On ne naît pas chrétien, on le devient

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michelina tenace

thĂŠologie

donner raison

On ne naĂŽt pas chrĂŠtien, on le devient

Dogme et vie durant les trois premiers conciles



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Michelina TENACE

On ne naĂŽt pas chrĂŠtien, on le devient Dogme et vie durant les trois premiers conciles Traduit par Jean-Marie Faux et Paul Gilbert

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Donner raison – théologie, 63 Une collection dirigée par Hubert Jacobs s.j. et Robert Scholtus

De la même auteure (en français) Chez Lessius : L’homme transfiguré par l’Esprit : lumière de l’Orient sur la vie consacrée, 2005. Servir la sagesse : les supérieurs dans la vie religieuse, 2008. Chez un autre éditeur : La beauté, unité spirituelle dans les écrits esthétiques de Soloviev, Fates, 1993.

© 2017 Éditions jésuites, 7, rue Blondeau, 5000 Namur (Belgique) 14, rue d’Assas, 75006 Paris (France) www.editionsjesuites.com ISBN : 978-2-87299-333-8 D 2017/4255/22

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ABRÉVIATIONS

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AI BS CI CC GB VA

Athanase d’Alexandrie, Sur l’incarnation du Verbe. Basile de Césarée, Traité du Saint-Esprit. Cassien, Les institutions cénobitiques. Cassien, Conférences. Grégoire de Nysse, Les béatitudes. Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine.

PG SC

Patrologie grecque. collection des « Sources chrétiennes », Cerf, Paris.

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Introduction À LA RECHERCHE D’UNE ANTHROPOLOGIE DÉRIVÉE DES TROIS PREMIERS CONCILES

I. L’INTÉRÊT POUR LES PREMIERS CONCILES

Une étude des dogmes et des écrits des Pères sur la vie chrétienne a-t-elle du sens aujourd’hui ? Pour le dogme, il semble bien que ce qui lui est spécifique, c’est le fait qu’il ne change pas. Pour la vie chrétienne, ce qui semble spécifique, c’est qu’elle change continuellement. Donc ? L’intention de ce livre est d’aider à réfléchir sur le lien qu’il y a entre ce qui ne change pas et ce qui change, entre les contenus de la foi et l’acte par lequel on croit en un moment précis, entre le dogme et la vie chrétienne. Dogme et vie chrétienne se correspondent, la théologie est le reflet de la vie chrétienne du croyant, théologie et spiritualité constituent comme un miroir de l’unique mystère qui donne accès au salut. Restaurer dans l’âme la juste image de Dieu est la tâche de tout pasteur et prédicateur, des premiers siècles comme de toujours. Tout le dogme peut se résumer d’ailleurs dans la double nature divine et humaine du Christ et dans la Trinité ; tout l’engagement des Pères a été de maintenir vivantes ces deux vérités : Dieu est un et trine, et Jésus-Christ est le Fils incarné pour notre salut. Nous découvrirons tout cela en lisant dans la foi ces œuvres que la foi a produites durant les premiers siècles : nous découvrirons ainsi que le christianisme a grandi sur cette conviction qu’on ne peut séparer la foi vécue comme témoignage de la foi professée comme dogme. La paternité des Pères consiste dans le fait de transmettre la vie comme vérité de foi et comme style de vie :

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« Quiconque enseigne une pure doctrine, quiconque, par ses exemples, pousse les âmes à l’amour et à la pratique du bien, remplit donc, dans une certaine mesure, les offices de la paternité1. » Ce qui nous donne tout particulièrement à penser, c’est le fait que les mêmes Pères de l’Église, qui furent les témoins de la formulation des dogmes, sont aussi des témoins de la nouveauté de la vie chrétienne racontée en textes écrits. Si les sept premiers conciles œcuméniques du premier millénaire furent au fondement de l’unité de l’Église, ce fut possible parce qu’ils constituent l’« unité » herméneutique (dogme et vie) de l’être chrétien dans le monde. Quand on lit les œuvres des premiers siècles, on est aussi frappé d’y trouver une unanimité substantielle quant à la conception de la vie chrétienne fondée sur le sens du baptême, premier sacrement, source et expression de l’unité des chrétiens (c’est-à-dire de l’Église) et révélation du mystère trinitaire. Si bien qu’il n’y a jamais eu d’hérésie qui ait nié ce contenu doctrinal2. On comprend aussi pourquoi, tout en étant clé de transformation de la vie et principe d’unité, le christianisme n’a pas commencé en se présentant comme un système social et politique. Et pourtant, en tant qu’il incarne la Parole (de Dieu), en tant qu’il crée un style de vie (évangélique), il apporte un changement aussi dans la société dans laquelle il est présent ; il pousse l’histoire à manifester la présence du Royaume de Dieu en elle et par là il offre au système social et politique en vigueur un espace de contestation. La vie des chrétiens a ainsi assumé la 1. Augustin Largent, Études d’histoire ecclésiastique : leçon d’ouverture d’un cours de patrologie à l’École supérieure de théologie de Paris, Retaux, Paris, 1892, p. 223. 2. « Le baptême est le sacrement de l’initiation chrétienne, qui libère l’homme du péché originel et du péché personnel, qui le fait fils de Dieu, l’incorpore au Christ en son mystère pascal et en fait un membre de l’Église. Il est donc la porte d’accès à une vie nouvelle, surnaturelle. Depuis l’origine du christianisme, ce sacrement est possession incontestée de l’Église. En lui tous ceux qui portent le nom de chrétiens sont unis. Il n’est sans doute pas une hérésie, pour peu qu’elle ait voulu garder une base chrétienne, qui ait exclu le baptême. Les doutes n’ont pu s’élever que sur la manière de l’administrer, sur ses effets, sur son mode d’efficacité. Telles sont, en substance les questions dont traitent les documents de l’Église à propos du baptême » (Gervais Dumeige, La foi catholique : textes doctrinaux du magistère de l’Église sur la foi catholique, Éd. de l’Orante, Paris, 1975, p. 381).

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fonction d’un « esprit critique » par rapport aux choix que, dans ces temps obscurs, un groupe ou un État entier imposaient sous le prétexte de créer un avenir meilleur, contraignant cependant par la force ou par quelque autre moyen à renier l’Évangile du Christ. Cette vie des chrétiens est devenue une espèce de source historique3. Bien que se présentant comme une religion de paix et d’amour fraternel, la présence des premières communautés chrétiennes fut perçue dès les premiers siècles comme une menace pour la stabilité politique de l’Empire romain. Trois siècles furent nécessaires pour que la nouvelle religion soit formellement acceptée et il faudra toute l’histoire pour que les empires et les idéologies puissantes passent de la persécution du juste à la reconnaissance de la justice, jusqu’à accepter la nouveauté divine de l’Évangile4. Le passage de la persécution à la reconnaissance s’est réalisé lors de la conversion de l’empereur Constantin, un événement qui, à l’aube du ive siècle, marque un tournant décisif et qui est important, à la fois comme point d’arrivée et comme point de départ, pour la compréhension de l’histoire de l’Église. Que la conversion de Constantin soit un point de départ est obvie, tant est grande l’importance historique et culturelle d’un tel événement. Il suffit de rappeler que « la victoire du christianisme et le transfert définitif du centre de l’État dans l’Orient hellénisé symbolisent le commencement de l’ère byzantine5 ». La portée politique du geste de Constantin le révèle cependant, et surtout, comme représentant de son monde. Constantin ne « connaissait qu’un seul système politique, celui de la monarchie autocrate qui avait absorbé la République romaine, sous l’influence 3. « Les vies de saints possèdent parfois une grande valeur de sources historiques et, dans certains cas, elles ne sont pas moins capitales que les écrits historiques proprement dits » (Georges Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin, Payot, coll. Bibliothèque historique, Paris, 2007, p. 49). À la page suivante, Ostrogorsky ajoute qu’« on trouve également un matériel historique précieux dans les écrits des principaux Pères de l’Église contemporains », comme aussi dans les Actes des conciles œcuméniques. 4. Cf. Xavier Levieils, Contra christianos : la critique sociale et religieuse du christianisme des origines au concile de Nicée (45-325), De Gruyter, Berlin, 2007, p. 411. 5. G. Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin, p. 53.

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de la philosophie politique grecque. Cette philosophie avait déifié le chef de l’État, lui donnant pouvoir absolu sur les intérêts temporels et spirituels de ses sujets6 ». Avec sa conversion, Constantin n’a pas changé de philosophie politique. L’empereur n’est plus divinisé, mais « en tant que représentant du Roi éternel, Jésus-Christ, son premier devoir était de conduire toute l’humanité à Dieu7 ». Comme point de départ d’une nouvelle ère, la conversion de Constantin fut riche de développements. Mais elle a aussi marqué la conclusion d’une époque riche d’éléments fondamentaux qui ont contribué à dessiner l’identité du christianisme. Normalement, ce second aspect de conclusion d’une époque retient moins l’attention, sinon pour regretter de façon romantique le « bon vieux temps » où il y avait tant de martyrs et où l’Église était persécutée et non alliée aux puissants. Mais cette lecture de l’histoire est idéalisée et peu théologique. De cette période, il faut plutôt relever un autre aspect, très important : avec la conversion de l’empereur a commencé un nouveau type de rapport entre les chrétiens et la société civile. Si l’on considère les années entre 260 et 303, on constate que s’étaient déjà produites des évolutions significatives qui indiquaient la fin d’un processus. Dans la société entrée en contact avec des communautés chrétiennes ferventes, il y eut une certaine reconnaissance de celles-ci et une indéniable estime pour la vie des chrétiens. Mais ceux-ci ne pouvaient pas s’imposer politiquement, car leur religion se fondait sur un principe apolitique, un principe de paix avec tous, d’égalité sans exclusion d’aucune sorte, d’obéissance absolue à Dieu seul, et surtout ils ne pouvaient pas attirer avec une religion qui adorait un Dieu qui se présentait « crucifié ». Qu’est-ce alors qui a déterminé la conversion de couches entières de population et de nombreuses personnalités politiques ? La force du témoignage des chrétiens qui changèrent le monde sans recourir aux moyens politiques que le monde connaissait. Les chrétiens croyaient dans le Roi de l’univers crucifié. Ils ne savaient pas le démontrer, mais la puissance de leur foi en ce Dieu, la puissance de 6. Francis Dvornik, Histoire des conciles de Nicée à Vatican II, Seuil, coll. Livre de vie, Paris, 1962, p. 13. 7. Ibid.

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la vie nouvelle reçue au baptême devint la force qui transforma le monde. Le regard de ceux qui se convertissaient était orienté par les chrétiens vers le Christ, qui le montraient par leur vie. Les chrétiens furent, en ce sens, l’apologie du Christ. La force transformatrice de leur foi offrait la preuve de la divinité du Crucifié et de sa victoire sur la mort avec la mort. Le geste de l’empereur Constantin représente dès lors une déclaration publique qui interpelle encore : la vie des chrétiens est convaincante, et leur doctrine est valable parce que leur vie s’avère un bien pour tous. Mais il y a un passage obligé pour la foi vivante : qu’elle passe à son expression doctrinale. Le passage de la vie à la doctrine, de l’expérience à sa formulation est indispensable. Constantin a alors pris à cœur la défense de la foi chrétienne autant que de son empire. Les divisions entre chrétiens le préoccupaient ; « elles risquaient d’offenser Dieu », de provoquer Dieu contre l’empereur « entre les mains de qui Dieu a mis toutes choses ». L’empereur écrivit ainsi : Je ne pourrai trouver le repos, ni attendre de la puissance miséricordieuse du Tout-Puissant la prospérité et le bonheur, tant que je ne verrai pas tous les hommes, unis dans les liens de la communion fraternelle, offrir au Dieu Saint les hommages qui lui sont dus dans la religion catholique8.

À quel type de christianisme Constantin s’est-il donc rallié9 ? Quelques historiens soutiennent la thèse que Constantin est resté païen, ou « arien » jusqu’à la fin. Ce ne serait pas si étonnant, si on pense que la discussion sur l’arianisme a duré des siècles. Le discernement sur la vérité du dogme a eu besoin de plusieurs siècles pour arriver à exprimer en mots justes le mystère de la Trinité10. 8. Ibid., p. 14. 9. Constantin a accepté aussi la religion chrétienne : cf. G. Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin, p. 73. Il ne pensait pas avoir lui-même la juste foi ni le meilleur jugement en matière de foi. Dvornik cite la lettre de Constantin aux évêques réunis à Arles où il accuse les donatistes d’avoir « osé » lui réclamer, à lui, l’empereur un jugement sur leur doctrine, jugement que seuls les évêques peuvent donner : « Le jugement des évêques doit être pris comme le jugement du Seigneur lui-même en personne » (F. Dvornik, Histoire des conciles, p. 15). 10. « L’histoire d’un dogme ou d’un concile ne finit pas avec sa ratification par l’autorité de l’Église ou par celle des Pères du concile. C’est seulement ensuite

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Constantin reste dans l’histoire comme le promoteur du concile de Nicée, non toutefois au motif de la défense de la vraie foi contre l’arianisme, mais pour la défense d’une conception du lien qui doit exister entre l’unité de l’empire et l’unité des chrétiens. Cette nouvelle conscience politique marquera l’histoire de l’Église. La vie des chrétiens garantit la vie de l’empire et, vice versa, l’empire doit garantir la vie des chrétiens. Les conciles arrivent après trois siècles de vie éprouvée et nous montrent comment, dans le christianisme, c’est d’abord la vie des chrétiens qui a été reconnue, puis comment, en s’appuyant sur cette vie, la doctrine a été élaborée en paroles, définitions, concepts qui devaient garantir une manière de sentir religieuse et culturelle commune. Dans le passage décisif vers la stabilité sociale des chrétiens, après Constantin qui a accepté la religion chrétienne parmi d’autres, Théodose Ier (347-395) a fait de la foi chrétienne la seule qui soit permise dans son empire ; empereur de 379 à sa mort, originaire d’Espagne et particulièrement anti-arien, son œuvre d’unification a été d’imposer à tout l’empire le dogme de Nicée et, à travers sa législation, de faire du christianisme une religion d’État11. L’évolution du rapport entre l’État et l’Église fera que, à travers la pratique des conciles, l’empire et l’empereur seront amenés à faire partie de la réflexion théologique. L’empereur était déclaré « égal aux apôtres », alors qu’il n’était pas membre du clergé ; mais il se distinguait du commun des chrétiens en ce qu’il avait le droit de prêcher, de pénétrer dans le sanctuaire quand, après le vie siècle, celui-ci ne sera plus accessible aux simples fidèles. Il ne disposait pas directement d’autorité sur les dogmes, autorité qui appartenait au concile, mais, dans les faits, c’était lui qui était chargé de faire appliquer les lois et de veiller à ce que les hérésies soient combattues. que commence le processus d’“implantation” dans l’Église, en passant par la “réception” ou acceptation du concile » (Alois Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrétienne, t. II : Le concile de Chalcédoine : réception et opposition, Cerf, coll. Cogitatio fidei, Paris, 1990, p. 21). 11. C’est seulement sous Théodose que « s’achève la christianisation de l’Empire. L’Église orthodoxe obtient le monopole de religion d’État, les autres religions et confessions perdent droit à l’existence » (G. Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin, p. 80).

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Le lien entre les empereurs et les conciles ne peut pas dès lors être interprété avec les catégories d’aujourd’hui. Tous les conciles du premier millénaire ont été convoqués par les empereurs (et non par les papes) qui assuraient l’unité de l’Église en vérifiant l’unité de la foi, laquelle, à son tour, constituait le fondement de l’unité de l’empire. Pour la mentalité du temps, une foi unique signifie en même temps une seule Église et une seule communauté (œcoumène) civile gouvernée par un seul empereur. Le lien entre l’unité du dogme, l’unité de la foi, l’unité de l’Église, l’unité de l’empire était l’horizon qui nous permet de comprendre la fréquence des excommunications à une époque dans laquelle les conciles étaient les garants de l’unité qui dérive de la foi unique, d’un unique Seigneur et d’un unique baptême. L’empereur était le gardien de l’unité de la foi définie par le concile et de l’expansion du royaume des baptisés. Même le patriarche de Constantinople, à qui il revenait de veiller sur les prêtres, les moines et les évêques, dépendait de l’empereur. L’empereur imposa le primat d’honneur de l’évêque de sa capitale, la nouvelle Rome, mais second derrière l’évêque de la première Rome (canon 3 du concile de Constantinople), pour arriver à lui faire conférer les pouvoirs patriarcaux (canon 28 du concile de Chalcédoine). Après le schisme avec l’Occident (1054), le patriarche de Constantinople devint le premier dignitaire ecclésiastique de l’Empire. L’empereur le choisissait dans une liste de trois noms présentée par le synode permanent des prélats de Constantinople, pour ensuite procéder à sa nomination avec un cérémonial identique à celui qui était prévu pour l’intronisation d’un fonctionnaire. L’unique arme ou l’unique supériorité que le patriarche avait par rapport à l’empereur était l’excommunication pour des questions de foi, c’est-à-dire de doctrine. Les conciles, réunis sous la pression de quelque hérésie, ne prévoyaient pas seulement des « règles de foi », mais aussi des « anathèmes » (c’est-à-dire des sentences d’excommunication) contre ceux qui faisaient des affirmations de foi en désaccord avec ce qui était défini, parce qu’ils étaient considérés comme un danger pour l’unité de l’Église, et dès lors pour l’unité de l’empire.

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Si le passage de l’époque du martyre à l’époque inaugurée par Constantin impliquait le défi de traduire en doctrine ce qui était vécu, petit à petit cette tension entre la foi vécue et la foi professée s’estompa dans une société qui voyait l’entrée toujours plus massive des foules dans les églises — dès le ive siècle, la diffusion des rites d’initiation chrétienne et l’architecture même des lieux se modifient pour faire face à l’augmentation du nombre des fidèles — et la recherche des privilèges liés au christianisme, désormais devenu légalement religion officielle12. La vie que mena l’empereur dans cette situation devint moins importante que la foi qu’il professait. Peu à peu l’orthodoxie devient plus importante que l’orthopraxie. S’est ainsi opéré le retournement décisif de l’attention « au comment » on vit à l’attention « à ce que » l’on professe. Si les premiers siècles étaient marqués par le lent passage de la vie à la doctrine, les siècles suivants montrent une attention toujours plus grande à la doctrine. Il faudra dès lors que certains chrétiens mènent une vie chrétienne radicale pour rappeler le lien indissoluble entre la doctrine et la vie — nous le verrons avec le témoignage du moine Antoine qui unit la foi de Nicée à son expérience de lutte contre son paganisme, tout intérieur, reconnu dans le désert. Mais voici un autre élément important concernant les conciles. Ce n’est pas seulement la provenance des participants qui détermine le caractère œcuménique des conciles, mais le « discernement » qui s’y opère et l’accord que les évêques — en tant qu’Église, comme unique corps du Christ — arrivent à formuler. Ce qui détermina le caractère œcuménique, plus que la proportion de participants des différentes Églises, ce fut l’accord qui s’y dégagea entre l’autorité de l’empereur, l’autorité des évêques et l’autorité de l’évêque de l’Église de Rome, grâce à la présence de légats et d’évêques latins qui signèrent les décrets au nom de l’Église de Rome. En complé12. Le canon XVI, 5, 1 du Code théodosien (226) décrète ceci : « L’empereur Constantin Auguste à Dracilianus. Il faut que les privilèges qui ont été accordés en considération de la religion ne soient utiles qu’aux seuls observateurs de la loi catholique. Pour ce qui est des hérétiques et des schismatiques, non seulement nous voulons que ces privilèges leur soient étrangers, mais encore qu’ils soient contraints et soumis aux diverses charges .» Et le canon XVI, vii, 1 établit que ceux qui de chrétiens se sont faits païens ne peuvent avoir le droit de faire un testament (ibid., p. 354).

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ment de l’importante paternité apostolique des premiers siècles, les conciles mettent toujours davantage en évidence la portée de la maternité de l’Église à travers le magistère des évêques réunis sous l’impulsion d’une urgence pastorale. Les pères des premiers siècles étaient des témoins par leur vie au milieu des gens, martyrs et confesseurs qui avaient trouvé les paroles pour dire le Christ vivant au cœur de leur vie, qui avaient mis en évidence la portée de la résurrection du Christ et la vie de l’Esprit, et avaient transmis l’expérience d’un discernement continuel au milieu des vicissitudes du monde. Les conciles donnèrent ensuite à la foi son alphabet conceptuel, aux chrétiens une terminologie théologique, une symbolique pour communiquer entre eux et pour dire au monde la révélation du mystère de la très sainte Trinité, Dieu unique qui se communique à travers la foi dans le Christ Dieu et homme, Fils de Dieu fait homme pour nous et pour notre salut, qui a vraiment souffert sous Ponce Pilate, est vraiment mort et est vraiment ressuscité dans la vérité de son corps. En résumé, nous pouvons dire que l’influence de la foi chrétienne dans la société passe : — à travers le style de vie des croyants (comme il apparaît clairement dans la fameuse lettre à Diognète), ce pour quoi une conversion personnelle et communautaire est toujours nécessaire ; — à travers l’équilibre toujours menacé et plein de dangers qui se crée entre l’Église et l’État (hérésies, conciles, divisions de caractère à la fois politique et religieux) et qui requiert un discernement et un sens critique ; — à travers la culture ou la tradition que chaque concile confirme (droit, rite, liturgie, langue, symboles), ce pour quoi l’exercice d’une fidélité créatrice au dépôt reçu est toujours nécessaire pour pouvoir le conserver substantiellement ; — à travers l’attention à la vérification qui vient de la « mise à l’épreuve ». Comme, dans les évangiles, le baptême de Jésus est suivi du récit des tentations dans le désert, ainsi le chrétien révèle qu’il est devenu fils et qu’il a vaincu le diable lorsque, dans le désert de la tentation, il confesse qu’il est vainqueur avec le Christ, qu’il a reçu la force de l’Esprit Saint, c’est-à-dire qu’il déclare visiblement qu’il est parti-

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cipant de la vie divine et donc de l’œuvre de salut de la très sainte Trinité. L’épreuve pour le chrétien est son statut naturel de vie, parce que le dynamisme même de sa nouveauté dans le monde est une nouveauté en relation, qui tient compte de l’autre, tient compte de l’histoire, ne baisse jamais la garde en face du mal et de ses multiples masques. Il n’est jamais vainqueur une fois pour toutes, parce que c’est le Christ seul qui est vainqueur une fois pour toutes (cf. Rm 6, 10). La conversion continuelle, le combat spirituel et en même temps la paix dans une vie de charité, tels sont les aspects décisifs du témoignage.

II. L’ANTHROPOLOGIE

Nous voulons essayer d’expliciter l’anthropologie implicite que nous ont transmise les premiers siècles et les trois premiers conciles. Nous pensons que l’anthropologie est implicite dans la christologie et que, par contre, elle est explicite dans la sotériologie : implicite, le « pour nous » et explicite, le « pour notre salut ». Il est en tout cas prioritaire de partir du Christ et de la Révélation que le Fils fait du Père et du don de l’Esprit Saint, Seigneur qui donne la vie. L’explicitation de l’anthropologie a eu besoin de plusieurs siècles de théologie pour laisser mûrir une parole « dogmatique », tandis que, par contre, l’expérience du Christ et la vie nouvelle du chrétien étaient accomplies dès Pâques et la Pentecôte. Il n’y a pas en fait d’autre dogme que la nécessité de rencontrer Jésus-Christ, ressuscité selon les Écritures et vivant, selon le témoignage des apôtres, dans la communauté qui est son corps historique, c’est-à-dire dans l’Église. Parcourant les trois premiers conciles, nous pouvons noter entre eux une unité de visée et de préoccupation qui sera aussi une source d’inspiration pour les écrits et la prédication des Pères engagés dans cette réflexion. Réuni pour combattre la doctrine d’Arius (260-336), le concile de Nicée I (325) a abouti à la formulation de ce qu’on appelle le

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Symbole de Nicée13. Le concile définit que le Fils est consubstantiel au Père. Durant ce concile, la figure d’Athanase d’Alexandrie est centrale dans l’élaboration du dogme. Nous nous demanderons ce qui découle pour l’anthropologie du fait que le Christ est déclaré de la même substance que le Père. La Vie d’Antoine écrite par Athanase nous fera voir le lien entre la victoire du Christ dans le monde et la victoire du Christ dans l’homme intérieur, en faisant un parallélisme entre les démons et la mentalité païenne qui subsiste en nous. Convoqué comme synode régional (il n’y avait aucun participant de l’Occident), le concile de Constantinople I (381) a revêtu après un siècle l’autorité d’un concile à cause de l’importance des questions traitées. Il fut réuni pour préciser le contenu de Nicée, c’est-à-dire la divinité du Christ, sans pourtant tomber dans l’hérésie opposée, celle d’Apollinaire de Laodicée (310-390) qui niait la pleine humanité du Christ. On y précisa, par rapport à Nicée, que tout en étant consubstantiel au Père, le Fils est pleinement homme, né d’une femme « par l’action de l’Esprit Saint ». Mais il y avait aussi une hérésie qui niait la divinité de l’Esprit Saint. On ajouta donc au symbole de Nicée l’article sur l’Esprit Saint « Seigneur qui donne la vie, qui procède du Père, qui est glorifié avec le Père et le Fils, qui a parlé par les prophètes ». Ainsi fut fixé le Symbole dit de NicéeConstantinople, le Credo commun à tous les chrétiens14. Nous nous arrêterons à la contribution des Pères cappadociens à l’anthropologie à partir de leur théologie qui affirme la divinité de l’Esprit Saint. Saint Basile de Césarée déclarera que, si l’Esprit n’était pas Dieu, le baptême n’aurait pas de sens, puisque c’est 13. Voir le commentaire d’Athanase d’Alexandrie, De decretis Nicaenae synodi, trad. dans Lucian Dîncă, Le Christ et la Trinité chez Athanase d’Alexandrie, Cerf, coll. Patrimoines – christianisme, Paris, 2012, p. 333-380. 14. Comme nous y avons fait allusion, c’est durant ce concile que fut attribuée à l’évêque de Constantinople, la Nouvelle Rome fondée par l’empereur Constantin en 331, une prééminence d’honneur de suite après l’évêque de Rome. L’Église d’Alexandrie n’accepta pas facilement cette décision en faveur d’un siège qui ne pouvait se prévaloir d’une fondation apostolique et avec lequel elle avait une série de contentieux ouverts concernant la suprématie en Orient. C’est avec ce Concile en effet que commencent les tensions entre les différents sièges orientaux, tensions qui déchireront l’unité de l’Église bien avant 1054, date habituellement indiquée pour la division des Églises.

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l’Esprit qui nous fait fils de Dieu. Puisque les baptisés témoignent qu’ils sont « de Dieu », l’Esprit qui les a régénérés est le Seigneur qui donne la vie. La logique surprenante de ces premiers Pères était leur affirmation que la vie de l’homme nouveau révèle la vérité du dogme. La lecture du traité de saint Basile sur L’Esprit Saint nous portera aussi à réfléchir sur la forma mentis du baptême qui introduit dans le monde une culture nouvelle. De quelle culture s’agit-il ? De celle que le Seigneur a inaugurée et décrite dans son discours sur la montagne, c’est-à-dire dans les béatitudes : les fils de Dieu se manifestent comme artisans de paix, le Royaume de Dieu est révélé par ceux qui sont persécutés et les pauvres ont trouvé celui qui les rend participants au Royaume. Les homélies sur les béatitudes de Grégoire de Nysse décrivent une anthropologie du point de vue de la grâce de la rédemption et du royaume qui est déjà au milieu de nous, parce que l’Esprit nous a été donné ; il s’agit là d’un véritable traité d’anthropologie spirituelle. Il y eut cependant alors une autre hérésie, celle de Nestorius (382-451) qui distinguait dans l’incarnation le Christ et le Fils de Dieu. La question s’éclaire en référence à la Mère de Jésus : comment faut-il l’appeler ? Mère du Christ (Jésus-Christ, vrai homme) ou Mère de Dieu (le Christ est le Fils) ? Le concile d’Éphèse (431) proclame la Vierge Marie « Mère de Dieu », parce que Mère du Fils de Dieu qui a reçu d’elle la nature humaine. Les années qui précèdent ce concile virent l’engagement dans la polémique de Jean Cassien, qui écrivit un traité contre Nestorius communément connu sous le titre De l’Incarnation. Contre Nestorius qui refusait à Marie le titre de « Mère de Dieu », Cassien défendait la maternité divine de Marie. Reconnaître à Marie le titre de Mère de Dieu sans en faire une divinité signifiait reconnaître la dignité de la créature qui est capable de liberté et de volonté en face de Dieu. C’est là le fondement, non seulement du dogme d’Éphèse, mais aussi de la vie des moines : le moine a accueilli un don, la grâce (du baptême et de la vocation), mais est invité à un engagement et est capable de le réaliser. L’homme est appelé à se modeler sur la perfection de la forme de l’Homo dominicus (CC XI, 13), pour parvenir, par la charité, à l’image et à la ressemblance (CC XI, 9).

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L’ascèse, le combat spirituel et le discernement dépendent et sont au service de cette dignité d’intelligence et de volonté. Cassien est donc un témoin remarquable de la doctrine antinestorienne et anti-pélagienne ; il a cherché la juste mesure entre la libre gratuité de Dieu et la liberté blessée de l’homme. Marie, créature humaine pleine de grâce, remplie de l’Esprit Saint, Mère du Fils vrai Dieu, est Theotokos, mère de Dieu. À distance des positions extrêmes d’Augustin et des dérives du pélagianisme, Cassien représente dans l’anthropologie l’héritage de l’Orient semé en terre d’Occident. À la demande de l’évêque Castor (du diocèse d’Apt, au Sud de la France), Cassien écrivit sur la vie monastique après avoir partagé la vie de beaucoup des Pères les plus significatifs de son temps. Quelques chapitres de ses Institutions cénobitiques et de ses Conférences aux moines peuvent donc se lire comme des traités d’anthropologie théologique, ou des traités de la vie chrétienne pratique et commune. Nous intéressera en particulier la Conférence V qui rend compte du passage continuel que tout croyant doit faire de l’esclavage des passions (les huit vices) à la liberté des enfants de Dieu. Cassien croyait dans la synergie entre la grâce et le libre arbitre, entre la gratuité et l’engagement, parce qu’il avait vu vivre les moines dans le désert et parce que la foi chrétienne, comme nous l’avons dit, professe la dignité de la créature que Dieu a voulue capable de « porter Dieu ». « Porteuse du Verbe », « façonnée par l’Esprit, [Marie] voit, sans le savoir, que l’activité la plus féconde de l’homme est d’être “capable” de son Dieu15. » Nous pouvons donc dire qu’avec les trois premiers conciles, ont été posées les bases de la christologie, de la doctrine trinitaire et aussi de l’anthropologie. Les conciles suivants préciseront la terminologie, affronteront de nouveaux débats, mais la base des trois premiers conciles demeure une référence indiscutée16. Au second concile de Nicée, en 787, si la doctrine de référence est celle de 15. Jean Corbon, La liturgie de source, Cerf, coll. Théologie, Paris, 2007, p. 32. 16. Cf. Bernard Sesboüé, « La réception des conciles de Nicée à Constantinople II et ses enseignements », dans Antonio García y García et Hervé Legrand (éd.), La recepción y la comunión entre las Iglesias. Actas del Coloquio de Salamanca (8-14 avril 1996), Universidad Pontificia de Salamanca, Salamanque, 1997, p. 121-155.

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Chalcédoine, les Pères les plus invoqués durant les sessions pour confirmer l’orthodoxie de la vénération des images furent encore Athanase, Basile le Grand et Cyrille d’Alexandrie.

III. REDÉCOUVRIR LE DOGME ET CONSOLIDER LA VIE CHRÉTIENNE

Dans un contexte où le discours dogmatique est ignoré ou mis en question17, la synthèse entre le dogme et la vie personnelle des Pères pourrait aider à redécouvrir la sage intelligence du message chrétien. Sans fondement dogmatique, comment pourrait-on affronter les questions d’aujourd’hui (par ex. la christologie en Inde, l’anthropologie en Asie, l’ecclésiologie en Amérique du Sud, la liturgie en Afrique, la sociologie et la psychologie en Europe, etc.) qui ont des éléments communs avec les débats des premiers siècles ? Le monde change, l’Évangile ne change pas, même si son incarnation et son actualisation doivent changer pour révéler à chaque temps la nouveauté du Christ, parce qu’Il est d’aujourd’hui, d’hier et de toujours (cf. He 13, 8). Comment actualiser l’événement fondateur de l’Évangile ? « Telle est […] l’actualité paradoxale et porteuse d’espérance des Pères dans une Église en agonie […] jusqu’à la fin des temps18. » On peut croire dans l’avenir du christianisme si l’on tient compte de la « créativité prodigieuse démontrée par les pionniers du dogme19 ». Cette créativité, cette continuelle recherche dogmatique des Pères, si on l’interroge dans le désert spirituel de la postmodernité, aide à formuler des questions décisives pour la civilisation qui est en train de naître et au sein de laquelle les chrétiens sont appelés à œuvrer. L’importance du témoignage des Pères par 17. Cf. Charles Kannengiesser, « Un avenir pour l’herméneutique biblique des Pères », dans Cristian Badilita et Ch. Kannengiesser (éd.), Les Pères de l’Église dans le monde d’aujourd’hui, Beauchesne, Paris, 2006, p. 46. 18. Ibid., p. 48. 19. Ibid., p. 47.

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rapport à la culture chrétienne dérive du fait que leur pensée était centrée précisément sur la Parole et sur la vie du Christ visible dans les chrétiens20. La multiplication des pratiques religieuses conduit à une « aphasie dogmatique » générale, qui se rencontre aussi chez les chrétiens et nous ramène à la responsabilité de dire une parole de foi sensée, neuve, incarnée. Le renouvellement en théologie advient quand il y a, à la fois, attention au présent et capacité de lire l’entièreté de la tradition. Il suffit de rappeler que l’expression « nouvelle théologie » a été appliquée paradoxalement à la théologie d’Henri de Lubac qui voulait privilégier la tradition par rapport aux « hypothèses21 » dérivées des spéculations théologiques des temps modernes. Dans ce contexte, on comprend aussi ceux qui éprouvent une sorte de « répugnance » à rationaliser le dogme22, quand il n’est pas rapporté à la vie dont il est sorti. Cette rationalisation trahit la richesse du témoignage des conciles, parce que le paradigme théologique ne peut qu’être spirituel et se situer décidément hors « des subtilités du “discours23” ». C’est ainsi que, « loin des subtilités des discours » et appliquée à la vie nouvelle, la foi des premiers siècles est abondamment « illustrée » de récits, d’exemples qui disent l’expérience des rachetés. Les récits de ces expériences ou vies de foi sont simples, essentiels, directs. Nous avons ainsi toute une littérature sur les expériences spirituelles qui est contemporaine de la 20. Cf. Claude Dagens, « Une certaine façon de faire de la théologie : de l’intérêt des Pères de l’Église à l’aube du IIIe millénaire », dans Nouvelle revue théologique 117, 1995, p. 65-83. 21. C’est ainsi qu’Henri de Lubac qualifiait l’idée de « pure nature » en anthropologie. Sur l’introduction du concept de « pure nature », sur la manière dont il a déterminé la compréhension du problème du « surnaturel » et ainsi la synthèse théologique occidentale des derniers siècles et sur la position de De Lubac, cf. Luis Ladaria, Mystère de Dieu et mystère de l’homme, t. II : Anthropologie théologique, Parole et silence, Paris, 2011, p. 232-234. 22. Cf. Myrrha Lot-Borodine, La déification de l’homme selon la doctrine des Pères grecs, Cerf, coll. Orthodoxie, Paris, 2011, p. 187. 23. « Les réalités, vécues à l’intérieur de l’Ecclesia, sont situées sur un plan spirituel où tout se meut dans le clair-obscur du mystère. C’est un pragmatisme pneumatophore auquel restent étrangers et le psychologisme pur et les subtilités du “discours” » (ibid.).

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littérature liée aux conciles et transmise par les mêmes Pères dans leur élaboration de la terminologie dogmatique. La même expérience est reflétée dans les sages maximes, dans les apophtegmes, dans la correspondance entre pères spirituels et disciples24. Quand la même doctrine est vécue et formulée, le christianisme est significatif. Dans l’homélie reprise en appendice à ce livre, saint Basile affirme : Qu’est-ce que le christianisme ? — C’est la ressemblance de Dieu autant qu’il est possible à la nature de l’Homme. Si tu as reçu la grâce d’être chrétien, hâte-toi de devenir semblable à Dieu, revêts le Christ. Mais comment le revêtiras-tu si tu ne portes pas le sceau ? Comment le revêtiras-tu si tu n’es pas baptisé ? Si tu ne portes pas le vêtement de l’incorruptibilité ? Renonces-tu à la ressemblance à Dieu ? Si je te disais : voilà, deviens semblable à l’empereur, ne trouverais-tu pas que je suis un bienfaiteur ? Et maintenant que je veux te rendre semblable à Dieu, vas-tu fuir la parole qui te déifie, vas-tu te boucher les oreilles afin de ne pas entendre les paroles salvatrices25 ?

Ce livre voudrait répondre à l’invitation du pape Benoît XVI qui a souhaité que « le témoignage de vie des croyants grandisse en crédibilité26 ». Nous voudrions aider tout chrétien à « redécouvrir la joie de croire et [à] retrouver l’enthousiasme [à] communiquer la foi27 ». Nous voudrions en même temps rendre compte du fait que cette joie est le fruit d’un don et d’un engagement. « Devenir chrétien28 » signifie persévérer dans l’effort de ne pas se résigner à la médiocrité, de lutter contre les pensées et les passions qui font régresser spirituellement ; cela signifie aussi rencontrer chaque jour la miséricorde de Dieu qui précède tout effort et surpasse toute mesure. 24. Par exemple entre Barsanuphe († 540) et Jean de Gaza ; cf. Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance entre l’abbé Isaïe et Dorothée de Gaza, 5 vol., Cerf, coll. Sources chrétiennes, Paris, 1997-2002 ; cf. aussi Dorothée de Gaza, Œuvres spirituelles, Cerf, coll. Sources chrétiennes, Paris, 1963. 25. Basile de Césarée, Homélie sur l’origine de l’homme, 1, 17, Cerf, coll. Sources chrétiennes, Paris, 1976, p. 211-213. 26. Benoît XVI, motu proprio Porta fidei, 9. 27. Ibid., 7. 28. Cf. Tertullien, Apologie du christianisme, XVIII, 4 (PL 1, 435), Peeters, Louvain, 1911 : « Fiunt, non nascuntur christiani. »

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Chapitre premier NICÉE : LE DIEU-HOMME

I. POURQUOI UN CONCILE ?

Dans le cadre de l’histoire du christianisme, on attribue habituellement une importance singulière au ive siècle, parce qu’« en une période relativement brève, la religion chrétienne, de religion interdite devient religion officielle de l’État ; on assiste à la christianisation de grandes masses ; des hérésies surgissent qui entraînent des controverses théologiques de très haut niveau ; les solutions et les directives des conciles et des Pères les plus grands de ce siècle détermineront radicalement le cours de la théologie des siècles suivants1 ». Qu’arrive-t-il dans les premières décennies du ive siècle ? Constantin, qui l’a emporté sur son rival Licinius, est devenu le chef unique d’un grand empire et veut le garder uni. Les chrétiens, dans l’empire, sont désormais une minorité significative par leur qualité de vie2. L’empire peut tirer une force d’une religion qui se présente comme universelle. Constantin, une fois devenu le seul empereur, veut unifier l’empire en apaisant aussi les conflits entre les factions chrétiennes. Il peut assurer la paix en mettant fin aux persécutions et aux conflits doctrinaux. 1. Giuseppe Dossetti, Il simbolo di Nicea e di Costantinopoli, Herder, Rome, 1967, p. 17. 2. Cette décision juridique fut prise pour une minorité, peut-être environ 10 % de la population. Mais la vie des chrétiens était tellement significative qu’on ne pouvait plus continuer à la réprimer par les persécutions.

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En lecture partielle‌


INDEX BIBLIQUE

2 Rois 2, 9-15 : 41 Psaumes 115, 4 : 61 117, 10 : 48 Proverbes 8, 22-31 : 29 Isaïe 40, 5 : 163 Matthieu 5, 7 : 103 5, 9 : 103 6, 9 : 89 15, 19 : 166 19, 21 : 45 28, 19 : 82 Luc 1, 34 : 131 2, 35 : 134

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3, 22 : 136 4, 18 : 136 11, 2 : 92 17, 21 : 106 Jean 1, 1-3 : 33, 58 1, 18 : 34 3, 5 : 86 4, 24 : 76 15, 15 : 39 Actes 2, 36 : 29 10, 38 : 136 14, 27 : 132 Romains 5, 12 : 148 6, 10 : 16 8, 9 : 85 8, 15 : 39 8, 17 : 39 10, 9 : 132

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Index biblique

1 Corinthiens 10, 20 : 56, 58 12, 3 : 89, 136 12, 8 : 90 15, 28 : 92

Philippiens 2, 6-8 : 100

2 Corinthiens 8, 9 : 100

Hébreux 1, 4 : 29 3, 6 : 29 13, 8 : 20

Galates 4, 4 : 140 4, 6 : 90 Éphésiens 1, 3-4 : 139 6, 12 : 51, 56

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Colossiens 1, 15-16 : 29, 177

2 Pierre 1, 4 : 139

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TABLE DES MATIÈRES

Abréviations ....................................................................................... Introduction. À la recherche d’une anthropologie dérivée des trois premiers conciles .................................................................. I. L’intérêt pour les premiers conciles .................................................. II. L’anthropologie .................................................................................. III. Redécouvrir le dogme et consolider la vie chrétienne .................

5 7 7 16 20

Chapitre premier. Nicée : le Dieu-homme ......................................

23 23 26 28 33

Chapitre II. Antoine, l’homme divinisé ..........................................

39 39

I. Pourquoi un concile ? ......................................................................... II. Nicée et son contexte : la gravité de la crise .................................... III. L’attrait théologique de la doctrine d’Arius .................................. IV. Le sens global de la position de Nicée ............................................ I. La Vie d’Antoine .................................................................................. 1. Un « bestseller » ........................................................................... 2. Première expression de la foi de Nicée .................................... 3. Une parabole de la vie rachetée ................................................. 4. Le parcours d’Antoine : théologie et témoignage ................... 5. Le Christ et l’évangélisation de soi-même ............................... II. L’évangélisation du moi intérieur ................................................... 1. Les démons, le paganisme et l’idolâtrie .................................... 2. Les tentations et l’homme intérieur .........................................

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40 42 44 45 54 56 56 65

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Table des matières 3. Les procédés des démons et la réponse d’Antoine ................. 4. Athanase et Antoine ...................................................................

66 70

Chapitre III. L’Esprit Saint engendre à la vie divine ......................

75 75 80 82 85 86 87 89

Chapitre IV. Les béatitudes, œuvre de l’Esprit ...............................

95 95 99 104 104 110 112

Chapitre V. La créature, l’Esprit Saint et le Fils de Dieu ...............

115 115 122 125 128

Chapitre VI. Marie, splendeur de la créature .................................

131 132 135 140

Chapitre VII. Une anthropologie entre dogme et expérience ......

145 145 147 149 150 155 156 162 165

I. La recherche théologique .................................................................... II. Arguments contre la divinité du Saint-Esprit ................................ III. Basile et le dogme de Constantinople ............................................ IV. L’Esprit nous fait chrétiens .............................................................. V. La nouvelle naissance dans le baptême ........................................... VI. Le chrétien, temple de Dieu ............................................................ VII. Le baptême et la Trinité ................................................................. I. Le Royaume de Dieu en l’homme ..................................................... II. L’humilité, porte du royaume des cieux ......................................... III. Les cœurs purs verront Dieu ........................................................... IV. Qui est l’homme ? Qui est Dieu ? .................................................... V. Les béatitudes, du don à l’engagement ............................................ VI. Bienheureux qui est chrétien .......................................................... I. Le terme Theotokos ........................................................................... II. La position de Cyrille ......................................................................... III. Des lignes tordues et un dogme lumineux .................................... IV. D’Éphèse à nous : obsevations pour la conclusion ...................... I. L’expérience de Marie : un itinéraire trinitaire ................................ II. Marie et l’Esprit-Saint ........................................................................ III. Marie, image du Fils qui révèle le Père............................................ I. Un contexte nouveau pour l’anthropologie ..................................... II. Cassien, un moine qui unit plusieurs traditions ............................ III. Au croisement de tendances hérétiques ........................................ IV. Un pont entre deux mondes ........................................................... V. L’originalité de Cassien ..................................................................... VI. La spiritualité de Cassien ................................................................. VII. Cassien et les vices ........................................................................... VIII. Les huit mauvaises pensées ..........................................................

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Table des matières

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Conclusion .....................................................................................

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Index des noms cités ......................................................................... Index biblique .................................................................................... Table des matières .............................................................................

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ImprimĂŠ en Belgique Octobre 2017 Imprimerie Bietlot.

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la vie chrétienne a-t-elle du sens aujourd’hui ? Le dogme a ceci de spécifique qu’il ne semble pas changer, alors que la vie chrétienne est en continuelle transformation… Ce livre aide à réfléchir sur le lien entre les contenus de la foi et l’acte par lequel on croit à un moment précis. Car la théologie est bien le reflet de la vie chrétienne du croyant. Elle constitue comme un miroir du mystère qui donne accès au salut. Le christianisme a grandi sur cette conviction qu’on ne peut séparer la foi vécue comme témoignage de la foi professée comme dogme. Avec finesse, l’auteure illustre son propos en comparant le contenu des conciles de Nicée, de Constantinople et d’Éphèse (ive – ve siècles) avec les œuvres de Pères (surtout Athanase et Cyrille d’Alexandrie, Basile de Césarée et Cassien) sur des thèmes fondamentaux : l’exemplarité du chrétien, la vie dans l’Esprit Saint, la pureté de cœur, la divinité du Christ, Marie, la vie intérieure. Michelina TENACE, italienne, est directrice du département de théologie fondamentale à la Grégorienne (Rome). Elle a publié deux ouvrages chez Lessius : L’homme transfiguré par l’Esprit : lumière de l’Orient sur la vie consacrée (2005) et Servir la sagesse : les supérieurs dans la vie religieuse (2008).

ISBN : 978-2-87299-333-8

9 782872 993338

19 €

www.editionsjesuites.com

Illustration de couverture : Le baptême de Jésus, baptistère des Ariens, Ravenne, mosaïque du ive siècle

ne étude des dogmes et U des écrits des Pères de l’Église sur


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