Jules Monchanin
TOUT RÉUNIR DANS LE CHRIST Testament de Rabat
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Jules Monchanin
Tout réunir dans le Christ Testament de Rabat Édition et introduction par Yann Vagneux
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L’Autre et les autres, 19 Une collection dirigée par Jacques Scheuer s.j.
© 2016 Éditions jésuites Belgique : 7, rue Blondeau, 5000 Namur France : 14, rue d’Assas, 75006 Paris www.editionsjesuites.com ISBN 978-2-87299-296-6 DL 2016/4255/15
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INTRODUCTION À Zoulika et à ceux qui veillent en terre d’islam, aux filles spirituelles de Mère Véronique. Y. V.
Début janvier 1947. Avant de repartir vers l’Inde, au terme d’un bref retour en France, l’abbé Monchanin traverse la Méditerranée pour visiter une dernière fois quelques-unes de ses « filles spirituelles » dont il a accompagné la naissance de la vocation en terre d’islam. Le prêtre ne les a pas revues depuis quatorze ans. Nous sommes dans l’octave de l’Épiphanie et, tel un mage, Monchanin arrive désormais des contrées d’Orient. Les sept années écoulées en Inde lui ont donné d’incarner la vocation pour laquelle il a quitté « ce Lyon des années 30, si riche de maîtres et d’éveilleurs d’âmes, extraordinaire carrefour des cultures d’Europe et d’Asie » dans lequel il « a joué pour beaucoup un rôle unique de catalyseur et de révélateur1 ». 1. Témoignage d’Irénée-Henri Dalmais. Cf. Collectif, L’abbé Jules Monchanin, Casterman, Paris, 1960, p. 63.
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Trois jours durant, il va demeurer dans le couvent des clarisses dont sa dirigée est abbesse, recevant d’elles amitié et compréhension et leur prodiguant, en retour, sa parole tant attendue.
Lors du premier parloir, derrière la clôture, Monchanin parle de sa vie en Inde parmi les paysans du Pays Tamoul empêtrés dans leurs conflits de castes. Pour Mère Véronique et sa prieure, sœur Christilla2, qui l’avaient connu durant les années lyonnaises où tous s’arrachaient le conférencier brillant, le contraste pouvait sembler déroutant. Pourtant, la même passion de l’intelligence brûle encore en ce prêtre et le récit du quotidien indien fait vite place à des considérations sur le gouffre séparant hindouisme et christianisme. Puis la pensée s’élève vers la fascination sans cesse accrue pour la nouveauté trinitaire et, de là, elle devient un émerveillement spacieux devant la mission de l’Église appelée à la plénitude du Christ. Il semblerait même que l’étroitesse de la vie d’obscur vicaire en Inde ait dilaté davantage la compréhension 2. Sœur Christilla (Henriette Couty) était une autre dirigée lyonnaise de Monchanin, qu’il avait envoyée à Rabat en 1938 pour rejoindre Mère Véronique dont nous reparlerons plus loin. Cf. n. 28, p. 87.
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que Monchanin se faisait du Mystère révélé. Quelques décennies plus tard, Mère Véronique rapporta une autre parole confiée en ces journées : « Je dois m’excuser de ne pas vous avoir assez fait toucher l’Église, comprendre l’Église. Il faut être aux Indes pour savoir ce qu’est l’Église. Ceux qui sont en Europe et qui en vivent, ne savent pas le bien, le trésor de ce qu’ils ont. Il faut être loin pour savoir3. » Le jour suivant, avec la permission de l’évêque, celui que les sœurs appellent affectueusement le swâmi (maître spirituel) peut entrer en clôture et une nouvelle proximité s’instaure. Monchanin livre généreusement la vision qui l’habite depuis des années et dans laquelle théologie, philosophie et mystique sont inséparablement liées. À ces religieuses chrétiennes veillant au cœur de l’islam, il parle de leurs vocations tout à la fois missionnaires et contemplatives — vocations de substitution et de co-rédemption envers les peuples auxquels elles sont consacrées. Ismaël, aimé depuis toujours comme un épi ajouté à celui de l’Inde, est décrit dans sa vocation unique de Chérubin dont l’épée gardera à jamais la Transcendance divine. C’est ce « sur-islam4 » que les 3. J. Monchanin cité par Mère Veronique, Conférence inédite sur le swâmi du 26 août 1974. 4. Nous aurons l’occasion, dans les pages qui suivront, de détailler avec plus de précision la conception que Monchanin
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sœurs sont appelées à préfigurer dans l’espérance et de façon pleinement catholique, en assumant, purifiant et transfigurant tous les dons que l’Esprit fit à cette insigne civilisation née dans les déserts d’Arabie. Puis, vient le temps des adieux. Le prêtre est à l’autel, dans le chœur, entouré par la prière des clarisses et se tournant vers l’Orient. Paroles, rite et vie deviennent un dans le mystère du grand départ que l’eucharistie accomplit et où « la tristesse du Vendredi saint est transsubstantiée en la joie pascale ». Tout se condense, comme dans un testament, en une véritable effusion de l’Esprit qui est « le Feu, la brûlure, la calcination dévoratrice ». C’est à ce même Esprit que le prêtre livre ces femmes qu’il ne reverra jamais, sachant que, pour lui aussi, il est bon qu’il s’en aille (Jn 16, 7). Mais avant d’entrer dans le silence, il offre une dernière confidence : « La valeur d’une vie, c’est son poids d’adoration. » Désormais, il n’est plus besoin de paroles, car, dans la lumière des Trois, tous sont devenus intérieurs les uns aux autres. Seule importe la consommation ultime dans « la fidélité à la marche monotone en un désert calciné5 ». se faisait du « sur-islam », c’est-à-dire de la transfiguration christique de l’islam. Cf. infra, n. 2, p. 76. 5. J. Monchanin, « La spiritualité du désert », De l’esthétique à la mystique, Casterman, Paris, 1967, p. 133.
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Tel est le triptyque que nous livrons en ces pages restées jusqu’à présent largement inédites6. Elles offrent pourtant une magnifique vue d’ensemble sur la pensée de l’abbé Monchanin dix ans avant sa mort en 1957 et à l’aube de la fondation indienne, en 1950, du Shântivanam Ashram en compagnie du bénédictin breton, dom Henri Le Saux (1910-1973). Pour mettre ces textes en perspective avec d’autres développements, nous les avons annotés, faisant référence à de plus longues études7. Par delà ce que le temps a pu rendre obsolète dans telle ou telle considération théologique, le lecteur retrouvera ici tout le souffle puissant de l’admirable génération des années 1930, qui, en des figures comme Monchanin, de Lubac, Daniélou mais aussi Teilhard de Chardin, Massignon, Mounier et bien d’autres encore, prépara, à Lyon et en 6. Seule la première de ces causeries fut publiée sous le titre « Un itinéraire personnel et un dessein missionnaire ». Cf. J. Monchanin, Théologie et spiritualité missionnaires, Beauchesne, Paris, 1985, p. 27-38. Nous remercions Jean-Étienne Mittlemann, directeur de Beauchesne, de nous avoir autorisés à la reproduire. 7. Nous nous reporterons en particulier à notre Co-esse : le mystère trinitaire dans la pensée de Jules Monchanin, Desclée de Brouwer, Paris, 2015. Il s’agit de la première monographie systématique sur la pensée théologique, philosophique et indologique de l’abbé Monchanin. Les trois entretiens de Rabat publiés ici pourront servir de première approche à l’univers monchanien.
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France, les avancées déterminantes du concile Vatican II — avancées qui, par bien des aspects, restent encore prophétiquement inachevées. Surtout, ces paroles, reprises fidèlement par les clarisses de Rabat8, donneront de vérifier la justesse de ce qu’Henri de Lubac disait à Mère Véronique en 1942 : « Si la France et l’Europe avaient connu ce qu’était le P. Monchanin, on ne l’aurait jamais laissé partir aux Indes parce que nous avons peut-être deux ou trois intelligences de cette valeur, de cette capacité, par génération, et nous en avions tant besoin. » Yann Vagneux Bénarès, ‘Idul-Adhā 2015. Nota bene : Pour plus de commodité de lecture, les notes de Yann Vagneux sur le texte de Jules Monchanin sont reportées en fin de volume.
8. Il ne nous est parvenu que des pages dactylographiées de ces trois entretiens. Elles furent transmises par Mère Véronique et conservées aux Archives municipales de Lyon. Sans doute, comme à son habitude, Monchanin n’avait-il rien écrit, hormis peut-être les paroles prononcées au terme de la messe du 15 janvier 1947. Cependant, nous pouvons être certains que les clarisses en firent une retranscription aussi fidèle que possible.
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I PAROLES DU SWÂMI À LA COMMUNAUTÉ 13 janvier 1947
L’émotion, la joie de vous retrouver. Je ne dis pas trouver, mais retrouver. Vous n’étiez pas pour moi des inconnues, depuis longtemps je vous portais dans ma prière1. En vous voyant ici, j’ai l’impression de quelque chose qu’on retrouve, un esprit. L’entretien de ce soir sera une sorte de témoignage. Le moi est haïssable. Mais je sais que vous désirez savoir ce que j’ai fait, d’où je viens. Aussi, très simplement, comme un frère à ses sœurs, je vais essayer de vous dire ce que j’ai fait… ou ce que je n’ai pas fait aux Indes. En gros, je suis là-bas depuis 1939. (Je suis parti le 5 mai 1939.) Un peu plus de sept ans. Le 13 août 1946, je m’embarquais avec mon évêque pour l’Europe2. Une période de sept ans, cela permet de faire le point : assez longue pour faire le point — pas assez
En lecture partielle‌
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction, par Yann Vagneux ..........................
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I. Paroles du swâmi à la communauté (13 janvier 1947) ............................................................ II. Paroles du swâmi à la communauté (14 janvier 1947) ............................................................ III. Adieux du swâmi à la messe (15 janvier 1947)
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Notes ........................................................................
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du même auteur De l’esthétique à la mystique, Casterman, 1955, rééd. 1967. Ermites du Saccidananda : un essai d’intégration chrétienne de la tradition monastique de l’Inde (avec H. Le Saux), Casterman, 1956. Écrits spirituels, Le Centurion, 1965. Mystique de l’Inde, mystère chrétien, Fayard, 1974 ; Fata Morgana, 1999. Théologie et spiritualité missionnaires, Beauchesne, 1985. Lettres à sa mère (1913-1957), Cerf, 1989. Lettres au père Le Saux (1947-1957), Cerf, 1995. sur monchanin Jacques-Guy Petit, La jeunesse de Monchanin, Beauchesne, 1983. Françoise Jacquin, Jules Monchanin, prêtre (1895-1957), Cerf, 1996. —, Jules Monchanin : à l’écoute d’un prophète contemporain, Parole et silence, Les Plans-sur-Bex, 1996. —, Une amitié sacerdotale. Jules Monchanin, Édouard Duperray (1919-1990), Lessius, Bruxelles, 2003. Yann Vagneux, Co-esse : le mystère trinitaire dans la pensée de Jules Monchanin swâmi Paramârûbyânanda (18951957), Desclée de Brouwer, Paris, 2015.
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dans la même collection Michel Remaud, Chrétiens et juifs entre le passé et l’avenir, préface de Jean Dujardin, 2000, 164 p. Paul Detienne, Kolkata. Calcutta revisitée, présentation par Jacques Dupuis, 2001, 280 p. Jean-Louis Ska, Abraham et ses hôtes. Le patriarche et les croyants au Dieu unique, 2001, 152 p. Nicolas Standaert, L’« autre » dans la mission. Leçons à partir de la Chine, 2003, 136 p. Francis X. Clooney, Sagesse hindoue pour qui cherche Dieu, 2004, 200 p. Yves Lenoir et Nicolas Standaert (éds), Les danses rituelles chinoises d’après Joseph-Marie Amiot. Aux sources de l’ethnochorégraphie, ouvrage réalisé en coédition avec les Presses universitaires de Namur, 2005, 326 p. Benoît Standaert, L’espace Jésus. La foi pascale dans l’espace des religions, 2005, 376 p. Isabelle Chareire et Christian Salenson (dirs), Le dialogue des Écritures, 2007, 314 p. David Meyer (dir.), Yves Simoens et Soheib Bencheikh, Les Versets douloureux. Bible, Évangile et Coran entre conflit et dialogue, préface d’Alexandre Adler, interview finale par Jacques Scheuer, 2007, 208 p. David Meyer, La Vie hors la loi. Est-il permis de sauver une vie ?, suivi de Résonances évangéliques par Jean Radermakers, 2008, 176 p.
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Jacques Scheuer, Un chrétien dans les pas du Bouddha, 2009, 208 p. David Meyer, Jean-Marie de Bourqueney, Le Minimum humain. Réflexions juive et chrétienne sur les valeurs universelles et sur le lien social, préface d’Amin Maalouf, débat avec Farid El Asri et Paul Danblon, 2010, 224 p. Moshé Idel, Bernard McGinn (dirs), L’union mystique dans le judaïsme, le christianisme et l’islam. Recherches transversales, 2011, 280 p. David Meyer, Croyances rebelles. Fackenheim, Rubenstein et Berkovits : théologies juives et survie du peuple juif au crépuscule de la Shoah, préface de Serge Klarsfeld, 2011, 352 p. David Meyer, Michel Remaud et Tareq Oubrou, La vocation de la Terre sainte. Un juif, un chrétien, un musulman s’interrogent, préface de Bernard Philippe, 2014, 320 p. Carrin Dunne, Quand Bouddha rencontre Jésus. Six conversations, 2015, 104 p. Jacques Scheuer, Thomas Merton. Un veilleur à l’Orient, 2015, 120 p. Mohamed Aziz Lahbabi, La personne en Islam. Liberté et témoignage, 2015, 136 p.
Imprimé en Belgique Juin 2016
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Jules MONCHANIN (1895-1957), prêtre catholique originaire de Lyon, proche entre autres d’Henri de Lubac, part en 1939 en Inde oÚ il fonda avec Henri Le Saux un ashram dÊdiÊ à la rencontre du christianisme et de l’hindouisme. Son influence fut et reste considÊrable. L’Êditeur de ces textes, Yann VAGNEUX, des Missions Étrangères de Paris, est, avec Françoise Jacquin, l’un des meilleurs spÊcialistes de l’œuvre de Monchanin. Il vit à BÊnarès. ISBN : 978-2-87299-296-6
9 782872 992966
Collection L’Autre et les autres 8₏
www.editionsjesuites.com
En couverture : Jules Monchanin en Inde, en 1952.
ĂŠbut janvier 1947. Avant de repartir vers l’Inde, au terme d’un bref retour en France, l’abbĂŠ Monchanin traverse la MĂŠditerranĂŠe pour visiter une dernière fois quelques-unes de ses ÂŤ ďŹ lles spirituelles Âť dont il a accompagnĂŠ la vocation en terre d’islam. La première ĂŠtape du voyage est Ă Souissi, dans la banlieue de Rabat au Maroc, oĂš l’attend Mère VĂŠronique de la Sainte-Face, clarisse, qui demande Ă son directeur spirituel de s’adresser Ă sa communautĂŠ. Ce sont ces causeries que nous reproduisons ici. Elles orent une magniďŹ que vue d’ensemble sur la vie et sur la pensĂŠe de l’abbĂŠ Monchanin dix ans avant sa mort et Ă l’aube de la fondation indienne, en 1950, de l’ashram du Shântivanam.