Christoph Böttigheimer, René Dausner, Mathijs Lamberigts, Gilles Routhier, Pedro Rubens Ferreira Oliveira et Christoph Theobald (dir.)
50 ans après le Concile, quelles tâches pour la théologie ?
théologie
donner raison
Diagnostics et délibérations de théologiens du monde entier
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page1
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page2
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page3
Christoph BÖTTIGHEIMER, René DAUSNER, Mathijs LAMBERIGTS, Gilles ROUTHIER, Pedro Rubens FERREIRA OLIVEIRA et Christoph THEOBALD (dir.)
50 ans après le Concile, quelles tâches pour la théologie? Diagnostics et délibérations de théologiens du monde entier Déclarations et documents des deux Congrès internationaux de Munich (6 au 8 décembre 2015) et de Paris (13 au 15 avril 2015) Préface de Christoph Theobald
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page4
Donner raison – théologie, 62 Une collection dirigée par Hubert Jacobs s.j. et Robert Scholtus
© 2017 Éditions jésuites 7, rue Blondeau, 5000 Namur (Belgique) 14, rue d’Assas, 75006 Paris (France) www.editionsjesuites.com ISBN : 978-2-87299-327-7 DL : 2017/4255/21
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page5
PRÉFACE
« Il faut un siècle pour absorber un concile ; nous en sommes à la moitié », a déclaré de façon lapidaire le pape François en novembre 2016 à un journal italien. Cette reconnaissance officielle d’une dynamique de réception inachevée est sans aucun doute un des fruits majeurs de la célébration du cinquantième anniversaire du concile Vatican II (1962-1965). Tandis que certains avaient œuvré, ces dernières décennies, pour limiter au maximum son autorité en arguant de sa finalité pastorale, d’autres ont été conduits à penser que la distance historique et culturelle qui nous en sépare est telle, surtout pour les chrétiens d’autres sphères culturelles qu’euro-méditerranéennes, que nous sommes désormais obligés de nous donner de nouvelles références si nous voulons encore, pour la foi et la vie des Églises, maintenir un avenir commun et catholique au sein de nos sociétés post-modernes et mondialisées. Or, loin du grand public, certes attentif aux transformations suscitées par le pape François depuis son élection en mars 2013, mais (trop) peu averti du travail intellectuel qui s’est accompli dans les coulisses pendant cette période, des processus de délibération intercontinentale ont en effet eu lieu, processus qui ont renforcé la communauté théologienne mondiale. Disons que celle-ci existe depuis longtemps de manière dispersée dans les différents domaines de la théologie, les disciplines bibliques et historiques, systématiques, éthiques et pratiques, et sur le plan de la fédération des Universités et Facultés catholiques de théologie. Mais rarement s’est manifestée
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page6
6
Préface
une telle synergie interdisciplinaire, collectivement soucieuse du présent et de l’avenir du christianisme et des Églises sur notre globe bouleversé par une gigantesque mutation culturelle. La revue Concilium a été fondée à cette fin en 1965 par les experts théologiens du Concile, désireux de poursuivre ensemble le travail commencé. Cependant cette publication a été rapidement entraînée dans les conflits postconciliaires et est devenue la marque d’un courant théologique, opposé à celui de la revue Communio. Entre 2012 et 2015, cinq grands congrès intercontinentaux ont eu lieu qui ont progressivement dessiné un nouveau paysage. Le coup d’envoi fut donné en 2012 à Modena (Italie) où fut établi un bilan des recherches depuis la parution de la première Histoire du concile Vatican II (1995-2001), dirigée par Giuseppe Alberigo et par l’Istituto per le scienze religiose de Bologne. En 2013 a suivi un grand congrès international à Bangalore, « Revisiting Vatican II – Fifty years of Renewal », avec de nombreux représentants des grandes facultés et instituts de recherche, venus des cinq continents. En 2014 a eu lieu le colloque international du Boston College, intitulé « The legacy of Vatican II », et en avril 2015 celui de Paris, « Vatican II : Événement historique – Enjeu pour aujourd’hui. L’Évangile au risque des cultures ». Cette série impressionnante fut achevée à Munich, du 6 au 8 décembre de la même année, jour pour jour cinquante ans après la clôture du Concile à Rome. Un net déplacement s’est produit lors de ces grandes rencontres intercontinentales, moins sur les contenus (encore qu’il faille rester attentif à certaines évolutions et différences d’appréciation) que sur la forme : partis du style classique des colloques universitaires avec leur lot de conférences et de communications, on s’est progressivement orienté vers un style plus délibératif, marqué en particulier par des déclarations finales. Les deux colloques de Paris et de Munich en ont promulgué une. Seul celui de Paris s’est déroulé selon un « schéma » conciliaire, s’appuyant sur des commissions internationales, un précolloque, la rédaction de textes préparatoires, leur amendement et leur adoption ayant lieu lors de l’ultime rencontre à Paris. C’est cette proximité dans la forme qui nous a motivés pour éditer ces deux textes, la déclaration finale de Munich avec ses commentaires, d’un côté, et les cinq documents et la déclaration finale de Paris
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page7
Préface
7
(50 ans après le concile Vatican II, des théologiens du monde délibèrent), de l’autre, dans un unique volume, espérant qu’ils aideront le lecteur à réaliser ce qui, dans la réception de Vatican II, peut être considéré comme étant désormais acquis au sein d’une communauté théologienne internationale et quels sont les interrogations et chantiers d’avenir que celle-ci perçoit. Certes, une comparaison détaillée entre ces deux ensembles (que cette préface ne peut fournir) s’avérera intéressante. Mais plus important encore est de rendre possible des processus de délibération analogues, les Églises et leur magistère pastoral ne pouvant pas se passer d’expertises interdisciplinaires et acquises collectivement, grâce à celles et ceux qui exercent un magisterium théologique. Sans doute y a-t-il là un phénomène nouveau, lié aux ruptures de traditions, observées par les anthropologues. Nous en prenons progressivement conscience, le « bon sens » ou le « sens de la foi des fidèles » étant nécessaire mais insuffisant pour rendre — humainement parlant — l’avenir de la tradition de la foi possible. L’intelligence collective, y compris en sa forme universitaire, en est une condition décisive. On peut espérer que l’Esprit Saint, invoqué grâce au cadre liturgique donné aux rencontres de Paris et de Munich, continue à assister l’Église et la théologie dans l’exercice de leur ministère prophétique, aussi au xxie siècle. Christoph Theobald s.j.
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page8
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page9
Première partie « OUVRIR » LE CONCILE réflexions sur la théologie et l’église, 50 ans après le concile vatican ii Déclarations finales des congrès théologiques internationaux de Munich 2015 Sous la direction de Christoph Böttigheimer et René Dausner avec Franz Xaver Bischof, Marianne Heimbach-Steins, Peter Hünermann, Benedikt Kranemann, Johanna Rahner, Joachim Schmiedl, Josef Wohlmuth
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page10
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page11
INTRODUCTION
Le 8 décembre 1965 fut solennellement proclamée la clôture du concile Vatican II. Cinquante ans plus tard, sa réception est encore loin d’être terminée. Il est vrai toutefois qu’elle entre dans une nouvelle phase. Jusqu’au changement de pontife en 2013, la discussion sur l’herméneutique du corpus des textes battait son plein. Certains interprètes isolés jugeaient d’importance très secondaire la question du caractère contraignant du concile pastoral, et l’esprit du Concile était souvent interprété de façons divergentes. Cependant, les multiples congrès et publications théologiques des années 2012 à 2015 ont clairement montré que la très grande majorité des théologiennes et théologiens considèrent le concile Vatican II comme une orientation historique de l’Église, comme un don de l’Esprit Saint. Du fait cependant des mutations et transformations qui se sont produites au cours de ces cinquante dernières années dans les domaines politique, social, économique, technique, etc., et que le Concile ne pouvait pas encore envisager, le défi actuel, pour la théologie et l’Église, est de mieux dégager les grandes lignes théologiques du concile Vatican II pour rechercher, à leur lumière, des réponses tournées vers l’avenir. C’est dans ce contexte qu’il convient de considérer le titre du Congrès international qui s’est tenu du 6 au 8 décembre 2015 — donc tout à la fin du jubilé du cinquantenaire du Concile — à l’Académie catholique de Bavière : « Ouvrir le Concile » ; ce titre paraît provocant et offensif. L’idée de ce congrès n’était pas d’exploiter tout le corpus
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page12
12
Réflexions sur la théologie et l’Église
de textes du concile Vatican II d’une manière radicalement nouvelle ni de découvrir de nouveaux aspects qu’on ne trouverait encore dans aucun des commentaires sur le Concile. Cette « ouverture » fut considérée dans une perspective d’avenir, et ce, à deux égards. D’une part, le concile Vatican II a esquissé, pour la théologie et les instances dirigeantes de l’Église, des tâches qui, certes, ont été abordées au cours de ces cinquante dernières années, mais qu’on ne saurait aucunement considérer comme secondaires ou réglées. Ainsi, des questions telles que celles-ci continuent à être sources de discussions et controverses : • Quelles sont les relations entre Église universelle et Églises locales, et quelles implications en découle-t-il pour le statut théologique des conférences épiscopales nationales ? • Comment le Primat, qui fut enseigné au Ier concile du Vatican, peut-il s’intégrer dans une ecclésiologie de communion, et quelles sont les ouvertures et conséquences œcuméniques qui en découlent ? • Quelle est la relation théologique entre l’Église catholique et les autres religions non chrétiennes ? • Quelles peuvent être les marges de manœuvre pour une théologie contextuelle sur la base d’une conception dialogique de la Révélation ? Il ne serait guère difficile d’allonger cette liste. Toutes ces questions ont été posées par le Concile lui-même, mais elles débouchent aujourd’hui dans des espaces définis par les discussions et les travaux de ces cinquante dernières années ainsi que par des transformations, événements et processus que le Concile ne pouvait encore absolument pas imaginer. D’autre part, le Concile lui-même s’est, pour la première fois, ouvert à une série de réalités qui n’avaient jamais été sérieusement prises en considération auparavant. Par exemple, le Concile s’est ouvert au monde moderne et a cherché le dialogue avec lui ; il s’est ouvert au mouvement œcuménique et y a consenti ; il s’est montré ouvert à d’autres religions non chrétiennes, il a manifesté son estime théologique pour elles et a recherché l’échange avec elles ; il a repris à son compte l’héritage des Lumières en Europe et a rédigé une déclaration sur la liberté de religion. Ces multiples ouvertures
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page13
Introduction
13
étaient d’ordre programmatique. Du fait des expériences vécues depuis lors et de l’évolution de la situation historique, un certain nombre de questions se posent aujourd’hui, et notamment : • Le Concile ayant confessé la liberté de conscience et de religion, quelles en sont les conséquences pour la conception que l’Église a de la liberté, pour ses propres structures ainsi que pour ses relations avec la culture moderne de liberté ? • À partir de l’affirmation de la mission prophétique de tout le peuple de Dieu et du sensus fidei de tous les fidèles, dans quelle mesure les structures synodales et collégiales appartiennent-elles essentiellement à la vie de l’Église de façon à ce que soit garantie la participation de tous et toutes aux décisions et aux discussions ? • Quelle place donner théologiquement, dans le dialogue avec le monde et avec d’autres religions non chrétiennes, à la pluralité croissante dans les domaines du social, des conceptions du monde et de la religion, qui souvent dégénère en une polarité extrême et dans la propension à la violence ? • Qu’est-ce que cela apporte que le Concile ait reconnu une certaine autonomie à la science par rapport à celle de la théologie et à son rapport avec le magistère ecclésial ? Que signifie en particulier le rapport spécial entre judaïsme et christianisme pour le dialogue interreligieux ? Ici encore, il ne serait pas difficile d’allonger cette liste. La question fondamentale de ce congrès s’énonçait ainsi : Quels sont les défis qui se présentent à la théologie et à l’Église du xxie siècle lorsqu’elles recherchent délibérément le dialogue avec la société actuelle et lorsqu’elles souhaitent assumer leurs responsabilités pour la construction de l’avenir ? Le sous-titre du congrès exprime de façon brève et prégnante cette question fondamentale : « Théologie et Église à la lumière du concile Vatican II ». Ainsi, les déclarations du Concile sont, dès l’abord, postulées comme points de référence de travaux scientifiques actuels et futurs, mais en dégageant plus avant ses impulsions programmatrices et réformatrices. C’est sous cette forme qu’elles devraient être étudiées dans la perspective d’un prochain concile. Le mode de travail de ce congrès a correspondu à son thème et à sa finalité. Pour commencer a eu lieu une séance plénière avec
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page14
14
Réflexions sur la théologie et l’Église
deux exposés liminaires de fond et deux réponses sur le thème : « La réception du Concile au niveau international – État des lieux et perspectives d’avenir ». Puis douze groupes de travail ont discuté sur la base de deux à quatre condensés liminaires d’exposés soigneusement préparés, suivis d’une discussion intense. Les conclusions de ces travaux ont été présentées sous la forme de posters et d’explications verbales complétées par de brèves synthèses. La présentation de ces synthèses a été suivie par une discussion détaillée et critique en plénière, qui a constitué la base de la Déclaration du Congrès, laquelle a été rediscutée et révisée en plénière avant d’être approuvée. Dans le cadre de ce processus assez long de formulation de conclusions a eu lieu une table ronde publique à laquelle ont participé des intervenants de différents pays, après une introduction du cardinal Lehmann. Ce congrès — après une messe pontificale présidée par le cardinal Marx — s’est conclu par un dialogue plurigénérationnel sur le concile Vatican II. Il a été heureusement possible d’obtenir la collaboration et la participation de représentantes et de représentants de toutes les disciplines théologiques, ce qui a permis d’explorer aussi de manière interdisciplinaire la pertinence du Concile dans les conditions actuelles de réception. En outre, un bon nombre de spécialistes du Concile appartenant à d’autres régions linguistiques ont été invités à s’exprimer, et leurs visions respectives du Concile de l’Église mondiale une ont contribué à élargir la perspective du Congrès. Plénière inaugurale : État actuel de la réception du Concile au niveau international Ainsi que nous l’avons indiqué, le Congrès s’est ouvert par une séance plénière au cours de laquelle furent évoquées et discutées les grandes lignes de l’herméneutique du Concile à ce jour ainsi que, à ce sujet, l’état actuel de la réception du Concile au niveau international1. 1.¥Nous allons évoquer ici plus en détail les deux discussions en plénière pour pouvoir offrir dans la partie principale de cet ouvrage, avec la publication de la Déclaration finale et des commentaires faits à ce sujet, une première vue d’ensemble sur le Congrès.
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page15
Introduction
15
Massimo Faggioli, historien de l’Église et directeur de l’Université St-Thomas à Saint-Paul (Minnesota) a caractérisé la nouvelle phase de la réception du concile Vatican II à partir de ce qu’a fait le pape actuel. Pour lui, ce dernier ne considère pas « le concile Vatican II comme quelque chose qui doit être non pas réinterprété ou circonscrit, mais plutôt qui doit être complété et élargi ». Dans ce contexte, il a renvoyé notamment aux thèmes fondamentaux de la collégialité et de la synodalité, qu’il considère comme « des éléments clés pour des développements ultérieurs ». Faggioli a détaché deux éléments qui, pour lui, sont typiques de la relation du pape au concile Vatican II : 1) « Pour François, il ne s’agit pas de réparer ce qui est peut-être allé de travers au cours du Concile ou pendant la période postconciliaire, ni non plus de combler ce que le Concile a ignoré, oublié ou laissé de côté. Il s’agit de la méthode suivie par le Concile, considérée comme une méthode à employer pour l’Église aujourd’hui. François dit clairement que l’on ne peut pas abandonner la démarche théologique employée par le Concile : attention à l’histoire, appréciation de l’expérience, et une méthode inductive : la pastoralité de la doctrine. » 2) Pour Faggioli, François est le premier pape d’une Église globale : « Le choix de Jorge Mario Bergoglio est un moment clé de l’histoire de l’Église post-conciliaire dans le sens d’une globalisation du catholicisme — non pas seulement dans le sens d’une internationalisation de ses collaborateurs à Rome, mais plutôt, et tout particulièrement, pour ce qui est de la capacité d’inculturer le catholicisme dans des cultures autres que celle qui existe en Europe ». Il s’ensuit, pour Faggioli, deux défis et deux perspectives concrètes pour le travail théologique. D’une part, il ne faut pas considérer le concile Vatican II comme un paradigme théorique de théologie, mais plutôt comme un mode d’agir ; concrètement, il s’ensuit qu’il s’agit de s’approprier Gaudium et spes d’une autre manière. D’autre part, l’ecclésiologie « pastorale et agissante » du concile Vatican II n’a quasiment pas touché l’Église en tant qu’institution ; dans ce sens, la tâche concrète d’une réforme institutionnelle de l’Église par la redécouverte de la « catholicité du “développement” » (Newman) se présente désormais dans une perspective globale.
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page16
16
Réflexions sur la théologie et l’Église
Le jésuite Christoph Theobald, qui enseigne au Centre Sèvres, a complété et conforté la thèse de Faggioli d’une perspective historiquement nouvelle du Concile. Mais si Faggioli a développé cette perspective à partir du programme de Bergoglio en tant que pape, Theobald est parti d’une métaréflexion sur le concile Vatican II et de la constellation fondamentalement transformée, dans les domaines de la culture et de la politique mondiale, de l’Église et de la société depuis les années 1990. « Le concile Vatican II conçoit la dignité humaine (dignitas humana) comme un terrain commun à l’Église et à la société, et il articule toutes ses questions dans ce contexte anthropologico-éthique, et surtout la question de la foi et de sa physionomie ecclésiale, ou encore la question de son absence dans l’humanisme athée. » Pourtant, surtout depuis la chute du Mur en 1989, on ne peut plus prendre pour point de départ un humanisme intégral du fait que, « en lieu et place de la situation encore relativement homogène du monde dans lequel s’inscrivaient les textes du Concile, […] s’est [imposé] un pluralisme radical des cultures, avec la relativisation de toutes nos convictions, le pragmatisme et le probabilisme. La fragmentation de nos vécus s’accompagne d’une renaissance de mythes anciens et nouveaux et d’une sorte de néodarwinisme qui, dans le monde de la finance, en politique et dans bien d’autres domaines sociétaux, donne raison au plus fort. […] Avec ce changement de situation, nous avons quitté l’horizon culturel du concile Vatican II ». C’est dans ce monde pluriel qu’il s’agit de confesser et proclamer la foi. Il existe « un lien indissoluble entre la foi et la compétence d’interprétation de tout un chacun […]. On ne peut avoir de développements ouverts sur l’avenir que si nous prenons en considération, simultanément, les conditions éthiques fondamentales de toute communication, la symétrie des partenaires, la distinction entre perspective interne et perspective externe et — surtout dans le dialogue avec le judaïsme et les religions — une telle symétrie et la prétention christologiqueeschatologique du christianisme. » Au regard de cette nouvelle constellation, la « pastoralité » constitue la vision décisive du Concile : « Elle a ses racines dans le modus agendi du Christ (Dh 11), dans son modus conversationis (DV 7) et […] dans sa pauvreté et son humilité (Lg 8). » La pastoralité permet,
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:54 Page17
Introduction
17
« même si la Révélation est clôturée, d’introduire le contexte historique dans son interprétation et, à l’inverse, de déduire de la Parole de Dieu des principes pour l’interprétation de la situation actuelle de l’homme ». Cela présuppose que la doctrine de la foi transmise soit elle-même examinée à partir de ses conditions historico-culturelles de possibilité. Pour Theobald, les quatre constitutions du Concile n’auraient entrepris cette révision que de façon très élémentaire. Si, dans cette situation particulière, on reprenait le modus procedendi de Jésus lui-même et que, de ce fait, on adoptait pour ligne directrice la « pastoralité » du Concile, on devrait alors parvenir à une entente synodale mutuelle, toujours historiquement limitée, qui se réaliserait sur un pied d’égalité. Elle s’inspirerait d’une vision messianique « qui, comme perspective de paix, s’offre à l’humanité dans son ensemble, dominée par la violence, mais aussi qui, au niveau interne des Églises, ouvre leur sensibilité pneumatologique au Royaume à venir de Dieu, ici et maintenant. Ce qui est décisif, c’est que, dans la réception, on continue à l’avenir à discuter synodalement les problèmes particuliers d’un changement structurel de l’Église, souvent isolés — depuis la collégialité épiscopale et celle des Églises particulières jusqu’à la question ministérielle de l’ordination des femmes et à la problématique du gender — à l’horizon de cette vision messianique-eschatologique. » Pour cela, il faut notamment écouter les personnes qui, dans les sociétés humaines, n’ont pas voix au chapitre. Dans sa réaction à ces deux interprétations du Concile, Peter Hünermann, professeur émérite de dogmatique à Tübingen, a d’abord évoqué le travail réalisé lors du jubilé du Concile entre 2012 et 2015, qui apparaît comme une période d’un processus de communication théologique générale, au niveau international, à propos de l’interprétation globale. Il a rappelé que, dans son discours au clergé romain en février 2013, donc en conclusion de son pontificat, Benoît XVI a constaté : « C’était le Concile des Pères — le vrai Concile —, mais c’était aussi le Concile des médias. […] Donc le Concile immédiatement efficace qui est arrivé au peuple a été celui des médias, non celui des Pères. » Par contre, la conclusion des nombreux grands congrès théologiques de ces années peut, pour reprendre l’expression de Shaji Kotchutara, président du grand Symposium international pour l’Asie qui s’est tenue à Bangalore, se résumer ainsi :
En lecture partielle‌
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:55 Page253
TABLE DES MATIÈRES
Préface, par Christoph Theobald s.j. ………………………………
5
Première partie « OUVRIR » LE CONCILE réflexions sur la théologie et l’église, 50 ans après le concile vatican ii Introduction, par Christoph Böttigheimer, René Dausner et Peter Hünermann ………………………………………………………
11
Plénière inaugurale : état actuel de la réception du Concile au niveau international …………………………………… Table ronde publique : « Le Concile : un nouveau commencement » (Karl Rahner) ………………………………… Présentation de la Déclaration finale : discussion intergénérationnelle conclusive ……………………………………
21
I. Déclaration finale de Munich ………………………………… 1. Liberté et foi …………………………………………… 2. La théologie comme science …………………………… 3. Théologie et magistère épiscopal ……………………… 4. Réforme des structures ecclésiales ……………………… 5. Œcuménisme entre chrétiens ………………………… 6. Église et judaïsme ……………………………………… 7. Prétention à la Révélation et pluralité des religions ……… 8. Dialogue interreligieux et mission ……………………… 9. Liturgie et inculturation ………………………………
23 23 24 24 25 26 26 27 27 28
14 19
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:55 Page254
254
Table des matières 10. Foi et formation ……………………………………… 11. Église et médias ……………………………………… 12. Création et écologie …………………………………
28 29 29
II. Rapports et commentaires sur la Déclaration finale de Munich … 1. Liberté et foi, par Marianne Heimbach-Steins et Saskia Wendel … 2. La théologie comme science, par Gerhard Kruip ……………
33 33 37
3. Théologie et magistère épiscopal, par René Dausner et Christoph Böttigheimer ……………………………………………… 4. Réforme des structures ecclésiales, par Franz Xaver Bischof, Gerd Häfner et Johanna Rahner ………………………………… 5. Œcuménisme entre chrétiens, par Thomas Bremer et Maria Wernsmann ……………………………………………………… 6. Église et judaïsme, par René Dausner et Josef Wohlmuth ……… 7. Prétention à la révélation et pluralité des religions, par Klaus Müller … 8. Dialogue interreligieux et mission, par Margit Eckholt ………… 9. Liturgie et inculturation, par Reinhard Hoeps ………………… Inculturation …………………………………………… Culture ………………………………………………… Poursuite de la réforme liturgique ………………………… Eurocentrisme …………………………………………… 10. Foi et formation, par Harald Schwillus …………………… 11. Église et médias, par Matthias Sellmann …………………… 12. Création et écologie, par Andreas Lienkamp et Georg Steins … Liste des premiers signataires ………………………………… Liste des cosignataires …………………………………………
42 47 51 56 62 68 74 74 75 76 76 78 83 88 93 95
Deuxième partie CINQUANTE ANS APRÈS LE CONCILE VATICAN II, DES THÉOLOGIENS DU MONDE DÉLIBÈRENT Fédération internationale des universités catholiques (FIUC) …… 99 Comité scientifique ……………………………………… 99 Comité de pilotage ……………………………………… 100 Traducteur ……………………………………………… 100 Introduction. Motifs, esprit et histoire du projet ………………… 101 Abréviations ……………………………………………………… 112
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:55 Page255
Table des matières
255
Chapitre Ier. Vatican II : quelle inspiration pour aujourd’hui ? …… Introduction …………………………………………… La dynamique de l’Église et l’importance de Vatican II …… Conclusion ………………………………………………
113 113 117 141
Chapitre II. Discerner les signes des temps ……………………… Introduction …………………………………………… 1. L’environnement ……………………………………… 2. La justice sociale ……………………………………… 3. La violence …………………………………………… 4. Migration de masse et urbanisation …………………… 5. L’émergence de « nouveaux » sujets …………………… 6. L’individualisation et la culture de masse ……………… 7. La virtualisation et la digitalisation …………………… 8. Une profonde transformation religieuse ………………… 9. La restauration de l’unité des chrétiens ………………… Réflexions finales …………………………………………
143 143 148 150 152 154 156 161 163 166 169 170
Chapitre III. L’unité et la diversité dans la rencontre de l’Évangile et de l’Église avec le monde et les cultures …………………… 172 Introduction …………………………………………… 172 1. L’humanité face à l’irruption de l’autre comme prochain … 174 2. Une Église polycentrique, témoin et signe d’unité dans la diversité ……………………………………………… 3. La contextualité et la catholicité culturellement et historiquement ouverte de la théologie, au service de l’Église et du monde ………………………………………………… Conclusion ………………………………………………
183 189
Chapitre IV. Travailler à la construction d’une culture de paix … Introduction …………………………………………… 1. La situation de l’humanité ……………………………… 2. Entendre la voix de Dieu aujourd’hui ………………… 3. Renouveler l’Église …………………………………… Conclusion ………………………………………………
190 190 194 198 204 206
177
Chapitre V. Le service de la théologie aujourd’hui ……………… 208 Introduction …………………………………………… 208 1. Quelle est la place de la théologie à l’Université, dans l’Église et dans la société ? Implications anthropologiques de la pratique de la théologie ……………………………………
210
Theobald_20171005_DR 05/10/2017 11:55 Page256
256
Table des matières 2. La théologie, la Parole de Dieu et la vie spirituelle des communautés chrétiennes : approche théologique ……………… 219 3. La théologie de l’Église, les théologiens et le Magistère …… 224
Conclusion. 50 ans après Vatican II, des théologiens et des théologiennes du monde entier discutent de l’avenir de la foi ……… 235 1. Vatican II comme référence commune ………………… 235 2. Des questions ouvertes et des interrogations qui trouvent encore écho dans le travail théologique ………………… 3. Pour continuer le dialogue et la délibération …………… Conclusion ………………………………………………
236 239 239
Participants au processus de discussion …………………………… Participants au Colloque international (13-15 avril 2015) …… Membres des commissions préparatoires au colloque ……… Participants au précolloque (21-22 octobre 2014) …………
241 241 244 246
Membres des équipes internationales qui ont participé aux échanges précédant le précolloque (janvier à octobre 2014) … Organisation ……………………………………………
247 250
Table des matières ………………………………………………… 253
Imprimé en Belgique Octobre 2017.
P
our fêter le cinquantenaire de Vatican II, cinq grands congrès intercontinentaux ont eu lieu entre 2012 et 2015: à Modène (Italie), à Bangalore (Inde), à Boston (États-Unis), à Munich (Allemagne) et à Paris. Par rapport à des colloques prÊcÊdents, un net dÊplacement s’est produit lors de ces grandes rencontres intercontinentales, moins sur les contenus que sur la forme. Partis du style classique des colloques universitaires avec leur lot de confÊrences et de communications, on s’est progressivement orientÊ vers un style plus dÊlibÊratif, marquÊ en particulier par des dÊclarations finales. C’est ainsi qu’ont procÊdÊ les colloques de Munich (Ouvrir le Concile) et de Paris (50 ans après le Concile, des thÊologiens dÊlibèrent), que nous publions ici. Il est en effet important d’initier aujourd’hui des processus de dÊlibÊration : les Églises et leur magistère pastoral ne peuvent se passer d’expertises interdisciplinaires et acquises collectivement. Le bon sens  des fidèles est nÊcessaire mais insuffisant pour rendre possible l’avenir de la tradition de la foi. L’intelligence collective, y compris sous sa forme universitaire, en est une condition dÊcisive.
Christoph BÖTTIGHEIMER (Munich) et RenÊ DAUSNER (Eichstätt) ont dirigÊ le colloque de Munich. Mathijs LAMBERIGTS (KU Leuven), Gilles ROUTHIER (QuÊbec, Canada), Pedro Rubens FERREIRA OLIVEIRA (Recife, BrÊsil) et Christoph THEOBALD (Centre Sèvres, Paris) ont dirigÊ celui de Paris.
ISBN : 978-2-87299-327-7
9 782872 993277
24,50 â‚Ź
www.editionsjesuites.com