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Philippe Cochinaux, o.p.

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fidélité / SALVATOR


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© Éditions Fidélité • 61, rue de Bruxelles • BE-5000 Namur • BELGIQUE Éditions Salvator • 103, rue Notre-Dame des Champs • FR-75006 Paris • FRANCE Dépôt légal belge : D/2006/4323/20 Dépôt légal français : octobre 2006 ISBN 10 belge 2-87356-361-3. — ISBN 13 belge 978-2-87356-361-5. ISBN 10 français 2-7067-0448-9. — ISBN 13 français 978-2-7067-04482. Imprimé en France Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Couverture : Isabelle de Senilhes, © photo D.R.


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Préface Timothy Radcliffe, o.p.

Anthony Trollop, romancier anglais, prétendait qu’une des tortures les plus raffinées pratiquées dans le monde moderne est d’obliger les gens à écouter des sermons. Le peuple de Dieu doit se soumettre à des heures de truismes – ou parfois de contre-vérités- sans avoir droit à la parole. Pour de nombreux chrétiens, ceci est notre Purgatoire ! Les homélies de Philippe Cochinaux, par contre, pétillent de vie. Elles ne sont jamais ennuyeuses. Pourquoi en est-il ainsi ? C’est parce qu’il a une profonde compréhension de l’humanité, ce qui lui permet de comprendre ce Dieu qui s’est fait humain. De plus, son amour profond de l’évangile l’aide à nous comprendre, nous qui sommes enfants de Dieu. Très souvent, en lisant ces sermons, je me disais : « C’est vrai. C’est comme cela que je le ressens. C’est ce que j’ai fait. C’est ainsi que les être humains fonctionnent ! » Sans porter de jugement, Philippe comprend nos faiblesses et notre fragilité, mais aussi notre capacité d’amour et de générosité. Nous avons « des gestes simples de la vie véhiculés par l’amour, des actes de tendresse et d’amitié, des solidarités. Nos vies en sont parsemées. » Nous apprennons à ne pas craindre nos faiblesses mais à oser y faire face et à les partager. Il peut parler d’amour en vérité car il connaît la joie et la souffrance d’aimer d’autres personnes. Ces sermons sont remplis de la liberté de quelqu’un qui ose se regarder dans un miroir, et qui n’est pas effrayé de ce qu’il voit car il fait confiance en l’amour inconditionnel de Dieu. Philippe voit clairement que ce qui nous blesse le plus n’est pas tant la haine mais plutôt l’indifférence. Il n’y a rien de pire que de ressentir que l’on est invisible. « Or, il me semble que le pire péché en-


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vers nos semblables, ce n’est pas de les haïr, de les mépriser, mais plutôt de les traiter avec indifférence. Un peu comme si l’indifférence était l’essence de l’inhumanité. Face au mépris, je peux me situer, je peux rétorquer, me défendre. L’autre reste un vis-à-vis même si j’exècre son attitude. Il n’en va pas de même avec l’indifférence car celle-ci est une infirmité de l’esprit et du cœur. Je n’ai pas de prise devant quelqu’un d’indifférent puisque pour lui, c’est comme si je n’existais pas, c’est comme si j’étais entré dans la peau de l’homme invisible. » C’est de l’athéisme pratique, le refus de reconnaître l’image de Dieu qui se trouve dans celle ou celui qui partage notre condition humaine. Nous avons besoin de voir dans les yeux des uns des autres la reconnaissance et la joie, médiateurs du regard de Dieu qui prend plaisir à nous contempler et dont le visage nous illumine. Parce que Philippe est, selon les mots du pape Jean Paul II, un expert en humanité, il comprend notre Dieu qui est venu embrasser notre propre fragilité se laissant porter dans nos bras. J’ai été profondément ému par cet extrait d’une homélie de Noël : « Au cours de la nuit de Noël, il est là devant nous, dans les yeux de cet enfant nouveau-né, tout fragile, tout émerveillé de la vie. Et il nous tend les bras pour que nous le prenions dans nos bras. Telle est sa confiance : Dieu n’a pas eu peur de se laisser porter par nous. Il se blottit tout contre nous, dans le creux de notre être, nous offrant non pas des mots, des discours mais une relation de tendresse car elle est le seul langage qui puisse être vraiment partagé. Dieu se laisse porter dans nos bras ». Au cœur de notre relation avec Dieu se situe la conception très dominicaine de l’amitié. L’amitié est le centre de la vie de la Trinité et nous y trouvons notre « chez nous ». Nous apprenons qu’un roi perse peut offrir à ses amis l’honneur d’être « un compagnon de jardin », et de se promener en amitié avec lui dans le paradis d’un parc. Ceci est également notre vocation, celle d’être des « compagnons de jardin» de Jésus. Toute prière est une simple conversation entre amis. Et c’est


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PRÉFACE DE TIMOTHY RADCLIFFE, O.P.

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dans l’amitié et le respect pour notre liberté que Dieu nous apparaît, discrètement, nous laissant le choix de lui répondre. Par-dessus tout, ces sermons pétillent de joie. Personne ne peut être un prédicateur de la Bonne Nouvelle si il ou elle n’est pas touché par la joie de l’évangile : « Le bonheur de croire ; grâce à cela, la vie est belle ». Ce livre est rempli d’éclats de rires. Il y a la joie d’être inconditionnellement aimé de Dieu. Mais il y a également le plaisir dans l’humain, dans toutes sa beauté, comme dans son lot d’absurdité. Je souris quand Philippe explique la chance de Jésus, qui n’a dû vivre qu’un seul Carême alors que nous avons ces quarante jours chaque année. C’est un humour qui explose quand il regarde ses propres frères dominicains. L’humilité, prétend-il, est une vertu dominicaine particulière : « Comme nous le savons, l’humilité ne consiste pas à se sous-estimer, à s’écraser, voire même se nier. Non, comme j’aime à le répéter, l’humilité est une qualité spécifique de l’Ordre des Prêcheurs car elle exige une très haute opinion de soi. Ce que la majorité des frères ont. C’est pourquoi nous pouvons en parler avec tant d’aisance.» C’est avant tout l’humour avec lequel il se regarde lui-même. Il décrit le cauchemar d’un monde dans lequel il y aurait beaucoup de Philippe Cochinaux. « Imaginezvous un instant des millions de Philippe Cochinaux sur terre. La vie serait absolument insupportable. Déjà un, c’est suffisant.» Ce livre est bourré d’images surprenantes qui bousculent nos a priori et nos préjugés. Ces images sont souvent issues de l’art culinaire, un domaine dans lequel il est mon fidèle disciple. Nous apprenons comment préparer du foie gras et pourquoi la Trinité n’est pas comme un manon au chocolat. Enfant, Philippe aimait mélanger les peintures à l’eau, inventant de nouvelles couleurs. Ayant grandit, il a appris que nos relations humaines n’étaient pas miscibles, chacun de nous gardant une part de solitude. Il découvre que prier n’est pas tout à fait la même chose que de demander une Lamborghini et que pardonner, ce n’est pas envoyer nos péchés dans la « corbeille ».


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La recension d’un livre très connu, effectuée par un professeur d’Oxford, disait : « Ce livre contient beaucoup de nouveau et de bon. Mais ce qui est neuf n’est pas bon et ce qui est bon n’est pas neuf ». Il n’en va pas de même pour ce livre de méditations. Ce qui est nouveau est effectivement bon, frais et profondément enraciné dans la tradition. « Jésus ajouta : ‘‘ C’est ainsi que tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien .’’ » (Matthieu 13, 52).


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L’altérité 4e dimanche (Lc 4, 21-30)

« À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux » (Lc 4, 28). Mais de quels mots peut-il donc bien s’agir pour que des hommes et des femmes, tout ce qu’il y a de plus ordinaires, soient à ce point furieux, qu’ils sont prêts à commettre un meurtre pour se débarrasser de cet indésirable qui en quelques mots a fait monter en eux une telle colère. Une forme de pseudo-crime passionnel, irrationnel puisque ce sont les sentiments premiers, bruts qui les animent. Nous aussi sommes invités à prendre un peu de temps pour vérifier nos propres colères. Elles disent énormément de nous, et en tout cas, certainement plus de nous que ce que la colère tente de combattre. En effet, si cela ne nous touche pas, si je ne suis pas concerné dans mon essence, dans mon existence, les sentiments furieux ne prendront pas le dessus et ne guideront pas ma conduite. À la lecture de l’évangile, nous pourrions nous sentir assez loin de la problématique des gens de cette synagogue. Pourtant, à y regarder de plus prêt, nous voyons que ce thème est encore d’actualité. Le Christ est venu pour chacune et chacun, il ne fait pas de différence : Dieu est pour tout le monde. Et la réaction de ses contemporains, c’est un peu comme s’ils disaient : Dieu pour tous d’accord, mais pas pour ces gens-là. « Ces gens-là », comme chante Brel, ont existé de tout temps et de toute culture. Ce sont ceux


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que nous rejetons, car ils sont différents, en tout cas pas comme nous, que ce soit au niveau social, culturel, ethnique, religieux… Hélas, l’histoire de notre humanité est parsemée de ces épisodes où lorsque l’on se met à regarder l’autre comme faisant partie de ces gens-là, très vite, pour ne pas dire tout de suite, il y a des dérapages et un espace grand ouvert à la montée d’extrémismes de toutes formes. Je pense à ce qui s’est passé au Rwanda en 1994. Souffrance de tout un peuple. Là-bas, j’ai rencontré des femmes et des hommes désespérés, qui parce que sa famille a été décimée lors du génocide, qui parce que de nombreux parents sont en prison ou ne sont jamais revenus des camps de réfugiés. Jusqu’il y a peu, je ne savais pas que des gens pouvaient pourrir au sens premier du terme, c’est-à-dire se décomposer dans leurs corps. C’est hélas ce qui se passe en prison là-bas. Comment peut-on continuer à garder l’espoir quand on a vécu une histoire comme celle-ci ? Durant la guerre, il avait caché, chez lui, dans un faux plafond, un groupe de gens de l’autre ethnie. Une de ces personnes est tombée malade et toussait. Elle a alors quitté la cache pour que les autres puissent rester sans être découvert par ses toussotements. Il fut pris par les milices, torturé et dénonça les autres. Pour punir celui qui les avait cachés, les milices, sous peine d’abattre sa femme et ses six enfants, exigèrent que cet homme tue lui-même, l’un après l’autre, ceux qu’il nourrissait depuis des semaines. Il le fit, mais comme il avait quand même fauté, les milices tuèrent ensuite sa femme et ses six enfants. Cet homme n’a plus le goût de vivre… Cette histoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres et constitue le lot quotidien de ce que l’on entend. Voilà, me semblet-il, un pays qui s’est anéanti en considérant l’autre comme faisant partie de ces gens-là, ceux qui ne doivent pas exister.


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Les Tutsis et les Hutus opposés au régime étaient appelés les serpents. Et les serpents, pour s’en débarrasser, on les coupe en morceaux, à la machette, c’est pourquoi tant et tant payaient pour qu’on les tue plutôt par balles. « Ces gens-là » ont été tués, massacrés au nom de leur simple différence. Puissions-nous ne pas les oublier dans notre prière et dans nos cœurs, puissionsnous implorer Dieu d’envoyer son Esprit dans le cœur de chaque homme, de chaque femme, pour qu’ensemble, ils redécouvrent que seul l’Amour dont saint Paul nous parle est le fondement de toute réconciliation, que seul l’Amour nous permet d’aller audelà de nos colères intérieures liées à notre peur de l’altérité.

Parler à l’autre et non de l’autre 30e dimanche (Lc 18, 9-14)

Certains prétendent aujourd’hui que la confession n’est plus à la mode. Que c’est un sacrement qui n’a plus sa place dans la vie de beaucoup de croyants. S’avouer pécheur face à un autre semble de plus en plus démodé. Il est vrai que nos confessionnaux sont très souvent vides. Cependant, je suis convaincu que la confession n’a pas pour autant diminué. Nous continuons à confesser les péchés. Souvent, très souvent et bien plus qu’on ne le pense. Oh, nous ne confessons pas les nôtres mais plutôt ceux des autres. Un peu à l’image du pharisien de l’évangile lorsqu’il affirme qu’il n’est pas comme les autres : voleurs, injustes, adultères. Nous n’allons sans doute pas aussi loin. Nous ne sommes peut-être pas aussi durs dans nos propos. En tout cas, nous en avons l’impression. Mais combien de fois, ne sommes-nous pas en train de parler des autres aux autres, que nous soyons à deux


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ou en groupe. C’est tellement rassurant et si facile. Tant que je parle de l’autre, je ne me dévoile pas, je me protège. Je passe un bon moment tout en ne permettant à personne de venir vaguer dans les méandres de ma propre pensée. Cette distance me rassure. Je ne crains pas d’être abusé voire trahi puisque je ne te dis pas qui je suis. Pharisiens, nous le sommes donc parfois et nous avons alors à quitter ce sourire amusé que fait naître un évangile qui ne nous est pas personnellement adressé. Si nous ne parlons pas des autres aux autres, il existe un autre moyen de nous protéger : je ne parle toujours pas de qui je suis mais de ce que je fais. Et nous voilà à nouveau dans la peau du pharisien : « Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne. » Phrase à transposer dans notre langage d’aujourd’hui : « J’ai fait ceci et encore cela. » J’acquiers une certaine valeur à mes propres yeux et à ceux à qui je m’adresse. M’enfermer dans la spirale du « faire » me conduira peut-être à être admiré. En effet, j’ai la conviction profonde que nous sommes admirés pour ce que nous faisons et aimés pour ce que nous sommes. Il y a donc du pharisaïsme en chacune et chacun de nous et nous sommes conviés à dépasser nos propres craintes, nos propres attitudes d’autoprotection pour faire ce chemin intérieur d’oser dire qui nous sommes. À l’image, cette fois, du publicain qui susurre : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis. » Que je suis. Mais pour oser dire « qui je suis », je dois me sentir en sécurité, en confiance. La relation doit être simple, désencombrée de toute crainte. C’est dans l’amitié, dans l’amour que je peux le vivre. Et cette fois, je prends un risque parce qu’en m’offrant de la sorte, j’accepte d’être confronté au regard de l’autre même si je sais que puisqu’il ou elle m’aime, je ne serai pas jugé, condamné. N’oublions jamais que plus grand est le risque, plus grande sera la récompense. La vérité partagée de qui


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nous sommes et de ce que nous ressentons au plus profond de nous submerge notre être d’un sentiment de bonheur indicible. Je peux vraiment être qui je suis, sans ombre, sans bruit, face à quelqu’un d’autre. NOTRE CONDITION HUMAINE FAIT QUE NOUS AVONS L’IMPRESSION QUE PUISQUE NOUS SOMMES DANS LE CHAMP DE L’AMITIÉ ET DE L’AMOUR DE SENTIMENTS, CELA NE PEUT PAS SE VIVRE TRÈS SOUVENT. LE CHEMIN DE LA CONFIANCE PREND DU TEMPS. ENTRE NOUS C’EST VRAI.

Mais il en va tout autrement avec Dieu. Dieu, pour nous croyants, est le lieu par définition de vérité et de confiance. À Dieu, je peux tout dire, tout partager et j’ai en moi ce sentiment profond qu’il m’entend et qu’il m’aime. Nous avons donc une chance, un privilège unique sur cette terre : celui de croire avec force qu’en nous Dieu vit à chaque instant, à tout moment. Il est là, présent, et chaque fois que nous en ressentons le besoin, nous pouvons nous tourner vers lui, lui partager ce que nous sommes, ce que nous ressentons. Avec lui, je peux m’avouer mes contradictions, mes paradoxes. Il m’accueille et m’accepte tel que je suis. Dieu est amour et confiance. Ne passons pas à côté d’une telle aubaine : vivons en Dieu de cette vérité qui nous façonne et éclaire l’être que nous sommes. Fort de cette expérience en Dieu, peut-être arriverons-nous, entre nous, à nous dévoiler plus facilement, sans crainte, sans bruit.

Le refus de voir l’autre 18e dimanche (Lc 12, 13-21)

Il y a quelques années, j’ai vécu une expérience évangélique merveilleuse. Je suis allé manger dans un McDonald’s. J’étais au premier étage de cet établissement et de l’autre côté de la rue, au


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même étage, se trouvait un restaurant gastronomique. Je mangeais un Mc Chicken et des frites avec mes mains et de l’autre côté, des gens se délectaient de petits mets. Le lien qui m’était venu à l’esprit était : au Mc Do, on mange avec ses doigts, il n’y a pas de couverts. Comme à l’époque de Jésus d’ailleurs. Ce fastfood n’a donc rien inventé. Par souci de propreté, aujourd’hui, nous recevons des serviettes. Dans l’évangile, les gens s’essuyaient les mains avec des mies de pain. Nous comprenons mieux la désolation de Lazare. Ce ne sont donc pas de simples miettes tombées de la table qu’il attendait. Pire, il espérait au moins pouvoir bénéficier des déchets du nettoyage des mains du riche et de ses convives. Arrêtons-nous un instant sur ces riches de l’évangile qui amassent pour eux-mêmes. Ils sont des riches parmi tant d’autres. Des riches qui n’étaient pas mauvais. Ils étaient simplement riches. Riches d’argent et riches d’eux-mêmes. Des riches se suffisant à ce point qu’ils n’ont même pas besoin de recevoir un prénom. Des riches tellement riches qu’ils se prélassent de la richesse et du luxe en entassant tout ce qu’ils possèdent. Des riches qui tout simplement se sont endormis à la vie. Ces textes nous dérangent par la dureté de leurs propos, par cette condamnation sans appel de quelqu’un qui n’a pas fait le mal si ce n’est qu’il ignorait tout ce qui était différent de sa condition. Il ne voyait pas. Il ne voyait plus. Il se suffisait à lui-même, ayant oublié ce principe premier que nous sommes des êtres de relation puisque nous sommes nés et nourris de celles-ci. Seul, nous ne pouvons pas exister. Nous avons besoin les uns des autres pour vivre dans la foi et l’amour, la persévérance et la douceur. Nous sommes nous aussi conviés à ne pas nous aveugler de ce que nous possédons, de ce qui nous entoure et d’ouvrir les yeux sur les réalités de notre monde, non pas pour nous en apitoyer, mais


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pour participer de manière positive à la réalisation de la création. Rien de plus. Rien de moins. C’est exigeant et tout nous a été donné dans les Écritures pour saisir l’ampleur de notre tâche. Nous n’avons pas d’excuse selon l’évangéliste. Tout est là et nous sommes partagés entre l’urgence du royaume et l’urgence de l’instant présent. Nous sommes un peu dépassés par le courant de la vie. Tout va tellement vite, trop vite. Et nous cherchons des circonstances atténuantes, justifiant nos choix, nos options. Dans notre logique, nous restons d’ailleurs souvent cohérents et en harmonie avec nous-mêmes. Nous avançons à tâtons, nous reculons, nous trébuchons, mais nous marchons aussi et nous avançons à notre rythme, avec ce que nous sommes. Telle est la vie terrestre. Conscients de notre propre réalité, nous pouvons être indignés devant le comportement de Dieu. La facture est plutôt salée : le riche n’a même pas le temps de profiter de ce qu’il a amassé puisqu’il rendra son dernier souffle la nuit même. Pire encore, Dieu fait la sourde oreille. Pas de miséricorde. Pas de pardon. Un jugement, une condamnation. Où est notre Dieu d’amour ? Où est celui en qui nous croyons ? Est-il vraiment un Dieu vengeur, le sourcil plissé, la foudre entre les mains ? Un Dieu se délectant dans la souffrance, pour reprendre les mots d’Éric-Emmanuel Schmitt dans le Visiteur ? Dieu nous punit-il éternellement ? Et nous voilà revenus au mystère de la mort avec son enfer ou son purgatoire pour les plus optimistes. Je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà traversé cette mort, il m’est donc très difficile de l’aborder. Je ne sais pas si ces lieux que je considère comme horribles existent. Mon seul espoir est que s’ils existent, ils seront vides à la fin des temps. Avec John Hick, philosophe anglais, je partage l’idée que l’enfer serait l’échec de Dieu puisque certains ne seraient pas sauvés, ayant refusés l’invitation à la vie éternelle. Je vis avec cette espérance qu’un jour, tout être humain se reconnaîtra vivant en


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Dieu. Quoi qu’il en soit, nous pouvons passer des heures à en parler sans pour autant trouver de solution. Acceptons la dureté des propos de l’évangile de ce jour non pas comme un événement historique, mais plutôt comme une invitation faite à chacune et chacun d’avoir la simplicité de se remettre en question et de se demander : « Mes actions et mes paroles sont-elles véritablement enracinées dans la foi qui m’habite ? » À nous d’y répondre.

L’indifférence est pire que le mépris 8e dimanche (Lc 6, 39-45)

Dans un de ses sketches, Sylvie Joly, avocate devenue humoriste, joue la femme nouvellement riche et insupportable. Cette femme raconte que lorsqu’elle passe en voiture devant une cité de HLM où vivent tant de pauvres gens, elle trouve ces habitations à loyer modéré à ce point laides et de mauvais goût qu’elle refuse de les voir. De plus, elle n’arrive pas à comprendre comment tant de gens peuvent s’entasser dans de tels clapiers et vivre cette forme de proximité tout à fait déplacée. Inconcevable, incompréhensible pour cette prétentieuse jouée par l’humoriste. Cette situation est tellement choquante aux yeux de cette femme riche qu’elle se voit dans l’obligation de devoir poser un acte de la volonté en refusant de regarder ces lieux-là habités par ces gens-là. En d’autres termes, elle n’a vis-à-vis de ces gens et de ces lieux qu’un profond mépris. Il existe une similitude entre ce sketch et l’histoire de la poutre dans l’œil du voisin. La femme nouvellement riche et celui qui ne voit pas la poutre dans son propre œil ont une démarche active même si celle-ci est négative : d’une certaine ma-


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nière, elle méprise. Or, le mépris se choisit, le mépris se décide. Il ne vient pas naturellement à nous. Il n’est pas un sentiment sur lequel nous n’avons aucune prise. Non, le mépris nous le laissons naître en nous et il ne peut jamais se justifier. Il y a toutefois quelque chose de pire que le mépris, c’est l’indifférence. L’être indifférent ne voit pas, vraisemblablement aveuglé par sa propre personne. Or, il me semble que le pire péché envers nos semblables, ce n’est pas de les haïr, de les mépriser, mais plutôt de les traiter avec indifférence. Un peu comme si l’indifférence était l’essence de l’inhumanité. Face au mépris, je peux me situer, je peux rétorquer, me défendre. L’autre reste un vis-à-vis même si j’exècre son attitude. Il n’en va pas de même avec l’indifférence, car celle-ci est une infirmité de l’esprit et du cœur. Je n’ai pas de prise devant quelqu’un d’indifférent puisque pour lui, c’est comme si je n’existe pas, c’est comme si j’étais entré dans la peau de l’homme invisible. Je ne suis une entrave ni à sa liberté ni à son existence. Je ne suis tout simplement pas là. Sans doute un ange en ce monde. L’indifférence tue l’amour et anéantit la vie. Pire, l’indifférence conduit à l’athéisme. Comment, se demandent sans doute certains ? Dieu l’Esprit inhabite en chacun de nous. Nous sommes dès lors toutes et tous, de par notre conception, images de Dieu sur cette terre. C’est par nous que Dieu se révèle à notre humanité. Si je suis révélateur de Dieu aujourd’hui, il en va de même pour toute personne partageant ma condition. Dès lors, si je ne la vois pas, si je suis indifférent, je ne vois plus Dieu à l’œuvre en notre monde. Je deviens un athée. Dieu n’a plus de visibilité. Et il est vrai que, dans un monde comme le nôtre, il ne faut pas grand-chose pour être gagné par ce sentiment d’indifférence. Nous nous sentons parfois écrasés par l’ampleur de la tâche à accomplir. Un certain désespoir pour-


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rait même s’emparer de nous. Toutefois, Dieu n’attend pas de nous que nous résolvions tous les maux de la terre. Il nous convie à ouvrir les yeux devant notre propre porte, à nous interroger sur ce qui nous entoure. La parabole de l’évangile est une invitation à dépasser une certaine indifférence de proximité, c’est-à-dire celle sur laquelle nous avons prise. Dieu attend de nous que nous nous aidions les uns les autres. Tant de gens, pourtant si proches de nous, souffrent d’une indifférence ambiante. Or, il suffit souvent d’un peu de son temps, de simples petits gestes d’attention pour redonner vie à celui qui manque de souffle pour exister aux yeux des autres. Ne passons pas à côté d’une telle chance de rencontrer la divinité au cœur de notre humanité. Nous pouvons également combattre une seconde indifférence de proximité, celle des « plaies visibles ». Ces dernières nous font peut-être peur parce qu’elles peuvent rappeler certaines des nôtres. C’est possible. Mais notre foi nous donne une force intérieure pour partir à leur rencontre, à les panser, à les soigner et permettre une fois encore à un être humain de retrouver toute sa dignité d’être à nouveau humain à ses propres yeux. Puisque l’indifférence tue la vie, il nous reste l’empathie et la compassion pour redonner vie à la vie. Tel est le désir de Dieu.


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La vie, l’amour et la foi 27e dimanche (Lc 17, 5-10)

« Il — ou elle d’ailleurs — aura bien mérité son ciel. » Ce genre de phrase, il m’est déjà arrivé de l’entendre sur le parvis d’une église après la célébration de funérailles. Il est évidemment difficile de défier de telles affirmations surtout au moment où nous disons au revoir à quelqu’un pour la dernière fois. Mériter son ciel comme si ce dernier se méritait. Le ciel ne se mérite pas, il se donne à vivre éternellement. Nous pourrions passer toute notre vie à faire le bien, à répandre la Bonne Nouvelle, à prendre le temps pour les autres, à offrir le meilleur de nous-mêmes à chaque instant. Malgré tout cela, nous ne mériterons rien. Nous resterons à jamais aux yeux de Dieu des serviteurs quelconques, des êtres inutiles n’ayant fait que ce que nous avions à faire. Face à de telles affirmations de l’évangile, notre ego en prend un sacré coup. Notre image de marque est attaquée. Nous faire traiter de la sorte alors que nous pensons œuvrer pour le royaume de Dieu. C’est dur à entendre, mais tellement vrai. Tout simplement parce que dans le champ de la foi, Dieu attend de nous d’être avant tout des semeurs. Le reste, il s’en occupe lui-même. Cela ne nous appartient pas. Nous, nous semons, et si Dieu est vraiment Dieu, il prendra le relais. Tout simplement parce que par l’amour et dans l’amour, Dieu agit en nous. Or, l’amour n’est jamais une question de mérite, de calcul. Si nous nous mettons à comptabiliser nos sentiments, nous ris-


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quons de les perdre à jamais. Même s’il est vrai que c’est plus facile à dire qu’à réaliser. Un « je t’aime » prononcé qui ne reçoit en écho qu’un silence peut parfois faire mal, très mal. Et pourtant, c’est trois mots offerts ne devraient être que l’envol de notre lumière intérieure dans l’astre de l’autre. Ils deviennent ainsi étincelle dans notre ciel étoilé de tous ces « je t’aime » reçus. En ce sens, ils sont eux aussi inutiles, quelconques. Nous ne faisons que dire ce que nous ressentons. Il n’y a aucun mérite. Les sentiments naissent d’une émotion sur laquelle nous n’avons aucune prise, aucun contrôle. Ils surviennent en nous et nous submergent comme une lame de fond prenant tout sur son passage. S’il en va ainsi de l’amour, il en va de même pour Dieu qui est Amour. Dans l’amour, comme dans la foi, nous sommes conviés à faire confiance. Et pour avoir confiance en l’autre, qu’il soit humain ou divin, je dois d’abord devenir monde pour moi pour l’amour d’un autre. Il y a donc tout ce travail sur soi, ce désir de se connaître pour mieux aller à la rencontre de l’autre, cette capacité découverte d’avoir confiance d’abord en soi pour pouvoir mieux se laisser apprivoiser par l’autre. C’est ce chemin tout intérieur d’oser croire en ses propres ressources, se reconnaître apprécié et reconnu pour ce que je suis. Tout inutile que je sois d’ailleurs. En ne me niant pas pour toi, je deviens plus moi et je découvre ainsi la beauté. La mienne, la tienne. Je peux alors lâcher prise, m’abandonner, refuser de tout contrôler et t’offrir ainsi mes fragilités à toi, Dieu, ou être aimé. Je commence alors à voir la vie par tes yeux et ce, toujours dans l’amour ou la foi. C’est pourquoi je ne me suffirai jamais à moi-même. La rivière de ma destinée se détourne de son propre cours pour se perdre au cœur de nos images où chaque pensée, chaque acte vaut un royaume. À ce moment précis, nous sommes enlevés de nousmêmes. Nous découvrons un espace plus grand que nous : où


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l’amour infiniment dépasse l’amour, où la foi infiniment traverse la foi. Il nous suffit de vivre alors de cette confiance. Une confiance qui permet à la vie de jaillir en nous et autour de nous dans l’amour. Car comme l’écrivait une amie, comme on ose la vie quand on vient au jour, on ose l’amour quand on vient à la vie. L’amour, la vie, la foi, trois dimensions essentielles de nos existences qui s’enracinent au plus profond de nos êtres. Elles trouvent leurs sources en nous. Et toutes les trois sont gratuites. Elles nous sont offertes. Nous n’avons aucun mérite. Puissionsnous chacune et chacun découvrir que c’est dans cette inutilitélà que réside notre bonheur. Oui, toutes et tous, nous sommes des serviteurs inutiles. Et c’est tant mieux. En confiance, réjouissons-nous d’avoir reçu la vie, l’amour et la foi.

La banque d’amour 25e dimanche (Lc 16, 10-13)

Qui paie ses dettes s’enrichit. On ne prête qu’aux riches. L’argent ne fait pas le bonheur, mais on ne peut pas vivre sans argent. Il faut mourir riche. Heureusement, il est avec le ciel quelques accommodements. Il est vrai que le temps c’est de l’argent et que comme le rappelle le dicton, l’argent n’a pas d’odeur. De toute façon, il faudra toujours faire contre mauvaise fortune bon cœur. Voici quelques lieux communs qui ont été expliqués par Léon Bloy, en 1901. Dieu ou l’argent, semble nous dire l’évangile. Mieux encore, Dieu nous surprend comme s’il se laissait aller à quelques égarements moraux. Il félicite le gérant trompeur, il nous invite à faire des amis avec de l’argent trompeur. L’argent sale et blanchi, pour parler en termes contemporains, n’a pas


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l’air de le déranger. Et malgré tout, Jésus nous annonce que nous ne pouvons servir à la fois Dieu et l’argent. Il ne me restait plus qu’à faire une prière de demande pour que le Père m’envoie l’Esprit afin de tenter de comprendre cette apparente contradiction du texte. Mais finalement, il n’y a peut-être pas de contradiction comme telle, surtout si l’on lit cette affirmation de Jésus à la lumière des données historiques qui permettent de comprendre les us et coutumes de l’époque. Et voici une clef possible. Le gérant est malhonnête, c’est vrai, mais contrairement à ce que l’on croit, il trompait non pas son Maître, mais les débiteurs. En effet, à cette époque, il paraissait normal pour tout le monde que le gérant se paie sur le montant à devoir au maître. Si le maître prêtait, disons, pour un montant de cent euros, le gérant demandait au débiteur d’écrire cent vingt sur le reçu et de cette façon, il s’enrichissait allégrement. En augmentant ainsi la dette, il mettait souvent le débiteur en difficulté de paiement. L’historien Josèphe raconte que lorsqu’Hérode Agrippa Ier était au bord de la faillite, en 33 ou 34 de notre ère, il emprunta de l’argent par l’entremise d’un agent d’une banque du ProcheOrient. Il dut écrire vingt mille drachmes sur son reçu mais empocha deux mille cinq cents drachmes de moins. Tout devient alors lumineux. Un jour, un gérant reçoit son avis de renvoi. Pour éviter ce dernier, la prudence et la sagesse s’imposent. Cette situation critique l’oblige à redevenir honnête, à ne pas profiter de la fragilité de personnes plus pauvres que lui et surtout à cesser de diviniser l’argent comme il l’avait fait jusqu’à présent. L’argent ne pourra jamais être moteur de mon existence, il doit rester au niveau d’un moyen et non d’une valeur. Ma seule divinité est au plus profond de moi, là où Dieu a trouvé sa place. En effet, c’est dans notre nudité que nous entrons dans la vie


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éternelle. Sur terre, l’argent ouvrait les portes, facilitait les relations. Arrivé là-haut, plus rien, pensent certains. Pourtant, il y aura l’argent qui a intéressé Dieu, celui que nous avons partagé avec amour, et même parfois donné assez follement. Les gens que nous avons aidés sont là pour le redire au Père, nous ne sommes pas nus, mais merveilleusement habillés par notre générosité. Nous ne sommes pas sans relations, voyons tous ceux qui nous accueillent joyeusement. Les rabbins de l’époque avaient déjà saisi cela puisqu’ils disaient : « Le riche aide le pauvre en ce monde, mais le pauvre aide le riche dans le monde à venir. » Tout est question d’amour. Nous ne sommes pas des étrangers pour le Dieu d’amour, nous étions nous-mêmes amour en donnant. Servir Dieu revient alors à transformer l’argent en Amour. Nous sommes devant le difficile choix d’une banque : banque d’égoïsme ou banque d’amour. L’évangile nous invite à choisir cette dernière. Et le Père nous dit : Déposez votre Amour sur votre livret épargne du Cœur, au nom de Jésus Christ ressuscité, je vous en donnerai au moins cent fois plus.

« Je t’aime » 5e dimanche de Pâques (Jn 13, 31-33a.34-35)

Puis-je vous inviter à vous livrer à un petit exercice la prochaine fois que vous entrerez dans une église ? Je vous demande simplement de regarder votre voisin ou votre voisine de gauche puis celle ou celui de droite. De regarder les gens autour de vous et de les observer quelques instants. Vous pouvez même vous retourner. Et tout cela sans parler, car il est difficile d’observer sans


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ne rien dire. Après cet exercice ô combien difficile, j’en conviens, je nous invite maintenant à nous poser la question suivante : avons-nous l’impression que si des personnes extérieures à notre communauté entraient tout à coup dans cette église, elles pourraient se dire : oui, ces gens sont vraiment les disciples du Christ, regardez comme ils s’aiment. Je ne peux pas affirmer avec certitude qu’ils arriveraient à une telle conclusion. Nos visages expriment-ils vraiment ce que nous ressentons au plus profond de nous-mêmes ? Nos expressions donnent-elles le goût de Dieu ? Nos attitudes sont-elles enracinées dans l’amour ? Car c’est tout simplement cela que le Christ nous propose aujourd’hui encore. Dépasser nos craintes respectives pour oser entrer les uns avec les autres dans une véritable relation d’amour au sens où Dieu l’entend. En effet, nous avons d’abord et avant tout été créés libres pour aimer. « L’amour commence là — dans les fonds du désert de notre liberté. Il est invisible dans ses débuts, indiscernable dans son visage. D’abord nous ne voyons rien. L’amour avance vers lui-même, vers son propre couronnement » (Christian Bobin, Une petite robe de fête, Paris, Gallimard, 1991, p. 102). Il ne nous demande rien, sinon d’être là. Il est cette invitation discrète à nous éclairer l’un l’autre sans toucher à nos ombres respectives. En effet, l’amour ne révoquera jamais la solitude. Il la parfait. Il lui ouvre tout l’espace pour brûler. L’amour n’est rien de plus que cette brûlure. Il n’est donc pas manque, mais plénitude du manque, comme le souligne Christian Bobin (dans Éloge du rien, Paris, Fata Morgana, 1990, p. 22). Une plénitude du manque qui vient à la conscience dans l’acte amoureux. En effet, l’alchimie naissante entre deux êtres nous fait découvrir cet ensemble de besoins que l’autre pourra en partie combler. L’amour n’a pas de frontières, pas de limites. Il se donne à vivre tout entier dans cette plénitude invisible pour la raison et


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qui s’exprime dans les sentiments. Par la rencontre, tout être aimé nous ouvre à de nouveaux horizons à découvrir. Le désir de bonheur de l’autre passe dans le souci de le rencontrer dans ses espaces personnels qui diffèrent des nôtres. L’amour, l’amitié nous permettent ainsi de nous dépasser, de partir vers ces endroits où nous n’aurions pas été de nous-mêmes. C’est poussés par le désir de combler ces nouveaux manques que la relation nous offre que nous marchons autrement sur le chemin de la vie. Dans ces relations où les sentiments expriment notre désir d’aimer, nous nous sentons souvent comblés. Comme s’il y avait quelque chose d’égoïste dans l’amour. Lorsque j’aime, j’y trouve mon compte. Je t’aime parce que tu es toi… « Je t’aime » est en fait une affirmation, non pas une question attendant une réponse. L’être aimé, en les prononçant, ne dit pas aime-moi, mais aime-toi. « Je t’aime », c’est-à-dire tu es ce qui éveille en moi le sentiment d’amour, tu es le complément en moi du verbe aimer. Mieux encore, je t’aime toi, tu es mon complément, celui de mon tout, de mon ombre et de ma lumière. De la sorte, l’amour se dépose au fond de notre âme et y laisse toujours un rien de toi, une poussière de tendresse qui nous accompagne et nous suit où que nous allions. Être aimé, n’est-ce d’ailleurs pas la quête légitime de toute vie humaine. Et Dieu aujourd’hui nous convie à ne vivre que de cela. Toute la vie de foi se résume en ces mots : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. » Toutefois, cet amour ne se réduit pas à l’amour d’amitié, à l’amour de sentiment, c’està-dire à l’amour de plénitude du manque qui nourrit tout être humain. Forts de ce constat, nous sommes alors conviés à aimer de respect, fondement même de l’amour, toute personne, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne, pour la simple raison que nous partageons la même humanité. Chaque rencontre vaut donc la


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peine d’être vécue. Chacun, chacune a quelque chose à nous apporter, à nous faire découvrir même si nous ne nous en rendons pas compte tout de suite. Tout être humain, de par le simple fait de son humanité, ouvre en nous de nouvelles perspectives, car toutes et tous nous sommes parcelles de divinité. C’est cette réalité toute simple qui permet à Jésus de nous dire que « ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour [de respect] que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Que ces mots ne soient pas un simple souhait, mais qu’ils deviennent entre nous réalité.

Aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait 5e dimanche (Lc 5, 1-11)

Nous aurons beau nous le rappeler, mais « chaque fois c’est pareil, c’est quand on est derrière les carreaux, quand on travaille que le ciel est beau ». Cette pensée d’une profondeur immense nous rappelant notre réalité au début de chaque semaine, certains l’auront vraisemblablement reconnue. Il s’agit tout simplement de la réflexion philosophique concernant le lundi au soleil tel qu’il a été chanté, il y a quelques années, par Claude François. Un grand monsieur à mes yeux, cet homme-là. Lorsque j’étais jeune adolescent, qu’est-ce que j’aurais bien aimé le rencontrer, mais il était trop connu, trop important et il n’aurait sans doute jamais daigné m’accorder quelques minutes si précieuses de son emploi du temps. De toute façon, même si cela avait été possible, mes parents me l’auraient interdit à l’époque. Ils n’appréciaient nullement mes goûts musicaux. J’en ai donc fait mon deuil. Il en va pour lui comme pour tant d’autres personnes. En effet,


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dans la vie, nous croisons, nous rencontrons parfois des gens qui nous paraissent inabordables tellement ils exercent sur nous une certaine fascination par ce qu’ils représentent. Nous nous sentons tout petits face à eux. Un peu comme s’ils avaient atteint le firmament de nos rêves. Ces gens-là nous impressionnent par ce qu’ils ont déjà pu réaliser musicalement, économiquement, ou encore humainement. Les modèles sont évidemment nombreux. Un risque nous menace alors : celui de nous abaisser, de nous amoindrir en ne voyant en l’autre que ce qu’il fait. Au risque d’oublier ce qu’il est : un être humain comme vous, comme moi. Les gens n’auront jamais que le pouvoir que nous leur donnons. Il en va de notre appréciation personnelle et donc de notre responsabilité. Alors tant pis si Claude François se considérait comme une star. Pour moi aujourd’hui, il n’est qu’un homme comme un autre, même si je me rappelle encore ses chansons. Un homme. Rien de plus. Rien de moins. Un homme tout simplement. Quoi qu’il en soit, l’autre ne doit pas être un personnage important pour être investi d’un tel pouvoir. Cela se vit également dans nos relations proches, qu’elles soient d’amour, d’amitié. Nous aimons cette personne et prenons en même temps conscience de tout ce qu’elle est. Même ici, nous pouvons parfois être pris d’un sentiment de petitesse. Revisitons alors ce dicton de notre langue française : « L’homme est un loup pour l’homme. » Certains ont d’ailleurs mal interprété cette phrase puisque, lorsqu’elle est citée, elle fait très souvent référence à la dureté, à l’absence de compassion, de tendresse. Or, comme le démontrent les éthologues — Boris Cyrulnik a quelques très belles pages sur ce sujet —, même après un combat acharné, les loups ne se tuent pas entre eux. Le perdant présente sa partie la plus fragile, la plus vulnérable et le gagnant, le dominant respecte alors celui qui est capable de poser un tel geste.


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« L’homme est un loup pour l’homme » dit d’une certaine manière notre façon d’entrer en relation les uns avec les autres. Devenir humble nous permet de ne plus craindre le dévoilement de nos propres imperfections. Devenir fragile nous convie à accepter l’inconnaissance que nous avons de nous. Devenir vulnérable, nous autorise à vivre avec nos failles intérieures. Se reconnaître « petit » face à autrui nous permet de le regarder en toute confiance. Nous sommes devenus des loups l’un pour l’autre. Un peu à l’image de Pierre face à Jésus. Il est impressionné, plein d’admiration pour cet homme. Ayant peur, il lui demande, tout en se reconnaissant pécheur, de s’éloigner. Vis-à-vis de Dieu, Pierre fait le coup du loup. Jésus peut alors lui dire : « Sois sans crainte. » Puissions-nous entendre ces mots que le Christ adresse aujourd’hui encore à chacune et chacun d’entre nous : n’aie pas peur, ce n’est que moi, je ne suis que tout humain, tout divin comme toi aussi tu es appelé à le devenir. N’aie pas peur, et surtout je t’en prie ne m’investit pas d’un pouvoir de domination, de contrôle, de jugement ou pire encore de condamnation. Ne crains pas, je ne suis pas un Dieu qui juge, mais un Dieu d’amour et de tendresse qui t’accompagne sur ton propre chemin de vie. Je suis là à tes côtés, je ne te laisserai pas tomber. Viens et suismoi, tout fragile puisses-tu être. Cela m’importe peu puisque c’est dans ta propre fragilité que se révèle ta beauté. Sois sans crainte, je t’accompagne sur ton chemin tel que tu es. N’aie pas peur, mon ami, je ne suis que Dieu et je t’aime.


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La pompe à essence du cœur 4e dimanche de l’Avent (Lc 1, 39-45)

Une impression, juste une impression, mais je me demande si l’inventeur de l’automobile n’était pas quelqu’un de profondément croyant. Un peu comme s’il avait construit la voiture sur la manière dont il vivait sa foi. Certains se demandent sans doute ce qui me permet d’affirmer cela. Tout simplement l’idée du réservoir. Chacune de nos voitures est dotée d’un réservoir et lorsque celui-ci est vide, nous aurons beau invoquer tous les saints et saintes du Ciel, rien à faire ! le véhicule ne bougera plus d’un pouce. Il nous faudra refaire le plein et nous serons repartis pour de belles aventures. Cela fonctionne pour les voitures tout comme dans nos relations. Qui d’entre nous n’a pas fait l’expérience, alors qu’il téléphone à un ami qu’il n’a plus vu depuis un certain temps, de s’entendre dire : « C’est fou, on a parlé de toi hier soir et on s’est dit qu’il était temps de reprendre contact », ou encore : « C’est amusant que tu appelles aujourd’hui, j’avais prévu de le faire cet après-midi ». Ou enfin, vous essayez de joindre la personne aimée, mais ça sonne occupé car elle a eu la même idée… Comme nos voitures, nous avons en nous un réservoir affectif. En fonction de nos relations, nous avons besoin de nous rencontrer, de nous retrouver, de nous aimer pour refaire le plein, un peu à l’instar de Marie qui part à la rencontre d’Élisabeth. Et si l’amitié est équilibrée, nous roulerons à la même vitesse, et la lampe intérieure de la jauge de notre cœur s’allumera en même temps de part et d’autre. Tout à coup, nous ressentons en nous un manque, un besoin de se rencontrer, un désir de s’offrir un temps de tendresse. C’est vital, faute de quoi nos relations se meurent.


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Il est donc impérativement nécessaire d’entretenir nos relations si nous souhaitons qu’elles vivent. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, il me semble qu’il en va de même avec notre foi. Comme si nous avions en nous un autre réservoir, voire le même, qui nous permet d’avancer, de partir à la rencontre de Dieu. Nous venons nous nourrir à la source d’eau vive en nous. Et heureusement pour nous, les stations de la foi sont beaucoup plus nombreuses que toutes les pompes à essence du monde. En effet, si nous sommes confrontés à la panne sèche, pas de crainte, le service de Dieu est encore meilleur que toutes les sociétés de dépannage. Dieu, nous pouvons l’appeler n’importe où, n’importe quand, à toute heure du jour et de la nuit. Nous le rencontrons dans nos eucharisties, dans nos temps d’intimité de prière, dans nos méditations de la Bible, dans nos sacrements ou encore dans toutes les relations d’amour et d’amitié où le respect est le fondement de la rencontre. Quelle chance avons-nous d’avoir tant de lieux et de moyens différents pour nous ressourcer, pour faire le plein. La foi, comme nos relations, a également besoin de s’entretenir. Cet entretien de la foi n’est pas simplement un réservoir qui se remplit. Non, l’entretien de la foi nous permet de changer, de grandir, de nous transformer à la lumière des paroles du Christ qui nous montre un chemin de vie. Celui-ci passe par notre désert intérieur. Un désert c’est le lieu par excellence où rien n’est tracé : pas de chemin, du sable, des étendues de sable, et il suffit d’un rien, d’un peu de vent, pour effacer les traces de nos pas. C’est pourtant dans un désert que nous sommes conviés à préparer le chemin de Dieu, parce qu’avec Dieu, il n’y a pas de chemin tout tracé. C’est à chacun d’entre nous de tracer son propre chemin de foi, éclairé par les paroles de Jésus. Il n’y a pas


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de recette miracle. C’est à nous et à nous seuls de voir comment nous préparer à accueillir dans notre cœur cet événement incompréhensible qui va advenir : Dieu s’est fait l’un de nous tellement il nous aime. Pour vivre intensément de ce chemin à tracer en nous, puissions-nous alors nous désencombrer de tout ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes afin de rencontrer plus librement encore Celui qui vient à nous. Que nos temps intimes de rencontre avec Dieu soient pour chacune et chacun d’entre nous l’occasion de refaire le plein de Dieu.

Tu n’es toi que lorsque tu nais à toi Présentation du Seigneur (Lc 2, 22-40)

L’événement de la présentation de Jésus au temple est bien la fête d’une émotion. Une émotion qui nous fait remonter aux sources de nos racines les plus profondes. Toutefois, nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire de ne voler que dans l’espace de nos émotions. Elles sont essentielles à cette quête de vie dans laquelle nous nous inscrivons, mais elles ne peuvent se suffire à elles-mêmes. Elles demandent à être reconnues pour devenir fondatrices de ce que nous sommes et devenons. Un peu d’ailleurs, à l’image de Syméon. Tout comme ce dernier, il est parfois bon de nous offrir un temps à nous-mêmes pour retrouver le sens de notre vie. Un chemin personnel pour revenir aux sources de ce qui forme les fondements de ce que nous sommes. Un accueil de l’Altérité, vécu comme un retour à l’essentiel, c’est-à-dire à ce désir, voire même à ce besoin existentiel de comprendre ce qui nous rend heureux. Un peu comme si Dieu sussurrait au creux de notre ombre : « Tu n’es toi-même que lorsque tu nais à toi. »


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La naissance à soi, c’est peut-être également partir à l’écoute de ses émotions les plus profondes, les faire exister pour remettre du merveilleux dans nos vies. Oh ! non pas un merveilleux sans attache, mais un merveilleux enraciné dans la chance que nous avons de pouvoir porter l’Enfant-Dieu. Si la présentation de Jésus au temple touche à ce point à nos racines, à nos émotions, c’est parce qu’au fond de nous-mêmes, nous ne sommes pas indifférents au mystère de cet événement. Un événement qui dépasse d’ailleurs tout entendement : un bébé reconnu comme Dieu par un vieil homme et une vieille femme. C’est pourquoi il reste d’abord, avant tout, de l’ordre d’une émotion : en Jésus, Dieu s’est fait homme et il a très vite été reconnu comme tel. Si c’est par nos émotions que nous pouvons entrer dans ce mystère de l’Incarnation, c’est par notre raison que nous choisissons de chercher à tenter de le comprendre. Oui, nous découvrons une fois encore qu’au-delà d’un sentiment merveilleux, Dieu notre Père nous offre un superbe cadeau : Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. C’est en ce sens précis que cet événement nous touche si profondément. Nous découvrons, nous redécouvrons que toutes et tous nous sommes appelés à devenir Dieu, à partager la vie divine. Quel pari sur notre humanité, quelle espérance pour nous tous. C’est pour cela que nous pouvons chanter : oui, la vie est belle. Et cela, nous ne pouvons le comprendre que par nos émotions puisque la vie divine s’acquiert dans l’amour. Un peu comme si Dieu nous disait à chacun, dans l’intime de notre cœur : « Je t’aime ! » « Je t’aime » est sans doute, non je dirais certainement la plus belle expression de la langue française. Trois mots qui forment un tout, le tout d’une émotion, le tout de notre être. Il n’est alors pas étonnant qu’ils soient les mots les plus difficiles à prononcer et à recevoir.


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Quand je le dis pour la première fois à l’autre, qu’il soit d’amour ou d’amitié, je me sens tout penaud, je cherche mes mots, j’hésite, je tergiverse, je valse tout simplement avec ce que nous ressentons au plus profond de nous-mêmes. « Je t’aime » nous conduit à une forme de vertige, comme si nous marchions à tâtons au bord du précipice de notre sensibilité, au cœur de nos émotions. Qu’y a-t-il de plus englobant que cette musique de lettres ? Lorsque je les dis, je me dévoile, sans pour autant m’abaisser, je quitte la prison de mes sécurités intérieures et culturelles. Quand je dis « je t’aime », c’est trop tard, je suis condamné à vivre l’amour ou l’amitié. Il n’y a pas moyen de retourner en arrière, de faire comme si cela n’avait pas été dit. En murmurant de tels mots, j’ouvre à l’être aimé un nouvel univers où il ou elle peut entrer. Je me laisse envahir par l’amour de l’autre. Je lui reconnais l’importance qu’il a pour moi. Je lui offre ce chemin d’humilité d’oser lui dire : « J’ai besoin de toi pour exister, pour grandir, pour avancer, en fait pour être heureux. » Dire tout cela, c’est se donner à un autre, se perdre dans un autre. Et ça ne vous donnerait pas le vertige, à vous ? Moi, je reconnais que si. Et pourtant, pourtant je crois qu’il est essentiel d’oser se le dire, d’oser le partager. Oh ! c’est vrai, cela ne changera pas grand-chose au niveau des sentiments. Mais n’est-ce pas souvent ce que nous regrettons le plus quand un être aimé s’en va vivre ce voyage d’éternité qu’est la mort ? Ne pas lui avoir dit « je t’aime » même si l’autre le ressentait bien évidemment, mais ça va tellement mieux en le disant. Dire, chanter « je t’aime » devient alors une brûlure au cœur de nous-mêmes, mais importante à vivre aujourd’hui pour ne jamais regretter demain. Si « je t’aime » est difficile à donner, il est tout aussi difficile à recevoir. Après l’étonnement, voire la suspicion, ce qui serait dommage, il faut vivre et construire la relation avec celle ou celui


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qui s’est ouvert de la sorte. Les sentiments d’amour et d’amitié se gravent en nous comme sur un CD. Nous ne pouvons plus jamais les effacer. Ils font partie de nous, ils nous façonnent, ils sont en nous, ils prennent part à la définition de ce que nous sommes devenus. Lorsque nous avons aimé, nous ne sommes plus jamais comme avant. Si l’amour s’en va, nous ne pouvons pas revenir en arrière, défaire le passé, retourner dans un pristine état, pour reprendre une expression juridique. En amour, il est impossible de « dé-devenir ». Et c’est tout simplement parce qu’il a tant aimé le monde que Dieu s’est fait l’un de nous. Un tel mystère, je ne peux le comprendre qu’avec le cœur, épicentre de mes émotions.

Suis-je un bon prochain ? 15e dimanche (Lc 10, 25-37)

Jésus serait-il « jésuite » ou bien les jésuites se sont-ils fortement inspirés de la méthode de Jésus ? La question mérite d’être posée. En effet, une légende prétend qu’à une question, tout jésuite répond toujours par une autre question. Je me rappelle cette conversation où un homme demanda justement à un jésuite : « Pourquoi répondez-vous toujours par une question lorsque l’on vous en adresse une ? » Ce dernier répondit : « Vous trouvez ? » Tout comme Jésus dans l’évangile. Lorsque le docteur de la Loi demande à Jésus : « Et qui donc est mon prochain ? » (Lc 10, 29), le Christ répond aussi par une question : « Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme qui était tombé entre les mains des bandits ? » (Lc 10, 36). La démarche proposée par le Fils de Dieu m’apparaît non seulement intéressante mais surtout très pertinente. Il est vrai que, souvent, dans la vie, lorsqu’une


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question est posée, nous avons la fâcheuse tendance d’y répondre sur-le-champ. Et à court terme, c’est plus simple. Un peu comme si nous nous disions : « Voilà, il a obtenu sa réponse, qu’il ou elle agisse maintenant en conséquence. » Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure chose à faire, en tout cas à moyen ou à long terme. En effet, ma réponse à toute question posée par une tierce personne restera toujours ma réponse et ce, à partir de ce que je perçois comme étant la vérité. Elle sera toujours extérieure à la personne qui me la posait. Si cette dernière choisit par après de ne pas suivre mes propos et que je le lui fais remarquer, elle pourra toujours me dire : « Oui, mais ça, c’était ton avis et il ne me convient pas. » Tandis que, agissant comme le Christ, si à toute question posée, je répondais par une autre question, je permettrais à la personne de chercher en elle sa propre vérité. Cette dernière n’arrive peut-être pas à trouver par elle-même le chemin intérieur pour découvrir en elle la réponse à son problème. Elle a besoin de quelqu’un d’autre pour l’éclairer. Non pas pour lui donner une réponse mais plutôt pour lui permettre de trouver ce chemin intérieur qui la conduira vers ce qui lui semblera de meilleur pour elle. Cette méthode-ci prendra sans doute un peu plus de temps mais elle sera, je crois, plus bénéfique à moyen ou à long terme. En effet, si la personne ne suit pas sa réponse et que vous le lui faites remarquer, vous la confrontez à sa propre contradiction. La réponse à la question n’était plus quelque chose d’extérieur à elle mais elle s’enracinait bien en elle. Agir de la sorte n’est pas toujours aisé, j’en conviens, car cela demande parfois de redire autrement ce qui vient d’être posé. Tout comme il en va pour le Christ dans l’évangile de ce jour. À la question : « Qui donc est mon prochain ? », le Fils de Dieu


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ne renvoie pas l’ascenseur en disant : « Pour toi, qui crois-tu que ton prochain est ? » Non, ce serait trop facile. Il suffirait en effet au docteur de la Loi d’établir une liste de catégories de gens qu’il classerait comme étant ses proches. Trop simple, car cela lui aurait permis d’être éloigné de tous ceux et celles qu’il aurait choisi de ne pas inclure dans cette liste de gens proches. Jésus prend le temps de poser sa question. Il raconte une histoire. Ce qui lui permet de transformer le sens même de la question et d’inviter le docteur de la Loi à répondre personnellement. « À ton avis, non pas à mon avis, mais bien à ton avis, lequel des trois a été le prochain de l’homme qui était tombé entre les mains des bandits ? » C’est à toi et à toi seul à donner la réponse, non plus en énonçant une catégorie de personnes qui pourraient recevoir le label de « prochain » mais bien en retournant complètement ta question. Le prochain n’est pas quelqu’un d’extérieur à nous, c’est nous, par nos actes et nos attitudes, qui devenons le prochain de l’autre. Comme si, pour Dieu, le prochain, c’est tout simplement celui de qui je me rapproche, de qui je me fais proche. Le prochain, c’est celui que moi je deviens lorsque je transforme mon regard vers celui qui, au départ, me semblait tellement éloigné de moi. Le Fils de Dieu nous laisse alors avec ces questions : dans ma vie, de qui me fais-je proche ? Dans ma vie, à qui estce que je donne le meilleur de moi-même ? En bref, dans ma vie, suis-je un bon prochain ? Prenons le temps de répondre à ces questions puisque Dieu est intéressé par notre avis.


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La cécité du cœur 26e dimanche (Lc 16, 19-31)

Il était une fois… un jour où il faisait effroyablement froid ; il neigeait depuis le matin. Le soir approchait, le soir du dernier jour de l’année. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait dans la rue ; elle n’avait rien sur la tête et elle était pieds nus. Les pieds de la pauvre enfant étaient devenus rouges et insensibles. Elle portait des allumettes qu’elle protégeait dans son vieux tablier. Personne, hélas, ne s’arrêtait pour considérer l’air suppliant de la petite. La journée finissait, et elle n’avait pas encore vendu un seul paquet d’allumettes ; personne ne lui avait fait l’aumône de la moindre pièce de monnaie. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de rue en rue ; elle était l’image même du malheur et du désespoir. De chaque maison sortaient l’odeur de la dinde qui cuit et les lumières de la fête. Elle aperçoit un recoin, où elle s’assied et se blottit, cachant ses pauvres pieds sous sa jupe ; elle grelotte et frissonne de plus en plus. L’enfant, sentant ses mains geler peu à peu, décide de craquer une allumette. Quelle flamme merveilleuse ! La première flamme l’a fait rêver d’un grand poêle bien chaud, la deuxième d’un repas festif, puis un sapin lumineux et enfin sa grand-mère qu’elle aimait tant. À cette dernière, elle supplie : « Grand-mère, emmène-moi. » Touchée par la supplication de sa petite fille, la grand-mère prend la petite dans ses bras et, s’élançant dans les airs, elle la porte bien haut, bien haut, en un lieu où il n’y a plus ni le froid, ni la faim, ni le chagrin ; c’est devant le trône de Dieu. Le matin, des passants ont trouvé le corps de la petite : elle était morte de froid pendant la nuit. Ils ignoraient que si elle avait bien souffert durant sa trop courte vie, elle goûtait maintenant le plus doux des bonheurs dans les bras de sa grand-mère.


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N’est-il pas merveilleux de découvrir que le conte d’Andersen la Petite Fille aux allumettes a quelques ressemblances avec l’homme riche de l’évangile ? Mais qu’est-ce qu’on lui reproche, à ce riche ? Il n’a rien fait de mal : il vivait dans sa maison, il s’habillait assez chicos, c’est vrai. Ses vêtements coûtaient plus ou moins cinquante euros de cette époque, alors que le salaire journalier d’un ouvrier était de cinq centimes d’euro. Mille jours de travail d’un homme pour le coût des vêtements d’un autre. Il y a comme un scandale qui crie vengeance au Ciel. Il fêtait également tous les jours. Il dépensait donc beaucoup, un peu trop sans doute. Mais est-ce un péché ? Après tout, il vivait et ne faisait rien de mal : on ne parle pas d’exploitation d’esclaves, de brimades injustes. Non, sa maison était cossue, il semblait heureux, fréquentait les gens de son milieu… Cherchez l’erreur. Il ne faisait rien de mal, c’est vrai, mais pire encore : il ne faisait rien du tout. Et nous voici au cœur du problème. L’homme riche s’était enfermé dans son petit monde à lui, il l’avait peutêtre même un peu verrouillé. Il acceptait tout simplement que Lazare fasse partie du paysage, simplement comme les quelques mauvaises herbes éparpillées dans sa pelouse, il lui semblait tout à fait naturel, voire inévitable, que Lazare puisse vivre en souffrant et en ayant faim alors que lui se complaisait, se vautrait dans ses richesses matérielles. L’homme riche était capable de porter un regard rapide sur la misère du monde sans s’émouvoir. Il ne fit rien pour changer tout cela. Voilà la raison qui le conduisit en enfer : il n’avait rien fait de mal, c’est vrai. C’était encore pire, il n’avait rien fait du tout. Son drame était la cécité du cœur. Cet aveuglement peut nous menacer quand nous nous enfermons dans notre petit confort intérieur. Les « on n’avait pas vu, on ne s’en était pas rendu compte », n’ont pas de place au Royaume de Dieu.


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L’homme riche voulut alors éviter une condamnation éternelle en envoyant un messager à ses frères. La réponse est cinglante : si vous voulez des signes, lisez et vivez de la Parole, il n’y a rien de plus extraordinaire que Celle-ci. L’évangile nous invite alors à oser nous poser la question suivante : ma Bible est-elle déjà suffisamment feuilletée, usée ? Et si vous cherchez les prophètes, regardez dans les yeux de votre prochain.

Pardon à l’ami qui m’a blessé 4e dimanche de Carême (Lc 15, 1-3.11-32)

Confiance en toi, confiance en moi. Retrouver la confiance au creux même de cette déchirure, alors que mon cœur baigne, au risque de se noyer, dans une mer de larmes qui, de temps à autre, viennent se mourir dans un pli de mon visage. La blessure est béante. Elle saigne et arrive si difficilement à se refermer, comme si une part de moi-même s’était affaissée, écroulée. Et voilà que toi, trahison ! tu deviens compagne de ma vie. Je ne puis t’ignorer, t’oublier. Tu es en moi, tu es là, prête à surgir au moment où je m’y attends le moins. Trahison, ennemie qui dès à présent me façonne et m’offre un autre regard, une image blessée sur mon existence. J’ai mal à mon âme et je me sens si seul, au plus profond de ma solitude. Qui peut m’aider ? L’amitié qui vient d’être trahie ? La confiance à retrouver ? Qui ? Un Père aimant qui part à la rencontre de son fils ? Un Père qui remontre le chemin de la tendresse, celle qui sommeille dans un recoin de ce que je deviens. Un Père, un Dieu, mon Dieu, qui me fait retrouver le sens profond du pardon, celui qui conduit à la réconciliation. Pardonner, c’est entre autre accepter de te reconnaître, toi qui m’as fait si mal, dans ce que tu es, en ton altérité. C’est accepter


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de reconnaître en toi une part d’inconnaissance, d’imperfection, une sorte de nocturnité dont toi-même n’as pas pleinement la maîtrise. Pardonner, c’est ainsi ouvrir en toi qui m’as blessé un nouveau chemin sur lequel tu pourras continuer d’avancer, de vivre avec un fardeau moins lourd. C’est te permettre, je l’espère et te le souhaite du plus profond de mon cœur, d’aller à la rencontre du meilleur de toi-même. Le pardon est alors une forme particulière d’amour. C’est pouvoir continuer à dire tendrement « je t’aime », malgré la peine reçue de toi, être aimé. Jamais rien n’est perdu, tout peut toujours recommencer. Mais il y a également dans le pardon une dimension plus personnelle et que nous oublions souvent : se libérer de soi-même. En effet, j’ai à prendre conscience que faute de pardon, je resterai toujours hanté par un souvenir douloureux. Et ce dernier ne cessera de resserrer en moi un nœud de tristesse et peut-être de colère. Cette colère que j’éprouve à la fois contre moi-même puisque, quelque part, je me reproche d’avoir trop vite fait confiance mais également contre toi qui, outre la blessure, restes le maître de mon existence par l’emprise que tu as maintenant sur ma destinée, sur mes souvenirs, si douloureux soient-ils. Le pardon devient pour moi, dans cette dimension, l’expression, mon expression d’un farouche désir de reprendre ma liberté. Par cette démarche, j’espère pouvoir délier au fond de moi-même cette tension qui m’empoisonne la vie et me rend prisonnier de l’événement. Ainsi arriverais-je à retrouver une certaine estime de moi, où la blessure n’aura plus le dernier mot, ma propre volonté ayant pris le dessus. Si cette dynamique m’est donnée à vivre, alors je peux affirmer que seule une démarche de pardon pourra éliminer cette tristesse installée entre nous. Nous éviterons ainsi une escalade dans la violence négative des sentiments qui me conduiront im-


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manquablement à t’exclure de ma vie. Le pardon ouvre au plus intime de nous-même une nouvelle voie faite d’amitié, de tendresse où toi et moi en nous « déliant » mutuellement, nous retrouvons notre liberté et redonnons par là une certaine dignité à la relation blessée. Il sera pour nous ce passage qui va permettre d’abandonner notre passé de souffrances pour prendre possession d’un futur possible, notre futur, celui qui va libérer toutes nos forces de vie, d’amour et de tendresse, pour marcher à nouveau sur le chemin de nos existences. Alors et alors seulement, nous vivrons entre nous ce que nous appelons la réconciliation. Cette réconciliation, à l’image de la parabole du fils prodigue, trouve avant tout sa source dans notre relation à Dieu, notre Dieu, Père de tendresse et de miséricorde. En lui, en prenant le temps, nous puiserons la force pour dépasser ce qui nous semble impossible humainement. L’évangile est une invitation à choisir entre l’attitude du père et celle du frère. Quant à moi, je ne puis hésiter. Que Dieu nous donne la force de traverser ce chemin de réconciliation. Toi l’ami qui m’a blessé, je te pardonne. Toi l’ami pardonné, je t’aime.


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Tenté au bonheur ? Mercredi des Cendres (Mt 6, 1-6.16-18)

Le père Maon, jésuite et professeur émérite de Droit romain aux Facultés de Namur répondait toujours de la manière suivante à la question : « Père, comment faites-vous, au niveau de la chasteté, pour ne pas vous laisser tenter ? » C’est très simple, disait-il, ce n’est pas parce que nous sommes au régime que nous ne pouvons pas apprécier le menu. Depuis ce jour, j’ai toujours eu une admiration certaine pour cet homme, admiration liée bien évidemment à l’excellent professeur qu’il était. Les tentations : vaste sujet et voilà que nous sommes invités à nous arrêter un instant sur toutes ces tentations qui, quelque part, donnent de la saveur à nos vies. Il est vrai que des tentations, nous en avons toutes et tous. Parfois nous succombons, parfois nous résistons. Tout simplement parce que, au plus intime de nous-mêmes, nous savons que les tentations peuvent nous apporter soit le bonheur, soit le malheur. Elles sont donc de deux ordres, c’est pourquoi il n’y a pas lieu de les rejeter toutes en bloc. Là, maintenant, en vous parlant, si l’un ou l’une d’entre vous me proposait un morceau de javanais, délicieux gâteau, je ne dirais certainement pas non et cela me donnerait du baume au cœur. Pourquoi me priver ? Mais il existe également des tentations qui, lorsque nous y succombons, peuvent nous faire souffrir, abîmer notre intégrité, notre dignité. Ces tentations-là sont bien évidemment à éviter


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même si parfois nous passons par des temps d’errance plus ou moins longs. Le Carême est une occasion unique qui nous est donnée pour nous repositionner vis-à-vis de toutes ces tentations qui marquent nos vies. Les tentations de Jésus au désert, quant à elles, sont un bel exemple de se laisser-aller à demander des moyens qui facilitent la vie par des puissances magiques. Qui d’entre nous n’a pas un jour prié pour que l’examen de mathématiques ou de toute autre branche soit facile ? Nos prières peuvent être parsemées de « Seigneur, fais que… » ou encore « que ceci se passe Seigneur et alors je m’engage à… ». D’ailleurs, tout au long de l’évangile, le Christ nous invite à faire l’aumône, à prier et à jeûner ainsi qu’à tout demander, sans jamais tenter le Seigneur. Tenter Dieu, écrit André Sève, c’est attendre de lui des choses qui fausseraient tout : ce qu’il est, ce que nous sommes et la vie qu’il nous donne. Nos vies sont traversées d’angoisses, de peurs, de moments difficiles et de souffrances et nous ne les comprenons pas toujours. Tant de pourquoi restent en nous sans réponse et nous aimerions bien parfois vivre une vie faite uniquement de bonheurs et de joie. Nous pourrions être tentés de demander cela à notre religion. Sinon à quoi bon venir à l’église, à prier. Si ce n’est pas pour cela, à quoi la foi peut-elle bien servir ? Je crois que cette dernière n’apporte pas des moyens et des solutions pour rendre notre vie plus facile. La foi est la possibilité qui nous est offerte de vivre à fond les moments faciles mais également les moments difficiles de nos existences. C’est-à-dire de mener une vraie vie : être le plus souvent possible au maximum de ce que nous sommes capables d’être et tirer parti de tout ce que la vie nous propose. La foi en Dieu est alors bien plus qu’un sentiment, elle est désir profond et sincère de vouloir vivre pleinement chaque instant, chaque moment parce que nous


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avons acquis cette conviction intime que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue et ce, malgré son lot d’incompréhension. Tenter Dieu, c’est lui demander de nous rendre la vie plus facile. Prier Dieu, c’est lui demander de me donner la force de ne jamais m’arracher à ce que la vie attend de moi. Prier Dieu, c’est espérer que l’Esprit nous accompagne pour que nous prenions chacune et chacun, là où nous sommes, la vie à bras-le-corps, en éveillant au maximum toutes les potentialités qui définissent l’être que je suis et que je deviens jour après jour. Et cela ne peut se vivre que dans l’amour : l’amour de soi, l’amour des autres et l’amour de Dieu. Nous ne sommes sur terre ni pour souffrir, ni pour vivre facilement mais pour vivre intensément, en abondance. Pour ce faire, nous n’avons pas besoin de magie et de coups d’éclat, juste de l’amour pour ne jamais échapper à l’effort de vivre. Que l’esprit de Dieu nous accompagne pour que nous vivions de manière la plus intense possible cette vie donnée avec pour seul objectif celui d’aimer.

L’ère du bonheur Tous les saints (Mt 5, 1-12a)

Lorsque la météo annonce un temps de Toussaint, nous imaginons tout de suite un temps de grisaille, une pluie fine sous un ciel bien gris. Un peu comme si la déprime était au goût du jour. Certains pourraient même aller jusqu’à dire que puisque tout est lugubre et maussade, c’est vraiment la Toussaint. S’il en est ainsi, nous devons reconnaître que la Toussaint est la fête de l’opposition. Opposition à la grisaille, opposition à toute forme de tristesse. En effet, la Toussaint est une fête qui ne parle que de bonheur : c’est la Toussaint des Béatitudes. Par neuf fois, nous enten-


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dons dans l’évangile de ce jour le terme heureux. Ce n’est donc pas la Toussaint des ambiances de cimetière, mais plutôt la Toussaint de la fête. Notre fête. Alors, à toutes et à tous : bonne fête ! Oui, c’est bien notre fête. Par les sacrements, nous sommes devenus Corps du Christ et Temple de l’Esprit. Nous sommes appelés à la sainteté de Dieu. Cela nous paraît peut-être impensable, impossible. Pourtant, telle est notre condition humaine : l’appel à la sainteté. Et le Père, par son propre Fils, nous donne les moyens de réaliser un tel objectif : ces fameuses béatitudes. Le chemin de la sainteté est celui de la réalisation des béatitudes en nous. Si nous essayons de les vivre, nous approchons alors de ce qui paraît tellement loin de nous. Heureux sommes-nous parce que nous avons reçu le plus cadeau qu’il puisse nous être donné : celui de vivre notre vie. Elle peut parfois nous sembler faite d’embûches, de dérapages, c’est vrai. Mais avant tout, elle est belle et vaut tellement la peine d’être vécue. Cette vie reçue, nous en sommes responsables et c’est la manière dont nous traverserons les événements qui nous permettront de nous rendre compte que nous ne passons pas à côté d’elle que nous y croquons à pleines dents. Oui, la vie est belle, et heureux sommes-nous. Désencombrons-nous alors de tout ce qui nous empêche de nous rendre compte d’une telle réalité et retrouvons le sens de nos existences. Pour nous croyants, il passe immanquablement par la foi en Dieu. Un Dieu qui ne nous demande pas de souffrir, de peiner. Un Dieu qui nous demande tout simplement d’être heureux avec ce que nous sommes. La sainteté à laquelle nous sommes appelés variera d’une personne à l’autre. En fonction de nos qualités et de nos fragilités, nous serons plus à même de commencer à développer une béatitude plutôt qu’une autre. L’essentiel, c’est qu’à la fin du parcours nous ayons comme souci de les vivre toutes.


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Certains auteurs envisagent les Béatitudes comme étant le renversement des Dix Commandements. Nous ne sommes plus dans l’ordre d’une loi vétéro-testamentaire complètement dépassée. Par le Christ, nous entrons dans une ère nouvelle, celle des Béatitudes. Une ère qui reconnaît que l’important sur la terre, c’est le bonheur. Et s’il y a plusieurs béatitudes, c’est pour nous rappeler que le bonheur comme tel n’existe pas. Le bonheur se construit chaque jour. Nous seuls pouvons le réaliser. Le bonheur n’existe pas par essence et pourtant nous le vivons. Tout simplement parce que le bonheur est le fruit d’une somme et d’une multiplication. Le bonheur est la somme de tous les petits bonheurs que nous vivons : un sourire, un regard, un geste de tendresse, un acte de solidarité, un refus de juger et de condamner, une parole de compassion voire même de pardon, une oreille attentive, une épaule sur laquelle sécher ses larmes, un souci de paix, un cri face aux injustices. Ces petits bonheurs sont les béatitudes d’aujourd’hui. Celles que nous pouvons vivre quotidiennement. Notre vie en sera complètement transformée. Nous pourrions alors nous contenter d’une telle addition et vivre notre vie. C’est possible, mais j’ai l’impression que nous vivrions un fameux manque. Pour nous qui avons reçu le don de la foi, l’addition doit se compléter par une multiplication. En effet, pour qu’il y ait vraiment bonheur, nous devons multiplier la somme des petits bonheurs que nous vivons par le message du Christ Ressuscité. Dieu s’est incarné parmi nous pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance. Vivre sa vie par le prisme de la foi rend la vie plus belle encore, car nous lui donnons sens. Dans la foi, nous vivons notre vie en Dieu. Que les béatitudes soient pour chacune et chacun de nous un chemin merveilleux vers la sainteté, notre sainteté ici et maintenant.


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L’autoroute du bonheur Trinité (Jn 16, 12-15)

Connaissez-vous le nouveau Manon du fameux chocolatier belge, fondé il y a déjà plus de cent cinquante ans ? C’est un Manon de chocolat noir, fourré à la mousse de chocolat, sur une petite plaque de chocolat blanc. Pour tout vous dire, il est absolument délicieux. Trois types de chocolat pour faire une délicieuse praline. Trois en un. Trois ingrédients pour faire un tout, mais trois ingrédients séparés et malgré tout, trois en un. Contrairement à ce que nous aurions pu imaginer, ce type de raisonnement ne nous aide malheureusement pas beaucoup pour comprendre le mystère de la Trinité. Tout simplement parce que ce mystère, cette révélation défie toutes les mathématiques. Cette équation de trois égale un est impossible à réaliser, si ce n’est dans la Trinité. Ce n’est donc pas avec les armes de la raison, de la curiosité mal placée que nous pouvons entrer dans la compréhension de cette fête d’aujourd’hui. En effet, croire en un Dieu trois et un se comprend uniquement dans l’expérience que nous en faisons. Notre Dieu est à la fois unique et pluriel. En lui, il constitue sa propre famille. Dieu ne peut seulement être un, car si Dieu est amour et un, il doit d’abord s’aimer lui-même ; vous imaginez le narcissisme divin dépassant de loin tous les narcissismes dominicains et ce depuis la fondation de notre Ordre. Impossible. Dieu ne peut se nourrir de ce type d’amour. Dieu est amour, à l’image de l’amour que nous pouvons éprouver les uns pour les autres. Avec comme nuance, le fait que l’amour divin n’est pas un feu, mais une fournaise qui ne peut être un véritable foyer d’amour que s’il existe un échange entre des personnes. Dieu le Père ne peut se complaire en lui-même. Il a besoin du Fils et de l’Esprit pour vivre l’amour qu’il a en lui. Nous


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n’arriverons jamais à tout comprendre tant le mystère est grand et pourtant nous devons tenter de dévoiler un coin de ce voile. Comme le disait le philosophe Pascal : « Je crois parce que je ne comprends pas. » Je ne comprends pas alors j’essaie de croire ce mystère que nous contemplerons toutes et tous dans la foi au soir de notre vie. En attendant ce jour, nous n’avons que notre petite terre au cœur de cet univers pour entrer dans ce mystère par l’expérience que nous en faisons. Certains ont prétendu que le Père s’était révélé dans l’Ancien Testament ; le Fils, dans l’Évangile ; et l’Esprit Saint, dans la vie de l’Église. Cette manière de voir ne me paraît pas respecter la Trinité. Elle n’est pas une suite de séquences dans le temps, à écarteler. La Révélation de la divinité a été de tout temps et elle a toujours été celle du Père, du Fils et de l’Esprit. Par l’expérience, la Trinité est un mystère à scruter, à découvrir pour en vivre. Elle n’est pas une dynamique théologique enfermée dans la tour d’ivoire de certains penseurs. Elle se donne à vivre dans notre expérience quotidienne et en fonction de nos états d’âme et de nos moments de vie. Dieu s’offre à nous aujourd’hui encore. Il ne nous écrase pas de sa divinité pour nous montrer à quel point nous sommes petits face à lui. Dieu nous prend tellement au sérieux qu’il s’est fait l’un des nôtres pour nous montrer le chemin d’accès à sa propre divinité. Nous sommes conviés, en suivant l’enseignement de Jésus, à découvrir dans l’amour qu’il est le seul chemin permettant à l’homme et la femme de s’épanouir, de se réaliser. Le chemin de Dieu le Fils est une autoroute du bonheur. Et sur celle-ci, il n’y a jamais d’excès de vitesse puisque tout se vit dans l’amour de l’autre au nom du Tout Autre. Dieu le Père envoie son Fils pour donner un visage humain à sa divinité. Il est un Dieu qui a pris le temps de venir en notre


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monde par amour. C’est dans l’expérience de notre rencontre avec Dieu le Fils que nous comprenons un peu mieux le mystère du Père puisque Jésus ne se suffit jamais à lui-même et ramène toujours tout à son Père. Non content de son passage historique, Dieu le Père ne veut pas nous laisser orphelin de sa divinité filiale. Il répand alors son Esprit sur notre monde. Ce dernier se découvre et se vit également dans l’expérience de nos vies. L’Esprit de Dieu est toujours à l’œuvre dans notre monde, mais il se laisse découvrir dans le silence de la vie, avec les yeux de la foi, en accompagnant tous nos gestes de tendresse et de solidarité, en soutenant nos larmes et nos désespoirs. L’Esprit de Dieu, c’est l’expérience divine au quotidien, même si nous avons parfois l’impression qu’absence est un de ses prénoms. C’est ce même Esprit qui, par le baptême, nous pousse par des petits clins d’œil, tout en douceur, à partir, repartir à la rencontre du Fils. Par son Fils et dans l’Esprit, nous redécouvrons ainsi le visage de Dieu le Père. Il est ce Dieu créateur, plein d’amour, qui se révèle et se dévoile dans tous les actes d’amour que nous posons. Il attend de nous d’être heureux, de poursuivre notre marche incessante vers notre accomplissement. Il est Dieu de finesse qui espère la réalisation de sa création. En fait, Dieu désire tout simplement que nous vivions intensément. De la sorte, nous deviendrons trinitaires d’instinct puisque nos actes seront marqués du sceau de sa présence. Dieu, trois et un, un mystère qui se découvre par nos expériences personnelles et qui se rencontre en fonction de nos chemins. Tantôt, il est Père, tantôt il est Fils, tantôt il est Esprit. Mais quoi qu’il en soit, toujours il est Dieu.


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Les défis divins ou la quête du bonheur 6e dimanche (Lc 6, 17.20-26)

À force d’avoir tellement entendu les Béatitudes, nous pourrions être pris par ce sentiment où nous avons l’impression que tout a déjà été dit, qu’il n’y a plus rien à ajouter, comme si elles avaient été galvaudées au cours des années. Cependant, croire que nous les possédons à ce point risque de nous en faire oublier le caractère particulièrement révolutionnaire. Les béatitudes sont un chemin de bonheur proposé ; elles nous sont données comme des éclairs au milieu d’une tempête, notre tempête. Elles bousculent, surprennent, déconcertent, et font voler en mille morceaux nos idées bien établies. Elles sont la réponse du Christ aux dix commandements, ces lois anciennes qui donnaient déjà un chemin possible de bonheur. Mais à la différence de ces dernières, les béatitudes ne s’enferment pas dans des prescrits de lois énonçant ce qu’il y a lieu de faire. Les « heureux » et « malheureux » de l’Évangile sont non des normes, mais des défis lancés à chacune et chacun d’entre nous dans la quiétude de nos vies et que nous sommes appelés à relever. Le défi du Christ, dans notre quête incessante de bonheur, est de nous inviter à voir si nous souhaitons investir dans le court ou le long terme. Il nous rappelle que, même si sur terre le « tout tout de suite » est une valeur, cette immédiateté fait hélas de nous des êtres déjà consolés et repus, pour reprendre les termes de Jésus. Or, le bonheur n’est jamais un état atteint, il se projettera toujours dans un avenir. En effet, l’amitié, l’amour prennent du temps, le temps de se construire peu à peu, au hasard des rencontres. Leur objectif n’est jamais comblé, sinon la


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relation se meurt. Fort de ce constat, pour être heureux à long terme, il y a alors lieu d’oser vivre l’expérience du manque, du vide. C’est à partir de ce dernier que l’existence surgit, qu’une relation plus libre à l’autre et à Dieu peut se réaliser. « Si je suis vide de tout, c’est afin de pouvoir mieux vous attendre », dit Don Camille dans le Soulier de Satin de Paul Claudel. Telle est l’expérience de la pauvreté, de la nudité de l’esprit. La béatitude devient ainsi un défi au détachement. L’autre, l’être aimé ou Dieu ne peut se donner que si le cœur s’est préparé, dilaté en quelque sorte, pour l’accueillir. N’est-il pas vrai que bien souvent nous ne recevons de l’autre que ce que nous sommes nous-mêmes capables de recevoir. Et pour recevoir, il faut qu’il y ait un espace en nous. Si nous sommes comblés, rassasiés, repus, il n’y a pas de rencontre possible. La faim, l’attente sont des flèches qui nous propulsent dans un avenir où nous espérons que le bonheur se conjuguera toujours au pluriel. « Fais-toi capacité, je me ferai torrent », entendait Thérèse d’Avila. Avoir soif d’amour, avoir soif de Dieu, voilà le défi des « heureux êtes-vous ». Ne jamais se sentir comblé pour pouvoir partir à la quête d’un plus et d’un mieux à toujours découvrir et partager. Le merveilleux des Béatitudes, c’est qu’elles nous font ressentir que le vide est ce temps nécessaire pour vivre d’un désir de tendresse. Alors effectivement, le Christ a raison d’insister sur les « malheureux êtes-vous ». Non pas pour nous culpabiliser, mais plutôt pour nous faire découvrir que certaines valeurs et attitudes de notre monde, si elles sont vécues de manière égoïste ou extrême, empêchent tout naturellement qu’une véritable relation puisse s’établir soit entre nous, soit avec Dieu. Être tout de suite comblé, c’est passer à côté des mille beaux côtés de la vie ; c’est s’enfermer dans une solitude toute nourrie de son confort ; c’est, à long terme, perdre le goût de l’existence.


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Heureux sommes-nous de pouvoir relever chacune et chacun ces défis de Dieu avec ce que nous sommes. Alors, nos choix quotidiens sont-ils vécus à court ou à long terme, nos options de vie sont-elles guidées par la philosophie des « heureux » ou celle des « malheureux », avons-nous toujours faim et soif de Dieu et des autres ? N’attendez pas de moi une réponse, elle est tout simplement, tout tendrement, en vous, puisque « heureux, êtes-vous », nous chante le Christ.


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Le rêve de Dieu Nativité du Seigneur – nuit (Lc 2, 1-14)

Dans notre culture, la fierté est souvent associée à l’arrogance, à la vanité. Pourtant, je crois qu’il y a de nombreuses fiertés qui ont leur raison d’être. Prenons par exemple : la fierté des parents lorsque leurs enfants réussissent à l’école ou s’épanouissent dans la vie, la fierté de l’artiste face à sa dernière œuvre, la fierté du cuisinier lorsque son plat est un succès tant pour les yeux que pour le palais, la fierté de tout être humain lorsqu’il atteint un de ses objectifs. S’il en est ainsi, redonnons à la fierté toutes ses lettres de noblesse lorsqu’elle est vécue non pas par rapport à nous, mais plutôt vis-à-vis de ce que nous avons réalisé. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il nous est possible de célébrer une autre fierté : la fierté divine. Oui, Dieu est fier et il peut l’être. Il est fier, car il réalise son plus vieux rêve, un rêve complètement fou : celui de devenir l’un des nôtres. Même si parfois il peut regretter certains de nos actes, il aime toutefois ce que nous sommes devenus. En effet, il y a un peu plus de quinze milliards d’années, alors qu’il venait d’initier la vie en créant notre monde, il s’est mis à rêver parce qu’il avait compris qu’il n’est pas possible de vivre, même éternellement, sans avoir de rêves. Tout était là, à sa disposition. Il lui suffisait de trouver le bon moment, c’est-à-dire l’époque où les êtres humains seraient capables d’entendre et de comprendre ce qu’il avait rêvé pour chacune et chacun de nous.


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Et Dieu s’est fait patient, très patient. Il a attendu plus ou moins quatorze milliards neuf cent nonante-neuf millions neuf cent nonante-huit mille années pour devenir l’un des nôtres. Dieu a donc pris son temps, mais il est vrai que pour lui le temps est sans doute moins long puisqu’il n’est qu’un instant dans le temps de l’éternité. La fête de Noël nous donne l’occasion de nous rappeler ce très vieux rêve de Dieu devenu réalité il y a environs deux mille ans. Et c’est sans doute parce que c’était un rêve que ce dernier s’est réalisé de la manière dont il nous est conté dans une atmosphère féérique, hors norme, inattendue, imprévue. Depuis cette fameuse nuit, chaque fois que nous célébrons cet événement, le monde se met à tourner d’une autre façon. Chacune et chacun, nous nous mettons à rêver de paix, d’entente, de tendresse et d’amour. Comme si, au moins une fois par an, l’essentiel reprenait le dessus. Tel est le rêve de Noël. Mais en quoi est-ce si merveilleux pour Dieu, s’il est vraiment Dieu, de s’être fait l’un des nôtres. Tout simplement parce qu’il nous prend au sérieux, il croit à la beauté de notre humanité. Par définition, par essence, l’être humain est beau aux yeux de Dieu. Et il est important de nous le rappeler de temps à autre. Par l’incarnation du Fils, tout homme, toute femme est une créature merveilleuse appelée à partager sa divinité. Dieu se devait de devenir l’un de nous pour que, à notre tour, nous puissions devenir Dieu. Ce n’est pas moi qui le dis, saint Irénée s’exprimait déjà en ces termes au IIe siècle de notre ère. En s’incarnant, Dieu part de lui pour conduire toute l’humanité à entrer dans la vie divine. Voilà le projet, le rêve fou de Dieu. Que toutes et tous nous soyons en lui. Et pour ce faire, il n’avait pas d’autres moyens que celui de partager notre condition. Au cours de la nuit de Noël, il est là, devant nous, dans les


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yeux de cet enfant nouveau-né, tout fragile, tout émerveillé de la vie. Et il nous tend les bras pour que nous le prenions dans nos bras. Telle est sa confiance : Dieu n’a pas eu peur de se laisser porter par nous. Il se blottit tout contre nous, dans le creux de notre être, nous offrant non pas des mots, des discours, mais une relation de tendresse, car elle est le seul langage qui puisse être vraiment partagé. Dieu se laisse porter dans nos bras. Et nous sommes là, étonnés, surpris de la manière dont il vient à nous. Et lui, il nous regarde et nous sourit, heureux d’être avec nous, heureux d’être l’un de nous, car son vieux rêve s’est enfin réalisé. Par là, Dieu nous invite à vivre nous aussi nos rêves. Et ces derniers sont comme Dieu. Ils sont en nous. Partons alors de qui nous sommes, de tout ce qui nous a été donné pour nous mettre à rêver de la vie que nous avons envie de vivre avec cette confiance de nouveau-né que l’Esprit de Dieu nous accompagnera. Si Dieu s’est incarné en nous, puissionsnous également habiter nos rêves les plus fous, ceux qui nous font vivre. Nos rêves réalisés deviendront alors la fierté de ce que nous sommes devenus. C’est pourquoi la fête de Noël signifie également la fierté de la divinité, la fierté de notre humanité, la fierté de tous nos rêves à réaliser. Des rêves pleins la vie, tous les rêves à chanter.

C’est si simple de prier 17e dimanche (Lc 11, 1-13)

« Dites, vous les Dominicains, vous ne pensez pas qu’il serait bientôt temps d’organiser un petit week-end de retraite pour aider vos paroissiens à mieux prier ou tout simplement pour nous apprendre à prier ? Nous avons l’impression d’être fort éloignés


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de ce que Dieu attend véritablement de nous. Surtout lorsque nous nous mettons à lire des livres de spiritualité écrits par Jean de la Croix, Thérèse d’Avila ou encore Ignace de Loyola. » De grands spirituels, il est vrai, mais qui sont profondément marqués par le siècle dans lequel ils ont vécu. Pour avoir lu ces auteurs, je reconnais avoir quelque difficulté à entrer dans une telle démarche qui me semble souvent un véritable parcours du combattant. Un peu comme si Dieu ne pouvait s’atteindre qu’au sommet d’une haute montagne qu’il faut gravir lentement et qui demande de nombreux efforts. Des écoles de prière, au sein de notre église, il y en a beaucoup. C’est à chacun de nous de trouver celle qui correspond le mieux à sa personnalité. Certains apprécieront les auteurs que je viens de citer. D’autres culpabiliseront parce qu’ils n’arrivent pas à atteindre un tel degré de spiritualité. D’autres encore — et j’en fais partie — estiment que la prière est beaucoup plus simple que ce que prétendent certains maîtres spirituels. Dans l’évangile, la prière du Christ est un acte d’intimité par excellence entre lui et son Père. Jésus parle tout simplement. Il émet un ensemble de souhaits, d’abord pour ses amis, puis pour tous ceux qui se laisseront atteindre par leurs paroles les conduisant vers le Fils. Ce Fils qui les amènera en toute confiance vers le Père puisqu’ils ne font qu’un au sein de cette Trinité. Mais l’unité dont parle le Christ n’est pas une fusion dans laquelle nous nous sentons prisonniers, incapables de nous délier, une fusion idyllique dans laquelle nous ne pouvons plus respirer, mais simplement étouffer. Non, l’unité divine est d’abord et avant tout la rencontre de deux personnes uniques au sein de la divinité : le Père et le Fils. L’unité véritable n’est possible que s’il y a acceptation et reconnaissance de la différence, de l’altérité. Un plus un n’égalera jamais un, mais toujours un plus un.


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C’est parce que deux créatures sont uniques, à ce point différentes, que la rencontre est possible. Mais n’exaltons cependant pas cette différence. Il est vrai que la différence, pour être rencontrée, reconnue, et surtout pour qu’elle ne fasse pas peur, exige qu’elle se vive au cœur d’une certaine ressemblance, d’une certaine similitude. En effet, si nous sommes trop différents les uns des autres, il n’y aura pas entre nous de points d’ancrage qui nous permettent de nous rencontrer. La différence est donc importante, mais au cœur de la ressemblance. Ressemblance à laquelle nous sommes conviés, rappelle le premier récit de la Création dans le livre de la Genèse. Nous sommes sur terre pour acquérir cette ressemblance, puisque nous avons déjà reçu l’image divine. Cette acquisition ne passe pas par une recette toute faite, elle est tributaire de nos histoires personnelles, mais également de la manière dont nous répondons à l’invitation de la foi. Et cette foi, nous y répondons par nos actes, mais également par tous ces temps que nous prenons pour vivre de la vie divine, c’est-à-dire par la prière. Prier, c’est parler à Dieu, souvent de soi d’abord : de ce qui nous préoccupe, de ce qui nous encombre. C’est également nous réjouir de la beauté de la vie, de moments merveilleux qui nous sont donnés à vivre. Prier, c’est aussi demander comme le Christ le fait tout au long de l’évangile. La prière est parole. Mais pour que cette parole soit vraie, la prière est d’abord silence en nous. Un silence tout intérieur, un peu comme si nous éteignions notre lumière intérieure pour entrer au plus profond de ce que nous sommes, là où réside la lueur divine. Silence en soi pour mieux rencontrer l’autre, l’écouter dans son silence à lui. Là nous entrons dans le domaine de l’indicible, de l’inexprimable tant cette émotion est personnelle. Vient alors le temps du monologue où nous posons en Dieu tout ce qui nous préoc-


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cupe ou nous réjouit. La prière, ce n’est pas plus compliqué que cela, c’est simplement avoir un désir défait de tout ce que nous sommes pour rencontrer en nous ce Dieu qui est Père, Fils et Esprit. Et c’est vraiment en nous que cela se passe.

Prier, c’est être avec Dieu Sainte Famille (Lc 2, 41-52)

« Comment priez-vous ? Comment dialoguez-vous avec Dieu ? » demanda un journaliste de La Croix au frère Timothy Radcliffe, ancien Maître de l’ordre des Dominicains. « Dans la tradition dominicaine, répondit ce dernier, la prière est souvent conçue comme un acte d’amitié, nous n’avons pas vraiment de technique de prière. Je dois avouer que je ne suis pas très fort pour la prière. Je suis très facilement distrait. Souvent, je vais dans la chapelle, juste pour m’asseoir et rester avec Dieu, en silence. Mais, souvent, j’ai la tête et le cœur trop pris pour cela. Je suis préoccupé par mes problèmes, mes dossiers, trop soucieux de moi-même. Un jour, l’auteur de théâtre anglais Noel Coward rencontra l’un de ses amis dans une soirée et lui dit : “Nous n’avons pas le temps de parler de nous deux. Alors parlons de moi.” Notre prière, souvent, commence un peu comme ça. Nous adressons à Dieu un bavardage sur nous-mêmes, sur les autres, tout en nous demandant ce qu’il y aura à manger pour le déjeuner. Mais si l’on prend le temps nécessaire, vient le moment du silence où nous sommes avec Dieu. Prier, ce n’est pas penser à Dieu. Comme dit mon camarade de noviciat Simon Tugwell, concluait le frère Timothy, lorsque nous sommes avec nos amis, nous ne pensons pas à eux, nous sommes avec eux. Prier, c’est être avec Dieu. »


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De tels mots dans la bouche de l’ancien big boss de notre Ordre me font terriblement plaisir et nous ramènent au sens des Écritures. La vie de foi, la vie chrétienne, n’est pas quelque chose de difficile, de compliqué, comme l’ont prétendu de nombreuses personnes au cours des siècles et encore aujourd’hui. Croire au Christ, ce n’est pas vivre sa vie en avançant à genoux sur un chemin rocailleux. Sans pour autant nier les souffrances que nous traversons, les heurts et trahisons que nous subissons, ces événements douloureux font partie de notre vie humaine. Mais la foi nous fait découvrir une autre facette de la vie. Même si nos journaux sont friands de drames, la vie est également belle et elle vaut la peine d’être vécue. Cette beauté peut être illuminée de la lumière de Dieu qui prend l’humanité tellement au sérieux qu’il se fit lui-même l’un des nôtres par l’Incarnation de son Verbe. Prendre la vie au sérieux n’est cependant pas synonyme de tristesse. Pourtant, ces deux notions sont souvent confondues. Pour croire, il faut être sérieux, entend-on parfois. Erreur, me semble-t-il. C’est vrai, la foi, c’est quelque chose de très important, et il faut donc la prendre au sérieux. La prendre au sérieux, c’est-àdire en vivre pour donner du goût à sa vie, l’épicer d’une herbe toute spéciale, la parfumer d’une relation unique au Créateur. Pour croire, il ne faut pas être sérieux, il faut être joyeux. La foi n’a pas de sens si elle n’est pas vécue comme une joie, si elle n’est pas légère et douce. Croire n’est pas une obligation mais une invitation à laquelle toutes et tous nous avons envie de répondre positivement parce qu’elle nous nourrit d’un bonheur indicible. Et cette joie intérieure qui nous anime est une joie toute simple, sans fard, sans bruit, à l’exemple de la manière de prier telle qu’elle nous est proposée par le frère Timothy. Une joie qui nous envahit dans ce que nous faisons, dans ce que nous


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sommes. Par cette joie, la foi au Dieu de Jésus Christ nous fait découvrir que vivre chrétiennement n’est pas quelque chose de compliqué. « C’est chez mon Père que je dois être », nous dit le Christ, et c’est cela, vivre chrétiennement. Jésus nous convie à ne pas aller au-delà de nos forces, à faire ce que nous avons à faire mais à notre mesure, selon nos capacités. Pas plus, mais pas moins non plus. Vivons ce que nous avons à vivre avec tout ce qui nous a été donné et sans jamais chercher midi à quatorze heures. Mais vivons cette foi dans la joie avec cette certitude annoncée : « Le Seigneur ton Dieu est en toi. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme au jour de fête » (So 3, 17-18). Si cette promesse est vraie et si nous y croyons, que cette foi qui nous habite soit fête pour celles et ceux que nous rencontrons.

La voix de Dieu 4e dimanche de Pâques (Jn 10, 27-30)

Il y a quelque temps déjà, un animateur de mouvement de jeunesse posait la question suivante à son staff : « Pourquoi continuons-nous à venir presque tous les samedis à quatorze heures au mouvement de jeunesse alors que les jeunes que nous animons nous engueulent et ne sont jamais contents ? » C’est vrai, pourquoi continuer quelque chose alors que nous en retirons très peu de gratitude, de reconnaissance. Est-ce la peur de s’ennuyer le samedi après-midi, un plaisir masochiste dissimulé sous une bonne action ? Non, il doit y avoir — enfin, je l’espère — autre chose. « Si nous venons ici, constata cet animateur, c’est parce que c’est quelque chose de bien. »


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Cette réflexion, me semble-t-il, peut être transposée à nos eucharisties dominicales. Nous y venons par habitude, par conviction personnelle, par besoin de ressourcement, pour prendre un peu de temps avec soi et avec Dieu. Certains dimanches, nous nous y sentons bien, les lectures nous parlent, nous interpellent et puis d’autres fois, en sortant, nous ne nous rappelons même plus de l’évangile et encore moins de la prédication. Durant tout le temps de la célébration, nous étions ailleurs, dans notre ailleurs, c’est-à-dire au plus profond de nos pensées, soit à la rencontre de Dieu, soit nourries de préoccupations humaines. Et c’est la vie, tout simplement la vie. Elle est d’autant plus étonnante qu’il nous arrive parfois d’entendre un texte biblique comme si c’était la première fois, comme s’il venait d’être écrit. « En effet, nous dit le Christ, mes brebis écoutent ma voix. » Nous sommes ses brebis et la manière dont nous écoutons sa voix varie de personne à personne. Notre écoute, qu’elle soit orientée vers Dieu ou vers nos proches, dépend de multiples facteurs : notre histoire personnelle, nos problèmes et nos joies… Il nous arrive d’entendre et de faire le sourd. Le texte révélé se découvre à nous, lors de nos lectures, de manière nouvelle, fraîche, en fonction de là où nous en sommes dans notre propre vie. À chacune et chacun de le recevoir dans le silence de son cœur, de le méditer pour pouvoir continuer à grandir sur son propre chemin de vie. Ce serait évidemment fortement réducteur de ne voir l’écoute de Dieu qu’à partir des Écritures. D’ailleurs, le Christ ne dit pas cela. Il dit simplement : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent » (Jn 10, 27). Dieu s’exprime aujourd’hui encore de multiples manières. Cette voix ne s’est pas éteinte avec le temps. Elle est peut-être plus difficile à entendre dans notre société polluée par le bruit et l’empressement.


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En effet, la voix de Dieu s’exprime dans la brise légère, elle ne crie pas, elle susurre au creux de nous-mêmes. Et pour pouvoir l’entendre, il nous faut arrêter notre cinéma intérieur. Cette voix divine se laisse rencontrer lorsque nous reprenons le contact avec elle, mais elle surgit également là où nous nous y attendons le moins. Dieu continue à nous parler, à travers de multiples signes, à travers de multiples rencontres. À nous de les déceler et de les nommer. Reconnaître et nommer la voix de Dieu, c’est oser dire : « Ici, je crois que Dieu est présent. Je ressens quelque chose qui me dépasse et me fait du bien. » Et ça, c’est un sacrement. C’est vrai, l’Église reconnaît aujourd’hui sept sacrements, mais des sacrements au sens de signes visibles de la présence de Dieu, il y en a non pas sept, dix ou cent, mais des millions. Ils parsèment nos vies dans ce que nous faisons et lorsque nous aimons. Écouter la voix de Dieu, c’est prendre conscience de cette présence et oser la reconnaître. Lorsque les événements de nos vies sont sacramentels, signes visibles de la présence divine, Dieu nous invite à le suivre, à répondre à son invitation. Et si, aujourd’hui encore, nous faisions tout simplement silence en nous pour écouter la voix de Dieu et nous mettre à le suivre…

Respirer Dieu 3e dimanche de Pâques (Jn 21, 1-19)

Il y a quelques années, je me trouvais pour quelques jours en Italie. Non pas pour un séminaire, un colloque ou une retraite, mais tout simplement pour un petit temps de vacances que j’estimais bien méritées. Durant ce séjour, je me suis arrêté à Padoue où j’ai vécu une expérience religieuse intéressante. N’ayez au-


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cune crainte, je ne vous montrerai ni photos, ni diapos, ni vidéo. Ce n’est pas encore l’enfer sur terre. Je vous épargne ce genre de supplice. À Padoue se trouve le tombeau de saint Antoine, celui qui est invoqué lorsqu’on perd quelque chose. Les fidèles se pressent autour de son tombeau, le touchent et prient. Je ne me permettrais jamais de porter un jugement sur cette piété populaire. À quelques mètres du corps se trouve un reliquaire où les pèlerins peuvent apprécier la mâchoire inférieure, la langue et l’appareil oratoire baignant dans un liquide. Cet endroit de la basilique est d’ailleurs, à ma grande surprise, tout autant visité. À l’extérieur, les échoppes sont nombreuses à proposer toute une série d’articles religieux, et les cars s’arrêtent par dizaines à cet endroit. Ce qui est par contre tout à fait étonnant, c’est qu’à plus ou moins sept cent cinquante mètres de Saint-Antoine se trouve la basilique Sainte-Justine. Cet édifice est nettement moins connu et de nombreux guides le passent sous silence. Ni touristes ni pèlerins ne s’y arrêtent. Il est vrai que l’église n’est pas très jolie. Et pourtant, c’est là que repose le corps de l’évangéliste Luc. Son tombeau se trouve dans un endroit peu chaleureux, avec deux plantes vertes comme unique décoration. Vous imaginez ma surprise face à un tel contraste. Tant de dévotion pour un saint et aucune pour un évangéliste. La foi et notre manière de la vivre me surprendront toujours un peu. Cette foi, il est évident que chacun d’entre nous la vit avec ce qu’il est, façonné par ses expériences de vie, ses histoires personnelles, ses états d’âme. Et voilà que le Christ nous pose cette question : « M’aimes-tu ? » Difficile d’aimer quelqu’un que nous n’avons jamais vu, pourraient dire certains. Notre façon de l’aimer, de répondre positivement à son invitation, est éminemment personnelle. Nous n’aurions pas assez de la mémoire du


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plus puissant ordinateur pour mémoriser tous les chemins de rencontre avec Dieu, qu’il soit Père, Fils ou Esprit. Mais le Christ ne se contente pas d’une réponse positive : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. » Il attend de nous que nous partions à sa rencontre. Comment ? Simplement. Dieu se rencontre au cœur de nos vies, là où nous sommes. Je ne crois pas que Dieu se rencontre uniquement dans nos églises, ou encore dans des lieux précis, propices à la méditation, au silence intérieur. Dieu se laisse découvrir là où nous vivons. Il est présent dans notre vie quotidienne, même si pour certains, l’eucharistie est le seul lieu de rencontre avec Dieu. Mais alors, si je rate un dimanche, cela signifie-t-il que Dieu devra attendre la semaine suivante pour que je prenne un peu de temps avec lui ? La question a le mérite d’être posée en tout cas. Pourtant, Jésus ressuscité n’attend pas que ses disciples soient à nouveau entre eux, dans un endroit calme, pour se révéler à eux. Il offre sa présence alors qu’ils sont en plein travail. Un peu comme s’il nous envoyait un petit clin d’œil pour nous dire, partout où vous êtes, quoique vous fassiez, je suis avec vous. Non pas comme un œil qui contrôle, vérifie mais comme une présence tout attendrissante dont le regard d’amour se donne à vivre en plénitude chaque fois que nous le souhaitons, chaque fois que nous nous tournons vers lui. Dieu s’offre à nous dans notre quotidien. Vivre sa foi ne se réduit pas à une pratique. Vivre sa foi, c’est respirer Dieu et prendre un peu de temps hors du temps chaque fois que l’occasion ou l’envie est là. C’est la raison pour laquelle j’aime cette phrase du frère Louis Dingemans : « Ma voiture est ma chapelle. » Cette affirmation, je l’ai faite mienne et il m’est déjà souvent arrivé de manquer des sorties d’autoroute parce que j’étais bien avec Dieu tout en conduisant. En voiture, en promenade, dans


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la nature ou encore en travaillant, abandonnons-nous et laissons à Dieu de l’espace dans notre quotidien. Nos gestes, nos regards et nos vies changeront de ton puisqu’ils seront inscrits dans l’amplitude du divin. « Et toi, m’aimes-tu ? », demande Dieu. Je ne puis répondre à votre place. À nous de le faire, chacun séparément et de se laisser envahir de sa présence dans tous ces petits moments qui font la richesse de nos vies.

L’unité en Dieu dans l’amour 7e dimanche de Pâques (Jn 17, 20-26)

Vous avez compris quelque chose à tous ces un ? Pour vous, je les reprends et ça me paraît bien compliqué. « Qu’ils soient un, comme toi tu es en moi et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi. Et que moi aussi je sois en eux » (Jn 17, 21). Au premier abord, tout cela paraît bien malsain, comme si on se modelait l’un dans l’autre, une fusion parfaite au risque de nier notre propre individualité au nom de cette unité entre le Père et le Fils. Unité, unité au risque de se perdre, sommes-nous en droit de nous demander. Mais de quelle unité s’agit-il donc ? Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une unité d’organisation, une unité d’Église, comme certains l’ont prétendu. Cette unité-là n’existe pas. Nous n’organiserons jamais nos églises de la même façon. J’en ai pour preuve la manière de prier : chacune et chacun vit sa rencontre intime avec Dieu à partir de sa propre histoire. Une relation s’établit entre Dieu, qu’il soit Père, Fils ou Esprit, valeur de vie, Absolu. Chacun le définit à partir de ce qu’il en pressent. Je crois même pouvoir affirmer qu’au sein de notre propre assemblée,


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nous ne croyons pas tous les mêmes choses. Notre perception de Dieu est fonction de ce que nous avons reçu de Dieu luimême et des lieux où notre foi a grandi. Il en va de même de nos célébrations. Celles-ci sont influencées par les lieux, les groupes de préparation, les célébrants, la manière de chanter. Et pourtant, aujourd’hui, malgré toutes ces différences qui nous éloignent d’une certaine forme d’unité, nous sommes là pour vivre de cette rencontre divine. Sans doute parce que l’unité dont le Christ nous parle dans l’évangile est une unité qui transcende, dépasse toutes ces différences pour rejoindre chacune et chacun dans une relation d’amour entendue au sens de respect, d’autonomie laissée à l’autre pour se réaliser. Il me semble qu’ici nous nous situons donc au cœur de l’unité de relation personnelle. Nous sommes donc bien loin d’une quelconque idée de fusion idyllique qui emprisonne, voire même étouffe. Non, le Christ ressuscité nous convie à établir entre nous des relations d’amour puisque dans sa propre prière il demande au Père : pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé. Et l’amour, comme le souligne Christian Bobin (dans Le Très Bas, Paris, Gallimard, 1992, p. 119), est manque bien plus que plénitude. Mieux encore, l’amour est plénitude du manque, une chose incompréhensible. Mais ce qui est impossible à comprendre est pourtant tellement simple à vivre, conclut-il. Simple à vivre, vite dit, surtout lorsque nous lisons l’histoire de l’humanité, notre humanité. Nous sommes confrontés à un certain danger qui risque de tout faire basculer, celui d’aimer plus nos organisations et structures d’Église, nos credos, nos rites, que de nous aimer l’un l’autre. Nous nous enfermons alors en nousmêmes dans des barrières, importantes peut-être, mais qui ne conduisent pas à la vie, puisque son fondement n’en est plus au cœur.


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Une organisation, un credo, un rite sans amour est quelque chose qui, petit à petit, se dessèche et meurt. Seul l’amour fait vivre et donne vie. Pourtant, il nous fait peur, cet amour, et nous nous mettons alors à fuir et nous nous contentons de ce que les journaux, la radio et la télé nous crient chaque jour, c’est-à-dire que des hommes et des femmes tuent, humilient, torturent. Nous nous réjouissons du malheur des autres, mais sans le faire nôtre. Et nous voilà partis dans la spirale des cancans et des ragots que nous parviendrons toujours à justifier par un prétendu souci de l’autre. N’oublions pas, nous sommes des êtres intelligents et les rois des excuses faciles. Mais le ragot est tellement loin de l’amour. Comme si le malheur de l’autre nous rassurait ; par lui, nous nous mitonnons notre petit coin de bonheur. Cette dynamique nous conduit à dire : « Aimons-nous, comme on s’aime dans le monde de Dieu. » Cependant, l’évangile nous invite à nous aimer comme Dieu nous aime. Là réside toute la différence. Et c’est si simple à réaliser. Plutôt que de nous contenter du malheur des autres ou de s’en apitoyer, pourquoi ne pas commencer à nous émerveiller à nouveau devant de simples gestes de la vie véhiculés par l’amour, des actes de tendresse et d’amitié, des solidarités. Nos vies en sont parsemées. Prenons le temps de nous tourner vers tout ce qui se fonde sur l’amour et alors se réalisera la prière de Jésus : « Qu’ils soient un comme nous sommes un. »

Le retrait de Dieu 19e dimanche (Lc 12, 32-48)

Il y a quelques années, au cours d’un journal télévisé, Ayrton Senna, coureur automobile de formule un, a eu droit à vingt-


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deux minutes d’antenne lors de l’accident qui lui coûta la vie. Dans les nouvelles brèves de cette même émission, on annonçait les premiers chiffres du génocide rwandais : cinq cent mille morts. Vingt-deux minutes pour un homme, sept secondes pour cinq cent mille autres. Drôle de monde. Au cours du XXe siècle, il y a eu plus de six millions de morts à Auschwitz et dans d’autres camps d’extermination, des dizaines de millions de morts sous les régimes communistes et un million de morts lors du génocide du Rwanda. Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui n’ont pas compris ce qui leur arrivait, des millions d’êtres humains qui se sont tournés, dans leur désespoir le plus profond, vers Dieu pour que ce dernier entende leur cri et change le cours des événements et de l’histoire. Et Dieu est resté profondément silencieux. Drôle de monde et maintenant drôle de Dieu. Comme le constate Sylvie Germain dans son superbe livre intitulé les Échos du silence (Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p. 49) : « À chaque fois et en tout lieu où la détresse s’empare d’un homme frappé de deuil, livré à l’agonie, à la désolation, c’est ce silence qui se répercute et s’aiguise dans le cri proféré par cet homme. Un homme alors au corps à corps avec le scandale du silence, au cœur à cœur avec le mystère du silence — front contre front avec Dieu. » Un Dieu, ce Dieu, notre Dieu, un Dieu insaisissable, immaîtrisable, qui ne se laisse pas dominer, enfermer dans nos idées préconçues puisqu’il se définit par l’indéfinissable : « Je suis qui je suis » ou encore « Je serai qui je serai ». Le Dieu de la Bible se révèle à nous comme étant l’inconnaissable. Éloigné de son humanité et pourtant pas si lointain. Il se donne à nous à travers une flamme légère, celle d’un buisson qui ne se consume pas, tout en douceur, tout en tendresse. Et il se laisse voler par nous un peu plus encore au travers du visage


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de son propre fils lorsqu’il dit : « Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Lc 12, 34). Dieu est celui qui laisse une seconde chance à l’être humain, qui garde toujours l’espérance. Pour lui, tout peut toujours redémarrer, recommencer. Il nous montre que nos « trébuchements » ne sont pas la fin de notre histoire. Un futur est toujours possible, le « Je serai qui je serai » nous est également donné à vivre. L’histoire des serviteurs en tenue de service nous rappelle que la patience est bien une qualité, une vertu divine. Son silence serait-il alors symbole de sa patience ? Le Christ nous affirme, avec cette foi qui le caractérise, que Dieu n’est pas à chercher dans la cause des événements. Dieu n’est cause ni des massacres, ni des accidents, ni des maladies, ni des drames et des souffrances qui traversent nos vies. Si Dieu n’est pas cause de notre malheur, nous avons à reconnaître et accepter qu’il n’est pas non plus celle de notre bonheur. Dieu n’interviendrait donc pas dans les événements de nos vies ? C’est sans doute la raison de son silence, ce silence qui nous fait mal, si mal, et qui nous rend bien seul face au poids de la vie. Si Dieu n’est pas cause de l’événement, il s’y révèle toutefois. Alors, bienheureux sommes-nous, car tant dans notre malheur que dans notre bonheur, Dieu se révèle à nous. Dieu s’est retiré de notre monde pour nous laisser vivre en liberté, c’est le prix à payer. Mais son silence est tout habité de sa présence. Une présence intime, empreinte de tendresse et de miséricorde, qui nous porte dans nos douleurs et nous accompagne dans nos bonheurs. Et c’est tout simplement cela, la conversion à laquelle nous sommes appelés chaque jour : partir au plus intime de nousmêmes pour y trouver ou retrouver ce Dieu qui se révèle et se donne à nous dans les événements de nos vies. Alors, à chacune et chacun, je souhaite un bon voyage tout intérieur à la rencontre de Dieu.


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La toute-puissance de douceur 2e dimanche de Carême (Ph 3, 17-4, 1 ; Lc 9, 28b-36)

Au fil des années, il y a des mots qui perdent de leur valeur, qui ne sont plus acceptés par le commun des mortels. En bref, ils deviennent intolérables dans la culture environnante. Tel est le cas de cette phrase entendue dans une lettre de saint Paul : « Avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer » (Ph 3, 21). Quelle horreur conceptuelle : oser continuer à croire en un Dieu tout-puissant, un Dieu dominateur, un Dieu écrasant tout ce qui le dérange, un Dieu qui laisse peu de place à l’être humain sur son chemin terrestre puisque ce dernier est à la merci du bon vouloir divin. Telle pourrait être une certaine perception de Dieu. Toutefois, il est essentiel de comprendre cette puissance, cette domination à partir du récit du septième jour de la Création tel qu’il nous a été relaté dans le livre de la Genèse. Le récit de la Création du monde est un mythe. Cela ne s’est jamais passé comme cela évidemment ; c’est une interprétation, une explication humaine du début de l’histoire de l’humanité. Mais même si c’est un mythe, cette histoire nous raconte quelque chose. Pendant six jours, Dieu va tout maîtriser, tout dominer. Puis le septième jour, à l’instant même où il décide d’achever son œuvre, Dieu choisit de se reposer. En se reposant, il cesse de dominer, de maîtriser puisqu’il ne fait plus rien. En d’autres termes, il maîtrise sa maîtrise, c’est-à-dire qu’il permet à la douceur d’exister, d’émerger. La toute-puissance de Dieu n’est donc pas une toute-puissance de domination, une toute puissance de maîtrise. Puissions-nous ne jamais l’oublier, surtout lorsque nous disons : « À toi le règne, la gloire et la puissance ». La toute-puissance divine est une toute-puissance de douceur. C’est par la douceur, l’amour et la tendresse que Dieu a


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choisi de dominer le monde. Alors, lorsque quelqu’un affirme que Dieu est tout-puissant de domination, il ne fait que dire tout haut ce qu’il rêve d’être lui-même : un être humain désireux de tout maîtriser, dominer, voire écraser. Il n’est plus image de Dieu, mais il a fait Dieu à son image de puissance. Or, nous disent les Écritures, Dieu n’est plus dans la domination, il sévit dans la tendresse, signe de sa propre douceur. La phrase de saint Paul nous devient limpide : « Avec la puissance de tendresse qui le rend capable aussi de tout dominer de douceur. » Voilà ce que nous disons lorsque nous proclamons notre foi. Nous rejetons nos désirs de puissance, de domination, de maîtrise de l’autre pour faire place à la douceur dans nos relations avec les autres ainsi qu’avec le Tout Autre. Cette philosophie de vie n’est pas sans conséquence sur notre propre rayonnement. En effet, si la douceur est au cœur de nos existences, ces dernières s’illuminent de cette réalité nouvelle. La douceur divine nous transfigure à l’image du récit de l’évangile de ce jour. Dieu, dans son infinie tendresse, nous convie dans l’intimité de la rencontre, c’est-à-dire dans ce dialogue de la prière, à redécouvrir toute la richesse de sa toute-puissance telle qu’il nous l’a dévoilée. Entendue de cette manière, la prière devient un temps de dialogue, tout simple, tout naturel entre Dieu et nous. La prière n’est pas réservée à quelques professionnels qui passent leur vie à prier. La prière n’a pas besoin de quarante jours d’exercices spéciaux pour être vécue. La prière est un moment à vivre n’importe où et n’importe quand lorsque nous décidons de parler à Dieu de nous, de ce qui nous réjouit, de ce qui nous préoccupe. La prière est un temps d’amitié entre le divin et l’humain. Elle se vit avec nos mots à nous. Dieu n’a que faire de belles phrases, de constructions grammaticales correctes. Dieu nous attend et nous accueille dans la douceur de sa toute-


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puissance, celle-là même qui transfigure chaque être humain. Prenons alors ensemble ce temps pour nous laisser chacune et chacun transfigurer par la douceur de sa tendresse.

La folie de Dieu Dédicace de la basilique du Latran (Jn 2, 13-22)

L’histoire se passe au paradis. Le curé d’un petit village de campagne meurt en même temps que le garagiste du même village. En plus de son garage, l’homme tenait une petite société de transports. Il avait un grand car pour les excursions des gens des environs. Et voici que notre curé et notre garagiste arrivent au ciel en même temps et se retrouvent devant cette grande porte en fer forgé. Grand bien leur fasse, ils sont accueillis par saint Pierre en personne. Il va sans dire que leur émotion est grande. Et voilà que saint Pierre invite le garagiste à entrer le premier au Paradis. Cela ne fait nullement plaisir au curé qui interpelle saint Pierre en lui rappelant qu’il devrait avoir plus de respect à son égard : il était quand même le curé du village tandis que l’autre n’était qu’un petit commerçant. C’est vrai, rétorqua saint Pierre, mais toi, sur terre, ton église se vidait tandis que le garagiste, lorsqu’il conduisait son car, à chaque tournant tous ses voyageurs priaient. Histoire étonnante. Et si elle était vraie ? Oh ! me rétorqueront certains, mais il n’y a aucune logique làdedans. Cela va tout à fait au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Il y a comme de la folie dans l’air au Paradis. Nous sommes dépassés. Nous imaginons comment ce sera et voilà que cela semble être tout le contraire. C’est fou. Mais qu’est-ce que cette folie de Dieu dont nous parle saint Paul ? Je n’en sais trop rien et au risque d’en décevoir certains, comment voulez que je le sache,


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je ne suis pas Dieu. Je crois cependant que Dieu n’est pas fou, mais qu’il y a de la folie dans le projet de Dieu. Et voilà que cette folie de Dieu se poursuit dans l’histoire de notre évangile. Ce n’est pas de cette façon que nous nous imaginons le Christ. Jésus est tout sauf violent. Nous ne sommes pas habitués à cette image d’un Jésus qui n’arrive plus à se contrôler et qui se met dans une telle colère. Jésus, Fils de Dieu et Dieu lui-même, ayant un comportement à ce point humain ! Si ça, ce n’est pas aussi un peu de la folie de Dieu… L’acte du Christ au Temple étonne, surprend. Et en tant qu’homme, je pourrais même dire que je ne l’approuve pas. Si l’un d’entre vous faisait la même chose chez moi, je n’apprécierais vraiment pas. Un coup de colère est peut-être humain, mais pour vivre en société, il faut pouvoir se contenir. Je condamnerais sans doute le geste, mais non la personne. Voici que se dessine peut-être une autre folie de Dieu, une des radicalités de l’évangile. L’acte est sans doute répréhensible et mérite sanction. Mais la personne n’est jamais condamnée aux yeux de Dieu. Dans le projet du Père, tout acte qui porte atteinte à sa propre intégrité ainsi qu’à celle de l’autre est à condamner. Tout acte qui nous empêche de nous réaliser dans notre humanité est désapprouvé dans le plan du créateur. Alors, si cela vaut pour l’homme, autant pour Dieu, surtout lorsque Dieu est homme. Pourtant, la colère du Christ a sa raison d’être. Elle est une invitation pour nous-mêmes. Il est venu le temps du nettoyage intérieur, de vider nos greniers au fond de nos cœurs, de nous débarrasser de ce qui n’est pas essentiel, voire existentiel, pour redécouvrir tout simplement un peu de temps pour Dieu, un peu de temps pour l’autre. Le Temple de l’Évangile, la Maison de Dieu, c’est d’abord et avant tout notre cœur. C’est dans ce lieu où vivent nos sentiments que Dieu aime venir résider. Chasser


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les vendeurs du Temple, c’est oser chasser en nous tout ce qui nous empêche de pleinement exister pour rencontrer Dieu. Cette logique, folie de Dieu à nouveau, nous pousse encore plus loin : si Dieu se repose en chacun de nous, si la Maison de Dieu est vraiment dans le cœur de mon voisin, comment faisons-nous Église ensemble ? quelle place faisons-nous, ne fût-ce que dans notre assemblée, à l’étranger ? comment accueillons-nous les nouveaux venus ? L’histoire du Temple, c’est enfin, dans notre Église, l’invitation à partir à la rencontre des nouveaux-venus pour les accueillir afin que parmi nous puissse naître la véritable fraternité. Si notre communauté devient un club fermé, alors il n’y aura plus de place pour la folie de Dieu.

Notre crèche intérieure Épiphanie (Mt 2, 1-12)

Je ne sais pas si vous vous êtes déjà posés la question suivante : « Qu’est-ce que Jésus a bien pu faire de ses cadeaux reçus des mages d’Orient ? » Je n’ai pas pu trouver jusqu’à ce jour de réponse chez les auteurs sérieux. Nous savons qu’ils ont une représentation symbolique, l’or pour la royauté du Christ, l’encens pour le sacerdoce et la myrrhe comme signe précurseur de sa mort. Au-delà de ses symboles, seuls les humoristes ont tenté de répondre à ma question existentielle sur les cadeaux. D’après eux, comme Jésus est né dans une étable et qu’il y avait du bétail pour le réchauffer, l’encens a été utilisé directement pour donner un peu de fraîcheur à l’établissement. Comme Marie ne savait pas à quoi pouvait servir la myrrhe, elle l’aurait jetée, prétendent-ils. En ce qui concerne l’or, une légende raconte que les parents l’avaient gardé pour payer les études de Jésus dans un


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collège jésuite de Jérusalem. Arrivé à l’âge de douze ans, l’enfant refusa d’aller dans une telle école, il avait déjà la sagesse de l’Enfant Dieu. Marie donna alors l’argent en même temps que le rosaire à saint Dominique qui fonda cet ordre merveilleux qu’est l’ordre des Prêcheurs. C’est une légende, une très belle légende pour le frère dominicain que je suis. Ce ne sont pas seulement les cadeaux qui sont importants dans le récit que nous venons d’entendre, mais plutôt le fait qu’ils aient été donnés. Les rois mages se sont dépouillés d’une partie de ce qu’ils possédaient pour pouvoir admirer l’Enfant Dieu dans sa crèche. Depuis ce jour, tout au long des siècles, les auteurs spirituels n’ont fait que nous rappeler que Dieu, Père, Fils ou Esprit, se rencontre dans le dépouillement, notre dépouillement intérieur, c’est-à-dire dans un désencombrement de ce qui nous fait vivre habituellement pour que la vérité de la relation puisse se vivre. Depuis notre naissance, nous sommes en chemin sur la route de la vie. Toutes et tous nous sommes en quête d’une « crèche » intérieure. Les « crèches » sont multiples. Dans la nôtre se repose l’Enfant-Dieu qui, pour la première fois, se manifeste à nous de la sorte. Cette crèche n’est pas mieux ni moins bien que les autres qui ont existé et existent encore. Elle est la nôtre, c’est en elle que nous trouvons sens à notre vie. C’est l’Enfant-Dieu manifesté qui nous montre un chemin possible de retour à l’essentiel. Si je crois qu’il y a plusieurs crèches depuis la création de l’humanité, je dois également reconnaître que les chemins pour y arriver sont innombrables. Il y a autant de chemins qu’il y a d’êtres humains. À chacune et chacun de découvrir le sien. Pour certains, ils sont tortueux, pour d’autres rocailleux, pour d’autres encore, ils sont des sentiers de vie où il fait bon marcher. Chacun a le sien et chacun y mettra le temps qu’il faut pour y arri-


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ver. Nous vivons dans l’espérance que nous n’arriverons jamais trop tard à la crèche intérieure. Nos chemins pour y arriver sont façonnés par nos destinées, parsemés de nos blessures intérieures, enrichis de nos bonheurs. Ils sont ce que nous sommes et ce que nous devenons. Et comme les mages, nous partons à la conquête de notre étoile. Il y a suffisamment d’étoiles dans le ciel pour que chacun puisse s’en approprier une et la suivre. Par notre présence en ce lieu, nous nous rappelons les uns aux autres que nous sommes des chercheurs de Dieu, des êtres en route et en quête de sens. Mais cette fameuse crèche intérieure est-elle véritablement l’essentiel de nos existences ? Guidet-elle nos conduites et nos choix de vie ? En ce jour, Dieu se manifeste à nous. Le prenons-nous véritablement au sérieux ou bien est-ce une belle histoire parmi d’autres ? Voici quelques questions en cette fête de l’Épiphanie. À chacune et chacun d’y répondre, mais pour ce faire, nous devons nous mettre et nous remettre en route pour redécouvrir en nous l’Enfant-Dieu qui sommeille. Il est fragile. Il est mystère et nous remet face à notre propre mystère. L’Enfant-Dieu manifesté se donne à nous et nous convie à nous dépouiller de ce qui nous encombre pour le rencontrer. Dieu résonne au plus profond de nos silences intérieurs. Entendre son souffle est une expérience qu’il nous est offert à vivre. Si c’est vrai, il est alors temps de marcher à nouveau sur nos chemins.


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Jésus s’en vient chez moi 31e dimanche (Lc 19, 1-10)

L’histoire de Zachée, nous la connaissons sans doute toutes et tous. Elle nous rappelle des souvenirs de notre enfance où Zachée, dans son arbre, nous était conté pour mieux comprendre la vie de Jésus. Zachée est encore si connu aujourd’hui qu’il est utilisé dans un exercice type chez les orthophonistes ou dans la formation des frères dominicains pour apprendre à développer certains muscles de la langue. Cet exercice consiste à dire de plus en plus vite la phrase : « Jésus s’en va chez Zachée. » Je vous invite à faire cet exercice, mais plutôt chez vous afin d’éviter la cacophonie. Au-delà du périlleux exercice de diction, la phrase « Jésus s’en va chez Zachée » — je prends quelques risques en la répétant — peut être reçue comme une invitation à nous remettre fondamentalement en question. Je m’explique. Lorsque j’avais huit ans, ma maman m’a avoué que tout ce qui tournait autour des cloches de Pâques ou encore d’un grand saint dont je tairai le nom pour que le rêve puisse se poursuivre dans le cœur des plus jeunes, était le fruit de la générosité d’autres. Vous ne pouvez imaginer à quel point ce fut un choc. J’y avais tellement cru. Ma déception passée, mes premiers mots l’ont alors effrayée lorsque je lui ai demandé : « Maman ? et Dieu, c’est pas vrai non plus ? » Vous imaginez son désarroi. Comment me faire comprendre qu’il y a des choses auxquelles je ne dois pas croire alors que d’autres, qui me semblent encore plus invraisemblables, je devais les accepter. Dieu existe et j’étais prié de ne pas remettre cela en question. Dieu existe. Je ne peux le prouver puisque nous sommes dans le champ de la foi. Une foi, aujourd’hui encore, parfois traversée de certains doutes. Est-ce vraiment vrai ? Existe-


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t-il réellement alors que je ne vois rien ? Est-ce que je ne me trompe pas ? Avons-nous la bonne interprétation et sommesnous sur la bonne voie ? Ces questions nous traversent parfois l’esprit. Imaginons-nous un instant non plus que « Jésus s’en va chez Zachée », mais plutôt que Jésus s’en vient chez nous. Nous sommes à la maison, affairés aux tâches quotidiennes, et quelqu’un sonne à la porte. Nous le reconnaissons, je ne sais pas vous dire comment ni pourquoi, mais son regard nous transperce et nous avons la conviction intime que le Fils de Dieu est bien devant nous. Passée cette surprise émotionnelle, notre raison reprend vite le dessus. Nous lui posons alors quelques questions pour être vraiment certains de ne pas nous être trompés. Peutêtre que les incrédules lui demanderont de revenir à un autre moment pour vérifier cette certitude qui les envahit. Voilà, Jésus est chez moi, devant moi. Je lui parle de ce que je vis, de ce que je ressens, de mes questions : suis-je sur la bonne voie ? est-ce que je le déçois ? Dieu pardonne-t-il réellement ? Lui ne me dit sans doute pas grand-chose. Il me regarde, et dans ses yeux je lis toute la tendresse de Dieu. J’ai confiance, je suis bien. Après un temps, il décide de s’en aller. Il est vrai qu’il a encore tant de gens à rencontrer. Et je me retrouve seul, face à moimême, mais cette fois avec la joie de vivre dans le cœur de Dieu. La foi n’est plus une question, elle est certitude. Je n’ai plus d’interrogations sur la divinité, mais bien sur le sens de mon humanité. Je décide alors de vivre intensément. Peut-être même que je me mettrai en marche sur les routes pour partager l’expérience vécue. En tout cas, je m’impliquerai beaucoup plus encore. Toutes les valeurs que j’estime fondamentales ne sont plus de vains projets à réaliser, mais bien le cœur même de ce que je veux


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vivre. Elles ouvrent la voie à la vie ici et maintenant. En Dieu, je me lance sans peur, je n’ai plus d’inhibitions. Je vis dans la confiance. Et à chaque croisement, je me tourne vers lui et je communique, je prie avec cette certitude d’être entendu. Suis-je entrain de vous conter un rêve éveillé ? Je ne le crois pas. « Jésus s’en va chez Zachée. » Cela s’est passé il y a deux mille ans. Dieu s’est incarné et a partagé notre humanité. À chacune et chacun d’y croire encore et toujours. Et Dieu, aujourd’hui encore, frappe à la porte de notre cœur. Allons-nous lui ouvrir sachant que notre vie en sera bouleversée, transformée ? « Jésus s’en vient chez moi », cela se vit à chaque instant.

Je suis en toi La Croix glorieuse (Jn 3, 13-17)

« Il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle » (Jn 3, 14-15). Sa croix, présente dans cette église ou chez soi, semble donc bien être nécessaire au salut de tout être humain. Toutefois, cette croix ne peut pas seulement être le lieu de notre contemplation. Le Christ en veut plus. Il nous demande de prendre sa vie à lui au cœur de notre être. Son corps et son sang, il nous les offre pour alimenter notre cœur. Ils deviennent ainsi le combustible par excellence de notre vie. Qu’est-ce à dire ? Imaginez que vous ayez chez vous, sur une étagère, une vidéo, une bande dessinée ou encore un livre. Cet objet se trouve là depuis des années. Vous le savez puisque vous passez devant régulièrement. Ce film ou ce livre vous a été donné un jour, vous ne vous rappelez plus très bien comment. À la limite, cela a peu d’importance. Il est là, il renferme peut-être un trésor d’émo-


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tions, de sentiments, de tendresse. Mais vous n’en savez rien. Aussi longtemps qu’il reste sur cette étagère, il est extérieur à vous. Il vous appartient, mais il ne fait pas partie de vous. Je ne sais pas ce qu’il renferme. Un jour, je décide de le prendre et de le lire ou de le visionner. Ce livre, ce film tout d’un coup m’émeut, me fascine, me rencontre dans mon histoire personnelle ; tout simplement, me fait vivre. L’histoire qu’il raconte au fil des pages ou des minutes commence à m’appartenir ; les grandes lignes se mettent à s’installer dans ma mémoire. Après en avoir pris connaissance, je peux utiliser les merveilles découvertes au fond de moi-même, je peux y penser, nourrir ma pensée, ma réflexion ainsi que mon cœur. Avant, ce livre, ce film, cette bande dessinée était au dehors de moi. Aujourd’hui, il est en moi, je peux m’en nourrir, venir m’y abreuver. Sa source est en moi. Et ce que le Christ nous apprend, c’est qu’il en va de même pour toutes les expériences de la vie, qu’elles soient petites ou grandes, ordinaires ou extraordinaires. Elles restent toutes extérieures à nous jusqu’au jour où nous acceptons de les intérioriser. C’est également cette dynamique de vie que le Christ nous invite à suivre pour lui-même. Aussi longtemps qu’il reste une image dans un livre, un scénario de film, une icône ou une croix plantée en dehors de nous, il reste extérieur aux êtres que nous sommes. Et de cela, il ne peut se contenter. Le Fils de Dieu ne s’est pas fait homme pour être simplement regardé, admiré. Cette image-là, nous pouvions la voir en levant les yeux vers le Ciel. Non, le Christ veut faire partie intégrante de nous, il veut nous coller à la peau. Il refuse d’être extérieur à nous. Il est avant tout en nous. Lorsque par son corps et son sang il se mêle à notre être, en notre cœur, nous pouvons nourrir notre vie, notre force, notre vitalité par lui. Quand le Christ nous offre sa croix pour


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notre salut, il nous demande d’arrêter de le regarder comme un objet dans une vitrine, de parler de lui comme simple sujet d’un débat théologique. Il nous sussurre au creux de nos ombres : « Tu dois me prendre en toi et venir en moi et alors tu connaîtras la vraie vie, le bonheur éternel. Tu es en moi, et je suis en toi. Nous sommes inséparables, indissociables. À deux, nous sommes un en humanité. Nous formons ce tandem qui affronte ensemble l’existence. Quand les forces de ta vie s’épuisent, viens reprendre courage à ma source, ne cherche pas dans un quelconque ailleurs. Cet ailleurs est, dans la foi, synonyme de proximité. Je suis en toi. » Par sa mort et sa résurrection, nous sommes invités à trouver force dans son humanité, à revitaliser nos vies avec la sienne jusqu’au jour où nous serons complètement rassasiés de la vie en Dieu, car nous avons obtenu par Lui le don de la vie éternelle.


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Dieu ne raccroche jamais Transfiguration du Seigneur (Lc 9, 28b-36)

Un jeune prostitué posa un jour la question suivante : « Quand l’océan vient sur la plage et aussitôt efface les empreintes du jeu d’un enfant, l’on se dit : Pourquoi vouloir réaliser de bonnes choses alors qu’elles seront tout aussi vite oubliées ? Ceci n’est pas la vérité , dit-il, car l’eau elle-même va toujours garder en mémoire la simple empreinte qu’elle vient d’effacer. » C’est cette même simplicité qui nous permet de comprendre la Transfiguration telle qu’elle a été vécue par le Christ. Pourquoi Jésus est-il allé sur cette montagne ? Pourquoi a-t-il fait ce genre d’expédition ? Jésus était allé là-bas pour prier. Il devait être sûr, au-delà de tout doute, que ce qu’il allait accomplir était bien ce que Dieu voulait qu’il fasse. En d’autres mots, que la volonté de Dieu était bien qu’il se donne totalement jusqu’au bois de la croix. Quand Jésus avait un problème, il ne cherchait pas à le résoudre seulement par le pouvoir de sa propre pensée ; il ne cherchait pas non plus la solution chez ses contemporains ; le seul qui pouvait la lui donner, c’était Dieu. Et pour le rencontrer, il allait sur la montagne, lieu suprême de silence intérieur. Et l’on en vient au concept de prière. J’ai toujours rêvé d’une Lamborghini, rouge vif, celle qui ne passe pas inaperçue et qui m’aurait donné l’illusion que je suis toujours jeune. Mes supérieurs religieux ne voulaient pas en entendre parler, estimant que cela allait contre mon vœu de pauvreté. Ils ne pouvaient pas se


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rendre compte à quel point mon désir était grand. La voulant à tout prix, je me suis mis à prier pour la recevoir. Et Dieu m’a répondu, car Dieu répond toujours à notre prière, quelle qu’elle soit. Et la réponse de Dieu fut : non ! Trop souvent nous entendons dire que Dieu ne répond que lorsque notre prière a été exaucée. Nous avons à accepter que Dieu nous dise aussi parfois non. Je peux le comprendre pour ma Lamborghini, mais d’autres fois je ne comprends vraiment pas pourquoi. C’est de l’ordre du mystère. Pourquoi a-t-on été ressortir Moïse et Élie du placard ? Qu’estce que ces deux vieux peuvent encore bien nous apprendre ? Ils ont tous deux eu leur expérience la plus intime avec Dieu sur une montagne. C’est sur le mont Sinaï que Moïse reçut les tables de la Loi. C’est sur le mont Horeb qu’Élie trouva Dieu, non pas dans le vent ni dans le tremblement de terre, mais dans une douce voix calme. Moïse et Élie représentent la Loi et les Prophètes. Leur retour était prévu en lien avec le Messie. Dans la tradition juive, Moïse était le plus grand de tous les juristes : il était ce juriste unique que Dieu choisit pour apporter la loi aux hommes. Élie, quant à lui, était le plus grand des prophètes : en lui la voix de Dieu parla. Dès lors, le plus grand des juristes et le plus grand des prophètes reconnurent Jésus comme celui à qui ils avaient rêvé, comme celui qu’ils avaient prédit, annoncé. Leur apparition aux côtés de Jésus est le simple signe pour ce dernier d’accomplir sa mission. Les deux plus importantes figures humaines de la tradition juive témoignent de ce que Jésus est sur la bonne voie et l’invite à vivre son propre exode vers Jérusalem, vers son calvaire. L’expérience de cette transfiguration permit à Jésus de partir inflexiblement vers sa propre croix, nourri de cette conviction profonde que Dieu lui avait parlé et lui avait montré le chemin. Le pauvre Pierre, l’apôtre sur lequel Jésus fonde ses espoirs comme leader de l’Église, ne comprend jamais rien. Un vraiment


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pas malin, diront certains. Sa gentillesse de proposer trois tentes pour que Jésus, Moïse et Élie logent montre qu’il pensait que la mission du Christ se situait sur la montagne, lieu de prière et d’intimité avec Dieu. Il ne comprenait pas que ceci était l’étape obligée avant la Passion. À sa décharge, il reste quand même l’homme de l’action, celui qui doit toujours faire quelque chose. Mais il y a parfois aussi un temps pour le calme, un temps pour la contemplation, l’émerveillement, l’adoration, pour le merci de ressentir en son cœur cette gloire suprême qu’est Dieu, vivre en nous cette certitude qu’Il existe, qu’Il est près de nous, qu’Il est en nous. Cette expérience se fait souvent dans le silence, notre propre silence, même s’il y a du bruit autour de nous. « Sois calme et sache que je suis Dieu », dit le Psaume. Nous sommes parfois trop occupés à tenter de faire quelque chose alors que nous ferions mieux d’être silence, à l’écoute, émerveillé, de simplement vivre cette proximité. Il est également évident que Pierre souhaitait prolonger un tel moment. Il ne désirait pas quitter cette montagne pour retourner aux choses banales et quotidiennes : il voulait rester, pour toujours, dans le bonheur de sa gloire. C’est ce sentiment-là que chacun d’entre nous doit absolument connaître. Il y a des moments d’intimité, de sérénité, de paix, de proximité avec Dieu. Je voudrais comparer cette expérience divine à celle du téléphone. La proximité de Dieu, nous pouvons également la vivre avec nos pairs. Que se passe-t-il lorsque je téléphone à ma petite amie ou mon petit ami ? Après plus ou moins une heure de conversation, papa ou maman demande de raccrocher, c’est quand même eux qui paient la note ! Mais nous, au bout du fil, nous sommes si bien que nous avons envie de rester, de continuer à vivre cette proximité. Quand plus rien n’est possible, car la voix parentale se fait de plus en plus


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dure, vient cette conversation : « Tu veux bien raccrocher ? — Non, toi. Allez, raccroche ! — Ça va, je le fais. — Non, tu ne le fais pas, je vais le faire. » J’en passe et des meilleures. C’est cette proximité-là qu’il est également possible de vivre avec Dieu et lui ne raccrochera jamais, c’est gratuit.

Ne perdons jamais l’espoir Christ, Roi de l’univers (Lc 23, 35-43)

« Et il disait : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne » (Lc 23, 42). De nombreuses légendes ont été écrites sur ce voleur repenti. L’une d’elles fait de lui une sorte de Robin des Bois qui volait les riches pour redistribuer les fruits de ses larcins aux pauvres de sa région. Mais la plus belle d’entre elles, c’est sans doute celle-ci : lors de leur fuite en Égypte, au début de la vie de l’Enfant-Dieu, Joseph, Marie et Jésus furent attaqués par une bande de voleurs. Le fils du chef fut ébloui par la bonté qui émanait déjà de l’enfant. Il refusa de porter la main sur eux et décida de sauver ainsi toute la famille. Prenant l’enfant dans ses bras, il lui dit : « Enfant béni, si un jour j’implore ta miséricorde, rappelle-toi de moi et n’oublie pas ce momentci. » C’est ce jeune voleur, nous dit la légende, qui est à côté de Jésus, au Calvaire, et qui se repent. Et cette fois, c’est le Christ qui le sauve. Il n’avait pas oublié. Une légende, une douce légende, pour nous dire tout simplement qu’il ne faut pas désespérer, qu’il est toujours temps, même en des temps apocalyptiques. Temps pour quoi, me direz-vous ? Temps pour se convertir. Il n’est jamais trop tard quand il s’agit de Dieu. Au cours des étapes de nos vies, nous avons parfois l’impression que nous avons raté des marches, que nous sommes pas-


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sés à côté d’occasions qui ne se sont jamais représentées. — Étaitce par crainte, par manque de courage, par aveuglement, par trop de préoccupations ? À chacun d’y répondre dans le silence de son cœur. — Nous pouvons le regretter, notre vie aurait sans doute été autre. Comme le dit le philosophe, nous ne nous baignons jamais deux fois dans la même eau de la rivière. C’est passé, c’est passé, et tant pis ! Si ceci semble vrai pour la vie, il en va, d’après l’évangile, autrement pour Dieu. Nous ne sommes jamais devenus trop âgés. Tant que le souffle de vie est en nous, même à la dernière seconde, il est toujours temps de se tourner vers le Christ. Comme si Jésus nous disait : Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir… Et quelle espérance ! « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 43). Ne perdons jamais espoir, ni pour nous ni pour ceux qui nous entourent. Tout peut arriver, même au dernier instant, nous dit Jésus. La conversion, cela ne se commande pas. Nous pouvons toujours nous laisser surprendre pour vivre un jour dans ce Paradis promis. De celui-ci, nous savons bien peu de chose, si ce n’est que c’est un mot persan signifiant « un jardin entouré d’une muraille ». Quand un roi perse souhaitait offrir certains honneurs à un de ses sujets, il faisait de lui « un compagnon de jardin », c’est-à-dire que cette personne était élue pour se promener avec le roi dans le jardin. Quel honneur, quel moment de bonheur de pouvoir passer quelques instants avec son roi pour le rencontrer dans cette intimité relationnelle ! Et voilà une tradition royale persane traduite en invitation royale mais divine cette fois. Le Christ Roi nous convie, sur le bois de nos croix respectives, à un jour prendre place au Paradis. De la sorte, Jésus nous invite à quelque chose de plus grand encore que l’espérance de la vie éternelle. Il nous promet, tout simplement, de venir partager son chemin divin pour le temps


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de l’éternité. Il fait de nous ses propres « compagnons de jardin », comme si, pour lui, une promenade au Paradis, c’était à jamais de vivre pleinement de cette vie divine à laquelle toutes et tous nous avons été appelés. Comment mériter un tel honneur, sommes-nous en droit de nous demander ? Simplement. Tout simplement. En nous tournant vers Jésus, en faisant ce chemin intérieur de conversion de le reconnaître pleinement comme Fils de Dieu. Alors, en chœur, nous pourrons lui chanter : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras inaugurer ton Règne. »

Dieu ne se lasse jamais 24e dimanche (Lc 15, 1-32)

Imaginez-vous un instant qu’à partir de demain votre banque vous offre chaque matin la somme de 86 400 euros. Cette somme devra être dépensée durant la journée. Vous pouvez l’utiliser pour vos propres besoins ou offrir des cadeaux à d’autres. En tout cas, il n’est pas question de la transférer sur autre compte ou de la prêter. Elle doit être dépensée. Et tout l’argent que vous n’aurez pas dépensé sera perdu à jamais, mais le matin suivant, vous aurez à nouveau 86 400 euros qui vous attendent sur votre compte. De plus, vous fait remarquer la banque, elle peut interrompre ce cadeau quand elle le veut, sans vous prévenir. Et jamais plus vous ne recevrez une telle aubaine. Chacun d’entre nous se met évidemment à rêver et à faire de superbes projets avec une telle banque imaginaire. Cette banque n’est pas si magique que cela, écrit Marc Lévy dans son livre Et si c’était vrai… Cette banque, nous l’avons tous : c’est la banque du temps. Chaque journée qu’il nous est offert de vivre est créditée de


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86 400 secondes. J’ai fait le calcul et cela tombe juste : 60 fois 60 fois 24 égale bien 86 400. Le temps est un luxe, une valeur extrêmement précieuse, car, comme le signalait un humoriste, la vie est une maladie mortelle. Toutes et tous, nous en mourrons. Vivons chaque instant avec intensité. D’autant que le temps est également très subjectif. Je peux attendre pendant des heures la personne que j’aime, mais m’énerver après quelques minutes parce que mon rendezvous professionnel est en retard. Notre notion du temps varie aussi en fonction des circonstances. Un mois peut être très long pour deux amoureux dont l’un des deux part en voyage. Une heure peut être un drame pour le claustrophobe coincé dans un ascenseur. Une seconde d’inattention peut nous conduire à commettre un accident et un centième de seconde peut nous faire perdre la médaille d’or si nous participons aux Jeux olympiques. Le temps est un prix qui se goûte à chaque instant. C’est sans doute la raison pour laquelle, faute de temps ou d’empressement, nous n’allons pas jusqu’au bout de certaines choses. Nous abandonnons, en estimant qu’il y a des moments plus importants à vivre que de chercher, par exemple, un objet perdu. Dieu, quant à lui, est hors du temps, nous dit-on. Une heure, une semaine, une année ne signifierait rien pour lui. Le temps est une notion purement humaine et non divine. Ces considérations philosophiques peuvent sembler bien futiles pour notre vie d’aujourd’hui. Je ne le crois pas. Il y va de notre foi, de notre espérance. En effet, si Dieu est vraiment hors du temps, il peut prendre ce temps, selon nos termes humains, pour ne jamais se décourager, pour toujours partir et repartir à la recherche non plus du temps perdu mais des êtres qui s’égarent de leur chemin, de leur destinée. C’est ce que l’évangile semble nous dévoiler. Dieu, à l’image du berger ou de la femme ayant perdu sa pièce, ne craint


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pas l’espace-temps pour prendre l’initiative de nous chercher, de nous rechercher. Un peu comme si Dieu jamais ne se lassait dans cette quête incessante de nous retrouver. Il est bien au-delà de ce que nous sommes. Avec quelle facilité pouvons-nous nous décourager face à quelqu’un qui ne suit pas sa route et s’en va à la dérive, voire même le condamner à jamais parce que nous, nous avons perdu tout espoir à son égard ! Nous ne prenons plus le temps, nous sommes déçus et peut-être aussi épuisés parce que nous ne voyons pas d’issue. Nous ne comprenons pas, nous ne comprenons plus. Nous mettons des barrières, des balises à l’encontre de la personne égarée parce que nous avons l’impression que tout cela risque de nous emmener trop loin. Nous n’avons plus assez de force. Nous nous protégeons. Et c’est sans doute normal. Nous sommes humains. Lorsque la déception nous traverse, confions l’être à Dieu. Lui, hors du temps, partira à sa rencontre, le portera, l’accompagnera. Dieu ne laisse jamais tomber les bras. Il est là, quelque part, et ne se découvre qu’avec les yeux de la foi. Le passage de Luc relatant ces différentes paraboles (la brebis perdue, la pièce égarée, le fils prodigue) est appelé l’évangile de l’Évangile. C’est le résumé, le cœur du message divin. Dieu jamais ne se lasse. Il prend l’initiative de partir à notre recherche et se réjouit lorsque nos routes se croisent à nouveau. Jamais ne perdons espoir. Dieu est au-delà du temps, c’est pourquoi il prend le temps.

La deuxième projection du film de sa vie 11e dimanche (Lc 7, 36 – 8, 3)

Une fois encore, nous sommes conviés à faire taire en nous tous les bruits, les soucis qui nous encombrent. Non pas faire le


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vide, mais plutôt vivre un silence, un silence profond, tout habité de ce que nous sommes, pour laisser venir en nous, à nos rythmes respectifs, la présence de celui que nous attendons. Au cœur même de notre cœur, une voix nous crie : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix » (Lc 7, 50). Y a-t-il plus belle promesse que celle-là : voir le salut de Dieu ? Savoir que toutes et tous, un jour, nous vivrons en Dieu, en présence éternelle de sa divinité. Se lover à jamais dans la chaleur de Dieu. C’est un don qui nous est offert, mais pour pouvoir le recevoir, il y a lieu de se préparer car, sans préparation, nous risquons de passer à côté d’une telle merveille. Nos vies sont tellement encombrées, nous courons tellement après le temps que ce dernier devient une valeur plus précieuse que l’or. C’est à ce temps d’intériorité que nous sommes invités. Aplanir tout ce qui nous empêche de devenir pleinement nousmêmes. Cette démarche est d’abord et avant tout une démarche de conversion, un signe public de demander à l’Esprit de Dieu de nous accompagner sur le chemin de nos vies, de nous montrer la route qui conduit à la lumière véritable et de nous aider à reconnaître face à lui tous les manques d’amour qui jalonnent nos journées. Ce sont nos manques d’amour, nos inattentions, nos paroles parfois un peu dures, nos égoïsmes — et nous pourrions encore allonger la liste — que nous posons aux pieds du Christ, à l’image de cette femme de l’évangile qui lui a versé un parfum précieux. Ayant accompli un tel geste, nous croyons en toute confiance que Dieu nous accordera son pardon. Mais qu’est-ce que le pardon de Dieu ? Pour nous aider à entrer dans ce mystère, je voudrais vous raconter l’histoire suivante que j’ai entendue il y a une dizaine d’années en Angleterre. Imaginez-vous un instant que vous mourez. Au moment précis de votre mort, lorsque vous quittez cette terre, vous vous retrouvez au ciel dans une superbe


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salle de cinéma aux sièges extrêmement confortables, écran géant, Dolby stéréo, j’en passe et des meilleures. Vous êtes confortablement assis en attendant que quelque chose se passe. Et vous êtes là, avec une certaine paix intérieure. Puis voilà que de derrière l’écran apparaît un ange qui vous souhaite la bienvenue. « Cher ami, dit-il, vous allez maintenant assister à la projection privée du film de votre vie. Vous y reverrez tous les événements que vous avez traversés, vous redécouvrirez tout ce que vous avez dit ou pensé. » L’ange vous souhaite un bon film et s’en retourne derrière l’écran. Au fur et à mesure de la projection, vous vous enfoncez dans votre fauteuil pour ne finalement plus voir que les lettres « FIN » juste au-dessus du bord du siège de la rangée précédente. Et voilà que l’ange revient, espérant que vous avez passé un bon moment. Vous êtes quant à vous plutôt blême, livide. L’ange vous dit alors : « Vous êtes sans doute étonné de vous retrouver seul dans une aussi grande salle. Eh bien, tous les sièges vides vont maintenant être occupés par tous ceux et celles qui ont été les acteurs et les actrices dans le film de votre vie. Nous allons faire une seconde projection avec eux et ils verront vraiment qui vous étiez lors de votre pèlerinage sur terre. » À ce moment-là, un sentiment d’horreur vous envahit. Eh bien, concluait le prédicateur anglais, c’est la raison pour laquelle nous avons toutes et tous besoin du pardon de Dieu. En effet, le pardon de Dieu, c’est qu’il n’y a jamais, je dis bien jamais cette seconde projection, car le Fils de Dieu l’a prise sur lui dans l’événement de la Croix. De la sorte, le pardon divin n’est pas un oubli puisqu’il restera toujours la première projection. Pardonner n’est pas oublier. Non, pardonner, c’est d’abord et avant tout une affaire de souvenirs. Souvenirs des douleurs qui nous ont été infligées ou que nous avons nous-mêmes com-


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mises. Ces souvenirs font partie de notre histoire. La démarche de demande de pardon vis-à-vis de Dieu, démarche éminemment subjective, nous invite à nous libérer de nous-mêmes, de ce poids qui nous empêche d’avancer en vérité pour voir un jour le salut de Dieu.

Il y a toujours une deuxième chance 7e dimanche ordinaire (Lc 6, 27-38)

« Roger ! un muscadet ! » Si vous n’êtes pas un adepte du Chat de Philippe Geluck, cette phrase ne vous dira vraisemblablement rien. Si par contre vous lisez régulièrement les aventures de notre héros national, « Roger ! un muscadet ! » doit vous rappeler de nombreuses petites histoires qui en font sourire plus d’un. Roger, en fait, personne ne l’a jamais vu. Il est toujours caché derrière son comptoir et on ne connaît que ses paroles dans les phylactères. Pourtant, Roger existe puisque le Chat reçoit à peu près chaque fois son fameux muscadet. Ce qui est intéressant dans cette phrase, ce n’est pas le mot muscadet, en tout cas pas pour moi, mais bien le mot Roger. Roger, un prénom parmi d’autres. Un prénom qui permet de s’adresser à quelqu’un, de lui demander quelque chose, parfois même de lui donner des ordres comme : « Un muscadet ! » Dieu, comme le Roger du Chat, personne ne l’a jamais vu, si ce n’est son Fils Jésus. Mais Dieu n’a pas de prénom, nous rappelle le livre de l’Exode. À la question de Moïse : « Qui es-tu ? », il répond : « Je suis celui qui suis » ou encore « Je suis ». Beaucoup d’encre a coulé et coule encore à propos de cette réponse de Dieu. « Je suis », reprise plusieurs fois par Jésus au cours de son pèlerinage terrestre pour nous rappeler avec force sa propre divinité,


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est une manière de clamer à l’humanité entière que Dieu ne se possède pas, ne se maîtrise pas. Il se donne à connaître dans une relation d’amour et de douceur. Dieu, ou encore « Je suis celui qui suis », me dit que je ne peux pas lui donner d’ordre. Par ces quelques mots, la divinité se révèle à nous comme mystère. Non pas un mystère enfoui à jamais dans les ténèbres de l’inconnu, mais un mystère qui se révèle à nous soit dans l’intimité de notre être soit par la venue de son Fils. Aujourd’hui, celui-ci nous dévoile une facette de son Père. Dieu ne se réduit pas à cette dimension de sa divinité bien évidemment, mais elle nous permet de mieux le comprendre pour le rencontrer et l’aimer, puisque notre Dieu est un Dieu d’amour qui espère notre amour également. Si parfois nous avons la nette impression que Dieu nous échappe totalement, il se dévoile dans le fait qu’il nous convie à vivre une vie éthique en disant par exemple : « Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés » (Lc 6, 37). Dieu ne nous enferme jamais dans nos erreurs. Il nous donne toujours une nouvelle chance. Repartons de notre expérience personnelle afin de mieux comprendre les autres. C’est vrai, dans la vie nous trébuchons, nous nous trompons, nous nous éloignons de nous-même. Un danger nous menace : celui de nous condamner à jamais comme si nous étions réduits à notre faute alors que nous valons tellement plus que cette dernière. Pour dépasser une telle attitude, reconnaissons que Dieu ne nous condamne pas, mais qu’il nous donne toujours une nouvelle chance. Si c’est vrai que Dieu nous offre cela, nous sommes conviés à faire de même vis-à-vis de nos contemporains. Tout le monde fait des erreurs. Ne les craignons pas, elles nous font grandir, avancer tant que nous sommes à même de les reconnaître. Mais il est vrai que certaines trahisons peuvent nous abîmer et nous sommes alors pris d’un désir d’enfermer l’autre dans sa


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faute. Nous risquons alors d’être trop catégoriques, trop durs dans nos jugements. Il y a lieu de laisser le temps agir. Par ce temps, nous laissons en nous la place à l’indulgence, à la réconciliation. Nous laissons à l’autre une nouvelle chance, peut-être d’ailleurs en espérant que celui-ci aura la même attitude à notre égard. Cette deuxième chance, nous pouvons parfois l’offrir simplement, mais il arrive que nous ayons besoin de l’aide et de la force de Dieu pour nous permettre de pardonner à notre tour. La relation n’est plus simplement bilatérale puisque Dieu s’inscrit au cœur de celle-ci. Tous, nous espérons que suite à nos fautes, l’autre, qu’il soit humain ou divin, nous offre une deuxième chance. Et nous, nous sommes conviés à faire de même face à celui qui partage notre condition humaine. Mais avons-nous la même attitude vis-à-vis de Dieu ? Lui donnons-nous une deuxième chance suite à notre incompréhension face aux maux de notre monde ? Les catastrophes dont nous souffrons ne sont pas du fait de Dieu. Le Dieu de Jésus Christ n’est pas un Dieu qui punit nos égarements. Non, il les pardonne et nous offre une deuxième chance. Pourtant, elles existent, ces catastrophes inexpliquées ! Elles sont de l’ordre du mystère. Confrontés à ce mystère, face à notre incompréhension, acceptons-nous de ne pas juger Dieu, de ne pas le condamner pour ces drames ? En fait, sommes-nous, nous aussi de notre côté, prêts à donner une deuxième chance à Dieu alors que nous ne comprenons pas ? À chacun d’en décider.


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L’informatique du pardon Sacré-Cœur (Lc 15, 3-7)

Tant la presse écrite que la presse parlée en ont fait un grand titre. Il est vrai que Microsoft a quand même été condamné à près de cinq cents millions d’euros d’amende. Vraisemblablement une bagatelle pour eux. Voilà ce qu’il en coûte de vouloir maîtriser tout un secteur par une situation de monopole. Je n’entrerai pas dans ces considérations économiques, car ce n’est pas le lieu, mais j’ai été frappé de certaines similitudes entre les logiciels informatiques et l’évangile. Quel lien peut-il bien y avoir, se demandent sans doute certains. Le vocabulaire, évidemment. Je suis toujours frappé du vocabulaire religieux utilisé en informatique. Avec la souris, nous cliquons sur une icône. Lorsque nous écrivons un texte sur l’écran, avant de fermer le programme, l’ordinateur demande si nous voulons le sauver. Enfin, pour la présentation d’un travail écrit, il est toujours préférable de justifier le texte. Étonnant ! voilà trois mots — icônes, justification et sauver — qui se retrouvent dans l’évangile. De par notre conception, toutes et tous nous sommes images, c’est-à-dire icônes de Dieu. Un Dieu qui veut que toute sa création chemine vers sa réalisation, son accomplissement, en fait vers l’épanouissement de chaque individu. Dieu désire donc que chaque être humain puisse être sauvé ou, pour le dire autrement, que chaque personne choisisse de partager la vie divine puisque tous nous avons été créés capables de Dieu. Telle est l’espérance que la foi nous propose dans la mort et la résurrection du Fils. Devenir des êtres résurrectionnels, des êtres sauvés, « un jour » pleinement accomplis en Dieu. Pour ce faire, nous devons, nous aussi, être justifiés. Dans cette perspective, la justification est essentielle à notre propre réalisa-


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tion. En effet, tout chemin de vie est parsemé d’embûches, d’entraves posées par les autres ou par nous-mêmes. Ces entraves jouent un rôle négatif dans notre accomplissement puisqu’elles nous empêchent de devenir pleinement nous-mêmes. Certains pourraient alors se dire : « Ça, c’est mon affaire, cela ne regarde que moi. » Penser de la sorte, n’est-ce pas s’enfermer dans une sphère égocentrique qui nie le sens même de toutes les relations que nous construisons et qui nous définissent. N’est-ce pas justement dans la relation d’amour et d’amitié que tout être grandit et chemine vers son propre accomplissement ? Si ma propre existence est entravée de tous mes encombrements, il n’y aura alors plus ni lieu, ni temps pour une rencontre en vérité avec mes contemporains ou avec Dieu, car je suis devenu tellement encombré de tout ce qui m’empêche de devenir moi-même. Un sentiment de paralysie m’envahit et finit par m’empêcher d’exister dans toutes les dimensions de mon être. Il suffit, me direz-vous, de faire comme l’ordinateur, c’est-à-dire de tout envoyer à la corbeille puis de la vider. Comme cela, tout est effacé et nous pouvons recommencer à vivre. C’est pourtant ici que s’arrêtent les similitudes entre les langages informatique et théologique. Le pardon n’efface rien. Nous n’oublions pas. Le pardon est un acte de souvenir. Je me souviens, je n’oublie pas, mais je me libère de toutes ces entraves. Tel est un des sens du pardon. Par amour, Dieu souhaite notre libération, notre justification. Il nous propose un chemin de vie où il se révèle à nous dans la réconciliation. Toutefois, cela demande une certaine dose d’humilité de notre part pour le recevoir. Dieu le Père, par son Esprit, dans le Fils, vient au plus profond de chacune et chacun de nous pour nous offrir son propre pardon. C’est ce que nous vivons au début de nos eucharisties où Dieu s’offre à nous. Désencombrons-nous alors de tout ce qui nous empêche de


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devenir nous-mêmes, de tous ces manques d’amour qui nous habitent, de toutes ces ruptures d’alliance que nous vivons entre nous et avec Dieu. Que l’Esprit Saint nous éclaire et nous accompagne sur cette route pour que nous puissions, en toute liberté, venir poser au pied de la croix du Christ tout ce qui nous encombre afin de marquer notre volonté de toujours revenir dans l’Alliance promise et de vivre une nouvelle fois de la vie divine dans le sacrement de la rencontre telle qu’il nous est offert dans le Christ.


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L’agitateur d’air 16e dimanche (Lc 10, 38-42)

En ces temps où l’embauche est difficile et où il convient de faire appel à la créativité personnelle en vue de trouver un travail, l’évangile dénonce un certain type de métier : l’agitateur d’air. L’agitateur, voire l’agitatrice d’air demande des compétences très précises. Ils peuvent être soit agitateur d’intérieur ou d’extérieur, mais l’effet sera le même. Du vent, rien que du vent. Prenons d’abord l’agitateur intérieur, ce dernier reste à sa place, ne bouge pas si ce ne sont ses lèvres. Son esprit est agité, encombré et il produit de l’air par ses mots qui souvent sont empreints de négativité. Quant à l’autre, l’agitateur extérieur, il est plutôt quelqu’un qui fait des mouvements, accompagnés parfois de grands gestes, se déplace beaucoup, fait tourner l’air autour de lui, mais n’est pas efficace. Rien ne change. Un bon exemple pourrait être l’adolescent « esquiveur » de vaisselle. Il circule beaucoup, tourne autour de la table en parlant abondamment, mais essuie très peu en réalité. L’agitateur d’air compétent agira d’ailleurs de la même manière pour toute autre tâche, qu’elle soit ménagère ou non. Très souvent, et malheureusement pour elle, ce type de personne s’enferme dans une agitation stérile. Elle s’inquiète pour tout. À force de vouloir trop se préoccuper des moindres détails dont personne ne se rendra sans doute compte, l’anxiété l’envahit, l’empressement la saisit. Son caractère devient grincheux. Es-


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clave de sa propre agitation, elle en veut à tous ceux et celles qui, contrairement à elle, n’ont soit disant « rien à faire ». Et à ses yeux, ils sont nombreux. Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne suis pas en train de condamner l’agitation. Celle-ci est bien évidemment nécessaire sinon rien ne se produirait. Il est donc important de s’agiter de temps à autre, mais il y a un temps pour tout. En effet, trop accaparés par le service ou par le souci que tout soit parfait, que les convives soient heureux, que chacune et chacun ait sa place et se sente bien, nous risquons d’oublier que l’accueil de l’autre est d’abord et avant tout une qualité de relation. Trop d’agitation, celle à devenir agitateur d’air, conduit à passer à côté d’une vraie rencontre. À ce moment-là, nous n’avons plus le cœur libre pour écouter, pour découvrir. Nous sommes trop pleins de tout ce qui nous préoccupe et nous entrons dans un temps de stérilité, car nous passons à côté de l’essentiel. Or, Dieu semble ne pas pouvoir se rencontrer dans l’agitation. Il aime le calme. Il attend que nous nous arrêtions quelques instants, que nous reprenions du temps pour nous, pour l’autre et pour lui. Il nous invite à nous asseoir et à prendre le temps de l’écouter. Il a encore tant de choses à nous dire et il s’adresse à nous dans toutes les petites choses de la vie. L’Esprit de Dieu est là, bien là, présent en notre monde et il se laisse découvrir dans la brise légère. Il est par-delà nos agitations, nos empressements, nos absences de temps. Dieu l’Esprit a besoin de calme et de sérénité, réalités tellement absentes dans notre monde, que certains iront jusqu’à nier sa présence. Or, ils sont tout simplement passés à côté de Lui. Dieu l’Esprit est là, bien là, mais il attend que nous nous libérions l’esprit, car c’est dans la vérité de la liberté qu’il se laisse rencontrer. Il nous suffit de nous arrêter, de prendre le temps de nous asseoir pour contempler sa divinité qui continue de s’exprimer dans la vie, notre vie.


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Dieu se révèle à nous par nous. Il est dans le sourire de cet enfant, dans le regard de celui qui aime et pardonne, dans tout geste de tendresse, dans la main de la solidarité, dans la compassion exprimée. Il n’est donc pas possible de nier son existence, notre monde est rempli de sa présence. Et pour nous en rendre compte, il suffit de prendre le temps de nous arrêter quelques minutes chaque jour. Nous arrêtons nos agitations pour partir à sa recherche, pour découvrir là où l’Esprit de Dieu agit aujourd’hui encore. Il est au-delà de nos inquiétudes et d’après lui, une seule chose est nécessaire. À chacune et chacun de la trouver, de nous en réjouir et surtout d’en vivre. Elle est cette part de divinité qui sommeille en chacun de nous dans cette partie de notre être où se vit la paix intérieure. Fermons alors notre cinéma intérieur et partons à sa rencontre dans le silence de notre cœur. Rien n’est plus essentiel que Dieu en nous.

Les signes de l’Esprit Pentecôte (Jn 20, 19-23)

Dieu a créé le monde en se retirant, écrivait Holderling, poète allemand du XIXe siècle. Jésus est venu en notre monde pour partager notre condition humaine et nous montrer un chemin de divinité, puis, lui aussi, comme son Père, s’est retiré. Père et Fils, main dans la main, ont commencé quelque chose, et puis ils nous laissent à nos solitudes les plus profondes. Nous pourrions être désemparés, attristés de cette forme d’abandon divin. Cela ne serait encore rien, mais en plus, ils ont le culot de nous prétendre que c’est comme cela que cela devait se passer, que c’était programmé pour que quelque chose d’autre puisse advenir : l’Esprit.


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Déjà, tenter de comprendre le Père et le Fils pour pouvoir entrer en relation avec eux n’est pas si facile, mais nous mettre en présence de cette troisième Personne de la divinité complique davantage notre affaire. Sans pour autant le réduire à ces dimensions, l’Esprit auquel nous croyons, cet Esprit de la Pentecôte que nous célébrons aujourd’hui est force divine et souffle de Dieu. Il vit en nous. Il a sa source en Dieu et vient se reposer au plus profond de nous-mêmes, là où les mots n’ont plus de sens puisque nous naviguons dans les eaux du ressenti de la foi. Il est là et, comme toute force, il nous donne des ailes pour accomplir ce qui nous semble humainement tellement lourd. Il est cette source à laquelle nous allons puiser et qui nous fait faire ou dire des choses qui nous dépassent, comme si nous ne nous appartenions plus vraiment. Il nous invite à aller toujours au-delà de nous-mêmes. Il surgit en nous et nous étonnera toujours. Cet Esprit reçu par les Apôtres et qui construit l’Église que nous formons est également souffle. D’abord souffle fragile, comme une brise légère. Dieu le Père n’est plus au cœur de notre monde, mais son Esprit en est rempli. L’Esprit ne s’est jamais arrêté de souffler doucement, tendrement, dans les petits signes ô combien merveilleux de la vie, qui font toute la richesse d’une relation. Il devient de la sorte un lien possible entre nous autres, êtres humains. Toutefois, je ne crois pas que l’Esprit, comme tel, puisse changer le cours des événements de manière radicale. Par contre, je reste convaincu qu’il se révèle au cœur de la souffrance dans tous les gestes d’amitié, de solidarité qui se mettent en place autour de la personne en désarroi physique ou d’âme. Il donne la force, parfois surhumaine, de se battre pour vaincre la maladie, le manque de chance qui vous colle à la peau. C’est également ce même souffle léger qui susurre au creux de nos cœurs d’entrer en relation avec le Père ou le Fils. Il est en nous pour vivre de cette


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intimité divine dans les silences de ce que nous sommes. Par là, il donne vie à Dieu en nous. Ce sera alors notre décision personnelle d’y répondre de manière positive ou négative. Hélas, les êtres que nous sommes sont souvent aveuglés ou sourds devant les signes visibles de l’Esprit. Nous sommes enfermés en nous-mêmes et nous ne permettons plus cette intrusion divine dans nos vies. Les barricades intérieures se mettent en place, plus solides les unes que les autres, et il n’y a plus de possibilité d’évolution. Nous stagnons, voire même nous régressons. Or, nous sommes des êtres créés en devenir. Pour nous permettre de continuer d’avancer sur notre propre chemin, l’Esprit se doit alors de souffler fort, beaucoup plus fort et nous sommes alors bousculés dans nos habitudes, rites, croyances et manières de vivre. Ce qui était établi pour nous se met à chanceler, vaciller et ira parfois jusqu’à s’écrouler. Ces changements radicaux nous mettent mal à l’aise, nous font peur et également mal. La seule manière de s’en sortir, c’est de continuer à faire confiance en l’Esprit puisque celui-ci donne vie. Comment savoir, me direz-vous, si c’est vraiment l’Esprit qui a soufflé, lorsqu’il n’est plus brise légère, mais bourrasque violente ? Je crois qu’il n’y a qu’une seule réponse : laisser le temps au temps pour pouvoir être à même de décrypter les signes de l’Esprit et voir si la vie renaît au cœur de nos ruines. Pour ce faire, il faut être capable de s’arrêter. Or, dans notre monde, nous courons, nous sommes pressés. La vie devient comme un paysage aperçu au travers d’une vitre d’un TGV, on a à peine le temps de l’apercevoir qu’on est déjà dix kilomètres plus loin. Que l’Esprit vienne en chacune et chacun de nous pour reprendre le temps de le découvrir dans tous ces gestes qui donne vie.


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Doués de l’Esprit de Dieu Vigile pascale (Jn 20, 1-9)

Avez-vous déjà remarqué que la fête de Pâques est une histoire à couper le souffle ? Elle est tellement extraordinaire que je manque de souffle pour vous la raconter, que je risque même de m’essouffler sans pour autant craindre de rendre le souffle. La vie vaut trop la peine d’être vécue. Reprenant cependant mon souffle, je me dis que c’est époustoufflant, ce qui est arrivé il y a deux mille ans ! Il est d’ailleurs étonnant de constater que cette fête n’a plus tellement la cote parmi de nombreux chrétiens aujourd’hui. Ce qui la caractérise dans notre pays, c’est le congé du lendemain. Pourtant, c’est la fête la plus importante de notre foi. Beaucoup connaissent les semaines du Carême, celles où il faut prétendument faire des efforts, avec un brin de culpabilité, mais peu ont gardé en mémoire la richesse du temps de Pâques, ces cinquante jours de joie et d’espérance, qui se clôture par la fête de la vie, la fête de la Pentecôte. En effet, Pâques est l’histoire de la vie, puisque l’absence de souffle est synonyme de mort. Notre souffle est notre respiration. Mais avoir du souffle va bien au-delà de cette métaphore. Avoir du souffle, c’est pousser jusqu’aux limites les forces de vie et d’amour que nous portons en nous, écrit Charles Singer. C’est repousser les limites qui empêchent d’aimer jusqu’au bout. C’est tout simplement laisser fleurir jusqu’à l’épanouissement la vie qui habite en chacune et chacun de nous. En ce sens, le souffle divin est une folie, la folie de Dieu. Un nouveau concept est ainsi né : celui de la folie de Dieu. Notre regard sur la vie passe par ce prisme qui donne à cette dernière une couleur arc-en-ciel. Un peu comme si Dieu attendait de nous de devenir des êtres fous


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à lier, mais à lier d’amour. Et cela passe par la folie du souffle de l’Esprit, cet Esprit d’amour. Comme je vous l’ai déjà souvent dit, la folie de Dieu n’est pas loin. De plus, elle est très contagieuse. Aucun vaccin ne lui résiste, même si les antibiotiques de la bêtise humaine, de l’orgueil, du désir de puissance et d’écrasement de l’autre peuvent l’empêcher pendant un temps — certes parfois long — d’éclore et de prendre toute la place qui lui est due. Certains essaient même de faire des OGM de folie, c’est-à-dire de remplacer la folie de Dieu par la folie des hommes. Absurdité ! Il n’y a pas d’autres mots. La folie des hommes conduit toujours à la mort. L’actualité ne peut hélas démentir mes propos. Par contre, la folie de Dieu, elle, conduit à la vie, au bonheur en soi avec les autres. La folie de Dieu est le rêve d’un monde à réaliser, un monde d’amour et de paix, en fait, un monde qui commence avec et par nous. En paraphrasant Christian Bobin (dans L’Eloignement du monde, Paris, Ed. Lettres Vives, 1993, p. 44), l’Esprit de Dieu est le nom le plus secret et le plus clair pour dire ce qu’est la vie divine dedans ma vie humaine. Esprit de Dieu, tu es le souffle qui ne me fait jamais défaut, ce souffle si nécessaire à la pensée et au rire, ce souffle qui impose le silence à cette voix noire des sagesses et des raisons lorsque ces dernières sont détournées de leurs finalités pour le bien de quelques-uns, ce souffle qui se dévoile comme un brin de folie, ce souffle, cet air qui rafraîchit mon cœur et fait de chaque être humain une place battue par tous les vents divins. Esprit de Dieu, Souffle de Dieu, tu deviens ainsi l’air dont je ne peux me passer et avec qui j’ai envie de vivre à tout instant. Tu es cette part insaisissable en chacune et chacun de nous. Tu es ce lieu intérieur duquel nous ne revenons jamais puisqu’il trace notre unité la plus profonde, la plus respectueuse de notre identité.


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Le souffle de Dieu est notre respiration. L’Esprit de Dieu est notre inspiration. Fort de notre liberté, laissons la divinité être à l’œuvre au plus intime de nous-même. En nous inspirant, elle nous permet de poser les actes, de dire les phrases qui participent à la folie de l’amour, folie de Dieu par excellence. En fait, Dieu attend de chacune et chacun de nous d’être des gens doués. Non pas de dons qui conduisent à un bien-être matériel. Dieu nous convie à l’éternité. C’est pourquoi il nous offre un don tout intérieur qui sommeille en nous. Ce don-là, c’est celui de devenir des êtres doués, mais doués de l’Esprit Saint. Pour le découvrir, il fallait passer par l’expérience merveilleuse de la Résurrection. Tel est le sens de Pâques. N’est-ce pas une superbe fête ? Soyons alors ces êtres doués de l’Esprit divin.

L’Esprit est à l’œuvre Jeudi saint (Jn 13, 1-15)

« Mes chers enfants, je vous quitte… Je vais tous vous bénir, sans exception, vous pour qui j’ai tant prié tous les jours de ma vie, pour que vous soyez des foyers heureux et chrétiens et que vous restiez tous unis. » Ces paroles, vous ne les avez sans doute jamais entendues même si elles nous en rappellent d’autres. Ce sont en fait les dernières paroles de mon grand-père maternel. Après avoir dit ces quelques mots, il a béni ses huit enfants puis s’en est allé tout en douceur et en confiance de l’autre côté de la lumière. A suivi alors le temps de l’apprentissage de l’absence, d’un deuil à devoir faire pour continuer à vivre. Un chemin à découvrir pour ne pas l’enfermer dans les vestiges d’un passé à jamais révolu, mais plutôt une occasion d’enraciner sa propre vie dans ce qu’il avait semé en chacun de ses enfants et petits


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enfants. Il n’est plus de ce monde, il s’en est allé dans sa propre lumière. Et chaque fois que nous faisons l’expérience d’un deuil, ici sur terre, nous sommes forcés de faire ce type de chemin alors que souvent nous ressentons un vide, une grande absence, un profond silence. Nous entendent-ils ? Y a-t-il vraiment quelque chose après cette vie ? Nous n’avons aucune certitude. Seulement une espérance. Seulement une foi en celui qui a dit à ses amis : « Je m’en vais et je reviens vers vous. » Une phrase on ne peut plus paradoxale, puisque le Christ dit en même temps : je pars et je ne pars pas. Nous avons l’impression qu’il dit une chose et son contraire. En tout cas, il ne nous a pas menti quand il a dit qu’il partait. Un peu comme s’il nous disait, aujourd’hui encore, vous ne me verrez plus. Faites-vous bien à cette idée. Vivez sans ma présence visible. Sans doute que je vous manque. Vous aimeriez peut-être voir mon visage, être certain de mon humanité et de ma divinité, contempler en mon regard toute la tendresse du Père pour ses créatures. Tout cela vous y aurez droit, mais seulement dans l’éternité. D’ici là, par le lavement des pieds, le Christ nous laisse la place, c’est-à-dire que tout ce que nous ne ferons pas nous-même ici sur terre pour améliorer l’humanité, il ne viendra pas le faire à notre place. « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13, 15). Il nous respecte et nous laisse notre autonomie. Il ne veut pas que nous soyons de simples automates. Il s’en est allé rejoindre le Père pour y préparer notre propre place, notre demeure éternelle. Ne soyons pas bouleversés, nous vivons tout simplement la vie telle qu’elle a été envisagée dans le plan de Dieu. Il s’en est allé, c’est vrai. Mais en même temps, il reste à nos côtés. Il n’est pas tout à fait parti. Il est là, présent, proche de nous, nous accompagnant sur cette traversée. Il est mainte-


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nant présence invisible et pourtant perceptible. Sa présence est plus profonde, plus intérieure. Elle s’enracine au plus profond de ce que nous sommes. Dorénavant, par l’Esprit, Dieu a choisi de se poser en chacune et chacun de ceux qu’il aime. Il vit en nous et reste vivant à jamais par ses paroles à méditer, mais également au cœur de chacune de nos eucharisties. L’Esprit poursuit son œuvre divine : il est ce souffle qui nous pousse à retrouver Dieu dans les traits de celui qui s’est perdu dans sa vie, qui s’est enfermé dans une solitude de laquelle il n’arrive plus à sortir, qui dans le monde aujourd’hui a faim, ou souffre de la blessure infligée par d’autres. Oui, Dieu le Fils est là, dans chacun de nos visages, dans l’étincelle de nos regards. Il est là, bien là. Mais nous ne pouvons le découvrir et le rencontrer qu’avec l’aide de son Esprit. Ce dernier, troisième Personne de la divinité, est invisible et pourtant aussi fort que le vent. Si Dieu est aujourd’hui encore à l’œuvre dans notre monde, c’est par l’intermédiaire de l’Esprit. Un Esprit respectueux de nos libertés, de nos décisions, de nos choix même s’ils ne vont pas dans le sens divin. Un Esprit qui nous accompagne et ne nous lâche pas. Il se réjouit avec nous dans le bonheur et nous soutient dans les moments plus difficiles. Il est douce présence de Dieu sur notre terre. Dieu s’en est allé et pourtant il est toujours là. Il s’en est allé pour que nous puissions le chercher librement, l’aimer sans contrainte. Selon lui, notre dépendance à son égard n’a de sens que si elle est librement consentie, que si cet amour réciproque est une réponse personnelle liée à ce désir de vivre en lui. Mais en attendant un tel jour, Dieu ne souhaite pas nous laisser dans une absence insupportable, insoutenable. C’est pourquoi, depuis ce jour, Dieu l’Esprit est à nos côtés. À chacune et chacun de le trouver. Ne le cherchons pas au loin. Dieu l’Esprit est en nous et chez notre voisin.


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Au plus intime de mon intimité Ascension (Lc 24, 46-53)

Quand j’étais enfant, j’étais toujours avide d’expériences scientifiques très sérieuses. Du moins, je le croyais. J’aimais mélanger les couleurs entre elles et en découvrir de nouvelles. Certaines étaient innommables, tellement elles étaient horribles, mais il y avait ce bleu et ce jaune qui ensemble donnaient un si beau vert. Je m’étonnais de cela et je me demandais parfois s’il pouvait en être de même avec les êtres humains. Serais-je un jour capable d’aimer quelqu’un au point de me fondre en lui ? Une telle unité est-elle possible, ou bien est-ce une utopie ? Le poète Rainer Maria Rilke affirme que le partage total entre deux êtres est impossible. Il ne sert cependant à rien de s’enfermer dans une morosité, car lorsque nous avons pris conscience de la distance infime qu’il y aura toujours entre deux êtres humains, quels qu’ils soient, une merveilleuse vie « côte à côte » devient possible, écrit-il. Une vie « côte à côte » et non pas une fusion. Il faudra, poursuit cet auteur, que les deux partenaires deviennent capables d’aimer cette distance qui les sépare et grâce à laquelle chacun des deux aperçoit l’autre entier, découpé dans le ciel. L’amour entre deux êtres peut être tel qu’ils peuvent presque devenir l’un l’autre. Mais il y aura toujours ce « presque », cette distance aussi fine puisse-t-elle être qui les séparera. Il n’y aura donc jamais d’unité totale entre deux êtres humains. Nous atteignons ici une des limites de notre humanité. Je peux aimer, aimer tellement à ressentir tout ce que l’autre vit. Sa respiration peut même devenir mienne, mais il y aura toujours ce quelque chose, cet infime rien qui m’empêchera de l’être complètement. Notre vocation humaine n’est pas fusionnelle, mais plutôt « côte à côte ». Nous sommes donc confrontés à la réalité


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des limites de l’intimité humaine, il est vrai. Mais par l’incarnation du Fils de Dieu, nous sommes appelés à répondre à l’appel de la vie et à accepter notre condition nouvelle et résurrectionnelle, celle de devenir pleinement enfants de Dieu. Filles et fils d’un même Père dans la foi. Tel est le sens de la prière du Christ : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous » (Jn 17, 21). Ici, au cœur de ce monde, nous sommes conviés à vivre d’une intimité exceptionnelle, une intimité illimitée. Enfants de Dieu par adoption, nous le sommes. Comme nous l’avons découvert, Dieu a choisi de venir inhabiter en chacune et chacun de nous. À l’occasion de l’Ascension, il est parti rejoindre le Père qui est en nous. Le Fils a pris résidence au cœur de notre humanité. Nous sommes tabernacles vivants de sa présence. Dieu vit au plus intime de tout être humain, là où aucune autre personne ne peut nous rejoindre à ce point. Si je le souhaite, Dieu fait un avec moi. Il s’est établi au sein de ma conscience. C’est dans ce lieu précis que l’Esprit Saint est à l’œuvre et inspire mes actes et mes mots. Dieu est au plus intime de notre intimité. Il inonde mon être de sa réalité divine et me rend par là plus humain, plus divin. Il est plus grand que mon cœur et connaît toute chose (1 Jn 3, 20). Avec Lui, je vis en permanence. Il est là, attendant que je parte à sa rencontre en moi. Je n’ai rien à lui cacher. Je n’ai plus à me mentir. Il est là, bien là en moi et il m’accompagne. Non pas comme une petite voix intérieure jugeant mes actions, mais comme un ami qui avance avec moi sur le chemin de la vie. Il est vraiment au plus intime de mon intimité, là où personne ne peut venir tellement je suis au plus profond de mon être. Ce qui est impossible humainement, l’est par contre divinement. Oui, l’unité, l’intimité totale est possible entre deux êtres


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lorsque l’un est humain, l’autre divin. Que nous puissions alors vivre de cette unité divine en nous. Elle est le lieu par excellence d’une unité par-delà toute compréhension.

Le jardin secret Sainte Marie, Mère de Dieu (Lc 2, 16-21)

Jules Brunin. Un nom parmi tant d’autres. Un nom que certains reconnaîtront. Pour les autres, un nom inconnu. En Belgique, Jules Brunin a défrayé la chronique, il y a une trentaine d’années, dans son combat pour dénoncer les abus des enfants dans les homes. Il a été condamné pour avoir cherché des preuves en commettant quelques effractions, puis il a été gracié par le roi Baudouin. Un homme qui n’a jamais laissé quelqu’un indifférent, en positif ou en négatif. Me revient en mémoire une phrase qu’il a écrite en dédicaçant un de ses livres. Je vous la livre : « Si ton cœur est trop lourd à porter, et bien, donne-le aux autres. » Ces quelques mots sont devenus pour moi une belle leçon de vie. En effet, la vie nous rattrape souvent là où nous nous y attendons le moins. Elle est faite de surprises : certaines sont merveilleuses alors que d’autres nous font mal et surtout nous abîment. Il peut nous arriver d’être submergé d’un sentiment de solitude profonde. Nous cherchons, mais en vain, l’oreille attentive qui pourra nous comprendre, et surtout nous comprendre sans nous juger ni nous condamner. Une oreille attentive qui ne ramène pas nos souffrances à elle après seulement quelques minutes de dévoilement. Une oreille qui accepte de vivre au rythme de mes silences. Vous allez me dire que là je deviens peut-être un peu exigeant, mais je ne crois pas que l’écoute soit autre chose que cela. Écouter, c’est faire taire en soi ses propres sentiments,


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sa propre vie, pour être tout à l’autre dans son histoire. Une histoire que nous ne maîtrisons pas, mais que nous ne faisons simplement qu’effleurer en laissant l’autre se raconter. C’est cela, donner son cœur aux autres. Cet autre qui nous semble parfois bien difficile à trouver : nos amis sont parfois trop occupés pour donner un peu de leur temps et puis, ils n’ont pas toujours envie d’entrer dans les méandres de notre histoire. Enfin, il y a tout ceux que nous croisons, mais sans oser nous arrêter de peur qu’ils ne nous comprennent pas ou encore nous trahissent plus tard. Pourtant, pourtant, il y a toujours quelqu’un sur cette terre qui est là pour nous prendre dans ses bras, il existe bien une épaule sur laquelle nous pouvons nous épancher. Cette dernière n’est jamais très loin. À nous de la chercher, de la chercher pour enfin la trouver. Cette rencontre peut alors devenir le début d’une belle amitié, c’est vrai. Les autres sont là pour nous, mais nous aussi nous sommes là pour eux. Toutefois, nous pouvons parfois être saisis d’un vertige lorsque nous pensons à notre famille. Mais comme tant de parents l’ont affirmé, enfin je l’espère : quoi que tu fasses, quoi qu’il t’arrive, nous t’aimons et nous serons toujours là. Même si nous désapprouvons, nous ne te lâcherons pas. Quelle belle sécurité pour celles et ceux qui ont eu la chance d’entendre de telles paroles : savoir qu’il y a dans un endroit, notre maison familiale, des personnes qui nous accueillerons toujours tels que nous sommes et ce, malgré nos trébuchements. Pour ce faire, nous devons oser revenir, reconnaître que nous nous sommes trompés, accepter que l’erreur fasse partie de notre humanité : notre orgueil en prend un sacré coup, il est vrai, mais quelqu’un, quelque part, nous comprendra. À sa manière alors, lui aussi fera tuer le veau gras pour fêter notre retour à la vie. Cependant, parfois, nous sommes envahis d’une pensée,


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d’une situation enfouie au plus profond de notre jardin secret. Il s’agit alors de quelque chose que nous n’avons absolument pas envie de dévoiler. Nous nous sentons pris au piège et tellement esseulés. S’enfermer dans un tel sentiment me semble être une erreur. Tout simplement parce qu’au plus secret de notre jardin secret, Dieu a choisi d’y établir une de ses résidences. C’est à cet endroit précis que se nouent en nous l’humain et le divin, à l’image de Marie qui « retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » (Lc 2, 19). Nous découvrons alors un silence merveilleux, tout habité de la présence de Dieu, un Dieu qui peut nous écouter pour nous aider à nous relever et nous permettre ainsi de marcher à nouveau sur la route de notre vie. Alors, paraphrasant Jules Brunin, nous pouvons nous dire les uns aux autres : « Si ton cœur est trop lourd à porter, eh bien donne-le aux autres, voire à Dieu. »


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Rendons grâce à Dieu pour les faux soucis 1er dimanche de l’Avent (Lc 21, 25-28.34-36)

Peu de temps après mon arrivée dans l’équipe pastorale de nos paroisses, j’ai été assez surpris de découvrir que dans nos communautés aussi, il existait des personnes qui pouvaient faire des montagnes de petits détails. En voici quelques exemples : la chorale a de nouveau mal chanté le répond du psaume ; vous devriez dire au lecteur de tout à l’heure qu’il ferait bien d’un peu mieux préparer sa lecture ; n’y a-t-il pas moyen que les enfants fassent moins de bruit, cela devient vraiment énervant. Et je recevais ces plaintes, l’une après l’autre. Je dois vous avouer que cela m’énervait. Jusqu’au jour où j’ai trouvé une phrase clé. Une phrase qui m’apporta la paix définitive. Depuis cette découverte, chaque fois que quelqu’un me fait part d’un tel type de souci, je réponds toujours : « Mais rendez grâce à Dieu ! » La personne, interloquée par mon propos, me demande toujours de préciser ma pensée. Ce que je fais : « Oui, je vous invite à rendre grâce à Dieu de pouvoir vous encombrer l’esprit d’un tel souci et de vous dire qu’il va vous occuper toute la semaine. Si un tel petit détail vous ennuie à ce point et que vous n’arrivez pas à le dire aux personnes concernées, rendez grâce à Dieu de ne pas avoir de souci plus important à devoir gérer, car si vous en aviez de plus importants, vous ne verriez même pas ces petits détails. » Et depuis ce jour, je n’ai jamais plus entendu ce genre de plainte.


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Des soucis, nous avons tous. Ce n’est donc pas étonnant que même l’Évangile nous en parle lorsque nous pouvons lire : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie » (Lc 21, 34). Ces soucis dont parle l’évangile ne sont pas de petits tracas quotidiens ou encore de faux problèmes pour s’occuper l’esprit. Le terme grec utilisé signifie plutôt le souci qui déchire le cœur, qui divise notre âme, qui fait souffrir notre conscience et notre être tout entier. Il est ce souci qui vous donne mal à l’âme et au corps. Une blessure béante qui met tant de temps à pouvoir se cicatriser, avec parfois cette impression tenace qui nous fait penser que jamais nous n’arriverons à dépasser ce qui fait cette lézarde intérieure. Une lézarde, un gouffre qui nous donne un vertige à nous en faire perdre la tête. Et voilà qu’aujourd’hui, le Christ nous fait découvrir que c’est au cœur même de ces soucis profonds qu’il se révèle, se dévoile à nous comme une lumière ténue au cœur de nos ténèbres. Nous pourrions même aller jusqu’à dire que notre épiphanie, notre manifestation de Dieu se réalise souvent dans le lieu de nos fragilités, comme si Dieu se glissait tendrement en nous dans nos failles pour venir nous donner un peu de baume au cœur et à l’âme. De la sorte, le récit apocalyptique de l’évangile s’adoucit et nous fait découvrir ce visage de Dieu tel qu’il nous est révélé dans le livre de Jérémie (Jr 33, 16) : « Le Seigneur est notre Justice. » Une justice non pas humaine, c’est-à-dire une justice qui juge et condamne. Non, plutôt une justice divine, c’est-à-dire une justice dont les racines s’enfoncent dans l’amour à notre égard. Un amour qui connaît nos vies. Un amour qui déborde de cette affection dont nous avons toutes et tous tant besoin. Dieu, notre Dieu, Celui qui se révèle à nous en Jésus Christ, nous fait découvrir que sa justice s’inscrit au cœur de nos êtres, dans l’empire


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personnel de nos vulnérabilités. Et finalement, c’est assez normal. Ne reconnaissons-nous pas les meilleurs temps d’amitié comme étant ceux où les personnes se sont racontées sensibles, se sont fragilisées en toute confiance ? Lorsque la vie nous offre de tels temps de bonheur, nous découvrons, redécouvrons que la fragilité fait la beauté de l’être. Elle n’est pas à craindre. Il n’y a pas lieu de l’occulter. Elle devient le lieu de résidence, de révélation de Dieu. Si la débauche et l’ivrognerie existent bel et bien, ils sont signes de notre incapacité à gérer nos fragilités. Puissionsnous repartir à la découverte de nos soucis véritables, de les reconnaître comme tel et puis de les poser tendrement, en toute confiance, en Dieu. Alors, toutes et tous, nous pourrons nous trouver debout devant le Fils de l’homme. Cela se vit de manière toute simple. Le dépôt de nos soucis est aussi une superbe forme de prière. Et c’est à cela que l’évangile nous invite.

Les « bons conseils » Saint-Sacrement (Lc 9, 11b-17)

Ah ! les bons conseils. Il semble que la majorité des êtres humains ont toujours été très friands de bons conseils. Il est vrai qu’un bon conseil ne coûte rien, juste un peu de notre réflexion, juste un peu de notre temps. Hélas, les bons conseils ne sont pas toujours aussi bons, aussi judicieux que cela. En effet, certains bons conseils peuvent facilement devenir soit des projections de nos histoires personnelles, soit des reproches détournés. En agissant de la sorte, nous sommes alors un peu comme les disciples de Jésus lorsqu’ils lui font la remarque suivante : « L’endroit est désert, et il se fait tard. Renvoie la foule : qu’ils aillent dans les villages s’acheter à manger ! » (Lc 9, 12). Comme nous pouvons


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le constater, ils jouent le rôle de « bons » conseillers, mais pensent-ils vraiment à ces gens ou bien sont-ils plutôt pétris de leur propre personne, de leur inquiétude à devoir partager le peu qu’ils possèdent. En fait, ils semblent d’abord chercher simplement leur tranquillité. Ils ne conseillent pas, ils reprochent. N’en va-t-il pas souvent ainsi dans nos vies personnelles ? Conseillons-nous véritablement celles et ceux qui viennent à nous en demandant un service, une aide, un conseil ou sommesnous plutôt entrain de pointer leurs failles, leurs erreurs, leurs manquements ? À l’image des disciples qui, d’une certaine manière, soulignent que tous ces gens auraient pu prendre de quoi se nourrir avec eux sans pour autant prendre conscience que lorsqu’on a la chance de pouvoir se nourrir de la Parole de Dieu, l’être humain se préoccupe alors peu des contingences matérielles telles que la nourriture, voire d’un lieu pour se loger. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le Christ ne conseille jamais celles et ceux à qui ils s’adressent. Il propose un chemin de liberté qui conduit à la vie éternelle. À chacune et chacun de décider de le suivre ou non. Il ne conseille pas, il ne force pas. Le Christ nous interroge et nous convie à répondre à ses questions de manière personnelle, car il sait pertinemment bien que toutes les réponses sont en nous. Laissons-nous alors inspirer par l’Esprit Saint pour qu’il nous guide sur la route de la vie. Le Fils de Dieu ne conseille donc pas. Peut-être parce qu’il a compris que le conseil s’enracine souvent dans la vie de celui qui le donne plutôt que dans celle de celui qui le demande. Or, il n’est pas possible d’universaliser une situation singulière. Ce qui est ou a été bon pour nous, ne l’est peut-être pas pour un autre. Puissions-nous aussi quitter le chapelet des conseils pour entrer dans la dynamique des questions. Il n’y a jamais de réponse certaine, sauf évidemment pour les questions sans intérêt.


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À chaque conseil demandé, apprenons à répondre par une question pour que la personne qui se trouve face à nous trouve en elle la réponse à sa propre demande. Et cette réponse, dans la mesure du possible, sera plurielle pour qu’elle puisse choisir ce qui, dans sa situation, sera la meilleure solution, c’est-à-dire celle qui apportera le plus d’amour. Tel est le sens de notre liberté d’enfants de Dieu. D’une certaine manière, c’est ce que fit Jésus dans l’évangile en refusant de suivre les conseils de ses disciples. C’est en lui, et uniquement en lui qu’il trouve la solution. Avec ce qu’ils ont amené, « Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction. Il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule » (Lc 9, 16). Il ne s’agit pas d’abord d’un miracle, d’une multiplication incompréhensible à nos yeux. Il s’agit d’un don, d’un partage à partir de ce que le Christ donne de lui-même. Et ce qui frappe une fois encore dans le récit entendu, c’est l’abondance du don offert. Nourrissons-nous de cette Parole de Dieu, Parole de vie par excellence. Grâce à elle, nous n’aurons plus jamais faim, car nous aurons été à jamais rassasiés. Rassasiés de Dieu, telle est notre espérance. Et nous vivons de celle-ci au cours de chacune de nos eucharisties, lorsque nous sommes à notre tour rassasiés du corps et du sang du Christ.

Les « ont été » entêtés 12e dimanche (Lc 9, 18-24)

Le rétroviseur est un instrument indispensable pour la conduite de tout véhicule. Il nous permet d’anticiper les mouvements de ceux qui nous suivent, de faire les manœuvres nécessaires. Et ce n’est pas pour rien que le code de la route exige de-


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puis plusieurs années que tout véhicule soit équipé d’un rétroviseur intérieur et de deux extérieurs. Belle invention donc que le rétroviseur. Il nous facilite drôlement la vie lorsque nous conduisons. Si cet équipement est plus qu’utile pour tout véhicule, il semble qu’il n’en aille pas de même pour celles et ceux qui veulent inscrire leur vie en Dieu. En effet, Dieu ne semble pas aimer les gens qui vivent leur vie en regardant en arrière. Il nous attend dans la construction de nos vies, c’est-à-dire le regard tourné vers l’avenir, vers demain. Il nous convie à ne pas nous enfermer dans un passé à jamais dépassé. Dans la foi, nous sommes appelés à devenir des visionnaires de la Création. Nous ne sommes pas poussés irrémédiablement par notre passé. Non, nous sommes tirés par notre avenir. La vie s’écrit en avant. C’est là qu’elle se réalise pleinement dans le projet divin. Les différentes images fortes utilisées par le Christ en disent long : « Qu’il renonce à lui-même » ou encore « Qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive ». Ces phrases sont dures. Dieu le Fils est venu nous bousculer dans nos certitudes, dans nos paralysies, surtout celles qui affectent les autres et empêchent toute vision d’avenir. Un peu comme si Dieu n’aimait pas les « ont été », vous savez, ceux qui ressassent le passé, qui justifient tous leurs actes d’aujourd’hui au nom de l’histoire. Ces gens-là, ces « ont été » conjuguent leur vie au passé composé. Ils se sont enfermés dans une mare de leur histoire alors que le fleuve continue de couler. Ils parsèment leurs phrases de « j’ai été », « nous avons été » et ils pensent que parce qu’ils « ont été », ils ont des droits acquis. Avec les « ont été », aucune remise en question n’est possible puisqu’ils ne font référence qu’à leur passé, aussi glorieux ce dernier ait-il pu être. Dès qu’il peut y avoir une évolution, un regard vers l’avenir, les « ont été » s’in-


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dignent, crient à l’injustice. Ils ont un grand défaut : ils accusent toujours les autres sans pour autant se rendre compte que leurs propres accusations dénoncent souvent leurs propres conduites. Les « ont été » vivent dans le passé, à ce point aveuglés dans leur présent qu’ils soient incapables de voir et de comprendre l’avenir. Non pas qu’ils en soient exclus, plutôt ils s’en sont exclus par leur propre attitude. En effet, les « ont été » sont souvent des entêtés. Et c’est pour toutes ces raisons-là que le Christ nous propose en méditation aujourd’hui des phrases aussi fortes de sens. Voulons-nous être des « ont été » entêtés qui n’acceptent pas de mourir à leurs projets pour en laisser naître d’autres ou désirons-nous écrire nos vies avec l’encre de Dieu, c’est-à-dire tournés vers demain ? Le Christ ne nous laisse pas tellement le choix. Par définition, depuis l’instant de notre conception, nous sommes des êtres en devenir, jamais atteints, toujours en évolution. Le jour où nous nous arrêtons, nous mourons. Il est vrai qu’il est parfois plus facile de vivre sa vie au passé composé. C’est rassurant, car ayant fait l’expérience, nous connaissons les tenants et aboutissants. Nous n’avons pas peur puisque nous regardons en arrière dans notre histoire. Nous vivons le déjà connu, le déjà vécu. Nous sommes emprisonnés dans notre passé. Or, si le Christ, nous dit saint Paul (Ga 5, 1), nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. En Dieu, nous avons été appelés à la liberté. Une liberté tournée vers l’avenir, par amour, au service les uns des autres. Ne nous enfermons pas dans notre passé, mais intégrons-le à nos histoires respectives. Reconnaissons qu’il est dépassé à jamais, mais qu’il constitue la richesse de ce que nous sommes devenus. Libérons-nous de tous


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ces passés composés qui jalonnent nos existences, de tous ces pardons qui n’ont pu être donnés, de toutes ces blessures qui nous ont lézardés. Libérons-nous de tout ce qui nous empêche d’advenir, quittons tous nos masques d’« ont été » pour nous tourner à jamais en Dieu vers l’avenir. C’est là que l’Esprit de Dieu nous accompagne.


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Le sens premier de notre humanité 1er dimanche de Carême (Lc 4, 1-13)

Permettez-moi de râler quelques instants. Foutu Carême. Nous voilà repartis pour six semaines de privation, d’épreuves, d’objectifs à atteindre. Un bol de riz par ci, pas de chocolat par là, j’en passe et des meilleures. C’est vrai quoi, Jésus, d’accord il a été tenté dans le désert pendant quarante jours. Ça n’a pas dû être rose tous les jours, se faire tenter comme il s’est fait tenter, c’était pas évident. Mais enfin, il n’a dû le faire qu’une seule fois dans sa vie. Alors que moi, c’est mon ixième Carême, l’ixième fois que je suis obligé de vivre cette traversée du désert, de me priver, de faire un effort, d’être gentil avec les autres. Et si vous êtes plus âgés que moi, je vous plains encore plus. Quand je pense qu’une de mes grands-mères a vécu le Carême cent une fois. J’en ai les larmes aux yeux, même s’il paraît que les conditions de privation sont plus souples après soixante ans. Plus que quelques années de Carême à attendre un assouplissement. Oui, mais finalement, est-ce que le Carême est vraiment le moment de l’année qui m’est offert pour râler un bon coup ou bien y a-t-il autre chose ? Il y a quelques années déjà, à la même époque, je me trouvais au sud du Rwanda, dans un camp de réfugiés du Burundi. Ils étaient plus ou moins cinq cents jeunes de quinze à vingt-cinq ans. L’ONU leur donnait une ration de nourriture par jour : cent vingt grammes de haricots et c’était


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tout. Ils avaient tout perdu. Lorsque l’on m’a demandé de célébrer le mercredi des Cendres avec eux, je me voyais mal commencer à parler de privation, de jeûne et d’abstinence. Non, le Carême signifie autre chose. Surtout quand je les entendais chanter avec un tel plaisir, quand je les voyais rayonner de bonheur parce qu’ils se mettaient en route pour Pâques. Ils ont donné sens aux six semaines que nous sommes invités à vivre. Reprenons alors ensemble les diverses tentations de l’Évangile. Le démon dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain » (Lc 4, 3). Jésus refuse de jouer au magicien. Il ne sera pas le David Copperfield de la Trinité. Il ne pouvait accepter cela, car il a pris notre condition humaine sans protections, sans pouvoirs spéciaux. Il ne fallait pas qu’il devienne un surhomme. Un surhomme n’aurait pas pu nous dire : « Viens, suis-moi. » Cela aurait été au-delà de nos forces. La conversion par la magie, c’est une forme de pot-de-vin pour nous faire croire. De cela, le Christ n’en veut pas. Non à la conversion par la corruption ! La rencontre avec le Père doit se vivre en vérité. C’est le cœur qui est atteint, non un sentiment éphémère. La deuxième tentation pourrait s’intituler la tentation du compromis. C’est comme si le démon lui disait : « J’ai tous ces gens sous ma coupe. N’exige pas trop d’eux. Faisons une affaire ensemble. Juste un petit compromis. Les hommes te suivront et tu en feras ce que tu voudras. » S’il y a bien une nation qui vit de compromis, c’est la nôtre. Au regard des valeurs humaines, le compromis permet à l’humanité de vivre dans une certaine sérénité. En termes de couleurs, la tendance humaine est de voir les choses en gris, alors que, pour le Christ, la Vérité doit être vécue comme blanche ou noire, pas entre les deux. Il n’y a pas de compromis possible entre le bien et le mal. Nous sommes tout simplement appelés à aimer, oui, mais à aimer sans condition, à


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donner l’espace à l’autre pour que lui aussi puisse exister en pleine vérité. Enfin, la troisième tentation peut se résumer à la tentation d’offrir des sensations. Le sensationnel plaît toujours, il fait chavirer, il donne du piment à l’existence, c’est un peu le cancan à mille euros. Le Christ avait cependant compris que le sensationnel, même s’il est facile à réaliser, ne dure pas dans le temps. Du sensationnel, on s’en lasse, et ce n’est sans doute pas pour rien que les journaux qui s’en délectent se voient obliger d’inventer chaque semaine de nouvelles histoires pour garder leur public. De cela, le Christ n’en veut pas. Pas de corruption, pas de compromis, pas de sensation : voilà le sens du Carême. Un appel, un chemin à retrouver le sens premier de notre humanité : aimer, aimer en vérité.

Invités à être sauvés 2e dimanche de l’Avent (Lc 3, 1-6)

Mais pourquoi, dans son évangile, saint Luc s’encombre-t-il l’esprit, et donc le nôtre également, de tant de détails tout à fait insignifiants. Ces derniers ne semblent rien apporter au récit : l’an 15, Pilate, Tibère, Hérode, Philippe, Traconitide, j’en passe et des meilleures. Il avait peut-être le goût de l’histoire, mais quand même. Il y a moyen de prendre des chemins nettement plus rapides pour aller droit au but. Le message est très simple, juste une phrase, une petite phrase, la dernière : « Et tout homme verra le salut de Dieu » (Lc 3, 6). Il ne fallait rien dire de plus, tout est résumé en ces quelques mots. Ils se suffisent eux-mêmes. Oui, mais si nous n’avions pas eu tous ces petits détails en introduction, aurions-nous pu nous préparer à recevoir une telle


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bonne nouvelle ? C’est un peu comme si on lisait l’évangile en commençant une eucharistie. D’abord, il y aurait tous ceux qui l’auraient manqué parce que leurs montres n’indiquaient pas la bonne heure ou que la nôtre avançait, et seraient arrivés en retard, puis il y a tous les autres, qui n’auraient pas eu le temps d’entrer dans un tel texte sans aucune rupture avec ce qu’ils faisaient avant. Il y a donc lieu de se préparer. Tout simplement. Une bonne nouvelle se prépare à être reçue, pour être ensuite intériorisée. De la sorte, elle n’est pas seulement quelques phrases gribouillées sur le coin d’un parchemin, elle est devenue vie en nous. Alors, heureusement que saint Luc a pris le temps, il nous permet de nous préparer. Et cette préparation à laquelle nous sommes conviés est une invitation personnelle faite à chacune et chacun d’entre nous. Pas moyen d’y échapper, comme s’il y avait un RSVP (ou RSLP) dans le coin inférieur gauche de l’invitation, et ce avant le 25 décembre de chaque année, s’il vous plaît. Il nous reste peu de temps pour aplanir cette route, notre chemin nous conduisant vers Dieu puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Dieu nous fixe à nouveau rendez-vous pour une grande fête, celle de sa rencontre en notre humanité. Il nous indique l’endroit, c’està-dire au plus profond de nous-mêmes. Et malheureusement pour nous, il ne nous indique pas le chemin à suivre. À chacune et chacun de le trouver, à partir de son histoire et de ses certitudes. Il y a autant de chemins qu’il n’y a de personnes dans cette assemblée. Cependant, c’est la même voix, celle de Jean le Baptiste qui crie dans nos déserts intérieurs : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Qu’est-ce à dire ? Tout simplement, inviter Dieu à entrer en nous, et cela exige un fameux remue-ménage. Nos routes intérieures sont tortueuses de nos maladresses, parsemées de nid-de-


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poule, d’hésitations et d’objections, glissantes de nos trébuchements et nos hésitations, durcies par nos entêtements. Elles ressemblent drôlement à certaines routes de la commune où j’habite… Nous pourrions alors nous morfondre face à l’immensité de ce travail. Mais ce ne serait pas lire et comprendre l’évangile jusque dans son dernier drapé : tous les hommes verront le salut. Une telle phrase serait une promesse de rêveur si elle ne nous ramenait à ce qui doit être sauvé en chacune et chacun de nous. Comme si se préparer, c’était creuser dans notre terre propre jusqu’au moment où nous atteignons cette source d’eau claire à laquelle nous pouvons à nouveau venir nous abreuver, nous ressourcer pour repartir à la conquête de notre être intérieur, lieu de la rencontre avec le Christ. C’est faire de la place, enlever le secondaire et ainsi retrouver l’essentiel de nos existences. Et si l’essentiel, c’était d’oser à nouveau croire et proclamer à voix forte que Dieu s’est fait homme pour nous sauver ? Mais qu’est-ce qu’au fond l’idée de salut ? Essentiellement ceci : que les choses peuvent être reprises, que rien n’est jamais perdu, définitif, souligne à maintes reprises le théologien belge Adolphe Gesché. Tout peut toujours reprendre, rien n’est inexorable, bref tout peut être sauvé. Comme s’il y avait une sorte de surabondance dans la venue de Dieu en nous. Si c’est tout cela, alors je crois que cela vaut vraiment la peine de s’y préparer.

Eveilleurs de foi 9e dimanche (Lc 7, 1-10)

Il y a quelques mois, lors de la préparation au sacrement de confirmation, un jeune de seize ans demanda, à un des frères venu témoigner de la vie religieuse dominicaine, comment ses


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parents avaient accueilli l’annonce de l’entrée dans l’Ordre de leur fils. Cela n’a pas été évident, répondit le frère. À cette réponse, le jeune réagit avec les mots suivants : « Ils sont bizarres, nos parents, ils nous obligent pendant des années à aller à la messe et lorsque l’un d’entre nous veut « faire la messe », ils ne sont plus contents. » Paradoxe de la vie ? Peut-être. En tout cas, étonnement légitime face à un tel choix qui va à ce point à l’encontre de la culture ambiante par les différentes balises que la vie religieuse propose aujourd’hui encore. Il y a donc un brin de folie humaine dans la vie religieuse, comme dans le mariage d’ailleurs, mais cette folie ne fait que rejoindre la sagesse divine. Et cette dernière est animée par deux valeurs essentielles qui sont constitutives de notre identité chrétienne : la quête de la vérité animée par un désir profond de liberté. Pour la majorité des croyantes et croyants, cette vérité n’a de sens que si elle s’enracine en Dieu. Et par là, nous sommes conviés nous aussi à entrer dans un chemin de liberté, d’abord avec nous-mêmes pour oser nous regarder en face, nous accepter tel que nous sommes. C’est vrai, nous n’avons pas choisi d’être qui nous sommes, en tout cas pas au départ de la vie. Et voilà qu’à un moment donné de nos existences, Dieu vient se pencher sur nous pour nous offrir un chemin vers la liberté, celles des enfants de Dieu. Ce chemin varie de personne à personne. Il est façonné par nos forces, nos fragilités, nos contradictions, nos déterminismes, nos rencontres, et également par tous les choix que nous sommes amenés à poser tout au long de notre vie, ainsi que nos blessures qui peuvent devenir aussi belles que des œuvres d’art lorsque nous les accueillons dans nos histoires. En fait, nous sommes pétris de tout ce que nous avons à intégrer en nos existences pour nous libérer de nous-mêmes. Ce chemin permet à Dieu de se rapprocher de nous, car nous


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nous sommes désencombrés de tout ce qui nous empêchait de devenir et surtout d’être. Et cela ne peut se faire que si nous déposons notre fierté, notre orgueil au vestiaire du mensonge. En effet, la quête de la vérité demande une certaine dose d’humilité. Comme nous le savons, l’humilité ne consiste pas à se sous-estimer, à s’écraser, voire même à se nier. Non, comme j’aime à le répéter, l’humilité est une qualité spécifique de l’ordre des Prêcheurs, car elle exige une très haute opinion de soi. Ce que la majorité des frères ont. C’est pourquoi nous pouvons en parler avec tant d’aisance. L’humilité implique de reconnaître que tous les hommes et toutes les femmes sont semblables devant Dieu et devant nous. Toutes et tous méritent que nous ayons pour eux la même estime que nous avons pour nous-mêmes. L’humilité nous invite donc à ne pas abaisser l’autre pour grandir soi-même. Je ne vaux pas mieux qu’un autre. Je reconnais humblement qui je suis avec ma vulnérabilité et mes qualités, je m’accepte et j’apprends à m’aimer. C’est un long chemin d’intériorité qui demande un dépassement constant de toutes les peurs qui nous habitent et dont la peur de nous-mêmes est sans doute la plus pernicieuse. Par l’humilité, j’ose me regarder en face, découvrir que je ne suis qu’une toute petite parcelle de vérité puisque la Vérité par définition est en Dieu. Habité par cette quête de vérité, je peux alors avancer dans la vie, poursuivre cette route où les questions les plus intéressantes resteront toujours des questions, car elles enveloppent un mystère, écrit Éric-Emmanuel Schmitt. Dans notre tâche de frère prêcheur, aux vraies questions, nous devons apprendre à toujours joindre un « peut-être » dans la réponse, car la foi est un champ où nous ne savons rien par définition. Nous cherchons toujours à approcher de la vérité, en toute liberté, mais nous ne la possédons pas. C’est donc par le cœur que nous vi-


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vons notre vie chrétienne, mais avec une mission bien précise : le salut des âmes. Tel est le sens de l’Incarnation du Fils de Dieu. Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Loin de nous l’idée de devenir des sauveurs d’humanité. Non, par notre vocation, nous sommes appelés à être des éveilleurs d’humanité, des éveilleurs de Divinité. L’éveilleur vit sa tâche sans prétention, mais avec cette joie intérieure de permettre à celles et ceux que nous rencontrons de devenir présents à eux-mêmes. Lorsque ce jour arrive, la mort ne pourra plus jamais arracher cet être au calendrier du temps. Il est entré dans l’infini de son existence. C’est cela, le salut qui nous est promis car, comme l’écrit le théologien Adolphe Gesché, le salut ne consiste pas à être délivré de moi mais de tout ce qui m’empêche d’être moi. Tel est le sens premier de cette notion de salut. Loin donc d’être fondée sur un mépris de l’être humain, l’idée de salut est fondée sur une très haute idée de l’homme dont Dieu souhaite qu’il poursuive sa destinée d’accomplissement. Le salut est constitutif de notre humanité et nous propose une dynamique de vie : la réalisation, l’épanouissement de l’être. Un peu comme si l’appel à la vie était tout simplement un appel au bonheur. Dans cette perspective, le salut représente pour l’être humain ce désir de tout faire pour devenir ce qu’il peut être et désire devenir par la victoire sur les obstacles de cette destinée qu’il a choisi d’écrire, mais cette fois avec l’encre de Dieu. Telle est notre vocation : permettre à chaque être humain de devenir luimême et de découvrir que Dieu lui offre un merveilleux chemin de vie, de réalisation. Usant de l’intelligence de notre cœur, en toute liberté et en toute vérité, puissions-nous devenir des éveilleurs d’humanité, des éveilleurs de divinité.


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Le doute de la foi 2e dimanche de Pâques (Jn 20, 19-31)

Mais comment peux-tu croire à tout cela, lui dit-elle ? Une vraie perte de temps, ça ne sert vraiment à rien, ce sont des histoires de grand-mère ! Comment peux-tu imaginer aujourd’hui encore croire à cette idée qu’un homme tel que ce Jésus est ressuscité ? Je ne comprends pas que tu puisses avoir la foi. Oui, sans doute cela te rend la vie plus facile, conclut-elle avec un brin de condescendance, voire de mépris dans le regard. Pauvre de moi, pauvre de nous face à de telles questions, de tels jugements. Comme si c’était si facile de croire « à tout cela ». La foi n’est pas une certitude, elle est plutôt une espérance, une conviction intérieure que face à tous les mystères de vie qui nous entourent, il doit bien exister une explication. Mais cette espérance ne suffit pas à elle-même, une fois pour toutes, comme si tout était dit, comme si notre décision étant sans appel possible. Non, la foi en ce Dieu trinitaire dont nous célébrons le mystère de la résurrection est à conquérir, reconquérir chaque jour. Elle ne nous est jamais acquise, un peu comme l’amour d’ailleurs. Cette foi, qui par moments nous colle à la peau et à d’autres reste une question, demande que nous nous investissions, elle ne peut se contenter de nos somnolences. En effet, ce Dieu en qui nous croyons est un Dieu exigeant qui nous offre la liberté de croire, la liberté de répondre au don de la foi. Ce serait tellement plus facile de ne plus se poser de questions, de vivre une foi de charbonnier, mais nous risquons alors de stagner, de vivre en des eaux dormantes, troubles, où nous ne partirions plus à la rencontre d’un Dieu, notre Dieu, qui continue de se dévoiler à nous chaque jour dans les signes des temps. Signes qui ne peuvent être lus qu’avec les lunettes de la


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foi. Une foi qui parfois brûle en nous comme un feu ardent, parfois tout simplement, tout silencieusement comme la flamme d’une bougie. Ne craignons pas cette dernière. N’est-ce pas elle qui illumine notre tabernacle intérieur, tout empreint de sa présence divine ? Elle est là, nous indiquant au plus profond de notre silence que Dieu ne s’est pas éloigné de nous, qu’il vit en nous. Il nous suffit de reprendre notre pèlerinage pour repartir à sa rencontre. La foi devient alors un peu comme les marées de la mer, elle vient et elle va. L’important, c’est qu’elle soit toujours là et ça, c’est à nous, et uniquement à nous, d’y veiller. Mais le doute est bien là, me direz-vous. C’est vrai, il est en nous, parfois, de temps à autre, ou même souvent. Cela dépend de tant de facteurs. Ce doute peut nous faire peur, faire ébranler un édifice de certitude et pourtant, il est intégralement lié à notre désir de croire. C’est en cela que l’histoire de l’évangile est merveilleuse. L’histoire de Thomas devient ainsi un peu notre histoire. Il n’est pas le jumeau d’un quelconque frère de sang comme nous pourrions l’imaginer, non il est notre jumeau dans la foi, notre jumeau dans l’incrédulité, dans le doute. Thomas, il est un peu une partie de nous. Il est celui qui doute. Mais heureusement pour lui, heureusement pour nous, lorsqu’il se met à douter, il ne se coupe pas de sa communauté. Il ne jette pas l’éponge, retournant à sa vie d’avant comme s’il n’y avait rien eu. Non, Thomas, tout en doutant, reste auprès des autres apôtres. Il sait que la foi ne se nourrit que dans un partage, en communauté. Sans cette dernière, il ne pourrait pas tenir. L’incertitude se transforme en certitude au contact de nos pairs, de celles et ceux qui nous entourent et partagent nos convictions. Grâce à cela, il se laisse approcher par le Ressuscité et dépasse son incrédulité. De son doute va naître son cri, déchirure au cœur de lui-même, lorsqu’il dit au Christ : « Mon Sei-


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gneur et mon Dieu. » Jésus est reconnu Dieu par l’un des siens. Il aura fallu qu’il passe par le mystère de la croix pour être reconnu comme tel. Que de nos doutes à nous naissent également pareil cri. Alors, c’est vrai, il n’est pas facile de croire tous les jours, mais quand revient en nous cette conviction, cette certitude, cette espérance, la vie reprend ses couleurs vives de Pâques.

Footballeur de foi 14e dimanche (Lc 10, 1-12.17-20)

Celles et ceux qui me connaissent savent bien que je ne suis pas un adepte du football, loin s’en faut, et pourtant ce soir (matin), sans faire de la récupération médiatique, je crois qu’il y a, d’une certaine manière, un lien entre ce sport et notre foi. Ils sont d’abord douze disciples et maintenant septante-deux à partir deux par deux. Partir. Voilà qu’un mouvement s’installe au cœur de notre évangile, au cœur de notre foi. Il faut bouger, annoncer, partager ce qui nous fait vivre. L’Église que nous formons ne peut s’enfermer sur elle-même. Nous sommes parfois en tension entre un désir de vivre en cocon avec celles et ceux qui partagent nos convictions et une ouverture à celles et ceux qui n’en sont pas encore là. Il peut arriver que cet « entre nous », ce bien-être ensemble prenne le dessus. L’élan de l’annonce de notre foi en est fortement diminué. Nous avons à vivre cela comme une faiblesse, une blessure que nous nous faisons à nous-mêmes. En effet, si nous nous enfermons dans une spirale d’absence d’annonce, nous ne penserons plus qu’à tous ceux et celles qui ont abandonné la foi et nous nous mettrons à gémir. Cette attitude est hélas trop facile et peut être même un peu lâche. Comme Jésus nous le rappelle, nous devons


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nous lever et nous engager dans cette dynamique de la transmission de la foi en ce Dieu, Père de tendresse et de miséricorde. C’est la dynamique qui fait vivre, qui fait naître de nouvelles choses. La vie va à la vie, comme le dit si bien André Sève ; la vie n’appartient pas aux pleureuses, à ceux qui se confortent dans leurs lamentations. Ça nous donne bonne conscience et surtout, cela ne nous oblige pas à nous remettre en question. Mais voilà, vivre de la sorte, c’est passer à côté de l’évangile du Christ. La mission des soixante-douze disciples est là pour nous rappeler que, contrairement à ce que l’on demande aux spectateurs d’un match de foot, nous, nous n’avons pas à nous installer dans les gradins, à y rester le plus calme possible pour ne pas troubler le bon ordre de la représentation. La mission à laquelle nous sommes conviés est tout le contraire. Quittons les gradins du stade et descendons sur la pelouse. C’est à nous, et seulement à nous, chacune et chacun selon ses dons, de jouer. Osons regarder en face notre dynamisme dans l’exercice de la contamination de la foi. Celle-ci est bonne et fait vivre, elle donne un sens à nos existences. La discrétion ne peut dès lors être de rigueur. Cela ne signifie évidemment pas d’entrer dans une démarche triomphaliste, mais simplement d’oser vivre une rencontre de partage sur l’essentiel de ce qui nous anime. Toutefois, n’oublions jamais que même si nos lieux de célébration sont bien fréquentés durant l’année, ils sont et restent, malgré tout, des îlots dans un océan où Jésus est aujourd’hui encore fort absent. Notre prière nourrie par la méditation de cet évangile ne doit pas nous conduire à simplement prier pour les vocations, comme s’il ne s’agissait que d’augmenter le nombre de celles et ceux qui assureront certaines tâches spécifiques au sein de nos communautés. Même si cette prière à toute sa valeur, elle risque d’être tranquillisante et démobilisatrice. Elle nous donne, elle aussi, bonne


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conscience. À toi, Esprit de Dieu de faire le reste. Prier le Père pour susciter des ouvriers n’a de sens, me semble-t-il, que si cette prière fait vibrer la communauté tout entière. C’est-à-dire lorsque celleci se sent pleinement responsable de son destin. Une communauté qui fuit ses responsabilités fait mourir les vocations. Par contre, une communauté qui s’engage plus en avant les fait naître. Aujourd’hui encore, la moisson reste abondante, alors, Père, nous te prions : envoie des ouvriers, non pas pour nous permettre d’entrer dans une phase d’oisiveté, mais pour engendrer de nouvelles manières de nous engager au service de la foi et de prendre pleinement conscience de ta présence en notre monde.

Le bonheur de croire Assomption de la Vierge Marie (Lc 1, 39-56)

Et si c’était vrai ? Il y a tellement de choses à croire : il est né d’une femme sans père, dans une crèche, il est Ressuscité, il est présent dans le pain et le vin transformé en son corps et son sang, il nous assure le pardon de nos fautes, il annonce le triomphe de la vie sur la souffrance et sur la mort. Ne craignez pas que je vive une crise existentielle en me posant toutes ces questions. Parfois, il faut avoir le courage de se les poser ou les reposer. Et si tout cela était vrai ? Je le crois, mais notre foi sera plus facile et solide si au départ nous nous enracinons dans le plus difficile : croire que Dieu s’est fait homme, qu’il a croisé nos chemins. Première étape de la foi, et là nous sommes aidés non par des savants, des hommes puissants, j’en passe et des meilleures, mais par une femme : Marie. C’est elle qui a dit « oui » à l’Ange ; ce oui qui va transformer l’humanité. « Que tout se passe pour moi selon ces paroles ». Sans


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peut-être vraiment comprendre ce qui lui arrive, elle croit et fait confiance. À la fin de l’Annonciation, l’ange lui dit : « Élisabeth, ta parente, est enceinte d’un fils, dans sa vieillesse, elle qu’on appelait la stérile. » Cela aussi Marie le croit. Tout est inouï ; à la limite de l’impossible et elle croit. Simplement, sans se poser de questions. Une joie l’a envahie, la pousse, la joie de croire, la joie de donner vie au Messie, la joie d’entrer dans des temps nouveaux et d’y participer activement. Joie que l’on retrouve dans la visite à la fameuse cousine : ce texte rayonne de la joie de croire : « Comment ai-je ce bonheur, tressailli d’allégresse, heureuse celle qui a cru » (cf. Lc 1, 43-45). Nous revivons ici la joie très spéciale de la foi et, bienheureux sommes-nous, car l’évangéliste Luc nous en donne la source : l’Esprit. L’Esprit est venu sur Marie, il remplit Elisabeth et à la Pentecôte, il remplira les apôtres. Il est entré en nous par le baptême. Et il nous remplit chaque jour quand nous croyons et nous proclamons que Jésus est Seigneur, c’est-àdire le Messie, le Sauveur, mais le Messie comme aucun juif n’aurait pu l’imaginer : Dieu nous donnant son Fils. Notre foi et notre joie dépendent de la force avec laquelle nous croyons cela. Hélas ! nous nous enlisons dans des choses secondaires, dans des détails alors que nous sommes appelés à vivre la joie de croire et de répandre l’essentiel, une folie de la Vie : l’Enfant qui va naître de Marie est le Fils de Dieu. Dieu venant lui-même nous visiter. Et pour qu’il accoste dans notre monde, il fallait Marie. Elle présenta au monde la Vie. C’est cela qui a fait tressaillir d’allégresse l’enfant d’Élisabeth. Et c’est cela aussi qui doit nous faire tressaillir de joie : elle nous présente la Vie, devenue pour nous la vie d’un homme. Marie symbolise si bien la joie de la foi. Le bonheur de croire. Grâce à cela, la vie est belle. Malgré les contraintes, les coups de gueule, les injustices que l’on subit parfois, dans l’ensemble, si nous sommes en-


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vahis par la foi, celle-ci ne peut être que joie. Joie que nous avons le devoir de partager, de propager. Comment peut-on croire à une histoire si merveilleuse sans oser la chanter au monde entier. Si croire en Dieu nous rend heureux, nous n’avons pas le droit de garder un tel bonheur au plus profond de nous-mêmes. Nous devons devenir des témoins de cette joie, oser rencontrer pour dire cette vérité. En nous écoutant, ou peut-être simplement en nous regardant, quelqu’un tressaillira.

Le chemin de la foi 23e dimanche (Lc 14, 25-33)

Quand j’étais adolescent, au grand dam de mes parents il est vrai, j’avais une admiration sans borne pour un chanteur français. J’écoutais toutes ses chansons et ma grand-mère, comme toute bonne grand-mère, c’est-à-dire complice de ses petits-enfants, m’envoyait les articles qu’elle trouvait sur ce chanteur. Pour rien au monde je n’aurais raté une de ses émissions de télévision même si nous n’avions que le noir et blanc à cette époque-là. Je vous disais au grand dam de mes parents parce que le chanteur était tout simplement Claude François. Pour eux, il n’était pas une référence culturelle et spirituelle absolument nécessaire à mon épanouissement personnel. Ce fanatisme m’est passé, je vous rassure, même si aujourd’hui, lorsque j’entends une de ces chansons, les paroles me reviennent à l’esprit. Je ne suis pas sûr que Claude François, de son vivant, ait jamais imaginé qu’un jour il servirait d’exemple pour aider à la compréhension d’un évangile. Pourtant, c’est à cet exercice que je souhaite me livrer. Claude François pour moi, je ne sais qui pour d’autres. À une époque de nos vies, nous avons eu ou nous


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avons encore des modèles médiatiques que nous admirons. Ils appartiennent parfois au domaine de la chanson, parfois à celui des sports, de la culture ou encore de la politique. Et notre société continue de favoriser cela en proposant des programmes où l’aventure est extrême, à la limite d’une certaine éthique. Nous nous passionnons et nous oublions que ces prouesses spectaculaires supposent souvent des années d’abnégation, d’efforts inconditionnels ainsi qu’une minutieuse préparation physique, psychologique et technique. Il leur a fallu tant de temps à tous ces gens et nous ne pouvons pas nous contenter d’un simple éblouissement. S’il en va ainsi pour nos idoles médiatiques, à plus forte raison, fait constater Jésus, il en va de la sorte dans le champ de la foi. La foi que nous sommes invités à vivre, le chemin sur lequel nous marchons ne se décide pas sur un coup de tête. La foi nous a un jour été transmise. Enfant, elle a grandi en nous puis sont venus des temps de doute, de révolte, de discernement. Et puis un jour, nous nous sommes assis, nous nous sommes arrêtés pour contempler un mystère qui peut donner sens à nos existences. La route de la foi n’est pas un cul-de-sac, mais une longue route, celle de la vie. Elle demande un effort d’intelligence, d’évaluation de ce que nous sommes, de ce que nous ressentons. Elle se dévoile à l’écoute de nos intuitions, pétris de nos relations. Un peu comme le roi, un peu comme le constructeur de la tour de l’évangile : nous réfléchissons, nous méditons. La foi en Dieu se découvre au cœur de notre propre mystère, dans ce lieu insondable de nos êtres. Elle s’y révèle dans un silence intérieur. Ce silence-là se trouve en nous. Il est au plus profond de notre intime. Oui, c’est à cet endroit précis que la foi éclôt en chacune et chacun de soi. Mais pour se faire, nous devons nous arrêter, nous asseoir face à nous-même pour mieux découvrir et aimer Celui qui


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a choisi de demeurer à jamais en nous. Ce n’est pas un simple exercice intellectuel, mais plutôt la quête d’une émotion qui nous fait saisir que jamais nous ne serons seuls. Dieu s’inscrit au cœur de l’amour que nous vivons, que nous donnons, mais aussi que nous recevons. La foi est un chemin, une longue et belle route, mais à condition d’y marcher dessus. En prenant le départ, en reprenant le départ après chacun de nos arrêts, nous acceptons que nous ne connaissions ni la durée, ni le tracé exact du parcours. La vie nous montre simplement que nous traverserons des obstacles, mais aussi des surprises merveilleuses. Nous affronterons des moments de doute et de découragement. Nous trébucherons. Puis viendra le temps de l’émerveillement, de la joie d’avoir accompli sa vie. Pour cette performance accomplie, il n’y aura pas de récompense, pas de caméra. Non, au bout de la route, il y a une lumière et derrière celle-ci la promesse et l’espérance d’une rencontre avec Celui qui nous aura toujours accompagnés, qui aura été à nos côtés, Jésus Christ ressuscité. Derrière la lumière, dans la foi, Dieu donnera tout son sens au chemin parcouru.


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L’injustice de la souffrance 10e dimanche (Lc 7, 11-17)

« J’ai dix-neuf ans, je suis majeur, je fais donc ce que j’ai envie. Je n’ai plus besoin de votre accord si je décide de sortir. La loi me permet d’être enfin libre », dit-il à ses parents. À eux alors de rétorquer : « C’est vrai, tu as dix-neuf ans, tu es majeur, mais tant que tu vis chez nous, tu acceptes les règles de vie familiale qui régissent notre vie. » Sans se décontenancer, il poursuit alors : « Toujours vos règles que vous m’imposez. Ah ! au fait, cette semaine, j’aurais besoin d’un peu plus d’argent de poche pour mes loisirs. Vous pourriez me le virer sur mon compte, s’il vous plaît ? Merci ! — Tiens, puisque la loi te permet d’être libre, elle t’autorise également à travailler pour gagner ton argent de poche », répliqua le père. L’autre se lève alors, la porte claque. Voilà sans doute un scénario qui a un goût de déjà-vu pour certains d’entre nous. Il est vrai qu’il n’est pas évident de vouloir le beurre et l’argent du beurre. Honnêtement, sommes-nous si différents de ce jeune de dixneuf ans dans notre relation à Dieu ? Ne voulons-nous pas tout à la fois, c’est-à-dire une liberté totale à son égard et en même temps sa toute-puissance pour contrer le cours des événements, naturels ou non, lorsque ces derniers nous frappent de manière injuste à nos yeux, à l’instar de la mort de ce jeune dans l’évangile ? Liberté humaine et toute-puissance divine semblent être aujourd’hui deux concepts antagonistes, voire contradictoires.


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Sauf si nous acceptons que la toute-puissance de Dieu ne lui permette plus d’interférer dans les réalités ici-bas, mais qu’elle est plutôt symbole d’une toute puissance d’amour qui se traduit dans les gestes et les regards que nous posons sur cette terre. Nous n’avons rien inventé puisque le prophète Habacuc gémissait déjà à son époque : « Combien de temps, Seigneur, vaisje t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère ? » (Ha 1, 2-3). Ces mots, nous pourrions les faire nôtres aujourd’hui encore. Un Dieu bien silencieux face aux souffrances de notre monde. Tant d’injustices à combattre. Il est vrai qu’il est heureux que toutes ces souffrances soient injustes et que nous en prenions conscience. En effet, une souffrance juste serait tellement plus injuste qu’une souffrance injuste. Si la souffrance est juste, elle est méritée, elle est la conséquence de nos attitudes et nous développerions à l’égard des personnes souffrantes une attitude de dédain avec des mots du style : « Puisque c’est juste, c’est ton problème, débrouille-toi. N’espère pas que je t’aide et je vais d’ailleurs militer pour qu’il n’y ait plus aucune aide sociale et médicale subsidiées. Je n’ai pas à payer pour les erreurs des autres qui subissent une juste souffrance. » La souffrance juste conduit à l’injustice d’où il est bon de se rappeler que c’est l’injustice de celle-ci qui nous permet de nous rendre vulnérables à la souffrance de l’autre. Parce que c’est injuste, chacune et chacun, nous développons des sentiments de compassion, d’empathie, voire d’amour. C’est de cette manière que Jésus fut également touché. L’injustice du mal et de la souffrance nous touche profondément et nous convie à ne pas rester de simples spectateurs. En tant qu’être humain, Dieu attend de nous que nous soyons acteurs de la créa-


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tion qu’il nous a confiée. Comment faire ? En ayant foi en nous, ou pour être encore plus précis, en ayant foi en Dieu l’Esprit qui inhabite au plus profond de chaque être. Une foi à transporter les montagnes. Pas l’Everest, le Kilimanjaro ou encore le signal de Botrange pour les Belges. Non, la montagne de l’évangile est une montagne toute spéciale. Elle ne se gravit pas. Elle envahit nos émotions et nos sentiments. Elle nous permet de nous lever et de partir à la rencontre de celles et ceux qui sont en souffrance. Face à ces dernières, nous pouvons nous lamenter et crier : « Mais où est Dieu dans tout cela ? Si au moins il était là ». Et lui de nous répondre de la même manière : « Mais où est l’être humain dans tout cela ? Si au moins il y avait un être humain. » Ayant reçu la liberté de Dieu, nous devons humblement reconnaître que c’est à nous maintenant d’agir avec la toute-puissance divine d’amour qui nous a été donnée. Nous pouvons ensemble combattre les maux et accompagner dans la tendresse les souffrances injustes. Mais pour ce faire, il y a lieu d’avoir d’abord cette foi en nous. Une foi aussi grande que toutes les montagnes de la terre, car nous vivons avec cette intime conviction que tout devient possible puisque nos paroles et nos gestes sont guidés par l’Esprit de Dieu. Comme nous ne sommes pas Dieu, nous ne renversons sans doute pas le cours des événements, mais, par nos attitudes positives, nous permettrons à d’autres de mieux les traverser. Alors, acteur ou spectateur ? libre ou esclave ? responsable ou lâche ? Ce qui est certain, c’est que nous n’aurons jamais en même temps le beurre et l’argent du beurre.


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Nos violences intérieures 5e dimanche de Carême (Jn 8, 1-11)

Il y a quelques années, au cours d’une prédication, le prieur du couvent dominicain d’Oxford disait ceci aux fidèles : « Si vous aimez l’argent, le sexe et la violence, lisez la Bible. » Il faut dire que l’épisode de la femme adultère ne fera que confirmer de tels propos. Mais je voudrais plutôt méditer avec vous sur tout ce climat de violence que nous retrouvons dans ce passage. Violence qui existe également en nous et dont nous sommes invités à nous déposséder pour retrouver, par le pardon de Dieu, une certaine sérénité au plus profond de nos êtres. C’est pourquoi il est intéressant de découvrir deux récits de lapidation : celui de la femme adultère et celui de la lapidation d’un mendiant, décrit dans la vie d’Apollonius de Tyane, célèbre gourou du IIe siècle après Jésus Christ. Dans ce dernier récit, les Éphésiens sont d’humeur pacifique et défavorables à toute lapidation. Aucun Éphésien ne semble décidé à lancer une pierre. Ces braves gens « ne peuvent pas se résoudre, froidement, à massacrer un de leurs semblables, si misérable, si dégoûtant et insignifiant soit-il », écrit René Girard dans son livre intitulé Je vois Satan tomber comme l’éclair (Paris, Grasset, 1999, p. 92). — Par contre, la foule qui amène la femme adultère à Jésus est d’humeur combative ; elle ne lapidera pourtant pas. — Dès lors « pour arriver à ses fins, Apollonius doit distraire les Éphésiens de l’action qu’il leur demande de commettre en les aidant à oublier la réalité physique de la lapidation » (ibid., p. 93). Comment ? Tout simplement en accusant ce pauvre mendiant d’être un ennemi des dieux. En effet, « pour rendre la violence possible il faut démoniser celui dont on veut faire une victime » (ibid., p. 93). Le gourou d’Éphèse réussit puisque les habi-


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tants se mettent à lapider cet homme. Et voilà qu’une foule au départ bien calme se met à détruire un des leurs. Le récit évangélique est tout le contraire, la foule est excitée et pleine de violence. Pour ne pas exciter une telle violence qui pourrait dégénérer, Jésus se baisse et se met à écrire avec son doigt sur le sol. Ce n’est pas parce qu’il veut écrire quelque chose que Jésus se penche, je crois. Non, je pense plutôt que c’est parce qu’il se penche qu’il se met à écrire dans la poussière. Il s’est penché pour tout simplement éviter le regard de cette foule aux yeux injectés de sang. En effet, si Jésus avait posé son regard sur eux, ceux-ci n’auraient vu que leurs yeux de haine à eux, ils n’auraient plus vu son regard à lui tel qu’il était réellement. Ils auraient transformé le regard du Christ en un miroir de leur propre colère. C’est leur provocation, leur défi qu’ils liraient dans le regard de Jésus, si paisible soit-il en réalité. Ils se sentiraient provoqués en retour. L’affrontement ne pourrait plus être évité et il entraînerait probablement ce que Jésus s’efforce à tout prix d’éviter : la lapidation de la femme. Jésus évite donc jusqu’à l’ombre d’une provocation. Agissant de la sorte, il peut alors leur dire : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre. » Jeter la première pierre est devenu une expression populaire que tout le monde répète puisque même les étudiants en guindaille la paraphrasent : « Que celui qui n’a jamais péché me jette la première bière. » Mais revenons à cette première pierre. Celleci n’est pas une pierre parmi d’autres, elle est décisive parce qu’elle est la plus difficile à jeter. En effet, la première pierre est la seule à ne pas avoir de modèle. En attirant l’attention sur cette fameuse première pierre, Jésus en fait un véritable obstacle à la lapidation. « Plus ceux qui songent à jeter la première pierre se rendent compte de la responsabilité qu’ils assumeraient en la jetant, plus il y a des chances que cette fameuse première pierre


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leur tombe des mains » (ibid., p. 93). Cette responsabilisation empêche tout être humain d’entrer dans l’escalade, dans le cercle vicieux de la violence. Cette première pierre nous invite à réfléchir à ce que nous faisons, à en assumer les conséquences, à regarder tout simplement devant sa propre porte. Ce que Jésus nous fait découvrir dans ce récit de la femme adultère c’est qu’il suffit parfois de peu pour calmer et faire taire la violence : s’abaisser et parler d’une première pierre. Nous sommes alors nous aussi conviés à nous abaisser un instant sur nos violences intérieures pour les poser symboliquement dans un petit caillou. Ne nous lapidons pas, mais recevons comme un cadeau du Ciel cette conclusion : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais, ne pèche plus » (Jn 8, 11).

Les lézardes intérieures 20e dimanche (Lc 12, 49-53)

« Ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère » (Lc 12, 53). Quelle belle constatation anthropologique dans le chef de Jésus, comme s’il avait compris les rapports familiaux ! Triste constat, me direz-vous. Pourtant, n’est-il pas vrai que bien souvent les divisions existant au sein de familles sont dues à la nonacceptation de nos fragilités respectives. Ce qui est d’ailleurs frappant dans tout l’évangile, c’est que le Christ ne se fait pas reconnaître à ses dons surnaturels, à des compétences qui écraseraient les nôtres, comme s’il était devenu par son Incarnation quelqu’un de tout à fait inégalable. Non, Jésus le Christ a choisi de se faire reconnaître non dans sa force


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et sa puissance, mais bien dans sa fragilité la plus grande. À son époque, il n’y avait pas de plus grande insulte que celle de mourir crucifié sur le bois de la croix. Or, tout particulièrement après sa Résurrection, Jésus décide de se présenter à ceux avec lesquels il a cheminé durant trois années par ce qui rappelle cette croix. Il leur montre ses mains et ses pieds. La première rencontre entre le Christ et ses disciples se vit au travers de ses blessures, de ces lieux où il a vécu la souffrance physique, l’humiliation, le rejet, voire même l’abandon. Ce sont ces lieux-là qui pourront devenir sources de division. Alors, en quoi les blessures peuvent-elles être envisagées comme positives, sommes-nous en droit de demander. Je vous invite du coup à vous laissez bercer par les mots de Jacques Salomé dans Apprivoiser le bonheur (p. 50). Il fait un superbe lien entre blessures de vie et lézardes dans un mur. En effet, écrit cet auteur, « dans tous les murs, il y a une lézarde, et dans toute lézarde, très vite, il y a un peu de terre, dans cette terre, la promesse d’un germe, et dans ce germe fragile, il y a l’espoir d’une fleur et dans cette fleur, la certitude ensoleillée d’un pétale de liberté. Oui, la liberté est un germe même dans les murs les plus hostiles. La liberté peut naître d’une fissure, d’une rupture, d’un abandon. Elle peut naître aussi d’une ouverture, d’un mouvement, ou d’un élan de tendresse. La liberté a de multiples visages, elle est parfois caresse d’un regard qui a croisé le mien, le rire d’une parole qui a transformé la mienne pour en faire un chemin. Les murs les plus cachés sont souvent au-dedans et dans ces murs aussi, il y a des lézardes… Laissons pousser les fleurs ! Elles sont les germes de notre vie à venir. » Tout comme les blessures du Christ, signes d’une fragilité, d’une vulnérabilité. De ses blessures peut naître n’importe quelle vie. Par sa résurrection s’ouvre l’espérance de la victoire de la mort qui se trans-


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forme en ouverture vers la vie éternelle. Cette dernière ne peut se prouver, elle est tout simplement question de foi en un avenir ou mieux encore en notre propre devenir. De la sorte Jésus, vivant à jamais, nous rappelle tout simplement que nous ne devons plus avoir peur de nos faiblesses, elles sont le lieu même où se plante la croix de Dieu. Jésus Christ s’est fait reconnaître à ses blessures, car il savait ô combien la véritable rencontre se vit à partir d’elles. Il nous invite à reconnaître que finalement ce que nous apprécions, aimons sans doute le plus en l’autre, ce sont ces qualités de vulnérabilité, de sensibilité. Ne peut-on pas accepter que les forces font partie de l’ordre de l’admiration tandis que toute forme de fragilité est avant tout lieu d’amour et de rencontre ? Deux êtres qui ne montrent que leurs forces risquent de passer tout à fait à côté de leurs relations, pire encore de leur vie, comme s’ils glissaient l’un vis-à-vis de l’autre à l’image de deux feuilles de papier. Or, ce n’est que lorsqu’elles sont froissées qu’elles peuvent former une nouvelle unité. Et s’il en allait de même de notre humanité ? La véritable rencontre ne peut se vivre que par la rencontre de deux histoires blessées, froissées. Dieu a alors tout simplement trébuché sur le bois de la Croix pour qu’au cœur de sa vulnérabilité il puisse véritablement, par ses propres blessures, rencontrer son humanité. Alors, s’il en est vraiment ainsi, ne craignons plus nos propres lézardes, nos divisions intérieures. Elles ne sont pas là pour nous anéantir mais pour prendre conscience que le chemin de Dieu, lorsqu’il est pris au sérieux, ne laisse pas indifférent et permet une véritable rencontre, à condition de les enraciner dans nos vulnérabilités.


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La solitude est la lèpre de notre société 28e dimanche (Lc 18, 1-8)

Je ne sais pas si certains d’entre vous connaissent Jessica Franklin. Jessica est une jeune fille de dix-neuf ans qui adore chatter sur Internet. Peut-être qu’un jour vous la rencontrerez virtuellement. Je dis bien virtuellement, car il paraîtrait que Jessica serait en fait un garçon un peu plus âgé qui se fait passer pour elle. Pourquoi ? Tout simplement pour une question d’anonymat. Tel est le jeu de la nouvelle communication : pouvoir, si l’envie nous prend, nous faire passer pour quelqu’un d’autre et parler sans doute avec des personnes qui se cachent également. Certains penseurs avaient prétendu, il y a quelques années, que grâce à Internet, tout être humain deviendrait citoyen d’un village global. Notre planète ne serait plus qu’un hameau où nous pouvons nous rencontrer facilement. Ce média rapproche les gens, c’est vrai, mais si nous n’y prenons pas garde, nous risquons de nous couper les uns des autres. En effet, je peux dorénavant passer ma vie devant mon écran. Mais l’écran entre deux êtres humains n’est-il pas un moyen de masquer sa peur d’être face à face ? Ne risquons-nous pas de perdre beaucoup de temps à communiquer avec des gens qui vivent un peu partout dans le monde tout en passant à côté de ceux qui partagent la même maison ? N’y a-t-il pas un certain risque d’atomisation pour des gens plus fragiles, plus en mal de communication directe ? L’être humain, être de relations par excellence, s’épanouit dans la socialisation, c’est-à-dire dans la rencontre de l’autre. L’atomisation serait alors ce risque d’aller contre notre nature et de nous enfermer en nous-mêmes, face à une immense solitude. Un peu comme si la solitude était une des lèpres de notre société. Tellement de gens en souffrent. Les lépreux de l’évangile


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nous le rappellent. Ils sont laids, mal dans leur peau, mal dans leur cœur. La société les a mis à l’écart. Ils sont isolés. Nous avons trop peur de la contagion. Ils étaient les exclus d’hier dans notre région du monde. Chaque génération produit ces propres lépreux. Il y a une quinzaine d’années, lorsque nous ne comprenions pas encore le sida, beaucoup de gens craignaient d’approcher les personnes atteintes de ce mal, tout simplement par crainte de l’attraper. Et aujourd’hui, dans une société prônant l’individualisme à outrance, nous sommes confrontés à la réalité de la solitude. Lorsque la maladie ou le deuil nous frappe, nous en faisons l’expérience. Certains nous accompagnent dans cette traversée alors que tant d’autres s’éloignent de nous par peur : peur de ne pas savoir quoi dire alors qu’il suffit simplement d’être là et d’écouter même un silence, peur aussi d’être confronté à sa propre souffrance ou sa propre mort. Une peur qui paralyse la relation au point d’enfermer la personne souffrante dans la solitude. Mais cette peur peut également exister chez cette dernière qui ne souhaite pas partager ses maux, qui se sent incapable de mettre des mots sur ce qui la tourmente. Cette fois, c’est nous qui coupons la relation. Nous n’avons plus la force de nous raconter. Or, toute vie est une histoire et l’histoire ne peut exister que si elle se dit. Espérons alors avoir autour de nous des personnes suffisamment patientes et aimantes qui acceptent ce temps de désert forcé par les événements de l’existence, ce temps de rupture et qui continuent malgré tout à venir frapper à la porte de notre cœur. Un cœur qui doit également réapprendre à s’abandonner dans la confiance. Et l’évangile, une fois encore, nous propose un chemin possible. Dans la course folle de la vie, enfermés dans notre solitude paralysante, ayons le courage de revenir sur nos pas et d’aller à


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la rencontre de Dieu qui se révèle à nous dans l’autre de l’homme, c’est-à-dire dans celle ou celui qui se fait proche de moi. Dieu se révèle à nous de la sorte, mais également au cœur de nous-mêmes, là où il a choisi de résider à jamais. En effet, c’est dans l’intimité de la prière, dans l’intimité de cette rencontre avec Dieu que nous pouvons vider notre sac, lui partager nos souffrances et nos incompréhensions. Ayant agi de la sorte, nous nous sentons à nouveau plus légers, prêts à nous relever, car nous vivons avec cette conviction que son Esprit nous accompagne pour entendre le Christ nous dire : « Relève-toi et va, ta foi t’a sauvé » (Lc 17, 19).


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Chaque être est unique 3e dimanche (Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21)

D’abord, il faut un peu de temps devant soi, mais juste une bonne heure. Vous le sortez de votre frigo quinze minutes avant de commencer. Lorsqu’il s’est légèrement amolli, vous le dénervez. Il vous faudra trois bons quarts d’heures. Vous étalez l’ensemble comme si c’était une ciabatta. Vous le salez, le poivrez de poivre noir, vous l’aspergez avec modération de Pineau des Charente. Vous retournez l’ensemble et vous refaites le même assaisonnement. Prenez ensuite trois morceaux de papier aluminium que vous superposez de dix en dix centimètres, vous y déposez le foie d’oie préparé et le roulez comme un boudin. Ensuite, vous prenez les extrémités du papier alu et vous le tourner comme si c’était un carambar afin de bien tasser la préparation. Il vous suffit alors de le cuire pendant douze minutes à cinquante-deux degrés soit dans un four à vapeur, ou dans de l’eau à cette température constante. Et vous aurez pour vos fêtes un délicieux foie gras que vous pouvez servir avec, par exemple, du spéculoos émietté (recette proposée par Jean-Philippe Vanderschueren, chef au « Petit Marais » à Wierde, en Belgique). Mais revenons un instant à la recette : l’assaisonnement est très important. À vous de le saler selon vos désirs. Il suffit parfois de quelques grains de sel pour changer le goût des aliments. Ces grains se fondent dans toutes nos préparations. Nous ne les voyons plus et pourtant ils jouent un rôle essentiel


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pour le plaisir du palais. Et il en va des aliments comme il en va de la vie. Toutes et tous nous avons à apporter notre propre petit grain de sel à la construction du monde. Il y a plusieurs variétés de sel, comme il y a une variété d’êtres humains. Aucun ne sera jamais complètement le clone de l’autre. Ce qui fait notre humanité, c’est entre autres notre unicité. Chacun de nous est un être unique et c’est précisément cette unicité qui permet toute la richesse de nos rencontres. Comme le monde serait ennuyeux s’il en était autrement. Imaginez-vous un instant des millions de Philippe Cochinaux sur terre. La vie serait absolument insupportable. Un, c’est déjà suffisant ! Et cet exemple vaut pour chacune et chacun de nous. Nous avons donc à apporter notre petit grain de sel à la vie. Son goût se découvre à partir des dons que nous avons reçus et qui nous singularisent. Toutes et tous nous en avons au moins un. Et il est vrai que cela prend parfois du temps de les découvrir, car trop souvent nous perdons notre temps à jalouser et à tenter d’acquérir ceux des autres. Non, repartons plutôt de qui nous sommes, les dons sont en nous. Prenons le recul nécessaire pour les voir, les apprécier. Il y a en tout être humain, quel qu’il soit, quoiqu’il ait pu faire, un don, quelque chose de positif et de grand. Certains dons reçus sont parfois plus visibles. Il est clair que le gai luron se verra plus vite que la personne discrète. Et pourtant, toutes deux ont leur place et participent à leur manière à l’harmonie de la vie. Puissions-nous nous les faire découvrir les uns aux autres, car ils nous permettront de voir la vie autrement, de manière plus positive, plus heureuse. Ces dons qui sont en nous n’ont pas comme objectif de sommeiller. Ils sont des moyens offerts en vue de la réalisation d’une tâche. La tâche de notre vie. Le Christ est venu, nous dit l’évangile, pour « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux


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prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimer la libération annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Lc 4, 18-19). Mais ça, c’était sa tâche à lui. Pas la nôtre. Notre tâche est différente et cependant, chacune et chacun de nous en avons une à réaliser. Elle pourrait se définir de la sorte : l’accomplissement du bonheur en Dieu. Telle serait notre vocation humaine. Aucune recette ne nous est proposée. À nous de chercher, d’errer parfois puis de découvrir la voie qui nous permettra de la vivre. La réalisation de notre bonheur dépend de notre responsabilité. Et il passe par la découverte des dons qui nous façonnent. Il est donc essentiel, non seulement de les connaître, mais également de les accepter et de s’en réjouir, car ce n’est que lorsque je prends conscience de tout ce que j’ai reçu et qui fait mon unicité que je peux alors commencer à me réjouir des dons des autres. Non pas pour les jalouser ou les aduler, mais tout simplement parce que je découvre que la somme de nos unicités participe à l’harmonie de la vie, à l’accomplissement du monde. Et une telle prise de conscience, n’est-ce pas un premier pas sur le chemin du bonheur qui conduit à Dieu puisque toutes et tous nous sommes membres du Christ ?

Humains à la mode de Dieu 6e dimanche de Pâques (Jn 14, 23-29)

Certaines personnes se posent encore la question de savoir quel est le maillon manquant entre le singe et l’être humain. La réponse de l’éthologiste autrichien Konrad Lorenz me plaît beaucoup. Il affirme que le chaînon manquant, c’est vous, c’est moi. En effet, nous ne sommes pas encore des êtres pleinement


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réalisés, accomplis, voire humanisés. Nous n’avons pas encore atteint notre statut d’humain. Nous sommes toujours sur cette voie d’humanisation, de divinisation. Je crois que nous pouvons même affirmer que cette réponse vaut également pour la question suivante : Mais où est Dieu en notre monde ? Dieu, il est en vous, en moi. Tout maillon manquant que nous soyons, cela n’empêche absolument pas Dieu de venir inhabiter en chacun de nous. Le Christ ne dit-il pas : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui » (Jn 14, 23) ? Dieu le Père et Dieu le Fils vivent en nous. Comment en être certain ? N’est-ce pas une belle promesse, mais qui ne peut se vérifier ? Je ne le pense pas. Dieu inhabite en ses créatures si nous sommes fidèles à sa parole. Une parole qui s’est offerte à nous dans le commandement de l’amour. Père et Fils demeurent auprès de nous par l’Esprit qui nous a été donné. Il est notre défenseur. Depuis le retour du Fils auprès du Père, nous sommes entrés dans ce fameux temps de l’Esprit Saint. Un Esprit qui se fait connaître à nous en nous inspirant. Et c’est cette inspiration précise qui nous permet d’agir d’une certaine manière en notre monde. Il y va donc de la responsabilité de chaque être humain de permettre à Dieu d’agir dans le monde puisque ce dernier a besoin impérativement de ses créatures. C’est par elles qu’il agit. Nous sommes les mains de Dieu, les acteurs de Dieu sur cette terre. Son Esprit nous inspire. Certains diront que nos actes sont purement humains. Et c’est peut-être vrai. C’est la manière dont nous lisons notre vie qui nous permet de l’écrire avec l’encre divine. Inspirés par l’Esprit, nous sommes théographes de nos existences. Et cela se vit en toute liberté. En effet, Dieu nous laisse libres de choisir de répondre à ses diverses inspirations. Ces der-


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nières ne sont pas des coups d’éclat, de bonnes actions quotidiennes bien charitables. La solidarité avec ses frères et sœurs en humanité n’est pas l’apanage de quelques professionnels médiatisés de la charité. Non ! Être inspirés par l’Esprit et donner une signification divine à nos actes humains est une manière de vivre, une philosophie de vie à la suite du Christ. Poser dans la vie de tous les jours des petits gestes de tendresse, des actes banals d’amour, des attentions gratuites avec tous ceux et celles qui nous entourent et partagent nos différents lieux d’existence. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait du mal, de la souffrance pour que le bien puisse exister. Le bien peut se vivre quotidiennement, il en va, et je me permets de le souligner une fois encore, de notre responsabilité. Et ce qui est surprenant, c’est que l’inspiration de l’Esprit ne se découvre que dans ma propre réponse, c’est-à-dire dans tous les actes que je pose. Par l’Esprit, j’entre dans un nouvel état d’esprit : je choisis de m’humaniser, de me diviniser. Non, n’ayez pas de crainte, je n’ai pas la prétention d’être Dieu. Par contre, en posant librement tous ces gestes quotidiens à la suite de cette parole d’amour donnée, j’espère partager un jour la vie divine. Tel est l’objectif à atteindre. Il n’y aura plus de maillon manquant puisque ce jour-là, l’être humain se sera pleinement humanisé. Tel est le défi auquel Dieu nous invite. Avec ce que nous sommes, avec tout ce que nous avons reçu et développé au cours de nos existences, nous sommes conviés à éveiller en nous tous nos potentiels d’amour. Nous en sommes capables. Il suffit d’humaniser notre humanité et par là la diviniser. L’inspiration divine conduit toujours à la solidarité, aux simples gestes qui apportent le plus d’amour. De la sorte, nous deviendrons humains à la mode de Dieu. Ou encore, pour reprendre les mots du poète Aragon : nous serons devenus des êtres


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humains « amoureux de vivre à en mourir ». S’il en est vraiment ainsi, n’est-elle pas belle la vie que Dieu nous propose ?

Quels sont mes dons ? 2e dimanche (Jn 2, 1-11)

Qui d’entre nous n’aurait pas aimé ou n’aimerait pas avoir comme invité à son mariage : Jésus Christ. Alors que la fête a l’air de se terminer, Jésus offre un superbe cadeau aux mariés : huit cents bouteilles — j’ai fait le compte — d’un petit vin de pays qui n’a pas l’air piqué des vers à en croire le sommelier de la noce. De quoi commencer une superbe cave à l’aube de sa vie à deux. Un magnifique cadeau, j’en arrive presque à regretter de ne pas m’être marié. Pourtant, ce n’est pas tant l’abondance du don de Jésus, mais plutôt la source du don qui est frappante. La merveille d’un tel présent vient du fait qu’il est né du cœur, de l’intérieur de Jésus. De son Esprit. Le Christ a avant tout donné de luimême. Il a utilisé un des dons offerts par l’Esprit de son Père. Nous possédons tous des dons. À nous de les trouver. Je me rappelle cette rencontre vécue à New York, l’été 1990, lorsque je travaillais à Covenant House, une organisation caritative qui s’occupe des enfants de la rue, des jeunes drogués et des prostitués. Cette année-là, en plein cœur de Manhattan, sur un espace aussi grand que le parking d’une grande surface commerciale, plus de deux cents jeunes adolescents et adultes se prostituaient. Chaque semaine, il y avait trois ou quatre morts et le sida régnait à plus de septante-cinq pour cent. Vers quatre heures du matin, un de ces jeunes, se prénommant Michael, est venu s’asseoir dans notre camionnette pour partager un sandwich. Il venait aussi nous dire son dégoût de la vie, son envie de mourir.


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Je lui demandai s’il n’avait aucun don, talent qui lui permettrait de s’en sortir. Il n’en avait aucun prétendait-il, si ce n’est cuire des hamburgers dans un Mac Do. Après quelques minutes de conversation, m’étonnant de son accent, je lui demandai s’il était anglais. Il me répondit mi-anglais, mi-grec. « Tu es bilingue alors ? », lui dis-je. « Non, trilingue, je parle également français », me répondit-il. Nous avons alors continué notre conversation en français pendant quarante-cinq minutes. Il connaissait tous les mots d’argot nécessaire à son métier ! Il fit pourtant une faute de français : après un « si », il employa un conditionnel au lieu d’un imparfait. Michael n’avait pas de dons, pensait-il, si ce n’est qu’il était trilingue ! Quelques semaines après cet événement, Michael s’est injecté une dose létale. Il est mort, c’est vrai, mais en ayant découvert que lui aussi avait des dons. Des dons, des talents, vous et moi, nous en avons reçus. À nous de les découvrir. Et, mieux encore, de faire découvrir à l’autre, l’ami, le voisin, les siens quand il ne les trouve pas. Il nous est cependant souvent bien difficile d’accepter ces talents des autres. Combien d’entre nous ne les jalousent-ils pas ou ne voudraient-ils pas être meilleurs que l’autre ? Cette attitude conduit tout simplement à nier les dons que nous avons reçus. Or, ceux-ci nous ont été donnés. Et j’ai la conviction profonde qu’un jour nous aurons à en rendre compte. « Qu’as-tu fait des talents que je t’ai donnés ? Pourquoi as-tu voulu acquérir les dons d’autrui au lieu de faire, humblement, fructifier ceux que tu avais reçus ? » Je ne sais pas pourquoi, mais nous autres êtres humains, nous sommes capables de faire taire les dons qui sont en nous. Pire, nous avons même les moyens de faire taire les dons, pourtant issus d’un même esprit, chez l’autre. Tu feras de la musique comme tes parents, alors que toi tu as reçu le don du dessin ou


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de l’expression. Puissions-nous prendre le temps de découvrir, voire de redécouvrir, tous ces dons qui sommeillent en chacune et chacun de nous et de vivre en conséquence. Par définition, ces dons, ces talents nous ont été donnés et ils nous constituent. Ils ne peuvent être du domaine privé et ils ont besoin de s’offrir pour s’épanouir. Un don exploité est toujours un peu un don de soi. À l’instar du Christ, la source du don est en nous. Tout comme lui nous l’a montré au cours de son pèlerinage terrestre, puissions-nous le partager avec abondance.

L’art de l’humilité 22e dimanche (Lc 14, 1a.7-14)

Certains historiens prétendent qu’au moins deux ordres religieux ont été créés pour combattre certaines hérésies. En fait, il s’agit d’un ordre et d’une société. Ou pour être encore plus précis, ces spécialistes parlent de l’ordre des Prêcheurs et de la Société de Jésus. D’après ces intellectuels, les frères dominicains auraient été fondés pour combattre l’hérésie cathare sévissant au sud de la France au début du XIIe siècle tandis que les jésuites auraient été fondés pour combattre l’hérésie protestante au XVIe siècle. Si l’hypothèse de la fondation est correcte, la question qui peut nous venir à l’esprit est la suivante : quel est le plus grand ordre ? Quel est celui qui a réussi sa mission confiée par notre Sainte Mère l’Église ? En tant que dominicain, il me revient de vous poser cette question : honnêtement, dans votre vie, avez-vous déjà rencontré beaucoup de Cathares ? Cette hérésie a-t-elle encore cours aujourd’hui ou bien les frères prêcheurs ont-ils réussi leur mission ? Pour ce qui est de l’autre hérésie, celle du XVIe siècle, connaissezvous des protestants ? Fort de ce constat face à cette réalité criante,


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nous devons reconnaître que nous, les dominicains, sommes et resterons pour de longs siècles encore les meilleurs. Même si, œcuméniquement, cette blague est de mauvais goût et inacceptable d’un point de vue théologique, elle explique les raisons pour lesquelles nous sommes si fiers de notre appartenance. Certains se diront : « Mais quelle prétention ! Quel manque d’humilité ! » En bref, quelle absence totale de savoir-vivre. Erreur, je crois. L’humilité n’est pas un savoir-vivre mais plutôt un art de vivre. Arrêtons-nous alors quelques instants sur cette notion. D’un point de vue littéraire, selon le dictionnaire, l’humilité signifie l’état d’infériorité. Par contre, d’un point de vue religieux, il s’agit plutôt d’une vertu. La racine de ce mot viendrait d’humus qui évoque la terre de laquelle nous sommes issus. Comme s’il y avait quelque chose de très « terre à terre » lorsque nous abordons la vertu d’humilité. Il ne s’agit donc pas de grands discours philosophiques, d’idéologies bien construites, l’humilité est un art de vivre qui s’inscrit dans un chemin de vérité par rapport à soi. En d’autres termes, l’humilité convie à la lucidité d’abord sur soi puis sur les autres. Nous sommes invités à être lucides sur le tout que nous formons c’està-dire avec nos fragilités et nos forces, nos zones de lumière et d’ombre sans jamais oublier que l’ombre ne peut pas exister sans lumière alors que l’inverse n’est pas vrai. La lumière se passe volontiers de l’ombre. Nos grandeurs et nos faiblesses nous construisent et nous façonnent. Elles disent le tout que je suis. Un tout que la vie m’apprend à apprivoiser au fil des années. Petit à petit, j’accepte cette inconnaissance, cette partie immaîtrisable de mon être. Je vis avec celle-ci et je m’en réjouis. Il fait de moi la personne que je suis. Cette clairvoyance me permet alors de m’apprécier, de me connaître dans les limites de ma propre réalité. Ayant fait ce che-


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min d’intériorité, mon regard porté sur les autres se modifie. Je ne les juge plus et j’apprends à les comprendre et les apprécier dans le tout de leur personnalité, vivant cette fois avec l’intime conviction que par-delà leur propre ombre, il y a également une lumière à recevoir. Tout être humain, de par le simple fait de son humanité, a toujours quelque chose à offrir à l’autre. L’humilité nous permet ainsi de porter un regard bienveillant à son égard. En fait, elle nous dégage de nous-mêmes pour mieux partir à la rencontre de l’autre. Elle nous fait prendre conscience de certains de nos manques que nous cherchons à assouvir dans la relation avec autrui, toujours différent de moi. Mieux encore, ayant conscience de mes limites et de mes richesses, je suis constamment invité à ne pas m’imposer, à ne pas entrer dans une spirale d’écrasement de l’autre, car la relation véritable existe lorsque je suis là pour aider l’autre à s’élever vers lui-même, vers elle-même. L’humilité est donc bien un art de vivre, voire une passion de vie. Alors, si nous souhaitons devenir des artistes de la vie, il nous suffit de traverser cette dernière en étant humbles. Tel est le chemin proposé par l’Évangile. Dans la foi, vivons de cet art qui donne à l’autre tout l’espace pour exister.


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Des êtres résurrectionnels Jour de Pâques (Jn 20, 1-9)

Pilate. Voilà un personnage bien sympathique, propre sur lui. Il va même jusqu’à se laver les mains en public. Dans un roman récent, celui-ci s’interroge sur le sens de tous les événements que nous venons de commémorer et demande à son épouse : « S’il est bien Fils de Dieu, comme il le prétend, pourquoi ne pas demeurer parmi nous à jamais ? Et par là nous convaincre. Et nous faire vivre dans le vrai. S’il restait éternellement sur terre, personne ne douterait plus de son message. » À cela, l’épouse rétorqua que « Jésus n’avait aucune raison de s’installer. Il suffit qu’il soit venu une fois. Car il ne doit pas apporter trop de preuves. S’il se montrait clairement, continuellement, avec force et évidence, il contraindrait les hommes, il les obligerait à se prosterner. Or, il a fait l’homme libre. Il tient compte de cette liberté en nous laissant la possibilité de croire ou de ne pas croire. Peut-on être forcé d’adhérer ? Peut-on être forcé d’aimer ? On doit s’y disposer soi-même, consentir à la foi comme à l’amour. Le Fils de Dieu nous respecte. Il nous fait signe par son histoire, mais nous laisse libre d’interpréter les signes. Il nous aime trop pour nous contraindre. C’est parce qu’il nous aime qu’il nous donne à douter. Cette part de choix qu’il nous laisse, c’est l’autre nom de son mystère » (cf. E.-E. Schmitt, L’Évangile selon Pilate, Paris, Albin Michel, 2000, p. 331-332).


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Voilà un des sens de la résurrection. Un peu moins de deux mille ans après ces événements, nous nous trouvons comme les premiers disciples face à un tombeau vide. Cette vacuité, ce sentiment d’absence peut nous donner un certain vertige de silence inhabité par rien, absolument rien. Nous sommes devant un choix : celui de croire ou de ne pas croire ce qui est arrivé. Dépasser l’incompréhensible parce qu’indicible pour nous laisser envahir par un mystère qui nous surpasse complètement. Un mystère dont le sens ne peut se prouver, voire s’éprouver qu’en Dieu lui-même. C’est pourquoi nous devons d’abord décider de choisir. Choisir de croire que le Fils de Dieu est bien venu sur cette terre et qu’il est mort et ressuscité. Par sa mort, il a vaincu la mort et de la sorte, il nous fait le don de la vie éternelle. Dieu a achevé l’œuvre de sa création. Face au tombeau vide, nous sommes conviés à nous laisser émouvoir par l’amplitude du don divin. À l’instant de la Création, le Père avait fait de chacune et chacun de nous des êtres créationnels, c’est-à-dire des êtres capables de Dieu au sens où il nous avait donné un mandat : celui de nous conduire ainsi que le monde vers leurs accomplissements respectifs. Aujourd’hui, dans l’événement de Pâques, le Christ nous fait entrer dans une nouvelle dynamique. Non seulement nous sommes capables de Dieu, mais nous devenons également capables de résurrection. Le Fils de Dieu achève l’œuvre de Création du Père en faisant de nous des êtres résurrectionnels, c’està-dire des êtres qui choisissent de Le suivre, car ils vivent avec cette conviction intime et profonde que la mort a été vaincue, que la mort de la mort est un des nouveaux noms de la résurrection. En d’autres termes, le signe du tombeau vide nous indique la promesse d’un salut, d’une vie éternelle, d’une résurrection. Non seulement, celle de Dieu, mais également la nôtre.


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Un peu comme s’il nous disait de ne pas trop nous préoccuper de la mort, car elle n’a finalement plus de puissance sur nous. La foi en la vie éternelle n’est pas quelque chose d’anodin, elle signifie prendre la vie au sérieux et la vivre jusqu’au bout. La vie éternelle nous oblige à goûter pleinement cette vie, avec ses joies, ses responsabilités, mais également ses peines. Notre vie n’est pas une roue qui tourne sans fin, mais une flèche qui a une direction. Dans la foi, notre vie vaut la peine d’être vécue, à chaque instant qu’il nous est donné de vivre. Une vie vécue dans la confiance devant quelque chose que nous ne pouvons pas nommer tellement elle reste mystérieuse pour notre intelligence. Nous sommes des êtres capables de Dieu, des êtres capables de résurrection, des êtres qui se réjouissent pleinement de la vie terrestre, car nous avons en nous cette conviction que quelque chose d’ici se poursuivra dans l’au-delà. Mais ça, c’est d’abord une question de choix. À chacune et chacun de décider si ce qui s’est passé il y a tant d’années est bien vrai, si ce qui va au-delà d’une certaine historicité comporte bien le don de la divinité. Dieu, en nous offrant aujourd’hui encore son tombeau vide, nous laisse la liberté de choisir. C’est par l’exercice de notre liberté que nous devenons des êtres résurrectionnels. Alors et alors seulement, le tombeau est tout habité de la présence divine.

Les morts sont les grands vivants 32e dimanche (Lc 20, 27-32)

En quelques secondes, dans un stupide accident de voiture, il perd la femme de sa vie et ses deux jeunes enfants. Réalisant le drame, cet homme se met alors à crier la mort. Quelque chose


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en lui s’est déchiré à jamais. Trois vies se sont envolées vers ailleurs et lui, du plus profond de sa solitude, ne peut exprimer avec des mots humains la souffrance intérieure qui le tenaille. Il a mal, tellement mal, et rien ne peut le calmer, diminuer sa peine. En tout cas, pour le moment. Seul le temps adoucira cette blessure, même si de temps à autre, sans comprendre pourquoi, une lame de fond à nouveau le submergera. Aujourd’hui, dans l’ensemble, il va mieux. Il continue de vivre ou de survivre. Mais c’est vrai aussi que par moments, il glisse sans pouvoir s’arrêter dans cette faille intérieure où il refait avec douleur l’expérience du vide insoutenable laissé en lui par la perte de ces trois vies qui sont de l’autre côté de la lumière. De l’autre côté de la lumière, mais existe-t-il vraiment quelque chose ? Nous sommes en droit de nous la poser, cette fameuse question. Aucune certitude. Juste une espérance. Cette dernière dépendra de l’intensité de notre foi en Dieu et du crédit que nous accordons aux Écritures. Lors de son passage terrestre, Jésus dévoile un coin du mystère. Il ne se laisse nullement piéger par ces Sadducéens qui ne croient pas à l’idée de la Résurrection. En déjouant leur intention malveillante, le Christ nous surprend à nouveau. Tout d’abord, en Dieu, la mort n’est qu’un instant. Nous la traversons et nous n’y résidons pas. Nous poursuivons ce que nous avons entamé sur cette terre. Dieu nous accueille en lui et aucune image connue ne peut décrire ce mystère. Nous sommes hélas bien incapables d’envisager ce qui peut bien se passer de l’autre côté. Un peu comme l’expérience suivante : lorsque nous visitons un zoo, nous découvrons les animaux, nous les voyons, mais ils ne sont plus tout à fait euxmêmes puisqu’ils sont enfermés, en cage. Ils sont tellement différents, ils ont perdu une partie de leur identité. Lorsque nous les visitons dans leurs milieux naturels, l’image qu’ils offrent, en


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pleine liberté, n’a plus rien à voir avec ce que nous avions découvert chez nous. Tant que nous n’en avons pas fait l’expérience, nous ne pouvons pas saisir la beauté de la vie animale dans son milieu originel. Il en va de même avec la vie. Nous vivons notre vie ici et maintenant. Demain, nous serons dans la vie éternelle. Tant que nous ne ferons pas ce grand saut, nous ne pourrons pas nous émerveiller de tant de beauté et d’amour. Notre vie aujourd’hui n’est peut-être finalement qu’un avant-goût de ce qui nous attend. C’est possible et nous restons ici-bas avec nos questions : seronsnous les mêmes ? À la résurrection, aurai-je le corps de mes vingt ans, quarante ans ou soixante ans ? Si je perds un membre, est-ce que je le retrouverai de l’autre côté ? Nous reconnaîtrons-nous les uns les autres ? Où se situe notre au-delà ? Celles et ceux qui sont de l’autre côté, sont-ils vraiment là alors que trop souvent nous butons sur un terrible silence ? Des questions qui resteront sans réponse pour longtemps encore. Sauf si nous prenons les dires de Jésus au sérieux. D’après lui, nos morts sont bien vivants. Quelle formule paradoxale. Ils sont vivants sans pour autant être réinstallés confortablement dans une demeure spéciale communément appelée le Ciel, le nouvel Éden. Les morts, en effet, ne sont plus dans un lieu. Ils sont dans un état. Un état de bonheur dans lequel ils nagent. C’est la raison pour laquelle ils sont devenus semblables aux anges, filles et fils de Dieu. Ils vivent dorénavant la vraie vie, la vie des enfants de Dieu. Qu’est-ce à dire ? Je n’en sais rien. Le monde de Dieu semble tellement différent du nôtre. Ma seule espérance est de croire ce que l’évangile dévoile aujourd’hui. N’appelons plus celles et ceux qui sont partis de l’autre côté de la vie : les morts. Ils sont vivants, les grands vivants de notre histoire puisqu’ils vivent en Dieu, dans cet état de bonheur


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éternel. Si nous y croyons, malgré notre tristesse d’être séparés, réjouissons-nous pour eux et vivons de cette espérance que leur état est à ce point merveilleux que, pour rien au monde, ils ne souhaitent revenir sur notre petite terre. Ils vivent à jamais en Dieu l’immensité de l’éternité. Ils sont vivants, bien plus vivants que nous n’aurions pu l’imaginer. Ils sont les grands vivants.

La foi en l’Au-delà Commémoration de tous les fidèles défunts (Lc 24, 13-26)

C’est un peu comme une déchirure, une blessure qui n’arrive pas à cicatriser puisque chaque fois que je pense à lui, que je pense à elle, mon cœur se remet à saigner de plus belle. Un peu comme si une partie de mon être m’avait été arrachée, enlevée à jamais. J’ai le sentiment d’être devenu un océan. Parfois, en moi, le calme et la sérénité règnent et d’autres fois, je me sens emporté par des vents violents qui secouent mon être tout entier. Je passe de la chaleur des souvenirs heureux à l’ouragan de l’absence et du silence. Avec toujours cette question lancinante : ceux que nous avons aimés, nous entendent-ils, nous voient-ils ? Parfois, j’ai le sentiment de ressentir une présence éternelle, parfois, je me sens si seul et confronté à l’expérience du vide, du néant. Face à de telles questions existentielles, nous n’avons pas de réponse certaine. Il n’y a aucune certitude vis-à-vis de la mort. Est-ce la fin d’une vie à jamais ou plutôt la poursuite de ce que nous avons commencé sur cette terre ? Est-ce un trou noir dans lequel ils ont sombré ou plutôt une lumière où ils vivent en plénitude dans le cœur et la tendresse de Dieu ? Rien ne peut être dit à ce sujet de manière absolument sûre. Personne ne peut prétendre à la vérité de la mort sauf celles et ceux qui y sont entrés.


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Mais un tel savoir leur est-il vraiment réservé ? N’avons-nous pas, nous qui restons ici bas, le cœur en tristesse, la possibilité d’entrevoir un coin du voile de ce mystère. Ni les sciences, ni aucune connaissance ne peuvent nous aider. Toutefois, nous n’avons pas à nous enfermer dans le découragement, car si la connaissance ne peut nous éclairer, il nous reste l’espérance de notre croyance, de notre foi. Connaissance et croyance sont deux champs de notre intelligence de cœur qui s’éclairent l’un l’autre, mais ils ne peuvent se confondre. Lorsque je connais, je sais. Lorsque je crois, j’espère et je cherche à comprendre ce mystère qui habite au plus profond de mon être. Cette croyance s’illumine par les lectures de ce jour. En effet, y a-t-il plus belle espérance que les paroles du Livre de la Sagesse : « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu. Ils sont dans la paix. Leur espérance est pleine d’immortalité. Ceux qui sont fidèles demeureront auprès de lui dans l’amour. » Si nous prenons ces mots inscrits avec l’encre de Dieu dans ces pages de la Bible au sérieux, nous pouvons nous apaiser les uns les autres et nous dire ou redire que là où ils sont, celles et ceux que nous avons aimés vivent la plénitude de la paix divine. Prendre de telles paroles au sérieux, tel peut être le sens de notre foi. Foi en une vie qui ne se termine pas. Foi en une vie commencée sur cette terre et qui se poursuit dans l’au-delà de Dieu. Foi en ce don offert à chacune et chacun de nous qu’est l’éternité divine. Prenons alors le temps, de temps en temps, de méditer ces phrases d’espérance telles qu’elles nous ont été livrées dans la Bible. S’il est vrai que nous pouvons nous réjouir de la lumière dans laquelle ils sont entrés, cela n’enlève hélas pas grand-chose à la douleur de ceux qui restent. Je me réjouis que tu sois où tu es,


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mais nous avions encore tellement de chose à vivre ensemble, à partager, tant de je t’aime à se dire. Je n’arrive toujours pas à me consoler en reconnaissant le bien-être dans lequel tu as ressuscité. Ta déchirure est et reste profonde en mon cœur. Je saigne de solitude, car la mort arrive trop souvent trop tôt. Elle me semble injuste et je souffre. Puissions-nous alors, à l’instar des disciples d’Emmaüs, vivre avec cette espérance que l’Esprit de Dieu nous accompagne également dans ce chemin d’apprentissage de l’absence. De quelle manière, sommes-nous en droit de nous demander ? Tout simplement en prenant conscience que Dieu inhabite en chacune de ses créatures. Nous sommes images, mains et yeux de Dieu sur cette terre. Le Dieu de Jésus Christ se révèle en chacune et chacun de nous. Il passe par nous. Il a besoin de nous. Nous sommes parcelles de divinité terrestre. C’est dès lors à nous de nous lever, d’entourer et d’accompagner celles et ceux qui vivent l’expérience d’une séparation dans la mort. C’est à nous qui sommes confrontés à la douleur de l’absence, d’ouvrir les yeux et notre cœur, et de repérer celles et ceux qui vivent autour de nous et qui nous portent dans ce lent apprentissage du silence de l’être aimé. C’est de cette manière que Dieu nous prend la main. Elle passe toujours par un autre humain. Alors, nous pourrons nous aussi nous dire : « Notre cœur n’était-il pas brûlant ? »


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Musicien de la vie 33e dimanche (Lc 21, 5-19)

La question que l’on me pose assez souvent est : « Tiens ! vous n’avez pas de petite croix ? » La suite de la complainte donnera quelque chose du genre : « Tout fout le camp. Si vous aussi ne mettez plus de petites croix, où sont les repères ? Ah, de mon temps, le latin, la soutane, l’encensoir, on savait où on allait. De belles églises, de belles célébrations avec beaucoup d’encens. De l’art quoi. Aujourd’hui, on veut faire jeune. On construit même des églises dans des anciennes fermes », m’a-t-on dit. Des guitares plutôt que nos grandes orgues qui résonnent avec une chorale en grégorien. Tout fout le camp et vous n’avez toujours pas votre petite croix. Il y a quelques années, j’avais toujours dans mon portefeuille une boucle d’oreille avec un pas de vis et une petite croix. Je regardais la personne en face, la priais de bien vouloir m’excuser d’un tel oubli, prenais cette croix et me la vissais sur l’oreille. À la vue de son regard effrayé, je lui proposais gentiment de la remettre en poche. Cette personne a-t-elle ou non raison de se plaindre de la sorte, je n’en sais rien. Par contre, ce que je crois, c’est que la vie, la tendresse et l’amour ne sont pas dans les chasubles ou dans les pierres. L’Église ne se vit pas dans la sacristie. Dieu n’est le Dieu des cathédrales que s’il trouve à l’intérieur de celles-ci des hommes et des femmes vivants. Dieu n’est ni dans les pierres de cette grange, ni dans mes mots. Il est dans des gens, dans un


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peuple, dans notre vie. Et quand cette vie est faite d’amour, alors tant pis pour les pierres. L’évangile est surprenant, car il attend de nous d’être des vivants. Comment ? L’initiative nous appartient, nous rappelle la poésie : « Une seule fois, être vraiment soi. Alors seulement la vie a un sens. Et on a droit à la plus belle des naissances. » Être vraiment soi est la condition sine qua non de notre humanité. Oser être, oser se dire, oser se raconter, oser vivre. Je ne suis vivant que si j’accepte de devenir le compositeur de ma propre partition de vie. Sur les portées de mon existence, avec la clé de sol, de fa ou d’ut de ma naissance, j’écris les notes événements, qu’elles soient croches, triolets, noires ou blanches. J’ai commencé piano dans l’enfance, j’ai découvert le mezzo forte de mon adolescence et je voudrais vivre toute ma vie en fortissimo. C’est vrai, je suis artiste, parfois j’ai envie de n’être qu’un soliste. Mais s’il faut plusieurs pierres à un bâtiment, nous avons besoin de nombreux instruments pour former l’orchestre de la Vie. Que je joue d’un instrument à cordes ou à vent, cela m’importe peu, du moment que je puisse jouer, non pas être à l’unisson, mais en harmonie avec vous puisque ma partition est différente de la vôtre. Vivre de tous les instruments un tourbillon de mes étonnements qui donnent envie d’être vivant, être ce violon du Concerto en ré majeur opus 35 de Tchaikovsky qui, dans le premier mouvement, vit le bonheur de jouer à plusieurs. Le plus merveilleux, dans cette musique, c’est que c’est moi, et moi seul, qui décide d’en faire partie. Parfois, la portée de ma vie est faite de silences uniquement, puis avec timidité j’y ajoute quelques rondes, ensuite des blanches et enfin j’écris à ne plus pouvoir m’arrêter une double croche de sentiments pour vivre. Vivre, vivre et se laisser porter par sa propre partition et puis aussi celle des autres. Ne pas avoir peur de faire partie de plu-


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sieurs orchestres différents. Soliste, duettiste, orchestre de chambre ou symphonique, chaque étape de la vie a sa spécificité. Et si c’est vrai, pourquoi ne pas aussi jouer du rock, du disco ou de la house. Du moment que l’on joue, que l’on chante, que l’on danse, que l’on vit… Comme si les pierres de notre église étaient devenues des instruments de jonglerie dont l’artiste s’appellerait tout simplement Jésus Christ. Ce que je viens de vous dire de l’Évangile étonne sans doute. Mais si nous n’étonnons personne avec notre Évangile, c’est peut-être parce que l’Évangile ne nous étonne plus.

Le mystère de l’océan ou les profondeurs de la vie 29e dimanche (Lc 18, 1-8)

Elle avait tout pour être heureuse et d’ailleurs elle l’était. Il y a quelques mois, elle s’en est allée sur la pointe des pieds, trop tôt c’est vrai. Mais elle était tellement sereine, en paix avec ellemême et avec Dieu malgré le fait qu’elle aurait aimé voir la vie, sa vie continuer. C’est un soir d’automne que la nouvelle est tombée, froide, brutale, comme un coup de poignard au cœur de son être et un filet de sang qui s’écoule peu à peu jusqu’à l’épuiser. Est venu le temps de la révolte, du cri de sa souffrance, du pourquoi « moi ». Sa prière fut d’abord une plainte douce, vite transformée, il est vrai, en colère. Et puis, lentement, est venu le temps de la supplication, la demande insistante pour que tout puisse changer, revenir comme avant. Elle y croyait. Elle espérait. Elle refusait de perdre courage et continuait à désirer, au plus profond de son être, peut-être à ce que nous appelons un miracle. Mais ses forces continuaient de la quitter peu à peu. Elle


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demanda, elle supplia, elle implora, elle persévéra. Rien n’y fit et face à cette demande, un silence, un profond silence, comme l’écho d’une absence. Dieu semblait si loin, Dieu semblait si sourd. L’histoire que je vous raconte, je ne l’ai pas inventée et je crois que de nombreuses personnes pourront y mettre un visage, un prénom, différent de celui de mon histoire. Cela importe peu, d’ailleurs, puisque mon histoire se conjugue au pluriel. Elle cria jour et nuit, comme la veuve de l’évangile. Rien n’y changea. Puis un soir, elle s’arrête presque par hasard. Elle n’a jamais su pourquoi. Elle reprit lentement conscience de la respiration de ce qu’elle était, et qui était de lâcher prise, de s’abandonner, mais pour mieux se recevoir. J’ai vécu, me dit-elle, l’expérience merveilleuse de la prière, c’est-à-dire ce mouvement qui descend de la tête vers le cœur et qui découvre quelque chose de mon être. Mais aussi ce mouvement des entrailles jusqu’au cœur. L’expérience de l’émotion, d’un frémissement sensible qui s’apaise et se purifie pour devenir tout amour. À partir de ce jour, sa vie fut tendresse, oui, vraiment tendresse. Elle avait décidé d’ouvrir les yeux pour se nourrir des mille et une petites merveilles de la vie, de se laisser surprendre par la beauté des gestes simples. Elle n’attendait plus rien, mais elle reçut tout jusqu’à ne plus rien regretter. Elle se rendit compte que sa prière ne fut pas vaine ; oui, elle avait été entendue. Oh ! Dieu, ce Dieu qu’elle rencontrait dans ses moments intimes n’avait pas changé le cours ni de son histoire, ni de sa maladie. Par contre, il se révéla à elle de manière inattendue, là où elle ne l’attendait jamais, en des êtres qui l’entouraient, dans tous ces gestes d’amitié échangés. Dieu l’accompagnait, la soutenait, lui tenait tendrement le bras, disait-elle. Dieu se révéla à elle comme jamais il ne l’avait fait auparavant. J’étais aveugle et aujourd’hui, enfin, je vois.


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Regardez, confia-t-elle en désignant ce qu’elle appelait le « mystère de l’océan ». Nos yeux ne voient que la surface de l’eau. Mais dessous se cachent de vastes profondeurs et des merveilles à peine imaginables. C’est la même chose quand nous ouvrons les yeux sur la vie. Dans notre vulnérabilité, nous osons aller sous la surface pour apercevoir le cœur de l’être rencontré. Nous n’avons plus rien à perdre, seulement tout à gagner. L’impression d’absence divine s’est peu à peu transformée en un bruit joyeux de sa présence révélée dans cette multitude d’attitudes offertes en vérité, dans ces regards, ces sourires. À partir de ce moment-là, il n’y avait plus besoin de se cacher. Vous êtes beau, me dit-elle en fermant les yeux. Maintenant, je ne vois plus que cette beauté intérieure. Et je ne regrette rien, car ces derniers mois, toutes les rencontres que j’ai vécues l’ont été en vérité. Dieu était avec moi. Merci à toi, femme de mon histoire, toi qui as vraiment existé, toi qui fus si belle dans ta mort, de nous rappeler par-delà la vie éternelle que Dieu se révèle à nous dans tous ces petits événements qui nous font porter la vie. Grâce à toi, nous découvrirons peut-être et plus souvent que nous ne le pensons, combien sont vraies les paroles de l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3, 20). Puissions-nous entendre, au creux de notre silence, Celui qui frappe à notre porte et s’invite en nous.


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Le plongeon dans la vie 13e dimanche (Lc 9, 51-62)

Un baccalauréat en marketing n’aurait vraisemblablement pas fait de tort à Jésus. C’est vrai, cela lui aurait pris ses trois années de ministère, mais quand même. Embaucher les gens en les décourageant à ce point, c’est presque tout mettre en place pour que le projet rate dès le départ. S’était-il levé du pied gauche ce matin-là ? Ne voulait-il comme disciples que ce que les Anglais appellent « la crème de la crème » ? Est-il un Dieu élitiste ? Je nous propose de passer en revue les trois rebuffades suivantes et de voir si elles sont encore d’actualité pour nous aujourd’hui. « Le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête. » Une première exigence de vie nous est proposée, celle de ne pas nous installer, nous enfermer non dans le confort, mais dans l’hyperconfort. C’est-à-dire de ne pas succomber à toutes les tentations offertes comme si elles étaient la raison même de la vie. Elles sont là, mais sont des moyens et non des fins en soi. Elles sont des moyens que nous nous donnons pour que la rencontre puisse se vivre. Avec de tels mots, le Christ met des exigences à ce point élevées que nous ne pourrons jamais lui reprocher de nous avoir trompés sur la marchandise. Faire vivre le Royaume de Dieu, en être membre, ce n’est pas rien puisque, comme saint Paul le rappelle, c’est tout simplement, tout difficilement ce commandement « Tu aimeras ton prochain ». Pourtant, par la publicité, télévision et journaux nous montrent tant de choses souvent superflues que nous avons envie d’acquérir pour notre propre confort ! Celles-ci nous éloignent de la valeur de l’amour, et dès lors rendent plus difficile encore notre vie à la suite du Christ. Par ces mots, Jésus nous rappelle que l’essentiel est ailleurs que dans le matériel. Il est en nous, il est nous.


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Vient alors la deuxième rebuffade : « Laisse les morts enterrer leurs morts. » Nous pourrions trouver ici un Jésus contradictoire, sans cœur, ne permettant pas à un homme de vivre pleinement son deuil. J’aime assez l’interprétation qu’en donne William Barclay, théologien anglais qui raconte l’histoire suivante. Il y a quelques années, un fonctionnaire anglais vivant au MoyenOrient proposa à un jeune Arabe très brillant une bourse pour aller étudier à Oxford. Celui-ci répondit évidemment : « J’accepte volontiers votre offre, mais laissez-moi d’abord enterrer mon père. » Normal, me direz-vous. Voilà un bon fils. Pas tout à fait, parce qu’à cette époque, le père du jeune Arabe avait juste quarante ans et se portait à merveille. Ce fils, comme sans doute celui de l’évangile, avait peur de quitter ce qu’il connaissait pour se lancer dans l’inconnu. Cette phrase du Christ pourrait alors être comprise comme une invitation à plonger dans la vie au lieu d’aller rejoindre celles et ceux qui se contentent de la non-vie ou d’un vivotement. Comme il l’a dit ailleurs, en saint Jean : « Je suis venu pour que vous ayez la vie en abondance » (Jn 10, 10). Nous suivons le Christ lorsque nous cherchons tout ce qui favorise la vraie vie, celle qui fait grandir et qui nous épanouit. Venons-en alors à la troisième rebuffade : « Je te suivrai, mais laisse-moi d’abord faire mes adieux. » Que de fois, dans nos vies, ne remettons-nous pas au lendemain ce que nous pourrions déjà faire le jour même ! Le problème, c’est que lorsque nous ratons une occasion, elle se présente rarement une deuxième fois. Nous sommes passés à côté à force de lanterner, d’hésiter, comme si nous étions restés dans l’émotion sans être capable de passer à l’action. Si vous connaissez un peu la culture de la bande dessinée, le personnage qui illustre mieux ce comportement dénoncé par le Christ, c’est Gaston Lagaffe qui, lorsqu’il range le courrier urgent, fait des piles sur son bureau. La pile d’aujourd’hui pousse


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celle d’hier qui pousse celle d’avant-hier etc. pour toutes aboutir dans la poubelle placée à côté du bureau. À force d’attendre, on ne fait rien. Et Jésus nous demande d’agir dès le moment où l’occasion nous est donnée et de ne pas nous enfermer dans un « lendemain à faire » qui ne viendra jamais. Trois rebuffades pour un seul message : l’essentiel est en nous pour plonger dans la vie et aller toujours de l’avant, sans attendre. Comme si Jésus, en forme de clin d’œil, nous disait à chacune et chacun :« À bon entendeur, salut ! »

Ajouter de la vie au temps 3e dimanche de Carême (Lc 13, 1-9)

Et dire qu’à notre époque, il faut encore compter plus de trois minutes pour qu’un plat soit prêt au micro-ondes. Mon ordinateur, quant à lui, a besoin de deux minutes vingt-sept secondes pour installer tous les programmes afin de pouvoir être utilisé. C’est dingue ce que nous pouvons perdre comme temps chaque jour à devoir attendre bêtement devant un appareil alors que nous avons autre chose à faire et que nos journées sont si courtes puisque nous ne disposons que de 86 400 secondes à pouvoir dépenser, et de ce chiffre, il faut encore soustraire 28 800 secondes, c’est-à-dire huit heures de sommeil. Cela ne nous laisse alors plus que 55 800 secondes à dépenser. Il est donc grand temps que les fabricants d’appareils ménagers et autres se mettent au travail pour que nous ne perdions plus de temps bêtement. C’est éreintant de courir de la sorte après le temps. Toutefois, à force de courir après le temps, nous devenons impatients, tout va trop lentement et nous ne respectons même plus les gens et leurs propres rythmes d’avancement dans la vie.


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Il faut aller vite, très vite. Peut-être trop vite, ce qui conduit à une certaine violence d’impatience. Mais finalement, n’avonsnous pas un mauvais rapport au temps ? N’est-il pas préférable d’ajouter de la vie au temps plutôt que du temps à la vie ? N’estce pas une illusion de croire que plus nous aurons de secondes disponibles à dépenser, plus nous serons heureux ? Donner plus de temps à la vie ne nous appartient pas. C’est la nature qui le décidera. Par contre, donner de la vie au temps est du ressort de notre propre liberté. La qualité de l’occupation de mon temps m’appartient. C’est à moi, en lien avec celles et ceux qui m’entourent, de décider comment je vais l’occuper. Alors, plutôt que de courir après le temps, n’est-il pas nécessaire, voire vital, de reprendre le temps de vivre, de ne pas s’enfermer dans une spirale d’impatience ? Finalement, de laisser le temps au temps pour vivre de cette espérance qui habite au plus profond de nos êtres. Mais comment remettre de la vie dans le temps, se demandent sans doute certains ? Tout simplement en réintégrant la mort dans la vie, en reconnaissant cette limite ultime et certaine par laquelle toutes et tous nous passerons sans exception. Nous ne sommes pas des êtres immortels, nous sommes des êtres appelés à recevoir l’éternité, don de Dieu par excellence. Telle est notre espérance de la mort. Comme le disait un jeune de notre commune : « Moi, la mort, j’y pense à luche. Ça me fout le cafard. » Je traduis : « Moi la mort, j’y pense beaucoup. Cela me donne le cafard. » Et je le comprends, car nous sommes là face à un mystère qui nous dépasse et dont nous ne savons rien par définition. La mort est un non-savoir par excellence. Nous ne pouvons qu’espérer et croire que Dieu nous proposera quelque chose de merveilleux où nous pourrons chacune et chacun poursuivre ce que nous avons commencé sur cette terre. Ce qui est en tout cas clair à partir de


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l’évangile, c’est que la mort ne se mérite pas. Elle n’est pas une punition due à certaines mauvaises actions. La mort nous surprend tout simplement, parfois de manière paisible, parfois de façon tragique aussi et les nombreux actes de terrorisme dans le monde nous le rappellent. La mort nous surprendra toujours. Telle est notre condition humaine. La vie nous a été offerte, ne soyons donc pas fatalistes, car être fatalistes, c’est subir les événements, c’est comprendre la vie comme un destin, à l’image de ces gens dans l’évangile. Or, il n’y a rien de pire qu’un destin. Le destin se subit, la destinée se vit et s’accomplit. Dieu nous invite à vivre notre destinée. Cette dernière varie de personne à personne. C’est à chacune et chacun de découvrir sa propre destinée, son chemin d’accomplissement. C’est pour cette raison précise que la mort donne sens à la vie, car elle nous permet de vivre un recentrement sur l’essentiel. En d’autres termes, prendre conscience de sa propre mortalité nous permet de vivre une conversion intérieure, car s’il n’y a pas de fatalité, de déterminisme, mais bien une destinée, alors tout être humain peut accomplir son chemin de manière libre tout en prenant le temps. Il ne nous reste plus qu’à réintégrer la mort dans notre vie pour, tout simplement, ajouter de la vie au temps.

Vivre une vie vivante Baptême du Seigneur (Lc 3, 15-16.21-22)

C’est fou ce que le temps passe vite. Même parfois trop vite. Dire que la semaine passée, nous étions toujours à la crèche nous joignant aux mages venus rencontrer Dieu nouveau-né. Et voilà qu’en quelques jours, nous avons traversé le temps, environ trente ans. Le temps nécessaire pour passer de l’Épiphanie au


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Baptême de Jésus. Il y a eu toutes ces années dont nous ne savons pour ainsi dire rien : une fuite en Égypte, une visite au temple de Jérusalem quand l’enfant avait douze ans puis silence radio sur toute la ligne et voilà qu’il réapparaît aujourd’hui, prêt à commencer une nouvelle étape de sa vie. Dieu était né à la crèche et il est rené dans l’événement de son baptême lorsque Dieu lui annonce : « C’est toi mon fils bien aimé ; en toi, j’ai mis tout mon amour… » Une différence existe cependant entre le baptême du Christ et le nôtre : Jésus a effectivement attendu de nombreuses années avant de vivre son baptême alors que pour la majorité d’entre nous, nous sommes un peu comme Obélix, le compagnon d’Astérix, tous deux nés d’ailleurs le même jour comme nous avons pu le découvrir dans leur dernier album. Oui, nous sommes un peu comme Obélix, car, en ce qui concerne le baptême, pour la majorité d’entre nous, nous sommes tombés dedans quand nous étions petits. Nous n’avons pas choisi d’être baptisés, c’était la décision de nos parents. Mais notre présence dans une église est signe de la ratification de cette décision. Par cet acte, nous tenons à montrer que nous avons décidé de traverser notre vie différemment. Par notre baptême, toutes et tous nous sommes porteurs et donneurs de vie là où nous sommes, avec tout ce que nous avons reçu. Le baptême nous a rendus vivants dans la Vie, c’est-à-dire que nous désirons renoncer à tout ce qui pourrait l’abîmer voire l’éliminer. Je pense à la haine, au racisme, à la vengeance, à l’injustice, au mensonge et à bien d’autres choses encore qui nous détournent de notre finalité et nous entraîne vers une vie mortifère. Il est vrai, comme le dit l’humoriste, la vie est une maladie mortelle, incurable. Triste perception de la vie alors que notre


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baptême nous convie à vivre une vie vivante, c’est-à-dire une vie qui conduit au bonheur. Tel est le sens du salut proposé à tout être humain dans les mots de saint Paul : « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2, 11). Jésus vient nous sauver, il est le Sauveur. Le Sauveur et non le Sauveteur. C’est ce que certains théologiens ou liturgistes n’ont toujours pas compris lorsqu’ils soulignent uniquement ces phrases du rituel de baptême telles : « Pour nous libérer du pouvoir de Satan… ; pour que l’homme arraché aux ténèbres… ; ou encore, ces enfants rachetés du péché originel ». Quelle conception négative de la vie à l’image des visages de ces théologiens au regard triste tellement ils portent le poids du monde sur leurs épaules. Ils ont tout simplement oublié que cela avait déjà été fait il y a deux mille ans et que grâce à la résurrection du Christ, nous pouvons maintenant vivre une vie vivante et non plus une vie mortifère. La vie vivante nous est offerte par un Sauveur. Oui, le Christ est venu nous sauver, c’est-à-dire nous montrer un chemin de vie, un chemin d’amour et de bonheur, un chemin de réalisation de chaque être humain pour que tout homme, toute femme, tout enfant puisse pleinement participer à la grande aventure du salut de Dieu. Par le baptême, nous sommes renouvelés dans l’Esprit Saint, c’est-à-dire que nous sommes renés en Dieu à la vie. Dans notre pays, il y a quelques années, lorsque nous voulions décrire des gens peu ou mal éduqués, nous les appelions des Rony. Aujourd’hui, les chrétiens du monde entier pourraient être dénommés des René. Tel serait notre deuxième prénom qui s’adjoindrait à celui que nous avons reçu à notre naissance. Comme si nous avions tous un prénom composé. Même si cela peut faire sourire, tous, par notre baptême, nous sommes des


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renés en puissance. Mais des renés à la vie, des renés à la beauté de l’existence, des renés à l’aventure divine. Voilà ce que notre Sauveur est venu nous offrir. Grâce à cette renaissance, nous possédons dans l’espérance l’héritage de la vie éternelle. Quel optimisme dans le plan de Dieu pour sa création entière. Quittons alors ces images négatives de la foi et laissons la grâce divine faire son œuvre en nous pour que les effets de notre baptême se lisent dans la lumière souriante de nos yeux. Nous sommes donc chacune et chacun devant un choix : vivre une vie mortifère en quête d’un sauveteur ou vivre une vie vivante à la suite du Sauveur. Notre baptême ne nous laisse cependant pas la possibilité de choisir. Dieu nous appelle à vivre la vie. Ne dit-il pas : « Je suis venu pour que vous ayez la vie, la vie en abondance » (Jn 10, 10) ?

Plonger dans sa vie Nativité du Seigneur – jour (Jn 1, 1-18)

Quand j’étais jeune adolescent, il y avait une bande dessinée qui circulait dans notre classe. C’était Don Bosco, de Jijé, dans sa version en noir et blanc. Tous les garçons qui la lisaient en étaient subjugués. Nous rêvions tous de devenir comme Don Bosco, de donner notre vie à Dieu et de faire de grandes choses pour les autres. L’idéal que nous avions à cette époque était bien au-delà de ce que nous étions capables de réaliser. Même si nous voulions réellement vivre à la suite du Christ et répondre à son invitation : « Suis-moi ». Ce que nous n’avions pas compris à cette époque-là, c’est que, finalement, Dieu n’attend pas de nous de faire de grandes choses. Il n’espère pas des actions d’éclat avec beaucoup de publicité. Il


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ne souhaite pas que nous entrions dans un processus de séduction pour manipuler celles et ceux que nous croisons. Dieu nous invite à le suivre, à devenir enfants de Dieu. Il ne nous impose rien. Il nous propose un chemin. Nous seuls, je dis bien, nous seuls, pouvons y répondre et ce, en toute liberté, sinon nous contredisons le projet de Dieu sur sa propre humanité. Comment découvrir ce chemin ? Imaginons-nous la situation suivante : si un jour vous me demandez de vous conduire à un endroit que vous ne connaissez pas et que je vous propose de me suivre, de manière toute naturelle, vous regarderez devant vous et non pas derrière puisque je serais devant vous. Je me vois mal vous conduire en marche arrière pendant quelques kilomètres. Je trouve qu’il en va de même avec Dieu. S’il nous invite à le suivre, c’est pour marcher sur la route de nos vies et aller de l’avant. Pour paraphraser l’expression de Teilhard de Chardin, Dieu n’attend pas de nous d’être des nostalgiques qui s’enferment dans les vestiges d’un passé à jamais révolu, même s’ils nous sont chers. Dieu nous attend en avant, dans la construction de notre vie. C’est là que nous lui serons fidèles. Il ne s’agit pas d’oublier, mais le passé appartient au passé, même s’il nous a façonnés. Le passé est un temps nécessaire pour mieux aller de l’avant. La vraie manière d’être fidèle à Dieu, ce n’est donc pas de vivre dans le passé mais, forts du souvenir de ce que nous avons été, nous avons à construire aujourd’hui, dès maintenant notre présent et notre futur. Ainsi, nous lui resterons proches et serons dignes de la confiance qu’il a posée en nous pour conduire le monde à son achèvement. Dieu nous attend en avant, dans la construction de notre vie. Si suivre le Christ, c’est construire, alors nous devons accepter que le chemin qu’il propose est un chemin exigeant. Nous n’avons pas à avancer en traînant les pieds, en soufflant et en nous plaignant constamment, un peu comme lorsque nous


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étions enfants et qu’à peine entrés dans la voiture, nous demandions, toutes les trois minutes : « C’est encore loin ? » Dieu nous demande de construire notre vie en marchant sur son chemin d’un pas décidé pour que nous puissions toujours grandir et nous dépasser, mais sans jamais aller au-delà de nos propres forces. La foi en Dieu, contrairement à ce que certains essaient de nous faire croire, n’est pas une foi de planqués, de poules mouillées qui fuient les risques et qui veulent se réconforter parce qu’ils ont peur de la mort et peut-être aussi de la vie. Notre foi n’est pas de la guimauve. Non, croire en Dieu c’est décoller de soi pour monter toujours plus haut et plonger dans la vie, plonger dans sa vie. Cette dernière n’est pas une longue sieste dans laquelle nous nous reposons, elle est construction et nous en sommes les maçons. En avant de nous, Dieu, à chacune et à chacun, tend la main. À nous de la saisir et d’avancer, toujours avancer, sans se retourner. Au bout de ce chemin, il y a une lumière resplendissante, accueillante, réconfortante. Une lumière qui nous fait découvrir que nous n’avons pas raté notre vie, que nous ne sommes pas passés à côté de nous, que nous avons tout simplement construit, bâti quelque chose de merveilleux. Non pas tout seul mais accompagnés de tous ceux et celles que nous avons aimés et soutenu par l’amour de Dieu. C’est cela, le salut. C’est « en avant » qu’il faut le chercher.

Changer de vie ou changer sa vie ? 3e dimanche de l’Avent (Lc 3, 10-18)

Dans la vie religieuse, il y a quelque chose qui souvent me fait sourire. Ce sont les prénoms qui ont été donnés à certains d’entre nous. Je pense par exemple à ces sœurs qui s’appellent sœur Jean-


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Albert, sœur René, sœur André-Thomas, sœur Jean-Baptiste. Ce ne sont pas des prénoms qui féminisent la profession. Mais les hommes ne faisaient pas beaucoup mieux à l’époque. Chez les dominicains, il y a une cinquantaine d’années, les frères ne recevaient pas des prénoms féminins. Heureusement pour eux. Je vois assez mal appeler un frère, frère Suzanne ou père Jacqueline. Non, chez nous, chaque année avait sa lettre. Par exemple, l’année du frère Louis, la lettre choisie par le père maître était le C. C’est pourquoi, pendant de longues années, notre frère Louis s’appelait frère Constant. Je comprends que dès que l’occasion lui a été donnée, il ait préféré reprendre non pas son nom de jeune fille, mais son prénom de baptême : Louis. À cette époque, on changeait de prénom, car entrer dans la vie religieuse, c’était quitter le monde, c’est-à-dire changer de vie. Et nous voilà confrontés à une spiritualité dangereuse et surtout peu évangélique. Dangereuse, car il est impossible de faire fi de son passé et de recommencer tout à zéro, comme si une nouvelle vie était offerte. Nous sommes façonnés par notre histoire. Peu évangélique, car comme nous le révèle l’évangile, à la question des différents groupes : « Que devons-nous faire ? » (Lc 3, 12), Jean Baptiste ne leur dit pas de tout quitter, de changer de vie. Il leur dit tout simplement de changer non pas de vie, mais leur vie, c’est-à-dire vivre autrement, différemment. Voilà ce à quoi nous sommes appelés par la foi. Il est inutile de se mettre à rêver de ce que nous ferions si nous étions comme ceci ou si nous avions cela. C’est non seulement inutile, mais absurde, car ce qui suit le « si », ce n’est plus nous. Nous avons donc à devenir qui nous sommes. Qu’est-ce à dire dans un monde comme le nôtre qui prône ce mensonge d’une identité acquise à partir de nos avoirs, de nos possessions. Un peu comme si, parce que j’ai, alors je suis. Erreur fondamen-


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tale, car notre identité ne se construit pas sur nos envies, sur nos avoirs. Ceux-ci sont extérieurs à notre être. Non, notre identité se construit à partir de qui nous sommes. Je n’ai pas à prétendre être qui je ne suis pas. C’est en nous et seulement en nous que se trouvent la réponse et les moyens qui vont nous permettre de changer notre vie. Et l’évangile de ce jour nous apprend que Dieu ne peut se contenter de vœux pieux. Devenons qui nous sommes à partir de ce que la vie nous a donné. Toutes et tous nous sommes capables de changer, chacune et chacun à son rythme. Et tout est là, en nous. Apprenons à nous connaître et à prendre conscience de toutes ces richesses qui habitent en nous. Si nous ne les voyons pas, espérons que nous rencontrons sur notre chemin des femmes et des hommes qui nous les feront découvrir. En ce temps d’attente où nous nous rappelons ce mystère de Dieu qui se fait homme, prenons le temps de changer notre vie pour être en cohérence avec Celui qui habite au plus profond de nous-mêmes et qui fait de nous son lieu de résidence sur terre. Il est vrai que changer sa vie peut parfois donner l’impression de faire un grand saut dans le vide. Nous sommes en chute libre, sauf si nous croyons que l’Esprit de Dieu nous accompagne et nous lie à lui pour que cette transformation intérieure se vive dans la joie. Changer sa vie, c’est donc être capable de se libérer de ses faux rêves, de l’abondance de ses avoirs, de ses jalousies. Ce n’est plus regretter ce que je n’ai pas, mais rendre grâce de tout ce que j’ai déjà. Dieu n’attend pas que nous fassions une révolution, car la révolution fait table rase du passé. Il nous propose plutôt de vivre une évolution, une transformation en douceur à partir de ce que nous sommes. J’ai donc je suis est un leurre. Je pense donc je suis a une certaine valeur. Je deviens qui je suis, c’est la promesse


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du bonheur. Et ce dernier se découvre dans la joie que Dieu nous promet, car elle est le moteur de nos transformations. Alors si Dieu est Dieu et si je deviens qui je suis, cette joie doit inonder nos visages de lumière, une lumière divine qui nous rend crédible les uns vis-à-vis des autres. Si Dieu est Dieu et si je deviens qui je suis, attention à la tête que je donne à voir. Elle est le lieu de ma vérité. Elle est signe de ma capacité de changer ma vie. Alors, à toutes et à tous, à nos miroirs.

La vie se vit : château ou hutte ? 21e dimanche (Lc 13, 22-30)

La vie éternelle est pour chacune et chacun d’entre nous une grande question. On se l’imagine, on la pressent, en tout cas, nous l’espérons et voilà que le Christ nous annonce que nous y aurons des surprises. Et des surprises pas toujours heureuses. Qu’est-ce à dire ? La vie chrétienne, le chemin d’humanité sur lequel nous avançons, n’est pas quelque chose de fini. Nous sommes comme des ascensionnistes sur une montagne dont nous ne verrions jamais le sommet et nous sommes invités à grimper, à toujours grimper. Jésus, avec force, nous rappelle à nouveau que nous sommes des êtres en devenir, que jamais nous ne pouvons nous considérer comme étant arrivés. Tout comme celles et ceux qui s’adonnent au sport de l’escalade, nous aurons des temps de pause, des temps de repos après l’effort fourni. Lors de cette ascension qu’est notre vie, il y a aussi des arrêts importants. L’essentiel est de ne jamais oublier que s’arrêter n’est que passager, éphémère. La vie se marche, la vie se vit. Elle a ses moments heureux puis ceux qui sont plus douloureux, mais elle avance toujours à


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son pas, à son rythme. Chacune et chacun, nous avons le nôtre. Il n’y en a pas un meilleur que l’autre puisque c’est à nous de trouver celui qui nous convient tant que nous n’arrêtons pas de marcher. Je suis le chemin, la vérité, la vie, nous dit Jésus ailleurs dans les évangiles. Et nous sommes conviés à le suivre tout simplement. Il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans, si ce n’est que sur un tel chemin, nous ne sommes jamais, jamais arrivés au bout, nous n’atteindrons jamais le sommet ici sur terre. L’imaginer, c’est se leurrer. Être sauvé, telle est notre destinée. Mais se dire croyant, sans que cela se vive, c’est être comme celles et ceux qui ont pris place un jour à la table du Christ et s’en sont contentés. Or, la foi en Jésus est d’abord et avant tout un mouvement, un élan vers un avant, un ailleurs dont nous ne percevons pas toujours les contours. S’asseoir à la table de Dieu, c’est le rencontrer pour mieux repartir, pour mieux vivre de ce qui habite au plus profond de nous-mêmes. D’après le Christ aujourd’hui, la foi n’est pas d’abord un temps, mais plutôt un état. Un état de vie en marche, en mouvement. Un peu comme si Jésus nous disait que le salut n’est pas garanti par la carte du parti. Il ne suffit pas de se dire chrétien pour vivre pleinement de la vie éternelle. Celleci requiert certaines exigences, non pas comme une sorte de ticket d’entrée, mais plutôt parce que la vie éternelle est entendue comme la continuation de ce que nous avons commencé ici sur terre. Il y a une histoire qui illustre assez bien, me semble-t-il, les propos du Christ que nous avons lus aujourd’hui. C’est l’histoire d’une femme — ça aurait pu être d’un homme aussi, mais comme ce n’est pas moi qui l’ai écrite, je respecte son auteur. Cette femme était habituée à un confort certain. Elle se plaisait dans le luxe, l’argent, et aimait se faire reconnaître par ses richesses.


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FRAGMENTS DE BONHEUR

Comme tout un chacun, un jour, elle mourut. Lorsqu’elle arriva au ciel, un ange lui fut envoyé pour la guider vers sa demeure éternelle. Il paraît que c’est l’habitude là-haut. Ils passèrent d’abord devant de nombreux châteaux, plus superbes les uns que les autres. Et elle pensa chaque fois que l’un d’entre eux serait pour elle. Ce fut ensuite le tour des villas. Mais aucune ne lui fut attribuée. L’ange et elle traversèrent ensuite plusieurs rues de ce qui semblait être le centre d’une petite ville ; ils arrivèrent dans les faubourgs et toujours rien pour elle alors que les maisons devenaient de plus en plus petites. Enfin, nous dit l’histoire, ils s’arrêtèrent devant une maison qui était à peine plus grande qu’une hutte. « C’est ta maison », lui dit l’ange. « Quoi, répondit la femme, ça ? Mais je ne peux pas vivre dans ça. — Désolé, lui répondit l’ange, mais c’est tout ce que nous avons pu construire avec les matériaux que tu nous as envoyés de la terre. » C’est cela, marcher sur le chemin de sa vie, accepter de n’être jamais arrivé. Nous sommes des êtres reçus et en devenir. Nos pas, si maladroits soient-ils, sont les matériaux construisant notre demeure éternelle. Château ou hutte, à nous d’en décider.


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Table des matières ALTÉRITÉ L’altérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 4e dimanche (Lc 4, 21-30) Parler à l’autre et non de l’autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 30e dimanche (Lc 18, 9-14) Le refus de voir l’autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 18e dimanche (Lc 12, 13-21) L’indifférence est pire que le mépris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 8e dimanche (Lc 6, 39-45)

AMOUR La vie, l’amour et la foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 27e dimanche (Lc 17, 5-10) La banque d’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 25e dimanche (Lc 16, 10-13) « Je t’aime » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 5e dimanche de Pâques (Jn 13, 31-33a.34-35) Aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait . . . . . . . . . . 26 5e dimanche (Lc 5, 1-11) La pompe à essence du cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 4e dimanche de l’Avent (Lc 1, 39-45) Tu n’es toi que lorsque tu nais à toi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Présentation du Seigneur (Lc 2, 22-40) Suis-je un bon prochain ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 15e dimanche (Lc 10, 25-37) La cécité du cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 26e dimanche (Lc 16, 19-31) Pardon à l’ami qui m’a blessé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 4e dimanche de Carême (Lc 15, 1-3.11-32)

BONHEUR Tenté au bonheur ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Mercredi des Cendres (Mt 6, 1-6.16-18)


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L’ère du bonheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Tous les saints (Mt 5, 1-12a) L’autoroute du bonheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Trinité (Jn 16, 12-15) Les défis divins ou la quête du bonheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 6e dimanche (Lc 6, 17.20-26)

DIEU Le rêve de Dieu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Nativité du Seigneur – nuit (Lc 2, 1-14) C’est si simple de prier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 17e dimanche (Lc 11, 1-13) Prier, c’est être avec Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 Sainte Famille (Lc 2, 41-52) La voix de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 4e dimanche de Pâques (Jn 10, 27-30) Respirer Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 3e dimanche de Pâques (Jn 21, 1-19) L’unité en Dieu dans l’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 7e dimanche de Pâques (Jn 17, 20-26) Le retrait de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 19e dimanche (Lc 12, 32-48) La toute-puissance de douceur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 2e dimanche de Carême (Ph 3, 17-4, 1 ; Lc 9, 28b-36) La folie de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Dédicace de la basilique du Latran (Jn 2, 13-22) Notre crèche intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Épiphanie (Mt 2, 1-12) Jésus s’en vient chez moi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 31e dimanche (Lc 19, 1-10) Je suis en toi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 La Croix glorieuse (Jn 3, 13-17)

ESPÉRANCE Dieu ne raccroche jamais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Transfiguration du Seigneur (Lc 9, 28b-36) Ne perdons jamais l’espoir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 Christ, Roi de l’univers (Lc 23, 35-43)


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Dieu ne se lasse jamais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 24e dimanche (Lc 15, 1-32) La deuxième projection du film de sa vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 11e dimanche (Lc 7, 36 – 8, 3) Il y a toujours une deuxième chance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 7e dimanche ordinaire (Lc 6, 27-38) L’informatique du pardon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Sacré-Cœur (Lc 15, 3-7)

ESPRIT L’agitateur d’air . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 16e dimanche (Lc 10, 38-42) Les signes de l’Esprit. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Pentecôte (Jn 20, 19-23) Doués de l’Esprit de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 Vigile pascale (Jn 20, 1-9) L’Esprit est à l’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Jeudi saint (Jn 13, 1-15) Au plus intime de mon intimité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Ascension (Lc 24, 46-53) Le jardin secret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Sainte Marie, Mère de Dieu (Lc 2, 16-21)

FAUX-SEMBLANT Rendons grâce à Dieu pour les faux soucis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 1er dimanche de l’Avent (Lc 21, 25-28.34-36) Les « bons conseils » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Saint-Sacrement (Lc 9, 11b-17) Les « ont été » entêtés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 12e dimanche (Lc 9, 18-24)

FOI Le sens premier de notre humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 1er dimanche de Carême (Lc 4, 1-13) Invités à être sauvés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 2e dimanche de l’Avent (Lc 3, 1-6) Eveilleurs de foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 9e dimanche (Lc 7, 1-10)


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Le doute de la foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 2e dimanche de Pâques (Jn 20, 19-31) Footballeur de foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 14e dimanche (Lc 10, 1-12.17-20) Le bonheur de croire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Assomption de la Vierge Marie (Lc 1, 39-56) Le chemin de la foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 23e dimanche (Lc 14, 25-33)

FRAGILITÉS L’injustice de la souffrance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 10e dimanche (Lc 7, 11-17) Nos violences intérieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 5e dimanche de Carême (Jn 8, 1-11) Les lézardes intérieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 20e dimanche (Lc 12, 49-53) La solitude est la lèpre de notre société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 28e dimanche (Lc 18, 1-8)

HUMANITÉ Chaque être est unique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 3e dimanche (Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21) Humains à la mode de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 6e dimanche de Pâques (Jn 14, 23-29) Quels sont mes dons ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 2e dimanche (Jn 2, 1-11) L’art de l’humilité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 22e dimanche (Lc 14, 1a.7-14)

MORT Des êtres résurrectionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 Jour de Pâques (Jn 20, 1-9) Les morts sont les grands vivants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 32e dimanche (Lc 20, 27-32) La foi en l’Au-delà . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 Commémoration de tous les fidèles défunts (Lc 24, 13-26)


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VIE Musicien de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 33e dimanche (Lc 21, 5-19) Le mystère de l’océan ou les profondeurs de la vie . . . . . . . . . . . . . 175 29e dimanche (Lc 18, 1-8) Le plongeon dans la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 13e dimanche (Lc 9, 51-62) Ajouter de la vie au temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 3e dimanche de Carême (Lc 13, 1-9) Vivre une vie vivante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 Baptême du Seigneur (Lc 3, 15-16.21-22) Plonger dans sa vie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 Nativité du Seigneur – jour (Jn 1, 1-18) Changer de vie ou changer sa vie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 3e dimanche de l’Avent (Lc 3, 10-18) La vie se vit : château ou hutte ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 21e dimanche (Lc 13, 22-30) Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193 Table des dimanches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199


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Table des dimanches 1er dimanche de l’Avent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 2e dimanche de l’Avent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 3e dimanche de l’Avent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 4e dimanche de l’Avent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Nativité du Seigneur (nuit) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Nativité du Seigneur (jour) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 Sainte Famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 Sainte Marie, Mère de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Épiphanie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Baptême du Seigneur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 2e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 3e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 4e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Présentation du Seigneur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 5e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 6e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 7e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Mercredi des Cendres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 1er dimanche de Carême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 2e dimanche de Carême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 3e dimanche de Carême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 4e dimanche de Carême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 5e dimanche de Carême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 [Dimanche des Rameaux et de la Passion (pas d’homélie)] Jeudi saint . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Vigile pascale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 Jour de Pâques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 2e dimanche de Pâques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 3e dimanche de Pâques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 4e dimanche de Pâques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 5e dimanche de Pâques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23


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FRAGMENTS DE BONHEUR

6e dimanche de Pâques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Ascension. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 7e dimanche de Pâques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Pentecôte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Trinité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Saint-Sacrement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Sacré-Cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 8e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 9e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 10e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 11e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 12e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 13e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 14e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 15e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 16e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 17e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 18e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Transfiguration du Seigneur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 19e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Assomption de la Vierge Marie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 20e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 21e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 22e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 23e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 La Croix glorieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 24e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 25e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 26e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 27e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 28e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 29e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 30e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Tous les saints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Commémoration de tous les fidèles défunts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 31e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Dédicace de la basilique du Latran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74


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TABLE DES MATIÈRES

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32e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 33e dimanche ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 Christ, Roi de l’univers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88


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