Naissance d’un peuple, gloire de Dieu Exode [14–15]

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ANDRÉ WÉNIN

Naissance d’un peuple, gloire de Dieu Exode 14 – 15



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Naissance d’un peuple, gloire de Dieu


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André Wénin

Naissance d’un peuple, gloire de Dieu

Exode 14 –15


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Collection Péricopes, 1 dirigée par Didier Luciani et Jean-Pierre Sonnet, s.j. Des ouvrages courts et centrés sur des textes peu connus, énigmatiques ou même scandaleux des Écritures… qui méritent néanmoins le détour. Une collection de commentaires proposant des analyses fines et accessibles, pour lire seul, ou, mieux, en groupe, à Bible ouverte.

© 2018, Éditions jésuites Belgique : 7, rue Blondeau, 5000 Namur France : 14, rue d’Assas, 75006 Paris ISBN : 978-2-87299-354-3 Dépôt légal : D. 2018, 4255-07 Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Imprimé en France


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ême si sa lecture est sévèrement amputée dans la liturgie de la veillée pascale, le récit du passage de la mer Rouge au chapitre 14 de l’Exode reste bien connu. Peut-être l’est-il, d’ailleurs, parce qu’il est un des très rares textes bibliques mettant en scène une violence divine, qui a trouvé grâce aux yeux des censeurs liturgiques, contraints sans doute par la centralité irremplaçable de ce texte dans la Bible, mais aussi dans la symbolique de la résurrection. Car c’est bien un passage de la mort à la vie que cette page raconte. Ce moment où Dieu prend à son piège pour le mettre à mort celui qui, précisément, déniait à un peuple le droit de vivre. Le moment où Yhwh brise les chaînes de son peuple, en le libérant non seulement de l’esclavage d’Égypte, mais aussi de sa complicité intérieure avec ses oppresseurs. Préfiguration de la résurrection de Jésus, mais aussi du baptême qui associe le croyant à la mort de son Seigneur pour qu’il participe à sa résurrection et soit une créature nouvelle1, ce pas1. C’est en ces termes que l’évoquera Paul dans la première lettre aux Corinthiens (10, 1-2), mais voir le déploiement de cette symbolique en Rm 6, 1-11. À ce sujet, mais aussi plus largement, voir W!"#", « Enracinement vétérotestamentaire », p. 14-22, ou « Naissance, mort, résurrection ».

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sage a d’abord servi de matrice à la majorité des textes bibliques évoquant le salut offert par Dieu à son peuple2. Le chrétien pratiquant sait probablement aussi que, dans le livre de l’Exode, le récit en prose de la délivrance d’Israël est suivi par un chant entonné par Moïse et les Israélites. Souvent appelé « cantique de la mer », ce poème plein de lyrisme reprend le récit en lui donnant une tonalité épique qui met en évidence la façon avec laquelle, en un tournemain, Yhwh triomphe de l’armée surpuissante de Pharaon. Face à ce double texte, la critique classique s’en est donné à cœur joie après avoir repéré que, selon toute vraisemblance, le texte en prose résultait lui-même d’un amalgame de récits antérieurs — sûrement deux, peut-être trois3. Ce n’est pas cette ligne que suivra le présent essai. Sa prétention en effet n’est pas d’explorer l’histoire de ce grand texte, mais d’en proposer une lecture synchronique, plus particulièrement narrative, pour tenter de le découvrir à frais nouveaux et de mieux le comprendre à partir de sa forme canonique. On examinera en particulier la fonction du cantique dans la narration d’ensemble et la façon dont le tout est formaté pour mettre en évidence comment Yhwh fait éclater sa gloire quand il donne naissance à un peuple en l’arrachant à la mort4.

2.

Je le montre à propos du Ps 124 dans mon étude d’Ex 14, 1-31 parue dans

L’homme biblique, p. 100-103.

3. Un exemple rapide de cette hypothèse se trouve chez B$#%"&, Le livre de l’Exode, p. 22-26. 4. Les deux premières parties de ce petit livre reprennent sous une autre forme deux écrits antérieurs. Ils sont mentionnés dans la première note de chacune de ces parties.


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Contexte et limites de la séquence Si cette page est célèbre, elle est peu souvent lue dans le contexte qui est le sien. Elle vient au terme d’une ample séquence qui commence par l’esclavage et l’oppression qu’un Pharaon impose aux descendants de Jacob et de ses fils dont le nombre toujours croissant le fait trembler (Ex 1). Le cri des fils d’Israël pousse Yhwh à intervenir en raison de ses promesses aux patriarches. Aussi envoie-t-il Moïse libérer les Israélites. Mais il se heurte à un mur : le roi égyptien affirme ne pas connaître Yhwh et refuse de laisser partir ce peuple que ce Dieu considère comme « son fils » (5, 1-2). Les démarches répétées de Moïse se soldent par le renforcement de l’oppression, ce qui démoralise les Israélites au point que le médiateur reproche à Dieu de faire le malheur du peuple. Mais Yhwh relance Moïse en annonçant un affrontement décisif dont l’enjeu est de libérer Israël, même s’il ne veut plus écouter (6, 1-9), et de se faire connaître du Pharaon et de l’Égypte, même s’ils s’opposent à lui (6, 1011.28-30 ; 7, 3-5). L’obstination du roi provoque alors la longue série des « plaies d’Égypte », au terme de laquelle les Israélites finissent par consentir au projet divin de libération tandis que Pharaon et les siens iront jusqu’à les supplier de quitter le pays (12, 28.31-33). C’est ainsi qu’au terme de ces événements, les trois acteurs principaux étant enfin d’accord, Israël sort d’Égypte comme le récit l’enregistre en 13, 17-18 : « Et quand Pharaon laissa partir le peuple, Dieu ne les mena pas par le chemin de la terre des Philistins alors qu’il était proche, car Dieu s’était dit : “De peur que le peuple ne se repente quand ils verront la guerre et qu’ils ne retournent vers l’Égypte.” Et Dieu détourna le peuple par le chemin du

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désert de la mer des Joncs, et en ordre (de bataille), les fils d’Israël montèrent de la terre d’Égypte5. » Ces versets constituent le début de la séquence narrative qui est au centre de ce livre6 . En effet, en 13, 17, le récit reprend son cours en synthétisant l’essentiel des faits qui précèdent. Ceux-ci ont été relatés conjointement à diverses instructions rituelles en vue de la commémoration de la sortie d’Égypte, les dernières concernant la consécration des premiers-nés et le rite des azymes concluant cette séquence en 13, 1-167. La fin de l’épisode se situe, quant à elle, en 15, 218. Certes, 14, 30-31 a l’allure d’un épilogue puisque s’y trouvent synthétisés les faits relatés jusque-là et cela, pour chacun des trois acteurs concernés : Yhwh a sauvé Israël ; l’Égypte a trouvé la mort au cœur de la mer qui s’est calmée ; le peuple constate la défaite de son agresseur et l’exploit de son Dieu (v. 30-31a). Enfin, il est fait état de la réaction finale d’Israël qui en bénéficie, à la fois par rapport à Yhwh son bienfaiteur et à Moïse son agent : la foi et la crainte (v. 31b). Ce double sentiment se déploie de façon hautement lyrique dans le poème où Moïse et les Israélites soulignent l’impor5. Dans la citation, les italiques soulignent les trois protagonistes qui, au terme, sont d’accord pour qu’Israël quitte l’Égypte. 6. Même s’il étudie seulement Ex 14, 1-31, S'(, Le passage, considère que « ces quelques versets […] veulent sonder la densité des événements qui se préparent et persuader le lecteur qu’il va assister à un moment unique de l’histoire d’Israël », celui de « l’adieu définitif et irrévocable à l’Égypte » (p. 33), tandis que les v. 21-22 inaugurent un « âge nouveau » pour le peuple marqué par un nouveau type de manifestation de la présence divine, la nuée (p. 35-36). On ne comprend pas dès lors pourquoi il s’en tient à la règle des trois unités (lieu, temps, action) et ne discute pas la possible intégration de 13, 17-22 dans l’épisode. Font le choix inverse, par ex., C)#*&+, Exodus, p. 224-225, H,-./(", Exodus, vol. 2, p. 225 et F#+0)%$, M($'*, Das Buch Exodus, p. 151. 7. Le thème de la « sortie » est très présent dans ce passage (v. 3.4.8b.9.14.15.16). On y note aussi une insistance sur le but de cette sortie, la terre promise : 13, 5 et 11, d’où sans doute l’explication en 13, 17 du détour imposé par Yhwh. 8. Voir le découpage de M%1%$+, Exodus, p. 110-111, de V,2%*+, Moïse, p. 156 ou de H,-./(", Exodus, vol. 2, p. 221, de même que l’argumentation de S'(, Le passage, p. 22-23 qui défend cependant la possibilité de s’arrêter en 14, 31 (p. 2324). C’est aussi ce que fait M#0)(%*#, Le livre de l’Exode, p. 119-128.


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tance de l’événement (15, 1-18). Myriam et les femmes semblent leur faire écho après un bref rappel narratif de l’exploit de Yhwh (v. 19-21)9. Après ce passage hymnique, le récit se poursuit avec la première étape de la marche au désert qui inaugure une nouvelle partie de l’aventure d’Israël (15, 2227)10. Ce petit livre, qui reprend en substance, adapte, unifie et prolonge diverses publications antérieures sur les différentes parties de cet ensemble narratif11, a bénéficié de la relecture et des suggestions de Mesdames Nadine Karelle et Marguerite Roman. Qu’elles veuillent bien trouver ici l’expression de ma reconnaissance.

9. Pour l’argumentation de cette position, voir C)#*&+, Exodus, p. 248-249 (qui isole l’étude de Ex 15, 1-21 de celle qui précède) et S'(, Le passage, p. 23-24. 10. En fin de volume, on trouvera une traduction originale complète du texte biblique dont ce livre propose l’exégèse. Au fil du texte, une traduction plus littérale est donnée. 11. Pour l’essentiel, il s’agit d’un chapitre du livre déjà ancien L’Homme biblique intitulé « Le passage de la Mer » (p. 83-107), et de deux articles parus plus récemment dans des ouvrages collectifs : « Raconter la gloire de Dieu. La narration en Exode 13, 17 – 14, 31 », et « Le “Chant de la Mer” et ses locuteurs intradiégétiques ». Certains passages sont repris quasiment textuellement, mais j’ai omis les guillemets de rigueur pour éviter d’alourdir inutilement le texte.

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I LE PASSAGE DE LA MER La narration en Exode 13, 17 – 14, 31

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e récit en prose qui se lit dans ce passage a quelque chose d’insolite dans le contexte de l’Ancien Testament1. Rares sont en effet les épisodes où la narration décrit l’action divine de façon aussi explicite que dans cette page où est relaté le « miracle de la Mer ». Ce passage recourt à des procédés qui, tout en relevant largement de l’écriture de fiction, sont au service d’une théologie narrative où le personnage de Yhwh prend les traits d’un Dieu qui intervient, directement et avec grande autorité, dans les affaires humaines. Il y manifeste sa « gloire » — comme il le souligne lui-même dans ce texte —, en d’autres termes sa façon de peser de tout son poids sur les événements de l’histoire2. L’analyse proposée sera centrée sur la narration, c’est-àdire sur la mise en récit de l’histoire. L’intrigue sera analysée pour montrer comment les événements racontés sont sélec1. Ce chapitre reprend et adapte mon article intitulé « Raconter la gloire de Dieu. La narration en Exode 13, 17 – 14, 31 ». Bien des passages sont repris (quasiment) textuellement. 2. Le terme hébreu que l’on traduit d’ordinaire par « gloire », kāvôd, vient d’un verbe signifiant « être lourd ». Loin de souligner l’idée d’apparence, de splendeur, la gloire hébraïque renvoie plutôt à l’idée de « poids », de consistance, d’importance effective.

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En lecture partielle‌


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TABLE DES MATIÈRES

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Introduction ........................................................................ Contexte et limites de la séquence ........................................

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I. Le passage de la Mer. La narration en Exode 13, 17 – 14, 31 ................................................................................ L’intrigue : centralité du personnage divin .......................... Le jeu de la tension narrative ................................................ La position du lecteur et le personnage divin ........................

11 12 19 32

II. Le cantique de la Mer (Exode 15, 1-18) ...................... Le point de vue des Israélites sur les faits.............................. Chant de victoire (15, 1-12) .................................................. Vers la terre promise (15, 13-18) ..........................................

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III. Myriam et les femmes : surprise finale (Exode 15, 19-21) ................................................................................ 61 Traduction du texte étudié ................................................ 67 Bibliographie ...................................................................... 73 Table des matières .............................................................. 77


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e rĂŠcit du passage de la mer Rouge au chapitre 14 de l’Exode reste bien connu. Peut-ĂŞtre l’est-il, d’ailleurs, parce qu’il est un des très rares textes bibliques mettant en scène une violence divine, qui a trouvĂŠ grâce aux yeux des censeurs liturgiques, contraints sans doute par la centralitĂŠ irremplaçable de ce texte dans la Bible, mais aussi dans la symbolique de la rĂŠsurrection. Car c’est bien un passage de la mort Ă la vie que cette page raconte. Ce moment oĂš Yhwh brise les chaĂŽnes de son peuple, en le libĂŠrant non seulement de l’esclavage d’Égypte, mais aussi de sa complicitĂŠ intĂŠrieure avec ses oppresseurs. PrĂŠďŹ guration de la rĂŠsurrection de JĂŠsus, mais aussi du baptĂŞme qui associe le croyant Ă la mort de son Seigneur pour qu’il participe Ă sa rĂŠsurrection et soit une crĂŠature nouvelle, ce passage d’Exode a d’abord servi de matrice Ă la majoritĂŠ des textes bibliques ĂŠvoquant le salut oert par Dieu Ă son peuple. AndrĂŠ WĂŠnin, bibliste, enseigne Ă l’UniversitĂŠ catholique de Louvain. Il a publiĂŠ de nombreux ouvrages. Chez Lessius : Isaac ou l’Êpreuve d’Abraham (1999), Joseph ou l’invention de la fraternitĂŠ (2005) et Échec au roi (2013).

ISBN : 978-2-87299-354-3

9 782872 993543

9,00 â‚Ź

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