La vie quotidienne. Esquisses philosophiques

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La vie quotidienne JÉRÔME DE GRAMONT

philosophie

donner raison

Esquisses philosophiques



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Jérôme DE GRAMONT

La vie quotidienne Esquisses philosophiques Préface de Paul Gilbert s.j.


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Donner raison – philosophie, 72 Une collection dirigée par Paul Gilbert s.j.

Du même auteur Chez Lessius : La pensée monotone, 2019. Chez d’autres éditeurs : Kant et la question de l’affectivité : lecture de la troisième « Critique », Vrin, 1996. L’entrée en philosophie : les premiers mots, L’Harmattan, 1999. Le discours de la vie : trois essais sur Platon, Kierkegaard et Nietzsche, L’Harmattan, 2001. Blanchot et la phénoménologie : l’effacement, l’événement, De Corlevour, 2011. Au commencement : parole, regard, affect, Cerf, 2013. L’appel de la loi, Peeters, 2014. Kafkabuch : essai, De Corlevour, 2015. 1re édition : © Éditions universitaires, Paris, 1991 © 2019 Éditions jésuites 7, rue Blondeau, 5000 Namur (Belgique) 14, rue d’Assas, 75006 Paris (France) www.editionsjesuites.com ISBN : 978-2-87299-368-0 D 2019/4255/10


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… tout pour moi devient allégorie. Baudelaire, « Le cygne », Les fleurs du mal Toute image prise au réel devient image à penser, parce qu’elle n’est rien d’autre que le sens incarné, Idée accomplie dans la chair ou la vie.


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PRÉFACE

Notre monde pressé est-il si aimable ? L’idée qui semble servir aujourd’hui de critère pour apprécier nos actions est leur visibilité — les faire voir comme si elles étaient comme d’une star —, voilà ce qui est le plus important, mais apparemment aussi le plus facile puisque les médias ont précisément en cela leur raison d’être, leur métier. Les étoiles ne s’éteignent jamais, du moins de notre point de vue de terriens collés à la terre. Nos stars ne s’éteignent jamais, elles non plus, si du moins elles ne cessent pas de s’agiter, de se faire voir si possible en scandalisant les « bien-pensants » de tous bords. Les étoiles illuminent aussi nos journées, mais de loin, Vénus par exemple, l’étoile du matin ou du soir, selon les heures et toujours la même. Quelle différence y a-t-il entre les étoiles que nous n’apercevons plus le jour et celles de la nuit qui couronnent notre ciel ? Toutes suivent leur rythme, fidèlement à elles-mêmes, de manière si égale que nous pouvons attendre d’elles qu’elles apparaissent quand et là où elles nous l’avaient promis — quand et là nous l’aurons calculé. Mais au fait, ces étoiles n’importent guère pour nos jours, pourvu qu’elles fassent leur travail selon leur nature et que cela puisse nous servir quand cela sera nécessaire. Et pourtant, la nuit nous fait peur. Nous avons besoin de lumière. L’obscurité nous angoisse. Nous ne savons pas si quelque abîme ne s’ouvrira pas sous nos pas hésitants quand nous nous lèverons la nuit, sans lumière, sans aucune lune ni étoiles dès que le ciel s’encombre de nuages. Nous ne savons pas si nous pourrons faire un pas sans tomber plus bas que la terre et


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Préface

disparaître dans les espaces infinis d’une nuit sans fin. La nuit, nous avons besoin de lumière, d’étoiles et de lune, mais surtout de stars agitées. Le soleil va heureusement se coucher tous les soirs, et il reviendra plus ou moins tôt le lendemain, comme prévu. Par bonheur aussi, il va parfois s’éclater dans toutes les mille nuances de rouge que nous offrent ses crépuscules en feu. Le soleil nous aime bien, nous respecte, pas seulement parce qu’il nous illumine le jour et nous fait la fête, mais aussi parce qu’il nous laisse dormir la nuit avec les plantes qui nous entourent, avec des animaux aussi, parce qu’il invite ce beau monde à s’endormir sans crainte sous un même toit, et nous nous reverrons demain matin. Et pourtant nous craignons la nuit. Nous ne croyons pas trop aux promesses du soleil. Êtes-vous sûrs que nous nous reverrons demain ? Nous cherchons alors des stars qui occuperont nos heures creuses, loin de nos angoisses, de nos incertitudes. Aucune star n’est cependant vraiment stable. Elles vont aussi toutes se coucher et s’endormir, se blesser parfois, et même mourir. Du moins celles de chez nous. Celles-là, les étoiles qui sont là-haut, veillent sur les promesses du soleil, avec grande fidélité et en se pliant à nos calculs. Mais peut-on vraiment nous fier à elles ? Elles sont aussi parfois « filantes », comme nos stars, traversant le ciel en un trait aussi lumineux qu’éphémère, qui nous éclaire très fort, mais pas longtemps. Les stars de chez nous sont filantes, splendides grâce à la surprise ou aux scandales qu’elles provoquent dans le monde des bien-pensants, car elles sont imprenables, mais en laissant aussi souvent derrière elles une saveur de vanité, d’incohérence. Vivement, dit-on, qu’en viennent quelques autres, aussi joyeuses et imprévues, à jamais imprenables, insaisissables. Mais aussi peu à même de nous indiquer un chemin qui en vaille longuement la peine. Que seront-elles ? Nous n’en savons rien aujourd’hui. Tout des stars n’est cependant pas destiné à passer, leurs gesticulations sans doute, mais moins leurs poèmes, quelques textes qui émeuvent le cœur, quelques phrases musicales qui réveillent une vérité au raz de notre humanité en quête d’être aimée. C’est pourquoi nous ne nous habituerons jamais aux stars, nous réjouissant lorsqu’elles nous apparaissent, espérées, mais non pas attendues, l’une après l’autre. Au risque de l’instant du balancement des corps qui s’agitent à grand bruit. Un


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instant après un autre instant. Un pas de danse, seul, puis un autre pas, encore seul, sans partenaire constant. Notre temps est décousu, et nos corps découpés. Reste un parfum, subtil ou fragile, d’une vérité humblement humaine et encore à accomplir. En ville, où tout le monde veut vivre, il n’y a plus d’étoiles, mais des lampions qui balancent leurs lumières artificielles. Tout le monde court pour y vivre et y survivre. Tout y va vite, déjà bien avant les « portables ». Avec ceux-ci, nous devons maintenant être accessibles partout, toujours dans la lumière pour répondre à tout instant dans l’instant aux sollicitations intempestives, inattendues et aussi impératives qu’inutiles. Les commerçants de « nouvelles » ou même d’« alertes » déjà vieillies, de « temps réel », ont imposé leur non-temporalité à notre culture. La vie quotidienne nous épuise aujourd’hui, semble-t-il. Jérôme de Gramont ne croit cependant pas que le quotidien soit seulement comme ça. Ses ouvrages sur les commencements, ou plutôt sur les paroles du commencement1, sont bien connus. Le quotidien a un autre poids que celui que nous imposent les marchés des communicateurs professionnels. Le philosophe peut vivre en ville où tout doit courir, mais lui en résistant, sans courir et surtout en ouvrant grand les yeux sur notre humanité, avec tendresse. Les eaux coulent vite sous les ponts, de plus en plus vite. Héraclite ne l’avait sans doute pas prévu. Pour lui, il suffisait de noter que, de toute façon, c’est le même fleuve qui vient des monts et qui court ensuite vers la mer. Héraclite aurait-il eu le temps de penser et de façonner ses aphorismes ou fragments si les eaux coulaient trop vite au cœur de sa ville ? Cela n’a rien à voir. À Éphèse, il semble d’ailleurs qu’il n’y ait pas de fleuve capricieux, au cours imprévisible. Avant de dire : « panta rhei », « tout coule », peu importe le débit des eaux, le philosophe s’assied et réfléchit. Héraclite a réfléchi, comme nous et sans doute mieux que nous, en laissant monter dans son esprit des questions en apparence anodines, mais pourtant essentielles : « Pourquoi cette hâte de la ville ? Dans quel but ? » « Ce n’est qu’à force d’une longue réflexion que soudain la lumière se fait », signale de Gramont dans les pages qui suivent. En fait, les questions 1.¥J. de Gramont, L’entrée en philosophie. Les premiers mots, Paris, L’Harmattan (Ouverture philosophique), 1999.


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philosophiques ne concernent pas le seul but de nos courses exténuantes, elles considèrent surtout, comme toutes les sciences d’ailleurs, les causes, c’est-à-dire ce qui vient avant le but en le rendant possible. La question philosophique chez les auteurs classiques est moins un « pour-quoi ? » qu’une interrogation sur la cause, comme déclarent les manuels de philosophie, ou pour mieux dire : sur l’origine, « à partir de quoi ? », « où et comment cela a-t-il commencé ? ». En cela, la philosophie n’est pas chez elle dans le « temps réel » de nos smartphones. Mais personne ne se recueille dans ce « temps réel ». « L’homme est un être de temps et non de l’immédiat », écrit de Gramont. Cette dernière manière de questionner met en évidence un aspect du questionnement sans lequel le « pour-quoi ? » ne se poserait même pas. « À cause de quoi ? » signifie que nous avons oublié l’origine, le point de départ, ce « à partir de quoi ». Cet oublié est pourtant pratiqué, effectué. Comment « être » sans lui ? L’oubli prétend ôter l’encombrement du passé que nous traînons derrière nous afin de nous élancer librement, yeux bandés et tête baissée, vers quelque futur, sans attention pour le temps qui passe, pour le passé qui est pourtant encore là, pour le futur que nous imaginons anticiper, mais que nous ne pouvons que rêver selon les règles du présent. Passé insupportable, qui nous colle à la peau et que nous tentons de rejeter pour nous jeter librement dans l’inconnu, dans un futur sans chronologie impérative que nous aurions à respecter coûte que coûte, mais que nous déclarons pouvoir faire venir ici et tout de suite. Il suffit d’un « clic » pour créer des mondes, pour lier des amitiés imaginaires et errantes, et un autre « clic » pour les lâcher loin de nos aimables écrans et les effacer de nos mémoires enfermées dans quelques « clés » ou disques durs. Et pourtant, toutes les machines de nos villes ne supposent-elles pas des investissements discrets, une vie quotidienne d’autant plus effacée qu’elle est indispensable, facilement oubliée pour nous lancer dans nos rêves sans réalité ? Les médecins connaissent ces maladies qui ne viennent pas de notre nature, mais des rythmes de nos vies artificielles. Du chaud et du froid, nous faisons l’expérience à peine sortons-nous du lit, « alors que nous ne sommes pas encore complètement éveillés au monde », note de Gramont. Des éléments de base nous sont donnés de sorte que nous pouvons en profiter en nous souciant d’autre chose, surtout des succès de nos volontés de puissance. Il nous arrive heureusement


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d’être rappelés à l’ordre par notre corps, quand par exemple nos « clics » rendent douloureuses les articulations de nos bras et de nos doigts, quand notre dos exige des sièges qui le soutiennent mieux afin de ne pas rendre encore plus compliqués nos projets et travaux indéfiniment ouverts à futur à construire tout de suite. Un vaste monde d’humbles réalités, disposées à être oubliées ou tenues pour rien, donne appui à nos combats afin que nous puissions nous réaliser. Nous venons de commencements sans lesquels nous serions dans l’impossibilité d’inventer et de nous projeter sereinement dans un futur inconnu. Ces commencements, souvent muets, sont à la source du sens. Il importe aujourd’hui de soutenir un pari, lira-t-on dans les premières pages du livre de Jérôme de Gramont, « qui lie la promesse du sens à l’entreprise d’un recommencement radical ». Dans un style d’une extraordinaire limpidité, La vie quotidienne propose des esquisses de grande santé. L’auteur n’ignore rien des luttes de nos vies, de nos tensions entre ce à partir de quoi nous sommes devenus et ce que nous voudrions faire de nous. Les réflexions qui suivent, relativement brèves, expression d’une réflexion indicative plutôt qu’apodictique — mais comment pourraient-ils en être autrement ? —, ont une vertu de révélation, ou de maïeutique. Elles nous entraînent à sentir les pulsations de la vie, à voir en nous les traces du monde qui nous entourent, à habiter nos sens, à nous laisser mettre hors de nous par autrui. Elles nous conduisent jusqu’à l’attitude de la prière. Elles appellent la mémoire ensevelie sous les urgences de nos productions. Elles nous invitent à une paix intérieure qui n’a rien à voir avec un recourbement narcissique sur nous-mêmes. Elles nous ramènent à nos sources, vécues dans un quotidien nourricier autant qu’anonyme. Même quand les maux nous assiègent, le regard sur ces soutiens quotidiens et discrets nous donne de quoi ne pas nous effondrer dans l’éphémère et l’échec. La vie quotidienne est pleine de richesses inaperçues, occultées seulement quand nous nous abandonnons au rythme effréné que nous impose notre monde actuel, dans lequel cependant nous ne sommes pas obligés de nous perdre. Jérôme de Gramont nous fait regarder et mieux voir d’où naît le sens au cœur de ce même monde. paul gilbert s.j.


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AVANT-PROPOS

« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que dans toutes vos philosophies » (Shakespeare). Paradoxalement, ce mot acerbe d’Hamlet, prince de Danemark, tourne aussi à l’éloge de la philosophie : seul l’esprit peut se détourner de l’abstraction de ses idées pour retourner auprès des choses, seule la pensée peut rendre au monde l’hommage de ses descriptions patientes, seul le logos peut considérer les phénomènes afin d’en déchiffrer le propre sens. Et si la philosophie n’est pas ce mouvement tournant de retour aux choses mêmes — ici comme ciel et comme terre, mais peut-être aussi plus secrètement comme vis-à-vis nécessaire de la terre et du ciel — alors il nous faut l’abandonner et en réinventer l’Idée. Qu’est-ce donc que penser, sinon parier qu’avec des mots, et ces constellations de mots devenant œuvres ou livres, nous pouvons retrouver les choses, celles-là mêmes qui pourtant ne nous ont jamais quittés ? Dès lors, s’il est une tâche de la pensée, elle ne peut s’écarter de cette stricte description d’une expérience primitive à laquelle accède chaque être vivant. Et peut-être le monde de la vie quotidienne nous livre-t-il déjà tout ce que le philosophe a à dire — à cette réserve près pourtant de sa traduction dans le langage, et l’on devine que ce n’est pas peu. Le regard d’Hamlet constatant la réalité du ciel et de la terre pressent bien des vérités qu’il ne sait dire pourtant, et qu’il appartient au seul Shakespeare de formuler. De même, que demander au philosophe sinon de rendre à cette expérience première, mais muette encore, son expression plus exacte, ou de


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Avant-propos

convertir ces expressions encore indistinctes qui composent la matière de toute vie de conscience en ces œuvres de langage qui sont aveux de la réalité, et peut-être du sens. Tel est bien le travail de pensée que, sous le nom de phénoménologie, Husserl décrivait en 1929 : « C’est l’expérience pure et, pour ainsi dire muette encore, qu’il s’agit d’amener à l’expression pure de son propre sens1. » C’était là dresser le programme d’un travail aussi humble qu’ambitieux, humble par ce retour à l’étoffe la plus primitive des choses (qui est aussi retour au monde de notre vie quotidienne), ambitieux par sa volonté d’y retrouver, partout, le sens. Cette pensée est aussi un pari, qui lie la promesse du sens à l’entreprise d’un re-commencement radical. C’est pourquoi il lui appartient de répéter l’expérience qui est celle de l’enfant dans une œuvre qui est celle du langage. Sachons entendre l’enfant qui dort en nous et s’émerveille du monde à son état naissant. Phénoménologie : science de l’enfant-roi, miracle recomposé de ce premier regard, au matin de la présence, comme s’il nous était donné de ressaisir le premier mot d’une expérience devenue depuis si familière. La philosophie est ici l’art de considérer le monde familier comme s’il nous redevenait, un moment, étrange ou nouveau. « Les belles choses que nous écrirons si nous avons du talent sont en nous, indistinctes, comme le souvenir d’un air, qui nous charme sans que nous puissions en retrouver le contour, le fredonner, ni même en donner un dessin quantitatif, dire s’il y a des pauses, des suites de notes rapides2. » Elles sont en nous, ou en tout homme qui est notre semblable, mais silencieuses encore, indistinctes, enfouies dans les profondeurs d’une conscience si souvent insensible à ses propres richesses, et c’est le miracle de l’art ou le travail de la pensée 1.¥Edmund Husserl, Méditations Cartésiennes, § 16, Paris, Vrin, 1969, p. 33. Il y a là une formule que Maurice Merleau-Ponty n’aura cessé de méditer tout au long de son œuvre, notamment entre l’Avant-propos de la Phénoménologie de la perception (de 1945) et les notes de travail relatives aux ultimes travaux (voir Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964, p. 250s, notes datées de 1959). Pour un commentaire de cette formule et de sa réception, voir tout le chapitre VI de Jacques Taminiaux, Le regard et l’excédent, La Haye, Martinus Nijhoff, 1977. 2.¥Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, 1987, p. 307.


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Avant-propos

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que de savoir les dire, d’en retrouver le contour, le dessin : la mélodie. Quant aux pages que nous rassemblons ici, elles constituent autant d’exercices de la pensée. Écrites pour la radio (exactement pour l’émission Le cabinet du philosophe sur Radio Notre-Dame), elles s’adressaient d’abord à un public de non-philosophes. Mais s’il n’est pas dit que le philosophe est toujours indemne à l’égard de la naïveté, ceux qui auront trouvé dans ces esquisses l’occasion de méditer auront bel et bien cessé d’habiter le monde silencieux de l’existence immédiate. Autant dire qu’ils auront commencé d’habiter le monde de la philosophie de la seule manière qui soit possible, celle de l’exercice.


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LE (MONDE) QUOTIDIEN

Le philosophe n’aurait rien à dire s’il ne commençait par révoquer le monde quotidien. Philosopher, c’est penser de cette manière étrange et déracinante qui nous demande d’abord de tout abandonner de nos habitudes de pensée. D’où cette impression que le philosophe laisse parfois, de s’exprimer dans une langue étrangère à l’intérieur pourtant de sa propre langue maternelle. Cette étrangeté doit avoir sa nécessité. À quoi bon en effet des penseurs, si le bon sens suffit à expliquer le monde ? Mais il faut imaginer que le bon sens n’épuise pas la raison humaine, et qu’il reste bien des questions qui passent sa mesure. C’est que le monde ambiant sans cesse parcouru par l’expérience quotidienne ne s’identifie pas tout à fait à ce que nous appelons proprement le monde : comment en aurait-il les dimensions ? Comment réduire l’univers à la taille d’une ville ou d’un de ses quartiers ? Xavier de Maistre est l’auteur de ce livre au titre déjà étonnant : Voyage autour de ma chambre (1795). L’expérience quotidienne est-elle jamais capable de voyager plus loin, elle qui ne va au bout de la rue, pour acheter son pain ou le journal, qu’en vue de consommer tous ces produits à l’intérieur de sa maison. Elle qui ne va à l’étranger, ne prend l’avion et ne visite les antipodes que pour jouir ensuite dans sa mémoire de ces quelques moments d’exotisme, ou contempler chez elle ces quelques photographies arrachées au loin. Copernic ou Galilée auront parlé en vain, pour l’expérience quotidienne il n’y a d’autre centre du monde que son


En lecture partielle‌


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INDEX DES NOMS CITÉS Abel : 190 Abraham : 163 Adam : 32, 61 Alain : 25, 80, 93, 97, 106, 112, 130, 133, 138, 167, 211 Anaxagore : 135 Anaximandre : 161 Andersen, Hans Christian : 31 Angelus Silesius : 26 Archiloque : 115 Arendt, Hannah : 165, 195 Aristote : 19, 35, 46, 48, 53, 55, 83, 96, 131, 135-137, 160, 205, 206, 209, 211 Artagnan (d’) : 158 Athéna : 60 Augustin, saint : 111 Axelos, Kostas : 109, 204 Balthasar, Hans Urs von : 194 Balzac, Honoré de : 74 Baudelaire, Charles : 5, 21, 23, 31, 62, 90, 99, 100, 101-103, 110, 211 Beaufret, Jean : 140 Beckett, Samuel : 37 Bégout, Bruce : 215 Bergson, Henri : 23, 73, 142

Bernard, Charles-André : 203 Bernard de Clairvaux, saint : 52 Bettelheim, Bruno : 174 Binswanger, Ludwig : 36 Blanche-Neige : 169, 174 Blanchot, Maurice : 4, 20, 27, 33, 58, 115, 116, 153, 181, 199, 204 Bollack, Jean : 109 Bonnefoy, Yves : 103, 115 Borch-Jacobsen, Mikkel : 43 Boucles d’or : 174, 175 Bourguet, Vincent : 211 Boutroux, Émile : 111 Breton, Stanislas : 185 Burke, Edmund : 170 Carrive, Paulette : 100 Celan, Paul : 107, 137 Cézanne, Paul : 126, 127, 141 Char, René : 23 Chrétien, Jean-Louis : 22, 33, 61, 62, 116, 117, 122, 194 Christine de Suède : 142 Claudel, Paul : 141 Cléopâtre : 36 Colléony, Jacques : 20 Concile de Latran : 181


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Index des noms cités

Copernic, Nicolas : 17 Courtine, Jean-François : 92, 181 Crusoé, Robinson : 68 Dante : 215 Delhomme, Jeanne : 27, 28, 180 Derrida, Jacques : 43, 149 Descartes, René : 26, 68, 98, 142, 157, 170, 178 Dreyer, Carl Theodor : 183 Du Bouchet, André : 105 Dufour-Kowalska, Gabrielle : 86 Dumas, Alexandre : 159 Dürer, Albrecht : 168 Épiméthée : 60 Escoubas, Éliane : 127 Ève : 61 Fédier, François : 115 Fénelon : 38, 39 Ferry, Luc : 163 Fichte, J.G. : 163 Fink, Eugen : 84 Flaubert, Gustave : 79, 80 Franck, Didier : 149 Galilée : 17, 127 Goethe, J.W. von : 21, 111, 162 Granel, Gérard : 127 Granger, Gilles-Gaston : 206 Greisch, Jean : 214 Haar, Michel : 149 Hamlet : 13 Hegel, G.W.F. : 46, 57, 62, 64, 105, 209 Heidegger, Martin : 20, 26, 28, 36, 63, 69, 70, 84, 110, 122, 136, 140, 147149, 152, 181, 184, 195, 203, 206 Henry, Michel : 56, 75, 86 Héphaïstos : 60 Héraclite : 9, 19, 20, 84, 109, 115, 204 Hérode : 21 Hölderlin, Friedrich : 122, 147

Homère : 64 Husserl, Edmund : 14, 146, 168, 170, 171, 181, 184, 201, 214, 215 Isaac de l’Étoile : 66 Iseult : 158, 181 Jaccottet, Philippe : 117 Janicaud, Dominique : 64 Jankélévitch, Vladimir : 23, 142, 161, 188, 190 Job : 32 Joubert, Joseph : 41, 59, 82 Jüngel, Eberhard : 210 Kafka, Franz : 21 Kandinsky, Vassily : 201 Kant, Emmanuel : 4, 34, 62, 68, 95, 96, 100, 102, 103, 112, 173, 211 Kierkegaard, Sören : 4, 31, 49 Klee, Paul : 201 Lacoste, Jean-Yves : 44, 169, 171 La Fontaine, Jean de : 109 Lagneau, Jules : 26, 136, 210, 211 Lefort, Claude : 81 Leibniz, G.W : 31 Leroux, Gaston : 159 Levinas, Emmanuel : 20, 33, 47, 50, 52, 54, 57, 61, 65, 66, 76, 86, 96, 107, 122, 137, 155, 179, 183, 184, 189, 191 Lichtenberg, Georg Christoph : 32 Lupin, Arsène : 32 Mac-Mahon, Patrice de : 105 Maine de Biran : 186 Maistre, Xavier de : 17 Maldiney, Henri : 142, 200 Malevitch, Kasimir : 197-201 Malherbe : 210 Mallarmé, Stéphane : 193 Marion, Jean-Luc : 206 Martineau, Emmanuel : 92, 199 Marx, Karl : 56, 70, 75, 86, 164


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Index des noms cités

Méphistophélès : 162 Merleau-Ponty, Maurice : 14, 19, 43, 81, 141, 164, 173-176, 195 Modigliani, Amedeo : 183 Molière : 74 Mondrian : 201 Muglioni, Jean-Michel : 99 Nabert, Jean : 191 Napoléon : 32 Nietzsche, Friedrich : 4, 34, 38, 80, 158, 161, 189 Novalis : 203 Pascal, Blaise : 22, 36, 39, 51, 55, 110, 153, 157, 177, 191, 209 Patocka, Jan : 74 Paul, saint : 71 Pernet, Alain : 140 Picard, Max : 183 Platon : 4, 32, 33, 42, 59, 60, 67, 74, 81, 109, 129, 132, 137, 157, 158, 161-164, 170, 178 Poe, Edgar Allan : 159 Prométhée : 60 Proust, Marcel : 14, 179, 186, 214 Quichotte, Don : 157 Ravaisson, Félix : 211 Roannez, Charlotte de : 51 Rodtchenko, Alexandre : 198 Rousseau, Jean-Jacques : 96, 163

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Rubens, Pierre Paul : 103 Saint-Exupéry, Antoine de : 129 Schelling, F.W.J. von : 23, 92, 102, 139, 140, 169 Segalen, Victor : 21 Shaftesbury (comte de) : 100 Shakespeare, William : 13 Socrate : 67, 74 Sophocle : 75 Straus, Erwin : 36, 91, 120, 122, 123, 141, 147 Stroheim, Erich von : 74 Supervielle, Jules : 108 Taminiaux, Jacques : 14, 57 Taraboukine, Nikolaï : 198 Thalès : 109-111 Tilliette, Xavier : 102 Toutankhamon : 129 Tristan : 158, 181 Ulysse : 162 Valéry, Paul : 151 Van Gogh, Vincent : 183 Vetö, Miklos : 162 Vildrac, Charles : 213 Villon, François : 161 Wenders, Wim : 64 Wittgenstein, Ludwig : 206 Wissmann, Heinz : 109 Worringer, Wilhelm : 201


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TABLE DES MATIÈRES

Préface, par Paul Gilbert …………………………………………

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Avant-propos ………………………………………………………

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Le (monde) quotidien …………………………………………… La vie brève ……………………………………………………… L’existence ………………………………………………………… Le sommeil ………………………………………………………… La maladie ………………………………………………………… La naissance ……………………………………………………… La paternité ……………………………………………………… Le bonheur ………………………………………………………… La nourriture ……………………………………………………… Le vêtement ……………………………………………………… La maison ………………………………………………………… La ville et la campagne …………………………………………… L’argent …………………………………………………………… Le beau et le mauvais temps ……………………………………… Le chaud et le froid ……………………………………………… Le paysage ………………………………………………………… La promenade …………………………………………………… Le poète et la mer ………………………………………………… La montagne ……………………………………………………… Le ciel ……………………………………………………………… Le jour et la nuit …………………………………………………… Éloge des sens …………………………………………………… La couleur …………………………………………………………

17 21 25 31 35 41 45 51 55 59 63 67 73 79 83 89 95 99 105 109 115 119 125


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Table des matières

La voix …………………………………………………………… La main …………………………………………………………… Le regard ………………………………………………………… L’animal …………………………………………………………… La conversation …………………………………………………… Le roman (policier) ……………………………………………… La nostalgie ……………………………………………………… Le conte de fées …………………………………………………… Le premier récit …………………………………………………… L’alter ego ………………………………………………………… Le visage …………………………………………………………… La mauvaise conscience …………………………………………… La fidélité ………………………………………………………… Malevitch ………………………………………………………… La prière …………………………………………………………… Conclusion. Le nécessaire …………………………………………

129 135 139 145 151 157 161 167 173 177 183 187 193 197 203 209

Postface à la 2e édition …………………………………………… 213 Index des noms cités ……………………………………………… 217 Table des matières ………………………………………………… 221


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Achevé d’imprimer en octobre 2019 sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery 58500 Clamecy Dépôt légal : octobre 2019 Numéro d’impression : 910378 Imprimé en France La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim’Vert®



radiophoniques, ont une vertu de rĂŠvĂŠlation. Elles nous entraĂŽnent Ă sentir les pulsations de la vie, Ă voir en nous les traces du monde qui nous entourent, Ă habiter nos sens, Ă nous laisser mettre hors de nous par autrui. Elles nous conduisent jusqu’à l’attitude de la prière. Elles appellent la mĂŠmoire ensevelie sous les urgences de nos productions. Elles nous invitent Ă une paix intĂŠrieure qui n’a rien Ă voir avec un recourbement narcissique sur nous-mĂŞmes. Elles nous ramènent Ă nos sources, vĂŠcues dans un quotidien nourricier autant qu’anonyme. 40 ÂŤ exercices philosophiques Âť sont proposĂŠs ici sur des thèmes aussi variĂŠs que le sommeil, la naissance, le bonheur, le vĂŞtement, la ville et la campagne, le beau et le mauvais temps, le paysage, la mer, le ciel, la couleur, le regard, la conversation, la nostalgie, le visage, la mauvaise conscience, la fidĂŠlitÊ‌ JĂŠrĂ´me DE GRAMONT, est professeur de philosophie Ă l’Institut catholique de Paris. Il a publiĂŠ une dizaine d’ouvrages, dont parmi les plus rĂŠcents : Au commencement : Parole, Regard, Affect (Cerf, 2013), Kafkabuch (De Corlevour, 2015). En mĂŞme temps que cet ouvrage, nous publions La pensĂŠe monotone. Le prĂŠfacier, Paul GILBERT, jĂŠsuite, est professeur ĂŠmĂŠrite de mĂŠtaphysique Ă l’UniversitĂŠ GrĂŠgorienne de Rome. Il a notamment publiĂŠ chez Lessius : La patience d’être : mĂŠtaphysique (1996) et Le don : amitiĂŠ et paternitĂŠ (avec S. Petrosino, 2003). ISBN : 978-2-87299-368-0

9 782872 993680

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www.editionsjesuites.com

Illustration : Paul CÊzanne, La baie de Marseille vue de l’Estaque, vers 1885, Art Institute, Chicago.

Les rĂŠflexions de ce livre, initialement des chroniques


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