lumen vitae
Quelle âme pour l’europe ?
Gérard-François Dumont, vincent DuJarDin, Jan De volDer Sous la direction de mgr Jean-Pierre Delville
Quelle âme pour l’Europe ?
© Éditions jésuites, 2016 7, rue Blondeau B-5000 Namur 14 rue d’Assas F-75006 Paris e-mail : info@editionsjesuites.com http ://www.editionsjesuites.com Conception et graphisme de couverture : Olivier Cravatte Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays ISBN Lumen Vitae : 978-2-87324-537-5 Dépôt légal : D/2016/0026/10 Imprimé en Belgique
Collection Trajectoires n° 28 Gérard-François DUMONT, Vincent DUJARDIN, Jan DE VOLDER sous la direction de Jean-Pierre DELVILLE
Quelle âme pour l’Europe ?
Conférences de la Fondation Sedes Sapientiae et de la Faculté de théologie, Université catholique de Louvain, février-mars 2013
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La collection Trajectoires Démocratie dans les Églises n° 10 - J. Baubérot - J. Famerée - R.T. Greenacre - J. Gueit Quand le salut se raconte n° 11 - A. Wénin - L. Basset - L. Cassiers - A. Gesché Romans de Dieu, Dieu des romans n° 12 - J.-Fr. Grégoire Habiter et vivre son corps n° 13 - J.-P. Lebrun - N. Frogneux - É. Gaziaux - W. Lesch - Br. Cadoré Des rites et des hommes. Regards d’anthropologie et de théologie n° 14 - L. Voyé - R. Deliège - J. Cottin - A. Haquin Mystiques et politiques n° 15 - J. Leclercq - M. Bartoli - J.-P. Delville - M. Léna - A. Veilleux Le mal. Qu’en faire ? n° 16 - N. Jeanmet - É. Gaziaux - A. Wénin - J. Reding Pèlerinage et espace religieux n° 17 - J.-P. Delville - A.H. Mahfoud - J. Scheuer - L. Voyé La foi chrétienne. Quelle transmission ? n° 19 - H. Carrère d’Encausse - H. Derroitte - B. Lobet I. Saint-Martin Au cœur du monde. L’engagement du chrétien dans la société n° 20 - J.-M. Faux Habiter notre temps en chrétiens n° 21 - sous la direction d’A. Borras et de L. Bressan Le christianisme est-il misogyne ? n° 22 - J. Famerée - M.-É. Henneau - É. Parmentier - A. M. Reijnen Qu’arrive-t-il à l’Église aujourd’hui ? n° 23 - I. de Gaulmyn - P. Poucouta - P. Scolas - A. Veilleux Monothéisme et violence n° 24 - S. Bencheikh - W. Lesch - D. Meyer - P. Valadier Quand les religions doutent de la science n° 25 - B. Bourgine - D. Lambert - J.-M. Balhan - O. Perru - Fr. Euvé Paroles de foi et réalités éthiques : quelles voies et quelles voix ? n° 26 - É. Gaziaux - D. Jacquemin - C. Ehrwein Nihan - D. Greiner W. Lesch Dieu, un personnage de roman ? Littérature et théologie n° 27 - J. Famerée - B. Lobet - P. Kéchichian - G. Ringlet
Introduction
par Jean-Pierre DELVILLE
L’Europe est plus qu’un espace géographique. Elle est forgée sur une histoire culturelle qui a irrigué le continent et a fait émerger son identité. Depuis la chute de l’Empire romain, elle a vécu un bouleversement énorme dû aux invasions germaniques ; dans ce cadre, le christianisme, et plus spécifiquement l’Église latine, s’est posé en unificateur des nations et en sauveur de la culture. Il en est résulté une histoire culturelle commune aux différents peuples. Elle est bâtie sur des racines spirituelles et, plus précisément, sur des racines chrétiennes. Depuis la chute de l’Empire romain, en effet, le christianisme s’est posé en ciment des nations et en promoteur de la culture. En ce sens, on peut parler d’une âme de l’Europe. Cette identité chrétienne s’est complexifiée dans une controverse avec le judaïsme, l’islam et d’autres courants de pensée comme le rationalisme et la philosophie des Lumières. Malgré les nationalismes triomphants des xviie, xviiie et xixe siècles et malgré les idéologies destructrices du xxe siècle qui ont entraîné les deux Guerres mondiales, l’identité européenne s’est construite et a débouché sur la constitution de la Communauté européenne, dont les fondateurs furent pour la plupart chrétiens et puisèrent leur volonté de réconciliation dans leur foi.
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Sur base de ce questionnement, la fondation Sedes sapientiae, de la Faculté de théologie de l’UCL (Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve), a organisé un cycle de quatre conférences, qui ont été données chacune à Louvain-la-Neuve et à Bruxelles, en février-mars 2013. Les textes revus et complétés font l’objet de cette publication aux éditions Lumen Vitae. Le point de vue de Gérard-François Dumont est celui d’un sociologue et d’un géographe. Il fait l’inventaire de l’héritage commun des peuples d’Europe et met en évidence l’importance des liens tissés au fil de l’histoire : liens politiques avec en particulier la romanité, liens religieux, liens artistiques, liens intellectuels… Il constate que, si l’Europe n’a pas de limites géographiques précises, cela prouve qu’elle se reconnaît plus dans des valeurs que dans des frontières. Suivant un processus de maturité au caractère non linéaire, elle s’est donné, d’après lui, quatre valeurs complémentaires : l’égalité (avec son corollaire, le respect de la charité), la liberté, la créativité et la séparation des pouvoirs. Il montre que l’identité européenne résulte d’une longue histoire commune qui a produit des valeurs dans lesquelles chacun se reconnaît, et que l’avenir de l’Europe réside dans sa capacité à aller vers l’idéal de ces valeurs communes dans la diversité du génie propre de chacun de ses peuples. Elle suppose d’écarter les tentations bureaucratiques et impériales, comme les tentations inégalitaires et malthusiennes, pour mieux construire un avenir au service de l’homme. Le point de vue de Jean-Pierre Delville est celui de l’historien. Pour cela, il part de l’histoire concrète vécue sur le sol européen au Moyen Âge, spécialement dans l’espace belge, cœur de l’Europe, pour vérifier comment la conscience européenne s’est formée, dans un lien particulier entre pouvoir et religion, sur lequel se greffent la culture et l’économie. Son parcours le conduit du ive au xve siècle, avec une échappée sur les xvie – xxe siècles. Il discerne un événement fondateur
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de l’Europe, le baptême de Clovis vers 496 : ce moment est l’origine de l’union du Germain et du Latin sous le sceau du christianisme romain. La culture mérovingienne est à la base de nombreuses villes européennes. Charlemagne consacre cette culture de façon officielle et unifie l’Europe par sa collaboration avec les papes Adrien Ier et Léon III. À cette occasion apparaissent dans la littérature diverses mentions des mots « Europe » et « Européens », qui sont analysées dans l’article. Ensuite émergent des réseaux d’unification de l’Europe, tout spécialement les monastères, les ordres religieux, la papauté et les universités. La Renaissance, aux xve et xvie s., débouchera sur une nouvelle prise de conscience européenne, en particulier chez le pape Pie II, face à la prise de Constantinople par les Turcs. Les siècles suivants voient se développer une culture européenne vivace, portée par le style baroque et la pensée rationaliste, malgré un développement des nationalismes et des guerres fratricides. Le point de vue de Vincent Dujardin est celui du spécialiste de l’Union européenne. Il investigue les origines chrétiennes des fondateurs de l’Europe et les héritages religieux et culturels qu’ils mettent en œuvre. Reprenant l’histoire de la construction européenne, et parcourant la biographie de Konrad Adenauer, d’Alcide De Gasperi, de Paul-Henri Spaak et de Robert Schuman, il nuance le mythe des « pères fondateurs chrétiens ». Certes Adenauer, De Gasperi et Schuman appartenaient à la démocratie chrétienne et étaient imprégnés de culture évangélique, mais ce n’était pas le cas de Spaak. En revanche, ils partageaient de nombreux points communs. Le premier était d’être des hommes de périphérie : Schuman le Lorrain, Adenauer le maire de Cologne, De Gasperi le Trentinois autrefois autrichien, et Spaak le Bruxellois. Tous les quatre étaient donc accoutumés à la vie frontalière et à la possibilité de vivre entre deux pays. Le deuxième point commun est qu’ils ont tous quatre connu la souffrance : prisonniers, soldats de 1914, ils partageaient une hostilité viscérale à la guerre. Enfin, ils partageaient une
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même culture humaniste que l’on retrouve à l’œuvre dans les différentes déclarations de construction d’une unité commune. Vincent Dujardin détaille les grandes étapes de la construction européenne en montrant comment l’Europe qui s’édifiait restait globalement dans la lignée de ses fondateurs tout en subissant de nombreux gauchissements, mais surtout comment la relance de la construction européenne, un temps au point mort, passa par l’économie plus que par le politique. Cette difficulté à penser une identité politique européenne explique un certain nombre des défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée. Le point de vue de Jan De Volder est celui l’historien contemporainiste et du chrétien engagé. À la question de savoir si l’Europe a une âme aujourd’hui, il répond d’abord de manière pessimiste. Pour lui, l’Europe manque de vision ; elle est paralysée par la crise financière et par la fin des idéologies. Elle est en déclin : elle a l’impression d’être assiégée et en proie à un choc de civilisation, elle a peur de ne pas savoir résister à la Chine, qui s’apprête à devenir la première économie du monde, elle ne se relève pas des grandes blessures du xxe siècle. Les prophètes de malheur et de peur abondent, affirmant qu’il faut dresser de nouvelles frontières, élever des murs et s’enfermer sur soi pour conserver son particularisme et son régionalisme. Comment reconstruire ? À l’instar des disciples d’Emmaüs, qui retournent à Jérusalem qu’ils viennent pourtant de quitter dans la peur, il faut retourner vers l’Europe avec espoir. Comme à l’époque de Grégoire le Grand, où la civilisation était la plus menacée, il faut partir en mission. Les pistes sont nombreuses. La première est ce que Jan De Volder nomme la « révolte de la gratuité ». Face à une marchandisation de plus en plus lourde, il convient de préserver l’espace du gratuit. Prenant l’exemple de la Communauté de Sant’Egidio, il témoigne des résultats accomplis par les bénévoles des Écoles de la Paix,
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qui apprennent à lire et à écrire aux enfants, ou bien ceux qui organisent des restaurants pour les sans-abris, ou des programmes gratuits de dépistage du VIH. La seconde piste est la constitution d’une Eurafrique. Contrairement à ce que l’on croit souvent en demeurant sur une vision héritée du xxe siècle, l’Afrique est en train de décoller, selon les prévisions du FMI. Elle se démocratise et se développe économiquement. Une nouvelle coopération, fondée sur des relations d’égalité, doit être repensée pour donner un souffle nouveau à la dynamique européenne. Enfin, troisième piste, il est indispensable que l’Europe s’ouvre aux étrangers. Les jeunes immigrants en Europe donnent souvent un souffle de dynamisme, économique, social, culturel, voire religieux, et représentent une injection d’humanité dans nos sociétés en proie à un individualisme et à une solitude étouffante. Il est également urgent de sortir de la peur de l’islamisation, car le modèle culturel européen, à condition qu’il ne se sépare pas trop de ses fondements spirituels, a la capacité d’intégrer les musulmans et d’être un véritable laboratoire, pour nos concitoyens musulmans, entre foi islamique et démocratie. Avec ce bagage intellectuel, historique et spirituel, le lecteur de ce livre pourra se forger sa propre conception de l’Europe. Chaque jour y ajoute de nouveaux éléments, parfois dans la tension et l’opposition. La guerre en Syrie oblige l’Europe à ouvrir ses portes, mais en même temps à protéger ses frontières, y compris à l’intérieur de l’Union européenne. Des défis nouveaux naissent, comme le souci de l’écologie. L’Europe doit être fécondée par une rencontre entre les cultures nouvelles qui naissent dans le monde et les traditions spirituelles et culturelles qui font son identité.
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L’identité de l’Europe
par Gérard-François DUMONT
Introduction Pour les générations contemporaines, l’idée prévaut souvent que l’Europe est une réalité récente, issue de la volonté de quelques hommes qui ont lancé, dans les années 1950, la construction européenne. Un président de la Commission européenne est même allé jusqu’à déclarer que l’Europe était « un objet politique non identifié ». En réalité, l’Europe a des racines fort anciennes, et nombre de ses us et coutumes, comme le montre par exemple l’iconographie, sont antérieurs aux nations qui la composent actuellement. Dans des temps où une certaine priorité donnée à l’information économique contribue à l’incompréhension de la géographie culturelle, il n’est pas inutile de chercher à travers les faits historiques, les mythes et les sources de l’Europe, l’héritage de croyances et symboles dont les Européens restent collectivement porteurs. La connaissance de ces sources révèle l’Europe à ellemême et peut aider à mieux décider l’avenir. Car l’Europe économique et juridique qui est en marche plutôt de façon
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En lecture partielle‌
Table des matières Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 par Jean-Pierre DELVILLE L’identité de l’Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 par Gérard-François DUMONT Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des frontières mouvantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les fils politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les fils religieux, artistiques et intellectuels . . . . . . . . . . Égalité, respect et tolérance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Créativité et ouverture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La séparation des pouvoirs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Héritage commun et génie des peuples . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le christianisme médiéval, creuset de l’Europe . . . . . . 57 par Jean-Pierre DELVILLE L’Europe comme espace (Antiquité) . . . . . . . . . . . . . . . . 60 Le christianisme passe des villes aux campagnes : saints Servais et Martin (ive s.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 L’union du Germain et du Romain en Europe sous le sceau chrétien (ve s.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Monachisme et papauté : premiers réseaux évangélisateurs en Europe (vie s.) . . 65 Les abbayes, foyers de pouvoir spirituel et temporel (viie s.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Charlemagne, héritier des Pippinides et père de l’Europe (viiie s.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 L’ouverture à l’Est et aux Slaves (ixe-xe s.) . . . . . . . . . . . . 81 Les nouveaux mouvements religieux quadrillent l’Europe (xie-xiiie s.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 L’Europe des humanistes (xve-xvie s.) . . . . . . . . . . . . . . . 85 L’Europe des nations, la culture des Lumières et la fin de la féodalité (xviie-xviiie s.) . . . . . . . . . . . . . 87 Du Congrès de Vienne à l’Union européenne (xixe-xxe s.) 88 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Les fondements de l’Union et les valeurs européennes . . 91 par Vincent DUJARDIN L’Europe n’est pas un concept géographique . . . . . . . . . . 95 Aux sources du « momentum » de 1950 . . . . . . . . . . . . . . 98 Les pères de l’Europe et les valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Les valeurs et l’Union européenne aujourd’hui . . . . . . . . 105 Un nouvel élan hugolien ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 144
Une âme pour l’Europe : une vision de l’avenir . . . . . . 115 par Jan DE VOLDER Le manque de vision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Le sens du déclin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Prophètes de malheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 L’avènement du pape François et les surprises de l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 La révolte de la gratuité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Eurafrique : une vision de l’avenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Une civilisation du vivre ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
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L’Europe est plus qu’un espace géographique. Elle est forgée sur une histoire culturelle qui l’a irriguée et a fait émerger son identité. Elle est bâtie sur des racines spirituelles et, plus précisément, sur des racines chrétiennes. Depuis la chute de l’Empire romain, le christianisme s’est posé en ciment des nations et en promoteur de la culture. En ce sens on peut parler d’une âme de l’Europe. Cette identité chrétienne s’est complexifiée dans un débat avec d’autres religions et d’autres courants de pensée. Il s’agit de voir dans quelle mesure cette identité se développe à nouveaux frais dans la construction de l'Union européenne et comment elle se profile dans le futur.
Gérard-François Dumont Géographe et démographe, Recteur de l’Université de Paris Sorbonne
Jean-Pierre Delville Professeur honoraire d’histoire du christianisme, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Évêque de Liège
vincent DuJarDin Président de l’Institut d’études européennes, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve
Jan De volDer Historien, Chaire Cusanus « Religion, Conflit et Paix », KU Leuven
16 € 9 782873 245375