ISBN 13 : 978-2-87356-357-8 Prix TTC : 14,95 €
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André Bouler
André Bouler
La prière de l’Anima Christi Ame du Christ, sanctifie-moi, Corps du Christ, sauve-moi. Sang du Christ, enivre-moi, Eau du côté du Christ, lave-moi. Passion du Christ, fortifie-moi. Ô bon Jésus, exauce-moi. Dans tes blessures, cache-moi,
La prière de l’Anima Christi
Deux témoignages font connaître le père Bouler (1924-1997), sa personnalité et son œuvre picturale : l’un de Jean-Marie Tézé, compagnon jésuite et sculpteur, l’autre de Bernard Dorival, ancien conservateur du musée d’art moderne de la ville de Paris. Daniel Dideberg, professeur à la Faculté jésuite de théologie de Bruxelles, présente la prière de l’Anima Christi, ses origines médiévales, sa place dans les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola et la densité de ses brèves invocations. Chacune des invocations de l’Anima Christi est ornée d’une gouache du père Bouler. Elle est le fruit d’une recherche patiente et amoureuse comme la prière elle-même.
Ne permets pas que je sois séparé de toi, De l’ennemi, défends-moi. À ma mort, appelle-moi, Ordonne-moi de venir à toi, Pour qu’avec tes saints je te loue, Dans les siècles des siècles. Amen.
La prière de l’Anima Christi
André Bouler
La prière de l’Anima Christi Introduction par Daniel Dideberg avec les témoignages de Jean-Marie Tézé et de Bernard Dorival
© Editions Fidélité, 61, rue de Bruxelles, BE-5000 Namur, Belgique • fidelite@catho.be ISBN 13 : 978-2-87356-357-8 Dépôt légal : D/2007/4323/03 Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Imprimé en Belgique
A me du Christ, sanctifie-moi, Corps du Christ, sauve-moi, Sang du Christ, enivre-moi, Eau du côté du Christ, lave-moi, Passion du Christ, fortifie-moi. Ô bon Jésus, exauce-moi. Dans tes blessures, cache-moi, Ne permets pas que je sois séparé de toi, De l’ennemi, défends-moi. À ma mort, appelle-moi, Ordonne-moi de venir à toi, Pour qu’avec tes saints je te loue, Dans les siècles des siècles. Amen.
Introduction
Cette introduction présente d’une part le père André Bouler, sa personne et son œuvre, et d’autre part l’Anima Christi, ses origines médiévales, sa place dans les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, un commentaire de cette prière.
Le père André Bouler (1924-1997) Pour connaître le Père Bouler, nous disposons de deux témoignages 1 : l’un, de Jean-Marie Tézé, évoque l’artiste peintre ; l’autre, de Bernard Dorival, dégage la signification de l’œuvre picturale. Pour le père Jean-Marie Tézé, sculpteur, André Bouler a été le compagnon de route. « Le père André Bouler est né en 1924 à Quimperlé et vint habiter avec sa famille à Riec-sur-Belon. Il fit ses études secondaires au collège Saint-François-Xavier de Vannes. « Au collège, écrivait-il, lorsque mes camarades découvraient les premières émotions du poème, mes 1. Les deux témoignages de Jean-Marie Tézé et de Bernard Dorival sont présentés sur le site internet des Jésuites de la Province de France (www.jesuites.com). Cf. Benezit, Dictionary of Artist, Paris, 2006 ; André Bouler, « Monologue d’un peintre », in Christus 67 (1970) 294-308.
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découvertes se nommaient Cézanne, Monet, Renoir. » Il aurait pu ajouter Gauguin qui plusieurs fois vint en Bretagne, qui peignit les rochers du Kerou, au Pouldu, où le jeune Bouler se souvenait avoir joué, et qui eut une forte influence sur ses premières peintures. » André Bouler était né peintre. Dès son enfance il dessine et peint sa première toile, un portrait, à quinze ans. À la veille de la guerre, il rencontre le peintre Émile Compard qui lui donne des conseils. Il exécute quarante toiles ou aquarelles avant d’entrer au Noviciat, en octobre 1943, où il continue, sinon à peindre, du moins à exploiter ses dons pour la caricature, à faire des affiches à l’occasion des fêtes ou d’événements de moindre importance. » Il est à Paris pendant trois ans, de 1949 à 1952, travaille dans l’atelier de Fernand Léger, rencontre l’abbé Morel et le père Couturier, Jean Bazaine et Léon Zack. Une fois terminée sa formation de jésuite, il revient à Paris, 35 rue de Sèvres, et se consacre entièrement à la peinture. C’est à cette époque que je l’ai bien connu, car nos ateliers étaient contigus et la porte entre les deux toujours ouverte. André était un compagnon gai, drôle, boute-en-train, heureux de vivre, toujours enclin à trouver des gags, à mimer les moindres expressions ou comportements d’autrui, qu’il fixait souvent dans des caricatures. Mais derrière cette façade qui pouvait donner le change à ceux qui l’abordaient se cachait avec une pudeur toute bretonne un grand sérieux. Une exigence, une vie intérieure, une passion pour la beauté l’habitaient, le hantaient, parfois le minaient, mais dont il parlait peu, tant il était préoccupé de ne pas laisser perdre un « bruissement indéfinissable », comme il disait, « une fragile musique intérieure » qu’il lui fallait essayer de transcrire sur sa toile, sans « l’abîmer ou la casser ». » Tout en s’adonnant régulièrement à la peinture pure, très vite il va s’employer à l’aménagement de chapelles ou d’églises, à la réalisation d’autels, d’ornements liturgiques, de bannières, de livres de messe et surtout de vitraux (églises de Sainte-Thérèse, de Lambézellec, à Brest, de Sainte-Marine, de Bénodet, chapelles du Roucas à Marseille, d’America à New York et bien d’autres encore). La liste de ses réalisa-
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tions est impressionnante : entre 1963 et 1995, il aménage soixanteneuf lieux de culte, il réalise quarante-deux ensembles de vitraux. » En 1955, l’année de son ordination, il rencontre la sœur RenéBenjamin Boivineau, professeur de lettres et de peinture, et tous les deux mettent en projet un livre, L’Enfance de l’Art, petite méthode simple, mais suggestive, pour guider et préserver le génie natif des enfants et qui sera publié en 1959. Un deuxième volume suivra et une exposition à Paris, au Grand Palais, consacrera le succès de L’Enfance de l’Art. » Entre-temps, André Bouler participe à de nombreuses réunions d’artistes européens ou américains. En 1968, il est consulteur au Département des Arts de l’Université de Fordham, aux États-Unis, et, en 1970-1971, il est « artiste en résidence » à Fairfield, dans le Connecticut, où il dirige un atelier de peinture. » À partir de 1970, il assiste au congrès des artistes Jésuites européens dont il est un des membres les plus anciens et les plus actifs. Enfin, il devient le conseiller du représentant du Saint-Siège à l’Unesco pour ce qui concerne les activités artistiques. » En 1981, à l’occasion d’une exposition particulière, Bernard Dorival, ancien conservateur du Musée d’Art moderne de la ville de Paris, rendit au père Bouler l’hommage suivant : « En un temps malade de vitesse, la peinture d’André Bouler ne laissera pas de surprendre. Elle est, en effet, le fruit nécessaire et volontaire tout à la fois, d’une lente maturation qui se fait au long de nombreuses années et qui ne saurait s’accomplir autrement. Couvrant patiemment, amoureusement une couche de matière picturale par une autre, André Bouler n’est satisfait de son ouvrage que lorsqu’il lui a conféré une pâte cohérente, serrée, au grain rigoureux, et que l’aspect extérieur en présente comme la croûte savoureuse d’un pain d’autrefois.
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» À poursuivre cette fin, le peintre courait un risque : celui de fatiguer son œuvre, de l’abîmer même par un travail excessif. Ce péril, il l’a conjuré. La preuve en est ses gouaches qui paraissent faites à la diable, et qui sont, elles aussi, le résultat d’une élaboration patiente, que leur apparence ne révèle pas. Œuvrer sans hâte, à loisir, et ne pas le montrer : telle est, me semble-t-il, la formule d’André Bouler et le secret de sa réussite. » Épris de matière, il l’est aussi de la couleur, et singulièrement des harmonies froides. Le bleu est son ton d’élection, un bleu profond et transparent, nocturne, velouté. Il l’associe volontiers aux verts, à moins que, recherchant les relations plus subtiles des binaires, il ne lui plaise d’accorder à ses verts des violets, légers et lumineux, et qui témoignent de son exceptionnelle finesse d’œil. Ce n’est pas qu’il dédaigne les rouges : maintes toiles de ses pinceaux attestent qu’il n’en méconnaît pas les ressources, mais, comme souvent, à son insu ou malgré lui, ses rouges virent au pourpre, même dans ses toiles à dominantes chaudes, s’affirme son penchant pour les froids. » La raison m’en paraît claire. Ce peintre, abstrait, et qui a le courage de le demeurer aujourd’hui, est l’homme de la forêt et de la mer. Il a beau avoir roulé sa bosse des États-Unis et du Mexique à l’Italie, il n’en est pas moins demeuré l’enfant breton émerveillé par l’arbre et par l’océan, dans lesquels il trouvait la présence de Celui à qui il a consacré sa vie. » Mais juste récompense : peut-être est-ce cette présence qui donne à ses toiles leurs dimensions véritables et qui les charge d’un message inouï. »
La prière de l’Anima Christi 2 I En réfléchissant sur le Mystère du Christ, Verbe de Dieu fait chair, les Pères de l’Église ont défini la double nature de la personne du Christ, vrai Dieu et vrai homme, tout en soulignant que le Fils de Dieu s’est fait homme afin que les hommes deviennent fils de Dieu. Le Moyen Âge occidental a contemplé l’humanité du Christ, sa naissance et sa mort. L’on sait avec quelle ferveur saint Bernard de Clairvaux († 1153) et saint François d’Assise († 1226), leurs frères, ont vénéré la crèche et la croix du Christ. En méditant la Passion du Sauveur, ils ont considéré avec amour ses saintes plaies, en particulier celle de son Cœur blessé et ouvert. La prière de l’Anima Christi exprime parfaitement cette spiritualité médiévale. Une autre dévotion, celle du Saint-Sacrement, a marqué au Moyen Âge la vie de l’Église. Sous l’influence de sainte Julienne du Mont Cornillon, près de Liège, le pape Urbain IV, ancien archidiacre de cette ville, institua en 1264 pour l’Église universelle, la Fête-Dieu ou fête du Corps du Christ. Cette dévotion eucharistique était centrée sur le Corps et le Sang du Christ. De plus, à cette époque, l’élévation de l’hostie et du calice, lors de la consécration des espèces eucharistiques, constitua le point culminant de la sainte messe. L’Anima Christi 3 est l’une des prières récitées lors de l’élévation ou encore lors de la communion comme oraison d’action de grâces, ce qu’elle est encore demeurée jusqu’à nos jours comme l’atteste le Missel romain de 1970. D’abord centrée sur l’humanité souffrante du Christ, l’Anima Christi vint aussi à manifester son œuvre rédemptrice dans le sacrement de l’autel. Notons encore qu’à l’époque moderne, la nouvelle dévotion au Cœur du Christ propagée par sainte Marguerite-Marie († 1691), la visitandine de Paray-
2. Cf. en particulier G. M. Verd, art. « Anima Christi » (avec Bibliographie), Diccionario Ignaciano de Espiritualidad, à paraître ; Ricardo Garcia-Villoslada, « Anima Christi. Origén y evolución de esta plegaria medieval », in Manresa 51 (1979) 119-144. 3. Édouard Dumoutet, Le Christ selon la Chair et la Vie liturgique au Moyen-Âge, Paris, 1932, p. 160-165.
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le-Monial, accorda également une place importante à l’Anima Christi 4. Deux de ses invocations, en effet, « Sang du Christ, enivre-moi » et « Eau du côté du Christ, lave-moi » s’adressent à Celui dont le Cœur a été transpercé sur la croix (Jn 19, 34). Une autre, « Dans tes blessures, cache-moi », est considérée comme l’un des premiers bourgeons de la dévotion au Cœur de Jésus.
II Auparavant, saint Ignace de Loyola avait contribué au xvie siècle à diffuser l’Anima Christi dans le peuple chrétien. Beaucoup lui attribuent encore cette prière dont l’auteur reste inconnu jusqu’à ce jour. Les Exercices spirituels, qui donnent une si grande importance à la contemplation des mystères du Christ, ne pouvaient l’omettre. La première édition des Exercices spirituels ne contient pas le texte de l’Anima Christi tant il était connu à l’époque. Ce n’est que dans l’édition de 1576, vingt ans après la mort de saint Ignace, qu’il figure pour la première fois suite à la décision du Père Général Evrard Mercurian. Dans ses illustrations, le père André Bouler a transcrit ce texte qui n’a pas varié depuis le xvie siècle. Par rapport aux versions antérieures qui remontent au xive siècle 5, les principales variantes sont les suivantes. 1. Au stique 7, est introduite l’invocation « Dans tes blessures, cachemoi ». Elle se rattache à la dévotion des saintes plaies et en particulier de celle du Cœur du Christ qui se développa au xve siècle. Une imitation rhénane de l’Anima Christi datant de cette époque contient déjà les invocations suivantes : « Dans tes saintes plaies, je me réfugie », « Dans ton divin Cœur, je m’abrite 6 ».
4. Gabriel María Verd, « Cor Christi. Adaptiones del « Anima Christi » al Corrazón de Cristo », in Manresa 59 (1987) 3-28. 5. Le plus ancien manuscrit connu est le Harley 2253 du British Museum : il date de 1320-1340. 6. Karl Richstätter, Die Herz-Jesu Verehrung des deutschen Mittelalters, Ratisbonne, 1924, p. 260.
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2. Au stique 11, l’invocation « Ordonne-moi de venir à toi » est substituée à celle-ci « Place-moi près de toi 7 ». Elle introduit dans le texte une tautologie : « À l’heure de ma mort, appelle-moi. Ordonne-moi de venir à toi. » Même si, d’après le contexte, l’invocation antérieure : « Place-moi près de toi » vise le ciel, certains auteurs l’ont rapprochée de l’attitude de saint Jean, le disciple bien-aimé, placé à la dernière Cène contre la poitrine, le Cœur de son Maître (Jn 13, 23-25 et 21, 20 8). Ils évoquent aussi l’expérience mystique de saint Ignace en 1537, à la chapelle de la Storta 9, sur la route de Rome, où « le Père le mit avec son Fils 10 ». C’est pourquoi l’on peut regretter dans la version actuelle de l’Anima Christi l’omission de ce stique si conforme au christocentrisme des Exercices spirituels. Cette prière de l’Anima Christi accompagne celui qui fait les Exercices tout au long de son cheminement. Saint Ignace la recommande expressément quatre fois. D’abord, dans les triples colloques à Notre Dame, au Christ et au Père où l’Anima Christi est mis au même niveau que l’Ave Maria et le Pater noster. Le premier triple colloque a lieu, dès le troisième exercice de la première semaine consacrée à la méditation des péchés (ES 63). Le second triple colloque suit la méditation des « Deux étendards », l’un étant celui du Christ, l’autre celui de Lucifer, où le retraitant demande la grâce d’être reçu sous l’étendard du Christ pauvre et humble (ES 147). Ce colloque se fera à la fin de chaque exercice jusqu’au terme de la Deuxième Semaine. Ainsi, par la prière de l’Anima Christi, la Passion du Sauveur est déjà à l’œuvre dans les deux premières Semaines des Exercices spirituels. Parallèlement au Credo et au Salve Regina, l’Anima Christi est ensuite mentionné dans les deuxième et troisième manières de prier (ES 253 et 258) : il déploie le mystère du salut de l’homme accompli par la Passion du Christ.
7. Balthasar Fischer, « Pone me iuxta te — Setze mich zu dir. Ein Verlorengegagenes Motiv aus dem urspsprünglichen Text des Anima Christi », in Trierer Theologische Zeitschrift 94 (1985) 188-196. 8. Les Johannesminne « L’amitié de Jean » datent de 1300-1350. 9. Récit no 96, dans Ignace de Loyola, Écrits, Paris, 1991, p. 1069. 10. Journal des motions intérieures no 67, ibidem, p. 341.
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Dans son Mémorial, le bienheureux Pierre Favre († 1546), le meilleur guide, selon saint Ignace, pour donner les Exercices, montre le fruit de cette prière de l’Anima Christi lorsqu’il médite la descente du Christ aux enfers évoquée dans la première contemplation de la Quatrième Semaine des Exercices (ES 219) : « Je fus aussi pris du désir, inspiré par une spéciale dévotion, de m’attacher à cette prière : « Âme du Christ, sanctifie-moi ; corps du Christ, sauve-moi ; sang du Christ, enivre-moi ; eau du côté du Christ, lave-moi ; etc. ». Et je fus touché surtout par une connaissance particulière de la béatitude et de la puissance dont jouissait l’âme du Christ, dégagée du corps et unie à la Divinité, telle que la virent à sa descente aux enfers les saints Pères [les justes de l’Ancien Testament] qui étaient dans les limbes et les âmes qui se purifiaient. » Pendant que je contemplais le corps du Christ, anéanti dans son sépulcre et pourtant uni à la Divinité, un grand désir me poussait à demander que soit anéantie en moi toute puissance de péché, de vanité et de tromperie, et que la vie me vienne de Dieu, par Jésus Christ Notre Seigneur, ressuscité des morts 11. »
III Formé de treize stiques, l’Anima Christi comprend onze invocations brèves et bien rythmées 12. La première partie de la prière se compose de cinq invocations. Chacune constitue une requête personnelle par laquelle celui qui prie cherche à recueillir les fruits de la Passion du Christ sous ses différents aspects :
11. Mémorial no 271, Paris, 1960, p. 318-319. 12. Pour le commentaire, cf. Erich Przywara, Deus semper maior. Theologie der Exerzitien, t. I, VienneMunich, 1964, p. 7-16 ; l’analyse de Jean-Marie Hennaux dans Daniel Dideberg, Contempler le Cœur du Christ, Namur, 1999, p. 73-76.
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Âme du Christ, sanctifie-moi, Corps du Christ, sauve-moi. Sang du Christ, enivre-moi, Eau du côté du Christ, lave-moi. Passion du Christ, fortifie-moi. L’Anima Christi se tourne d’abord vers l’humanité du Christ qui, dans la Passion, souffre et meurt. L’âme et le corps forment, en effet, sa sainte humanité. À l’agonie, l’âme du Christ obéit à la volonté du Père. Abandonnée de lui, elle s’abandonne à lui. Le peuple rejette son Messie. L’occupant romain condamne à mort le Roi des Juifs. Les disciples fuient. Judas trahit son Maître, Pierre le renie trois fois. Le crucifié implore le Père de pardonner à ses bourreaux. Il a soif d’amour. Près de sa croix, seule la présence de sa mère, des saintes femmes, du disciple bien-aimé, du bon larron le réconforte. Le corps du Christ est outragé par les crachats et les soufflets, flagellé avec violence, humilié par le manteau rouge, la couronne d’épines et le roseau de la dérision. Il est fixé sur la croix, nu et sanglant, les mains et les pieds percés par les clous et, une fois mort, le côté ouvert par la lance. Âme du Christ, sanctifie-moi, Corps du Christ, sauve, moi. En s’adressant à l’âme et au corps du Christ, celui qui prie fait mémoire du mystère de l’Incarnation rédemptrice : le Fils de Dieu s’est fait homme pour libérer les hommes. L’âme du Christ est invoquée en premier lieu : car en elle demeure la sainteté à laquelle le suppliant demande d’avoir part : « sanctifie-moi ». Mais cette sainteté n’est acquise que par le corps du Christ qui sauve par ses souffrances et sa mort et qui répond au désir de l’homme en prière : « sauve-moi ». Ainsi, tout au long de la Passion, l’humanité du Christ opère le salut du genre humain. Le Christ mort, son côté est transpercé par la lance du soldat : « Aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19, 34 ; ES 297, 3). Selon les Pères de l’Église, le sang et l’eau désignent ici les sacrements de l’eucharistie et du baptême. Par
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ces sacrements, le Christ continue dans l’Église l’œuvre salutaire qu’il a accomplie dans sa Passion. Sang du Christ, enivre-moi, Eau du côté du Christ, lave-moi. Celui qui boit à la coupe eucharistique peut connaître une ivresse toute différente de celle que procure le vin et qui fait perdre la raison : il sort de luimême, se sent pris par le Christ et conduit par lui à une confiance insensée et à une œuvre impossible. Celui qui est lavé dans l’eau baptismale est purifié par le Christ de tout péché et retrouve sa beauté originelle. Une invocation conclut et résume la première partie de l’Anima Christi : Passion du Christ, fortifie-moi. Dans sa Passion, le Christ livre son âme et son corps, le sang et l’eau coulent de son côté transpercé et révèlent l’amour extrême (cf. Jn 13, 1) qu’il porte à l’homme. Le Créateur en est venu à se faire homme ; de la vie éternelle, il en est venu à la mort temporelle et à mourir pour les péchés de sa créature (cf. ES 53). Comment l’homme pourrait-il répondre à cet amour s’il ne reçoit de la Passion même du Christ la grâce et la force de faire et de souffrir pour lui tant soit peu. C’est pourquoi l’objet de cette invocation est de demander d’être fortifié par le Christ lui-même. La seconde partie de l’Anima Christi commence par cette invocation : Ô bon Jésus, exauce-moi. Celui qui prie s’adresse maintenant directement à la personne du Christ dont la douce bonté l’a touché. Il l’appelle par son prénom « Jésus » comme un frère, un ami (cf. ES 54). Il a pleinement confiance d’être exaucé par Jésus, en raison de sa seule bonté. Cette requête générale sera spécifiée par les deux autres qui suivent, l’une concerne la vie présente, l’autre le moment de la mort.
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La première demande recouvre la vie présente. Elle regroupe trois invocations : Dans tes blessures, cache-moi, Ne permets pas que je sois séparé de toi, De l’ennemi, défends-moi. L’invocation fondamentale occupe le centre de la strophe : « Ne permets pas que je sois séparé de toi 13. » Celui qui exprime cette prière, veut éviter non seulement le péché, l’imperfection mais tout ce qui peut faire obstacle à l’union intime avec Jésus. Les deux invocations qui l’encadrent assurent les conditions de son exaucement. En effet, celui qui prie ne sera pas séparé de Jésus, si, au lieu de rester au dehors, il entre à l’intérieur des blessures du corps et du Cœur de Jésus et y demeure. Cette cachette offre un abri sûr et une forteresse contre les attaques de l’ennemi. Il s’agit ici du Tentateur dont Jésus affirme qu’il faut prier d’en être délivré (cf. Mt 6, 13), de Lucifer, « mortel ennemi de la nature humaine » (ES 136). La vie du chrétien est un combat. Ce n’est qu’uni à Jésus, vainqueur de l’Adversaire dans sa Passion, qu’il peut remporter la victoire. La seconde demande vise le moment où l’homme meurt. Elle rassemble les dernières invocations : À ma mort, appelle-moi, Ordonne-moi de venir à toi pour qu’avec tes saints je te loue dans les siècles des siècles. Cette invocation demande d’être appelé par Jésus au dernier moment de la vie, bien plus d’obéir à son ordre, comme Lazare sortant du tombeau (cf. Jn 11, 43).
13. La prière avant la communion contient aussi cette invocation et souligne la nécessité de l’eucharistie pour vivre uni au Christ.
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La mort détache l’homme de lui-même et le conduit à sa fin éternelle qui est la louange de Dieu (ES 23). Désormais, l’invocation cède la place à la louange incessante qui s’élargit à la communion des saints (ES 232) et s’étend aux siècles des siècles : « Éternel alléluia qui ne faiblira jamais 14. »
14. Augustin d’Hippone, Homélies sur la Première Épître de saint Jean, X, 6.
Achevé d’imprimer le 6 janvier 2007 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique)
ISBN 13 : 978-2-87356-357-8 Prix TTC : 14,95 €
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La prière de l’Anima Christi Ame du Christ, sanctifie-moi, Corps du Christ, sauve-moi. Sang du Christ, enivre-moi, Eau du côté du Christ, lave-moi. Passion du Christ, fortifie-moi. Ô bon Jésus, exauce-moi. Dans tes blessures, cache-moi,
La prière de l’Anima Christi
Deux témoignages font connaître le père Bouler (1924-1997), sa personnalité et son œuvre picturale : l’un de Jean-Marie Tézé, compagnon jésuite et sculpteur, l’autre de Bernard Dorival, ancien conservateur du musée d’art moderne de la ville de Paris. Daniel Dideberg, professeur à la Faculté jésuite de théologie de Bruxelles, présente la prière de l’Anima Christi, ses origines médiévales, sa place dans les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola et la densité de ses brèves invocations. Chacune des invocations de l’Anima Christi est ornée d’une gouache du père Bouler. Elle est le fruit d’une recherche patiente et amoureuse comme la prière elle-même.
Ne permets pas que je sois séparé de toi, De l’ennemi, défends-moi. À ma mort, appelle-moi, Ordonne-moi de venir à toi, Pour qu’avec tes saints je te loue, Dans les siècles des siècles. Amen.