Les quatre semaines des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola

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Pierre Gervais

Les quatre semaines des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola PrÊface de Jean-Marie Hennaux

Collection



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Pierre GERVAIS, s.j.

Les quatre semaines des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola Préface de Jean-Marie Hennaux, s.j.


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Collection de l’Institut d’études théologiques de Bruxelles, 26

© 2017 Éditions jésuites, Belgique : 7, rue Blondeau, 5000 Namur France : 14, rue d’Assas, 75006 Paris www.editionsjesuites.com ISBN : 978-2-87299-329-1 D 2017/4255/14


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PRÉFACE

Il faut d’emblée mettre en lumière le caractère original du présent livre en regard de la littérature immense concernant les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un commentaire des Exercices. L’auteur le dit clairement dès le début : « Ce travail n’est pas un commentaire des Exercices. » Le texte est « à lui-même son propre interprète ». Il se commente lui-même. Il répond lui-même aux questions qu’il pose. Il ne faut rien lui ajouter. Il suffit de le lire avec attention et de le laisser s’exposer et s’expliquer lui-même. Pierre Gervais définit son œuvre comme étant « davantage un exercice de lecture qu’un commentaire du texte des Exercices ». Écoutons-le dès les premières lignes de son avant-propos : « Ce livre est né d’une conviction qui ne s’est pas démentie tout au long de sa rédaction, à savoir : même là où il résiste, le texte des Exercices ne trompe pas, et ce n’est qu’en lui faisant confiance que les questions qu’il soulève trouvent en lui leurs solutions. » Ignace de Loyola a donné des définitions précises de tous les motsclés qu’il utilise dans ses Exercices. Inutile donc, pense le P. Gervais, de gloser autour d’eux. Ils se renvoient les uns aux autres et s’éclairent les uns par les autres. Ne sortons pas du glossaire qui nous a été fourni. Tenons-nous plutôt en « la clôture des signes du livre lui-même », livre qui fut conçu comme un tout. Les seules références extérieures que s’autorise l’auteur sont celles de Martin Luther et de Jean de la Croix. Références en quelque sorte imposées par le texte. À propos de l’expérience de la contrition dans


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Préface

la première semaine des Exercices pour le premier, et, pour le second, de l’expérience de la consolation en deuxième semaine. Étant donné le point de vue singulier ci-dessus exposé, le lecteur ne s’étonnera pas de ne trouver dans les pages qui suivent aucune référence aux commentaires existants des Exercices spirituels. Ces références auraient distrait le lecteur de l’exégèse que le texte des Exercices donne de lui-même. C’est sur celle-ci que notre attention est invitée à se concentrer exclusivement. Dans une communication orale à ses frères jésuites, le P. Gervais affirmait, évoquant implicitement les commentaires des Exercices : « J’ai toujours été un partisan décidé du sens littéral des Exercices spirituels. » Pour saisir comme il convient la portée de cette déclaration, il faut se souvenir de deux choses. La première, c’est que la dialectique de l’esprit et de la lettre, du sens littéral et du sens spirituel, ne joue pas seulement dans l’interprétation de l’Écriture sainte ; elle intervient en toute exégèse. Tout texte important est en un sens inépuisable et il est toujours loisible de déployer, à partir de sa lettre, son esprit, c’est-à-dire — pour reprendre les termes de la tradition chrétienne — de dégager son sens allégorique (ses implications logiques), son sens tropologique (moral), son sens anagogique (son ouverture à l’histoire, à l’avenir). La deuxième chose à ne pas perdre de vue pour bien comprendre le P. Gervais — la principale — c’est que l’esprit est dans la lettre. Pierre Gervais a de glorieux prédécesseurs dans la recherche du sens profond des Exercices, de leur unité, de leur logique intellectuelle, spirituelle, existentielle. Je n’en citerai que quelques-uns : Erich Przywara, Gaston Fessard, Albert Chapelle. Ceux-ci, faisant œuvre de pionniers, avaient à faire admettre que le petit livre des Exercices a sa place dans la grande tradition théologique et spirituelle de l’Église. Ils ont par conséquent été conduits à déployer largement les harmoniques philosophiques, théologiques, mystiques, du petit livre en question ; bref, à développer ce que nous pouvons appeler le sens spirituel des Exercices. Dès lors, une concentration sur la lettre — pour y faire voir, bien sûr, la présence de l’Esprit — était rendue nécessaire, en un ouvrage bref, précis, collant au texte. C’est ce que nous offre le P. Gervais. Le mérite exceptionnel de son écrit est de s’en tenir à ce qu’il a appelé le « sens littéral » des Exercices.


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Jean-Marie Hennaux, s.j.

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À sa lecture on ne sentira donc pas passer l’ombre de Hegel, de Kierkegaard ou de Blondel, mais de paragraphe en paragraphe, d’étape en étape, on saisira l’unité de l’œuvre d’Ignace, on verra se déployer la logique d’une expérience spirituelle. La première question que pose le texte est celle de son unité. Le livre d’Ignace est, comme la Bible, un livre de livres. À côté ou à l’intérieur du livret principal des quatre semaines, nous trouvons le livret des « mystères de la vie du Christ notre Seigneur », des « règles pour le discernement des esprits », un véritable « petit traité de l’élection », un certain nombre d’« annotations », d’« additions » et de « remarques ». Les textes proposés au retraitant sont tantôt appelés « contemplation », tantôt « méditation », tantôt « considération ». « Jusqu’à quel point ces éléments s’emboîtent-ils les uns dans les autres ? » se demande le P. Gervais, et comment le font-ils ? Le premier mérite de son ouvrage est son caractère complet, exhaustif : aucun des éléments importants de l’œuvre d’Ignace n’a été laissé de côté. Ensuite et surtout, Pierre Gervais indique la spécificité et la fonction de chacun des éléments que je viens de mentionner, sa nécessité, son lien avec les autres. Apparaît ainsi l’unité du livre d’Ignace et, du même coup, l’unité du mouvement spirituel qu’il suscite. Le rôle distinct des « contemplations », « méditations » ou « considérations » devient évident, de même que le tournant qui s’opère en certains exercices comme « la méditation des deux étendards » et « la méditation des trois hommes ». Le lecteur découvrira ainsi, sous les apparences à première vue quelque peu disparates du texte ignatien, son caractère extraordinairement synthétique. Pierre Gervais fait voir comment les quatre semaines des Exercices synthétisent — dans une perspective originale (il n’y a pas d’autre itinéraire spirituel que les mystères de la vie du Christ, de sa conception à son ascension) —, voie purgative, voie illuminative, voie unitive ; comment les semaines correspondent aux quatre sens traditionnels de l’Écriture ; comment les points de la contemplatio ad amorem — sorte de point d’orgue à la fin des Exercices — reprennent les quatre semaines de l’itinéraire. Esprit synthétique qui s’adapte à chaque instant à la singularité du retraitant, au « point où il en est » sur le chemin universel proposé


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Préface

à tous : la suite du Christ, la Vita Christi (« Je suis le chemin, la vérité, la vie », Jn 14, 6). D’où les constantes « remarques », « additions », « règles », alternatives entre le livre principal des semaines et le « livret des mystères de la vie du Christ », etc. C’est le génie d’Ignace que de conjoindre ainsi l’universel et le particulier. L’art de celui qui « donne les Exercices » est de pouvoir se mouvoir constamment dans ce double registre de l’universel et du singulier pour guider le retraitant. Le P. Gervais démontre qu’avec les Exercices d’Ignace, nous n’avons pas affaire seulement à un « itinéraire de l’âme vers Dieu », à un itinéraire de l’union à Dieu, mais qu’il s’y agit essentiellement d’une mystique apostolique et ecclésiale (le retraitant est invité à trouver sa place unique dans l’Église militante et il coopère à la rédemption du monde). L’auteur ne manque pas de mettre dans une lumière particulière le cinquième point de la contemplation de la résurrection dans les Exercices : « Regarder l’office de consolation que vient exercer le Christ notre Seigneur et le comparer à la façon dont des amis ont l’habitude de se consoler les uns les autres » (ES 224). Il commente : « Certes le Christ ressuscité trouve sa joie à communiquer sa joie à ses disciples. Il la trouve aussi à la manière dont ceux-ci sont tout à la joie […] qu’ils se communiquent les uns aux autres en proclamant le message pascal. Le Christ ressuscité exerce son office de consolation au matin de Pâques dans un acte qui, tout en le manifestant en son corps de gloire, fonde l’Église et en fait son propre corps » (je souligne). Certes, l’union du Christ et de l’Église est un mystère d’épousailles, mais n’est-ce pas une des beautés ignatiennes que de nous faire contempler, à l’intérieur de ce mystère, un mystère d’amitié… L’Église comme amitié. L’apostolat comme amitié. jean-marie hennaux, s.j.


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AVANT-PROPOS

Ce livre est né d’une conviction qui ne s’est pas démentie tout au long de sa rédaction, à savoir : même là où il résiste, le texte des Exercices ne trompe pas, et ce n’est qu’en lui faisant confiance que les questions qu’il soulève trouvent en lui leurs solutions. Certes il y a celles que nous lui posons, souvent à plus ou moins bon escient, mais il y a surtout celles qu’il nous pose en retour et qui, par-delà nos projections, ouvrent sur les réalités spirituelles dont il entend rendre compte. Les termes auxquels Ignace a recours tout au long du livre des Exercices s’éclairent réciproquement de l’intérieur de la clôture des signes du livre lui-même. Ils ne sont pas interchangeables. Ils se précisent en leur portée dans leur renvoi les uns aux autres. Ainsi le texte des Exercices est-il à lui-même, pour ainsi dire, son propre interprète. Il offre les clefs de sa propre compréhension, à la mesure de la cohérence de la vision chrétienne qu’il déploie. Concrètement, ce travail n’est pas un commentaire du livre des Exercices. Il se limite volontairement au corpus de ses méditations et contemplations. Suivant le texte pas à pas, il tente de mettre en lumière la démarche sous-jacente aux quatre semaines. Celui-ci aura donc été tout au long de ce travail mon premier interlocuteur. C’est ainsi que, dans les pages qui suivent, je ne me réfère à aucun commentaire des Exercices, quel que soit leur intérêt. Leur consultation m’aurait distrait de l’attention que j’entendais porter au texte même des Exercices, comme en tête à tête avec lui. Je dirais la même


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Avant-propos

chose des quelques contributions que j’ai pu apporter par le passé à l’étude des Exercices. Je les ai ignorées, de peur que les développements auxquels elles avaient donné lieu en leur temps n’interfèrent avec le fruit à tirer d’une lecture actuelle du texte lui-même. Dans les pages qui suivent, je me contente de renvoyer à l’une ou l’autre d’entre elles. Ainsi donc, tout au long de la rédaction de cet essai, je n’aurai eu devant moi que le livre des Exercices et son original espagnol dit autographe1. Il s’agissait pour moi de tout apprendre de lui dans un mouvement constant de va-et-vient entre les questions qu’il me posait et les réponses qui prenaient progressivement forme à son contact, attentif certes à dégager les enjeux du texte, mais dans les termes mêmes d’Ignace. Les pages qui suivent constituent donc davantage un exercice de lecture qu’un commentaire du texte des Exercices. Il n’en reste pas moins que la lecture d’un texte ne relève pas de l’art divinatoire. À l’arrière-plan de tout acte de lecture, il y a les questions qu’il soulève et qui motivent en retour l’attention qu’on lui porte. S’il fallait formuler d’entrée de jeu la question qui m’a habité tout au long de ce travail, je dirais volontiers qu’elle se centrait sur le rapport entre la liberté humaine et la liberté divine tel qu’il se dégage de l’ensemble des Exercices, ou, pour dire les choses autrement, sur le rapport entre nature et grâce tel que le mettent en œuvre ses quatre semaines. Deux instances extérieures au texte m’auront aidé à formuler cette question : Martin Luther d’une part, pour la première semaine, Jean de la Croix de l’autre, pour la deuxième. Conscient de la puissance de péché à l’œuvre en lui et se sentant sous la menace de la damnation éternelle, Martin Luther ne trouve la paix de l’âme que le jour où il découvre qu’il n’y a de justification qu’en la personne du Christ. Ainsi se trouvait posée à l’entrée des Temps modernes la question du rapport entre liberté humaine et liberté divine, dans une expérience de conversion incontestable qui 1. Dans les pages qui suivent, nous nous référerons à la traduction en langue française du texte original dit autographe des Exercices parue sous le titre Exercices spirituels, trad. É. Gueydan, coll. Christus no 61, quatrième édition revue et corrigée, DDB/Bellarmin, 1986.


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Avant-propos

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sera au principe de la Réforme. La liberté humaine demeure liée au péché. Seule la foi confiante en la personne du Christ donne de trouver en lui sa propre justice. La première semaine des Exercices, elle aussi, rend compte d’une expérience de conversion, celle d’Ignace : même conscience du péché, même perception de la damnation méritée, relation personnelle au Christ analogue à celle de Luther. La journée ignatienne sur le péché assume l’expérience de conversion de Luther en ce qu’elle a de plus dramatique. Ses cinq exercices sur le péché ne constituent pas moins le contrepoint de cette expérience du Réformateur. Ils déploient en effet dans leur séquence toutes les dimensions de la contrition telles que la tradition chrétienne les a toujours comprises, mettant ainsi le pécheur en présence d’une liberté restaurée dans la miséricorde de Dieu, capable en retour de réagir au péché. Ce qui est vrai de la suite des cinq exercices l’est tout autant des points d’oraison des trois méditations de la journée : celle sur les trois péchés d’abord, celle sur les péchés ensuite, et enfin celle sur l’enfer. Chacune de ces méditations conduit d’une situation initiale marquée par le péché qui tient le retraitant à distance de Dieu, à un colloque face au Christ en croix qui ouvre dans l’action de grâces sur la reconnaissance du don de la vie au moment présent. Ainsi celui qui sait se laisser guider au cours de cette semaine par le texte d’Ignace, lui faisant confiance jusque dans la précision de ses termes, est-il amené à découvrir dans sa profondeur et son amplitude l’acte au cœur de la contrition chrétienne, qui n’a d’autre mesure que la miséricorde divine qui le suscite. Il y a la manière dont la liberté humaine est restaurée dans le Christ compatissant et miséricordieux ; il y a la manière dont celleci est aussi suscitée par la liberté divine dans le mouvement qui la tourne vers elle. On touche ici une donnée commune à Ignace de Loyola et à Jean de la Croix. C’est le propre du Créateur d’entrer, sortir, faire motion dans l’âme pour l’attirer tout entière à l’amour de sa divine Majesté, dit Ignace. C’est le propre de la bien-aimée, touchée par l’amour de l’Ami, de sortir d’elle-même à la recherche de l’Ami, et ainsi, de dépouillement en dépouillement, avec pour seul appui la foi qui n’est que nuit pour elle, d’en arriver à l’union


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Avant-propos

avec lui, dans l’attente de sa vision substantielle au midi de l’éternité, dit Jean de la Croix. Qu’en est-il dès lors de la deuxième semaine des Exercices ? Celleci est constituée de tout un ensemble de textes dont on ne voit pas d’emblée l’unité. Peut-on y discerner une ligne susceptible d’en rendre compte, aussi ferme et aussi claire que celle qui traverse l’œuvre de Jean de la Croix ? Pour qui sait se rendre attentif aux éléments qui composent la semaine, aux termes propres à chacun de ses exercices, à la séquence qu’ils constituent, aux niveaux respectifs où ils se situent, au moment que chacun représente dans l’ensemble de la démarche dont ils rendent compte, tout en ayant à l’esprit le tout qu’ils constituent, une ligne claire et ferme se dessine et s’impose au regard, non pas la ligne de la bien-aimée à la recherche de l’Ami désiré et aimé pour lui-même par-delà tout le créé comme chez Jean de la Croix, mais bien celle qui, en passant par l’univers des choses créées, conduit au choix de l’état de vie en lequel le Christ notre Seigneur nous veut à son plus grand service et à sa plus grande louange. Vient néanmoins ce moment des Exercices où toute référence à des instances extérieures, comme on peut y avoir recours pour mettre en lumière ses deux premières semaines, ne tient plus. Ce moment est celui dont répondent les deux dernières semaines. On ne dispose plus dès lors que du texte d’Ignace pour en rendre compte. En effet, ces semaines sont celles auxquelles conduisent les deux premières semaines des Exercices, celles en lesquelles celles-ci trouvent tout leur sens. En elles s’effectue la réponse à l’appel du Roi éternel : œuvrer avec lui pour que, le suivant dans la peine, on le suive aussi dans la gloire. Ces semaines mettent en présence du Christ, à la fois en sa divinité et en son humanité, le Christ acceptant de souffrir en son humanité la violence des ennemis pour fonder en son corps de Ressuscité l’Église comme grandeur de l’ordre des réalités définitives, exerçant ainsi son office de consolation en donnant en partage sa joie et son allégresse. En ces semaines s’accomplit l’union des volontés, celle du Christ et celle du retraitant. D’où la grâce propre à chacune d’entre elles, peine intérieure de la peine si grande que le Christ a endurée d’une part, joie et allégresse de sa joie et de sa gloire de Ressuscité d’autre part, peine et joie en lesquelles se scelle l’union des volontés


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Avant-propos

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entre le Christ et le retraitant à l’intérieur d’une tâche commune. C’est en ces termes qu’Ignace redéfinit ce qu’en théologie spirituelle on appelle communément la voie unitive, cette voie revêtant du coup chez lui une dimension essentiellement apostolique, associé que l’on devient au Christ notre Seigneur dans son œuvre de rédemption. Le livre des Exercices ne fait sens en chacun de ses éléments que dans la prise en compte de sa globalité. Or le livre comprend un livret qui porte sur les mystères de la vie du Christ. Sans ce livret, il demeurerait une coque vide. Certes, on y précise bien la forme de la prière à adopter ainsi que la séquence à suivre dans la contemplation des mystères de la vie du Christ au cours des trois semaines qui leur sont consacrées, mais sans en donner le contenu propre à chacun. D’où l’importance du livret. Ignace y donne des points d’oraison pour chaque mystère. Brefs, dépouillés, ces points opèrent certes des choix dans la trame du récit évangélique, mais, ce faisant, ils orientent le regard sur le mystère à contempler. Ils constituent ainsi un élément essentiel à toute compréhension des trois dernières semaines des Exercices. Le présent livre ne prétend pas faire office de manuel pour donner les Exercices. En effet, il ne prend pas directement en compte la relation qui s’instaure entre celui qui donne les Exercices et celui qui les reçoit, relation constitutive de la démarche des Exercices. Cette relation porte en elle-même une exigence d’adaptation aux données humaines, culturelles et spirituelles de celui ou de celle qui les fait, de sorte que chacun soit rejoint en sa personne. Encore estil bon de se laisser d’abord enseigner par le texte des Exercices, bon d’avoir une idée précise de ce qui est à son arrière-plan, avant de procéder aux adaptations légitimes. Si ce livre pouvait contribuer à une intelligence des Exercices de cet ordre, il aurait rendu le service que l’on est en droit d’attendre de lui.


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LISTE DES SIGLES

CS DS

Cantique spirituel, de Jean de la Croix. Dictionnaire de spiritualité. Ascétique et mystique. Doctrine et histoire, 17 tomes (45 volumes), Beauchesne, Paris, 1932-1995. ES Exercices spirituels, d’Ignace de Loyola. ET L’Écriture dans la Tradition, d’Henri de Lubac, Aubier-Montaigne, Paris, 1966. MC Montée du mont Carmel, de Jean de la Croix. NRT Nouvelle revue théologique, depuis 1865. VF La vive flamme d’amour, de Jean de la Croix.


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LE PRINCIPE ET FONDEMENT

À l’entrée du livre des Exercices, sans autre forme de commentaire, on trouve un texte intitulé « Principe et fondement ». Le texte est court. Il est aussi des plus dépouillés et des plus formels dans son expression. Aucune référence n’y est faite aux quatre semaines des Exercices, pas plus d’ailleurs qu’à l’Écriture ou encore à la personne du Christ. Le retraitant en prend acte au moment de s’engager dans la démarche des Exercices. L’énoncé se situe sur le plan de la création et se développe en deux temps. Il pose d’abord en principe la fin pour laquelle toutes les choses ont été créées. Il fait ensuite de ce principe le fondement du rapport que l’homme se doit d’entretenir avec toutes les autres choses créées sur la face de la terre, celles-ci étant créées pour lui, en vue de la poursuite de sa fin qui est Dieu et le salut de son âme. « L’homme est créé pour louer, révérer [hacer reverencia] et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son âme » (23, 2), nous est-il dit d’entrée de jeu. Dans la relation d’immédiateté avec Dieu qui tient de l’acte créateur qui le pose dans l’existence, l’homme se trouve ainsi d’emblée défini par rapport à sa fin. Il est créé pour louer Dieu et, dans le respect et la révérence qui lui sont dus et qui fondent sa relation avec lui, pour le servir précisément en sa qualité de créature. C’est ainsi que, par-devers lui-même, l’homme rend compte de son âme et la sauve. À cette affirmation première du paragraphe s’adjoint une seconde : « et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme,


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Le Principe et fondement

et pour l’aider dans la poursuite de sa fin pour laquelle il est créé » (23, 3). Tout comme l’homme, ces choses sont créées par Dieu, mais, à l’encontre de lui, elles n’ont pas leur fin en elles-mêmes. Elles sont créées pour l’homme et, précise le texte, au titre de l’aide qu’elles lui apportent dans la poursuite de sa fin qui est la louange et le service de son Créateur et Seigneur et le salut de son âme. Ainsi se trouve défini le statut des autres choses créées dans leur rapport à l’homme. L’affirmation ouvre ainsi sur le deuxième paragraphe du texte. En effet, au rapport à l’homme qui définit la fin de toutes les autres choses créées correspond le rapport que celui-ci se doit d’entretenir avec elles en regard de sa fin qui est Dieu. « D’où il suit, poursuit le texte, que l’homme a à user [ha de usar] de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin et qu’il doit [debe] s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle » (23, 4). Ces choses sont une aide offerte par Dieu. À ce titre, l’homme se doit d’y avoir recours. Il ne peut en faire l’économie. Il a non moins l’obligation morale de s’en dégager dans la mesure où elles font obstacle à la poursuite de sa fin. L’affirmation est claire. Elle présuppose en l’homme la capacité de se tenir suffisamment à distance des autres choses créées pour juger de l’aide ou encore de l’obstacle qu’elles constituent pour lui dans la poursuite de sa fin. L’homme est à lui-même cette mesure qui donne en retour de pouvoir mesurer l’aide ou l’obstacle que constituent pour lui les autres choses créées à l’intérieur du rapport qu’il entretient avec elles. Cette mesure est celle qui pour l’homme découle de l’immédiateté de sa relation à Dieu en vertu de l’acte créateur qui le pose dans l’existence. Ainsi formulé, l’énoncé ne garde pas moins un caractère formel. Tout en rejoignant l’homme en son entendement, il demeure de l’ordre d’une considération de portée générale. L’homme, en effet, n’y est pas encore rejoint en la manière dont il se trouve effectivement engagé par ses choix dans son rapport aux autres choses créées. D’où le passage du texte au pronom personnel pour s’adresser directement à chacun en son vouloir. « Pour cela il est nécessaire [es menester] de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre arbitre et qui ne lui est pas défendu, de telle manière que nous ne voulions pas, pour


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notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés » (23, 5-7). Désormais, il n’y va plus seulement du rapport de l’homme aux autres choses créées, mais des choix qui de notre part engagent ce rapport. En tout choix, dit le texte, il est nécessaire de nous rendre indifférents en notre propre vouloir à toutes les choses créées pour ne vouloir, en ce qui nous concerne, que ce qui conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. Parmi ces choses créées, il y a celles sur lesquelles nous n’avons pas de prise directe. C’est le cas d’une vie longue ou courte, de la santé ou de la maladie. Il y a aussi celles qui affectent la vie d’un chacun en société et qui ont rapport aux biens et aux personnes. C’est le cas de la richesse ou de la pauvreté, de l’honneur ou du déshonneur. Au « davantage » qui qualifie ces choses les unes par rapport aux autres et qui en fait volontiers l’objet de nos préférences, doit se substituer, le « davantage » qui qualifie la chose recherchée par rapport à toute autre en raison de la fin poursuivie, c’est-à-dire le service et la louange de Dieu notre Seigneur. D’où, préalablement à tout choix, l’exigence qui s’impose et qui déjà relève d’un acte volontaire de notre part : nous rendre indifférents à toutes les autres choses créées en tout ce qui relève de notre libre arbitre, avec ce que cet acte implique comme non-vouloir consenti par rapport au vouloir qui se porterait davantage sur une chose plutôt que sur une autre en vertu d’une simple comparaison entre elles ; non-vouloir qui, de par le fait même, s’ouvre à la chose qui conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés pour en faire l’objet de notre désir et finalement celui de notre choix. Au « davantage » qui qualifie une chose par rapport à une autre et qui justifie la préférence que nous serions prêts à lui accorder, se substitue alors le « davantage » qui qualifie la chose choisie par rapport à toute autre au titre de l’aide qu’elle constitue dans la poursuite de notre fin qui est Dieu. Tel est, au seuil des Exercices, la portée du Principe et fondement. Il pose un principe qui définit l’homme en rapport à sa fin et toutes les autres choses créées dans leur rapport à lui. Il fonde précisément


En lecture partielle‌


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TABLE DES MATIÈRES

Préface, par Jean-Marie Hennaux, s.j. ................................................

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Avant-propos ..........................................................................................

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Liste des sigles ........................................................................................

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Le Principe et fondement ......................................................................

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Première semaine : la contrition chrétienne ......................................

1. Luther et la contrition chrétienne .................................................... 2. La journée ignatienne sur le péché .................................................. Premier exercice : la méditation sur les trois péchés .................... Deuxième exercice : la méditation des péchés .............................. Troisième exercice : la répétition .................................................... Quatrième exercice : la reprise ........................................................ Cinquième exercice : la méditation sur l’enfer .............................. Conclusion ..............................................................................................

21 22 25 26 33 39 43 44 49

La contemplation de la vie du Roi éternel ..........................................

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Deuxième semaine : l’élection ..............................................................

61 61 64 68 74 75 77 80

1. La contemplation évangélique .......................................................... Le mystère de l’Incarnation.............................................................. La contemplation de la Nativité ...................................................... La journée ignatienne de deuxième semaine ................................ Les répétitions .................................................................................... L’application des sens........................................................................ Conclusion..........................................................................................


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Table des matières 2. Les méditations des deux étendards et des trois hommes ............ La méditation des deux étendards .................................................. La méditation des trois hommes .................................................... La considération des trois sortes d’humilité .................................. 3. « Les mystères de la vie du Christ notre Seigneur » ........................ Les mystères de la vie cachée du Christ notre Seigneur .............. Les mystères de la vie publique du Christ notre Seigneur .......... L’intelligence spirituelle des Évangiles .......................................... 4. Les règles « avec un plus grand discernement des esprits » .......... La consolation sans cause précédente ............................................ La consolation avec une cause ........................................................ La personne spirituelle ...................................................................... 5. L’élection .............................................................................................. Préambule pour faire élection.......................................................... Trois temps pour faire une saine et bonne élection ...................... Conclusion : Ignace de Loyola et Jean de la Croix..............................

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Troisième semaine : la Passion ............................................................ 143 1. L’entrée dans la semaine .................................................................... 143 2. La demande de grâce .......................................................................... 144 3. La forme de la prière .......................................................................... 149 4. La suite des mystères .......................................................................... 153 Quatrième semaine : la Résurrection .................................................. 165 1. L’entrée dans la semaine .................................................................... 165 2. La demande de grâce .......................................................................... 168 3. La forme de la prière .......................................................................... 170 4. La suite des mystères .......................................................................... 171 Les quatre semaines .............................................................................. 181 1. Les quatre sens de l’Écriture .............................................................. 181 2. Création et Rédemption .................................................................... 189 La contemplation pour obtenir l’amour ............................................ 193 Table des matières .................................................................................. 201


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ImprimĂŠ en Belgique Novembre 2017 Imprimerie Bietlot


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Pierre GERVAIS a enseigné la théologie dogmatique et sacramentelle à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles pendant quarante ans. Tout au long de ces années, il a collaboré à un séminaire sur les Exercices spirituels proposé par l’Institut, tout en donnant régulièrement des retraites ignatiennes prêchées ou individuellement guidées.

ISBN 978-2-87299-329-1

9 782872 993291

19,00 €

www.editionsjesuites.com

Illustration de couverture : Saint Ignace rédigeant les Exercices spirituels.

Le livre des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola ne donne accès à son contenu qu’à l’intérieur de la relation dialogale qu’il instaure entre celui qui en donne les Exercices et celui qui les fait. Tous deux ne peuvent se situer en toute liberté spirituelle, l’un par rapport à l’autre, dans leur recherche de la volonté de Dieu, que dans leur référence commune au texte lui-même du livret. D’où son importance primordiale, quelles que soient les adaptations susceptibles de le mettre en lumière. Le texte d’Ignace ne trompe pas ; il dispose de ses propres clés d’interprétation. C’est en lui faisant confiance qu’on se laisse enseigner par lui, guider par lui. L’ouvrage que voici est donc moins un commentaire des Exercices qu’un acte de lecture du texte où ceux-ci se donnent, ce texte s’éclairant de lui-même. Cette lecture embrasse les quatre semaines des Exercices, les mystères évangéliques auxquels celles-ci renvoient et les règle de discernement qui éclairent le cheminement de la personne qui les fait. Sous les apparences quelque peu disparates, le texte d’Ignace met en présence du caractère extraordinairement synthétique du livre que sont les Exercices.


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