Michel REMAUD
Évangile
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tradition rabbinique Nouvelle édition revue et augmentée
le livre et le rouleau
Préface d’Anne-Marie Pelletier
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Michel REMAUD
Évangile et tradition rabbinique Nouvelle édition revue et augmentée Préface d’Anne-Marie Pelletier
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Le livre et le rouleau, 53 Une collection dirigée par Didier Luciani et Jean-Pierre Sonnet s.j.
Du même auteur Chez Lessius Chrétiens et juifs entre le passé et l’avenir (préf. J. Dujardin), 2000. La vocation de la Terre Sainte (avec D. Meyer et T. Obrou ; préf. B. Philippe), 2014. Chez d’autres éditeurs Chrétiens devant Israël serviteur de Dieu (préf. F. Lovsky), Cerf, Paris, 1983. À cause des Pères : le mérite des Pères dans la tradition juive, Peeters, Leuven, 1997. L’Église au pied du Mur : juifs et chrétiens, du mépris à la reconnaissance, Bayard, Paris, 2007. Paroles d’Évangile, parole d’Israël, Parole et Silence, Les Plans-sur-Bex, 2012. Du neuf et de l’ancien : au fil de l’Écriture (préf. J. Massonnet), Parole et Silence, Les Plans-sur-Bex, 2017.
© 2018 Éditions jésuites, 7, rue Blondeau, 5000 Namur (Belgique) 14, rue d’Assas, 75006 Paris (France) www.editionsjesuites.com ISBN : 978-2-87299-341-3 D 2018/4255/5
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PRÉFACE
Une petite musique habite silencieusement nombre de consciences chrétiennes… Il suffirait pour rendre compte du tout de la foi de fréquenter les Évangiles, étoffés de ce supplément — à la dignité juste un peu moindre — que constituent les autres livres du Nouveau Testament échelonnés des Actes des apôtres à l’Apocalypse de Jean. Un tenace penchant marcionite conduit ainsi à faire du Premier Testament une Écriture quasiment facultative, qui n’oblige pas vraiment l’acte de foi. C’est ainsi que les communautés chrétiennes demeurent largement indifférentes à tout ce qui fait signe textuellement, dans le message évangélique, à son extérieur. Étrangères donc aussi au chatoiement des allusions, à toute une profondeur de réminiscences de la tradition biblique qui précède et accompagne l’écriture des Évangiles. Au mieux parvient-on à mobiliser quelques éléments d’une typologie que la lettre néotestamentaire thématise explicitement et qui, comme telle, ne peut complètement se soustraire à l’attention du lecteur. Ainsi du signe de Jonas, plusieurs fois sollicité par Jésus, ou encore du serpent dressé de Nombres 21 que mentionne l’entretien avec Nicodème. Ce repli du regard sur les seuls mots du récit évangélique entraîne nécessairement un appauvrissement, une contraction de la confession de foi, réduite à l’énoncé anémié d’une vérité hors-sol, hors contexte, privée du monde d’harmoniques qui lui donnent sa densité. Vérité chrétienne « allégée » en quelque sorte, d’autant plus vulnérable à des projections allogènes. On objectera à cette remarque que le kérygme tient, de fait, en peu de mots. Certes. Mais ceux-ci incluent
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Préface
précisément la proclamation d’un « C’est accompli ! » qui impose d’avoir en mémoire tout ce que recouvre le sujet du prédicat qui formule l’accomplissement. Faute de quoi, cet accomplissement est menacé de n’être plus qu’une formule idéologique, dont la fonction aura été plus d’une fois d’exclure Israël, de l’annuler, en laissant entendre que le peuple de la Promesse ne serait plus qu’un sarment desséché, dont les Écritures seraient désormais dépassées et périmées. Soit la négation même du lien structurel entre les deux Testaments, à partir duquel celui qui est déclaré « nouveau » reçoit son sens et manifeste sa portée. La résistance larvée, au long de l’histoire, à la réalité d’un double Testament oblige à reconnaître que la question herméneutique comporte ici des enjeux spirituels centraux. Le premier concerne l’identité chrétienne elle-même. Connaître le Christ, en bonne théologie, c’est le re-connaître à partir d’une promesse et d’une attente qui le précèdent, et qui ont leur lieu en Israël. Le beau midrash évoquant les mages venus d’Orient pour adorer le fils de Marie le signifie fortement en Matthieu : il faut à ceux-ci passer par Jérusalem et par les Écritures d’Israël pour trouver le chemin de l’hommage à l’enfant de Bethléem. Affaire à méditer par les chrétiens issus du paganisme, pour éviter le piège de se conduire en usurpateurs, captateurs d’héritage. À méditer aussi, parce que c’est ainsi seulement que l’on peut se situer avec justesse, savoir simplement qui l’on est. Redisons-le, à l’écoute de Romains 9 – 11 et de son image de l’olivier franc et de l’olivier sauvage. Se reconnaître « greffé » implique le consentement à exister en second, à se connaître à partir d’un autre, bénéficiaire de biens destinés à celuici d’abord, partie prenante du don exorbitant qui lui est fait, sans autre raison ni justification que la générosité que ce don inclut. Autrement dit, être chrétien, c’est voir marquée la place de l’autre au cœur de son identité, porter au fond de soi le sceau d’une altérité qui, normalement, devrait prémunir contre les identitarismes compacts. Ou, pour dire positivement, qui devrait être, en christianisme, principe d’ouverture, de relation, d’échange. Au rebours de la posture qui charge l’annonce chrétienne d’arrogance, de supériorité humiliante pour le destinataire, quand celui qui apporte le message de la foi croit donner sans être luimême débiteur. Mais il nous faut souligner un autre enjeu spirituel du détour par le Premier Testament. Il concerne — parmi tous les biens propres à
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Israël communiqués aux disciples du Christ — l’extraordinaire puissance critique du Livre. Constituant Israël en peuple-laboratoire, l’histoire biblique met au jour, avec une patience et une insistance obstinées, la tentation idolâtrique toujours rémanente ici-bas. Si les idoles accompagnent, discrètement ou ouvertement, l’histoire des générations d’Israël — depuis les rephaïm dissimulés sous ses jupes par Rachel, jusqu’aux stèles et pieux sacrés dont Ézéchias désencombre le Temple —, c’est que, par-delà même les idoles matérielles, Israël appartient à une humanité qui ne cesse de faire hommage et de confier sa vie aux faux dieux qu’elle se donne. C’est pourquoi la révélation biblique est une longue pédagogie au fil de laquelle Dieu fait la vérité, débusque et disqualifie les idoles mentales (les plus redoutables !) qui, jusqu’en notre présent, tendent à dominer la vie des hommes. Et si cette entreprise concerne ici explicitement Israël, est aussi conduite sous un horizon d’universalité qui fait que, à terme, ce sont bien les nations qui sont visées. Elles aussi — et même en premier — sont en besoin de ce travail de vérité qui destitue la fiction d’un « Dieu » taillé à la mesure humaine, projeté de nos peurs et de nos rêves. Elles aussi doivent consentir à voir subverties leurs représentations de la puissance et de la faiblesse, de la réussite de l’échec, de la vie et de la mort. Et cela, plus que jamais, quand il s’agit pour elles d’accéder à la révélation qui, dans le Christ Jésus, ouvre sur une connaissance de Dieu qui porte à l’extrême le paradoxe et la surprise. Que l’on se souvienne de l’Évangile de Luc et du récit d’Emmaüs : ce qui fait obstacle à la reconnaissance de l’identité du marcheur incognito, c’est bien la fausse espérance, déçue, qui habite le cœur des deux disciples (« Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël… »). A fortiori, quand il s’agit des nations qui n’auront pas été l’objet du puissant émondage qu’a connu Israël, est-il urgent et nécessaire de vérifier et d’authentifier ce qu’est l’attente du salut qu’elles portent. Au risque, si ce travail n’est pas fait, que soit connu et annoncé un Christ simplement déduit des aspirations païennes de l’humanité. Arrivés en ce point, pourtant, il nous faut serrer de plus près cette référence à la tradition d’Israël que l’on vient de déclarer inaliénable. On le sait — mais le sait-on assez en monde chrétien ? —, cette tradition ne se réduit pas en fait à un corps d’Écritures. Elle est Torah une et totale, par l’articulation même qu’elle comporte en elle d’une Torah écrite et d’une Torah orale. Il nous faut donc faire droit, en contrepoint
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des Écritures, à l’immense massif de la tradition orale juive, qui garde le trésor de l’histoire où ces dernières sont transmises, de génération en génération, de maître à disciple, interprétées, actualisées en prise avec la vie de la communauté croyante dans la suite des temps. Cette Torah orale — dont la tradition pharisienne fait clairement l’englobant de la Torah écrite — vibre du débat sans cesse renouvelé par la lecture vive du texte. C’est à ce débat, précisément, qu’appartient la prédication de Jésus, repassant par les Écritures, prolongeant le sens reçu jusqu’à lui, selon la pratique même du judaïsme pharisien de l’époque. Et l’on se rappellera utilement que le Nouveau Testament lui-même, en son commencement, relève typiquement de cette Torah, quand « l’Évangile » existe d’abord au singulier, dans la bouche de ses prédicateurs, ainsi que le désigne Irénée, alors même qu’il fait mention des quatre textes qui, désormais, en diffractent l’unique témoignage (Adversus haereses, III, 1). Dans ces conditions, on voit que le terreau nourricier de nos Évangiles déborde la lettre des Écritures du Premier Testament. Sous-jacente à leur récit et à leur attestation, est engagée cette vaste réserve de disputes, de questionnements à finalité interprétative mais aussi éthique, de méditations ardentes d’où surgissent ces « colliers » de citations, qui rendent le cœur « brûlant », à la manière de ce qui se passe sur le chemin d’Emmaüs. Le livre de Michel Remaud que l’on va lire s’explique longuement sur les problèmes de chronologie relatifs à l’engagement de cette Torah orale dans l’écriture du Nouveau Testament. Il confirme que nous rejoignons présentement cette Torah orale à travers une mise en forme écrite bien postérieure au premier siècle. Mais il rappelle aussi que ce qui cristallisera en écriture, au cours des siècles du premier millénaire, sous la forme des Midrashim, Targumim, de la Mishna, des traditions des Tannaïm, du corpus entier du Talmud, plonge ses racines à une profondeur qui rejoint le temps apostolique. Cette mise au pointe acquise, le lecteur tirera sereinement profit de chaque chapitre de cet ouvrage qui donne savamment accès au trésor des traditions d’Israël. Il expérimentera des Écritures chrétiennes qui s’augmentent de ce contact. Il verra tel verset auquel il n’accorderait pas d’attention a priori sortir de l’insignifiance. Il apprendra à densifier de sens la fameuse mention du « troisième jour » qui est inscrite dans le Credo, ou encore à inscrire dans une généalogie pleine de sugges-
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tions la figure de la prophétesse Anne, « de la tribu d’Asher », placée au côté de Siméon dans le récit de la Présentation au temple. Ajoutons qu’à fréquenter cette tradition, on s’entraîne également à mieux identifier la singularité chrétienne, sans la mettre naïvement dans des réalités qui sont en fait déjà tout intérieures à la tradition juive qui précède l’Évangile. Ainsi, pour prendre un exemple cardinal dans la théologie chrétienne, de la catégorie de « l’accomplissement ». Ce n’est pas ruiner la portée que lui reconnaît le christianisme que de rappeler combien la tradition pharisienne est familière de cette réalité qu’elle interprète de triple manière : comme accomplissement exégétique, qui consiste à ouvrir le sens des Écritures grâce au labeur de l’étude ; comme accomplissement pratique, dans l’agir en fidélité avec le sens que l’on a identifié ; enfin, comme accomplissement de l’histoire, quand la réponse aux promesses de la Torah et des prophètes s’inscrit dans celle-ci. De même en va-t-il de la thématique du dépassement, qui constitue le ressort bien connu de la parole de Jésus dans le « discours sur la montagne », opposant un « moi je vous dis » à l’interprétation reçue. Qui veut situer correctement le statut de la nouveauté qu’introduit ici Jésus devra se reporter à la notion de hiddush, pièce essentielle de l’herméneutique pharisienne. Par ce terme — qui décline sur mode intensif la racine hébraïque qui signifie « nouveau » — s’entend cette juste interprétation de l’Écriture, qui conjugue la fidélité à l’ancien et simultanément son dépassement. C’est très exactement ce qui caractérise dans les Évangiles la personne et l’œuvre de Jésus, et que ressaisit Paul Beauchamp dans une formule lapidaire et souveraine : « Il lui a fallu passer par la similitude, pour être reconnu au-delà de toute similitude. » Dès lors, il devient possible d’identifier justement la singularité chrétienne sur fond de ses enracinements évangéliques : celle d’une parole de Jésus qui, citant l’Écriture, revêt son « je » de l’autorité même de Dieu, en contraste avec la pratique normale des autres homélistes, justifiant ainsi l’étonnement de ses auditeurs (« Jamais personne n’a parlé ainsi » [Jn 7, 46]). Celle d’un accomplissement qui, désormais, trouve son terme, sans que doive être relancé le processus interne à ce qui fut jusque-là son économie. Et cela, même si, pour l’heure, cet accomplissement se donne sous la forme d’une histoire qui impose un délai à la manifestation de sa plénitude. D’où cette part d’énigme d’un « temps des païens » (Lc 21, 24) où la confession de foi chrétienne existe en face-à-face avec le refus
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Préface
juif de Jésus. Autre modalité d’une altérité — mystère d’un plan de Dieu soustrait à notre maîtrise — qui doit rappeler à la modestie nos théologies chrétiennes de l’histoire. Voilà, sommairement esquissées, quelques perspectives ouvertes dans les pages qui suivent par la problématique qui met en échange « tradition rabbinique et Évangile ». Le lecteur pourra objecter que celle-ci implique une familiarité hors de sa portée avec un univers de savoirs qui excèdent absolument les possibilités du chrétien ordinaire. Ce que l’on ne saurait nier. Mais précisément, ce livre manifeste hautement qu’il existe des éclaireurs, tel Michel Remaud, qui explorent pour tous cette interface, en sourciers des traces laissées dans le texte par le monde où ses mots se sont formés. Il vaut la peine de se mettre à cette école, s’il est vrai que l’enjeu n’est pas ici affaire de curiosité érudite, mais service de l’intelligence de la foi.
anne-marie pelletier
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AVANT-PROPOS
Lorsque Moïse et Aaron se rendirent chez Pharaon pour lui demander, au nom du Seigneur, de laisser partir Israël, Pharaon leur répondit, d’après le livre de l’Exode : « Qui est le Seigneur, pour que j’écoute sa voix ?… Je ne connais pas le Seigneur » (Ex 5, 2). Une amplification du texte biblique, une de ces innombrables aggadot1 dont on trouvera d’autres exemples dans les pages de ce livre, imagine ici un dialogue entre Moïse et Pharaon. Ce dernier, qui ne peut connaître tous les dieux de tous les peuples, se plonge dans sa bibliothèque pour essayer d’y trouver des indications sur ce « dieu des Hébreux » (Ex 5, 2-3) dont il prétend ignorer jusqu’à l’existence. Après avoir passé en revue les « dieux de Moab, dieux d’Amon, dieux de Sidon » et toutes les divinités sur lesquelles il a pu trouver une documentation, il revient dire à Moïse et Aaron : « J’ai fouillé mes archives, et je ne l’ai pas trouvé. » Réponse qui lui attire, de la part de Moïse, cette réplique sans appel : « Cherche-t-on parmi les morts la trace des vivants2 ? » Troublé ou ravi, le chrétien ne restera pas indifférent en voyant attribuer à Moïse une formule qui est, à peu de chose près, la question des anges aux femmes au matin de la Résurrection3. De telles découvertes lui feront vite comprendre la parenté littéraire et spirituelle qui unit le Nouveau Testament à son milieu d’origine. Parfois, ces rap1. Voir le glossaire en fin de volume. 2. Ex R 5, 14. 3. Lc 24, 5.
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Avant-propos
prochements viendront projeter une lumière inattendue sur l’un ou l’autre passage des évangiles ou des autres écrits apostoliques. Les chapitres qui composent ce livre sont nés de semblables découvertes. La plupart d’entre eux ont déjà été publiés sous forme d’articles, d’autres sont inédits4. Ces chapitres sont de longueur très inégale ; certains thèmes exigeaient en effet une présentation et une argumentation développées, alors que d’autres n’appelaient pas de longues explications. Il n’a pas semblé utile de chercher à maintenir une égalité de taille purement artificielle entre ces différents textes. En refermant ce livre, le lecteur regrettera peut-être qu’il ne soit pas plus épais. Bien d’autres passages du Nouveau Testament que ceux qui sont présentés ici auraient pu faire l’objet d’un éclairage comparable5. L’auteur s’en est tenu, autant que possible, aux résultats de ses recherches personnelles, ou plutôt de ses trouvailles plus ou moins fortuites. La plus élémentaire déontologie interdisait de reproduire ici les fruits du travail d’autrui, publiés ou inédits. Dans certains cas cependant, il a semblé utile ou nécessaire de faire appel à des travaux déjà édités, dont les références sont toujours indiquées. Même s’il y a entre les sources rabbiniques et le Nouveau Testament un indiscutable air de famille, il n’est pas possible de citer et de commenter les textes de la tradition juive sans faire usage, à l’occasion, de quelques termes qui sembleront un peu barbares au lecteur non initié. Le petit glossaire qui figure en fin de volume devrait aider le profane à franchir sans trop de peine cet obstacle, beaucoup moins redoutable qu’il n’y paraît au premier abord. Il faut ajouter ici une précision indispensable : tout en évitant un style trop technique et en s’efforçant de s’exprimer d’une manière intelligible, on n’a pas voulu renoncer au caractère relativement scien4. Les chapitres 2, 5, 6, 11, 13, 15 et 16 ont été publiés dans la revue Cahiers Ratisbonne, respectivement dans les numéros 7, 1, 1, 2, 6, 8 et 5. Le chapitre 16 avait été publié précédemment dans la Revue de l’Institut catholique de Paris 54, avril-juin 1995. Les chapitres 8, 9 et 17 ont été publiés dans la Nouvelle revue théologique 127/4, 139/3 et 132/4. Le chapitre 12 est paru dans la Revue théologique de Louvain 2013/1. Le chapitre 18 reproduit le texte d’une conférence donnée dans le diocèse de Luçon et à Bruxelles. Certains de ces articles ont subi des retouches ou des compléments à l’occasion de cette nouvelle publication. 5. On en trouvera d’autres exemples, présentés de façon moins développée, dans les livres du même auteur Paroles d’Évangile, paroles d’Israël et Du neuf et de l’ancien, Parole et Silence, Les Plans-sur-Bex, 2012 et 2017.
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tifique de l’exposé. Le style de la tradition juive, avec son pittoresque si caractéristique, se serait prêté, certes, à une présentation superficielle propre à conquérir un vaste public. Disons-le nettement d’emblée : il n’eût pas été respectueux de la tradition d’Israël que de transformer ses éléments en produits de grande consommation. Le lecteur, du reste, ne sera pas tenu de lire le détail des indications techniques auxquelles pourront toujours se référer, au contraire, ceux qui souhaiteraient poursuivre la recherche. Dans le même esprit, le premier chapitre du livre explique pourquoi il était exclu de s’en tenir à une présentation purement utilitaire du patrimoine exégétique du peuple juif, commandée seulement par l’intérêt que le chrétien serait censé y trouver pour l’intelligence de ses propres sources. Ce livre s’adresse aux chrétiens qui n’ont pas perdu l’habitude de lire et qui souhaitent approfondir leur culture religieuse. S’il pouvait en outre éveiller des vocations de jeunes chercheurs, l’auteur s’estimerait largement récompensé de son travail.
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SIGLES DES SOURCES JUIVES
Seuls figurent dans cette liste les sigles des sources citées dans le livre. Pour une liste complète des sigles et pour une information sur les sources auxquelles elles se rapportent, voir les ouvrages spécialisés, en particulier Hermann L. Strack et Günter Stemberger, Introduction au Talmud et au Midrash, Cerf, Paris, 1986. Les sources sont citées d’après les éditions critiques lorsqu’elles existent, et selon les éditions classiques dans les autres cas.
TRAITÉS DE LA MISHNA, DE LA TOSEPHTA ET DES TALMUDS Abot AZ BB Bekh. Ber. BM Demaï Guerim Git. Hag. Hor.
Pirqé Abot Aboda Zara Baba Bathra Bekhorot Berakhot Baba Metsia Demaï Guerim Gittin Haguiga Horayot
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Sigles des sources juives
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Hul. Meg. Men. MQ Ned. Pes. RH Sanh. Shab. Sheb. Sota Suc. Taan. Yad. Yeb.
Hullin Meguilla Menahot Mo‘ed Qatan Nedarim Pesahim Rosh-hashana Sanhedrin Shabbat Shebiit Sota Succa Taanit Yadaïm Yebamot
Les traités de la Mishna, de la Tosephta et des deux Talmuds portent généralement les mêmes noms. Les lettres M, T et J, placées avant le sigle d’un traité, signifient que les références se rapportent, respectivement, à la Mishna, à la Tosephta ou au Talmud de Jérusalem. Quand aucune de ces lettres ne figure avant le sigle, la référence se rapporte au Talmud de Babylone. Exemples : M Sota T Succa J Ber. Sanh.
Mishna, traité Sota Tosephta, traité Succa Talmud de Jérusalem, traité Berakhot Talmud de Babylone, traité Sanhedrin
MIDRASHIM Ct R Ct Z Dt R Est R Ex R Gn R Lv R
Cantique Rabba Cantique Zutta Deutéronome Rabba Esther Rabba Exode Rabba (Édition SHINAN pour les sections I à XIV) Genèse Rabba (Edition ALBECK) Lévitique Rabba (Edition MARGULIES)
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Sigles des sources juives
MHG Mid. Ps MRI H-R L MRS MT Nb R PR PRK Qo R Sifra Sifré Nb Sifré Dt Tanh. Tanh. B Yalq.
Midrash haggadol Midrash sur les psaumes Mekhilta de-Rabbi Ishmael Édition Horovitz-Rabin Édition Lauterbach Mekhilta de-Rabbi Shimon bar Yohaï (ou de-Rashbi) Midrash Tannaïm Nombres Rabba Pesiqta Rabbati Pesiqta de-Rab Kahana (Édition Mandelbaum) Qohélet Rabba Midrash Sifra sur le Lévitique Midrash Sifré sur les Nombres Midrash Sifré sur le Deutéronome (Édition Horovitz) Midrash Tanhuma Midrash Tanhuma, éd. Buber Yalqut Shim‘oni
AUTRES SOURCES Ant. J. ARN A ARN B LAB PRE SER SOR Tg N Tg PsJ
Antiquités juives de Flavius Josèphe Abot de-Rabbi Nathan, version A Abot de-Rabbi Nathan, version B Livre des Antiquités bibliques du Pseudo-Philon Pirqé de-Rabbi Eliézer Seder Eliahu Rabba Seder Olam Rabba Targum Neofiti Targum du Pseudo-Jonathan
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Chapitre premier DU BON USAGE DES SOURCES JUIVES POUR L’INTELLIGENCE DU NOUVEAU TESTAMENT L’intérêt de la connaissance de la tradition juive pour une meilleure compréhension du Nouveau Testament n’est plus à démontrer. Pour ne prendre qu’un exemple en langue française, Joseph Bonsirven publiait en 1955 les Textes rabbiniques des deux premiers siècles chrétiens pour servir à l’intelligence du Nouveau Testament1. Même si l’on constate encore ici ou là quelques réticences au principe même d’un rapprochement entre les sources rabbiniques et les écrits apostoliques, il est assez généralement admis que, selon l’expression de Roger le Déaut, « les chrétiens ont hérité d’une Bible interprétée2 ». Le même auteur aimait à le rappeler : la simple connaissance de l’Ancien Testament, pourtant indispensable, ne peut à elle seule faire apparaître toute la portée ou les harmoniques des évangiles et des autres écrits apostoliques. Le Nouveau Testament est rempli d’allusions qui échappent en général à leurs lecteurs d’aujourd’hui, faute d’une connaissance suffisante des traditions dont leurs auteurs étaient imprégnés. Issus pour la plupart du judaïsme, les premiers écrivains chrétiens étaient 1. J. Bonsirven, Textes rabbiniques des deux premiers siècles chrétiens pour servir à l’intelligence du Nouveau Testament, Pontificio Istituto Biblico, Rome, 1955. 2. Targum du Pentateuque. Traduction des deux recensions palestiniennes complètes avec introduction, parallèles, notes et index, vol. 5, éd. R. Le Déaut, Cerf, coll. Sources chrétiennes, Paris, 1981, p. 14.
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Chapitre premier
héritiers d’une manière de lire l’Écriture qui est largement présente, explicitement ou non, dans la façon dont ils se réfèrent à ce que nous appelons l’Ancien Testament. Ce n’est pas ici le lieu de retracer l’histoire de cette redécouverte par les chrétiens ni de chercher à en identifier les causes. Avant de présenter plusieurs exemples de ces traditions dans les chapitres qui suivent, on voudrait donner quelques éléments de réponses à deux questions préliminaires : qu’apporte la connaissance des sources juives à l’intelligence du Nouveau Testament ? Dans quelle mesure peut-on faire appel à ces sources pour éclairer les écrits apostoliques, et quelles sont les règles de prudence à observer dans ce domaine ? ★
Le chrétien occidental qui s’aventure aujourd’hui dans la littérature juive ancienne se trouve plongé d’emblée dans un monde qui lui est à la fois étrange et familier. Étrange, parce que la manière dont les commentateurs juifs de l’antiquité interprétaient les textes bibliques est déroutante pour des esprits rationnels — ou qui se considèrent comme tels. Familier, parce que cette littérature fourmille d’expressions que tout chrétien, même le moins cultivé ou le moins pratiquant, a entendues au moins une fois dans les passages les plus classiques des évangiles : « À chaque heure suffit sa peine », « qu’il suffise au serviteur d’être comme son maître », « de la mesure dont use un homme, on mesure aussi pour lui », « il en va comme d’un roi qui3… », et bien d’autres formules analogues, dont le chrétien découvrira, parfois avec un certain trouble, qu’elles ne sont pas nées dans la bouche de Jésus ni sous la plume des auteurs du Nouveau Testament. Dans bien des cas, passée la première surprise, la rencontre de ces expressions semble ne rien apporter à la compréhension des textes évangéliques. Cette découverte devrait pourtant faire appa3. Sur les paraboles dans la tradition juive, voir Paraboles rabbiniques, présentées et traduites par D. de La Maisonneuve, Supplément Cahiers Évangile no 50, Cerf, Paris, 1984.
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Du bon usage des sources juives pour l’intelligence du NT
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raître une première évidence : le christianisme n’a pas poussé sur un sol vierge, mais il est né dans un milieu religieux qui avait sa propre tradition, et dont il reste indissociable. D’une manière sans doute très modeste, ces rapprochements littéraires peuvent aider le chrétien à pressentir que la religion née avec le Nouveau Testament ne peut être arrachée du terreau dans lequel elle est enracinée ; et, plus profondément, que l’Église ne peut se comprendre hors de la relation avec le peuple dont elle est née. Rencontrer ces formules familières dans des sources qui ne le sont pas provoquera parfois chez le chrétien une réaction d’insécurité. Ce sera le cas lorsqu’il trouvera dans les textes juifs anciens des expressions dont il pensait qu’elles étaient typiquement chrétiennes, ou même qu’elles exprimaient l’élément spécifique par lequel le christianisme se distingue du judaïsme. On trouve par exemple dans le plus ancien midrash qui nous soit parvenu cette phrase, dont beaucoup seront très surpris de découvrir qu’elle est aussi juive que chrétienne : « Le sabbat vous a été donné, ce n’est pas vous qui avez été donnés au sabbat4. » Découverte qui rend impossible ces oppositions sommaires entre judaïsme et christianisme dont l’enseignement chrétien courant est encore encombré, mais qui contraint aussi le chrétien à descendre plus profond qu’une lecture superficielle des évangiles, pour se demander où se trouve l’élément spécifique de sa propre foi. Même par le biais apparemment innocent de rapprochements littéraires entre des formules qui ne sont que de simples adages, la rencontre du judaïsme oblige le chrétien à être au clair avec sa propre identité. Dans d’autres cas, la lecture des textes rabbiniques élargit ou enrichit d’une manière inattendue la compréhension de formules ou de thèmes connus, ou éveille des harmoniques insoupçonnées. Il est inutile d’illustrer maintenant cette affirmation, puisqu’il s’agit là du propos des chapitres qui suivent. Enfin, le lecteur aura parfois la joie de découvrir dans les textes rabbiniques la clef de tel ou tel passage du Nouveau Testament qui semblait désespérément hermétique, et devant lequel les exégètes avouaient leur incapacité à percevoir l’intention de l’auteur. Ce 4. MRI, H-R, 341 ; L, III, 198.
En lecture partielle‌
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TABLE DES MATIÈRES Préface, par Anne-Marie Pelletier ........................................................
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Avant-propos ..........................................................................................
11
Sigles des sources juives ........................................................................
15
Chapitre I. Du bon usage des sources juives pour l’intelligence du Nouveau Testament ..........................................................................
19
Chapitre II. Pas un « yod » ne disparaîtra ..........................................
37
Chapitre III. L’âne, au service de la rédemption................................
47 48 49
Chapitre IV. Aveugles et boiteux..........................................................
57 58 60 63 65
Chapitre V. Prophétesse et fille d’Asher ............................................ Sérah et la sortie d’Égypte...................................................................... Autres traditions sur Sérah .................................................................... Sérah et la prophétesse Anne ................................................................
69 70 75 80
Chapitre VI. Le pronom « Moi » ..........................................................
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L’âne et la rédemption d’Israël.............................................................. L’âne du rédempteur .............................................................................. Le précepte du pèlerinage ...................................................................... Le Dieu qui voit et qui est vu ................................................................ Monter pour voir .................................................................................... Appendice. Il n’y avait pas d’infirmes lors du don de la Tora ..........
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Table des matières
Chapitre VII. Les eaux qui montent d’elles-mêmes .......................... Les traditions aggadiques ...................................................................... Jésus et le puits de Jacob ........................................................................
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Chapitre VIII. Jean et les traditions juives anciennes sur l’Exode .. 101 Un midrash sur Exode 4, 1-9 ................................................................ 102 Essai d’interprétation ............................................................................ 108 Conclusion .............................................................................................. 116 Chapitre IX. Ils crurent et suivirent Moïse ........................................ 119 Le verbe « croire » dans l’Exode ............................................................ 120 Les commentaires rabbiniques sur ces textes...................................... 121 Du midrash à l’évangile de Jean............................................................ 126 Chapitre X. « Il y avait là un jardin… » .............................................. 131 Chapitre XI. « Leur voix a retenti par toute la terre… ».................... 137 « N’auraient-ils pas entendu ? » ............................................................ 137 La Tora proposée à tous les peuples .................................................... 140 Jalousie, haine, émulation ...................................................................... 148 Conclusion .............................................................................................. 158 Chapitre XII. Paul et Jonas.................................................................... 161 Les traditions juives anciennes sur le livre de Jonas .......................... 161 La « Mekhilta de-Rabbi Ishmael » ........................................................ 163 Rapprochements avec le Nouveau Testament .................................... 167 Le commentaire de Jérôme sur Jonas .................................................. 170 Conclusion .............................................................................................. 175 Chapitre XIII. L’appel aux tribunaux des païens .............................. 177 Chapitre XIV. « Le troisième jour, conformément aux Écritures »
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Chapitre XV. « Telle est la circoncision du Christ » .......................... 191 Les deux effusions de sang de la nuit pascale ...................................... 192 Le sang d’Isaac ........................................................................................ 196 Circoncision et sacrifice ........................................................................ 201 Par la chair et le sang du Christ ............................................................ 203 Chapitre XVI. Le « chef de la foi » ........................................................ 211 Les textes .................................................................................................. 211 Les traditions sur Abraham et Hébreux 12, 2 .................................... 217
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Table des matières
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Chapitre XVII. Isaac et la résurrection des morts ............................ 223 Données de la tradition juive ................................................................ 223 Données du Nouveau Testament.......................................................... 230 Appendice. « Une rosée de résurrection » ............................................ 233 Chapitre XVIII. Lectures juive et chrétienne de l’Écriture .............. 237 La lecture chrétienne de la Bible, une lecture « midrashique » ........ 237 L’esprit de la lecture juive ...................................................................... 241 La lecture chrétienne dans la continuité de la lecture juive .............. 243 Glossaire .................................................................................................. 249 Index des références bibliques.............................................................. 251 Index des sources juives ........................................................................ 259 Table des matières .................................................................................. 267
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Les « Écritures » citées par le Nouveau Testament étaient
des Écritures déjà lues et interprétées : la tradition rabpinique ancienne, dans le Targum et le Midrash, représente un maillon indispensable dans la dynamique herméneutique qui va de l’Ancien au Nouveau Testament. En dix-sept étapes, l’auteur nous en fait ici une démonstration par les textes. Des motifs évangéliques, des arguments pauliniens, des affirmations de la lettre aux Hébreux reçoivent une intelligibilité nouvelle lorsqu’ils sont lus sur fond des traditions premières du judaïsme. La nouveauté du Christ apparaît ainsi dans une lumière nouvelle – réfractée dans la vigilance interprétative – du peuple juif. Cet ouvrage paru initialement en 2003, devenu un classique et épuisé depuis plusieurs années, a été pour cette édition revu et augmenté. Il est précédé d’une importante préface inédite d’Anne-Marie Pelletier. Michel REMAUD, f.m.i., a enseigné à l’Institut Ratisbonne, puis à l’Institut Albert Decourtray (Institut chrétien d’études juives et de littérature hébraïque) à Jérusalem. Spécialiste de l’exégèse rabbinique et de ses liens avec le Nouveau Testament, il a publié plusieurs ouvrages. Chez Lessius : Chrétiens et juifs entre le passé et l’avenir (2000) et La vocation de la Terre Sainte (avec D. Meyer et T. Obrou, 2014).
ISBN : 978-2-87299-341-3
26,50 € www.editionsjesuites.com