hôpital avant qu’il ne soit trop tard. » Sur ces entrefaites, deux personnes arrivèrent. D’abord Attilio, un voisin, qui, voyant qu’on était en train de te réanimer, proposa tout de suite de prendre Thérèse chez lui et de s’en occuper jusqu’au lendemain s’il fallût, puis ton papa qui revenait du travail. N’ayant pu le prévenir, car il était déjà en route, il fut paniqué en voyant l’ambulance devant chez nous. Je t’ai accompagnée dans l’ambulance jusqu’à l’hôpital tandis que Papa suivait en voiture. Là, les médecins de garde, ne connaissant pas ton état normal d’hypotonie, vu ta fièvre, commencèrent une batterie d’examens (prise de sang, radio du thorax, prise d’urine, ponction lombaire…). Finalement, ils décelèrent une petite infection respiratoire avec convulsions hyperthermiques. Dans le service, tu fus mise sous antibiotiques en perfusion et il fallut te donner des bains froids chaque fois que la température montait. Tu étais dans un lit vêtue seulement d’un lange. Cette hospitalisation fut fatigante. J’étais enceinte de six mois de Jonathan et je devais me battre constamment avec le personnel soignant. En effet, le Dr M., ta neuropédiatre de l’époque, était en congé de maladie, et la pédiatre du service avait la prétention de trouver elle-même la nature de ton handicap. Elle voulait donc procéder à un tas d’investigations. Pour ma part, j’estimais que ce n’était pas pour cela que tu venais et que ce n’était pas de son ressort. Je refusais les examens. Ceci ne lui plaisant pas, elle les fit quand je m’absentais pour dîner ou pour aller chercher 38
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Thérèse à l’école. Je te retrouvais alors angoissée dans ton lit, piquée ici ou là, et j’apprenais alors qu’on t’avait fait l’examen que j’avais refusé le matin même. Cela ne dura pas très longtemps. Anne-Marie, la psychomotricienne de l’hôpital, qui te connaissait déjà, est venue te rendre visite. Je lui ai donc raconté ce qui se passait. Nous nous sommes alors mises d’accord pour qu’elle te prenne en psychomotricité chaque fois que je devrais m’absenter et ce fût beaucoup mieux ainsi. Au bout de quelques jours, quand ta fièvre fut tombée, j’ai signé une décharge avec l’accord de notre pédiatre pour ton retour à la maison. L’interne de service trouvait cela tout à fait irresponsable, car tu toussais à longueur de journée et elle estimait ton état respiratoire critique. Je lui ai alors rétorqué que ta toux était une toux d’angoisse et qu’elle cesserait une fois à la maison. La porte de l’hôpital à peine passée, pas même encore dans la voiture, tu ne toussais plus. Cependant, durant plusieurs semaines, tu restais fort angoissée chaque fois qu’on te mettait sur ton coussin à langer ou dans le bain. Ta deuxième hospitalisation, à l’âge de six ans, fut décidée avec le Dr B. (neuropédiatre), car tu étais en état de mal épileptique depuis deux mois. On avait déjà essayé à la maison tous les anti-épileptiques possibles ; il en restait deux à utiliser en perfusion sous haute surveillance. Nous avions décidé de te faire entrer pour une semaine en soins intensifs. Mais tu y es restée deux semaines qui furent très pénibles. Tu es très vite entrée dans un semi-coma aux effets néfastes. D’abord, on a dû te mettre une sonde gas39
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trique puis, deux ou trois jours après, tu as contracté une salmonellose. Tu souffrais beaucoup de diarrhées très irritantes et une grosse escarre ouverte te torturait. Sortie de ton état comateux, tu te laissais aller, tu ne te battais plus. Le Dr B. nous a demandé une entrevue pour avoir notre avis, à Papa et à moi. Nous lui avons dit que nous ne te trouvions pas bien du tout et que nous doutions de te voir sortir de l’hôpital. Il confirma nos impressions et nous conseilla vivement de faire venir tes frères et sœur pour qu’ils puissent te voir encore en vie. Nous les avons donc amenés un à un à ton chevet, en leur expliquant tout l’appareillage utilisé. Etonnamment, depuis ce jour-là, tu as commencé à remonter la pente. Tes frères et sœur te manquaient. Pensais-tu qu’ils ne voulaient plus te voir ? Ou que nous ne voulions plus qu’ils te voient ? Je ne sais pas. Toujours est-il que je t’ai alors apporté un pêle-mêle avec des photos de chaque membre de la famille. Tu ne le quittais plus des yeux. Nous t’offrions aussi tous les jours des messages enregistrés de tes frères et sœur, pleins d’amour. Cet amour t’a aidée à lutter pour la vie, contre la mort. Au bout de quinze jours, tu es rentrée à la maison. Tu étais mieux. Cependant, tu avais encore ta sonde, de la diarrhée et ton escarre qui te faisait souffrir énormément. Ton état de mal épileptique restait stationnaire. A ton retour, une belle surprise t’attendait. Jean-Marie, un ami, Thérèse, Jonathan et Christophe avaient repeint ta chambre, l’ornant d’un grand Bambi et de tout un décor de forêt. Tu adorais ta chambre, fixant toujours 40
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ton Bambi pour t’endormir. C’est là d’ailleurs que tu as choisi de t’endormir pour l’Eternité. Qu’il est bon de pouvoir rester chez soi, entouré par les siens, quand on est gravement malade.
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Les fêtes
Tu adorais les fêtes. Que ce soit Noël et Nouvel An avec les décorations du sapin, les guirlandes lumineuses, les visites chez les grands-parents où tout le monde se souhaitait une bonne fête. La fête de Saint-Nicolas où tu aimais voir le soir tes frères et sœur s’affairer pour préparer la carotte, le sucre pour l’âne, la bière pour le Grand Saint et les chaussures bien alignées dans le petit hall. Tu sais à quel point ils étaient attentifs à ne pas oublier les tiennes — en Belgique, la tradition veut que Saint-Nicolas et son âne passent aux alentours du 6 décembre, de nuit, pour apporter aux enfants sages jouets et bonbons dans leurs chaussures. Le lendemain, c’était l’émerveillement de chacun en découvrant tout ce qu’il avait apporté et tu rayonnais. Tu te réjouissais plus de cette joie et de ce bonheur palpable que des jouets qu’il t’avait apportés. Tu étais radieuse de voir toute la famille heureuse. A Pâques, tu voyais tout le monde courir partout pour trouver le plus possible de petits œufs. Toi, on te portait et on t’aidait à en prendre l’un ou l’autre aussi. Tu étais toute fière, car tes frères et sœur te félicitaient de tes trouvailles. 43
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Au carnaval, je te déguisais en petit dalmatien ou en clown pour le Centre. Après t’avoir maquillée, j’allais te placer devant le miroir et tu riais. Tu riais aussi de voir les autres déguisés. Vraiment, tu adorais faire la fête. Aux anniversaires, tu étais ravie de faire un cadeau à l’autre, de le rendre heureux. Et tu y parvenais. A titre d’exemple, voici un extrait de ce que ta tante Martine nous a écrit pour tes sept ans (que tu aurais eu peu après ton décès) : « C’est elle [Evelyne] qui a marqué le plus fort mon dernier anniversaire à Pâques, chez les parents, quand les enfants m’ont apporté une rose. C’était pour moi la surprise totale… C’est Evelyne qui m’a donné la première fleur et je l’ai embrassée… moment que je n’oublierai jamais, car le soir même j’avais encore ce beau sourire d’Evelyne en tête. La rose symbolise la vie par sa beauté et ses épines. Je n’oublierai jamais le visage d’Evelyne en me donnant cette fleur, elle avait bon, elle savait que la surprise était réussie, qu’elle me rendait heureuse. Eh oui, elle avait l’art de donner. » C’est vrai, Evelyne, tu avais l’art de donner et tu l’as pratiqué jusqu’à la fin de ta vie ; nous fêtions l’anniversaire de ta tante Martine trois semaines avant ton décès ! Tu aimais beaucoup aussi quand on invitait quelqu’un à la maison. Tu étais là, dans ta voiturette, à la cuisine. Tu me regardais m’agiter pour que tout soit prêt, parfois m’énerver sur tes frères et sœur qui tournaient autour de moi. Toi, tu riais intérieurement. Nous avons, grâce à toi, appris à fêter une multitude de choses, notamment, tes dix kilos. Depuis longtemps, nous voulions inviter le Dr B. et sa famille à la maison. Nous cherchions une occasion et nous lui avons dit que 44
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nous l’inviterions pour fêter tes dix kilos. Ce serait en effet une victoire. Depuis longtemps, malgré ton très bon appétit, ton poids restait inchangé : tu oscillais entre neuf kilos trois cents et neuf kilos sept cents. Nous avions fait plusieurs examens pour voir pourquoi tu ne grossissais pas, mais cela restait un mystère. Notre proposition fit penser au Dr B. qu’il attendrait encore longtemps avant de venir chez nous. Mais toi, quand tu souhaitais quelque chose, tu l’obtenais. Deux mois après notre invitation au Dr B., tu les avais, tes dix kilos. Cette victoire est arrivée au mois d’août 1999. Nous avons donc organisé une grande fête : un apéritif copieux suivi d’un repas fromage. Le Dr B. était là avec sa femme et leurs trois enfants. C’était très gai. Tout le monde était heureux. Et toi, particulièrement, alors que tu n’étais vraiment pas dans une période facile : cette soirée-là, tu n’as pas fait de crise d’épilepsie, tu étais bien présente et tu riais de joie. Le Dr B. n’en revenait pas. Cependant, tu es une vraie coquine car, le mois suivant, déjà tu es redescendue à neuf kilos sept cents. Tu voulais seulement qu’on fasse une fête de plus et peut-être t’arrangeais-tu pour qu’on la refasse une deuxième fois… mais tu n’es plus jamais remontée à dix kilos. Avec toi, tout devenait prétexte à faire la fête. Nous avons donc aussi fêté en famille nos cent mois de mariage de Papa et moi. C’était le 14 janvier 2000. Le 10 janvier, je croyais te perdre dans une toute grosse crise d’épilepsie… et le 14, tu étais avec nous au restaurant où nous mangions une pizza et toi un tiramisu. A nouveau, tu étais radieuse. 45
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Aujourd’hui encore, les moments où tu me manques le plus sont ceux des fêtes. Cette année encore, j’ai eu besoin de courage pour décorer le sapin de Noël. Or je sais que de là-haut tu souhaites vraiment qu’on continue à faire la fête comme avant, même s’il y a un vide dans la maisonnée. Evelyne, je retiens de toi que la fête aide à dépasser les difficultés.
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Le jeu
Comme tous les autres enfants, tu aimais beaucoup jouer. Jonathan l’avait vite compris. A peine put-il marcher à quatre pattes qu’il allait du bac à jouets à ta voiturette, t’en amenant un à chaque fois. Il pouvait faire cela toute une matinée, c’était son passe-temps. Il avait compris que tu ne pouvais pas accéder aux jeux. Tes mouvements et ta force étant limités, tu t’amusais surtout avec des objets instables ou très sensibles produisant facilement des effets « sons et lumière ». Cependant ton excitation ou ta concentration pour le jeu étaient telles qu’au bout de quelques minutes tu partais en crise d’épilepsie. Tu aimais beaucoup aussi les activités interactives. Les jeux de ballons, par exemple, où l’on te maintenait assise et où on t’aidait à faire des passes. Dans la cassette vidéo que le CREB-Solidaritas nous a offerte, on voit à quel point tu avais du plaisir à jouer avec d’autres. Le Centre a vraiment été un cadeau pour toi. Le personnel a passé beaucoup de temps à jouer avec toi et, la dernière année, vu ton état de faiblesse, à te raconter des histoires et à te masser. Un autre souvenir me revient : le jeu de société « Réveille pas Papa » que nous organisions parfois tous en47
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semble : Thérèse, Jonathan, Christophe et toi. Dans ce jeu, il faut actionner un petit réveil qui, tout à coup, fait redresser le papa dans son lit, au moment bien sûr où on s’y attend le moins. A cet instant, tout le monde pouffait, et toi en particulier, tu riais de bon cœur ! Il m’a fallu du temps après ton départ pour sortir à nouveau le jeu de l’armoire. Il y a peu, j’ai joué avec Maximilien et JeanPierre qui riait presque comme toi. Tu aimais aussi beaucoup la télévision. Tu semblais absorbée par celle-ci, comme si les ondes te faisaient un bien fou. Rien ne pouvait alors te perturber. Vu mon allergie aux écrans, je n’avais aucune envie d’introduire une télévision chez nous, privilégiant ainsi le jeu et le bricolage. J’avais peur que la télévision n’étouffe une partie de notre vie familiale. Mais à la fin de ta vie, tu t’épuisais tellement dans le jeu que, le 6 décembre 1999, Saint-Nicolas apporta une télévision pour tous les enfants sages de la maison et il t’offrit une cassette vidéo. Cela fit évidemment la joie de tous : voir Saint-Nicolas leur amener la télévision que Maman ne voulait pas ! Mais le temps consacré à la télévision avait été bien délimité afin de garder de longs moments pour le jeu. Tu aimais aussi la musique, que ce soient des chansons pour enfants, des chants accompagnés à la guitare, des chants d’oiseaux ou la musique classique, notamment Mozart. Aujourd’hui, c’est en sa compagnie que je corrige mon livre. Le jeu est vraiment un moment de relations privilégiées avec les enfants.
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Avec toi, une autre notion du temps
Notre société moderne a l’habitude de courir après le temps. Tout est calculé, minuté, limité. Nous vivons continuellement stressés pour être à l’heure à un rendezvous, pour ne pas être trop long lors d’un entretien… Lorsque tu étais parmi nous, Evelyne, tu nous as obligés à mettre cette notion du temps entre parenthèses. Notre famille a dû se mettre à ton rythme. Je ne pouvais pas prévoir tes heures de repas ou de bain, ne sachant pas si à ce moment-là tu serais éveillée ou endormie. Je ne pouvais pas prévoir le temps que durerait ton repas : une crise d’épilepsie au milieu m’obligeait à te donner à manger en deux temps, pour te permettre de récupérer. Le matin, tu devais être prête quand le bus du Centre venait te chercher. Mais les éducateurs du CREB savaient bien que cela variait d’un jour à l’autre. Tu pouvais avoir eu ou non le petit-déjeuner. Tout était fonction de toi. Des projets de week-ends ou vacances en famille, nous en faisions. Nous savions cependant qu’il était fort possible qu’on doive tout annuler en dernière minute à cause, par exemple, d’un pic de fièvre avec début de pneumonie. 49
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M’engager pour des activités régulières durant la journée était exclu, car j’aurais dû trop souvent les manquer. Excepté pour les vacances, cela ne m’a pas vraiment pesé. J’avais pris le pli d’aller rendre visite à l’improviste à l’une ou l’autre personne, de m’offrir à l’occasion de petits plaisirs. C’était gai, je vivais avec une autre notion du temps, j’étais devenue philosophe. Aujourd’hui, j’ai repris des engagements, une vie plus régulière, des horaires à respecter… et je réalise à quel point ce rythme de vie me fatigue. J’ai le sentiment de subir plus de contraintes et de frustrations lors de contretemps. Quand je m’essouffle à courir après le temps, je pense à toi, Evelyne, et je te prie de m’aider à redevenir plus philosophe. Je pense que c’est le début de la sagesse. Si nous prenions le temps de vivre ?
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La famille de Paix et d’Amour que tu nous as offerte
Grâce à toi, notre famille était différente des autres familles. Je n’ose pas dire meilleure (même si au fond de moi, je le pense), car il ne m’est pas donné de juger, ni de vexer les autres. Vraiment, tu nous as permis de vivre la paix. Chaque fois qu’il y avait dispute ou tension entre l’un ou l’autre membre de notre famille, tu étais la confidente chez qui un des plaignants allait se confier, se consoler et retrouver la paix. Depuis ton départ, les conflits entre tes frères et sœur me paraissent souvent insupportables et fatigants ; les amis me rétorquent alors que je connais enfin une famille normale. Tu demandais beaucoup de temps, de soins et ta santé nous procurait bien des angoisses, mais je ne suis pas sûre que ta présence était plus fatigante pour moi. Maintenant, je dépense beaucoup d’énergie à gérer les différends. Tu étais un puits d’amour, une source de paix où chacun pouvait aller se désaltérer quand il en avait besoin. Tu étais aussi très accueillante. Je n’oublierai jamais ta façon d’accueillir ton papa quand il rentrait du travail. Tu reconnaissais son pas et, où que tu sois — à la cuisine dans ta voiturette ou au salon, sur ton tapis — ne sa51
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chant ni te déplacer ni parler, tu toussotais jusqu’à ce que papa vienne te dire bonjour. Tu le recevais alors avec tes yeux pleins de vie et d’amour. Ton papa disait même souvent : « C’est encore Evelyne qui m’accueille le mieux quand je reviens du boulot. » Bien sûr, tu étais comme ça quand tu n’étais pas accablée par la maladie (infections respiratoires, crises d’épilepsie répétitives…). Autant nous, nous recevions de toi amour et paix, autant toi, tu trouvais dans tes frères et sœur ta force de vie. Lorsque tu as eu deux ans et demi, le pédiatre a prédit que tu ne passerais pas le cap des trois ans. Tu étais comme le petit oiseau tombé du nid, prêt à être dévoré par le chat, disait-il. Cela nous a causé un choc, mais nous a permis d’avancer. Très vite, j’ai acheté dans une librairie des livres pour enfants parlant de la mort d’un frère ou d’une sœur. Je voulais préparer ta grande sœur Thérèse à ton départ plus ou moins proche. Je me suis procuré les deux livres de Calinou. Je vous les ai lus et relus jusqu’à ta mort. C’est à ce moment-là que ton papa et moi avons décidé de faire un week-end de retraite chez Jean Plissart, un prêtre déjà fort âgé qui avait formé une petite communauté avec des laïcs, à Bruxelles. Notre but était de préparer ta messe de funérailles, de trouver une ligne de conduite, quelques textes et chants. Jean Plissart était très étonné de notre démarche. Mais pour nous, il était important que ta messe d’au revoir soit belle. Elle a été magnifique grâce aux talents de Jean-Marie, Geneviève, Dominique et Katinka qui ont tout mis en œuvre pour que la musique soit parfaite et vivante. Merci à eux ! Ta grande sœur Thérèse a même fait sa première commu52
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nion ce jour-là. Pour elle, tu étais ainsi présente à cette célébration. Quant à Jean Plissart, il est mort avant toi, ayant préparé lui aussi sa messe suite à ce week-end passé ensemble. Toi, tu as fait ton petit bonhomme de chemin, câlinée un maximum par Thérèse. Elle adorait se coucher sur le tapis bleu à tes côtés, te prendre sur elle, te caresser la main. Jonathan et Christophe prirent aussi l’habitude de te caresser la main. Nous avions alors parfois des disputes. Tu n’avais que deux mains et le dernier arrivé devait se contenter du pied. Tu prenais beaucoup de plaisir à ces témoignages d’amour. Ton petit frère Maximilien ne t’a connue que onze mois, les onze mois où ta santé se dégradait de plus en plus. Tu allais de moins en moins au Centre. Tu devenais sa partenaire de jeu à la maison puisque les autres étaient à l’école. Lui aussi aimait jouer près de toi sur le tapis bleu, assis ou couché à tes côtés. La station debout ne l’intéressait pas. Il ne marchera d’ailleurs qu’à dix-neuf mois. Voulait-il rester à ta hauteur ? Tu réussis ainsi à vivre parmi nous jusqu’à tes six ans et neuf mois au lieu des trois ans prédits. L’amour fait vivre !
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Ton regard d’amour qui relevait
Tu regardais non seulement avec tes yeux mais aussi avec ton cœur. Tu voyais les gens, tu les comprenais, tu les aimais et tu les relevais. Je me souviendrai toujours, par exemple, de Fernand. Quand tu avais six ou huit mois et que tu regardais Fernand depuis ton relax placé derrière lui, il se sentait mal à l’aise et nous disait : « Cette petite a un regard qui transperce ». Et il avait besoin de se trouver face à toi. Plus tard, il y eut cette fille maniaco-dépressive, éventuelle candidate pour la communauté que nous souhaitions réaliser. Elle était arrivée en pleine phase maniaque, alors que tu étais au Centre. Elle avait besoin de bouger, besoin de se rendre utile. Après avoir plié du linge avec moi, fait toute la vaisselle, elle me demanda ce qu’elle pouvait encore faire. Elle ne tenait plus en place, était de plus en plus nerveuse, prête à exploser. Je cherchais à l’occuper. A ce moment-là, tu es rentrée du Centre. Je t’ai amenée dans la cuisine. Elle t’a regardée, tu l’as regardée. Elle s’est assise, complètement soulagée et détendue, puis m’a demandé si elle pouvait aller dormir. Ton regard d’amour seul l’avait apaisée. Quel soulagement pour moi aussi, car je ne savais vraiment plus comment canaliser ce bouillonnement. 55
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Et Dylan, ce petit copain de la classe de Thérèse. Nous l’avions accueilli quand sa maman était en maternité. Il devait avoir quatre ou cinq ans. Par décision du juge, son papa ne pouvait avoir sa garde. Il pouvait seulement venir le chercher pour l’emmener rendre visite à sa maman. Chaque fois que le papa nous le ramenait le soir, c’était la crise de larmes, jusqu’à la crise de nerf. Dylan ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas rester avec son papa. Après un moment, il se calmait un peu et demandait à te voir. Tu dormais déjà mais nous le lui permettions. Nous montions dans ta chambre, il te voyait deux minutes, puis me demandait d’aller dormir. La nuit se passait bien et le lendemain, il était heureux d’être chez nous et de te voir éveillée. Il y a aussi Jean-Marie, Chantal, Lucie. Tous les trois ont un passé difficile et par moments tombent moralement très bas. Quand ils te voyaient, un regard suffisait à les redresser, à les relever, à les relancer. Ils ont eu, chacun, un passage à vide après ton décès avant de trouver une aide ailleurs que chez leur petite Evelyne. Je ne peux évidemment pas oublier Maria, une amie qui nous accueillait toujours très chaleureusement pendant les vacances au gîte de Cens, un petit village des Ardennes. Tu adorais aller là-bas. C’était extraordinaire : quand nous arrivions à Wembay, le village voisin, même si tu dormais dans la voiture, tu te réveillais et tu riais, comme si tu savais que nous arrivions chez Maria. Bien des fois, tu m’as étonnée par ta mémoire des lieux. Très accueillante, Maria avait le cœur sur la main, mais, malheureusement, elle était dépressive depuis des années. En juillet 1994, lorsque nous avons fait sa connaissance, 56
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tu avais 11 mois. Elle a craqué pour toi. Cet été-là, il faisait très chaud et tu supportais mal la chaleur. Quand je voulais aller me promener, elle me proposait de te garder au frais, à l’intérieur. Elle te donna aussi ta première tartine et ne l’oublia jamais. Nous avons séjourné plusieurs fois à Cens, et Maria est venue quelquefois à Bruxelles avec sa petite fille, devenue une grande amie de Thérèse. Le 19 mai 2000, Maria me téléphona en pleurs. Elle avait appris ton décès mais elle n’avait pas pu, malgré son désir, assister à tes funérailles. Elle me confia que c’était pénible pour elle, car tu l’avais aidée plusieurs fois à remonter la pente. Maintenant elle se sentait perdue et ne cessait pas de pleurer au téléphone. Le lendemain, sa fille Claire me téléphona pour m’annoncer que Maria était décédée d’une crise cardiaque durant la nuit. Elle avait essayé de la réanimer mais il n’y a rien eu à faire… Maria te rejoignait pour l’éternité tout juste deux semaines après ton départ. Elle avait encore pris le temps, après le coup de téléphone, de faire un virement pour le CREB-Solidaritas au profit de tous tes compagnons. Evelyne, de ton regard d’amour, tu en as relevé, des personnes !
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Un amour partagé
Tu n’as eu qu’une seule fois l’occasion de rencontrer notre ami Claude. Tu l’as marqué. Il m’a dit : « Ta fille, tout était dans le regard. Elle m’a regardé et dans ce regard elle me demandait de l’aimer. Puis, quand elle sentait que vraiment je l’aimais comme elle était, alors tout allait bien. Elle retournait à ses occupations regardant à gauche, à droite, suivant ce qui se passait autour d’elle. Elle m’a regardé comme cela trois fois, avec ce regard vrai, authentique, me demandant de l’aimer. C’est comme si pour elle, c’était ce qui lui permettait de vivre. Oui, ce regard, je ne pourrai pas l’oublier. » J’ai demandé à Claude si, pour lui, ton regard était comparable à la question que Jésus pose trois fois à Pierre : « M’aimes-tu ? » « Non », me dit tout de suite Claude, « Evelyne, c’était Evelyne avec son regard d’amour. Il ne faut pas vouloir en faire un Dieu. » Pourtant, pour moi ta maman, ta relation aux hommes était comparable à celle du Christ. Ce regard interpellant que l’on peut traduire par « m’aimes-tu ? », tu l’avais pour chacun. Si tu sentais que la personne n’était pas prête à t’aimer comme tu étais et à se laisser toucher par ton amour, alors tu continuais ta route sans t’en soucier. Par 59
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contre, si l’autre se montrait complice, une longue histoire d’amour commençait pour ne plus jamais se terminer. Tu avais l’art de toucher les gens dans leur fragilité, leur pauvreté. Mais ceux qui se suffisaient à eux-mêmes, tu les laissais faire leur chemin sans toi. Tu avais compris que l’homme est libre et tu ne voulais pas entraver cette liberté. Ce qui te faisait vivre, c’était cet échange d’amour. Elle avait raison, Sonja, l’infirmière en soins palliatifs, qui disait qu’avec tout l’amour que tu as donné, tu n’aurais pas pu vivre plus longtemps. L’occasion m’est donnée ici de remercier Sonja, cette personne si précieuse, qui nous a permis de vivre tes quatre derniers mois en paix avec nous-mêmes. Au bout du chemin, il y a la source inaltérable d’Amour permettant de continuer sa mission de plus loin.
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La tendresse
Tu m’as aussi appris ce qu’est la tendresse. Jusqu’à ton arrivée, le toucher, la caresse étaient pour moi des gestes interdits ou en tout cas très intimes, réservés à la vie conjugale. Petite, j’aimais aller sur les genoux de mon papa, mais lui ne me prenait pas spontanément et je n’aurais pas osé le demander. Très souvent, je faisais des demi-grippes, comme il disait, de petits accès de fièvre, sans plus. A ces moments-là, comme je n’arrivais pas à bien mettre le thermomètre, il me prenait sur ses genoux et me serrait très fort. J’étais bien et je me souviens du plaisir que j’avais à humer ses mains moites à l’odeur de cigarette. Aujourd’hui, je soupçonne que ce n’était pas sans motif que, petite, j’avais souvent un peu de fièvre. Je n’en veux pas à mon papa : je pense qu’il me donnait déjà plus de tendresse qu’il n’en avait reçu dans son enfance. A notre mariage, ton papa a vraiment dû m’apprivoiser pour me donner et recevoir un amour simplement tendre. Grâce à toi, j’ai compris l’importance de la caresse, du toucher dans la relation. Cela fait du bien, réchauffe, réconforte. Toi, comme tu ne savais ni parler ni marcher, 61
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je t’ai très vite caressée spontanément, sans gêne. Cela faisait partie de notre relation. Lorsque tu étais fort accablée par la maladie ou dans le coma, je te faisais également des massages pour te relaxer et te redonner du bien-être et une certaine énergie. C’est Geneviève qui m’avait conseillé et appris cette technique de massage, appelée massage schantala. Au Centre également, on t’en faisait quand tu n’étais pas bien. Aujourd’hui, j’utilise cette technique pour tes frères et ton papa quand ils ne se sentent pas bien ou ne trouvent pas le sommeil. Tes petits frères, je les ai tous beaucoup massés et caressés lorsqu’ils étaient bébés, surtout après le bain. Maintenant encore, il leur arrive de venir sur mes genoux me demandant de leur caresser le dos, surtout Christophe et Jonathan. Ce qui me fait sourire, c’est qu’il n’est pas rare que mon papa, ton bon-papa, les caresse lui aussi, surpris du plaisir qu’ils en retirent. Cette pratique, je ne l’ai malheureusement pas vécue avec Thérèse, ta grande sœur. Je pense qu’elle en souffre encore aujourd’hui. Elle ne supporte pas qu’on la masse. Avec toi, elle trouvait ce plaisir. C’est peut-être ce qui lui manque le plus depuis ton départ. Deux ans plus tard, elle me disait encore : « Tu te souviens, Maman, chaque fois qu’Evelyne rentrait du Centre, j’allais près d’elle et je caressais sa main. Elle avait la peau douce. Je suis triste qu’elle ne soit plus là. » La tendresse, elle la vit aujourd’hui envers les animaux. Témoigner notre tendresse à notre prochain fait tellement de bien.
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La Nature, cette merveilleuse création
Deux ans après ton départ, nous avons acheté un hectare de bois à Seilles. Nous y passons souvent le weekend. Nous sommes là en pleine nature. Je ne peux m’empêcher alors de penser à toi qui puisais une telle force de vie dans la nature. Quand tu ne la rencontrais pas dans l’amour des hommes, tu la trouvais là et, en particulier, dans les arbres. Quand tu avais un arbre devant toi, tu étais comme tout entière absorbée par celui-ci. Plus rien ne pouvait te perturber, il ne fallait plus rien te demander. Chez Françoise, ta première kiné, si on t’installait devant une fenêtre donnant sur un arbre, c’était rapé. Tu ne coopérerais à aucun des exercices proposés, ton regard restait fixé à l’arbre. Tu y trouvais une force. C’était comme si tu en buvais la sève. Là, tu m’as ouvert les yeux, car, bien qu’aimant la nature, je suis une citadine plus habituée au béton qu’à la forêt. Je n’étais certainement pas assez attentive à ce merveilleux cadeau que Dieu nous offre chaque jour par sa création. Aujourd’hui, j’y veille davantage mais il me reste du chemin à parcourir pour y recourir naturellement, comme à une source quand on a soif. 63
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Notre ami Jean-Marie m’a souvent parlé de ce besoin qu’il a, en période difficile, d’aller en forêt enlacer un arbre pour se « ressourcer ». Ton papa, lui, va à Seilles quand il veut se déstresser, se ressourcer. Il s’y sent vraiment bien. Alors, je pense à toi qui n’avais d’yeux que pour l’arbre. Oui, j’ai encore à cheminer pour découvrir la vraie richesse de la création. Je suis très heureuse de savoir que, là où tu reposes, tu es entourée d’arbres et d’oiseaux qui m’accueillent aussi quand je viens me renouveler auprès de toi. Le jour où l’on suivait ton cercueil jusqu’à la plaine où tu reposes, je me souviens avoir dit aux enfants : « Ecoutez comme les oiseaux chantent… » Cette force de la nature, tu l’as transmise à Thérèse qui, en contact avec un cheval du manège ou avec son cobaye, retrouve la même paix et la même sérénité que quand elle te caressait la main. Elle réalise combien cela lui fait du bien. Jonathan, lui aussi, s’épanouit pleinement dans la nature. Il adore grimper dans les arbres et observer les fleurs et les oiseaux. Il se sent bien au milieu d’un champ de pommes de terre ou de blé, ou quand il va à la ferme. Nous laissons-nous toucher par cette belle création offerte gratuitement ?
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Tant de souffrances la dernière année. Pourquoi ?
Lors d’une veillée pascale, le prêtre disait : « La souffrance n’a de sens que si elle donne vie. » Cette phrase a été importante pour moi, car elle éclairait les dures souffrances de ta dernière année de vie. Souffrances liées à l’épilepsie, aux convulsions, aux apnées de plus en plus fréquentes qui t’épuisaient et te vidaient de toute énergie, parfois pendant plusieurs jours. Les traitements, eux, étaient tellement forts pour ton petit corps si frêle, que plus d’une fois, tu es entrée en coma. Cela entraînait un sondage gastrique et des problèmes d’escarres très douloureuses, malgré tous les efforts de prévention mis en œuvre (changements de position, massages réguliers, matelas à eau, peau de mouton…). De plus, ta vie était rythmée par des pneumonies avec de fortes fièvres et des quintes de toux impressionnantes dont nous pensions souvent que tu ne sortirais plus. Durant tes aérosols et ta kiné respiratoire trois à quatre fois par jour — et la nuit aussi pour certaines pneumonies — tu avais un regard que je ne peux pas oublier, regard d’épuisement, de détresse mais, en 65
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même temps, plein d’espoir, de courage et de reconnaissance. Ces séances de kiné étaient épuisantes pour toi mais tu étais courageuse, tu coopérais du mieux que tu pouvais. Il y avait aussi l’hypoglycémie qui demandait une collation entre chaque repas. Sur une journée, je passais un temps considérable à te donner à manger : plus ou moins quatre fois une heure par repas, plus trois fois une demi-heure par collation. Il fallait aussi vingt à trente minutes le soir pour t’aider à aller à selles : depuis longtemps déjà, tu n’avais plus la force physique nécessaire pour y parvenir seule. Il y avait bien sûr aussi le bain, moment de bien-être sacré pour toi, les temps de câlins et tous les autres soins. Et cela presque tous les jours car, la dernière année, vu ton état de fatigue, tu n’allais quasi plus au Centre. Tu n’y tenais pas plus de deux jours d’affilée. Pour moi aussi, cette période a été très pénible. D’abord je te voyais trop souffrir. Ensuite, en ajoutant au temps passé pour tes soins le stress de ne pas te revoir vivante après une grosse crise d’épilepsie ou une grosse quinte de toux, c’était trop. J’avais le sentiment de ne plus vivre que pour toi et par conséquent de négliger ta sœur, tes trois petits frères et même ton papa. Heureusement, nous avons reçu beaucoup de soutien du Dr F. (notre médecin de famille), du Dr B. (ton neuropédiatre), de Sonja (infirmière en soins palliatifs), ainsi que de toute l’équipe du Centre et de Geneviève, Jean-Marie, Chantal et Malika (des amis). Pendant cette période, j’ai souvent demandé au Seigneur de te reprendre, de te soulager de tes souffrances 66
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qui devenaient tellement insupportables pour tout le monde. Plus d’une fois, j’ai pensé que ta vie parmi nous n’avait plus de sens. J’étais révoltée, ne comprenant pas ce que Dieu attendait. Lorsque tu es partie, j’ai compris. Souvent, je t’avais dit que Papa et moi souhaitions six enfants mais que, si tu partais avant la réalisation de ce souhait, nous ne resterions qu’avec vous cinq, car je désirais que tu connaisses tous tes petits frères. Tu as donc attendu que je sois enceinte de sept semaines du petit sixième pour te laisser aller. Ce fut un merveilleux cadeau pour nous et je reste émerveillée du courage que tu as eu de lutter pour nous permettre de réaliser notre rêve de couple. Quel beau cadeau d’amour et de reconnaissance tu nous as fait là ! Quelle belle leçon de courage et de générosité aussi pour le reste de notre vie ! Merci Evelyne !
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Quand la souffrance devient insupportable…
En relatant cette dernière année de ta vie, un fait me revient comme une gifle. Néanmoins, je m’étais promis que si un jour j’écrivais un livre à ton sujet, je devais, par honnêteté et souci de vérité, te l’avouer. C’était en juillet 1999, nous étions à Langdorp, un village près de Bruxelles où mon frère et ma belle-sœur possèdent un chalet en pleine nature. Ses nombreuses fenêtres nous permettent d’observer les arbres, les écureuils, les oiseaux. Ainsi, tu profitais tout de même de la nature lorsqu’il faisait trop chaud, trop froid ou trop humide pour sortir. Tu aimais beaucoup y aller et la proximité de Bruxelles était précieuse pour les périodes où tu n’étais pas bien. Merci encore à mon frère et à sa femme pour ces vacances à Langdorp où nous goûtions un dépaysement total et beaucoup de plaisir à proximité de chez nous. Cet été-là, nous nous attendions à ce que ton état de santé soit pénible. Depuis plusieurs années, le mois de juillet était difficile. Cette fois, ce fut horrible ! Tu faisais crise d’épilepsie sur crise d’épilepsie, une vingtaine par jour, sans compter la nuit. Tu étais si épuisée que tu ne savais plus ni manger, ni boire. Il faisait chaud. Au bout de 69
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deux jours sur place, tu es entrée dans un semi-coma. Papa t’a emmenée voir en urgence le Dr B. : tu étais entrée en état de mal épileptique (activité épileptique constante constatée à l’électroencéphalogramme) et c’était très mauvais pour toi. On te sonda pour te nourrir et t’hydrater. C’était ton premier sondage gastrique, toi qui prenais tant de plaisir à manger, même si c’était toujours très lent. Et là, il y a un mystère que je n’ai jamais éclairci. Alors que, depuis longtemps déjà, tu devais manger des plats mixés et prendre tes liquides épaissis pour ne pas faire de fausses déglutitions, il y a une chose que tu as pu ingérer jusqu’au bout sous sa forme normale, c’est le couscous de Malika ! C’était encore plus lent que d’habitude, mais quel plaisir tu avais à le savourer et ce sans fausse-déglutition ! Nous avons aussi dû accentuer ton traitement antiépileptique, mais celui-ci était tellement fort qu’il t’amena dans un coma réel. Ainsi, le lendemain, nous repliions bagages pour Bruxelles. Après quatre jours, les vacances se terminaient pour nous tous. L’angoisse de te perdre était si grande que nous avons, avant de rentrer, pris le temps de faire des photos de vous cinq. Toi, comateuse et sondée dans les bras de Thérèse, Maximilien (qui avait un mois) dans les bras de Jonathan et Christophe. Nous redoutions que le voyage te soit fatal et que nous n’ayons aucune photo de vous cinq. Ton état de santé s’était encore tellement dégradé que c’était devenu insupportable pour moi. Je me souviens avoir dit à ton papa : « Si au mois de juillet prochain son état de santé est encore pire, je lui donne une double 70
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dose de médicaments et je mets fin à tant de souffrances. Je n’en peux plus. » J’en étais au point d’envisager l’euthanasie. Quand j’y repense, cela me fait très mal et pourtant, à ce moment-là, je ne voyais pas d’autre issue pour tenir le coup. C’était trop dur pour moi de te voir tant souffrir et de me sentir complètement impuissante, de te savoir condamnée et de me dire que tout ce que je faisais n’était que te prolonger de quelques mois. Et ces quelques mois, qu’amèneraient-ils ? Depuis ce jour, je me suis jurée de ne plus jamais juger quiconque euthanasie un être bien-aimé de toute façon condamné. Ce n’est pas pour cela que j’approuve, mais comment se permettre de juger quelqu’un qui est confronté à l’insupportable vingt-quatre heures sur vingt-quatre, qui est impuissant devant la souffrance extrême d’un être cher. Ce qui m’a personnellement aidée, c’est d’abord la loi qui interdit l’euthanasie des enfants… heureusement ! Ensuite, ton état, Evelyne, qui évoluait en dents de scie. Tu étais tellement battante et tu aimais tellement la vie qu’au mois d’août, après avoir été si mal le mois précédent, tu étais rayonnante pour fêter tes 6 ans et tes dix kilos. A peine croyable ! En septembre, tu étais de nouveau à deux doigts de la mort, en soins intensifs. Ce fut ainsi jusqu’au mois de mai où tu pris le grand envol. C’était comme si tu voulais nous laisser le temps de nous faire à l’idée de ton départ, comme si tu nous donnais de l’espace pour récupérer moralement. Dans dans les moments les plus pénibles, la présence de ton papa, qui a tout vécu à mes côtés, a été capitale, 71
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comme l’a été celle des Dr F. et B., de Sonja, de l’équipe du CREB, de Jean-Marie et Geneviève qui se sont faits tout proches. A eux tous vont mes remerciements, car je leur dois d’avoir pu t’accompagner plus sereinement jusqu’au jour où tu as souhaité partir. Cela m’a montré l’importance d’accompagner le mourant jusqu’au bout, jusqu’à son dernier jour, jour qu’il choisit lui-même. Evelyne, dans tes deux derniers mois de vie et même dans tes derniers jours, tu as fait tant de cadeaux, tu as laissé tant de messages à ceux qui t’entouraient que je crois sincèrement qu’il ne nous est pas permis de décider à la place de celui ou celle qui s’en va qu’à un certain moment, sa vie ne compte plus et qu’il n’a plus rien à communiquer. Afin que le lecteur ne croie pas que ces messages que tu as livrés en fin de vie à l’une ou l’autre personne sortent de mon imaginaire, je lui livre quelques extraits de lettres reçues à ton départ. Le jour de ton décès, quelqu’un écrivait à ton sujet : « Hier, dans le bus, tu nous as souri et regardés de ce sourire et ces regards qui en disent long. » « L’amour qui émanait de tes yeux, de ton sourire, de tout ton visage ce mardi m’a beaucoup touché comme beaucoup de ceux que tu as rencontrés » ; c’était quatre jours avant ton envol. Il y a aussi l’anniversaire de ta tante Martine, trois semaines avant ton décès (relaté au chapitre 9). Beaucoup d’autres personnes m’ont encore exprimé (sans me l’écrire) l’incroyable regard d’amour que tu avais eu pour eux la dernière fois qu’ils t’avaient vue.
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Je pense que tu savais que tu allais bientôt quitter cette terre et tu as pris le temps de dire au revoir et merci à chacun. Je suis profondément reconnaissante envers tous ceux qui m’ont aidée à t’accompagner jusqu’au bout de ta vie. Je souhaite qu’un jour, toute personne tentée par l’euthanasie comme seule issue à la souffrance d’un mourant puisse trouver aide et réconfort chez ses proches. Laissons-nous toucher par la détresse des autres. Nous serons récompensés par cette personne proche de la mort qui aura déjà tellement mieux perçu que nous ce qu’est la Vraie Lumière.
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De ton grand envol à ta célébration d’adieu
Le 5 mai 2000, tu as vécu une journée rayonnante. Comme l’indiquait le cahier du CREB à ton retour, il y avait longtemps tu n’avais plus eu une aussi bonne journée (bien présente, sans crise et tout sourire). Le soir, Papa et moi sommes allés au restaurant avec Jean-Marie et Geneviève. La baby-sitter t’avait trouvée très bien aussi. A notre retour, tu dormais paisiblement. Mais la nuit, toutes les heures, un rêve, toujours le même, me réveillait : je t’entendais m’appeler. J’essayais de me raisonner. D’abord tu ne parlais pas et de plus, tu avais été très bien toute la journée. Je pouvais cette fois dormir en paix… Mais le samedi 6 mai, quand je suis venue te chercher dans ta chambre, toute illuminée déjà par le soleil, tu étais bleue, hypertendue, affreuse ! Tu faisais une toute grosse crise d’épilepsie et j’ai compris que c’était la dernière. Je t’ai prise dans les bras, je t’ai juste dit : « Evelyne, c’est ton heure, tu peux y aller. » Tu t’es détendue, tu as repris un teint normal, tu étais sereine. C’était fini. J’ai appelé ton papa. Le 10 janvier, j’avais déjà cru te perdre lors d’une crise identique. Là, je t’avais secouée et je t’avais dit : 75
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« Non, Evelyne, pas aujourd’hui, je ne suis pas prête. » Et très, très, très lentement tu étais revenue à toi. Mais ce 6 mai, j’étais prête et je t’ai donné la permission. Thérèse n’était pas là. Elle avait passé la nuit chez sa marraine. Nous l’avons immédiatement avertie et elle est vite arrivée. De même, nous avons tout de suite prévenu le Dr F., le Dr B. et Sonja. Tous les trois vinrent rapidement. Le Dr F., arrivé le premier, constata le décès. Ce qui est formidable, c’est que ces trois personnes qui avaient tellement collaboré à ton bien-être, sans s’être jamais vues, se retrouvaient là autour de toi. Quand Thérèse est arrivée, elle t’a prise dans les bras et elle m’a dit : « Maman, j’avais peur de la voir morte mais en fait, elle est aussi belle qu’avant. Elle n’a pas changé. » Tes petits frères n’ont pas réalisé ce jour-là que c’était vraiment fini : tu étais trop belle… Ils t’ont tous prise dans leurs bras. Ensuite, Jonathan et Christophe sont partis jouer chez le Dr B. qui a spontanément proposé de les prendre chez lui pour la journée. Ce grand spécialiste, modestement, vivait les événements avec nous. Thérèse voulait rester. Au moment de la toilette mortuaire faite avec Sonja, elle a demandé de pouvoir te donner le bain et choisir tes vêtements : « Ce sera la dernière fois », dit-elle. Elle a pris plaisir à te laver les cheveux, te caresser encore et nous aider à t’habiller avec la belle petite robe qu’elle t’avait choisie. Puis, à l’arrivée des pompes funèbres, ton papa t’a descendue au rez-de-chaussée et tu as reposé au salon jusqu’au mercredi. 76
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La nouvelle s’est vite répandue. Du samedi matin au mercredi, jour de la célébration, les gens n’ont pas cessé de défiler pour te voir une dernière fois. De neuf heures du matin à vingt-deux heures, ils affluaient de tout horizon. La porte de la maison restait même ouverte, facilitant l’accueil pour cette dernière visite. Je remercie Malika et sa fille Fatima qui, inlassablement, préparaient et servaient thé et biscuits aux visiteurs. Fatima, en se chargeant de l’accueil, nous a même permis d’aller de temps en temps souffler à l’étage. Tes frères et sœur ont été pris en charge chaque jour par des amis, des voisins, leur permettant ainsi de se distraire. Ces jours-là, les fleurs et les plats nous tombaient du ciel. Je n’ai pas dû cuisiner et nous avons eu trop à manger pour nous et nos visiteurs. Nous avons même dû, à regret, jeter certains restes. Nous avons aussi bien été aidés pour toutes les formalités administratives. Du lundi au mardi, notre amie Evelyne a également veillé sur toi, toute la nuit, dans la prière. Le mardi en fin d’après-midi eut lieu la mise en bière. De la famille, seul Papa y a assisté, accompagné de Jean-Marie. Papa était le garant des souhaits de tes frères et sœur. Oui, tu aurais auprès de toi les nounours et les dessins qu’ils te destinaient ainsi que ta gourmette. Car, comme disait Jonathan (cinq ans), il fallait te mettre un trésor brillant pour que tu n’aies pas peur dans le noir, une fois le cercueil fermé. Le soir, nous avons fait une veillée de prière essentiellement destinée à ceux qui ne pourraient pas venir le lendemain à la célébration d’adieu. 77
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Puis est arrivé ce mercredi 10 mai qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. La célébration, présidée par ton parrain, fut magnifique, festive et remplie d’espérance, comme je la voulais pour toi ! Car, un jour, nous serons tous « revivants près de toi », comme disait ton petit frère Christophe (trois ans et demi). Je n’entre pas dans les détails de cette messe d’une heure et demie. Je souhaite seulement te rappeler ce magnifique chant d’entrée : Qu’il est formidable d’aimer Qu’il est formidable Qu’il est formidable d’aimer Qu’il est formidable de tout donner pour aimer. C’était toi ! Ta vie ! Et ce chant de sortie : Ne rentrez pas chez vous comme avant Changez vos cœurs Chassez vos peurs Vivez en homme nouveau. Voilà le message que tu nous laissais, que tu lançais dans cette église bondée d’amis venus te dire « à Dieu ». Tu as rassemblé, ce jour-là, autour de toi, des amis chrétiens, musulmans, bouddhistes, athées d’horizons différents, nous rappelant que l’amour est plus grand que nos différences, plus grand que la mort. Au cimetière, après un moment de prière, pour ta deuxième naissance, nous t’avons, bien entendu, chanté « L’enfant au tambour »… Evelyne, Evangéline, Image d’Evangile, tu portes bien ton nom.
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« Vivez en homme nouveau »
Ton histoire, Evelyne, ne s’arrête pas avec ta mort le 6 mai 2000. A la maison, dans les heures qui ont suivi ton décès, quelques ampoules ont éclaté, deux chauffe-eau sur trois ne fonctionnaient plus. Des signes venaient nous montrer que nous perdions une certaine chaleur, une certaine lumière terrestres. Tandis que toi, de plus loin, tu es encore là, tu te manifestes. N’empêche qu’après ton décès, ce fut pénible pour moi. Il y avait un grand vide. Ma vie était à réorganiser, à recréer. Pourtant, je m’étais depuis longtemps préparée à ton départ. Par contre, je n’avais pas pensé que je verrais moins ou plus du tout des personnes rencontrées régulièrement grâce à toi. Pour moi, c’est là que le vide était le plus grand. Car ces personnes étaient, pour la plupart, d’une grande profondeur, d’une grande simplicité et vivant essentiellement d’amour. Ces rencontres étaient très vraies et m’étaient très enrichissantes. J’avais l’impression que mon nouvel entourage était « creux », qu’il manquait de profondeur. Même les personnes que je rencontrais régulièrement avant ton départ et que j’ai continué à voir par la suite me semblaient différentes. Comme si, par ton absence, tout devenait su79
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perficiel, que les relations changeaient, qu’une distance s’établissait. J’en ai fait une forte dépression, une année environ après ton décès, n’ayant plus le goût de vivre dans ce monde principalement centré sur le « paraître ». J’ai remonté la pente grâce à un suivi psychologique. De plus, toi, Evelyne, tu nous as fait plusieurs signes, comme par exemple ta photo au cimetière. Nous l’avions placée sur ta tombe, dans un petit cadre. Lors d’une de nos visites au cimetière, nous avons constaté que le cadre n’était pas étanche et que la pluie t’avait complètement défigurée. Mais, ton papa et moi, nous étant penchés sur la photo, nous nous sommes regardés, surpris de ce qu’on y voyait. A la place de ton visage, nous distinguions l’image de Marie, Joseph et Jésus : l’image de la Sainte Famille. Nous avons été très émus et avons gardé la photo dans notre chambre, avec l’idée qu’elle se transformerait peut-être encore avec le temps. Mais l’image reste identique. Evelyne, tu es aussi venue me visiter plusieurs fois dans mes rêves. La première fois, tu étais vraiment heureuse. Tu chantais, tu dansais, tu respirais le bonheur et disais : « Tu vois, Maman, je suis bien maintenant. » Une autre nuit, dans mon sommeil, je te sentais là, couchée entre Papa et moi. Tu étais à la fois vivante, là, entre nous, respirant et nous parlant. Mais en même temps, je savais que tu n’avais plus besoin de soins terrestres et que tu allais repartir. C’était pour moi ton corps spirituel qui était présent. Tu étais là entre nous et tu me disais de ne pas m’inquiéter pour ton petit frère Jean-Pierre. Celui-ci présen80
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tait de gros problèmes respiratoires (asthme et grosses quintes de toux dont il ne sortait pas) alors qu’il n’avait qu’un mois. Tu me disais qu’il allait aller très mal mais qu’à chaque fois je devrais « le mettre beaucoup sur toi », en ta présence, et ainsi il guérirait. Ce que je fis et ses problèmes respiratoires se sont résolus. Mais, à l’âge de huit mois et demi, il a fait une grave péritonite. Il était gris et avait 41,5 °C de fièvre. Je me suis rappelée tes paroles et en l’emmenant à l’hôpital, je lui ai beaucoup parlé de toi, lui disant que tout irait bien. Aujourd’hui, c’est un petit bonhomme plein de vie. Plus tard, tu m’as dit que je mourrais jeune d’une maladie du foie. Je me suis réveillée sereine, me rappelant un autre rêve, fait peu après la mort de ma marraine, où celle-ci m’annonçait également une mort précoce. Tu m’es encore apparue dans d’autres rêves ; dans le dernier, tu n’étais pas bien, tourmentée par quelque chose. Tu semblais très triste. Et tu me faisais comprendre que cela devenait trop dur et que tu ne viendrais plus me voir. Le lendemain, j’ai parlé de ce rêve à ton papa et je lui ai dit que je devais aller voir au cimetière pour comprendre ce qui se passait. Là, j’ai compris. A ta mort, ton petit frère Jonathan (5 ans à l’époque) voulait que l’on mette une sculpture de faucon sur ta tombe. Car, disait-il, tout le monde savait que tu étais Evelyne, mais ignorait que tu étais Evelyne Faucon. Ainsi, la sculpture t’identifierait. C’est ainsi que mon parrain avait sculpté un magnifique faucon en pierre de France que nous avions fait coller, avec une colle spéciale, sur la pierre tombale.
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Or, la sculpture avait disparu. On avait dû venir avec des outils pour la voler… Depuis, tu ne m’es plus apparue. Je crois que tu es montée à un niveau supérieur, tu as fait ton « ascension ». Tu as été dégoûtée de ce monde terrestre où quelqu’un est venu jusqu’à violer ta tombe, t’empêchant de reposer en Paix. Mais, de là où tu es maintenant, tu me restes très présente par ton esprit. Je te confie beaucoup d’événements de ma vie, beaucoup de rencontres et tu es toujours là. Je vis ma Pentecôte. Evelyne, Image d’Evangile, tu nous montres à quel point l’Evangile reste actuel, présence de tous les jours. « L’amour ne disparaît jamais. La mort n’est rien. Je suis seulement passé dans la pièce d’à côté » (H. Scott).
Conclusion
Si la vie d’Evelyne a été pleine de moments de paix, de moments d’angoisse, de moments de rire, de moments de pleurs, de moments de tendresse, de moments de découragement… elle se résume en un mot : amour. Cet amour qui nous vient de Dieu, cet amour qu’Evelyne nous rappelle de cultiver au quotidien. Je n’ai aucune envie de m’enrichir avec ce livre. Je serais très mal à l’aise de monnayer cet amour légué par Evelyne. C’est pourquoi tous les bénéfices que ce livre pourrait procurer iront directement au projet de Sonja : la fondation d’une maison de répit accueillant des enfants atteints d’une maladie grave. Ce projet vise à permettre aux familles de souffler quelques jours, sachant leur enfant, aimé, choyé et bénéficiant de soins de qualité dans un cadre non hospitalier. Cela permettra aussi aux familles de réaliser qu’elles peuvent vivre heureuses en l’absence de l’enfant malade, les préparant ainsi en douceur au grand envol de leur petit ange. La Belgique ne connaît pas encore ce genre de maison, contrairement à l’Angleterre et à l’Allemagne qui sont davantage en avance dans ce domaine. Si Sonja a déjà reçu un terrain, elle mène, depuis le décès d’Evelyne, un combat auprès des autorités belges. Elle leur fait entendre que ce besoin est réel. Certes, il 83
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faudra des subsides pour des enfants qui, concrètement coûtent à la société, mais il est à espérer que les autorités se laisseront toucher par l’histoire d’Evelyne. Pour nous, les grands-parents, la marraine d’Evelyne, Sonja et Patrick, Cris et son mari, Alex et Valérie, Jean-Marie et Geneviève ont tous pris Evelyne l’un ou l’autre weekend chez eux, pour nous offrir un peu de répit. Je leur en suis très reconnaissante. Mais toutes les familles qui ont un enfant en fin de vie n’ont pas la chance d’être entourées comme nous l’avons été. Alors, pour cette aide, je dis du fond du cœur : « Merci » !
Remerciements Je n’ose ici citer des noms, j’aurais peur d’en oublier. Mais merci, merci à tous ceux qui m’ont encouragée à écrire ce livre, merci à tous ceux qui m’ont aidée par leurs conseils, merci à tous ceux qui ont pris le temps de lire mes premiers essais pour me donner leur avis, merci à ceux qui m’ont guidée pour trouver une maison d’édition. Merci à ma sœur qui a tout dactylographié depuis le premier essai jusqu’à la version actuelle. Merci à Madame de Strycker et Monsieur Solé qui ont accepté d’être mes correcteurs et qui ont fourni un réel travail de fourmis. Oui, vraiment, merci à vous tous. Et merci aussi à la « Providence », qui par une maladie m’a obligée à prendre du repos et m’a donné le temps de m’atteler à ce livre. Tout ce qu’on est amené à vivre a, pour moi, un sens. a
Table des matières
Avant-propos ........................................................................ 5 Introduction .......................................................................... 7 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.
Sens de ton arrivée chez nous .................................... 13 Du sein maternel à ton arrivée à la maison................ 15 Tes premiers mois........................................................ 19 Ta conscience de ton handicap .................................. 23 L’arrivée de tes petits frères ........................................ 25 Agrandir notre famille : une inconscience ? .............. 29 Ton ami Giuseppe ........................................................ 33 Tes hospitalisations .................................................... 37 Les fêtes ...................................................................... 43 Le jeu ............................................................................ 47 Avec toi, une autre notion du temps .......................... 49 La famille de Paix et d’Amour que tu nous as offerte .. 51 Ton regard d’amour qui relevait.................................. 55 Un amour partagé........................................................ 59 La tendresse ................................................................ 61 La Nature, cette merveilleuse création ...................... 63 Tant de souffrances la dernière année. Pourquoi ? .... 65 Quand la souffrance devient insupportable… ............ 69 De ton grand envol à ta célébration d’adieu .............. 75 « Vivez en homme nouveau » ...................................... 79
Conclusion.......................................................................... 83 Table des matières.............................................................. 87 87
Achevé d’imprimer le 29 juin 2005 sur les presse de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique)
9 782873 563134
fidélité
Claire Faucon
Claire Faucon
Des yeux bleu amour
Des yeux bleu amour
Lettres à ma fille différente
A la première personne
ISBN 2-87356-313-3 Prix TTC : 5,95 €
A la première personne
La vie n’est pas courte ou longue, elle est vide ou remplie d’amour ! C’est la conviction très forte d’une mère de famille nombreuse qui a accompagné les sept courtes années d’existence de sa fille Evelyne, polyhandicapée et atteinte d’une maladie neurodégénérative. Claire Faucon raconte ici simplement tous les petits et grands événements de la vie de sa fille : les jeux, les fêtes, les maladies et les hospitalisations, la nature, les relations familiales et amicales, la souffrance et la fin de sa vie… des moments qui tous, ont été porteurs de valeurs réellement transformatrices pour elle. « Qui étais-tu, parmi nous, Evelyne ? Plus qu’une attente, plus qu’un creux ? Alors que tu ne pouvais répondre à rien, n’exprimer ni désir, ni joie, ni soif, ni faim, ni chaud, ni froid, tu étais là, parmi nous, avec nous, attente à l’état pur, creux à combler. Tes lacs immenses d’yeux bleus étaient aspiration à refléter la beauté. Tes yeux bleus, déjà, voyaient l’invisible pour nous. » L’irrémédiable détérioration de l’état de l’enfant n’a pas empêché sa présence attentive aux autres, manifestée par la chaleur et la profondeur de son regard. Toute entière accueil, réceptivité pure, Evelyne a creusé dans la vie de son entourage un sillon d’étoiles.
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Des yeux bleu amour
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