Halloween ou la Toussaint

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Ce soixante-quatrième numéro sur Halloween ou la Toussaint a été réalisé par Michel Salamolard et José Davin.

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Halloween ou la Toussaint

Trimestriel • Éditions Fidélité no 64 • 3e trimestre 2005 Dép. : Namur 1 - Agr. P401249 Éd. resp. : Charles Delhez • 121, rue de l’Invasion • 1340 Ottignies

ISBN 2-87356-323-0 Prix TTC : 2,45 €

9 782873 563233

No d’agréation : P401249

la mort. Pourtant, elle fait partie de la vie et contribue à lui donner un sens. Ces dernières années, on a préféré dissimuler ce questionnement derrière un nouveau folklore trop lié à une relance de la consommation. Succès éphémère. Ne faut-il pas maintenant redécouvrir la fête de Toussaint ?

Halloween ou la Toussaint

Notre société est profondément mal à l’aise avec



Halloween ou la Toussaint

Éditorial par Charles Delhez Notre société reste profondément mal à l’aise avec la mort qu’elle s’emploie à reculer ou à hâter et, lorsqu’elle survient, à cacher. Nous assistons aujourd’hui à un recul des croyances en l’au-delà et ce phénomène reflue sur le rapport à la mort. Pourtant, celle-ci fait partie de la vie, elle contribue à lui donner un sens et en urge même la question. De plus, que les humains soient mortels leur permet d’aller jusqu’au don total de leur vie pour une cause qui les dépasse. Regarder la mort en face au lieu de la dissimuler dans de nouveaux folklores trop liés à une relance de la consommation, n’est-ce pas entendre ce message si bien exprimé par Éric-Emmanuel Schmitt dans L’Évangile selon Pilate : « La seule chose que nous apprend la mort, c’est qu’il est urgent d’aimer » ? La fête de la Toussaint nous rappelle qu’ils sont nombreux ceux qui, avant nous, ont fait ce choix de l’amour, un choix de vie. C’est leur victoire que l’on fête en ce 1er novembre. Oui, c’est le saint qui gagne, comme le suggérait le jeu de mots « Holy wins », slogan de la Toussaint 2004 à Paris. 1


Le thème de la sainteté suggère tout naturellement qu’un homme ou une femme a atteint une certaine perfection spirituelle, morale, durant sa vie terrestre. Mais quelle perfection ? Et selon quels critères ? Est-elle réalisable sans une relation avec le divin, c’est-à-dire en dehors de toute religion ? Ces questions essentielles font l’objet de cette étude autour des fêtes de la Toussaint et des Défunts réalisée par José Davin, jésuite, éducateur de jeunes en difficulté. Mais au préalable, Michel Salamolard, prêtre et journaliste suisse, mène une réflexion sur Halloween : au début, ce fut l’engouement et parfois même l’empressement pour ce « rite » nouveau, original, venu d’outre-mer sous le couvert d’un nom à la mode. Halloween, rite a-religieux ou post-religieux, pouvait-il remplacer l’antique tradition qui, dans les pays continentaux, regroupe, à l’époque de la chute des feuilles, la célébration des défunts et la fête des saints ? Chez nous, le constat s’est avéré négatif. La citrouille, symbole très commercial de cette nouveauté, ne contenait finalement rien, ni valeurs nouvelles, ni horizon humain captivant. Aucune référence au passé, comme l’expriment des fêtes nationales, ni aucun projet de solidarité à l’instar des « Journée de la faim ou de la tolérance ». Rien de vraiment spirituel ou religieux, malgré les racines anciennes décrites dans le chapitre suivant. Rien, sinon un aspect ludique, un jeu d’enfant.


Chap itre

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La passionnante histoire d’un boomerang Par Michel Salamolard

ALLOWEEN,

une coutume récente importée en Europe des États-Unis ? Vrai et faux ! Comme un boomerang, la fête de Halloween revient dans la main d’une Europe qui l’avait lancée jadis par-dessus l’océan jusque dans le Nouveau Monde. Halloween, fête païenne susceptible de supplanter la catholique Toussaint ? Vrai et faux ! Encore un effet boomerang : le christianisme avait substitué la Toussaint à l’antique célébration celtique de la nuit de Samhain ; celle-ci nous revient non pas telle quelle, mais à travers une des coutumes qui la caractérisait. Passionnante histoire que ces allers et retours, entre l’Europe et les États-Unis, entre le christianisme et le monde dit païen ! Nous allons en retracer les principales péripéties, où le merveilleux côtoie le pittoresque. Nous comprendrons mieux ainsi l’arrière-plan culturel de rites et de coutumes, porteurs à notre insu de croyances et de significations plus ou moins oubliées, mais dont la connaissance peut nous interpeller, nous faire réfléchir, aujourd’hui comme hier.

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Une simple affaire commerciale ? En Amérique du Nord, Halloween représente, après Noël, un des moments où le chiffre d’affaires des grands magasins monte en flèche. Ce fut également le cas en Europe au début du déferle- Aujourd’hui, ment chez nous de la « nouvelle » va- l’engouement est gue de Halloween. Aujourd’hui, l’en- retombé gouement est retombé, les surfaces consacrées, dans les commerces, aux citrouilles et autres accessoires de sorciers ont été notablement réduites. Aux yeux de certains, Halloween est une pure création commerciale, comme la Fête des mères ou la Saint-Valentin. Le propos doit être nuancé. S’il est vrai que les commerçants savent bien utiliser les moments favorables pour doper leurs ventes — qui pourrait le leur reprocher ? —, en revanche, ces stratégies ne réussissent vraiment qu’à la condition de se greffer sur une réalité préexistante : un sentiment, une émotion, une croyance liés à tel moment de l’année. C’est vrai pour Noël, Pâques ou la Fête des mères. Si donc Halloween est un succès commercial aux États-Unis et, par- Des ressorts catiellement, chez nous, il faut se poser chés utilisés par la question : pourquoi ? Quels sont le commerce les ressorts cachés que le commerce a su deviner et utiliser ? Répondre à cette question ouvre des horizons insoupçonnés et fait découvrir une culture — mieux, une combinaison de cultures — dans laquelle nous baignons, souvent sans le savoir : une certaine mentalité « moderne », rationaliste, assez superficielle, nous empêche 4


d’aller au fond des choses, pour ne surfer que sur la crête des vagues. Nos coutumes de Halloween ne sont qu’un résidu, un remous de surface au regard du contexte où elles sont nées, à savoir les grandes interrogations humaines sur le sens de la vie et de la mort, nos liens avec le cosmos, les secrets du temps. C’est cet arrière-plan que nous voulons mettre en évidence : la lueur tremblotante d’une bougie plantée dans une citrouille fut allumée un jour pour éclairer l’immense nuit du mystère, que l’homme n’en finit pas d’explorer.

Le tournant de novembre Avant toute chose, considérons la date de Halloween, le soir du 31 octobre. Cette date n’est pas due au hasard ni à un choix arbitraire. Pour le comprendre, il nous faut retrouver en nous-mêmes des sensations profondes, liées aux saisons. Notre rythme de vie moderne a, d’une certaine manière, aplati le temps, mais pas totalement. Nos lointains an- Notre rythme de cêtres, qui tiraient leur subsistance vie moderne a du sol, et non des achats dans une aplati le temps grande surface, ressentaient plus intensément que nous les changements saisonniers, mais nous y sommes encore sensibles. Aussi, il ne nous est pas très difficile de nous mettre dans la peau d’un Gaulois vivant au temps d’Astérix, quelques dizaines ou centaines d’années avant l’ère chrétienne. 5


Fin octobre, les récoltes et les vendanges sont terminées. On a engrangé la nourriture pour le bétail. Dans les greniers, des réserves de céréales ; dans des réduits ou des caves, des légumes — raves, navets, betteraves — permettent d’espérer qu’on pourra se nourrir jusqu’au printemps suivant. Il y a du vin dans les tonneaux. Après les durs labeurs des semailles, des cultures et des récoltes, c’est le moment de se réjouir et de fêter, en de franches ripailles : on fait boucherie, on s’enivre un peu… ou beaucoup. Mais la fête, on le sait, sera de courte durée. On entre maintenant dans l’hiver, qui promet d’être long. La nature, si généreuse durant la belle saison, tombe en léthargie, tout devient froid, stérile, comme mort. Les heures de lumière diminuent, les nuits s’allongent. Et si le soleil ne revenait pas ? En cette période, la vie et la mort semblent mener un combat dont l’issue n’est jamais garantie, malgré l’expérience des printemps précédents. Les humains ressentent plus fortement La vie et la mort leur précarité, leur finitude. Ils pen- semblent mener sent à leur propre mort. Et à leurs un combat morts ! Que sont devenus ceux qui ne sont jamais revenus du sommeil de la mort ? On les a inhumés, mais on croit que leur « âme » survit dans un autre monde. Quel autre monde ? Habités de quels « esprits » ? Bénéfiques ou maléfiques ? Peut-on communiquer avec nos ancêtres disparus ? Comment se protéger d’éventuels esprits dangereux ? 6


C’est dans ce contexte que se situe la grande fête celtique de Samhain.

Samhain, le nouvel an des Celtes Originaires d’Europe centrale, les Celtes se sont répandus, au cours de la seconde moitié du millénaire avant notre ère, dans toute l’Europe occidentale, en Irlande et jusqu’en Asie mineure, avant d’être vaincus par les armées romaines, entre le IIIe et le Ier siècle av. J.-C. — voir les aventures d’Astérix et Obélix ! Les Celtes n’étaient pas des « sauvages ». De nombreux objets de leur art témoignent d’une culture et d’une civilisation remarquables, Les Celtes où la religion tenait une grande place, croyaient à la avec ses divinités, ses mythes, ses rites, survie de l’âme ses druides, ses bardes. Les Celtes croyaient notamment à la survie de l’âme après la mort. L’année celtique commençait le 1er novembre, sans doute pour les raisons exposées plus haut : après les récoltes et les vendanges de l’été et du début de l’automne, l’année mourait et un nouveau cycle commençait. Pour les Celtes, la journée débute non le matin, mais la veille au soir, comme dans la culture juive d’ailleurs. Autrement dit, le nouvel an celtique est célébré dès le soir du 31 octobre : c’était la nuit de Samhain (prononciation probable : saween). La fête comportait de nombreuses réjouissances et ripailles bien arrosées, où tout le monde se rassemblait. Mais la dimension religieuse était très présente. Les druides allu7


maient des feux sacrés pour appeler le retour du soleil et aussi pour chasser les esprits mauvais. Chaque famille emportait une braise de ce feu pour allumer dans son âtre un foyer nouveau. Nos citrouilles abritant une bougie sont peut-être un lointain souvenir du récipient utilisé par les familles celtiques pour transférer chez elles la braise sacrée. Pourquoi craindre les mauvais esprits précisément ce jourlà ? Le grand combat qui semblait opposer la lumière et les ténèbres, la vie et la mort était considéré comme une occasion privilégiée de communiquer avec les âmes défuntes : des feux étaient allumés sur les tombes ; on ménageait une place à table pour les défunts qui voudraient « revenir ». Mais cette abolition momentanée de la frontière entre les mondes visible et invisible comportait aussi un risque : des esprits maléfiques pouvaient en profiter pour s’introduire parmi les vivants. Il fallait donc s’en protéger et les chasser.

Exorciser la peur Les déguisements de Halloween — sorciers et sorcières, squelettes — ont certainement aussi leur origine en d’anciens rites destinés à éloigner les mauvais esprits. Assumer provisoirement leur visage hideux, n’était-ce pas une façon de conjurer la peur qu’ils pouvaient inspirer ? Aujourd’hui, à partir d’une approche psychologique ou psychanalytique, certains savants estiment que ces masques terrifiants sont une façon d’exprimer — et donc d’assumer — la part d’ombre, de ténèbres, de mort, que chacun porte en soi, mais que nous refoulons dans la vie ordinaire. 8


Nous nous souvenons tous aussi combien, enfants, nous étions fascinés par les histoires de sorciers, de revenants, de maléfices : en les écoutant, les lisant ou les voyant au cinéma — la sorcière de Blanche Neige… et aujourd’hui Harry Potter, sans compter les films d’horreur —, nous savourions notre peur exorcisée.

Boomerang lancé par le christianisme Au Ier siècle avant Jésus Christ, la civilisation celtique est « romanisée ». Les dieux des vainqueurs remplacent ceux des vaincus, du moins en Europe continentale. La culture et la religion des Celtes survivent mieux en Irlande, en Écosse et au Pays de Galles. Peu après, au IVe siècle de notre ère, l’Empire romain « se convertit » : des empereurs (Constantin, Théodose) déclarent le christianisme religion licite, puis quasiment obligatoire. La christianisation de l’Europe va s’accélérer et se répandre partout. Les prédicateurs et prélats chrétiens ont parfois fait la Des sanctuaires guerre aux anciens cultes et divinités. chrétiens sont Mais souvent, ils ont estimé plus ef- élevés sur d’anficace de ménager un passage « en ciens lieux de douceur » d’une religion à l’autre. On culte païens peut constater cela dans l’espace : des sanctuaires chrétiens sont élevés sur d’anciens lieux de culte païens. On le voit aussi dans le cycle du temps : les fêtes païennes ne sont pas supprimées, mais revêtues d’une nouvelle signification, elles deviennent des fêtes chrétiennes. 9


La Nativité du Christ — Noël — est célébrée le jour d’une ancienne fête solaire, le 25 décembre. Quant à la Toussaint, la fête joyeuse de tous les saints chrétiens, elle est d’abord célébrée à Rome durant le temps pascal. L’antique Panthéon romain — temple dédié à toutes les divinités — devient, au VIIe siècle, l’église de Marie et des martyrs. Un peu plus tard, au Depuis le VIIIe siècle VIIIe siècle, le pape Grégoire III fixe au 1er novembre une fête de tous les saints. En 835, un de ses successeurs, Grégoire IV, ordonne que cette fête soit célébrée dans toute la chrétienté d’Occident. Il n’en va pas de même dans l’Église orthodoxe, où la Toussaint est, aujourd’hui encore, fêtée le dimanche après la Pentecôte. LaToussaint, dans l’Europe catholique, a définitivement pris la place du nouvel an celtique. Le boomerang chrétien, adroitement lancé, a jeté bas l’ancienne fête païenne.

Les secrets du mot « Halloween » En examinant de près le mot « Halloween », nous comprendrons mieux le lien qui unit la Toussaint au monde des trépassés. En anglais, la fête de tous les saints est désignée par deux expressions : • ALL SAINT’S DAY. Le mot saint a la même origine qu’en français, il vient du latin sanctus ; • ALL HALLOWS’ DAY. Le mot hallowed (« saint ») est d’origine germanique (cf. l’allemand heilig), comme holy (« saint »), holiday (« jour saint, férié »). 10


Dans « Halloween », il y a donc l’idée de saint. La terminaison du mot se rattache à eve, qui signifie « la veille » (cf. evening, « le soir »). Halloween, autrement dit, c’est la veille de la Toussaint, le 31 octobre : le jour même de l’antique Samhain des Celtes, avec ses rites liés aux esprits et aux morts ! Malgré la christianisation du 1er novembre, des coutumes venues du fond païen des âges subsistaient le 31 octobre.

Un nouveau « jour des morts » Entre la célébration lumineuse et joyeuse des saints reconnus, situés dans la gloire du Ciel, et une pensée dirigée vers tous les défunts, y compris ceux qui achevaient leur sanctification au « purgatoire », il n’y avait qu’un pas. Le christianisme ne pouvait ignorer les rites liés au souvenir des morts. Mais, plutôt que de « baptiser » la Samhain celtique du 31 octobre, on institua une fête de la Commémoration de tous les fidèles défunts, que l’on fixa, dans la foulée de la Toussaint, le 2 novembre. Il semble bien que c’est l’abbé du puissant ordre de Dans la foulée de Cluny, Odilon (962-1048), qui en la Toussaint eut l’idée le premier et rendit cette célébration obligatoire dans tous les monastères clunisiens, plus de deux cents ! Par la suite, la fête fut étendue à l’Église catholique entière. De nos jours, une certaine confusion règne : la Toussaint est souvent désignée comme le « jour des morts ». Cela s’ex11


plique assez simplement. La Toussaint étant jour férié dans de nombreux pays, elle est devenue, même pour les « nonpratiquants » et les non-croyants, une date commode pour se rendre au cimetière, fleurir les tombes des défunts de la famille et s’y recueillir. Hasard ou survivance, on constate que certains rites déjà pratiqués par les Celtes le 31 octobre, la nuit de Samhain, ont été spontanément adoptés en plusieurs régions, où, le soir de la Toussaint, on voit briller des centaines de lumignons sur les tombes de nos cimetières. Le repas qui réunit, à la Toussaint, les membres dispersés de nombreuses familles, rappelle aussi vaguement les réunions et réjouissances celtiques, en communion de pensée avec les morts. Quant aux sorciers et aux mauvais esprits, ils continuent de hanter le 31 octobre, soir de Halloween et veille de la Toussaint.

L’exportation de Halloween Si la culture celtique a été pratiquement éliminée en Europe continentale, elle s’était mieux conservée, au moins dans le folklore, en Irlande. C’est ainsi que, dans ce pays comme en Écosse ou au Pays de Galles, on continuait de fêter Halloween, à travers quelques rites et légendes. Au XIXe siècle, la famine poussa de nombreux Irlandais à émigrer aux ÉtatsUnis. Ils y exportèrent leur Halloween, lequel, en ce passage, acquit un regain de vitalité. Les citrouilles évidées et illuminées du dedans par une bougie ont remplacé les raves et les navets des Celtes. Elles


sont aussi un lointain souvenir de la braise sacrée que les familles celtiques emportaient dans leur foyer. À noter que navets, raves et citrouilles, contrairement aux céréales par exemple, poussent en contact particulièrement direct avec cette terre, certes nourricière, mais dans laquelle on déposait aussi les morts. Sans exagérer ce symbolisme, il a peutêtre joué un certain rôle. Les cucurbitacées rappellent aussi l’étrange légende de Jack O’Lantern. Il existe plusieurs versions de cette histoire. Jack était un ivrogne, mais plutôt malin. Selon une version de la légende, il aurait battu le diable aux cartes, gagnant ainsi la certitude de ne jamais aller en enfer. Selon une autre version, il aurait fait un pacte avec le démon, mais, au moyen de divers stratagèmes, il aurait trompé son redoutable adversaire et obtenu, comme dans la première histoire, que son

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âme n’irait jamais bouillir dans les marmites infernales. Aussi, quand Jack mourut, les portes de l’enfer lui étaient fermées. Mais celles du Ciel, après la vie peu vertueuse du personnage, ne s’ouvrirent pas pour autant. Jack fut condamné à errer Jack fut conentre le Ciel et l’enfer, dans une obs- damné à errer curité que n’éclairait qu’une lanterne entre le Ciel et bricolée : une citrouille évidée conte- l’enfer nant une braise que le diable, bon prince, avait retirée de sa fournaise pour la lui donner ! Personne ne sait si Jack a fini par trouver grâce auprès de Dieu : peut-être poursuit-il son errance, en particulier le soir de Halloween… Quant à la coutume de Trick or Treat (un mauvais tour ou un cadeau), on ne connaît pas son origine exacte. Dans sa forme actuelle, elle est relativement récente aux États-Unis (première moitié du XXe siècle). Des enfants, affublés de déguisements « effrayants », vont de maison en maison, quémandant quelques friandises, faute de quoi un « mauvais tour » est promis aux grippe-sous ! Les enfants déguisés en sorciers ou en squelettes sont-ils une lointaine transposition des mauvais esprits qu’il fallait amadouer ou chasser ?

Retour du boomerang… essoufflé Et voilà que, il y a quelques années, nous avons assisté, en Europe, au retour du boomerang. Halloween, que le christianisme avait chassé au Moyen Âge, est revenu sur sa terre d’origine. Un boomerang à l’élan très amorti, une fête de 14


Halloween qui n’a plus grand-chose à voir avec le nouvel an celtique, mais tout de même, les signes de parenté sont perceptibles, quoique très effacés. L’enracinement de Halloween en d’antiques croyances, liées elles-mêmes au tournant de novembre, aux morts, aux mauvais esprits, explique sans doute que la fête promue par les commerçants ait rencontré le succès que l’on sait. Un succès qui va di- Un succès qui va minuant, mais qui se maintient tout diminuant de même. Pour combien de temps ? Il faut des dizaines d’années au moins, peut-être des générations, pour qu’un rite s’intègre durablement dans une culture. En attendant, une contre-offensive chrétienne, catholique surtout (les chrétiens réformés ne sont partisans ni du culte des saints ni de la prière pour les défunts), s’est déclenchée.

Des chrétiens contre-attaquent La réussite relative de Halloween en Europe a été ressentie par certains chrétiens comme une menace. D’autres, sensibles à la dimension par trop commerciale de la fête, se sont demandé s’il ne valait pas la peine de remettre en valeur les rites chrétiens, ceux de la Toussaint notamment, y compris la commémoration des défunts. Des initiatives ont été lancées, avec « Holywins » un certain succès, qui pourrait se (la sainteté gagne) confirmer dans les années qui viennent. Dès 2002, sous l’appellation de « Holywins » (la sain15


teté gagne), plusieurs paroisses catholiques ont mobilisé des centaines de jeunes. Le soir du 31 octobre, ils descendent dans la rue ou vont sur les cimetières, dans un climat de prière et de témoignage : ils affirment leur foi en la résurrection et se réjouissent, avec tous les saints du Ciel, d’être appelés, eux aussi, à la sainteté. Plutôt qu’un masque d’horreur, ils montrent et cherchent leur visage de lumière, d’enfant de Dieu. Au déclin de Halloween, en Europe, correspond une mobilisation chrétienne et pacifique. La Toussaint retrouvera-t-elle un nouvel éclat… grâce à Halloween ?

Concert rock : « Holywins », à Paris, le 30 octobre 2004


Chap itre

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Le passage vers l’au-delà Par José Davin, s.j.

Des ombres de Halloween à la splendeur de la Toussaint Après les ombres de Halloween, que la clarté tremblotante d’une bougie n’éclaire guère, entrons maintenant dans l’univers de lumière que nous propose la fête chrétienne de la Toussaint. Une Dans la gloire fête encore trop vécue sous le seul de Dieu signe du « souvenir des morts », alors qu’elle célèbre, au contraire, la présence de nos défunts dans la gloire de Dieu. Entrons joyeusement dans cette nouvelle perspective. Elle nous fera comprendre pourquoi la fête de la Toussaint a non seulement pris la place, dans le calendrier, de l’antique Samhain des Celtes, dont « notre » Halloween est un pauvre résidu, mais a projeté une splendeur radieuse dans la nuit dont nos lointains ancêtres s’efforçaient de percer le mystère, s’interrogeant sur la vie après la mort et nos contacts possibles avec les défunts. 17


Décès, deuil, défunts Quand revient la Toussaint, bon nombre de chrétiens se rendent chaque année au cimetière familial, avec des chrysanthèmes aux couleurs de plus en plus recherchées, pour un geste d’affection et de prière. Le climat nostalgique d’automne, un vent frisquet, quelques feuilles mortes et une fine pluie nous isolent facilement dans nos pensées : c’est, en effet, le temps privilégié du souvenir. Entre ces deux moments forts,Toussaint et Souvenir des morts, un laps de temps plus étendu permettrait de mieux tirer profit de la richesse spirituelle de chacun des événements. Mais l’intuition liturgique initiale l’a emporté en indiquant, dans la succession d’un jour à l’autre, que les saints, les sanctifiés, les amis de Dieu, se retrouvaient tous invités au Royaume éternel, là où nos défunts sont aussi conviés. La mort, qui reste un événement absurde, ne doit pas être conçue, pour le chrétien, comme une décision directe de Dieu « qui rappelle à lui l’âme des chers défunts ». Dieu respecte ce monde qui déroule sa propre évolution où se vivent, d’une part, l’amour et le mal, conséquences de la liberté, mais aussi les limites de la santé et de la nature. * Que signifie mourir pour vivre autrement ? Mais aussi, comment assumer pour nous, vivants sur cette terre, le deuil et la relation avec les défunts ? Tel est le programme des pages suivantes.

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La mort, un événement non transmissible Maman, papa, grand-mère, un ami… quelqu’un vient de mourir. Comment a-t-il vécu ce saut vers l’inconnu ? Que pourrait-il nous décrire, après cette expérience unique, et pourtant quotidienne et promise à tout être humain dès qu’il vient au monde ? Face à la mort, nous butons, en effet, sur une muraille infranchissable dont nous ne voyons qu’une face, celle qui a précédé le décès, le départ d’un être cher : maladie, accident, vieillissement, quelques derniers mots souvent peu audibles et qui traversent le recueillement sacré où chacun retient son souffle. Et après l’ultime soupir du mourant, plus rien, sinon son silence définitif, la peine et le désarroi qui montent en nous. Avec cette lancinante interrogation : qu’est-il devenu ? Qu’a-t-il ressenti ? De l’autre côté de la muraille et de la séparation, un événement vécu par le défunt, mais dont il ne viendra rien raconter, une expérience exceptionnelle que l’on vit (si ce mot convient encore) sans jamais en témoigner. L’entrée dans un au-delà par rapport à l’au-dedans, ce monde que nous voyons, que nous pétrissons de nos désirs, de nos actes et de nos paroles. La mort, osons le dire, nous inquiète. Elle nous fait parfois peur. Plus question ici de recourir à Halloween et à ses fantômes sans consistance pour éclairer sa lanterne. Par contre, on pressent que la Toussaint projette sur la mort un faisceau de lumière douce et paisible qui attire et réchauffe à la fois. Après avoir fêté nos amis les saints, nous pouvons plus sereinement approcher cette dure réalité im19


posée par tout « départ » définitif et sans retour. Que saiton vraiment sur cet au-delà de notre existence ? Selon quels critères fonder nos convictions, nos espérances pour une autre vie ? Comment concevoir des relations avec les défunts ?

Des éclairages nombreux et variés Depuis que l’homme existe, depuis l’apparition de cette conscience de soi unique dans le monde, le questionnement et les réponses sur le sort des défunts occupent une place de choix. Ainsi, dans les sépultures les plus anciennes, les archéologues découvrent très souvent des objets familiers qui parlent d’affection et qui sont destinés à accompagner le défunt dans son « voyage ultime ». Toutes les grandes civilisations, comme celle de l’Égypte ancienne, ont organisé un culte pour leurs morts. Un peu comme si le cœur humain, désireux de vivre toujours dans le bonheur, prolongeait ainsi ce qui est souhaité ici-bas. Dans toutes les littératures anciennes, la réflexion sur l’immortalité de la personne humaine arrive à la même conclusion : « Une autre vie nous attend après la mort. » Ainsi, plusieurs siècles avant Jésus Christ, l’éminent philosophe Platon en a fait, à sa manière, une brillante démonstration rationnelle qui a inspiré beaucoup d’autres grands penseurs.

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La réincarnation Cette affirmation repose sur des religions traditionnelles et cohérentes, adoptées par beaucoup de peuples asiatiques. À nos yeux, elle comporte autant de lumières que d’ombres. En commençant par l’aspect positif, on se réjouit du regard que l’hindouisme et le bouddhisme portent sur la destinée humaine : chaque individu est invité à se diriger vers une éternité de bonheur. Une vison de transcendance soustend ces idéaux, en promettant à chaque humain de continuer sa vie après la mort en habitant, c’est-à-dire en s’incarnant à nouveau en un autre vivant, humain ou animal, dans une logique de progrès toujours possible. Pour beaucoup d’Occidentaux attirés par la réincarnation, la personnalité n’est jamais détruite, anéantie comme le proclament certains après un service au crématorium et qui se contentent d’affirmer avec un brin d’amertume : « C’est fini pour toujours ! Son cerveau est mort et lui aussi. » Au regard de l’ensemble de l’humanité, tout ce qui a été vécu dans les caresses, la tendresse, les gestes d’amitié et de fraternité, tout cet amour qui nous construit intérieurement a valeur d’éternité et survivra. Ajoutons encore que la thèse de la réincarnation suscite également un progrès moral, une réelle humanisation qui mobilise beaucoup d’efforts et d’ascèse spirituels, même si le bonheur final, le « nirvana », demeure souvent inaccessible. La réincarnation ne correspond cependant pas en profondeur au souhait de chaque être humain de demeurer unique, de ne pas devenir comme un clone, un autre que soi-même, et d’arriver en fin de parcours dans un royaume paisible et définitif, sans devoir sans cesse continuer le cycle 21


d’une nouvelle vie incarnée, ailleurs et autrement, en perdant tout l’acquis de son histoire humaine. S’ajoute encore à ces inconvénients la difficulté certaine de vivre paisiblement un deuil, après la mort. Car, si l’être aimé « voyage » — Dieu sait où ? —, comment s’en séparer vraiment, sans crainte et sans fausse espérance ? Dans cette succession sans fin de réincarnations, n’estce pas finalement le propre « moi » de chacun qui perd de sa consistance et qui se finit par se désincarner ?

La réponse chrétienne Quand une enquête aborde la question de l’immortalité ou simplement de l’au-delà, la variété des réponses étonne celui qui ne se rend pas encore compte des changements culturels et spirituels intervenus dans notre Occident, surtout du côté européen. Jusqu’il y a cinquante ans, une certaine unanimité, certes souvent superficielle, se faisait autour du message chrétien, avec les notions simplistes ou simplifiées de « Paradis, purgatoire et enfer ». Dans le climat de société post-chrétienne où nous baignons, des influences de tous genres ont bouleversé ces acquis religieux communs, spécialement dans les générations nées après les années cinquante du siècle dernier. Dans ce chambardement des valeurs, « sans tabou » et de « liberté à tout prix », des idées nombreuses et originales sur le sort des défunts ont rapidement trouvé un terreau propice pour s’implanter, qu’elles soient venues d’Orient ou 22


d’ailleurs. La réincarnation fait partie de ce lot, mais aussi le New Age, c’est-à-dire un syncrétisme à la manière d’un fourre-tout, avec, entres autres, l’affirmation d’une Énergie Suprême Une crise qui nous enveloppe maintenant et culturelle après notre mort dans un Avenir mystérieux livré à la description de chaque imagination. Triste constat ! Aussi, tout qui veut fonder sa vie sur des bases raisonnables devrait-il chercher la vérité sur l’au-delà à partir d’une question existentielle que nous résumons comme suit : « Si Dieu existe, que nous a-t-Il révélé sur notre sort futur ? » Cette interrogation comporte deux volets auxquels nous apportons brièvement les « réponses » suivantes.

« Être auprès de Dieu, ça veut dire quoi ? », demandait un jour un groupe d’enfants à France Quéré. Elle répondit : « C’est être tout aimés et tout aimants, dans le cœur de Dieu. » À nos yeux, seul mérite de retenir toute notre attention sur le sens de notre existence celui qui nous parle d’amour, de don et de pardon, d’aide aux plus démunis, de vie fraternelle, d’égalité entre l’homme et la femme, bref des valeurs qui rendent heureux et incitent au bien. Celui-là, s’il a mis en pratique son message bienfaisant et libérateur, doit être écouté attentivement quand il se présente comme Dieu. Si, de plus, il se montre non seulement plus puissant que le mal, par sa patience et sa miséricorde, mais également en triomphant de la mort, plus fort qu’elle et vivant au-delà de sa 23


propre mort, alors il a tout pour séduire notre intelligence et recevoir notre totale confiance. Chacun aura deviné que cette brève présentation désignait Jésus de Nazareth en qui tous les chrétiens reconnaissent le Christ, d’où leur appellation. Ce nom de Christ signifie qu’il est l’envoyé du Dieu-Père dont il est l’égal et le porte-parole, dans une communion d’amour, elle-même personnalisée et appelée Esprit Saint. Au sujet de la vie future, que dit Jésus le Christ dans la révélation qu’il a déposée dans nos mains et qui est relatée par ses disciples et transmise par l’Église, son Peuple ? Son principal « message » est lié à un « événement », celui de sa résurrection. Laissant vide le tombeau où, après sa mort en croix, Il avait été déposé, ce Jésus s’est montré vivant à tous ceux qui avaient cru à l’annonce de cette « résurrection d’entre les morts ». Restant le même, capable de rejoindre ses disciples, comme auparavant, il était cependant devenu autre, c’est-à-dire, par exemple, en venant, toutes portes closes, parler avec ses amis qui, à la fois, le reconnaissaient, mais se rendaient compte d’un changement. Signe que Jésus, vivant à jamais autrement dans le Royaume de son Père, n’était plus inséré de la même manière dans notre histoire. Tout à coup, je me trouve habité par la certitude absolue qu’il y a une vie après la mort et que notre vie ici-bas la conditionne. Alain Noël

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Son message essentiel sur l’Au-delà annonce l’épanouissement de la vie de chaque personne auprès de Dieu, dans le bonheur. En voici deux échantillons intéressants. Au moment de quitter cette vie, quand il était crucifié avec deux bandits, Jésus a prédit à l’un d’eux qui se repentait et demandait son aide : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis » (Luc 23, 43). Une affirmation très nette sur l’accueil immense qui habite le cœur de Dieu pour recevoir dans un royaume de bonheur tout homme « déjà purifié ». De façon plus large, l’apôtre Jean qui fréquenta Jésus de très près, explique que dans la future demeure de Dieu avec les hommes, il n’y aura plus ni deuil, ni cri (à cause de la méchanceté), ni souffrance (Apocalypse 21, 4). Même si beaucoup d’autres textes explicitent davantage cette révélation, nous aimerions en savoir plus ! Mais, sommes-nous capables de comprendre ce futur où le temps et l’espace de ce monde créé auront disparu ? Saint Paul, qui participe Notre corps aussi au groupe des disciples liés à la deviendra aussi révélation, explique que notre corps spirituel deviendra « spirituel » (1 Corinthiens 15, 44), une expression déroutante qui souligne que ce corps incorruptible sera pénétré de l’Esprit de Dieu et de la force de son amour. Telle est la bouffée d’espérance qui oxygène la respiration chrétienne, quand elle réfléchit à l’au-delà. Non, la vie et son avenir ne sont ni absurdes, ni le fruit d’un hasard anonyme, inconnu et finalement impuissant.

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Pour ceux qui restent, gérer la peine, « faire le deuil » L’espérance, cette fenêtre entrouverte sur la vie future, pose la question de nos rapports avec nos chers disparus. Mais, avant d’aborder cette interrogation délicate, considérons d’abord la douleur de ceux qu’ils ont quittés. Tous, un jour ou l’autre, nous sommes touchés par un « départ » qui nous fait mal ou qui blesse des amis. Comment réagir dans cette épreuve ? En abordant le deuil, il importe de rester très modeste, car cette souffrance, parfois très aiguë, emprunte des chemins très variables et imprévisibles. Néanmoins, l’expérience humaine dégage quelques réflexions utiles à tous.

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Comme toute perte émotionnelle forte, le décès d’un proche creuse en nous un manque, un vide Il provoque une blessure qui taraude sans cesse notre affectivité et notre esprit. Et certains départs, comme celui d’un enfant ou d’un conjoint, causent en nous une peine qui paraît inconsolable. Les morts sont confiés à notre mémoire. Une tombe, c’est de la mémoire qui se voit. Joël Chabert, François Morvillier

Ces réactions sont saines et il est normal alors de pleurer et de se plaindre. Autrefois, on portait le deuil en s’habillant de noir, et les gens disaient un mot gentil de condoléance. C’est sans doute moins simple aujourd’hui. On peut rester très isolé dans l’épreuve. Quel que soit le contexte social, tout deuil prend du temps : un an ou deux en moyenne, et, dans bon nombre de cas, il ne se termine jamais complètement. L’essentiel alors consiste Tout deuil prend à ne pas s’enfermer et, si possible, à du temps progresser. Aussi est-ce bien utile de dialoguer avec quelqu’un de confiance sur son fardeau, ses ennuis, sa révolte. Accepter d’être cette « oreille » amicale rend un précieux service, comme le réalisent également les groupes d’accompagnement au deuil. Un autre ami dans ces pénibles circonstances s’appelle le temps. Plus il déroule son inexorable parcours, moins la douleur nous accable. Pourquoi ? Sans doute parce que d’autres 27


grandes émotions ont décentré la fixation inévitable sur notre malheur, mais aussi parce que le cours de la vie a repris le dessus. « Je n’ai pas le temps d’y penser », affirment des personnes obligées de prendre soin de plusieurs enfants. De même, si nous nous tournons vers plus malheureux que nous, notre affectivité relativise plus rapidement le malheur que nous subissons. Par ailleurs, il ne faut pas s’étonner de ressentir l’un ou l’autre sentiment de culpabilité : « J’aurais dû mieux m’en occuper, l’écouter davantage… » Ce sentiment rongeur envahit souvent l’univers mental de la parenté, parce nous constatons alors à L’imperfection quel point l’imperfection marque nos marque nos relarelations et que la mort empêche tout tions retour en arrière. Oui, nous sommes imprégnés d’égoïsme, il s’agit de le reconnaître. Mais de là à penser que nous avons gravement manqué d’amour envers le défunt, il y a de la marge. Et si c’était le cas, repentonsnous et demandons-lui simplement pardon. À ceux qui ont la chance d’avoir noué une amitié réelle avec le Seigneur, nous proposons volontiers une autre démarche, décisive à nos yeux. Pourquoi ne pas établir dès que possible une nouvelle relation avec le défunt ? Cette option, vécue dans la foi, c’est-à-dire aussi dans l’invisible, change complètement le regard porté sur le défunt. Nous détaillons davantage ce processus, après avoir examiné tout de suite d’autres réactions, puis des soi-disant « communications avec l’au-delà ».

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Il est urgent d’aimer (Mochèh, l’ami de Jésus à Nazareth, vient de perdre son enfant. Il se confie au jeune menuisier.) — Pourquoi Dieu l’a-t-il repris ? Est-ce que ça peut exister, un Dieu qui laisse tuer les enfants ? » Jésus répondit doucement à Mochèh : — N’essaie pas de comprendre l’incompréhensible. Pour supporter ce monde, il faut renoncer à saisir ce qui te dépasse. Non, la mort n’est pas injuste puisque tu ne sais pas ce qu’est la mort. Tout ce que tu sais, c’est qu’elle te prive de ton fils. Mais où est-il ? Que sent-il ? Il ne faut pas se révolter : tais-toi, ne raisonne plus, espère. Tu ne sais pas et tu ne sauras jamais comment pense Dieu. Tout ce que tu sais, c’est que Dieu nous aime. — Mais enfin, répondit Mochèh, tu n’éprouves rien ? Lorsque ton père est mort, tu as pleuré, pourtant ! Qu’est-ce que tu pensais ? — Lorsque papa est parti, je me suis dit que je n’avais plus une heure à perdre pour aimer ceux que j’aime, je ne pouvais plus remettre. Non, Mochèh, devant le mal, je souffre, mais la souffrance n’est pas une occasion de haïr, c’est une occasion d’aimer. Ton fils aîné est mort ? Aime-le encore plus. Et surtout aime les autres, ceux qui te restent, et disle-leur. Vite. C’est la seule chose que nous apprend la mort : qu’il est urgent d’aimer. Éric-Emmanuel Schmitt, L’Évangile selon Pilate (roman)

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Souvenirs, oubli ! Après la disparition d’un défunt aimé, nous aimons nous raccrocher à l’un ou l’autre objet, surtout s’il s’agit d’un cadeau qu’il nous a offert. Et nous avons raison de prolonger ainsi les bons côtés de sa présence spirituelle. Mieux encore, nous gardons dans notre cœur des paroles aimantes, aimables, et en mémoire des moments heureux vécus ensemble, ou encore des écrits personnels. C’est le monde des souvenirs qui véhicule sa part positive, mais aussi son lot d’inconvénients. Parmi les souvenirs destructeurs, on résume l’essentiel en parlant d’un enfermement dans le passé. Telle maman, après l’accident mortel de sa fille, n’a jamais voulu que sa chambre soit petit à petit débarrassée, puis destinée à loger un des frères qui en avait besoin ! Il faut du temps pour quitter tout ce qui rappelle de bons souvenirs, tout en avançant dans l’acceptation de la perte. Ce parcours spirituel est normal. Mais il convient de veiller en même temps à rester ouvert aux autres, aux proches et ne pas trop se centrer sur sa peine, même si le besoin de consolation réclame des aménagements relationnels pendant un certain temps. N’avoir plus à la bouche que sa peine nuit à l’indispensable rencontre avec autrui qui n’a pas les mêmes raisons de rester accroché à un passé révolu. Dans un climat qui deviendrait morbide, le goût de vivre se détériorerait gravement. Est-ce cette attitude que le défunt attend de nous ? À l’inverse, l’attention portée aux bons souvenirs pour continuer sa route, sans se morfondre indéfiniment, suscite paix, dynamisme et témoignage. Alors, évoquer la vie du dé30


funt ne signifie pas « rester bloqué » sur sa peine, mais « puiser » dans les souvenirs des motifs de courage, de reconnaissance et même la volonté d’adresser des mercis à celui ou à celle qui est passé de l’autre côté du chemin de l’existence. Heureusement pour la plupart d’entre nous, un jour ou l’autre, nous nous étonnons, en fin de journée, d’avoir « oublié » de penser à l’être cher. Un signe que le deuil est de mieux en mieux intégré dans notre cœur. On peut s’en émouvoir, mais se culpabiliser de cette évolution habituelle serait inadéquat. Il est normal que la pensée de nos défunts n’occupe plus nos esprits tous les jours. N’en sontils pas eux-mêmes heureux, constatant que notre douleur s’est atténuée ? Oublier ne signifie jamais exclure. Et si nous le souhaitons, rien n’empêche que nous gardions un grand attachement à ceux qui nous ont quittés en leur manifestant souvent notre sympathie. Dans la relation à vivre avec les défunts, nous le soulignons en fin de chapitre, les chrétiens sont invités à prier pour les défunts et à demander leur aide. La fête des défunts nous en donne chaque année une excellente occasion, tout comme les cimetières qui offrent des lieux privilégiés pour se recueillir, même s’il faut comprendre que, pour certains, ils soient à tout jamais le rappel d’une grande peine dont on veut éviter de raviver la plaie.

Le commerce des « intermédiaires » L’absence d’une approche véritable de Dieu laisse la porte ouverte à toutes les interprétations sur l’au-delà, y com31


pris aux charlatans qui, dans ce domaine délicat de l’invisible, inventent n’importe quoi pour profiter financièrement de l’incrédulité de gens éprouvés, égarés, désorientés et en quête de sens. Si les fantômes appartiennent davantage au passé ou au monde des images et des films, d’autres intervenants ont pris le relais : spirites, voyants « extralucides », astrologues, tables tour- Un commerce nantes, messages de l’au-delà, écri- honteux ture automatique, bref toute une panoplie qui ne repose sur aucun fondement scientifique, rationnel ou religieux. C’est le règne de l’imaginaire incontrôlable et surtout l’occasion d’un commerce honteux. Ces soi-disant intermédiaires directs ignorent la réalité de la mort qui établit une réelle séparation, une frontière infranchissable entre les vivants et les défunts. Seule, la communion entre eux et nous peut nous unir, sans nous réunir physiquement en cette vie. L’absence totale de critique intellectuelle et le secret absolu qui entourent ces pratiques démontrent leur duplicité. Mais c’est sur le contenu même des rapports avec les défunts que se démarquent ces propositions. Elles sont vécues sous le signe de la confusion entre cette vie et l’au-delà, et de plus, elles sont imprégnées de brume, d’étrangeté, d’imprécision et de subjectivisme. « On s’adapte aisément aux désirs des clients », avoue un professionnel de ce secteur. Quel chemin suivre pour entrer en relation avec les chers disparus, sans magie, sans artifice, et dans la confiance ? Nous l’avons discrètement déjà suggéré çà et là. Soyons plus explicites. 32


Dans l’espérance des retrouvailles Quand il s’agit de l’au-delà, il n’y a plus de temps qui compte. Mais nous qui sommes encore avec nos montres, nous voyons les choses autrement. Nous pouvons penser à ceux qui nous ont précédés en nous réjouissant du bonheur qu’ils connaissent et en leur demandant de prier pour nous. Mais nous savons bien qu’à l’heure de la mort, personne n’est jamais prêt de rencontrer Dieu et d’aimer comme il aime. Seul son pardon peut nous mettre à niveau. Prier pour les morts c’est accueillir avec eux le pardon de Dieu. Eux comme nous, nous avons besoin du pardon de Dieu pour que le Père puisse reconnaître en nous le visage de son Fils. La solidarité n’est pas rompue. On ne fait pas seul le grand passage. Charles Delhez

Établir une vraie relation avec les défunts En se rappelant notre réflexion sur la « clé » intellectuelle pour ouvrir ce débat, on aura compris qu’une relation authentique ne peut reposer que sur ce que Dieu lui-même nous a révélé à ce sujet. Dans le concret, nous sommes invités à considérer nos défunts comme passés sur l’autre rive de l’existence, parvenus ainsi dans ce Royaume définitif de bonheur avec Dieu et tout homme de bonne volonté… Et pourquoi pas avec tout autre homme qui aura purifié son cœur afin de participer pleinement à cette rencontre d’amour et d’amitié entre tous ? 33


Quand on réalise qu’après ce passage, nos compagnons sont pleinement vivants et heureux, non seulement le deuil s’en trouve coloré, mais nos pensées et nos paroles adressées à ces chers défunts peuvent découvrir une actualité nouvelle. Dès lors, ils continuent à nous aimer ou parfois commencent à mieux prodiguer leur amour, à la façon divine, en nous soutenant, nous encourageant discrètement, nous éclairant, selon notre réceptivité. En un mot, ils nous bénissent. De notre côté, dans cet esprit de communion, il est sain de leur exprimer nos demandes et remerciements. Prier pour que leur bonheur s’accomplisse parfaitement, prier avec eux, devient aussi une saine démarche, par ailleurs intégrée dans chaque eucharistie. Un espace de relation que chacun peut vivre dans la paix, la joie et le réconfort.


Chap itre

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La Toussaint : fête des Saints ou de la vie réussie ? Par José Davin, s.j.

La sainteté Le vocabulaire de la sainteté évoque trop souvent soit l’idée d’une perfection qui ressemble à un exploit sportif, à la portée seulement de quelques rares champions que l’on admire peut-être, mais face auxquels on se sent « tout petit », soit un monde un peu étrange et doucereux qu’une certaine imagerie a popularisé : un monde où l’on flotterait sur un petit nuage rose et bleu, qui n’a pas grand-chose à voir avec notre réalité humaine. La sainteté, c’est bien autre chose ! Dans la Bible, Dieu seul est saint. Sa sainteté, c’est son amour. Un amour infini, sans mélange, au sein de cette Communion divine que nous appelons la Sainte Trinité. Un amour qui est synonyme d’un bonheur sans limite et sans fin. Cet amour et ce bonheur, Dieu désire nous les communiquer. Il a nous a créés pour cela. Il a mis en nous une soif de bonheur et d’amour que rien, ici-bas, ne peut combler totalement, mais qui nous pousse à rechercher ce que Dieu seul peut nous donner : la ressemblance avec lui, la trans35


formation de tout notre être afin de pouvoir un jour entrer dans la plénitude divine, pour toujours. La sainteté, c’est de nous laisser diviniser. La sainteté, c’est de devenir comme Dieu : des foyers d’amour. Notre vie terrestre n’est rien d’autre que l’apprentissage de cet amour. Apprentissage exigeant, nous le savons d’expérience, qui suppose l’engagement total de notre liberté, mais dont le principal artisan est Dieu lui-même, qui stimule, soutient et relance en permanence notre croissance vers lui. La sainteté n’est donc pas un exploit humain, mais l’acceptation reconnaissante et pleine de joie du don de Dieu, qui transforme nos existences et nos cœurs. Elle n’est pas non plus « rose bonbon » ou éthérée, puisqu’elle soulève l’ensemble de notre pâte humaine afin de la faire entrer tout entière dans la gloire de Dieu.

Foi et sainteté sont-elles indissociables ? La Toussaint, fête importante chez les chrétiens, concerne tous ceux qui ont atteint un degré appréciable (et souvent publiquement reconnu) de sainteté. Du côté chrétien, on affirme volontiers, à ce sujet, deux vérités bien distinctes et complémentaires. Est proclamé saint, et donc béatifié puis canonisé, celui ou celle qui a mené une vie exemplaire (ou en tout cas une partie significative de celle-ci) d’amitié avec Dieu et avec autrui. D’autre part, on maintient depuis toujours que, même sans connaître Dieu, des hommes parviennent à la sainteté. Saint Paul, dans son épître aux habitants de Rome, souligne 36


que les non-croyants (qu’il qualifie dans son langage de « païens ») peuvent être justifiés devant Dieu s’ils mettent en pratique l’œuvre voulue par Dieu et qui est inscrite dans leur conscience (Romains 2, 13-16), soit s’ils accomplissent le bien en évitant le mal. Aux yeux des chrétiens, il existe en effet de grands saints dans toutes les religions qui se réfèrent à Dieu : Gandhi, Râmakrishna, comme dans toutes les grandes philosophies athées. Dans cette brochure, nous avons toutefois choisi de présenter des personnes qui se sont sanctifiées au contact de Dieu, tout en expliquant en quoi cette dimension religieuse s’avère non pas nécessaire mais très utile pour accéder à la pleine vérité et réussir sa vie, dans le sens de la sainteté.

Le principal critère de la sainteté Ceux qui, de bonne foi, méconnaissent Dieu parviennent donc à l’état de sainteté s’ils pratiquent une charité intense envers leur prochain. Mot qui évoque les pratiques de solidarité, fraternité universelle, dévouement, amour du prochain, aide aux plus pauvres, serviabilité, etc. À ce propos, la Bible enseigne qu’à la fin des temps, lorsque sera pesée la valeur de toute vie et estimée la réussite de notre histoire personnelle, il nous sera demandé si nous avons aimé les autres, surtout quand il était mal nourri, étranger, malade… (Matthieu 25, 31-45). Réjouissons-nous de ce regard divin à la fois juste et libérateur. Il correspond à nos aspirations les plus intimes : 37


aimer et être aimé. Un projet que les principales religions et philosophies du monde ont résumé dans une règle d’or qui a traversé toute l’histoire de l’humanité. Ainsi le Confucianisme La règle d’or demande-t-il de « ne pas faire à autrui ce que l’on ne veut pas qu’il nous fasse, en lui procurant l’aide qu’on aimerait soi-même recevoir ». D’où une interrogation…

La foi, la religion, la prière facilitent-elles la sainteté ? Ces valeurs, cet engagement n’apparaissent pas dans ce que nous pouvons constater du planning divin où tous les « enfants de Dieu » ne sont pas automatiquement amenés à prendre connaissance, dès ici-bas, des bienfaits de l’Esprit Saint. Dès lors, quelle utilité trouver dans la vie croyante, et en l’occurrence dans la vie dite chrétienne ? Ceux qui rencontrent Dieu témoignent d’une expérience de lumière, d’amour, de force et de paix profondes qui stimulent sans cesse leurs capacités de don et de fraternité. Et cette expérience amplifie notre fécondité spirituelle. Lumière sur le « Qui suis-je et qui sommes-nous ? ». C’està-dire la certitude d’être désirés et aimés par l’Être Suprême, dans son immense paternité, et plus spécialement au contact de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu, venu partager visiblement notre destinée et présent chaque jour à nos côtés, depuis sa résurrection, dans une relation invisible, mais réelle. 38


Amour, en méditant son message et sa destinée, lui qui nous a aimés jusqu’au bout, qui nous a fait don de sa vie, en nous invitant à considérer les autres, ses frères et les nôtres, avec ce regard positif, en priant le même Père.

Les connaissons-nous vraiment ? Où rencontrer des saints et des saintes ? Pour répondre, certains citent un grand personnage de l’histoire religieuse, ancienne ou récente : Marie, Joseph, François d’Assise, Martin de Tours, Mère Teresa ; ou encore une célébrité locale ou nationale : Jean Berchmans en Belgique, Jeanne d’Arc en France, Nicolas de Flüe chez nos amis suisses. Sans oublier les figures populaires, voire légendaires, suite à leurs bienfaits, comme saint Antoine, invoqué pour retrouver tout objet perdu, ou sainte Rita, très appréciée pour soulager les grandes souffrances morales, « les causes perdues ». D’autres encore penseront aux statues de leur église, de leur ville, à une icône ou un tableau de maître qui les a impressionnés.

Alberto Hurtado, canonisé le 23 octobre 2005


Dans des pays où le message chrétien a été combattu (c’est-à-dire… un peu partout), on évoque aisément ces hommes et ces femmes qui ont payé de leur sang le témoignage de leur amitié avec Dieu et le prochain, autrement dit des martyrs. Ils y ont souvent marqué la mémoire collective. Pensons aux premiers chrétiens de Rome : Pierre, Paul, Sabine, ou à ceux de Lyon, Pothin et Blandine, ou encore à Paul Miki et à ses vingt compagnons, laïcs et religieux, tués au Japon au XVIe siècle, et à tant d’autres à propos desquels des milliers de livres ont été écrits. Sans doute, l’histoire retient-elle aisément les noms de ceux qui se sont dévoués aux plus faibles et aux plus pauvres : Pierre Claver auprès des esclaves noirs en Colombie, Damien chez les lépreux, Don Bosco avec les enfants des rues, Vincent de Paul avec les misérables de Paris, Alberto Hurtado avec les pauvres du Chili… Et dans le monde des religieux, on invoque les saints fondateurs : Benoît, Dominique, Ignace, Ursule, Euphrasie, Claire, et tant d’autres.

S’agit-il d’hommes et de femmes « comme nous » ? Le danger nous guette d’idéaliser toutes ces grandes pointures de la sainteté. D’autant plus si leurs biographies ne tarissent pas d’éloges. Ils ressemblent à des héros à côté desquels les braves chrétiens que nous voulons être se sentent complexés. Qu’en est-il au juste ?

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Tout d’abord, rappelons-nous que certains d’entre eux ont commencé leur existence par une vie peu édifiante, « le temps de leur conversion » ne venant qu’après. Saint Augustin, né à Thagaste, en Algérie, en 354, illustre bien ce propos, lui qui dès l’âge de dix-sept ans prit une concubine qu’il garda pendant quatorze ans et dont il eut un fils. Affilié à la secte des manichéens, il désolait sa sainte mère Monique. Celle-ci eut finalement la joie d’assister à son baptême. Ordonné prêtre, il devint l’évêque d’Hippone, dans son pays natal, et gouverna son diocèse avec sagesse et grande bonté. Ses écrits font date dans la littérature théologique. Saint Ignace de Loyola, fondateur de ma famille religieuse, les Compagnons de Jésus, appelés couramment « Jésuites », quitta aussi une vie très dissolue : un boulet de canon lui brisa une jambe et le contraignit à une convalescence… pieuse où les seuls livres disponibles relataient la vie des saints. Ces lectures lui valurent d’être alors touché par Dieu pour une nouvelle vie féconde, bien différente de celle qu’il avait imaginé quand il rêvait de prouesses guerrières et ambitionnait de parvenir au banc des nantis de son pays. J’aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, j’aurais beau être prophète, avoir toute la science et toute la foi jusqu’à transporter des montagnes,j’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. Saint Paul, 1re lettre aux Corinthiens 13, 1-2

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À l’inverse, mais c’est cependant très rare, on constate que des hommes ou des femmes ayant mené une vie tout imprégnée de charité et de prière dégringolent au cours d’une épreuve importante, telle la vieillesse. Sur la vie concrète des saints, nous ne possédons guère d’informations précises qui nous les rendraient parfois plus proches : leurs plats préférés, leurs détentes habituelles, les côtés déplaisants de leur caractère, plus ou moins maîtrisés, leurs petites manies, leurs fragilités… Heureusement, nous pouvons re- Aller vers Dieu et joindre ceux qui sont davantage nos les autres contemporains et les approcher dans leur humanité, surtout s’ils en ont eux-mêmes livrés quelques « pages », comme le fit sainte Thérèse de Lisieux : à lire ses écrits, on se sent soulagé d’aller vers Dieu et les autres avec des états d’âme bien variés, parfois égocentriques ou dépressifs mais, par le fait même, très incarnés et donc plus stimulants. Saint Paul ne libère-t-il pas nos consciences quand il affirme son imperfection : « Le péché habite en moi… Le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais » (Romains 7, 17-19). Une pensée qu’il complète souvent, en ajoutant que fréquenter le Christ nous permet d’avancer sur la voie de la sainteté, grâce à l’Esprit qu’Il ne cesse de nous insuffler (Galates 4 et 5). La sainteté cohabite même parfois avec des lacunes humaines regrettables. C’est le cas d’amis que nous estimons pour leur foi solide, leur vie de prière sérieuse, leur générosité totale, mais qui résistent difficilement, par exemple, à

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boire un verre de trop, tout en menant un combat permanent contre ce besoin. Cette forte imbrication entre le bien et le moins bon, entre le bon grain et l’ivraie, s’inscrit dans chacun de nos cœurs et imprègne constamment toute la vie sociale. Reconnaître humblement cette réalité spirituelle constitue une part du cheminement vers la vérité et dispose notre intériorité à la lumière qui vient de plus Haut que nous. Ainsi chacun et chacune d’entre nous, avec des talents divers, parcourt-il sa route sur un territoire bien délimité, et même spirituellement limité. Aucun voyage dans le domaine de la sainteté ne s’effectue selon des normes toutes faites. Avec l’aide de l’Esprit divin qui éclaire et fortifie, à la mesure de notre adhésion, nous avançons tant bien que mal avec un bagage psychique, social, culturel et religieux, différent pour chacun. Notre dynamisme peut s’appuyer sur Celui qui a proclamé que « de jour, comme de nuit, la semence peut germer et grandir » (Marc 4, 27), dans tous les cœurs du monde entier. Nombreux sont donc les saints… Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux. Heureux les miséricordieux, il leur sera fait miséricorde. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés. Matthieu 5, 1-7

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N’est-ce pas l’aboutissement de chaque vie humaine ? Certes, dans une vision à long terme, nous sommes tous appelés à partager, selon son désir, le bonheur de notre Créateur, après quelques ajustements, quelques « purifications » si nécessaire. Mais, autour de nous, quand nous scrutons ou écoutons l’intimité du cœur humain, lorsque nous admirons la perle cachée en chaque homme, n’y découvrons-nous pas une graine, voire une moisson de saintes bonnes actions ? Ainsi des parents courageux qui se donnent sans compter pour leurs enfants, tout en s’intégrant fraternellement dans le tissu d’activités professionnelles : des mamans violentées et obligées d’assumer toutes seules la charge de leur bébé ; des malades qui, en matant leurs souffrances, accueillent leurs visiteurs avec gentillesse, des personnes âgées qui luttent dignement jusqu’au bout pour tenir leur petite place, parfois très précieuse ; des prisonniers qui reprennent en main leur vie et s’occupent d’écrire le courrier de leurs compagnons illettrés. En vérité, aucun homme ne peut mourir en paix, s’il n’a pas fait tout ce qu’il faut pour que les autres vivent et s’il n’a pas cherché ou dit le chemin d’une mort pacifiée. Albert Camus

Régine, violée plusieurs fois pendant sa jeunesse, et devenue très agressive, révoltée, déplaisante, n’hésite cependant jamais à rendre service et à s’occuper de plus malheureux qu’elle. Au regard averti, il s’agit bien, chez elle aussi, de cette 44


« ressemblance » avec un Dieu d’amour qui marque tout humain, dès sa naissance et qui est destinée à s’épanouir au cours des années. Et de même Henri qui présente un handicap mental manifeste, le rendant incapable d’apprendre à lire, mais dont le visage reste toujours souriant, avec une disponibilité totale pour rendre service. Par ailleurs, Henri s’est toujours montré désireux de prier. Qu’il soit aussi du côté des saints ne souffre aucune hésitation. Devenir de plus en plus attentif aux autres, en se détachant de soi-même, quel bienfaisant cheminement pour chacun, dans la fécondité et la joie de donner, quel bonheur aussi pour ceux qui en bénéficient et pour les relations entre nous ! N’est-ce pas du côté de cette communion que se définit la vraie sainteté, telle que Dieu la souhaite et l’encourage ?

Les saints, des amis, des exemples et des intercesseurs Ils ont connu nos joies et nos peines, nos désirs, nos bonheurs et appartiennent à toutes les couches sociales et culturelles des sociétés et de l’histoire du monde. Ils sont des nôtres, parfois de très près dans nos familles, notre parenté, notre entourage. Certains sont identifiés dans une sainteté confirmée par les autorités responsables, tandis que d’autres, des millions d’autres, disparaîtront très vite de la mémoire collective ou familiale. Quel que soit le sort de leur aventure terrestre, ils nous ont fait du bien et leur exemple continuent à nous inspirer. Des

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médias de tous genres : BD, films, livres, prolongent parfois leur influence durable. Chaque année, en me rendant à Lourdes avec des jeunes déplacés d’un milieu familial déficient, j’ai le plaisir de revoir sur place le splendide film réalisé par Jean Delannoy sur sainte Bernadette. Une merveilleuse production, très fidèle à la réalité, et qui touche les cœurs, comme si la sainte nous racontait elle-même toutes les péripéties douloureuses de ses apparitions. Dans la simplicité et le dépouillement de cette jeune fille choisie par Marie, c’est toute notre humanité qui est remuée. Les jeunes, bien que parfois très déviants, ne résistent pas à ce témoignage proche de leur pauvreté et de leur misère. Un père emprisonné, ils connaissent. Bernadette est très vite adoptée. Tous les saints ne possèdent pas des qualités identiques et laissent transpirer, malgré leur grand amour, quelques petites imperfections qui nous consolent ; qu’il s’agisse des colères inattendues de saint Bernard ou encore des exigences rigoureuses du père Ignace. Tous nos petits défauts, aimait dire Thérèse de Lisieux, n’empêchent jamais le bon Dieu de nous supporter et de nous emporter vers des améliorations possibles.

J’ai appris à me méfier de la perfection. Allons jusqu’au bout de ma pensée : je déteste la perfection. J’ai choisi la sainteté. Ce n’est pas pareil ! La perfection, c’est moi qui la fabrique, pour moi. La sainte-

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té, c’est Dieu qui me la donne.Tout de suite. La perfection, c’est au bout du chemin. Et du chemin que je me suis tracé moi-même, pour moi-même. La sainteté, c’est maintenant. Jacques Leclercq, Dieu, fou de tendresse. Propos recueilli par François Séjourné

Si certains d’entre eux sont nés dans un climat familial très chaleureux et croyant, d’autres, au contraire, ont dû lutter courageusement pour quitter un milieu opposé à leur projet de suivre le Christ. Ainsi le jeune Stanislas Kostka : né en 1550, il était le fils d’un prince polonais et voulait devenir jésuite ; à dix-sept ans, il quitta le monde fastueux et sans retenue dans lequel il vivait et parcourut à pied les cinq cents kilomètres qui séparent Vienne et Augsbourg avant d’entrer au noviciat de Rome, après une nouvelle marche de mille huit cents kilomètres ! Épuisé, mais heureux dans ses choix, il mourut un an plus tard, tout auréolé de sa jeunesse offerte au service du Seigneur Jésus et de ses mœurs évangéliques. Les saints, des amis ? Ne portonsnous pas chacun le nom d’un saint Le nom d’un reçu à notre baptême, en premier ou saint reçu à notre en deuxième ordre dans nos pré- baptême noms ? De quoi nous dire ou rechercher lequel d’entre eux, près de Dieu, a reçu la mission de nous bénir.


Pistes de lecture • Philippe CAHEN, Secrets et mystères d’Halloween, Paris, Ed. Jacques Grancher, 2002. • José DAVIN et Michel SALAMOLARD, Avec les défunts, la relation continuée, Saint-Maurice (Suisse), Ed. Saint-Augustin. • —, 2001 raisons d’espérer, Namur/Paris, Fidélité/Salvator, 2001. • Daniel MARGUERAT, Résurrection. Une histoire de vie, Ed. du Moulin, 2001. • Patrick RIVIÈRE, La religion des Celtes, Paris, Ed. De Vecchi, 2004.

Table des matières Éditorial 1. La passionnante histoire d’un boomerang 2. Le passage vers l’au-delà 3. La Toussaint : fête des Saints ou de la vie réussie ? Table des matières

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Ce soixante-quatrième numéro de la collection « Que penser de… ? » a été réalisé par Michel Salamolard et José Davin, s.j.

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Ce soixante-quatrième numéro sur Halloween ou la Toussaint a été réalisé par Michel Salamolard et José Davin.

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Halloween ou la Toussaint

Trimestriel • Éditions Fidélité no 64 • 3e trimestre 2005 Dép. : Namur 1 - Agr. P401249 Éd. resp. : Charles Delhez • 121, rue de l’Invasion • 1340 Ottignies

ISBN 2-87356-323-0 Prix TTC : 2,45 €

9 782873 563233

No d’agréation : P401249

la mort. Pourtant, elle fait partie de la vie et contribue à lui donner un sens. Ces dernières années, on a préféré dissimuler ce questionnement derrière un nouveau folklore trop lié à une relance de la consommation. Succès éphémère. Ne faut-il pas maintenant redécouvrir la fête de Toussaint ?

Halloween ou la Toussaint

Notre société est profondément mal à l’aise avec


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