Christophe Langlois
NI LE JOUR NI LA NUIT
Face à Guernica de Picasso
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Christophe Langlois
Ni le jour ni la nuit Face à Guernica de Picasso
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Au singulier, 32 Une collection dirigée par Robert Myle s.j. (†) et Annie Wellens
Du même auteur : Chez Lessius : La dictature du partage. Éloge de l’incommunicable, 2015 (essai). Chez d’autres éditeurs : Boire la tasse, L’Arbre vengeur, 2011 (nouvelles). Finir en beauté, L’Arbre vengeur, 2014 (nouvelles). L’amour de longs détours, Gallimard, 2014 (poésie). Dieu en automne : Paris, septembre 1792, Le Cerf, 2017 (roman, à paraître).
© 2017 Éditions jésuites Belgique : 7, rue Blondeau, 5000 Namur France : 14, rue d’Assas, 75006 Paris www.editionsjesuites.com ISBN 978-2-87299-316-1 DL 2017/4255/3
Pablo Picasso, Guernica, huile sur toile, 349,3 × 776,6 cm, 1937, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía (Madrid) [DE00050].
© Succession Picasso - Sabam, 2017
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LE DERNIER SOIR
Il ne fait pas bon. Novembre, la mauvaise saison, moment où l’année s’aiguise de froid et de fatigue. À mes yeux d’enfant, ça ne paraissait pourtant pas une période si noire. J’y puisais de larges parts de joie : les gelées à ma vitre, le noyau insensé du feu, le silence glougloutant des radiateurs. Cette protection me ravissait. Les maisons peuvent cela. Mais arrive un moment, avec toute la violence d’un choc, et avec les années aussi, sans qu’il soit toujours possible de déterminer ni à quel âge nous y sommes sensibles, ni si la seule actualité d’un désastre y suffit, où nous pouvons nourrir le sentiment d’être les victimes de nos propres choix, les spectateurs impuissants d’un jeu que nous n’avons pas osé, les curieux ouvriers de notre perte. Même si nous savons que dire cela, c’est céder à l’épuisement devant l’épouvante, et qu’il faudrait se
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Le dernier soir
défendre de pareil découragement. Car cette vision n’est pas entièrement juste. Nous avons fait ce qu’il fallait… Et nous nous relevons encore. Seulement, les forces qui ont présidé aux premiers choix d’une vie comme d’une civilisation peuvent paraître s’estomper. Les réelles occasions de fierté ont beaucoup tardé, voilà que les personnes, comme les pays, semblent formées, placées, mais ne portent plus la conviction fondatrice qui les animait. Il semble alors qu’on ne trouve plus partout que les figures répétées d’une certaine hébétude, de la violence retournée, de la suffisance des intelligences dépassées, et une espèce de tautologie effrayante. Cette impression personnelle trouve un écho particulièrement tragique dans la vie publique récente, dans les événements extérieurs, qui se chargent malheureusement de la confirmer, et qu’un effroi sacré m’empêche de nommer ici plus précisément. Ce peut être le cas lorsque commence une guerre. De quelque manière qu’elle commence, elle se nourrit de notre anéantissement intime, où qu’il se soit niché, où qu’il ait déjà prise sur nous. L’immense fatigue de l’Occident de n’avoir que soi à défendre en pure perte relève d’un nihilisme qui
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a sa part cynique de fierté : nous professons par bravade ne croire en rien lorsque nous sommes attaqués brutalement par les ravageurs, et c’est un beau mouvement sur le coup. Eux n’ont pas craint de piétiner cette vie et de nous montrer leurs mufles au nom de croyances mutilées, ils nous font reconnaître par leur acte la suprématie de cette insolence-là. Elle nous va bien. Elle est encore dans nos regards la marque d’un sens supérieur de la totalité, et même ceux qui croient ont plaisir à soutenir cette incroyance-là, tant elle est Gavroche et ingénue. Là où pour les victimes ce fut le dernier soir, ce genre de pied de nez de ceux qui aiment la vie n’a pas de prix. Pourtant nous ne saurions nous en tenir à cette seule formule. Nous serions en passe de trahir ce dernier soir si nous n’y mettions pas aussi certaines forces au-dessus de notre quotidien, et peu employées jusqu’ici, dont une passion folle pour la dérision n’est malheureusement pas seule capable de s’emparer. Et déjà, nous le faisons, certes… Mais regardons bien : il y a fort à craindre que cette désinvolture crâne ne soit pas longue en bouche, qu’elle ne s’achève pas sur une forme durable, qu’elle ne structure pas notre comportement de manière complète. C’est encore
En lecture partielle‌
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TABLE DES MATIÈRES
Le dernier soir.......................................................... Désespérante nouveauté du mal .......................... Accusation du bord brisé de la broierie .............. Deuil de la raison .................................................... Ni le jour ni la nuit..................................................
7 13 27 49 65
Table des matières ..................................................
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Les clichés sont issus des deux bases en ligne : - p. 5 et 30 : © Centro de Arte Reina Sofía : www.museoreinasofia.es - p. 51 et 75 : © RMN : www.photo.rmn.fr
Imprimé en Belgique Mars 2017
Christophe LANGLOIS est Êcrivain, auteur de nouvelles (Êd. L’Arbre vengeur) et de poèmes (Gallimard). Il a publiÊ un essai chez Lessius : La dictature du partage : Êloge de l’incommunicable (2015).
ISBN : 978-2-87299-316-1
9 782872 993161
Collection Au singulier 10 â‚Ź
www.editionsjesuites.com
Pablo Picasso, Guernica 04-06-1937, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid (Espagne), Š SABAM. Photo : Š Elliott Erwitt/Magnum Photos
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n jour, un tableau survient dans notre vie : il est d’une prÊsence insupportable. Comment se comporter face à cela ? Le fameux tableau de Picasso peut nous conduire à rÊpondre. En participant de tout notre être, en regardant à notre tour, non seulement chacun de ses dÊtails, mais en nous, pour voir se manifester toutes les dimensions du drame. C’est à une exploration que nous sommes conviÊs. Quelle accusation retentit alors avec Guernica, qui ne peut plus se taire, ni le jour ni la nuit ?