JÉRÔME
DE GRAMONT
philosophie
donner raison
La pensée monotone
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Jérôme DE GRAMONT
La pensée monotone
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Donner raison – philosophie, 71 Une collection dirigée par Paul Gilbert s.j.
Du même auteur Chez Lessius : La vie quotidienne. Esquisses philosophiques, 2019. Chez d’autres éditeurs : Kant et la question de l’affectivité : lecture de la troisième « Critique », Vrin, 1996. L’entrée en philosophie : les premiers mots, L’Harmattan, 1999. Le discours de la vie : trois essais sur Platon, Kierkegaard et Nietzsche, L’Harmattan, 2001. Blanchot et la phénoménologie : l’effacement, l’événement, De Corlevour, 2011. Au commencement : parole, regard, affect, Cerf, 2013. L’appel de la loi, Peeters, 2014. Kafkabuch : essai, De Corlevour, 2015. Ouvrage publié avec le concours du Vice-Rectorat à la Recherche de l’Institut catholique de Paris (UR « Religion, culture et société » - EA 7403) © 2019 Éditions jésuites 7, rue Blondeau, 5000 Namur (Belgique) 14, rue d’Assas, 75006 Paris (France) www.editionsjesuites.com ISBN : 978-2-87299-367-3 D 2019/4255/20
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AVANT-PROPOS Je fais toujours la même chose et elle est toujours différente comme est la vie. Bernard Noël1
Le lecteur de la Recherche s’étonnera peut-être, au moins dans un premier temps, de l’éloge de la monotonie prononcé par le Narrateur au moment d’entreprendre l’éducation artistique d’Albertine2. C’est que ce mot de monotonie passe plus facilement pour un défaut que pour un signe de génie. Transporté dans le domaine de la pensée, il justifie les critiques les plus féroces — songeons aux accusations mutuelles de Hegel et de Schelling une fois devenus adversaires, ou au concept de monotono-théisme inventé par Nietzsche au § 19 de L’Antéchrist3. Mais que cette même accusation vise Socrate, et celui-ci se félicite plutôt de dire toujours le même. Toute répétition n’est pas stérile et n’interdit pas ipso facto l’originalité du chemin de pensée qu’il faut prendre. Tout lecteur de Platon sait qu’il faut réinventer à chaque dialogue le chemin vers l’Idée, et ce que cela suppose en fait de difficile alliage de répétition et d’imprévisible.
1.¥B. Noël, Le roman d’un être, Paris, POL, 2012, p. 58. 2.¥« Et repensant à la monotonie des œuvres de Vinteuil, j’expliquais à Albertine que les grands littérateurs n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt n’ont jamais que réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu’ils apportent au monde » (Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. Quarto, 1999, p. 1885). 3.¥Expression qu’on trouve aussi dans Le Crépuscule des idoles, « La “raison” dans la philosophie », § 1.
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Avant-propos
Que la monotonie puisse être géniale et libérer imagination (en art) ou concepts (dans le domaine de la pensée), la leçon est forte et demande à être entendue. Pourquoi il faut revenir à l’éloge du Narrateur, lequel ne multiplie pas seulement les exemples pris à la littérature (Barbey d’Aurevilly, Thomas Hardy, Dostoïevski, d’autres encore), mais aussi à la peinture (Vermeer ou Elstir), ou la musique (Vinteuil4), pour montrer comment un même motif, ou une même phrase, est susceptible des plus riches variations, mais tente aussi de l’expliquer à deux reprises : à partir du monde (de l’apparition à chaque fois unique d’un monde) : Cette qualité inconnue d’un monde unique et qu’aucun autre musicien ne nous avait jamais fait voir, peut-être était-ce en cela, disais-je à Albertine, qu’est la preuve la plus authentique du génie, bien plus que le contenu de l’œuvre elle-même. […] Vous m’avez dit que vous aviez vu certains tableaux de Vermeer, vous vous rendez bien compte que ce sont les fragments d’un même monde, que c’est toujours, quelque génie avec lequel elle soit recréée, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté…
et à partir du génie (du sujet capable de voir le monde ou le recréer) : Cette patrie perdue, les musiciens ne se la rappellent pas, mais chacun d’eux reste toujours inconsciemment accordé en un certain unisson avec elle ; il délire de joie quand il chante selon sa patrie, la trahit parfois par amour de la gloire, mais alors en cherchant la gloire il la fuit, et ce n’est qu’en la dédaignant qu’il la trouve, et quand le musicien, quel que soit le sujet qu’il traite entonne ce chant singulier dont la monotonie — car, quel que soit le sujet traité, il reste identique à soi-même — prouve la fixité des éléments composants de son âme5.
Ce que nous cherchons ainsi chez les écrivains, les musiciens, les peintres, et que traduit le mot pourtant si mal-aimé de monotonie,
4.¥Ici il faudrait citer très longuement les pages qui font entendre le retour de la petite phrase de la sonate de Vinteuil dans son septuor (M. Proust, À la recherche du temps perdu, p. 1790-1799). 5.¥Ibid., p. 1796s.
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Avant-propos
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ce motif, cette phrase, ce fragment de monde qui suffit à le rendre présent en sa totalité, se pourrait-il que nous le demandions aussi aux penseurs ? Comme si d’une œuvre que nous espérons aussi vaste que le monde et notre expérience d’homme, nous attendions aussi, mais parfois secrètement, qu’elle nous conduise à une unique pensée, et nous donne de prononcer, mais cette fois avec autorité, un unique mot — peut-être le nom de Dieu, ou peut-être le nôtre, ou peut-être simplement « oui6 ». Poètes et penseurs écrivent des dizaines de livres et nous en lisons des milliers, mais peut-être seulement pour que nous puissions prononcer un seul mot — mais le prononcer enfin, le prononcer vraiment, avec cette autorité qui nous manque en ces jours qui sont incertains. Qu’importe alors la monotonie de la pensée, et que le pluriel de ses commencements7, ses multiples chemins, ses variations quasi infinies conduisent invariablement au même motif, à une même pensée, au même nom ultime — le Nom propre par excellence, orient de tous les noms communs : le nom de Dieu ? — s’il s’agit là d’une monotonie heureuse. Toute la difficulté est à inventer la manière à chaque fois singulière d’aller « droit au nom » tout en ménageant « la retenue de la pensée ». Il en va des affaires de pensée comme pour ces problèmes d’échecs évoqués par Hopkins dans une lettre du 24 août 1883, et où l’essentiel tient moins dans l’issue si souvent prévisible (« blancs jouent et gagnent ») que dans la manière d’y arriver. Tu sais qu’il y a des solutions, par exemple, à des problèmes d’échecs, si ingénieusement belles, des résolutions de suspensions si élégantes en musique que même le sentiment d’intérêt atteint son 6.¥Il n’est pas indifférent que ce mot soit le dernier de l’Ulysse de Joyce : « Et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m’a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l’ai attiré sur moi pour qu’il sente mes seins tout parfumés oui et son cœur battait comme fou et oui j’ai dit oui je veux bien Oui » (trad. A. Morel revue, Paris, Gallimard, 1978, t. II, p. 538). 7.¥Un pluriel auquel nous avons déjà consacré deux précédents volumes (L’entrée en philosophie. Les premiers mots, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Au commencement. Parole Regard Affect, Paris, Cerf, 2013) dont le présent recueil constitue en quelque façon le prolongement.
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Avant-propos
comble lorsqu’elles sont connues et terminées, et survit un certain temps à la découverte. Que doit-il en être alors, lorsque la réponse consiste précisément dans l’énoncé le plus fascinant, insaisissable, et la vérité à laquelle il faut s’en remettre est la formulation la plus forte de la difficulté8 !
La pensée a ses premiers mots, il est probable que le dernier n’a pas encore été prononcé. Mais l’eût-il été, qu’il nous faudrait encore chercher le labyrinthe pour nous y mener.
8.¥Gerard Manley Hopkins, En rythme bondissant (Lettres choisies), trad. R. Gallet, Paris, Obsidiane, 1989, p. 41. Le contexte porte sur les mystères du christianisme.
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Introduction ÉLOGE DE LA MONOTONIE, ou comment s’orienter dans la pensée ? Je ne peux que rester fidèle À la merveilleuse monotonie du mystère. Pier Paolo Pasolini1
Nous lisons des milliers de livres, nous tournons des millions de pages, et tout cela pourquoi, en vue de quoi ? Pour arracher quel secret dont nous devinons qu’il est déposé, là, sous nos yeux, en attente que nous sachions le voir, ou que cette activité insensée qui s’appelle écrire, cette activité non moins vaine qui s’appelle lire, puisqu’elles nous distraient l’une et l’autre de l’économie du monde et de son sérieux, nous aident, malgré tout, malgré ou grâce à cet immense détour, à reconnaître la petite part de sens déposée dans notre expérience d’homme. Des milliers de livres, des millions de pages, mais comment en serait-il autrement puisque l’expérience est si diverse, le monde si vaste ? Ce n’est pas une petite affaire que d’aller aux choses mêmes, et convertir en logos l’expérience d’abord muette des phénomènes — et elle est à renouveler tous les matins. Les choses — le pluriel n’est pas de trop. Expérience — nous pouvons bien décliner le mot au singulier, tout ce qui arrive au fil du temps affectant un même sujet, ce « je pense » dont nous savons au moins depuis Kant qu’il doit pouvoir accompagner toutes nos représentations, son concept pourtant est riche d’un pluriel irréductible, la mise à l’épreuve de soi au contact 1 Pier Paolo Pasolini, Adulte ? Jamais. Anthologie, trad. R. de Ceccatty, Paris, Points, 2013, p. 257.
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d’une altérité sans cesse recommencée, la nouveauté indéfiniment répétée de tout ce qui arrive. Ce qu’il faut attendre et ce qu’il faut traverser, ce qui diffère de l’ancien et qu’il faut apprendre, à chaque fois, comme si elle était la première. Ce que Blaise Pascal notait à propos de notre connaissance des hommes mériterait d’être généralisé à notre expérience entière : « À mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes2. » Notre existence d’homme est finie, cernée par la naissance et la mort, mais notre expérience est proprement infinie. On conviendra que pour tracer des chemins et nous orienter dans la pensée — rien que dans la pensée, cet infini à une échelle moindre — il faut des cartes et des boussoles. Kant, dont on sait qu’il fut aussi un grand professeur de géographie, se montre ici bon guide. Peu de penseurs en effet furent aussi sensibles que lui au pluriel des phénomènes, qu’il fallait à la fois traduire et contenir. Traduire, par fidélité à cette manière propre aux phénomènes de se donner, comme une multiplicité incapable de se synthétiser d’elle-même. Mais contenir aussi, pour que cette « mêlée des sensations3 » ne tourne pas au chaos, ou à la destruction « systématique » de toute expérience possible4. De là cette pensée qui, pour arracher l’expérience à ce caractère rhapsodique la menaçant de disparition (menaçant qu’il ne puisse plus y avoir aucune expérience d’objet), dresse le tableau de toutes les synthèses opérées par notre esprit. Rhapsodie et synthèse forment ainsi les deux pôles de la première Critique, à condition d’y ajouter une direction que s’emploie à maintenir le travail de l’esprit 2.¥B. Pascal, Pensées, Brunschvicg 7, Lafuma 510. 3.¥Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, A 111. 4.¥Hypothèse que Kant aura prise suffisamment au sérieux pour l’exposer dans la première édition de la Critique de la raison pure (« Si l’unité de la synthèse par concepts empiriques était tout à fait contingente et si ces concepts ne reposaient pas sur un principe transcendantal de l’unité, il serait possible qu’une foule de phénomènes remplît notre âme sans qu’il en pût jamais résulter d’expérience. Mais alors s’évanouirait tout rapport de connaissance à des objets, puisque l’enchaînement qui se fait en vertu de lois générales et nécessaires lui manquerait ; par suite elle serait pour nous comme si elle n’était rien, une intuition vide de pensée, mais jamais une connaissance », A 111, trad. Tremesaygue et Pacaud, Paris, PUF, 1944, p. 124), mais la retirer de la seconde édition.
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en ses diverses facultés. Dès lors, c’était faire droit à l’un et l’autre pôle que placer la tâche de la pensée sous le motif de l’orientation : pour celui qui est perdu devant le divers sensible, le pluriel des phénomènes ou l’infini de l’expérience, fixer l’orient. Les circonstances particulières qui auront présidé à la publication de l’opuscule de 1786, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, savoir l’intervention de Kant dans la querelle du panthéisme, n’ôtent rien au fait que ce motif de l’orientation s’inscrit au cœur du projet critique en tant que tel. Pour celui qui est allé le plus loin possible du côté du pluriel de l’expérience et de l’exigence d’unité dont l’esprit est porteur, au point de faire de chaque homme qui simplement perçoit le monde et le tire de son possible chaos un poète — Kant poète, ce fut la commune lecture de Michel Alexandre et de Martin Heidegger5 — l’orientation tient lieu d’un véritable impératif de la pensée. Pourtant nous ouvrirons à peine l’opuscule de Kant, ne lisant qu’une page, celle où il est question de s’orienter au sens propre, c’est-à-dire dans l’espace, et de cette page nous ne retiendrons que deux phrases : S’orienter signifie en son sens propre : trouver à partir d’une région céleste donnée — nous divisons l’horizon en quatre régions — les autres régions et surtout l’orient6.
Et après avoir imaginé une hypothèse fort improbable, ce que son traducteur (Alexis Philonenko) tient pour une « farce cosmique7 », le monde mis sens dessus dessous par une inversion de l’ouest et l’est : Aussi [l’astronome] n’aura-t-il qu’à porter les yeux sur l’étoile Polaire et non seulement il remarquera le changement survenu, mais encore il pourra s’orienter en dépit de celui-ci8. 5.¥Voir M. Alexandre, Lecture de Kant, Paris, PUF, 1961, p. 31 : « La fonction de l’imagination est de construire constamment le monde, dans lequel cette poussière prend forme et place. L’art » et Martin Heidegger, Nietzsche I, trad. P. Klossowski, Paris, Gallimard 1971, p. 453 : « C’est Kant qui, pour la première fois, a proprement discerné le caractère poétifiant de la raison, et qui l’a médité dans sa doctrine de l’imagination transcendantale. » 6.¥Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, trad. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1978, p. 77. 7.¥Alexis Philonenko, Introduction à ibid., p. 66. 8.¥Ibid., p. 77.
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À celui qui demande comment s’orienter, la réponse tient en quatre régions, mais une étoile. Pourquoi nous avons besoin bel et bien de cartes et de boussoles. Pouvons-nous observer un progrès en cartographie depuis l’époque de Kant ? À cette question quelque peu sacrilège, ne nous hâtons pas de répondre en termes de progrès, mais il est certain que d’autres cartes sont possibles. Un exemple suffira, auquel nous aurons ensuite à apporter quelques variations. Il est de Jean Greisch, pris au sixième et dernier chapitre du Cogito herméneutique, et librement inspiré de Kant comme son titre le laisse aisément deviner : « Qu’appelle-t-on s’orienter dans la pensée ? Une méditation “métaphilosophique9”. » Libre lecture de Kant donc, mais passée au prisme de l’interprétation heideggérienne, cette carte se présente comme une table d’orientation déployant la fonction méta, avec pour points cardinaux quatre versions possibles de la transcendance du Dasein10. Trans-ascendance
Trans-possibilité
Trans-passabilité
Trans-descendance
Carte 1 Ces quatre points cardinaux sont autant de néologismes, empruntés à Jean Wahl pour l’axe vertical et à Henri Maldiney pour 9.¥J. Greisch, Le cogito herméneutique. L’herméneutique philosophique et l’héritage cartésien, Paris, Vrin, 2000. On retrouve la même table dans la remarquable conférence donnée à l’occasion des vingt ans de la Chaire Gilson « La “fonction méta” et la Croix du Christ » (dans Métaphysique et christianisme, Paris, PUF, 2015). 10.¥Id., Le cogito herméneutique, p. 241. Nous suivons le commentaire de la table p. 241-243.
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l’axe horizontal. Contenons-nous d’un commentaire bref, et même trop bref. Trans-ascendance nomme ce que nous entendons spontanément par transcendance, soit ce mouvement de dépassement et d’élévation qui nous porte au-devant de ce qui surpasse tout ce que nous pouvons communément connaître, à la manière dont le Bien chez Platon excède l’essence parce qu’il la dépasse en majesté et en puissance11. Aussi trans-ascendance est-il le premier mot qui vient au métaphysicien12, mais qui en appelle aussitôt un second, celui de transdescendance, comme la possibilité d’aller vers le haut ne prend sens qu’en s’adossant à la possibilité adverse d’aller vers le bas — ce qui peut s’entendre sous les figures de l’abaissement et de la kénose, mais aussi de l’accablement ou la mélancolie. Existe vers le bas celui qui est livré au fardeau de l’existence, mais aussi simplement au mouvement de l’incarnation (comme mouvement cette fois vers la profondeur du sensible13). Trans-possible nomme ce troisième mouvement de l’existence qui se porte en avant de soi, non pas seulement vers nos projets et les possibilités qui sont les nôtres14, mais vers cet inespéré et qui pourtant arrive, vers cette possibilité de surcroît qui pour cela a nom trans-possible et pas seulement possible. « Plus haute que l’effectivité est la possibilité » dit le célèbre § 7 de Être et temps, mais plus haut encore que les possibilités du Dasein est le trans-possible. Si 11.¥Platon, République 509 b. 12.¥Comme il vient à Emmanuel Levinas au début de Totalité et infini : « Le mouvement métaphysique est transcendant et la transcendance, comme désir et inadéquation, est nécessairement une transascendance » (La Haye, Martinus Nijhoff, 1961, p. 5). 13.¥C’est le sens qu’on retrouve dans une note de travail du dernier MerleauPonty : « L’autre côté à comprendre, non pas, comme dans la pensée objective, au sens d’autre projection du même géométral, mais au sens d’Ueberstieg du corps vers une profondeur, une dimensionnalité qui n’est pas celle de l’étendue, et de transdescendance du négatif vers le sensible » (Le visible et l’invisible, Note de travail de juin 1960, Paris, Gallimard, 1964, p. 313). 14.¥Ici il faut corriger les explications de Jean Greisch, plus fidèles au Heidegger d’Être et temps qu’au Maldiney de Penser l’homme et la folie (ce qu’il a d’ailleurs lui-même reconnu lors d’une discussion du Colloque Stanislas Breton — Cerisy 2011).
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l’existence se déploie entre un moins et un plus — comme peut nous le rappeler le poète Paul Celan : Tout est moins que cela est, tout est plus15.
Alors il nous faut penser ce moins plus loin encore jusqu’à la folie, et ce plus, plus loin encore jusqu’à l’inouï, l’inespéré16. Encore faut-il que nous puissions accueillir cet inespéré, sans quoi il resterait lettre morte. Le trans-possible ne peut advenir que parce que nous nous laissons affecter au-delà même de ce que nous pouvons attendre ou maîtriser. Tout possible appelle un pâtir préalable, et le trans-possible cette plus grande ouverture à ce qui vient à notre rencontre. Henri Maldiney lui consacre quelques-unes des pages les plus fortes de Penser l’homme et la folie sous le nom de transpassible17. Commentaire trop bref disions-nous, mais par nature et non par décompte de mots, car eussions-nous disserté pendant des heures et des jours, écrit des dizaines ou centaines de pages pour expliquer ces quatre mots, qu’il serait encore trop bref, et nommerait encore trop vite ce qu’il est si difficile d’atteindre (au moins si l’on entend par trans-descendance la profondeur du sensible). C’est qu’aucun de ces quatre points cardinaux n’est d’emblée à notre portée, et qu’il faudrait sans doute montrer pour chacun comment nous 15.¥P. Celan, cité par J. Greisch dans Le cogito herméneutique, p. 243 ; La parole heureuse, Paris, Beauchesne, 1987, p. 403 ; « Les Fleurs du Rien (La Rose de Personne de Paul Celan) », Le nouveau commerce, cahier 55, printemps 1983, p. 82 (et trad. p. 85, n. 16). 16.¥Cela même que décrit Jean-Louis Chrétien dans son ouvrage L’inoubliable, l’inespéré, Paris, Desclée de Brouwer, 2000 (« Le surcroît de l’événement au regard de nos prévisions peut manifester simplement la finitude et la faillibilité de l’humaine connaissance. Mais il peut aussi être compris positivement comme la marque de son origine plus qu’humaine », p. 143). 17.¥J. Greisch cite dans Le cogito herméneutique (p. 243) ce passage de Penser l’homme et la folie où le mot de trans-passible n’est d’ailleurs pas expressément présent : « Tout ressentir comporte dimensionnellement un moment pathique dans la tonalité duquel s’exprime, sans signes, non le quoi de l’expérience, mais le comment d’une rencontre, en elle, avec le monde entier, c’est-à-dire en style d’ouverture à l’étant et à l’existant » (Grenoble, Jérôme Millon, 1991, p. 72).
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commençons par le manquer : la transascendance parce qu’elle excède par définition ce que nous pouvons éprouver ou penser, la transdescendance parce que de manière paradoxale le plus proche n’est pas moins difficile à atteindre que le plus lointain (raison pour laquelle la philosophie a eu tant de mal et mis tant de temps à décrire avec rigueur la terre, le corps et le sensible18), le transpassible parce que nous sommes peut-être moins souvent ouverts que fermés aux vrais événements, et le transpossible parce que l’inattendu passe la mesure de ce que nous pouvons imaginer ou concevoir. Quel besoin aurions-nous d’une table d’orientation si ces points cardinaux nous étaient d’emblée acquis ? Ces considérations invitent à penser une expérience plus primitive de la perte de tout orient qui confère ainsi son urgence au motif de l’orientation (comme peut l’écrire Jean Greisch dans sa conférence écrite pour les vingt ans de la chaire Gilson : « Seul un étant qui peut se dépasser lui-même peut également “sombrer”, s’enliser et déchoir19 » — où nous ajoutons : seul un étant qui a déjà sombré est appelé à se dépasser lui-même). Comme elles invitent à dresser une sorte de table de désorientation, relevant ainsi les quatre dangers majeurs qui menacent notre existence d’homme20. (Dans la mesure où la première table a pu être qualifiée par Jean Greisch lui-même en 2015 de quadriparti, mais 18.¥Mais il y a là un paradoxe qui n’aura pas échappé au vieux Platon, lequel pouvait écrire au début du Critias : « Que, d’autre part, le sujet dont je vais parler, offrant de plus grandes difficultés, exige davantage d’indulgence, voilà ce dont il faut de quelque façon vous instruire ! Quand, à des hommes, on parle des Dieux, il est plus facile en effet, Timée, de donner l’impression d’en parler comme il faut, que lorsque c’est à nous qu’on parle des mortels » (107 a, trad. L. Robin). 19.¥J. Greisch, « La “fonction méta” et la Croix du Christ », proposition 23, p. 154. 20.¥On trouve une première version de ces (quatre) formes déchues de la transcendance à partir de Maldiney et de sa description des psychoses dans Le cogito herméneutique, p. 244s : la schizophrénie se voyant interprétée comme échec de la trans-ascendance et défaut de la trans-passibilité, et la mélancolie comme échec de la trans-descendance et défaut de la trans-possibilité. « La “fonction méta” et la Croix du Christ » propose une autre distribution des modalités inauthentiques ou pathologiques de la transcendance : pour la trans-ascendance la possibilité de l’extravagance, pour la trans-descendance le risque de s’abîmer dans la profondeur, pour la trans-passibilité le risque de la plainte mélancolique, et pour la transpossibilité le mirage de la fuite en avant utopique (proposition 26 scolie 1).
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dans un sens ajoutons-le aussitôt bien peu heideggérien, cette seconde table mériterait le titre de quadriparti négatif). Détruire
Non-sens
Non-événement
Effondrement
Carte 2 Ajoutons à nouveau quelques gloses à cette forme quadripartite du désastre. Il n’y a pas de pensée du monde et de la concordance de l’expérience qui ne soit aussi pensée du chaos et de la possible discordance de l’expérience21. Comme il n’y a pas de pensée de l’un quelconque des quatre points cardinaux à même de conférer au monde ses dimensions cardinales de monde qui ne soit aussi pensée de sa possible défection — tournée vers le nécessaire, mais sous la constante menace de sa défaite. Pourquoi là où elle s’achemine vers le plus haut que désigne le mot de transascendance, il faut imaginer que le nom de ce plus haut manque, nom absent ou détruit par ce désastre d’histoire que nous appelons nihilisme, mot effacé pour ne plus laisser place qu’à un seul mot (ou mot d’ordre) : détruire. Dans une page de L’Amitié, commentaire d’un roman et d’un film de Marguerite Duras, Maurice Blanchot imagine que l’espace entier du langage n’a peut-être à dire qu’un seul mot, et que c’est le mot détruire : « Un mot, un seul mot, ultime ou premier, y intervient, avec tout l’éclat discret d’une parole apportée par des dieux : détruire22. » L’axe horizontal du diagramme peut s’arrêter plus 21.¥Ce qu’illustre chez Kant la page célèbre sur le cinabre (Critique de la raison pure, A 100s, trad. Tremesaygue et Pacaud, p. 113). 22.¥M. Blanchot, L’Amitié, Paris, Gallimard, 1971, p. 134 (le roman, et le film, de Marguerite Duras : Détruire dit-elle, 1969).
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particulièrement ensuite sur deux exemples de destruction ou d’effacement : le non-sens et le non-événement. Deux exemples qu’il faut tenir pour nécessaires. Il n’y a pas de pensée du sens qui ne soit aussi pensée du non-sens, car le sens n’a pas la dureté des pierres, mais la fragilité de nos idées, de nos pauvres idées. (Ce qu’écrivait Merleau-Ponty en ouverture d’un recueil intitulé précisément Sens et non-sens : « En politique, enfin, l’expérience de ces trente années nous oblige aussi à évoquer le fond de non-sens sur lequel se profile toute entreprise universelle, et qui la menace d’échec23. ») De même, il n’y a pas de pensée de l’événement qui ne doive être aussi pensée du non-événement, car selon la formule forte de Roger Munier « le Visiteur qui jamais ne vient est le tissu même de nos jours24 », à moins qu’il ne faille accorder à Henri Maldiney que ce temps vide d’événement est le temps propre de la psychose25. Aux antipodes du transpossible, il y a l’impossibilité du sens demeurée telle. Et aux antipodes du transpassible, la faillite de l’existant à s’ouvrir à ce qui lui arrive, sa fermeture à l’événement, le malheur du non-événement. Quatrième moment de cette cartographie du désastre : l’affolement de la transdescendance au moment où l’existant vient échouer au plus bas de soi. Il n’y a pas de pensée de l’existence saisie en son mouvement propre — en avant de soi, ou vers le haut, ou vers son fond — qui ne soit aussi pensée de son possible effondrement. Pas de mouvement de l’existence qui n’ait lieu à l’ombre de cette menace, qui du simple fait de sa possibilité s’impose à nous au titre de sa terrible réalité. Nous existons dans la promesse de la verticalité de notre existence humaine, mais sous la menace de son effondrement — menace toujours possible qui accompagne l’existence entière et dont il suffit de dire qu’elle est possible pour qu’elle soit là. Dès qu’une menace est possible, elle est là, qui pèse sur nous et hante. Pour elle, il n’est pas de différence entre le possible et le réel — pourquoi elle relève d’une sorte d’argument ontologique en 23.¥Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Paris, Gallimard, 1996, p. 8. 24.¥R. Munier, Le Visiteur qui jamais ne vient, Paris, Lettres vives, 1983, p. 7. 25.¥« Dans la psychose il n’y a plus d’événements » (H. Maldiney, Penser l’homme et la folie, Grenoble, Jérôme Millon, p. 277, 320 et 401).
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négatif 26. D’une telle possibilité, celle de l’existence effondrée, qui d’entre nous en effet pourrait se dire définitivement indemne ? Une page d’Henri Maldiney, commentaire d’une tragédie de Sophocle, nous le rappelle, qui a lieu de nous inquiéter : Or cette thématisation ne nous est compréhensible que parce qu’elle aussi est une possibilité humaine. La leçon vient de loin : de l’Ajax de Sophocle. À Athéna qui l’invite à rire de la folie de son ennemi mortel, Ulysse répond : Bien qu’Ajax me haïsse, j’aperçois en lui, dans sa folie même, quelque chose de mien. C’est seulement sur le fond des structures humaines communes — et pour autant que l’essence de l’homme est existence, sortie à soi — que nous pouvons comprendre l’autre, malade ou sain27.
Nous voilà donc détenteurs de deux cartes, l’une pour nous orienter et l’autre pour poser des mots et des raisons sur notre errance. Mais peut-être faut-il avancer d’un pas encore dans cette marche forcée de la pensée vers son orient. Ce dont nous avons besoin, disions-nous, et suivant en cela une indication de Kant : de cartes et de boussoles. De cartes pour reconnaître les quatre régions du ciel (nord, sud, est et ouest), et de boussoles pour nous tourner vers l’étoile (l’étoile Polaire) à partir de laquelle le ciel entier peut s’ouvrir, et avec lui tout l’espace du pensable. Comme si, jusqu’en ses variations infinies, nous avions à penser une unique pensée, et non quatre. Ou comme si les quatre points cardinaux euxmêmes nous retenaient encore au seuil de ce dernier pas de la pensée, celui qui se porte au-devant de ce qui donne (Kant), ou appelle (Heidegger) ou force (Deleuze) à penser28. Formulons ici 26.¥Nous reprenons l’idée à un cours de Stanislas Breton de 1965-1966 (Le réel et le possible : « En logique il faut dire : si c’est possible, cela existe. L’argument ontologique vaut au moins au niveau de la logique », Fonds Breton 786.8.1, p. 33, notes d’étudiants), en l’appliquant à la menace (ce que nous avons développé dans le chapitre sur « Le Terrier » de notre essai Kafkabuch, Clichy, Corlevour, 2015). 27.¥H. Maldiney, Penser l’homme et la folie, p. 10. 28.¥Pour une autre liste des différentes manières d’entendre la question « qu’est-ce que penser ? », voir J. Greisch, Le cogito herméneutique, p. 247.
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l’hypothèse que toujours une même pensée soulève toutes nos réflexions et considérations, tous nos commentaires et toutes nos méditations, celle à laquelle il nous faut revenir sans cesse, persuadés que nous ne l’avons jamais encore assez pensée, en cela vérifiant le mot de Paul Valéry que Jean Beaufret se plaisait à citer : « Penseurs sont gens qui re-pensent et qui pensent que ce qui fut pensé ne fut jamais assez pensé29. » Nous lisons des milliers de livres, tournons des millions de pages, allant parfois jusqu’à en écrire, mais tout cela en vue d’une unique parole, pensée que nous n’avons pas su encore traduire avec toute la rigueur qui lui est due, ou dont nous sommes encore bien loin d’avoir épuisé la richesse. Et ainsi allons-nous, répétant indéfiniment une même pensée, non sans que de légères variations lui donnent à chaque fois l’originalité d’une unique formule. Répétant sans cesse la même pensée, mais jamais à l’identique. Ce que montre tel passage de Maurice Blanchot dans L’attente l’oubli de 1962 : Quand on lui dit : « Mais cette pensée, c’est toujours la même pensée ! », il se contente de réfléchir et finalement répond : « Pas tout à fait la même ; et je voudrais la penser encore un peu30. »
Répétant sans cesse, d’une manière qui peut sembler monotone, mais fidèle alors à cette monotonie géniale qu’expose le Narrateur de la Recherche lorsque, entreprenant l’éducation esthétique d’Albertine, il lui fait remarquer le retour, chez chaque grand auteur, des mêmes motifs : Et repensant à la monotonie des œuvres de Vinteuil, j’expliquais à Albertine que les grands littérateurs n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt n’ont jamais que réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu’ils apportent au monde. « S’il n’était pas si tard, ma petite, lui disais-je, je vous montrerais cela chez tous les écrivains
29.¥P. Valéry, Tel Quel, dans Œuvres, t. II, Paris, Gallimard, Pléiade, 1960, p. 767 ; voir le 4e de couverture de Jean Beaufret, Dialogue avec Heidegger, t. I, Paris, Minuit, 1973 et la notice « Paul Valéry » (François Vezin) du Dictionnaire Martin Heidegger, Philippe Arjakovsky, François Fédier et Hadrien FranceLanord, Paris, Cerf, 2013, p. 1352a. 30.¥M. Blanchot, L’attente l’oubli, Paris, Gallimard, 1962, p. 27.
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que vous lisez pendant que je dors, je vous montrerais la même identité que chez Vinteuil31. »
Entre monotonie géniale et répétition stricte passe la même différence qu’entre imitation géniale et imitation servile au § 47 de la troisième Critique kantienne. Cette remarque doit suffire pour que monotonie cesse de rimer avec ennui — autant déclarer sinon que l’histoire de la peinture n’a besoin que d’une seule représentation de l’Annonciation ou de la Crucifixion. Or nos musées sont pleins des mêmes images qui ne sont jamais exactement semblables. Il en va de même pour la littérature — telle déclaration de Maurice Blanchot l’atteste : « Nous avons les livres les plus pauvres qui puissent se concevoir32 », et pourtant de quelle extension de l’expérience au-delà de l’imaginable la littérature est-elle la promesse ? Comme il en va de même pour la philosophie : une même pensée se répète de livre en livre, la même et pourtant chaque fois unique, imprévisible en son exacte formulation et par le chemin singulier qui permet d’aller à elle, de sorte que, paradoxalement, rien n’aura jamais autant libéré la puissance d’imagination scellée dans le concept, l’extrême attention aux singularités et aux différences, et la fidélité au multiple en sa diversité irréductible que cette monotonie-là. Quelqu’un a su dire et porter au concept cette étonnante coïncidence entre l’unique Événement (de l’être) et la profusion de formes, existences ou singularités qu’il libère, donnant lieu ainsi à un commun éloge de l’univocité et de l’heccéité : Gilles Deleuze. Il arrive donc comme un événement unique pour tout ce qui arrive aux choses les plus diverses, Eventum tantum pour tous les événements, forme extrême pour toutes les formes qui restent disjointes en elle, mais qui font retentir et ramifier leur disjonction. L’univocité de l’être se confond avec l’usage positif de la synthèse disjonctive, la plus haute affirmation : l’éternel retour en personne, ou — comme nous l’avons vu pour le jeu idéal — l’affirmation du hasard en une fois, l’unique lancer pour tous les coups, un seul Être pour toutes les formes et les fois, une seule insistance pour tout ce qui existe, un seul
31.¥M. Proust, À la recherche du temps perdu, p. 1885. 32.¥M. Blanchot, Le livre à venir (1959), Paris, Gallimard, 1986, p. 319.
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fantôme pour tous les vivants, une seule voix pour toute la rumeur et toutes les gouttes de la mer33.
Dans le fouillis de l’expérience et le labyrinthe du discours, saurons-nous devenir l’homme d’une seule parole ? C’est pourtant le pari de la pensée que d’atteindre cette monotonie, mais géniale, cette juste répétition fidèle au Même et à ses variations quasi infinies, pensée « réduite » à l’unique nécessaire, « [limitée] à une seule idée, mais qui un jour demeurera comme une étoile au ciel du monde34 ». La vocation de la pensée est à dire cet unique, et le redire, en son inouïe monotonie. Martin Heidegger ne disait rien d’autre, dans son cours du semestre d’hiver 1951-1952, variation autour de la question : Qu’est-ce que penser ? Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? Qu’appelle-t-on penser ? « Chaque penseur pense seulement une unique pensée35. » Une seule pensée donc, retenue en sa richesse et monotonie, mais quelle ? Là pourrait bien se rouvrir le combat de la pensée, combat de géants autour de la chose même pour nommer, en dernier lieu et décisivement, ce qui soulève la pensée. Là commencent pour nous les vraies difficultés, ce moment où le seul nom qui importe éclate en plusieurs, et où l’espace du pensable devient communauté stellaire, communauté d’amis dont les penseurs ne peuvent plus que s’écarter36. Au moins pouvons-nous tracer encore des cartes, 33.¥G. Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, 2010. Voir aussi Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 53 : « En effet, l’essentiel de l’univocité n’est pas que l’Être se dise en un seul et même sens. C’est qu’il se dise, en un seul et même sens, de toutes ses différences individuantes ou modalités intrinsèques. L’Être est le même pour toutes ces modalités, mais ces modalités ne sont pas les mêmes. Il est “égal” pour toutes, mais elles-mêmes ne sont pas égales. Il se dit en un seul sens de toutes, mais elles-mêmes n’ont pas le même sens. » 34.¥M. Heidegger, « L’expérience de la pensée », trad. A. Préau, dans Questions III, Paris, Gallimard, 1966, p. 21. 35.¥Id., Qu’appelle-t-on penser ?, trad. G. Granel, Paris, PUF, 1959, p. 47. Voir aussi p. 48 : « Le penseur a besoin seulement d’une unique pensée. Et la difficulté pour le penseur est de retenir cette unique, cette seule pensée, comme ce qui est pour lui la seule chose qu’il faille penser ; c’est de penser cet Unique et ce Même, et de parler de ce Même de façon convenable. » 36.¥Voir le § 279 du Gai savoir de Nietzsche.
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même provisoires, pour fixer quelques repères dans cette dispute supérieure qui touche à la chose même de la pensée (ou pour nous aujourd’hui à l’archi-phénomène de la phénoménologie37). Dieu (Levinas)
Événement (Maldiney)
Affectivité (Henry)
Être (Heiddeger)
Carte 3 Il faut donner raison et tort à Ernst Bloch lorsqu’il qualifie Marin Heidegger d’auteur le plus monotone de l’histoire de la philosophie (ou plus exactement : « le penseur le plus statique qu’on puisse imaginer38 »), tant la phénoménologie tout entière semble vouée, depuis son coup d’envoi husserlien, à de telles monotonies. Commençons pourtant par prendre cette remarque au sérieux. Comment ne pas dire monotone en effet une pensée qui, de son commencement à sa fin, s’exerce à méditer le mot le plus commun qui se puisse imaginer : le mot « être », celui qui est présent nécessairement en chaque expérience et en chaque parole, et à propos duquel Heidegger peut écrire dans La parole d’Anaximandre : « L’être parle partout et toujours au travers de toute langue39. » Qu’à la faveur du Tournant, le Leitwort heideggérien change et devienne « Ereignis », que ce soit bien ce 37.¥Pour répondre à la deuxième des trois questions formulées par Jean Greisch au début de « La condition non extatique de la subjectivité absolue et l’épreuve de soi », dans Jean-Marie Brohm et Jean Leclercq (dir.), Michel Henry, Dossier H, Lausanne, L’Âge d’homme, 2009, p. 174. 38.¥E. Bloch, L’athéisme dans le christianisme, trad. E. Kaufholz et G. Raulet, Paris, Gallimard, 1978, p. 86. 39.¥M. Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, trad. W. Brokmeier, Paris, Gallimard, 1962, p. 442.
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nouveau mot désormais qui mène sa pensée40, ne pourra qu’accroître la tournure monotone de cette pensée tant il ne peut y avoir qu’un seul événement à travers toute histoire : Ereignis ne signifie plus ici un événement, une chose qui arrive. Nous employons maintenant ce mot comme singulare tantum. Ce qu’il désigne ne se manifeste qu’au singulier, dans le nombre de l’unité, ou plutôt même pas dans un nombre, mais d’une manière unique41.
Nous disons la tournure foncièrement monotone de cette pensée, mais c’est bien la pensée qui est en jeu, depuis son plus ancien coup d’envoi, grec : Ce que nous entendons d’abord est toujours le Même et presque monotone. Mais il s’agit de la tonalité de fond de cette pensée initiale des Grecs (GA 55, 29842).
L’axe vertical de notre troisième carte recoupe l’opposition tant de fois commentée entre l’éthique lévinassienne (élevée au rang de philosophie première) et l’ontologie heideggérienne (telle qu’elle trouve son impulsion en 1927 dans une ontologie fondamentale), mais il a plus profondément sa raison d’être dans le vis-à-vis du Nom propre par excellence (ce Nom le plus haut, et qui pour cela correspond parfaitement au pôle de la transascendance de notre première carte) : « Dieu », et du nom le plus commun qui se puisse imaginer (mot si commun que nous pouvons le faire correspondre cette fois au pôle de la transdescendance) : « être ». Le langage n’a de cesse de dire un seul mot, mais un combat de géants s’est ouvert autour de ce mot — pour savoir s’il est ousia ou l’au-delà de l’ousia. Pour Levinas ce mot est le seul qui s’excepte du dit pour nommer le dire lui-même, et ce mot est « Dieu43 ». Aussi peut-il ramasser 40.¥Ce que confirme la citation faite par H. France-Lanord dans son article « Ereignis » du Dictionnaire Martin Heidegger (p. 402 a) : « Sous chacun des mots fondamentaux, c’est le Même qui est dit : l’Ereignis » (GA 71, 3). 41.¥M. Heidegger, « Identité et différence », trad. A. Préau, dans Questions I, Paris, Gallimard, 1968, p. 270. 42.¥Id., cité d’après l’article « Philologie » (Philippe Arjakovsky) du Dictionnaire Martin Heidegger (p. 1025 a). 43.¥Voir Didier Franck, L’un-pour-l’autre. Levinas et la signification, Paris, PUF, 2008, p. 67.
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tout notre langage dans une phrase (mais qu’il écrit deux fois) et cette phrase ensuite dans un mot : Ce premier dire n’est certes qu’un mot. Mais c’est Dieu44. Le langage, c’est le fait qu’un seul mot toujours se profère : Dieu45.
Un seul mot, mais indéfiniment répété — faut-il s’en étonner ? Levinas penseur du Même, il y a là un paradoxe, mais aussi une évidence pour qui songe que nous n’avons de cesse de rencontrer des autres, comme autant de visages qui se tiennent dans la trace de Dieu, visages multiples, d’où s’élève une même parole : « Tu ne tueras pas. » Monotone, Levinas le fut à la fois dans ce qu’il décrivait et dans sa manière de l’écrire. Si l’axe vertical se déploie le long du langage, l’axe horizontal relie les deux pôles de l’expérience : le pôle du vivant et de son pâtir, et le pôle de l’existence tourné vers l’extériorité de l’événement. Du côté de l’immanence, tout lecteur de Michel Henry le sait bien : « L’affectivité est l’essence originaire de la révélation46. » L’affectivité, mais correctement interprétée, c’est-à-dire radicalement, comme affection pure, auto-affection, pouvoir de se sentir soimême, est proprement l’essence de l’ipséité et ce qui rend possible toute manifestation d’étant. À charge dès lors pour cette phénoménologie radicale de décrire comment le soi s’éprouve tout d’abord dans ce mode originel et fondamental qu’est la souffrance, mais surgit proprement à soi-même dans cet autre mode qui est joie. De sorte qu’une seule histoire a lieu au titre d’histoire fondamentale ou historiale de l’Absolu, et quels que soient ensuite les événements du monde qui peuvent nous affecter : l’incessant passage de la souffrance à la joie — une seule histoire, sans fin recommencée, jusqu’à la monotonie, mais monotonie heureuse puisque son dernier mot est la joie. Tournons-nous maintenant vers l’autre pôle de l’expérience, où la dimension pathique n’est pas moins présente, mais trouve son 44.¥E. Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1974, p. 236. 45.¥Id., Noms propres, Montpellier, Fata Morgana, 1976, p. 137. 46.¥M. Henry, L’essence de la manifestation, Paris, PUF, 1963, p. 578.
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sens hors de soi : dans le surgissement de l’événement et avec lui du réel entier, au moment où littéralement il ouvre le monde. Événement qu’il faut dire singulier, et inouï, comme est singulière chaque rencontre authentique, et imprévisible, événement unique et pourtant tant de fois recommencé — ainsi l’œuvre d’art quand elle nous saisit, et transforme, et ouvre les yeux. Ce n’est pas une œuvre d’art, au milieu d’autres, qui nous met en demeure d’exister, mais bien cette œuvre, là devant nous, qu’il faut savoir rencontrer, ou plutôt cette œuvre singulière qui nous convoque devant elle, ouvrant l’espace entier d’un monde où désormais avoir notre lieu — par exemple la Sainte-Victoire de Leningrad, et pourtant Cézanne en aura peint tant d’autres, comme un miracle appelé à se répéter. À chaque fois unique, la naissance d’un monde — autre monotonie heureuse47. Dieu, l’être, phénoménologie de l’affectivité ou phénoménologie de l’événement — voilà ouvert le combat de géants autour de la chose même. Combat fratricide aussi, à moins que nous ne soyons capables d’annoncer un proche traité de paix en phénoménologie. Pour cela tâchons d’imaginer l’élévation de cette quadruple monotonie à un degré supérieur, et comment les quatre points cardinaux désignent l’un d’entre eux, l’un qui devient quatre, puis la foule d’étoiles dans le ciel. Parions que cette régression vers un premier mot, loin d’effacer les trois autres — ce qui reviendrait à confondre notre traité de paix avec un armistice dû au triomphe d’une des parties — les rend possibles. Il faut que ce premier mot soit la plus haute possibilité des trois autres. Autant détruire est l’effacement de tous les mots de la langue, autant ce premier mot ouvre leur espace entier, et ce premier mot est Dieu. Aussi transformons ce pari en programme pour dessiner notre quatrième carte48. 47.¥Voir à ce sujet nos deux contributions aux Colloques Maldiney de l’ICP : « L’unique événement toujours recommencé », dans J. de Gramont et Philippe Grosos (dir.), Henri Maldiney. Phénoménologie, psychiatrie, esthétique, PUR, Rennes, 2014 et de Cerisy (« Maldiney. Héritage et chantiers », dans Chris Younès et Olivier Frérot (dir.), À l’épreuve d’exister avec Henri Maldiney, Paris, Hermann, 2016. 48.¥J. Greisch esquisse une interprétation « théologique » de sa table d’orientation dans la Postface de 2010 à la réédition du Verbe et la croix de Stanislas Breton :
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Dieu
Croix
Oui
Soi
Carte 4 Complétons ce programme par une dernière salve de gloses. Tous les chemins de pensée mènent à une unique pensée, et tous les noms communs au Nom propre par excellence. À sa manière, Nietzsche voyait juste lorsqu’il frappait dans un même concept la monotonie de la métaphysique et le monothéisme biblique, à une réserve près : le signe moins placé devant ce mot de « monotono-théisme49 ». Pour que la dimension théologique de cet éloge de la monotonie ne passe pas pour un retour aussi massif que naïf de l’onto-théologie, à supposer qu’un tel retour mérite la suspicion, c’est à la phénoménologie que nous demanderons d’ouvrir un chemin vers Dieu. La phénoménologie de la liturgie de Jean-Yves Lacoste se montre ici exemplaire, et à bien des titres. D’abord par la rigueur de la réduction mise en œuvre — Dominique Janicaud ne s’y est pas trompé, qui dans une note de son pamphlet de 1991 (Le tournant théologique de la phénoménologie française) exempt le premier livre de Jean-Yves Lacoste (sa Note sur le temps) de toute faute à l’égard de la méthode, « L’“au-delà” (la “trans-ascendance” dont parlent Jean Wahl et Emmanuel Levinas) que signifie la croix qui se dresse au-dessus du monde nous renvoie en même temps à un en deçà, ou une “trans-descendance” kénotique. […] Je me demande si [la transpassibilité] ne nous renvoie pas à “l’universelle patibilité humaine que le Christ assumait dans la limite de sa condition”. […] Breton ne nous invite-t-il pas à méditer également à nouveaux frais la signification de la “transpossibilité”, c’est-à-dire “la voix du don originel qui inséra au cœur de toutes choses l’irrépressible bonheur d’une épiphanie” » (Paris, Mame-Desclée, 2010, p. 217). Seconde esquisse à partir de saint Paul dans la conférence « La “fonction méta” et la Croix du Christ », proposition 35 scolie 6. 49.¥Voir Nietzsche, L’Antéchrist, § 19.
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faute majeure s’il en est en phénoménologie50. Le livre le plus ouvertement théologique de la phénoménologie française échappe ainsi aux critiques qui frappent d’autres entreprises (Levinas, Marion, Henry) où les descriptions phénoménologiques se voient subordonnées à une intention théologique. La réduction — qualifiée de théologique dans Note sur le temps, et de liturgique dans Expérience et Absolu51 — peut bien mettre entre parenthèses la logique de la facticité et de notre être-dans-le-monde, elle ne l’abolit pas au moment où elle arrache à son inévidence notre « exister » devant Dieu. Exemplaire, la phénoménologie lacostienne de la liturgie l’est aussi par la fécondité des analyses que cette mise entre parenthèses rend possibles en retour — ce qui lui vaut d’être saluée à nouveau par Dominique Janicaud dans son opuscule suivant (La phénoménologie éclatée) pour, « fait remarquable », l’usage paradoxal du concept de phénoménologie « en contiguïté avec une inspiration religieuse52 ». Que d’éclairages en retour avons-nous gagnés, sur le temps (avec la Note sur le temps) ou l’espace (avec la topologie d’Expérience et absolu), sur le sens de monde (une fois celui-ci inscrit dans sa tension avec le Royaume) ou sur l’humanité de l’homme (une fois reconduit à l’unique nécessaire : « On dira donc qu’il décline son identité de la façon la plus exacte lorsqu’il accepte d’exister à l’image d’un Dieu qui a pris sur lui l’humiliation — lorsqu’il accepte d’exister kénotiquement53 »). Tirons-en une leçon claire : que Dieu, Nom propre par excellence et premier mot du langage, n’est pas un objet de pensée parmi d’autres, mais ce qui rend la pensée à son travail entier. Dieu n’est pas plus un objet de pensée qui fasse nombre avec d’autres que 50.¥« Dans un livre remarquable, au titre trop modeste (Note sur le temps), Jean-Yves Lacoste nous semble avoir travaillé selon cet esprit : il y défend et illustre une pensée théologique mettant en place un “système de différences” phénoménologiquement “inévident” (op. cit., p. 125), mais respectueux de la finitude de l’être-au-monde » (D. Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, Combas, L’éclat, 1991, p. 90, n. 22). 51.¥Voir J.-Y. Lacoste, Note sur le temps, Paris, PUF, 1991, p. 122 et Expérience et Absolu, Paris, PUF, 1994, p. 210. 52.¥D. Janicaud, La phénoménologie éclatée, Combas, L’éclat, 1998, p. 22 ; la remarque porte sur l’ouvrage de 1994, Expérience et Absolu. 53.¥J.-Y. Lacoste, Expérience et Absolu, p. 233.
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l’amour de Dieu ne fait nombre avec l’amour du prochain54. Aussi, la monotonie de cette pensée de Dieu ne peut-elle entrer en conflit avec les trois autres que sont la naissance à soi, le oui au monde et à la vie parce qu’elle est la vie, et la Croix comme unique événement qui rend possibles cette naissance et ce oui. Naissance à soi, car c’est de nous qu’il est question, et à travers bien des tribulations de naître vraiment, naître enfin, nous qui sommes d’abord venus au monde comme des mortels, jetés là sans raison. Nous qui sommes devenus, mais dès le premier jour : nous qui sommes venus au monde comme une terre stérile55. Aussi différentes soient-elles, toutes nos histoires d’homme se ramènent à une même question, la seule que nous ayons à cœur parce que c’est la question que nous sommes : comment naître, devenir nous-mêmes, recevoir notre nom ? Or de même que nul ne se donne à lui-même la vie, nul ne se donne à lui-même son nom. Seul qui possède un nom, et le Nom par excellence, peut donner un nom. Et seul existe vraiment qui existe devant Dieu, coram Deo. Il n’y a pas d’autre œuvre que celle dont Kierkegaard a pu dresser le programme : « Il s’agit d’une œuvre dont l’idée globale est la tâche du devenir chrétien56. » « Oui » — quel mot semble plus facile à prononcer ? Aussi facile dans l’élément du langage qu’il l’est dans celui de l’expérience de laisser la vie suivre son propre cours. Qu’on y songe pourtant : exister est la tâche la plus difficile, leçon kierkegaardienne qu’il faut ici répéter à propos d’une expérience du monde sans cesse livrée à la dureté de l’être et au fracas d’histoire. Nul ne peut consulter le grand livre de ses plaisirs et de ses peines pour savoir comment en dernier lieu juger le monde, car ce livre est infini, et notre vie entière ne suffirait pas pour le consulter — or c’est aujourd’hui même, dans 54.¥Hypothèse formulée pour la première fois dans notre article « Note en bas de page d’une collection », Transversalités, n° 101, janvier 2007, p. 32, et que nous reprenons ici. 55.¥Selon le mot de saint Augustin : « Je vous ai abandonné malheureusement pour m’aller perdre dans des routes égarées, et devenant moi-même à moi-même une terre stérile et infructueuse, je suis tombé dans le comble de la pauvreté et de la misère » (Confessions II, 10, trad. Arnauld d’Andilly, Paris, Gallimard, 1993, p. 85). 56.¥Kierkegaard, Point de vue explicatif de mon œuvre, trad. P.-H. Tisseau, dans Œuvres complètes, t. XVI, Paris, Éditions de l’Orante, 1971, p. 31.
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l’instant, dans l’urgence, qu’il faut rendre un jugement : un « oui » ou un « non » ! Au jour de ta naissance, si tu avais eu le choix, aurais-tu voulu de cette vie, avec toutes ses tribulations ? Il faut espérer que oui, et qu’au jour de ta mort le jugement que tu porteras sera le même. Un « oui » inconditionné à la vie, quels que soient son histoire et les déchirements qui la traversent, quelle que soit notre exposition à la misère — et parfois la misère n’est pas seulement possible, mais se fait bien réelle. Or de qui pouvons-nous tirer la puissance d’un « oui » plus grand que le « non », sinon de celui qui crée et sauve ? Comme si le « non » au monde en sa dureté, sa violence et son injustice, devait être dépassé par le « oui » plus grand encore à la Création et au Royaume. Dieu est celui qui, malgré tout et une fois pour toutes, prononce un Oui ultime. Nul théologien ne l’aura mieux dit que Barth, chez qui le Non fut si puissant : C’est la justice de Dieu, telle qu’elle se dévoile à l’incrédulité qui est contrainte d’entendre le Non divin comme un Non. Cependant, tandis que Dieu s’irrite au sujet de l’incrédulité, tandis que l’homme, désemparé, se rue contre la limite qui lui est imposée par Dieu, tandis qu’il est livré au Non-Dieu, au Dieu de notre monde, Dieu, malgré tout, est Celui qu’il est, le Créateur du monde, le Seigneur de toutes choses, Oui et non pas Non. Ce Oui, Dieu le prononce57.
Enfin, demandons-nous quel événement proprement inouï aura présidé à cette triple métamorphose de l’impossible en possible : le passage de l’inévidence de Dieu à sa présence, la naissance à soi et à la vie éternelle de celui qui était né mortel, et le retournement de la souffrance en joie qui rythme celui du Non en Oui. Quel événement, unique et imprévisible, aura, au milieu de l’histoire, celle du monde et la nôtre, scellé la dissymétrie des possibles pour que l’existence ait lieu entre mort et naissance plutôt que l’inverse, que la souffrance toujours se transforme en joie, et que dans le combat du Non et du Oui, triomphe un Oui toujours plus grand ? Parions qu’un seul événement peut décider, au cœur du désastre, là où l’effondrement est à son 57.¥K. Barth, L’épître aux Romains, trad. P. Jundt, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 92. Voir du même auteur le passage de l’Introduction à la théologie évangélique, Genève, Labor et Fides, 1962, p. 74s, cité dans notre article « Fin. Apologie du jugement dernier », repris ci-dessous.
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Introduction
comble et où le non-sens bat son plein, quand toutes les raisons d’espérer semblent battues en brèche, que la joie puisse encore se lever et l’existence se dresser envers et contre tout : cet événement est la Croix. Si nous refusons que le dernier mot revienne au quadriparti du désastre — le détruire, le non-sens, le non-événement et l’effondrement — nous ne pouvons éviter, comme l’écrit Jean-Yves Lacoste (mais dans le contexte chez lui du témoignage porté par le fol-enChrist) « de remettre au Vendredi saint historique la charge d’interpréter [cette] expérience, sous le chiffre conceptuel de la Passion58 ». Un unique événement, au milieu de l’histoire, en rythme le cours : passage du non-sens au sens, de la plus grande souffrance à la joie la plus forte, de la mort à la vie, de l’effondrement à l’existence la plus haute — et c’est de cet unique événement que nous sommes en quête. Aucun théologien ne l’aura mieux montré peut-être — mais théologien dont il faudrait montrer, à nouveau, la proximité à la phénoménologie59, et comment il a appliqué à cette unique pensée son immense culture : théologique, philosophique et littéraire — que Hans Urs von Balthasar : « [Le Christ] est la mesure de la proximité et de la distance ; il est l’Analogia entis devenue concrète, il est l’unique événement qui pour toute réalité du monde est la mesure donnée60 » — unique événement qui trouve dans l’abaissement de la Croix son moment de pointe (à condition de ne pas séparer la Croix et la Résurrection). Le Verbe et la Croix — tout est dit dans cette formule, de la profondeur du désastre et de la promesse inouïe de nous relever — ce qui signifie que tout est à redire.
58.¥J.-Y. Lacoste, Expérience et Absolu, p. 228. 59.¥Sur la proximité de Barth à la phénoménologie, voir l’ouvrage de H.J. Adriaanse, Zu den Sachen selbst, S’Gravenhage, Mouton, 1974 (ouvrage que signale J. Greisch dans Le Buisson ardent et les lumières de la raison, t. II, Paris, Cerf, 2002, p. 63), et sur celle de Balthasar les deux articles de Greisch, « Un tournant phénoménologique de la théologie ? » (Transversalités, n° 63, juillet 1997) et de Philippe Capelle-Dumont, « Hans Urs von Balthasar : comment regagner une philosophie à partir de la théologie ? », dans Henri-Jérôme Gagey et Vincent Holzer (dir.), Balthasar, Rahner. Deux pensées en contraste, Paris, Bayard, 2005 et brève indication du même auteur dans Finitude et mystère II, Paris, Cerf, 2013, p. 118. 60.¥H.U. von Balthasar, Verbum caro, Einsiedeln, Johannes-Verlag, 1960, p. 191, cité d’après V. Holzer, Hans Urs von Balthasar, Paris, Cerf, 2012, p. 215.
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Première partie TROIS CHEMINS
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Nous lisons chez Platon, au milieu de tant de merveilles, cette phrase qui est promesse de tant de pensées encore à venir : « Le commencement est un dieu qui, aussi longtemps qu’il séjourne parmi les hommes, sauve toutes choses » (Lois VI, 775 e). Voilà qui, du commencement et de notre premier mot, fait la grande affaire. Premier mot, mais lequel, tant ils sont plusieurs, et tant il est de chemins pour s’avancer au-devant de ce qui nous tient le plus à cœur ? Philosophie, théologie et littérature — trois paroles se risquent dans la même aventure, qui n’est jamais tout à fait l’identique, chacune étant déjà plurielle. (Ce que nous pourrons montrer sans peine à partir de la philosophie, ou plus précisément de la phénoménologie quand elle prend élan dans ce qui vient en premier lieu : l’étant, l’autre, l’affect.)
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Chapitre premier TROIS COMMENCEMENTS
1. LE NOM LE PLUS COMMUN ET LE NOM PROPRE PAR EXCELLENCE Parmi les phrases les plus étonnantes qu’un homme ait pu écrire, il y a la première phrase de l’Évangile de Jean : « Au commencement était le Verbe. » Cette phrase n’est pas seulement difficile par ce qu’elle dit, d’une difficulté redoutable qui a pu défier et nourrir — et l’une parce que l’autre — quelques-unes des pensées les plus fortes de la théologie, mais aussi de la philosophie1. L’inouï de cette phrase tient à ce qu’elle puisse venir en incipit d’un livre, même inspiré, car ce n’est jamais par ce qui est au commencement que nous commençons effectivement, mais par de bien plus prosaïques balbutiements d’homme. Au commencement pour le Logos il y a le Logos, mais pour nous autres, pauvres mortels, pauvres fils de la terre, il y a beaucoup moins. Il y a le pur ceci, la chose sensible, l’expérience la plus pauvre qui se puisse imaginer, ce qui tombe sous les yeux, sous la main, à peine sous le langage. « Pauvre fils de la terre » est une expression de Kant, ce philosophe qui n’a rien voulu abandonner des ambitions métaphysiques de la raison, mais tout reprendre à zéro, de notre côté, avec tout ce qui caractérise notre finitude d’homme, dans une lettre à Hamann, le mage du Nord (lettre du 6 avril 1774) : 1.¥Qu’il suffise pour la philosophie d’ouvrir le chapitre de Xavier Tilliette sur le « Prologue johannique » dans Le Christ de la philosophie, Paris, Cerf, 1990. Nous avons déjà évoqué cette phrase de Jean dans notre ouvrage L’entrée en philosophie, p. 12.
En lecture partielle‌
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PROVENANCE DES TEXTES Éloge de la monotonie, ou comment s’orienter dans la pensée ? Intervention au Colloque « Jean Greisch. Raison phénoménologique et raison herméneutique », Cerisy, septembre 2015, publié dans Jean Greisch, les trois âges de la raison. Métaphysique, phénoménologique, herméneutique [Stefano Bancalari, Jérôme de Gramont, Jean Leclercq (dir.)], Paris, Hermann, 2016. Trois commencements § 1 publié dans Transversalités n° 148, janvier 2019 : Le nom le plus commun et le nom propre par excellence (Journée d’étude « Hemmerle. L’ontologie trinitaire », ICP, avril 2015, à paraître). Les § 2 et 3 sont inédits. Entre sans-nom et nom propre (Journée d’étude « Un vieux “différend” : le L/logos, le[s] L/livre[s], la Philosophie. Sur l’ouvert et l’origine », Louvain-la-Neuve, avril 2012, inédit). L’entre-deux (dans Philosophie et théologie en dialogue. 1996-2006. LIPT une trace, sous la direction d’Emmanuel Falque et Agata Zielinski, Paris, L’Harmattan, 2005). Éloge de l’inquiétude — à propos de l’Éloge de la philosophie de Maurice Merleau-Ponty (dans Les lieux de l’intersubjectivité. Hommage à Sélim Abou, sous la direction de Jad Hatem, Paris, L’Harmattan, 1998). La pensée sans autorité (Réflexions chrétiennes, 2004/4, repris dans Repenser l’autorité, Fr. Jacques (dir.), Paris, Parole et silence, 2005). L’autorité en défaut (Intervention au colloque « Soeren Kierkegaard et la critique du religieux », Paris, novembre 2005, publié dans Nordiques, n° 10, Printemps-été, 2006)
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Provenance des textes
L’arc herméneutique d’Emmanuel Falque (Intervention au colloque « Une analytique du passage. Rencontres et confrontations avec Emmanuel Falque », Chevilly-Larue, juillet 2014, publié dans Une analytique du passage, Paris, Éditions franciscaines, 2016). Acheminement vers le nom. À partir de Jean-Luc Nancy (Intervention au séminaire « Adoration et phénoménologie. Autour de Jean-Luc Nancy », Collège international de philosophie, Paris novembre 2011, publié dans Alcinoé, n° 4, 2013, Batroun, Liban). Regards sur Celui qui est. En marge de Romano Guardini (Journée d’étude « Romano Guardini », ICP, novembre 2013, publié dans Transversalités, n° 137, avril 2016). Fin — Apologie du jugement dernier (Intervention donnée au cours des « Rencontres de Sophie » organisées par l’Association Philosophia, Nantes, janvier 2005, publié dans Croire ?, Éditions M-editer, coll. « Abécédaire », Vallet, 2005).
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INDEX DES NOMS CITÉS Abraham : 150-152, 154, 161-163, 195, 198, 199 Adler, Adolph Peter : 144, 145, 159 Adorno, Theodor W. : 157 Adriaanse, H.J. : 30 Agathon : 125 Albertine : 5, 6, 19, 82 Aldegonde (sœur) : 214 Alexandre, Michel : 11 Alquié, Ferdinand : 180 Anaximandre : 22, 38, 69, 72-76 Anaximène : 70 Angelus Silesius : 62, 139 Apollon : 68 Arbib, Dan : 54, 55 Aristote : 37, 40, 67, 68, 72, 74, 75, 77, 78, 82, 88, 104, 123, 124 Arjakovsky, Philippe : 19, 23, 202 Artaud, Antonin : 173, 174, 220 Athéna : 18, 68 Audbert : 148 Augustin (saint) : 28, 45, 50, 86, 191 Baal : 188 Bach, Johann Sebastian : 45 Bacon, Francis : 174
Balthasar, Hans Urs von : 30, 42, 43, 79, 80, 82, 84, 92, 191, 196, 202, 205, 206, 208, 212, 213, 225 Barbey d’Aurevilly, Jules : 6, 82 Barth, Karl : 29, 30, 79, 86, 108, 109, 143, 150, 159, 196, 228, 229 Bataille, Georges : 114 Beaufret, Jean : 19, 39-41, 50, 67, 76-78, 81 Beauvoir, Simone de : 86 Beckett, Samuel : 130, 193 Benoist, Jocelyn : 107, 126 Bergson, Henri : 102-104 Bernard, Jeanne : 175 Bernard de Clairvaux (saint) : 226 Birault, Henri : 68, 160 Blanchot, Maurice : 4, 16, 19, 20, 38-40, 51, 52, 68, 69, 75, 76, 80, 91, 114, 123, 126-135, 138, 153, 164, 170, 172, 183-185, 187 Bloch, Ernst : 22 Bloch, Jörgen Victor : 148 Boèce : 169 Bonaventure (saint) : 176 Bonhoeffer, Dietrich : 89, 110
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Index des noms cités
Bouillon, Anne : 173 Bouveresse, Jacques : 138 Brague, Rémi : 123 Brentano, Franz : 205 Breton, Stanislas : 13, 18, 25, 26, 173, 175, 178, 197 Brezis, David : 161 Brohm, Jean-Marie : 22, 58, 117 Buber, Martin : 194 Calin, Rodophe : 52 Capelle-Dumont, Philippe : 30, 63, 68 Capet, Hugues : 148 Celan, Paul : 14, 157, 192 Cézanne, Paul : 25, 105, 222, 223 Char, René : 142, 184 Chrétien, Jean-Louis : 14, 89, 163, 187, 190, 197, 198, 211 Christophe : 81, 82 Claudel, Paul : 178 Clavel, Maurice : 90 Clément d’Alexandrie : 78 Colette, Jacques : 154, 155, 163, 180 Courtine, Jean-François : 45, 177, 196 Deguy, Michel : 120, 127 Delbos, Victor : 36 Delecroix, Vincent : 149 Deleuze, Gilles : 18, 20, 21, 72, 85, 91, 125, 152, 173, 181, 220 De Luca, Erri : 90, 93, 123 Denys l’Aréopagite : 176 Derrida, Jacques : 146, 162, 171, 172, 175-177, 186 Descartes, René : [12], [57], 99, 173, 179, 180, 186, 187 Dionysos : 82 Dockwiller, Philippe : 79 Dostoïevski, Fedor : 6 Dumas, André : 187, 188, 195, 196 Dumont, Jean-Paul : 73, 74
Duras, Marguerite : 16 Eckhart (Maître) : 82 Élie : 188 Elstir : 6 Euripide : 220 Falque, Emmanuel : 169-178, 191 Fédier, François : 19, 46, 182, 202 Fessard, Gaston : 105, 114 Fink, Eugen : 190 Fœssel, Michaël : 36 Forest, Philippe : 141, 221 Fos-Falque, Sabine : 174 Foucault, Michel : 129, 130, 132 France-Lanord, Hadrien : 23, 41, 202 Franck, Didier : 23, 54, 55 Frérot, Olivier : 25 Gadamer, Hans-Georg : 147, 157 Gagey, Henri-Jérôme : 30 Garelli, Jacques : 171 Gerl-Falkovitz, Hanna-Barbara : 201, 205, 206, 208, 209 Gilson, Étienne : 169 Gorgias : 37, 40 Granel, Gérard : 21, 136, 173, 187 Grégoire le Grand : 198 Grégoire de Nazianze : 83 Greisch, Jean : 12-15, 18, 22, 25, 30, 58, 63, 134, 139, 201, 202, 206, 208, 210, 212 Grondin, Jean : 41, 147 Grosos, Philippe : 25 Guardini, Romano : 201-206, 208210, 212, 213 Guattari, Félix : 72 Guest, Gérard : 134, 135, 164 Guibal, Francis : 54 Haecker, Theodor : 44 Hamann, Johann Georg : 35, 36 Hardy, Thomas : 6, 82
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Index des noms cités
Hegel, G.W.F. : 5, 36, 39, 70, 71, 105, 106, 112-114, 116, [117], 146, 154, 155, 162 Heidegger, Martin : 11-13, 18, 19, 21-24, 37-41, 46-48, 50-52, 56, [58], 60, [62], 63, 69, 72-75, 7779, 81, 82, 87-89, 107, 134, 153, 176, 182, 185, 190, 201, 202, 209, [213], 221 Hemmerle, Klaus : 42-45, 231 Henry, Michel : 22, 24, 27, 56-58, 60-63, 65, 82, 88, 160, 171, 172, 210, 212, 217, 226 Héraclite : [50], 69, 70, 75-79, 81, 83, 97, 123, 135, 170, 171, 173177, 190 Hermès : 68 Hérodote : 123 Hésiode : 67, 68 Hölderlin, Friedrich : 38, 84, 89, 182, 221 Hollan, Alexandre : 204 Holzer, Vincent : 30, 44, 208, 213 Homère : 67, 68 Hondt, Jacques d’ : 71 Hopkins, Gerard Manley : 7, 8, 82 Horace : 151 Husserl, Edmund : [22], 24, 58, 82, [87], [89], 101, [102], 104, 106, 107, 115, 116, 126, 128, 134, 136, 151, 153, 160, 169, 171, 173, 174, 182, 189, 201, 203-205, [209], 213, 214 Hyppolite, Jean : 117, 120, 132 Irénée (saint) : 92 Isaac : 161, 163, 195 Jabès, Edmond : 133 Jacob : 195, 197 Jaeger, Werner : 68, 74 James, Henry : 170
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Janicaud, Dominique : 26, 27, 64, 111 Jean (saint) : 35, 91, 156, 199 Jésus Christ : 43, 44, 92, 110, 140, 154, 163, 199, 201, 204, 206-208, 211, 212 Job : 149, 150, 154 Jousse, Marcel : 175 Joyce, James : 7 Justin (saint) : 199 Kafka, Franz : 147, 152, 181 Kant, Emmanuel : 9-12, 16, 18, [20], 35, 36, 40, 45, 50, 83, [138], 152, 173, 184, [187], 189, [209] Kierkegaard, Sören : 8, 62, 63, 86, 106, 141-151, 153-157, 159-164, 167, 198, 210, 231 Klébaner, Daniel : 61, 177 Kojève, Alexandre : 106, 114 Lacan, Jacques : 142, 151 Lachelier, Jules : 50 Lacoste, Jean-Yves : 26, 27, 30, 43, 44, 84, 87, 89, 92, 110, 156, 177, 190, 196 Lacoue-Labarthe, Philippe : 181 La Fontaine, Jean de : 61, 225 Laruelle, François : 133 Lavelle, Louis : 100-102 Leclercq, Jean : 22, 58 Lefort, Claude : 111, 114, 116, 128 Leibniz, G.W. : 40, 75 Lequier, Jules : 163 Linhart, Robert : 86 Luc (saint) : 83, 154-156 Lukacs, Georg : 117 Luther, Martin : 147, 148 Mabille, Bernard : 39 Machado, Antonio : 192 Machiavel, Nicolas : 115 Maldiney, Henri : 12-15, 17, 18, 22, 25, 51, 76, 171
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Index des noms cités
Mahler, Gustav : 162 Mallarmé, Stéphane : 36, 41, [130] Marcel, Gabriel : 194 Marie, Vierge : 198 Marie-Madeleine : 154, 155, 199 Marion, Jean-Luc : 27, 42, 52, 57, 58, 107, 176, 177, 179, 186, 198 Martensen, Hans Lassen : 145, 148 Martineau, Emmanuel : 37, 41, 48, 72, 177 Marx, Karl : 112, 114, 116, 117 Mattéi, Jean-François : 41, 44, 123 Matthieu (saint) : 55, 83, 154, 194, 226, 227 Merleau-Ponty, Maurice : 13, 17, 49, 57, 58, 77, 99-104, 106, 111113, 115-118, 120, 127-132, 135, 136, 138, 169, 171, 172, 174, 177, 178, 180, 197, 222 Miribel, Élisabeth de : 214 Mohammed : 198 Moïse : 176 Mondor, Henri : 41 Montaigne, Michel de : 87, 121 Mozart, Wolfgang Amadeus : 162 Munier, Roger : 162 Mynster, Jacob Peter : 145 Nancy, Jean-Luc : 179, 182-187, 189-191, 193-195, 197-199 Nerval, Gérard de : 91, 227 Nicolas de Cues : 191 Nietzsche, Friedrich : 5, 11, 21, 26, 48, 63, 67, 71, 72, 74, 82, 109, 146, 160, 173, 181, [203] Noël, Bernard : 5 Océan : 68 Orphée : 68 Parménide : 67, 70, 175 Pascal, Blaise : 10, 85, 88, 107, 140, 142, 152, 153, 181, 220
Pasolini, Pier Paolo : 9 Pégase : 161 Pessoa, Fernando : 36 Philippe d’Oponte : 67 Philonenko, Alexis : 11, 184 Platon : 5, 13, 15, 33, 37, 45, 50, 67, 68, [69], 72, [74], 82, [104], 124126, 141, 147, 149, 172, 173, 175, 176 Plotin : 50, 104 Ponge, Francis : 175, 189, 211 Porée, Jérôme : 90, 220 Pradelle, Dominique : 209 Proust, Marcel : 5, 6, 20, 60, 61, 81, 82 Przywara, Erich : 45 Pythagore : 45 Quignard, Pascal : 50 Ramnoux, Clémence : 71, 79 Ravaisson, Félix : 104 Renouvier, Charles : 163 Richir, Marc : 118, 172 Ricœur, Paul : 50, 75, 170, 174, 185 Rilke, Rainer Maria : 157, 174, 203 Rimbaud, Arthur : 90, 211, 217-219, 221, 223, 227 Robin, Léon : 15, 68, 124, 125 Rodis-Lewis, Geneviève : 180 Romano, Claude : 171 Rosenzweig, Franz : 70 Rouger, François : 104 Sartre, Jean-Paul : 51, 117 Scheler, Max : 201, 202, 205, 206, 209 Schelling, F.W.J. von : 5, 82, 11, 177, 191, 196 Schnell, Alexander : 48, 49 Scholastique : 81, 82 Schopenhauer, Arthur : 146 Schulz, Walter : 180
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Index des noms cités
Sebbah, François-David : 171 Sichère, Bernard : 116 Socrate : 5, 37, 71, 118, 119, 124, 125, 145 Sophocle : 18, 79 Sophrone de Jérusalem (saint) : 91 Souche-Dagues, Denise : 79 Spinoza, Baruch : 85, 142, 181 Stendhal : 82 Staël, Nicolas de : 90 Taminiaux, Jacques : 103 Tassin, Étienne : 118 Tertullien : 86, 175 Thalès : 118 Thétys : 68 Theuth : 149 Thomas d’Aquin (saint) : 194 Tilliette, Xavier : 35 Timbert, Anne : 127 Trotski, Léon : 117
237
Ulysse : 18, 51 Valéry, Paul : 19, 82, 103, 128, 132 Verlaine, Paul : 61 Vermeer, Johannes : 6, 82 Vezin, François : 19, 202 Viallaneix, Nelly : 146, 162 Vielé-Griffin, Francis : 41 Villon, François : 99 Vinteuil : 5, 6, 19, 20, 82 Vioulac, Jean : 36 Waelhens, Alphonse de : 99, 103, 115 Wahl, Jean : 12, 26 Weber, Max : 117 Wittgenstein, Ludwig : 39, 41, 123, 125, 133, 134-140, 151, 153, 157, [158], 162, 164, 182 Younès, Chris : 25 Zeus : 68, 76-79, 83 Zielinski, Agata : 49 Zweig, Stefan : 70, 161
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TABLE DES MATIÈRES Avant-propos ………………………………………………………
5
Introduction. Éloge de la monotonie, ou comment s’orienter dans la pensée ? ………………………………………………………
9
Première partie TROIS CHEMINS Chapitre Ier. Trois commencements ……………………………… 1. Le nom le plus commun et le nom propre par excellence …… 2. Autrui de toutes parts ……………………………………… 3. L’affect toujours présent ……………………………………
35 35 45 56
Chapitre II. Entre sans-nom et nom propre ………………………
67
Chapitre III. L’entre-deux …………………………………………
81
Deuxième partie DANS CES JOURS QUI SONT INCERTAINS Chapitre IV. Éloge de l’inquiétude. À propos de l’Éloge de la philosophie de Maurice Merleau-Ponty …………………………… 99 1. Terrain théologique ………………………………………… 105 2. Terrain politique …………………………………………… 111 3. Le terrain philosophique …………………………………… 118
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Table des matières
Chapitre V. La pensée sans autorité. À partir de Blanchot et Wittgenstein ………………………………………………… 123 Chapitre VI. L’autorité en défaut. Sur l’œuvre de Kierkegaard … 141 Troisième partie VERS LE NOM PROPRE Chapitre VII. L’arc herméneutique d’Emmanuel Falque
……… 169
Chapitre VIII. Acheminement vers le nom. À partir de JeanLuc Nancy …………………………………………………… 179 Chapitre IX. Regards sur Celui qui est. En marge de Romano Guardini ……………………………………………………… 201 Fin APOLOGIE DU JUGEMENT DERNIER Fin. Apologie du Jugement dernier ……………………………… 1. Le sens du Jugement ……………………………………… 2. Le « comment » du Jugement ……………………………… 3. Le temps du Jugement ………………………………………
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Provenance des textes …………………………………………… 231 Index des noms cités ……………………………………………… 233 Table des matières ………………………………………………… 239
Achevé d’imprimer en octobre 2019 sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery 58500 Clamecy Dépôt légal : octobre 2019 Numéro d’impression : 910377 Imprimé en France La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim’Vert®
Les multiples chemins de la pensĂŠe, ses variations quasi
infinies, conduisent invariablement au même motif, au même nom ultime : le Nom propre par excellence, le nom de Dieu. S’il en est bien ainsi, on peut parler d’une monotonie heureuse. Cette conviction permet à l’auteur de reprendre à nouveaux frais les grandes notions philosophiques, ses principes et ses fins. Entre les deux, il fait l’Êloge de l’inquiÊtude inhÊrente à l’exercice de la pensÊe, questionne l’autoritÊ qui permet situer le lieu des commencements (avec Kierkegaard, Wittgenstein, Blanchot et Merleau-Ponty) et s’achemine sur le terrain de la thÊologie en mÊditant sur l’apocalypse (avec Guardini, Nancy et Falque).
JÊrôme DE GRAMONT, est professeur de philosophie à l’Institut catholique de Paris. Il a publiÊ une dizaine d’ouvrages, dont parmi les plus rÊcents : Au commencement. Parole, Regard, Affect (Cerf, 2013), Kafkabuch (De Corlevour, 2015). En même temps que cet ouvrage, nous publions une version revue et corrigÊe de son premier ouvrage: La vie quotidienne.
ISBN : 978-2-87299-367-3
9 782872 993673
20,00 â‚Ź
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