L'évangile au féminin

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Gérard Bessière, extrait de la Préface Jean du Mesnil est prêtre retraité à Alençon (). Il a enseigné l’histoire de l’Église au grand séminaire de Sées. Puis il a exercé divers ministères dans l’enseignement public, dans le monde de la psychiatrie et au Tchad. Il a aussi travaillé dans un centre de réinsertion sociale. ISBN 978-2-87356-371-4 Prix TTC : 13,95 €

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Jean du Mesnil

« Jean du Mesnil prête vive attention à quatorze femmes, nommées dans les évangiles, dont la vie a été illuminée par le regard de Jésus. Il donne successivement la parole à chacune. Il le fait à travers une fine approche des origines chrétiennes et de… la sensibilité féminine. Depuis leur rencontre avec le jeune prophète, ces femmes ont “conservé toutes ces choses dans leur cœur”. La Bonne et Joyeuse Nouvelle a accompagné l’originalité de leurs parcours. La voix et l’expérience de chacune nous atteignent. Nous sommes en l’an , environ. Les évangiles n’ont pas encore été écrits. Les élaborations théologiques et spirituelles des décennies et des siècles à venir n’ont pas encore mûri dans les esprits. Nous accueillons dans sa fraîcheur première le bouleversement qui a transfiguré ces existences. Au long de ces confidences, on entend les mots de tous les jours, les nôtres. Et ce bel Évangile au féminin nous offre, à nous aussi, l’ineffable rencontre. »

L’Évangile au féminin

L’Évangile au féminin

Jean du Mesnil

L’Évangile au féminin Préface de Gérard Bessière



L’Évangile au féminin



Jean du Mesnil

L’Évangile au

féminin


Merci au groupe Évangile et Mission d’Alençon, à la communauté de base « les Passants », à France Évin, à Gérard Bessière, à Jean Hanotte, mon éditeur, qui m’ont dit de leur confiance et aidé de leurs conseils. Jean du Mesnil

© Éditions Fidélité • , rue de Bruxelles • BE-5000 Namur • Belgique ISBN : 978-2-87356-371-4 Dépôt légal : D/2007/4323/11 Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Illustration de couverture : Les femmes myrrhophores. Huile sur toile, or fin  carats.  ×  cm (détail), Arcabas. © SABAM Belgium .


Préface maginez qu’un archéologue découvre un jour, sur quelque papyrus, des fragments du journal intime de Marie-Madeleine : des spécialistes de la langue araméenne s’attelleraient fébrilement à déchiffrer le texte, les médias se disputeraient les premières traductions, l’opinion publique se passionnerait dans l’attente de révélations… Jean du Mesnil, lui, prête vive attention à quatorze femmes, nommées dans les évangiles, dont la vie a été illuminée par le regard de Jésus. Il donne successivement la parole à chacune. Il le fait à travers une fine approche des origines chrétiennes et de… la sensibilité féminine. Depuis leur rencontre avec le jeune prophète, ces femmes ont « conservé toutes ces choses dans leur cœur ». La Bonne et Joyeuse Nouvelle a accompagné l’originalité de leurs parcours. La voix et l’expérience de chacune nous atteignent Nous sommes en l’an , environ. Les évangiles n’ont pas encore été écrits. Les élaborations théologiques et spirituelles des décennies et des siècles à venir n’ont pas encore mûri dans les esprits. Nous accueillons dans sa fraîcheur première le bouleversement qui a transfiguré ces existences. Au long de ces confidences, on entend les mots de tous les jours, les nôtres. Et ce bel Évangile au féminin nous offre, à nous aussi, l’ineffable rencontre. Au fait, comment écririons-nous le journal intime de notre compagnonnage avec Jésus ?

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Gérard Bessière



Introduction

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n une quinzaine de « prises de parole » féminines, ce livre entend ouvrir plusieurs perspectives intéressantes et, en somme, peu habituelles ! Tentons de bien situer son propos. Il est clair que les quatre évangélistes sont des hommes, dans la culture de ce temps : le monde méditerranéen du ier siècle. Il est clair aussi que les vingt et une lettres du Nouveau Testament sont des écrits masculins : de Paul, de Jacques, de Pierre, de Jean… Et en fait, il n’y a pas lieu de trop s’en étonner, si l’on veut bien se rappeller la condition féminine dans une société alors largement « patriarcale ». En vérité, le premier écrit dont on soit sûr qu’il s’agisse d’une femme chrétienne est le journal de Perpétue, martyrisée à Carthage au début du iiie siècle, sous l’empereur Septime-Sévère (-). Avec son esclave Félicité, Vibia Perpetua a été arrêtée et emprisonnée pour sa foi, avant de connaître le martyre : les deux jeunes femmes y ont montré alors un courage exemplaire. Or, le journal personnel de Perpétue, jeune romaine de noble naissance et de bonne éducation, a été repris dans les Actes de son martyre, documents rassemblés par la communauté de Carthage. Et nous les avons gardés… Mais tout n’est pas dit pour autant ; car il est clair que les femmes sont très présentes dans les récits évangéliques, comme aussi dans les différentes lettres et les récits des Actes des Apôtres,


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le second tome de l’œuvre de Luc. L’auteur du livre que voici a donc osé imaginer ce que pouvaient être leurs paroles de femmes ; c’est bien pourquoi il a situé ces témoignages au milieu du ier siècle, vers l’an  — soit une vingtaine d’années après la Passion et la Résurrection du Seigneur, dans la lumière de l’Esprit Saint : « Vos fils et vos filles seront prophètes » (Ac ,  = Jl , ). Le soin de la mémoire qui relit les événements d’un passé récent, le souci d’y revenir pour mieux entendre leur message dans toute sa force, voilà ce qu’on pourra admirer ici, avec une certaine fraîcheur et un regard féminin, qui a déjà mûri. Peut-on librement ouvrir de telles perspectives et avoir de telles audaces ? Assurément, à condition de bien fonder de telles « prises de parole » sur les récits évangéliques eux-mêmes, pour arriver à en exprimer toute la force et toute la vigueur, selon les circonstances très diverses et les événements de ces « rencontres » vécues par de nombreuses femmes. Ce qu’on rejoint ainsi, avant même la rédaction écrite de l’Évangile quadriforme (comme le dit saint Irénée, repris par le concile Vatican II), c’est le contexte de la transmission orale, très vivante dans les premières communautés chrétiennes. Aujourd’hui, on connaît bien leur réelle diversité et leur témoignage commun à la personne de Jésus Christ, reconnu comme le Seigneur de leurs vies. Oui, certaines rencontres sont en effet inoubliables et peuvent marquer toute une existence : la mémoire de telles rencontres demeure vive, comme le dit joliment l’Évangile de Luc, à propos des femmes du matin de Pâques, venues avec leurs aromates au tombeau ouvert de Jérusalem : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, mais Il est ressuscité ! Rappelez-vous comment Il vous a parlé, quand Il était encore en Galilée… » Alors elles se rappelèrent ses paroles (Lc , -.).


Introduction

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Bien entendu, il s’agit donc d’une œuvre d’imagination, mais elle est fortement ancrée dans les récits mêmes des quatre Évangiles, souvent avec un réel bonheur et même un certain charme. Nous avons donc à remercier l’auteur de son audace, en retraçant cette quinzaine de rencontres en profondeur, en une quinzaine de portraits : tant de femmes diverses parlent avec leur cœur de cet étonnant Jésus, qu’elles ont rencontré et que lui-même a rencontré — en toute confiance et à fleur de vie. Le grand Dante n’a-t-il pas eu cette belle expression : « Les femmes… elles ont l’intelligence de l’Amour » (Purg. , ) ? Peut-être est-il permis de conclure cette introduction par un sourire : à bien des reprises en effet, l’Évangile parle gravement des « hommes de peu de foi » (ainsi Mt ,  ; ,  ; ,  ; ,  ; ,  ; Lc , ). Mais on ne trouve qu’une seule fois cette expression : « Femme, grande est ta foi ! » (Mt , ). Voilà de quoi réfléchir, et en même temps se préparer à entrer dans le vif du sujet… Pierre Mourlon Beernaert, s.j. professeur de Bible à Lumen Vitae (Bruxelles)



En la neuvième année du règne de l’empereur Claude (an 50 de notre ère)



Anne, belle-mère de Simon Pierre Saint Pierre avait donc une belle mère ? Non seulement il avait une belle-mère. Trois évangélistes nous parlent d’elle. Mais elle vivait dans sa maison. Sans doute était-elle veuve, une de ces nombreuses veuves dont nous parle la Bible. Comme dans tout le Moyen-Orient, le statut des veuves en Israël n’était pas enviable. Ce qu’avait possédé le couple était bien souvent considéré comme propriété de la famille du mari. Et elle ne pouvait vivre et faire vivre les siens qu’en assurant de menus travaux ou en demandant l’aumône. C’est pourquoi la loi de Moïse fait une place importante aux veuves et au devoir de les secourir. Et les premières communautés chrétiennes aideront les veuves à trouver toute leur place en leur donnant un statut particulier. Et l’aide financière qui leur sera attribuée sera une préoccupation constante. Ce sera en particulier la mission confiée aux « Sept ». Rien d’étonnant donc qu’Anne habite chez sa fille et son gendre. Nous sommes à Capharnaüm, ville que Jésus semble avoir choisie comme base autour de laquelle il va rayonner durant les premiers mois de son ministère en Galilée. L’Évangile de Marc commence par une journée de Jésus passée à Caphar-


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naüm (, -) et c’est de ce texte que je m’inspire. Garnison romaine et carrefour commercial, c’était un lieu de brassage de cultures diverses, venues de Grèce ou de l’Orient. On peut imaginer que Jésus trouvait plaisir à ces recherches intellectuelles et spirituelles. Il faut ajouter que les activités autour de la pêche y sont nombreuses et que plusieurs disciples de Jésus y résidaient. Toute cette séquence se passe dans la maison de Pierre, celle que les évangélistes appellent quelque fois « la maison ». Entre deux tournées faites de village en village, on y venait parfois reprendre souffle, se refaire une santé et peut-être remettre le linge en état. On comprend que pour la femme de Pierre, que j’appelle Judith, et pour sa mère, ces joyeuses périodes de retrouvaille n’étaient pas de tout repos. Si l’on ajoute à tout cela que Pierre et André son frère avaient plié leurs filets de pêcheur, on peut comprendre qu’Anne ait eu un coup de déprime ! J’évoque aussi les premières divergences entre cette communauté naissante de Capharnaüm et la famille de Jésus, venue de Nazareth. Il n’est pas impossible qu’apparaissent là les germes de la tension qui se créera entre Jacques « frère » de Jésus et Paul, plus ouvert au monde grec. Pierre en est témoin dans sa maison et il aura plus tard à en être l’arbitre.


h bien ! je me souviendrai de cette journée-là ! Après vingt ans, elle est restée toujours aussi vive dans ma mémoire. Simon venait de rentrer à Capharnaüm. C’était une époque où les hommes ne tenaient pas en place. Il y en avait qui couraient vers Qumran pour se purifier. D’autres partaient rejoindre un prêcheur qui annonçait la fin des temps. D’autres allaient chercher auprès des pharisiens les plus proches une parole d’espérance. Et je ne compte pas les illuminés venus d’Orient qui traversaient notre Galilée. Simon et André, pour leur compte, avaient entendu parler d’un certain Jean qui baptisait sur le bord du Jourdain. Et comme d’habitude, ils nous avaient laissé, à Judith et moi, le soin de David et de Samuel. Il faut que je vous dise que, depuis la mort de mon Ruben, je vis chez ma fille, mon gendre et leurs deux enfants. On est resté deux semaines sans nouvelles. Et puis voilà qu’on les a vu revenir, avec tout un groupe d’hommes et de femmes très excités. Ils ramenaient avec eux un nommé Jésus de Nazareth qui les avait bouleversés. Cela nous a bien étonnés car, pour nous, il est bien évident que ce n’est pas de Nazareth que peut nous venir quelque chose de bon ! Alors d’un seul coup, la maison était devenue un vrai caravansérail. On dormait dans toutes les pièces. On avait tellement de choses à se dire qu’on n’avait guère le temps de manger ce que, Judith et moi, nous essayions de préparer. Et moi, je sentais bien que je ne pourrais pas tenir très longtemps dans une telle ambiance. Sans compter que je sentais venir le moment où Simon repartirait avec son Jésus, en nous laissant le soin des enfants, à nous et à leurs oncles.

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Il y eut alors la matinée de ce Sabbat. Ils étaient tous partis à la synagogue. Moi, j’avais fini pas craquer et je m’étais mise sur mon lit. J’avais simplement dit à Judith que je n’en pouvais plus. Je me sentais totalement sans force ; et en même temps angoissée et fébrile. J’aurais voulu ne plus exister. Au bout de quelques heures, on a entendu, dans la rue, des gens qui parlaient fort, et avec agitation. Judith est venue m’expliquer ce qui s’était passé. À la synagogue, Zacharie, le gars un peu perturbé que tout le monde connaît bien s’est mis, comme s’il était soudain possédé, à invectiver Jésus. Celuici l’avait alors délivré et on disait que Zacharie raisonnait maintenant tout à fait normalement. Bien que ce soit le sabbat, voilà qu’on commençait à amener à Jésus tous les malades du quartier pour qu’il les guérisse. Ils sont tous arrivés à la maison et Judith a expliqué à Jésus dans quel état je me trouvais. Alors Jésus s’est approché de moi, mais vraiment approché, comme on n’a pas l’habitude, chez nous, qu’un homme approche une femme qui n’est pas la sienne. Comment expliquer ce que je ressentais alors ? Il était là pour moi. Ma vie avait du prix. J’avais vraiment envie que tout cela continue et j’étais curieuse de le connaître. Comme elles étaient précieuses ces quelques secondes sous son regard. ! Je n’avais jamais connu cela. Et puis il a pris ma main dans la sienne. C’est fou ce que peut dire une main ! Avec beaucoup de tendresse, sa main comprenait toute ma détresse et ma fatigue ; sa main me portait toute entière ; il prenait sur lui toute ma fragilité. Et alors sa main doucement s’est levée, et il m’a levée avec lui. C’était la première fois que je vivais une chose pareille. C’était bien moi, avec toute ma fragilité, et en même temps, je n’étais plus la même. Sa main me disait que j’étais forte comme lui. Sa main me le disait avec joie. Sa main m’ouvrait un bonheur que je n’avais pas connu jusqu’alors. Je comprenais que, jusqu’à ce jour, j’avais servi comme une esclave ; et maintenant c’était librement que je


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voulais servir, comme je le voyais, lui, nous servir et y trouver son bonheur. Il m’est arrivé bien des fois depuis de vivre de tels moments de fatigue et de découragement ; je crois bien que c’est dans ma nature. Il me suffit alors de fermer les yeux et de sentir sur ma main le contact de sa main. En souriant, il me dit : « Bien sûr, tu es lasse et tu en as bien le droit ; prends le temps de te reposer. » Et il me dit en même temps : « Cela va revenir. Une source d’eau vive va à nouveau jaillir de ton cœur pour désaltérer tous les tiens. » Et je suis dans la paix, faible et pardonnée. Voilà vingt ans qu’on l’a mis en croix et je ne l’ai jamais senti aussi vivant et présent. Je crois qu’à partir de ce jour, je suis entrée dans un monde nouveau, plus qu’humain. Je ne sais si je peux dire, un monde divin ? Car je ne me suis jamais sentie plus humaine… et plus heureuse de servir simplement. En effet, pendant près de deux années, notre maison a été l’une de celles où Jésus et ses amis aimaient se rassembler entre deux excursions à travers la Palestine. Ils allaient aussi parfois chez les Zébédée, mais je crois bien que Salomé, la mère de Jacques et de Jean impatientait Jésus car elle ne pouvait éviter de couver ses deux trésors. On m’a raconté qu’un jour elle a même réclamé les deux premières places pour ses rejetons. Et Jésus, comme il savait faire, l’a gentiment remise en place. Et malheureusement elle n’a pas eu longtemps à attendre pour comprendre ce que cela voulait dire que d’être à l’honneur dans le Royaume puisque son Jacques est un des premiers qui y a laissé sa vie. Depuis elle a vraiment beaucoup changé, la femme de Zébédée. Je crois que chez nous, dans ces premières années, l’atmosphère était plus détendue et on pouvait prendre beaucoup plus de liberté, comme Jésus nous y invitait.


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Je me souviens de ce jour où nous étions si nombreux que la maison était pleine comme un œuf. J’avais réussi à me faire une petite place dans un coin et nous étions tous assis par terre. Jésus nous parlait du Royaume avec des mots simples comme lui seul savait faire. Nous étions tellement pris que nous ne faisions pas attention aux éclats de voix qui retentissaient dehors. On a entendu du bruit sur la terrasse. Et puis tout à coup on a commencé à recevoir des gravats sur la tête. La couverture était un peu vieille, et voilà que les gens qui étaient sur la terrasse y pratiquaient une ouverture. On a vu descendre, au milieu de la pièce, un brancard suspendu par quatre cordes, et là-dessus un homme qui semblait incapable de remuer et même de parler. Ce sont les hommes qui étaient sur le toit qui criaient pour demander la guérison de leur ami. Alors quelle surprise ! Au lieu de lui dire de se mettre debout, Jésus lui a dit que ses péchés étaient pardonnés. Beaucoup d’entre nous se disaient que ce n’était pas cela qu’on lui demandait. D’ailleurs on n’avait jamais entendu un homme pardonner les péchés ; Dieu seul peut pardonner les offenses qui lui sont faites ! Jésus a bien vu la tête que nous faisions : il s’est mis à rire et il a dit à l’homme : « Allez maintenant, metstoi debout et marche ! » On lui a fait de la place pour qu’il puisse sortir dans un grand vacarme. Quand le calme est revenu, Jésus nous a expliqué ce qui venait de se passer. Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris, mais voilà ce que je me suis dit après coup. Au fond, moi aussi, souvent, je me suis sentie paralysée. Il y avait des choses à faire pour que cela aille mieux, il y avait des choses à dire. Que de fois je n’ai pas osé ! Pourquoi ? Parce que j’avais peur de me sentir coupable. Je gardais le souvenir de démarches que j’avais cru devoir faire, mais qui avaient fait de la peine à mes parents ou à mon cher Ruben. Je m’étais sentie coupable et j’en étais malheureuse. Ensuite, quand l’idée m’était venue de faire une démarche pour améliorer une si-


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tuation injuste, je m’étais trouvée « paralysée ». Il avait manqué quelqu’un qui ait assez d’autorité pour me dire : « Ton péché est pardonné. Tu as fait souffrir celui que tu aimes ; c’était un « péché » nécessaire. Il peut ne pas avoir de conséquence de mort. Il peut en résulter plus de vie. Lève-toi et prends l’audace d’agir. » Depuis ce jour, j’ai suivi son conseil et je sens que j’ai beaucoup grandi. À y réfléchir mieux, je me demande si Jésus n’est pas pour moi celui qui me dit : « Va vers toi-même ! » Il me semble que c’est le sens que certains de nos rabbins donnent à l’appel de Dieu à notre père Abraham quand il lui demande de partir vers l’inconnu. Quand Simon a amené Jésus à la maison, comment pouvais-je me douter que ce serait pour moi le commencement d’une marche sans fin vers celle que je deviens ? Pour vous rassurer à propos de notre toiture, il faut vous dire qu’ils sont venus, dès le lendemain, avec des matériaux neufs. Ils étaient là tous les cinq et je vous prie de croire qu’ils n’étaient pas manchots. Jésus était déjà reparti vers d’autres villages. Mais ils n’arrêtaient pas de parler de lui. À propos de notre maison de Capharnaüm, un autre souvenir me revient aujourd’hui : il m’a beaucoup travaillée au long des années. Jésus, depuis qu’il avait quitté Nazareth dans des conditions un peu violentes d’après ce qu’on m’a raconté, n’avait pas de maison où se reposer. Toujours par monts et par vaux, il n’avait pas où reposer sa tête, comme il disait. Quand lui et ses amis étaient vraiment trop fatigués ou bien quand ils s’apprêtaient à traverser le lac, ils passaient la nuit chez nous ; et David et Samuel pouvaient embrasser Simon. Ce jour-là, c’est de Nazareth qu’un groupe d’hommes et de femmes vinrent à sa recherche ; plusieurs fois, ils avaient envoyé des émissaires pour demander où était Jésus et quand il passerait chez nous. Ils disaient qu’il avait perdu la raison et qu’il était ur-


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gent de le ramener à la maison car il allait s’attirer de graves ennuis, et du même coup à toute sa famille. C’est vrai que les gens de Jérusalem surveillaient de près ceux qui critiquaient les sacrifices du Temple. De leur côté, les pharisiens examinaient scrupuleusement l’observance des rites de purification ; et Dieu sait si Jésus prenait des libertés ! Et puis les politiques craignaient tout ce qui pouvait mettre les Romains en colère. L’époque était dangereuse ; la famille de Jésus trouvait, avec juste raison, qu’il était inconscient des risques qu’il prenait. Voilà donc qu’un jour on s’était rassemblés en foule autour de Jésus dans la maison car il faisait mauvais. Et de la porte, quelqu’un crie : « Il y a là ta mère et tes frères ! Ils veulent te parler ! » Moi, vraiment j’aurais trouvé normal que Jésus nous dise de l’attendre et qu’il sorte, surtout pour sa mère. Eh bien, non ! Il nous a regardés avec son sourire plein de tendresse et il nous a dit : « Ma mère, mes frères, mais c’est vous qui êtes en train d’écouter la parole de Dieu. » Cela a jeté un grand froid, car, chez nous, la famille, c’est sacré. Quand la discussion a été terminée, Jésus est sorti embrasser sa mère et ses frères. Nous avons partagé ensemble ce qui nous restait de pain, de poissons et de figues. Et ils ont passé la nuit chez nous avant de reprendre la route pour Nazareth. Je sais que, jusque tard dans la soirée, ils se sont expliqués. Jésus leur a fait comprendre qu’il avait l’âge de quitter père et mère ; il aimait dire qu’il était aux affaires de son Père. Je ne sais pas si ses frères ont bien compris sur le moment. Je crois qu’avec sa mère, Jésus n’avait pas de discours à faire. J’ai bien souvent parlé avec elle, dans les années qui ont suivi, quand nous nous sommes retrouvées sur les routes, dans le petit groupe de femmes qui l’accompagnait. Elle avait, depuis longtemps, compris que cet homme était infiniment plus que son fils, qu’il était devenu celui qui l’appelait à la vie et qui appelait l’humanité à une nouveauté radicale.


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Pour notre compte, plus modestement, nous comprenions que Jésus venait nous inviter à vivre autrement entre nous, à oser la liberté à sa suite. Il appelait chacun d’entre nous à ne plus dépendre de son clan, mais à répondre aux appels des rencontres quotidiennes. Je crois que la famille de Jésus a eu longtemps du mal à entrer dans cet esprit. Après son grand passage, beaucoup d’entre eux se sont ralliés à notre groupe et nous ont rejoints à Jérusalem. C’est Jacques qui parlait en leur nom. Ils avaient tendance à considérer Jésus comme le chef d’un courant juif parmi les autres, un réformateur qui demandait la miséricorde plus que les sacrifices. Il avait purifié la loi ; mais c’était encore l’obéissance à la loi qui nous sauvait. Peut-être les gens de Nazareth gardaient-ils encore trop l’image du charpentier qui avait vécu au milieu d’eux pour réaliser à quel point la venue de Jésus avait tout changé. Je n’ai jamais rencontré Paul qui est en train de parcourir les provinces d’Asie et de Grèce. On m’a rapporté ce qu’il prêche et je m’y retrouve bien. Ce qui sauve ma vie, ce n’est pas d’obéir à une loi, même améliorée ; ce qui la sauve, c’est d’avoir été rencontrée par Jésus, d’avoir découvert qu’il croit en moi, et de lui donner en retour ma confiance. Alors je comprends qu’entre les gens de Paul et ceux de Jacques, on ne soit pas bien d’accord. Et c’est là que j’ai découvert notre Simon. Jusqu’ici nous avions eu du mal à l’appeler Pierre, comme faisait Jésus. Ce nom ne lui ressemblait pas, lui l’impulsif, toujours entre l’enthousiasme et la peur ! Et puis quand il s’est agi d’arbitrer entre la fougue de Paul et l’obstination de Jacques, notre Pierre s’est mis à parler avec autorité. Depuis ce temps-là, il y a encore des positions divergentes, mais on arrive à s’accepter dans nos différences. Pierre est de plus en plus tenté par le voyage à Rome. Il sent que c’est de là-bas que la bonne nouvelle va le mieux éclairer le monde. S’il s’en va, bien sûr Judith l’accompagnera. Et j’ai bien


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peur de ne les revoir que dans le Royaume à venir. En attendant, je serai bien heureuse de vivre avec David et Samuel qui se sont mariés et ont repris la barque de leur père. '


Marie de Magdala Marie Madeleine, une femme anticonformiste Dieu sait si Marie Madeleine est à la mode ! Un thriller à succès en fait l’épouse de Jésus ; cela prêterait à sourire si cette fiction ne prétendait à la vérité historique. D’autre part, on a retrouvé un texte du IIe ou IIIe siècle, intitulé Évangile selon Marie où Marie Madeleine nous transmettrait une révélation particulière que Jésus lui aurait faite. Ce texte n’a pas été reconnu par l’Église comme émanant d’un témoin direct de la vie et de la résurrection de Jésus. On le dit donc « apocryphe ». Il reste un témoignage intéressant sur les courants qui ont provoqué des débats dans les premières communautés chrétiennes. Il nous renseigne en particulier sur « les gnostiques », ces intellectuels qui voulaient ne réserver la pleine révélation qu’à quelques initiés. On a longtemps pensé qu’il n’y avait qu’une seule Marie, présentée comme pécheresse et qui se serait servi de parfum pour manifester son amour à Jésus. Puis on en a distingué trois différentes. J’ai choisi de donner la parole à deux Marie. Celle de Magdala qui répand du parfum sur les pieds de Jésus dans la maison de Simon le Pharisien (Luc , -) et Marie, mère de Jacques, Jude et José qui semble être la sœur de Marie de Nazareth (Marc ,  ; Jean , ). Quand à Marie de Béthanie qui parfume la tête de Jésus après le retour à la vie de Lazare (Jean


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, -), c’est à Marthe que je confierai le soin de nous en parler. L’indépendance dont témoigne Marie de Magdala ne doit pas nous étonner. Il ne faut certainement pas assimiler le sort de la femme juive du Ier siècle à celui de la femme de certains pays arabes actuels. Il y avait plus d’un siècle que la Palestine, et tout particulièrement la Galilée, était intégrée à la société hellénistique où les femmes avaient obtenu une réelle reconnaissance, surtout si elles avaient pu acquérir une certaine culture. Sans le mot, on peut parler d’un courant féministe dans cette société. En acceptant que des femmes se joignent au groupe de ses disciples, Jésus, sans militer pour ce mouvement d’émancipation, semble s’en être réjoui. Ce qui n’empêchait pas nombre de juifs pieux de traiter ces femmes de pécheresses, de considérer comme des prostituées celles qui étaient simplement des célibataires. Il n’est pas sûr que les sept démons dont Jésus aurait libéré Marie de Magdala ne relèvent pas de ces jugements sommaires.


elui que mon cœur aime », celui que je ne cesse de chercher, il m’est plus réellement présent qu’il ne l’a jamais été. Je ferme les yeux et je sens qu’il pose sa main sur la mienne et qu’avec beaucoup de tendresse, il me dit : « Marie ». Pierre dit que j’ai beaucoup trop d’imagination pour qu’on me prenne au sérieux. Ah ! Si Pierre pouvait en avoir un peu plus de cette imagination ! Après tout, d’une pierre peut jaillir une source dans le désert. Et si l’imagination n’était pas seulement de rêver l’impossible, mais aussi de prendre au sérieux les désirs qui naissent en nous ?

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Un jour, Jésus est passé à Magdala et j’ai su, sans hésiter une seconde, qu’enfin un homme me comprenait, qu’il acceptait ma différence et qu’il s’en émerveillait. Car il faut vous dire que, jusqu’à ce jour, j’étais tout à fait perdue. Comment vous expliquer ? Depuis de nombreuses années, j’avais compris que je n’étais pas faite pour me plier à ce que les hommes ont organisé pour nous, les femmes. J’avais bien essayé, plusieurs fois, de me mettre en ménage avec un homme, comme il convient dans notre société. À chaque fois, nous avions dû convenir que cela ne pouvait pas durer, que cette vie-là ne nous rendait heureux ni l’un ni l’autre. Nous nous étions séparés en toute amitié. Alors vous devinez ce que les gens avaient dit ! Les mots ne manquaient pas pour me qualifier : orgueilleuse, inconstante, prostituée… trop différente. J’étais la pécheresse, l’impure. Quand Jésus est passé, je m’apprêtais déjà à quitter Magdala, car je savais que je pourrais bien, en fin de compte, finir lapidée. Il y avait ici trop d’hommes que ma présence obsédait.


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Je me rendais bien compte que je comprenais une multitude de choses que les hommes ne comprenaient pas. C’est vrai, j’étais hors la loi. Mais je savais bien, au plus intime de moi-même, que cette loi n’était qu’une des échelles possibles pour entrer en communication avec Dieu, se laisser créer par lui à son image. Ce que je ne pouvais faire en suivant la loi, Dieu était en train de le faire en moi, je le savais bien. Je n’avais rien contre ces hommes et ces femmes qui me jugeaient sans comprendre. J’aurais tant voulu qu’ils découvrent ce chemin d’amour qui, au long de mes cheminements chaotiques, m’inondait de bonheur. Jésus est donc passé à Magdala, accompagné d’une vingtaine de personnes. Il m’a regardée : enfin j’existais. J’ai tout laissé là et je me suis jointe à son groupe. Pendant quelques mois, ma réputation m’a suivie. Certains parlaient sous cape des démons dont Jésus m’aurait délivrée : je sentais bien que je faisais peur à beaucoup. Pourtant Jésus ne manquait pas une occasion de dire que s’il était venu, ce n’était pas pour les gens qui s’estimaient justes, mais pour « les pécheurs ». Je savais bien, moi, que j’étais de ces malades qui ont besoin du médecin : je me sentais si loin de cette ressemblance pour laquelle Dieu m’avait créée. Et puis peu à peu, certains d’entre nous se sont reconnus de la même famille. Marie de Nazareth, sa mère, est venue, assez rapidement, nous rejoindre. Tout de suite nous avons compris que nous pouvions compter l’une sur l’autre. Ensemble, sans pouvoir y mettre des mots, nous percevions vers quoi Jésus marchait, ce qu’il était en train de devenir, et vers quoi il voulait acheminer le monde. En même temps, nous percevions toutes les oppositions qui se dressaient au travers de son chemin. Même s’il fallait en souffrir, nous étions bien décidées à le soutenir. Jésus savait bien qu’il en était certains, parmi nous, avec qui il pouvait parler plus intimement. Il avait besoin de pouvoir expri-


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mer ses désirs les plus fous sans craindre de scandaliser ; il avait aussi besoin de dire ses doutes, ses peurs, et aussi sa souffrance intérieure jusqu’à en pleurer parfois. Il fallait pour cela savoir l’écouter avec son cœur ; et tous parmi ses disciples, ne savaient pas le faire. Que de fois, il m’a confié le vertige qu’il éprouvait quand il pensait à ce qu’est l’être humain, fils de Dieu, en capacité d’être divin. Il ne parvenait pas à comprendre comment un être si grand était capable de tant de cruauté et de violence. Il en était déchiré intérieurement. Il pouvait me le dire ; il savait que je sentais ce drame avec lui. Il pouvait me le dire, car nous savions, l’un et l’autre, que l’amour serait le plus fort. Marie sa mère m’encourageait à ces longues conversations, seule à seul avec lui. Car elle comprenait que, d’une certaine manière, je continuais à le mettre au monde, en lui permettant, par les mots, de devenir conscient de la pensée infinie qu’il portait en lui et qui avait besoin de se déployer, comme s’ouvre un bouton de rose. Et moi, bien sûr, en même temps, je naissais à une vie nouvelle. Je ne savais comment le lui signifier. Un jour, ne sachant plus comment contenir ce flot de reconnaissance qui me submergeait, j’ai été prise par un coup de folie. Jésus avait été invité à dîner chez un pharisien qui s’appelait Simon. Plusieurs de ses disciples l’accompagnaient. Je me suis procuré un vase de parfum. Je suis entrée dans la salle sans demander la permission. Jésus était étendu à la mode romaine. J’ai donc pu facilement m’agenouiller et répandre doucement ce parfum sur ses pieds. Je savais que je le compromettais gravement ; tout autre homme que lui l’aurait manifesté par un mouvement de retrait. Lui au contraire m’accueillait en me disant doucement : « Marie ! Marie ! » Alors je n’y ai plus tenu. Mon cœur s’est retourné et je me suis mise à pleurer doucement, de joie et de tendresse. Sans y réfléchir, ne disposant d’aucun linge, j’ai dé-


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noué mes cheveux pour essuyer ses pieds. Je sais bien que ce geste, où nous éprouvions un grand plaisir l’un et l’autre, était tout à fait déplacé en ce lieu. Mais je sais aussi que là nous disions la liberté à laquelle nous sommes appelés. Je n’ai même pas eu besoin de lever les yeux pour savoir la stupeur dans laquelle se trouvaient les assistants. Ma réputation était encore vive. À leurs yeux, j’étais la pécheresse. Et un Juif fidèle aux prescriptions de Moïse n’avait pas d’autre choix que de repousser une telle femme. Alors Jésus s’est adressé à Simon. À sa manière très concrète, il lui a raconté l’histoire de deux débiteurs : celui des deux à qui on avait le plus remis, celui-là aimait le plus. Eh bien, voilà ! à moi, il avait tout remis, et je le savais, et j’avais reçu le don de son amour ; je peux dire que je m’étais reçue tout entière de lui. Comment s’étonner du grand amour que je lui manifestais ? Ce pauvre Simon ne semblait pas avoir manifesté à Jésus beaucoup d’amour. Normal puisqu’il pensait n’avoir aucun pardon à recevoir. Ce don d’amour qui aurait pu le recréer lui aussi était là disponible pour lui, mais il n’était pas prêt à le recevoir. Je ne sais pas ce que ce Simon est devenu, mais j’ai souvent pensé à lui. Rapidement, les choses ont mal tourné. Tous nous voyions bien que ses ennemis devenaient de plus en plus nombreux. Il y avait les gens du Temple, bien sûr, car Jésus considérait que tous ces sacrifices étaient une sorte de trafic avec Dieu. Il y avait les pharisiens à qui Jésus reprochait de prétendre mériter le salut par leurs observances. Il y avait Hérode qui avait peur que Jean le baptiseur revienne pour lui demander des comptes. Et voilà que peu à peu se retournaient contre Jésus tous ceux qui avaient espéré qu’il rétablirait le Royaume de David par un coup de force. Tous ces gens se détestaient, mais ils étaient prêts à se réconcilier un temps en faisant ensemble appel aux Romains pour exécuter leurs basses œuvres.


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Jésus comprenant que l’heure était venue nous a réunis pour un repas d’adieu. Et il nous a laissé en testament ce geste inouï : il s’est mis à genoux devant chacun d’entre nous et il nous a lavé les pieds. Je ne sais plus exactement ce qu’il nous a dit, mais j’ai bien compris que chaque fois que nous prendrions la position de serviteur, il serait réellement présent parmi nous. Alors tout s’est enchaîné très vite. Il a été arrêté, jugé à la va-vite et la violence des hommes s’est déchaînée. Nous nous sommes retrouvés au pied de sa croix avec Marie sa mère, Jean et quelques femmes, un autre groupe de ses amis se tenait plus loin. C’est alors que nous avons vu sa gloire. Notre cœur était déchiré, tous nos membres souffraient avec lui ; mais en même temps ce que nous contemplions, c’était plus que ce qu’un homme peut vivre. Il mourait, mais jamais nous n’avions vu un homme aussi vivant. Et c’était une autre vie qui resplendissait sous nos yeux. Nous qui le connaissions bien, nous l’avons tout de suite compris : ce qui le faisait le plus souffrir, c’était le mal que ses bourreaux se faisaient à eux-mêmes. Il a crié pour eux vers son Père. Ensuite il a tourné sa tête vers chacun des condamnés qui mouraient à ses côtés et il leur a adressé une parole d’espérance. Puis son regard s’est posé sur sa mère, émerveillé de son courage, et il l’a recommandée à Jean. Ensuite, il a pu dire que sa mission était accomplie et il a fait don de son esprit à son Père et à chacun de nous. Sous nos yeux, un monde nouveau venait de naître où l’amour faisait entrer dans la Vie. Le centurion qui était là ne s’y est pas trompé. Il est venu nous manifester sa sympathie. Il ne trouvait pas ses mots. Il a fini par dire, dans la langue grecque que nous comprenions les uns et les autres, quelque chose comme cela : « Je n’oublierai jamais. C’était vraiment quelqu’un. Je n’ai jamais vu un homme si grand dans sa mort ! » C’était pour moi une certitude et aussi pour Marie sa mère. Cette mort était le point d’aboutissement de sa longue naissance à la Vie.


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Dieu l’avait fait lever et il l’avait définitivement fait passer en Lui. Nous n’avions pas à attendre autre chose. Quand le repos du sabbat a été passé, nous avons voulu aller parfumer son corps ; il n’était plus là. Nous avons couru prévenir Pierre et Jean. En courant, ils sont venus constater que le tombeau était vide. Pour ma part, je n’avais pas besoin de constater l’absence de son corps pour croire qu’il était vivant et plus présent que jamais. Je ne l’ai pas touché ; c’est lui qui a touché tout mon être. Je ne l’ai pas vu ; j’étais illuminée par son regard. Je n’ai pas entendu sa voix ; mais je ne cesse d’être accompagnée de ce murmure d’amour qui me dit « Marie » comme lui seul me le disait. Je suis restée à Jérusalem ; j’habite tout près de la maison de Jean et nous nous retrouvons souvent avec la mère de Jésus pour nous souvenir de lui et pour le prier. Je crois bien que Pierre et Jacques continuent de se méfier un peu de moi. J’ai eu la chance, voilà quelques années, de faire connaissance avec un certain Paul qui passait quelques jours à Jérusalem. Il m’a raconté comment il avait été rencontré par Jésus ressuscité. Je lui ai dit combien son expérience était proche de la mienne. Et puis quand il m’a dit son intention d’aller vers les païens, je me suis souvenue de cette phrase de Jésus : « C’est dans la Galilée des nations qu’ils me rencontreront. » Puisque Jésus tarde à revenir, il faudra peut-être bien que certains se mettent à écrire ce que nous vivons. Je sais qu’on ne lirait pas ce qu’une femme écrirait. Mais je verrais bien Paul s’y mettre. Dernièrement, il a envoyé à Jérusalem l’un de ses disciples, Luc, un médecin qui a longuement séjourné chez Jean et Marie. Je lui ai raconté mes souvenirs. '


Une femme en Samarie Peut-on faire confiance à une femme de Samarie ? Pour aller de Galilée en Judée, la Samarie était le chemin le plus court et on évitait les grandes chaleurs de la vallée encaissée du Jourdain. C’était le chemin le plus court, mais certainement pas le plus sûr ! Entre Juifs et Samaritains en effet les relations n’avaient cessé de se détériorer. Cela avait commencé en , à la chute du Royaume du Nord. Il en était résulté un brassage de populations : au long des années, un peuple nouveau était né qui mêlait croyances juives et mésopotamiennes. Quand, au VIe siècle, les Juifs du Sud étaient eux-mêmes rentrés d’exil, les Samaritains avaient proposé de les aider à reconstruire le temple de Jérusalem ; mais on avait refusé l’offre de ces « demi païens ». Dépités, les Samaritains avaient alors construit leur propre temple sur le mont Garizim. Le schisme était ainsi consommé. Au long des siècles, les relations ne feront qu’empirer. Dans son livre écrit vers , le Siracide parle de « ce peuple stupide qui demeure à Sichem » (, -). La tension avait monté quand le roi Jean Hyrcan, autour de l’an , avait conquis Sichem et détruit le temple du mont Garizim.


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Du temps de Jésus, les frictions étaient fréquentes et parfois sanglantes. En l’an  avant notre ère, des Samaritains avaient profané le temple en y répandant des ossements humains. On comprend l’étonnement de cette femme quand Jésus prend l’initiative d’entrer en relation avec elle. Quelque temps plus tard, la conversion de cette ville sera racontée au chapitre  des Actes des Apôtres. Après de nombreuses années, pour construire la belle méditation que nous connaissons (, -), Jean ne disposait que des souvenirs de cette femme et de la profonde impression que cette rencontre avait laissée en elle. Pourquoi ne pas tenter d’imaginer ce qu’elle en disait elle-même ?


e riais, je riais, ce jour-là, en revenant du puits. Je n’avais jamais ri comme cela. Dieu sait pourtant si j’aime rire. Mais comme cela, non jamais cela ne m’était arrivé ! Auprès du puits, il y avait un homme. C’était un Juif, cela se voyait tout de suite. Je m’étais approchée tout de même ; après tout, c’est notre puits. Et il m’avait parlé. Non seulement il m’avait parlé, mais il m’avait demandé de l’eau, à moi, la Samaritaine, l’impure ! Il allait boire dans ma cruche non purifiée ? Alors moi, j’avais ri bien sûr. J’aime rire avec les hommes ; et en général, ils n’aiment pas cela, car ils voient bien que c’est souvent d’eux que je ris. Cela en fait cinq déjà qui n’ont pas supporté et qui ne m’ont pas gardée avec eux. Mais c’est plus fort que moi ! Je ne suis bien que quand je peux rire. Alors donc, j’ai ri et je lui ai dit : « Tu me demandes de l’eau ? » Lui il m’a regardée et il m’a souri. J’ai tout de suite compris qu’il n’était pas homme à se vexer. Il m’a dit seulement que si j’avais su qui il était, c’est moi qui lui aurais demandé à boire. Cela aurait pu paraître absurde, car c’est moi qui avais une cruche et pas lui ! Mais non, j’ai senti qu’il disait vrai, car sans avoir puisé d’eau, j’étais déjà toute rafraîchie et apaisée. Voilà je me trouvais bien, j’aurais voulu rester longtemps sous ce regard souriant. Il faut vous dire qu’à Sychar je ne suis pas bien vue du tout. Les hommes n’aiment pas m’entendre rire ; et les femmes trouvent que je suis une aguicheuse. Alors tout le monde me tourne le dos. J’en suis réduite à aller puiser mon eau en plein midi, alors que ce serait si agréable d’y aller à la fraîche en bavardant avec les copines ! Quand j’y vais à midi, je suis sûre que personne ne sera là pour me faire la tête. Ce jour-là, c’est cet homme juif qui était là et il a bouleversé ma vie.

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J’aurais du mal à répéter ce que nous nous sommes dit. Après le passage de Philippe, plusieurs années plus tard, des hommes de Jérusalem m’ont demandé de le leur raconter, mais c’était toujours un peu différent parce que tout cela continuait à travailler dans mon cœur et dans ma tête. Il restait surtout le souvenir de cette fête intérieure quand je rentrais à Sychar : je ne courais pas, je dansais. On a d’abord parlé du puits. Ma maman m’avait raconté que c’était là que Jacob en fuite avait eu un songe où il voyait le ciel ouvert avec une échelle d’où les anges descendaient vers lui ; et quand Jacob avait soulevé la pierre où sa tête avait reposé, une source avait jailli. Je lui ai raconté cela et il m’a parlé d’une source qu’il pouvait faire jaillir pour nous et qui nous ferait vivre. Le plus étonnant, c’est que cela ne m’a pas étonnée. C’était vrai. J’étais inondée de vie et de joie. Cet homme croyait en moi, non pas pour mon apparence, mais parce que c’était moi. Et moi, malgré mon âge et ma fatigue, je me sentais plus gracieuse que je n’avais jamais été. Je lui ai demandé cette eau, mais ce que je demandais, je savais que j’étais en train de le recevoir. Je savais aussi que désormais je vivrais de cette eau-là quoiqu’il puisse m’arriver. Ce serait plus fort que la mort ! Et puis, quelques années plus tard, après que Pierre soit venu nous donner l’Esprit Saint par l’imposition des mains, j’ai découvert que cette source que Jésus faisait jaillir était aussi en moi et qu’il y avait une manière de vivre avec les autres qui les faisait vivre. Je n’ai pas arrêté de rire, je ris peut-être même davantage, mais plus de la même manière. Ce n’est plus parce que j’ai besoin de ridiculiser les hommes, c’est parce que je reste étonnée du don de Dieu. Après avoir parlé de la source, je me souviens qu’on a parlé de mes difficultés avec les hommes. Je pouvais en parler sans honte et aussi sans provocation. Il ne me prenait pas en pitié. Il me jugeait encore moins. Il comprenait que, derrière mes rires, j’avais


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de la peine. Mais c’était mon histoire à moi. Et cela n’empêchait pas du tout que je puisse donner du bonheur et en recevoir des autres. Je sentais que cet homme m’aimait comme j’étais, qu’il me respectait comme personne ne m’avait respectée jusqu’à ce jour. Je crois me rappeler que je n’avais pas tellement envie qu’on s’attarde sur mes petits malheurs. Je l’ai embarqué sur nos histoires de religion. Pour une fois que je trouvais un Juif avec qui on pouvait parler sans se disputer ! « Dis-moi, est-ce que Dieu veut qu’on l’adore à Jérusalem ou bien sur notre mont Garizim ? » Alors je n’ai pas été étonnée qu’il refuse d’entrer dans ma question. Il m’a très bien fait comprendre que Dieu, on l’adore là où on vit chaque jour. Il suffisait de voir cet homme et de l’entendre et cela devenait une évidence. Que j’aie pu m’embarrasser d’une telle question était, pour moi, une raison de plus de rire encore. M’a-t-il dit qu’il était le Messie ? Peut-être pas. Mais dans mon esprit, ce ne pouvait être que lui. En même temps, ce n’était pas du tout le messie tel que je l’avais toujours rêvé. Ce Jésus avait le don de bousculer les idées toutes faites, en même temps qu’il répondait aux désirs les plus profonds que nous n’osions nous avouer. Voilà que ses amis sont revenus du village où ils avaient fait quelques emplettes. Ils étaient une vingtaine d’hommes et de femmes. Je voudrais que vous voyiez la tête qu’ils faisaient en trouvant Jésus en train de parler avec une femme de Samarie. J’ai pris la fuite pour ne pas les affoler. Mais sur le chemin, je riais, je riais, en pensant à leur tête. Quand je suis arrivée à la maison, mon homme m’a dit : « Et ta cruche ? — Ah oui, c’est vrai, ma cruche ! » Je l’avais oubliée. J’avais comme l’impression que je n’en avais plus besoin. Alors je lui ai ra-


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conté cette histoire. Il m’a dit : « Alors il a bu de l’eau de ta main ? » J’y ai réfléchi et puis j’ai dû lui dire : « Même pas. C’est lui qui m’a donné à boire. » Alors mon homme, à qui cela n’arrive pas souvent, a éclaté de rire et il m’a dit que je devenais folle. C’était un peu vrai. On en a tout de suite parlé aux voisins. Et voilà qu’on est reparti, tous ensemble jusqu’au puits où le petit groupe de Juifs s’était installé pour manger. Sur le coup, les amis de Jésus ont commencé à se mettre en position de défense. En effet il n’est pas rare qu’on profite du passage de Juifs à proximité du village pour les rançonner. Mais j’avais dû être éloquente car mes voisins ont invité toute la bande à venir jusqu’au village pendant quelques jours. Il y avait, dans le groupe, deux ou trois jeunes juifs qui protestaient au nom de la pureté à sauvegarder. Mais Jésus n’a pas eu de mal à les convaincre. Pendant trois jours, on a parlé avec eux. Jésus n’a jamais cherché à nous convaincre qu’on avait tort. Il ne s’est pas non plus rallié à nos positions. « Le salut vient des Juifs », disait-il. Mais on n’en était plus à ressasser les disputes du passé et les conflits de boutique. Il nous parlait d’autre chose : du bonheur et de la paix pour toute l’humanité. Il appelait cela le Royaume. Les gens du village m’ont dit qu’ils m’avaient crue un peu folle, mais que maintenant depuis qu’ils avaient vu et entendu Jésus, ils savaient qu’un monde nouveau pouvait commencer. Nous n’avons pas revu Jésus. Deux ans plus tard, nous avons appris comment les gens de Jérusalem s’étaient arrangés pour se débarrasser de lui. Du moins le croyaient-ils. Mais on nous racontait comment, après sa mise à mort, Jésus était plus vivant que jamais. On a fait savoir à ses disciples que nous étions de ceux qui croyaient en lui. À vrai dire, nous étions très inquiets car, pour les Juifs, les Samaritains, c’est pire que les païens. J’imagine qu’ils ont longuement discuté entre eux. Et puis, un beau jour, on a vu arriver un Juif qui parlait grec, un nommé Philippe qui nous a tendu la main de


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la part de la communauté de Jérusalem. C’était un évènement : il y avait des siècles que ce n’était pas arrivé. Philippe est resté chez nous plusieurs semaines pour nous expliquer tout ce que Jésus avait fait et les histoires qu’il aimait raconter : c’était comme cela qu’il faisait le mieux comprendre les choses difficiles qu’il voulait faire entrer dans les cœurs. Quand ses disciples avaient dû décider de nous accueillir parmi eux, ils s’étaient souvenus par exemple de cette histoire que je vous raconte maintenant. Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho quand il fut attaqué par des brigands qui le laissèrent pour mort dans le fossé. Vinrent à passer un prêtre juif, puis un lévite qui détournèrent leur regard, car il leur fallait rester purs. Alors survint un Samaritain qui fut pris de compassion ; il le soigna avec du vin et de l’huile, il le chargea sur son âne et le conduisit à l’hôtellerie la plus proche. Le lendemain matin, ce samaritain laissa même de l’argent à l’aubergiste pour qu’il prenne soin du blessé. Jésus concluait cette histoire en disant : voilà comment Dieu se fait proche des hommes. Jésus avait eu l’audace de présenter un Samaritain comme la meilleure image de Dieu parmi les hommes ! Philippe nous racontait aussi qu’une fois dix lépreux avaient crié vers Jésus pour être guéris. Et Jésus leur avait dit d’aller se montrer aux prêtres. En route, ils avaient été guéris. L’un d’entre eux décida alors de revenir sur ses pas pour remercier Jésus. Or Jésus fit remarquer que celui-là était justement un samaritain, sans doute moins encombré dans les prescriptions légales que les neuf autres. Philippe nous a aussi raconté le dernier repas auquel Jésus avait invité ses amis la veille de sa mort. Nous avons refait ensemble ce dernier repas en souvenir de lui. Au bout de quelque temps, il a bien fallu que nous organisions notre petite communauté. Les amis m’ont demandé de veiller sur notre unité et de présider nos assemblées. Aurais-je pu imaginer


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cela alors que, quelques années plus tôt, je partais chercher mon eau au puits de Jacob ? Je ris toujours autant mais cela ne semble plus énerver personne. '


Une femme qui perdait son sang Histoires de sang et d’impureté Depuis le retour d’exil, au VIe siècle avant notre ère, peu à peu la vie palestinienne s’était organisée autour du culte du temple et la société avait été prise en main par la caste sacerdotale. C’était un monde où le sacré était omniprésent. Mais il s’agissait encore d’un sacré aveugle, source aussi bien de malheur que de bonheur. Il fallait donc savoir comment l’aborder, si possible le maîtriser, ou au moins s’en protéger. En édictant les prescriptions de pureté, les prêtres apportaient réponse à ces questions obsédantes. Le sang, tout particulièrement, inspirait une sorte de terreur sacrée. Le sang en effet, c’est la vie. Et la vie, c’est la présence du divin en nous. On avait même cru longtemps qu’en reconnaissance pour ce don inouï, la divinité réclamait le sang du premier né. Souvenons-nous d’Abraham et Isaac. Peu à peu on avait compris que Dieu ne prenait pas plaisir à ce sang versé. Et pour exprimer ce désir de remercier pour la vie reçue, on versait le sang d’animaux sacrifiés. Il y avait donc, dans la société, des personnes impures. On ne les considérait pas comme coupables, mais comme dangereuses parce que porteuses de ce sacré qu’on ne savait pas maîtriser. Et donc tout particulièrement ceux qui avaient à faire avec le sang. On pense aux bergers et aux bouchers. Et les


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femmes bien sûr, se trouvaient prises dans cet univers du sacré dangereux. Au temple, on les tenait normalement éloignées du sanctuaire. Aux périodes de leurs règles, elles devaient se tenir à l’écart et ne pas préparer le repas familial. Jésus s’élève avec vigueur contre ce système, si fortement empreint de magie, et qui aboutit non seulement à exclure les plus pauvres, mais à donner un prétexte religieux à cette exclusion. Une femme qui perdait son sang raconte comment Jésus l’a réinsérée dans la société. Elle raconte comment une petite fille de douze ans, par crainte de laisser venir ce sang si terrifiant, préférait se laisser mourir de faim. Matthieu (, -), Marc (, -) et Luc (, -), tous les trois, mettront plus tard en relation ces deux interventions de Jésus qui révèle, à l’une comme à l’autre, la chance d’être femme.


ouze ans ! Voilà douze ans que cela durait. Je n’en pouvais plus. Je traînais ma honte, de ville en ville, de Capharnaüm à Tibériade, pour ne pas être repérée. Car j’étais impure et j’aurais dû en principe me tenir à l’écart. Aucun homme naturellement n’aurait eu l’idée de se mettre en ménage avec moi. Je m’étais fait quelques amies à qui je pouvais confier mon malheur et à qui je rendais quelques services. J’économisais sou à sou. Dès que j’avais un peu d’avance, je me mettais en recherche d’un guérisseur. Il y en avait tant qui avaient fait miroiter pour moi l’espoir d’une guérison que je ne pouvais même plus les compter. Chacun d’eux m’avait fait absorber quelques drogues mystérieuses et, à chaque fois, mon état n’avait fait qu’empirer.

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Bien sûr, dès que Jésus avait commencé à prêcher sur le bord du lac, mes amies m’avaient alertée. Je m’étais mise à sa recherche. Plusieurs fois, j’avais vu les malades qui affluaient vers lui. Il les écoutait, il leur imposait les mains et il les renvoyait guéris, en leur demandant toujours de ne pas le faire savoir. Vous pensez bien que les gens ne pouvaient contenir leur joie et sa renommée ne faisait qu’amplifier. Mais mon cas était particulier. Comment aurais-je pu m’approcher de lui et lui expliquer que j’avais ce mal honteux qui justement m’interdisait de m’approcher de lui ? Pendant plusieurs mois, j’ai tenté d’approcher son groupe, sans me faire remarquer. Je me mettais un peu loin, mais juste assez près pour entendre ce qu’il disait. Il parlait souvent du bonheur et cela me faisait mal, car je me disais que c’était pour les autres. Mais il parlait aussi, avec beaucoup de tendresse, de ceux qui étaient pauvres dans leur cœur, qui n’avaient rien à donner, qui ne pouvaient que faire confiance et recevoir. Cela m’intriguait.


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Un jour, la rumeur a couru. Lévi, le principal percepteur de Capharnaüm, avait décidé de quitter son affaire et de suivre Jésus. Cela a fait du bruit. Tous ses employés et ses confrères se sont retrouvés chez lui parce qu’ils voulaient comprendre. Alors il a invité tous ceux qui étaient là, en même temps que Jésus et ses amis. Ils ont fait un énorme banquet. Je me souviens que j’ai même pu profiter de quelques restes. Mais, à la sortie, il y a eu un grand tumulte. Des pharisiens criaient que Jésus mangeait avec des impurs et que c’était une honte. Alors calmement, il leur a dit que, médecin, il ne venait pas pour les bien-portants, mais pour les malades. Cela je l’ai bien entendu et je vous prie de croire que je ne l’ai pas oublié. Un jour, je m’étais infiltrée dans le groupe. Jésus s’était assis sur le bord du lac. Il parlait de son Père qui donne gratuitement à tous, comme le soleil fait briller sa lumière sans chercher à juger. Je ne sais pas trop pourquoi. Je me suis mise à crier ce qui habitait mon cœur : « Comme elle a de la chance la femme qui t’a porté dans son ventre ! » Tout de suite j’ai eu peur d’être rabrouée. Il y a eu quelques secondes de silence. Puis il m’a regardée, comme si j’étais seule avec lui ; il a ri doucement, et il a dit : « Heureux surtout ceux qui écoutent ma parole ! » Je savais bien, à ce moment, qu’il parlait de moi. Il me disait que je pouvais espérer le bonheur si je renonçais à l’acheter aux guérisseurs et si j’acceptais de le recevoir gratuitement de lui. Par la rumeur, on pouvait toujours savoir où se trouvait sa petite troupe. Ce jour-là, on avait dit qu’ils traversaient le lac pour rejoindre le pays des Géraséniens. Puis d’un seul coup, ils étaient revenus dans la journée même. On avait couru quand ils remontaient de la plage où était restée la barque. Il y avait déjà un attroupement. J’ai tout de suite reconnu le rabbin Jaïre, celui qui est responsable de la synagogue. Il était très connu de tous ; on savait qu’il n’avait qu’un enfant, une petite fille, Rachel, qui était pour lui très précieuse. Jaïre était là avec deux de ses serviteurs, il


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expliquait que sa fille était très malade. Aussitôt, Jésus lui a dit : « Allez ! On y va ! » On se bousculait dans la ruelle, hommes et femmes mêlés. J’essayais bien de ne pas trop me mettre au contact des autres. Mais ils avaient tous la tête ailleurs. Qu’est-ce que Jésus allait bien pouvoir faire pour cette petite fille qui, à entendre son père, était au plus mal ? Alors je me suis dit que c’était le moment ou jamais. Si je touchais Jésus, ou au moins un tout petit bout de son vêtement, il me guérirait. J’avais maintenant compris qu’avec lui, c’était gratuit. Il suffisait de lui faire confiance. Alors là j’en ai bousculé quelques uns et, du bout du doigt, j’ai frôlé sa tunique. Je l’ai senti sans le moindre doute. Une porte se fermait dans mon ventre ; quelque chose avait basculé en moi. Et stupeur ! Jésus s’arrête : « Qui m’a touché ? » Tous se mettent à rire ; cela faisait un quart d’heure que tout le monde le bousculait. Mais il n’en démord pas. Il venait de sentir ses forces sortir de lui et il demandait à nouveau qui l’avait touché. D’un coup, j’ai compris : la vie était venue en moi, mais c’est de lui qu’elle était sortie. C’était sa vie qu’il donnait pour que je vive. Je me suis précipitée à ses pieds et je lui ai tout raconté. Il y avait des années que je ne pouvais plus pleurer : voilà que j’étais devant lui comme une fontaine. Il m’a fait relever et il m’a demandé de raconter ce qui m’était arrivé. Voilà que je n’étais plus comme une voleuse qui s’empare d’une guérison en secret. J’étais quelqu’un qu’on écoute avec respect. Je voyais bien que ma guérison lui procurait une très grande joie. En même temps, c’était comme si c’était mon œuvre. Il parlait de ma foi avec admiration. En lui faisant confiance, c’était comme si j’avais réalisé mon salut. Je n’aurais plus jamais à rougir de mon sang de femme. Mais en même temps, je percevais qu’il avait pris sur lui mon impureté ; il y avait toujours dans les coins quelques pharisiens qui prenaient note de toutes les libertés qu’il prenait avec la loi de Moïse.


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Le temps passait. Il y en avait un qui bouillait d’impatience, c’était Jaïre. Or juste à ce moment, deux hommes surviennent et lui disent, sans ménagement : « Ce n’est pas la peine de déranger le maître. Ta fille vient de mourir. » Vous devinez la consternation de tous et aussi ma confusion : et si c’était de ma faute ? Mais Jésus semble ne pas avoir entendu ; je crois qu’il lui a murmuré : « Crois seulement et elle vivra ! » Nous sommes tous partis, presque en courant. Jaïre habitait une grande maison en périphérie de la ville. Une grande foule était assemblée dans sa cour. Il y avait déjà des pleureuses qui étaient aussitôt accourues. Jésus leur a dit d’arrêter de pleurer, que la petite fille ne faisait que dormir et qu’elle allait se réveiller. Mais les gens se moquaient de lui. Jésus a fait sortir de la maison tous ceux qui s’y trouvaient ; il n’a pris avec lui que le papa, la maman et trois de ses amis à lui. Dans la cour, j’ai commencé à parler avec les gens. Je me trouvais dans un drôle d’état, à la fois tellement heureuse de pouvoir parler de plain pied avec les autres, mais aussi tellement triste pour cette enfant. Ils m’ont raconté que c’était vraiment l’enfant chérie de son père, elle était tout pour lui. Depuis un an, tout avait déraillé. Elle avait commencé à résister à ses parents. Et elle s’était mise en tête de ne plus manger. Quelqu’un a dit : « Pensez, elle avait juste douze ans. » Alors un abîme de réflexion s’est ouvert devant moi. Douze ans ! L’âge où on devient femme. Quelque chose en elle avait refusé de devenir femme. Moi, pendant douze ans, je n’avais pas su ou pas voulu garder ce sang qui donne la vie. Et cette enfant de douze ans n’avait pu se résoudre à laisser venir le sang qui ferait d’elle une femme féconde. Je ne comprenais pas bien, mais je sentais que cette enfant était ma sœur. Je me désolais pour elle : un jour je deviendrais mère et elle ne connaîtrait pas cette joie.


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Tout à coup un cri : « Rachel ! » C’était la maman, et aussitôt, un immense tumulte. Elle est vivante. On les a vus sortir de la maison. Sa maman lui donnait la main et toutes les deux souriaient. Jésus est sorti à son tour et il a crié : « À table maintenant. Rachel a faim et elle va manger avec nous tous. » En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, les serviteurs ont dressé des tables. On y a apporté tout ce que la maison comportait de réserves. Cela a été une grande fête. Seules les pleureuses sont parties un peu dépitées ! Quelques jours plus tard, je suis retournée chez Jaïre. Rachel était rayonnante. Comme moi, sous le regard de Jésus, elle avait retrouvé la joie de vivre. Nous sommes peu à peu devenues de bonnes amies. J’ai donné la vie à trois fils. À chaque fois, je suis allée les lui présenter. Et quand à son tour, elle s’est mariée, nous avons souvent fait mémoire de ce jour où ensemble nous avions découvert notre chance d’être femmes. '



Marie, femme de Clopas La famille de Jésus « Qu’est-ce qu’il pouvait sortir de bon de Nazareth ? » Manifestement, personne en Palestine n’avait d’estime pour ce trou perdu. Et il semble bien que les gens de Nazareth ressentaient le même mépris envers les horsains. Pour peu qu’on ne mette pas exactement les mêmes accents sur les mots, on était un étranger dont il fallait se méfier. Dès le début de son ministère, Jésus réagit contre cet esprit de clocher. Sa famille, c’est l’humanité, ce sont les enfants de son Père. Et les gens de Nazareth auront du mal à le lui pardonner. Pas tous cependant : on peut supposer que bien des femmes souriaient de ces préjugés et de ces mesquineries. L’une d’entre elles, en tous cas, nous est signalée par l’Évangile : Marie, mère de Jacques et de José (Matthieu ,  et Jean , ). Jean dit qu’elle était une sœur de Marie. On peut l’imaginer accompagnant sa sœur sur les routes de Palestine et apprenant de Jésus à s’émerveiller de la rencontre des étrangers.


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Son fils Jacques, dit plus tard le Mineur, viendra se joindre au groupe des premiers disciples de Jésus. On peut imaginer que plusieurs autres membres de la famille l’accompagnaient. Jacques ne faisait pas partie du groupe des Douze. Mais on lui donnera vite le titre d’apôtre et il jouera un rôle important dans l’Église de Jérusalem comme nous le racontent les Actes des Apôtres (,  et suite ; ,  et suite). Il n’aura pas tout à fait perdu sa prudence à faire confiance aux étrangers puisqu’il sera le leader du groupe opposé à l’attitude de Paul envers les païens.


’ai beaucoup d’amitié pour ma petite sœur Marie, la mère de Jésus. Nos maisons étaient voisines à Nazareth. Quand j’avais des travaux de couture à faire, j’aimais tout emporter auprès d’elle et nous parlions de notre vie. Et quand il y avait des réparations à faire à la maison, Clopas demandait à Joseph : il venait avec Jésus à qui il apprenait le métier. Bien des fois, Marie m’a confié à quel point son fils l’intriguait : tellement semblable aux garçons de son âge, mais en même temps tellement mystérieux. Elle m’avait en particulier raconté comment, lors d’un voyage à Jérusalem, alors qu’il avait douze ans, il avait échappé à leur surveillance. Après trois jours de recherche, ils l’avaient trouvé au Temple en train de discuter avec les rabbins. Il s’était étonné de leur inquiétude : il était aux affaires de son Père, leur avait-il dit. Mais il était revenu ensuite bien tranquillement avec eux. Depuis ce temps, Marie ne cessait de se poser des questions sur ce fils si réfléchi, à la fois très gai et très curieux des Écritures. Quand Joseph était mort, Jésus avait continué à l’atelier. Personne ne se plaignait de son travail. Un jour, il a annoncé à Marie qu’il laissait l’affaire aux ouvriers à qui il avait appris le métier. Il est parti rejoindre Jean, un lointain cousin qui baptisait auprès du Jourdain.

J

Nous l’avons revu quelques mois plus tard. C’était à Cana où notre cousin Ruben célébrait ses noces. Il avait réussi à joindre Jésus qui était venu avec toute une bande d’amis. Jésus avait manifesté sa joie de revoir sa mère à cette occasion et il avait pris place auprès d’elle. Puis il s’est passé quelque chose de difficile à comprendre et que je ne saurais raconter dans le détail. Toujours est-il qu’à un moment, on a eu l’impression que le vin manquait ;


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sans doute n’avait-on pas prévu tant d’invités. Et puis, après un temps de flottement, la fête a repris de plus bel et, à nouveau, le vin a coulé à flot, et du meilleur ! J’ai essayé, dans les jours suivants, de faire parler ma sœur qui semblait plus au courant. Elle m’a seulement fait remarquer que ce vin excellent, on l’avait puisé dans les cuves qui servaient normalement aux rites de purification. Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris ce qu’elle me disait ; mais je voyais bien que tout cela lui faisait penser aux noces de son fils. Jésus et ses amis sont repartis. Revenus à Nazareth, nous avons peu à peu entendu parler de lui. Il parcourait les villages autour de Capharnaüm. Les foules venaient vers lui parce qu’il guérissait les malades. Au bout de quelques mois, il est revenu à Nazareth, avec ce groupe d’hommes et de femmes dont il avait fait ses disciples. L’accueil a été un peu froid. On sentait bien que les gens lui reprochaient d’aller faire chez les gens de Capharnaüm ce qu’il aurait bien pu faire chez nous. Nous autres, nous n’aimons pas trop les étrangers. Ce n’est pas la peine d’aller très loin pour voir des étrangers partout. Le lendemain de son arrivée, c’était le sabbat. Nous nous sommes donc tous retrouvés à la synagogue. Puisque Jésus avait acquis une réputation de rabbin, le chef de la synagogue lui a fait porter le Livre. Il l’a déroulé et il a trouvé le passage où Isaïe annonce la venue de celui qui sera marqué de l’onction et qui fera venir le Royaume de miséricorde. Il lisait ces paroles avec une telle conviction que nous savions que c’était vrai. Et quand il a conclu : « Voilà, c’est maintenant que cela arrive », je n’ai pas été étonnée. Mais les hommes de chez nous ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils ont commencé à lui dire que, s’il était l’envoyé de Dieu, il n’avait qu’à opérer des guérisons chez nous ; il nous devait bien cela. D’ailleurs, pourquoi tant de prétention ? Après tout, il n’était que le fils du charpentier ! Alors le ton a monté. Jésus leur a parlé


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d’Élie : il y avait bien des veuves dans son pays, mais c’était pourtant une étrangère, une veuve de Sarepta, en pays de Sidon, qui l’avait accueilli et nourri. Jésus a encore aggravé son cas en leur rappelant qu’Élisée n’avait pas guéri d’autre lépreux que Naaman, un Syrien, lui aussi un étranger. « Aucun prophète n’est reconnu dans son pays », a-t-il conclu. Alors un grand tumulte s’est levé dans la synagogue. Ils se sont précipités sur Jésus. Comme des fous, ils l’ont entraîné vers la falaise. Manifestement, ils voulaient se débarrasser de lui. Vous devinez dans quelle angoisse nous nous trouvions. Nous avons emmené sa mère à la maison. Mais elle semblait avoir confiance. Elle disait : « Je le savais, je le savais, il n’est pas comme les autres. Ce qu’il a à faire, je sais qu’il le fera. » Assez vite, nous avons été rassurés. Probablement qu’en allant jusqu’à la falaise, ils se sont mis à réfléchir, leur colère s’est apaisée. Au fond, cela les a un peu arrangés que ses disciples jouent des coudes pour récupérer Jésus. Ils les ont laissé filer. Jésus n’est jamais revenu à Nazareth. D’ailleurs il y a fait très peu de guérisons. Ce n’était pas un guérisseur comme les autres. C’était la foi qu’il suscitait qui guérissait. Il semble bien que, chez nous, c’était difficile de croire en lui. On ne pouvait se retirer de l’esprit que Dieu ne pouvait pas intervenir par des gens ordinaires, des travailleurs manuels. Les hommes de notre famille n’ont pas voulu en rester là. Plusieurs fois, ils sont partis pour ramener Jésus, de force ou de plein gré. Ils disaient qu’il était devenu fou. Je me demande si, en fin de compte, ils n’étaient pas un peu jaloux de lui. Une fois même, ils ont réussi à convaincre sa mère de les accompagner. Elle savait bien qu’il ne se laisserait pas ramener à la maison. Mais elle avait envie de le voir, et je la comprends. Au retour, elle m’a raconté ce qu’elle avait vu et entendu. Elle s’émerveillait pour tous ces pauvres et ces gens simples qui le


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comprenaient et le suivaient. Mais elle était inquiète pour la santé de son fils. Il ne prenait même plus le temps de manger. Une mère sent cela tout de suite. Ensemble nous nous sommes dit que nous pourrions bien nous joindre à son petit groupe de disciples. Avec quelques femmes, nous pourrions nous occuper de la préparation des repas. Clopas était d’accord, Jacques et José, mes deux gars, étaient casés depuis longtemps. Et, je dois l’avouer, j’étais curieuse de savoir comment tout cela allait évoluer. Nous nous sommes mises d’accord entre femmes pour qu’il y ait un minimum d’organisation. Grâce à Jeanne, la femme de Couza, et à Suzanne, nous n’avons jamais manqué d’argent. Jeanne achetait dans les villages et elle savait varier les menus. Un jour, Jésus a compris que nous étions vraiment tous trop fatigués. Il a décidé que nous passerions quelques jours dans la région de Sidon qui est une terre païenne où il n’était pas connu. Le lendemain de notre arrivée, voilà qu’une femme vient supplier Jésus parce que sa fille était très malade. Tout de suite, je me suis rappelé ce qu’il nous avait dit dans la synagogue de Nazareth. Nous connaissions tous par cœur comment Élie avait fait revivre le fils de la veuve de Sarepta, et aussi ce qu’Élisée avait fait pour le fils de la Sunamite. Or notre première surprise, c’est que Jésus a commencé par refuser en lui disant qu’il était venu pour les fils d’Israël et qu’il ne fallait pas donner le pain des enfants aux petits chiens. Cela aurait pu être très blessant pour elle. Mais pas du tout, il lui disait cela en toute amitié et en riant. D’ailleurs, en y repensant, je me souviens que jamais Jésus ne parlait de haut en bas, comme un maître qui domine. C’était toujours d’égal à égal. Il lui parlait comme un frère parle à une sœur. Si bien qu’elle n’a pas du tout été blessée. Elle aussi, c’est en souriant qu’elle lui a répondu : « Mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table des enfants ! » Alors là,


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Jésus a été ébahi. Et il lui a dit : « Avec une foi pareille, tu as guéri ta petite fille. » En y réfléchissant dans les jours qui ont suivi, nous nous sommes demandé si Jésus avait vraiment voulu limiter sa mission aux seuls Juifs ou si c’était pour tout le monde. Et, à notre grande surprise, nous avons constaté que cette rencontre avec une païenne avait fait changer son attitude. Revenus en Galilée, nous avons constaté que, bien des fois, il a décidé de faire monter tout son monde dans des barques et de passer sur l’autre rive qui était truffée de païens. Pour comprendre ce qu’il devait faire, il passait des nuits sur la montagne, à l’écoute de son Père. Mais aussi il se mettait à l’écoute d’une pauvre femme ignorante. Sans doute pensait-il que son Père se révélait de préférence aux plus petits. J’ai compris quelque chose de semblable en voyant comment Jésus était avec les enfants. Souvent quand une foule se rassemblait autour de lui pour l’écouter, il y avait toute une marmaille qui se chamaillait pour être plus près de lui. On n’arrivait pas à les faire taire. Alors les hommes qui étaient là se fâchaient, ils donnaient des claques et ils promettaient des punitions. Eh bien Jésus, à chaque fois, disait : « Mais laissez-les donc ! Ils sont bien avec nous ! » Il les regardait, un à un, comme des personnes. Il les faisait parler et il s’intéressait à leurs réponses. C’était comme s’il se disait : « Ah ! Si nous pouvions être un peu plus comme eux, notre monde serait meilleur. » C’est une attitude étonnante pour un homme. Chez nous, ce sont les femmes qui s’intéressent, comme cela, aux enfants. Ce que je vais dire va paraître étrange. Dieu sait si Jésus savait parler en homme. Et pourtant je trouve qu’il avait souvent des réactions de femme. Il pensait autant avec son cœur qu’avec sa tête. La vie et le bonheur du plus petit avaient pour lui plus de prix que la réussite de son entreprise.


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En faisant la cuisine, j’ai eu le temps d’y penser. Je me souvenais qu’il nous avait dit qu’il suffisait de le regarder pour connaître le Père. Je trouvais cette parole bien audacieuse, et même dangereuse. Mais maintenant qu’il a accompli son passage parmi nous, je sais que c’est vrai. En me souvenant de tous ses gestes de tendresse, je découvre avec joie que ce n’est pas seulement l’homme qui est image de Dieu, mais autant la femme. Et peut-être même d’abord ce qu’il y a entre l’homme et la femme. Quand les choses ont mal tourné, je me suis trouvée au pied de la croix avec la mère de Jésus et quelques autres, surtout des femmes, il faut le dire. Je n’ai pas été de celles qui sont allées au tombeau. Nous sommes restées toutes les deux à la maison de Jean, durant ce sabbat, et nous redisions paisiblement ce Psaume que Jésus avait murmuré sur la croix. Nous le connaissions par cœur et il disait si bien notre douleur : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ?…. Je suis comme un ver et non plus comme un homme, injurié par les gens, rejeté par le peuple… Comme l’eau je m’écoule, tous mes membres se disloquent… Ils se partagent mes vêtements et tirent au sort mes habits… » Et dans la paix, nous poursuivions les paroles du Psaume : « Toi qui m’as fait surgir du ventre de ma mère et m’as mis en sécurité sur sa poitrine, toi tu es ma sécurité… Il n’a pas rejeté le malheureux dans sa misère, il ne lui a pas caché sa face, il l’a écouté quand il criait vers lui… Les humbles mangeront à satiété, ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent… Au peuple qui va naître, ils diront ce que Dieu a fait. » Cette journée a été pour nous un Sabbat tout à fait unique. Nous avions l’impression qu’il avait accompli son œuvre et nous prenions part à son repos. C’était comme l’aboutissement d’une longue attente : un homme avait aimé à la manière de Dieu. Marie continuait à pleurer en sentant encore dans ses mains le poids du corps de Jésus qu’elle avait recueilli au pied de la croix.


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Mais en même temps, elle me disait : « Maintenant je commence à comprendre ce que j’ai retourné dans mon cœur pendant toutes ces années. Dieu nous a visités pour nous entraîner en lui. » Et, en ce jour de Sabbat, nous redisions ensemble : « Dieu vit que cela était bon ! » Quand le lendemain, la nouvelle a couru que le tombeau était vide, nous n’avons pas été surprises. C’est à ce moment que Jacques, mon aîné, est arrivé à Jérusalem. Il avait enfin tout compris. Il m’annonçait que mon Clopas était malade. Je suis donc rentrée au plus vite à Nazareth. Et Jacques continue à organiser la petite communauté de Jérusalem avec Simon Pierre. '



Une femme sauvée de la lapidation Adultère « Quand un homme commet l’adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l’homme adultère, aussi bien que la femme adultère », prescrit le Lévitique (, ). Et le Deutéronome : « Si l’on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, ils mourront tous les deux, l’homme qui a couché avec la femme et la femme elle-même. Tu ôteras le mal d’Israël » (, ). Il est tout de même curieux ce flagrant délit qui sera raconté plus tard dans l’Évangile de Jean (, -). On n’a pris sur le fait qu’une personne coupable, la femme. L’homme s’est envolé ! En réalité, celui dont on veut la mort, c’est bien Jésus. La femme fait partie des « dégâts collatéraux », comme on dit, de nos jours, dans les situations de violence. En contraste avec ce désir meurtrier, cette femme va être témoin du désir de faire vivre qui anime Jésus Et c’est encore vers les hommes qu’il s’était tourné quand, sur la montagne de Galilée, il leur avait dit : « On vous a dit : tu ne commettras pas l’adultère. Et moi, je vous dis que quiconque regarde une femme de manière à la désirer a déjà, dans son cœur, commis l’adultère avec elle » (Matthieu , -


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). Autant que la femme, l’homme a besoin d’être protégé de certains de ses désirs. Mais on peut supposer que, lorsqu’il propose à « celui qui n’a jamais péché de jeter la première pierre », Jésus pense à une autre forme d’adultère. Il n’oublie pas que son Père invite l’humanité à vivre avec lui une alliance d’amour. Il a présente à l’esprit l’invective que les prophètes adressaient au peuple élu : Génération adultère, vous qui ne cessez d’être infidèles à l’amour de votre Dieu…


l m’a sauvé la vie et il y a laissé la sienne. C’est une longue histoire qu’il faut que je vous raconte. J’avais épousé Ruben cinq ans plus tôt. Tout avait bien commencé. Je l’aidais à son commerce et les affaires étaient bonnes. Bientôt nous avons eu une petite fille que nous avons appelée Élisabeth ; elle faisait notre bonheur. Et soudain le malheur est tombé sur nous. Élisabeth a été emportée en quelques jours. Ruben n’a pas pu vivre cette épreuve. Il me faisait mille reproches. Tout l’irritait et il s’en prenait même à ses clients qui se sont faits plus rares. En quelques mois, il est devenu violent et il a commencé à s’absenter le soir. Je ne savais où il allait, mais je le soupçonnais de se faire consoler par d’autres femmes. Pendant plusieurs années, j’ai tenu bon. J’aurais voulu lui donner un autre enfant, mais rien n’y a fait. La maison devenait peu à peu un enfer. Un soir, il est rentré ivre et il a commencé à me frapper. Alors je n’y ai plus tenu et j’ai couru chez Dan, un ami veuf qui avait su écouter mes plaintes. Et oui, c’est vrai, cette nuit là j’ai trompé Ruben. C’était la première fois. Le matin, avant le lever du soleil, trois hommes ont poussé la porte qui n’était pas verrouillée. Ils sont entrés et nous ont surpris ensemble. Dan a eu beau protester, ils se sont emparés de moi. Et ils m’ont entraînée dans une maison où d’autres hommes nous attendaient. Ils m’ont jetée par terre sans ménagement. Et ils ont commencé à discuter. Et alors j’ai été très surprise. Ils ne parlaient pas de moi. Mais d’un certain Jésus que je ne connaissais pas. Vous devinez mon humiliation. Non seulement ils m’avaient surprise en faute ; mais je découvrais que je n’avais pas plus d’importance qu’un objet. Ils allaient se servir de moi pour autre chose que je ne comprenais pas.

I


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D’autres les ont rejoints encore ; j’en reconnaissais plusieurs qui avaient été de nos clients. Ils m’ont lié les mains avec une cordelette. Et ils m’ont entraînée vers le Temple. Ils criaient des injures et des menaces. Moi, je savais bien ce qui m’attendait. Mon seul désir, c’était que la première pierre soit assez coupante pour me retirer la vie. Car au point où j’en étais, mieux valait en effet mourir et mourir vite. Nous sommes entrés au Temple, dans le parvis des Gentils. Et là sous un portique, il y avait un petit groupe d’hommes et de femmes, assis par terre. Et au milieu d’eux, Jésus qui leur parlait en souriant. J’ai tout de suite compris que c’était lui, car il n’était pas comme les autres. Ils m’ont jetée là au milieu du groupe comme un paquet de linge. Je me suis ramassée comme j’ai pu avec mes mains liées, et je me suis tenue accroupie les yeux baissés. J’étais tout près de lui et je pouvais voir son visage. Alors l’un d’entre eux a pris la parole, avec colère, et il a expliqué à Jésus que j’étais une ordure de femme adultère, prise en flagrant délit, et que, selon la loi de Moïse, il fallait me tuer à coups de pierres. Et il a demandé à Jésus ce qu’il en pensait. Il y a eu un long, un très long silence. De temps en temps, je levais les yeux. Mes accusateurs me regardaient, les uns avec dégoût, les autres avec colère. Je sentais qu’ils avaient surtout envie de m’humilier. Les amis de Jésus avaient l’air bien ennuyés. Jésus, lui, ne me regardait pas ; il s’était penché et il dessinait des traits sur le sable ; je devinais qu’il souriait doucement. J’ai vite compris que c’était contre lui que l’affaire était montée. Des femmes qui trompaient leur mari, ils en avaient vu bien d’autres. Mais Jésus, lui, c’était vraiment celui dont il fallait se débarrasser. Plusieurs fois, celui qui avait pris la parole a insisté. « Alors, toi qui prétends faire la loi mieux que Moïse, qu’est-ce que tu décides ? » Jésus a encore attendu et puis doucement, presque à voix basse, il a dit : « Celui qui n’a jamais péché, qu’il lui jette la pre-


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mière pierre ! » C’était vraiment tout à fait inattendu. J’ai commencé à réfléchir à toute vitesse. J’ai revu en imagination le visage de plusieurs de ces hommes. C’était de notoriété publique qu’ils prenaient bien des libertés avec la fidélité conjugale. Combien d’entre eux m’avaient envoyé des oeillades complices ? Je me suis mise à espérer l’impossible. L’attente a duré encore de longues minutes. Tout d’un coup, on a vu le plus vieux d’entre eux qui s’éclipsait en maugréant. Puis un autre, et encore un autre. Bientôt, il n’y avait plus là que Jésus et ses amis. Alors il a éclaté de rire, d’un rire pur, comme je n’avais jamais entendu. Et toute la troupe a ri avec lui. « Alors où sont-ils donc ? Ils sont tous partis ? Aucun ne t’a condamnée ? » Et moi, encore sous le coup de cette épouvante qui m’avais habitée, j’ai murmuré : « Non, aucun ». Il a encore ri et il a conclu : « Moi non plus, bien sûr ! Il s’agit de vivre maintenant ! » On m’a détaché les mains. Il y avait eu tant d’émotion contenue que tous soudain se sont mis à parler à la fois. Une vraie fête ! Et Jésus m’a fait asseoir et il m’a proposé, si je le voulais, de lui raconter ce qui m’était arrivé. Cela m’a fait un bien, vous ne pouvez vous imaginer. Il m’écoutait ; il comprenait ma peine ; il me faisait comprendre que je n’étais pas enfermée dans une impasse comme je l’avais cru. J’étais sauvée et je pouvais aimer ; et j’étais sûre que Ruben pouvait se reprendre si je savais lui faire confiance. Il m’a expliqué qu’il restait à Jérusalem quelques jours avec ses amis. « Va voir ton mari. Demande-lui pardon. Explique-lui ce que tu as vécu. S’il le désire, qu’il vienne me voir avec toi. Va et sois heureuse. » Je suis aussitôt rentrée à la maison. Ruben avait appris, par la rumeur, la nouvelle de mon arrestation. Déjà il me croyait morte. Quand je suis entrée, il s’est jeté dans mes bras. On a beaucoup parlé. On avait tous les deux beaucoup à se pardonner. Le lendemain, il


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m’a demandé de venir avec lui voir Jésus qu’il avait très envie de connaître. Jésus nous a accueillis avec bonne humeur, comme si nous n’avions pas vécu toutes ces heures tragiques. Nous lui avons raconté notre réconciliation. Il disait simplement : « C’est bien ! C’est bien ! » Je le sentais si heureux que j’en aurais pleuré. Nous avons repris ensemble notre commerce. Très vite une naissance s’est annoncée. Et c’est un petit garçon que nous avons accueilli. Nous l’avons appelé Jésus. Il fallait voir comme Ruben était heureux. Un an plus tard, c’était au moment de la Pâque, nous avons appris que Jésus avait été arrêté. Je me suis précipitée à la maison du grand prêtre. Le sanhédrin était réuni. Il y avait foule dans la cour. Tout le monde parlait de l’affaire. Le vent avait tourné : il n’était pas recommandé de se déclarer de ses disciples. J’avais l’impression que ses amis étaient tous disparus. Tout le monde parlait de lui. Soudain un serviteur qui se trouvait là auprès du feu a dit : « Il paraît qu’il en prenait à son aise avec la loi de Moïse. Sûrement que les docteurs de la loi ne vont pas lui pardonner cela. » Alors d’un seul coup, j’ai tout compris, j’ai revu clairement le piège qu’on lui avait tendu dans le Temple. Il m’avait sauvé la vie et il en mourait. Je suis rentrée en pleurant. J’ai alerté quelques voisines. Et nous sommes reparties ensemble. Nous avons été arrêtées par un attroupement. Les gens disaient qu’il allait passer à cet endroit. Tous s’excitaient et il y en avait beaucoup qui se disposaient à crier contre lui, sans savoir pourquoi. Au bout de quelque temps, on a entendu crier : « Les voilà ! » Il y a eu d’abord une escouade de soldats romains, puis deux condamnés inconnus qui portaient la traverse de leur croix. Et puis Jésus portant lui aussi une poutre de bois. Il était couvert de sang et on sentait qu’il était à bout de force. Toutes alors nous avons crié notre douleur de le voir dans cet état. Nous pleurions en l’appelant par son nom. Il s’est arrêté. Il a


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pris le temps de regarder chacune d’entre nous. J’ai bien vu qu’il me reconnaissait. Il a crié, pour couvrir le tumulte de la foule. Je ne saurais plus retrouver exactement les mots de ce qu’il nous a dit. Mais j’ai bien compris qu’il demandait de ne pas pleurer sur lui. Il était en train de faire triompher l’amour. Mais il fallait pleurer pour tous ceux qui s’abîmaient en faisant souffrir les innocents. Il fallait pleurer sur ceux qui étaient prêts à sacrifier des personnes pour faire triompher une cause. Ce ne sont pas ses mots ; c’est ce que j’ai entendu au plus profond de mon être. Il a repris sa marche et nous nous sommes jointes au groupe de femmes qui le suivait. Arrivées sur la colline, nous sommes restées un peu à distance par respect pour ses proches. Mais j’ai tout de même bien entendu qu’il priait pour ceux qui avaient commandé sa mort. Le premier jour de la semaine, la nouvelle a couru dans la ville : il est vivant, celui qui a été crucifié. Je n’ai pas été surprise. Je sentais confusément qu’il était entré dans la vie, la vraie. Maintenant je sais qu’il ne s’est pas contenté de me sauver la vie. Quel intérêt cela aurait eu pour moi : cette vie là, j’y avais déjà renoncé. Non, il m’a ouvert le chemin vers la vie véritable. '



Marthe de Béthanie Une famille singulière Deux sœurs et un frère vivent ensemble. Quel est leur statut social ? Célibataires, c’est peu probable. Veufs ou séparés ? Cela ne nous regarde pas. Et Jésus ne s’embarrasse pas de savoir si cette famille est conventionnelle ou pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il vit là une véritable amitié. L’évangile de Jean le dit simplement : « Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, celui que tu aimes est malade… Or, Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare… » (, -,). Il semble que, dans cette maison de Béthanie, plus qu’ailleurs, on se donne le droit d’être soi-même sans craindre de choquer ou de scandaliser. Marthe peut se payer le luxe de laisser monter son agressivité envers sa sœur et d’en prendre Jésus à témoin (Luc , -). Et on peut supposer que Jésus, pour sa part, a trouvé là des oreilles qui lui permettaient de dire ses doutes, ses angoisses et ses peurs. Jésus savait-il qu’il serait crucifié ? Une mort par lapidation aurait été tellement plus vraisemblable et dans la ligne de ce qu’avaient vécu les prophètes. Mais « il savait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme » : ses ennemis annuleraient mieux son message s’ils le faisaient passer pour un agitateur politique parmi les autres. Jésus devait le pressentir.


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On peut penser que la maladie de Lazare et sa réanimation ont été, pour eux trois, le temps d’une méditation sur le sens de la résurrection à laquelle Jésus nous achemine (Jean ).


e crois bien que nous étions toutes amoureuses de Jésus. Le miracle, c’est bien qu’aucune n’était rivale des autres. Chacune savait qu’elle était unique pour lui, mais aussi qu’il était inutile d’espérer le garder pour soi seule. Nous n’avions pas à savoir ce qu’il vivait avec les autres. Chacune trouvait son bonheur à l’aimer et à être aimée de lui. C’est lors de son premier séjour à Jérusalem que Jésus a été amené à la maison par Lazare. Nous habitons à moins d’une heure de marche de Jérusalem. Marie et moi, nous sommes toutes les deux veuves et nous sommes venues vivre auprès de Lazare, notre frère, qui a dû quitter sa femme. Jésus tout de suite s’est trouvé bien au milieu de nous. Et le recevoir était pour nous une fête. Ses amis le savaient et en général ils s’arrangeaient pour aller loger ailleurs et le laisser se reposer en paix.

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Je me souviendrai toute ma vie de l’un de ses passages. Il était arrivé sans prévenir. Il venait de Galilée et ils avaient marché plusieurs jours de suite. Nous l’avons trouvé très fatigué. Il avait maigri. Je le sentais nerveux et préoccupé. Tout de suite je me suis dit : « Il faut qu’il mange, et quelque chose de bien réconfortant. » J’ai sorti toutes mes réserves et je me suis mise à cuisiner. Pendant ce temps-là, quand il a été bien installé, il a commencé à parler. Bien sûr, tout en épluchant mes légumes, je n’en perdais pas une. Dans plusieurs villes où ils étaient passés, ils étaient attendus par des pharisiens et des rabbins qui avaient multiplié les contradictions et les discussions. Jésus avait été obligé de se défendre, comme s’il était envoyé pour convaincre. On avait de plus en plus le sentiment qu’une coalition s’organisait pour le perdre. Pendant


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ses longues nuits de prière, il avait peu à peu pris conscience qu’il ne pourrait poursuivre sa mission sans affronter leur violence. Il avait même pressenti que ses ennemis ne lui offriraient pas de mourir en prophète, c’est-à-dire d’être lapidé. Pour jeter le discrédit sur son message, ils feraient de lui un terroriste, il lui feraient un procès politique devant les Romains. Ils connaissaient cette parole d’écriture : « Maudit celui qui est pendu au gibet » En tuant l’homme, ils chercheraient à tuer aussi son message. Alors, par honnêteté, il avait voulu prévenir ses amis. Mais ils n’avaient pas voulu l’écouter. Pierre avait dit qu’ils étaient décidés à le défendre, qu’il suffisait de recruter et qu’ils seraient les plus forts… Jésus, dans ses périples, avait plusieurs fois vu, à la croisée des chemins, des brigands ou des résistants qu’on avait crucifiés. Maintenant il savait que logiquement c’était cela qui l’attendait puisqu’il était décidé à annoncer, jusqu’au bout, la miséricorde de son Père. Devant ses disciples, il avait durci son visage pour soutenir leur courage. Mais maintenant, ici, il savait qu’il pouvait laisser venir son angoisse : « C’est l’horreur, dénudé en public, tourné en dérision, vidé de mon sang… Même à une bête, on ne fait pas cela ! » Et après un long silence : « Comment pourront-ils guérir de la blessure qu’ils vont s’infliger ? » Et il ajoutait : « Tel que va le monde, c’est par là qu’il faut passer pour le faire renaître. » Marie était assise devant lui. Elle pleurait doucement. Il n’y avait rien à dire. Nous savions l’une et l’autre qu’il disait vrai, que cela arriverait, c’était le chemin obligé pour ouvrir une porte nouvelle. Et moi, ne supportant plus ce silence, bêtement, je me suis écriée : « Mais Marie, pourquoi tu ne m’aides pas à préparer ce repas ? Jésus, dis-lui de m’aider ! » Et lui, il a souri et il m’a dit : « Marthe ! Je te reconnais bien là ! Crois-tu que ce soit si important de préparer tant de choses ? » Bien sûr, il avait raison. Il n’était pas venu chez nous pour manger, mais parce qu’il avait besoin d’être écouté. Il avait besoin de


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trouver quelqu’un capable d’entendre tout, même sa faiblesse et son trouble. On n’écoute pas seulement avec ses oreilles, comme je l’avais fait, mais avec ses yeux, avec ses mains, avec toute la présence de son corps. Marie avait su faire cela. Désormais je saurais. Plusieurs fois, il est repassé à Jérusalem, il nous a parlé à nouveau de cette mort à laquelle il se préparait. « Ce sera la Pâque nouvelle pour la libération de tous les peuples » nous a-t-il dit une fois. Il savait que, même si, sur le coup, nous ne comprenions pas très bien, il pouvait tout nous dire. Dans les années qui ont suivi, je me suis souvent demandé qui était donc ce Dieu qui, pour prendre sur lui nos faiblesses, devenait fragile et vulnérable. C’était bien le Dieu de nos pères, et nous découvrions qu’il était si humble qu’il venait mendier notre amour et notre compassion. C’est une année plus tard que Lazare est tombé malade. Nous avions appris que Jésus se cachait sur les bords du Jourdain, car la menace s’était encore aggravée. Nous lui avons aussitôt envoyé un messager pour lui faire savoir que Lazare aurait bien aimé avoir sa visite. Cet homme était revenu en nous disant que Jésus préférait attendre quelques jours avant de venir. Dans les heures qui ont suivi, notre frère est devenu inconscient et nous avons dû nous rendre à l’évidence, la vie l’avait quitté. Le choc a été rude. Heureusement, nous avions de nombreux amis qui sont accourus et nous ont aidées. Le tombeau était prêt depuis longtemps ; nous y avons placé le corps de notre frère ; et après les prières rituelles, nous avons roulé la pierre. Pendant trois jours, nos amis sont restés avec nous. Leur préparer à manger me faisait du bien. Soudain un messager est venu nous annoncer que Jésus arrivait avec quelques disciples ; le groupe s’était scindé pour ne pas se faire remarquer. Jésus, à l’entrée du bourg, attendait le retour de ce messager pour s’assurer que la police du Temple ne cherchait pas à le piéger.


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Je suis aussitôt partie, avec cet homme, pour aller à la rencontre de Jésus. Et pendant que je marchais, je ne pouvais m’empêcher de laisser monter en moi une sourde colère. Voilà qu’il arrivait quand c’était trop tard ! Il avait guéri tant de malades ; et son ami, il l’avait laissé mourir sans rien faire ! Arrivé auprès de lui, j’ai tout de suite senti que je pouvais lui crier mon indignation. Il ne supportait pas plus que moi cette impuissance où nous nous étions tous trouvés. « Pourquoi, oui, pourquoi ? » répétait-il après moi. Je le sentais à tel point envahi par la tristesse que ma colère est tombée. Nous sommes restés quelques minutes en silence. Et puis je me souviens qu’il a commencé à me parler de la résurrection : c’était notre foi commune, cette résurrection à la fin des temps. Mais il m’a dit aussi des paroles mystérieuses qui me remplissaient de paix. Je percevais qu’il venait nous apporter la vie de son Père, dès aujourd’hui. Ce qu’il m’a dit alors, je ne l’ai vraiment compris que lorsque lui-même a eu vécu sa Pâque parmi nous. Je me rappelle seulement que je lui ai crié ma confiance totale. Dans ma tristesse, il y avait, en même temps une grande lumière. J’ai couru en avant de lui. Et j’ai dit à Marie : « Jésus est là ! Cours à sa rencontre ! » Je ne sais ce qu’ils se sont dit. Mais nous nous sommes retrouvés devant la tombe avec tous nos amis. Jésus a pleuré longuement et nous avons tous été surpris de le voir si vulnérable. Puis il a pris sur lui, il a demandé qu’on roule la pierre et il a appelé Lazare qui est venu vers nous. C’était comme dans un rêve. Nous avons retiré ses bandelettes et il est revenu à la maison avec nous sur ses pieds. Jésus aussitôt a filé avec ses disciples. Car la rumeur se répandait comme un feu. Les prêtres du Temple n’allaient pas manquer de se mettre à sa recherche. Tels que nous les connaissions, nous nous demandions même s’il ne serait pas nécessaire que Lazare se cache.


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Car on venait en foule, de Jérusalem, pour le voir, le toucher et l’interroger. Pourtant, on ne pouvait pas laisser passer cela sans organiser un repas de fête. C’était une tradition dans notre maison chaque fois que l’occasion se présentait. Et là je me trouvais vraiment à mon affaire. On l’a fait savoir à Jésus qui est venu avec quelques uns de ses amis. Cela a été comme un repas de noces. Lazare était encore un peu abasourdi, mais on le sentait revenu à la santé. C’était Jésus qu’on fêtait. Mais nous n’étions pas naïves au point d’ignorer que le piège était en train de se refermer. Pour que Lazare vive, Jésus marchait à sa mort. C’était bien des noces que nous célébrions. Nous n’avions pas de mots alors pour le dire. Mais c’est en lavant ma vaisselle, dans les semaines qui ont suivi, que j’ai su que nous avions commencé alors les noces de l’Alliance Nouvelle. C’est parce qu’elle sentait cela aussi que Marie avec fait ses préparatifs à sa manière. Elle avait acheté un vase de parfum précieux ; elle m’avoua plus tard qu’elle y avait dépensé près de trois cents deniers ; nous avions les moyens. Vers la fin du repas, elle s’est levée et, sans rien dire, elle a répandu ce parfum sur la tête de Jésus ; et avec un linge fin, elle passait ce parfum sur son visage et sur ses mains. Nous étions tous comme enivrés par cette odeur de plantes rares. Nous baignions ainsi tous ensemble dans la même reconnaissance. Tous, sauf un de ses disciples qui a fait remarquer que c’était bien, mais que, enfin, tout cet argent aurait pu aider beaucoup de pauvres qui n’avaient pas de quoi manger. Alors Jésus a souri à Marie, de ce sourire qui nous avait si souvent remplies de bonheur. Il lui a dit à peu près : « Marie, bien sûr tu auras le souci des pauvres comme tu l’as toujours fait. Mais aujourd’hui, tu as voulu honorer mon corps qui s’apprête au grand passage. C’est ce corps là qui por-


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tera vers mon Père le parfum de ton amour. Vous tous qui m’aimez, je vous précède pour la fête à venir. » Vraiment ce fut un grand repas et nous aimons en faire mémoire plus de vingt ans après, comme de ce repas auquel il nous a invités la veille de sa mort. Avec Lazare et Marie, je me suis retrouvée sur la colline pendant qu’il mourait. Nous avons recueilli son dernier souffle et c’est de lui que nous vivons désormais. Le premier jour de la semaine, nous avions donné rendez-vous à Marie de Magdala pour aller embaumer son corps. Avec ma sœur, on peut dire qu’elles s’y connaissaient, toutes les deux, dans le choix des parfums. Salomé nous a rejointes au dernier moment. Le tombeau était vide. Marie de Magdala a couru prévenir Pierre et Jean. Pour notre part, nous avons rejoint Lazare à Béthanie. Nous n’avions pas besoin de discours. Nous avions compris que le Père avait réveillé son Fils et l’avait accueilli en Lui. '


Jeanne, femme de Couza Une maîtresse femme L’Évangile de Luc, qui est particulièrement attentif aux femmes qui suivaient Jésus, nomme expressément, parmi elles, la femme de l’intendant d’Hérode (,  ; , ). Il ne s’agit pas du roi Hérode le Grand qui avait embelli le temple, celui à qui on attribue le massacre des Saints innocents. Il s’agit de son fils, Hérode Antipas, que Rome avait nommé tétrarque de Galilée et de Pérée. À sa cour de Tibériade, on vivait à la romaine. Les mœurs politiques sont ceux d’une lutte sournoise et violente pour s’accrocher au pouvoir. Les mœurs domestiques sont bien illustrées par l’idylle d’Hérode avec sa belle sœur Hérodiade. Quant aux mœurs judiciaires, il suffit de penser à l’exécution de Jean Baptiste pour faire plaisir à la petite Salomé qui avait joliment dansé (Marc , -). Pourtant d’une famille syrienne, Hérode, par calcul politique faisait mine d’observer la loi de Moïse. Ce qui explique les reproches que pouvait lui faire Jean Baptiste. Dans cette cour romaine, il n’est pas étonnant de trouver une femme comme Jeanne qui est une « matrone » comme on en voit


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à Rome. Son mari lui laisse une grande liberté. Elle dispose de moyens financiers. Elle profite du réseau de relations de son mari. On peut imaginer qu’elle avait des talents de maîtresse de maison. Et Jésus a dû être heureux de la voir donner toute sa mesure. Sans elle, Jésus aurait-il pu mettre en œuvre son idéal de vivre comme l’oiseau « qui ne sème ni ne récolte » ou comme le lys des champs que Dieu se charge de vêtir superbement ? On peut aussi se demander quelles furent les relations de Jeanne avec Judas qui, nous dit-on, tenait la bourse du groupe.


’est Jean, le baptiseur, qui m’a fait connaître Jésus. Couza gère, depuis de longues années l’intendance de la maison d’Hérode, à Tibériade et à Sepphoris. Il était responsable de la nourriture de Jean dans sa cellule. Jean nous intriguait tous les deux. Je suis allée, plusieurs fois, m’entretenir avec lui. Chaque fois, il me disait qu’il n’était venu que pour préparer la route de quelqu’un d’autre qu’il appelait Jésus : ce n’était pas lui qui était important ; il fallait rejoindre Jésus qui était envoyé pour une mission mystérieuse. Couza me laisse beaucoup de liberté. Jude, Dan et les trois filles sont tous bien mariés. Rien ne me retenait à Tibériade. Je suis partie, avec deux servantes, à la recherche de Jésus. Il a fallu beaucoup marcher. Quand nous arrivions dans un village, il était déjà parti plus loin. Enfin nous les avons trouvés et j’ai vite compris qu’il n’y avait pas de commune mesure entre lui et les prédicateurs qui parcouraient les chemins. Je ne savais pas quel était son projet, mais sa présence transformait notre vie. J’ai décidé de me joindre à leur groupe. Au bout de peu de temps, j’ai compris que je pourrais leur être très utile. Tout cela manquait d’organisation : non seulement on dormait sur la dure, mais surtout on mangeait n’importe quoi, et parfois pas grand-chose. Il y avait bien quelques femmes dans le groupe, mais pour imposer à Jésus un minimum d’organisation, il fallait une autorité qu’elles n’avaient pas. Organiser une maisonnée, fut-elle sur la route, cela, je savais faire. J’en ai parlé à Jésus qui a paru très heureux de cette proposition. Mes deux servantes retournaient parfois à la maison ; elles prenaient des nouvelles de la famille et elles me rapportaient de l’argent. Couza n’a jamais lésiné. Je connaissais des fournisseurs dans toute la Galilée. À partir de ce jour, le groupe n’a jamais

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manqué de rien. Très vite, les autres femmes m’ont proposé leur aide et nous en profitions le soir pour échanger nos impressions. Suzanne, dont le mari travaillait aussi à la cour du tétrarque, était particulièrement efficace. Quand je dis que nous n’avons plus jamais manqué, ce n’est pas tout à fait exact. Un jour, nous avons été pris de court. Nous avions traversé le lac dans plusieurs barques. J’avais veillé à emporter ce qu’il fallait pour le groupe, avec un petit complément. Mais à mesure que le temps passait et que Jésus accueillait, guérissait et parlait avec les uns et les autres, voilà que des gens continuaient d’arriver. Ils s’étaient passé le mot et, en foule, ils avaient longé la côte. Moi, je n’écoutais Jésus que d’une oreille et je me demandais comment on allait faire. N’y tenant plus, je me suis approchée de lui et je lui ai dit : « La nuit va tomber. Il faut que tous ces gens mangent. Il vaudrait mieux les envoyer chez les cultivateurs du voisinage pour qu’ils s’achètent ce qu’il leur faudra. » Mais Jésus a dit : « Les renvoyer, pourquoi ? Il faut partager ce que nous avons. » J’avais fait mon calcul depuis longtemps : jamais cela ne suffirait ! Alors un petit garçon qui se trouvait là — avait-il douze ans ? — et qui avait écouté Jésus, s’est écrié : « Mais moi, j’ai cinq petits pains et deux poissons séchés. C’est bien trop pour moi ! » Jésus a ri en se tournant vers l’enfant ; il lui a demandé son nom et il lui a dit : « Mais c’est toi qui as raison, David ! Voilà la solution ! » Jésus a fait passer la consigne. On s’est tous assis par groupes de cinquante. Jésus a remercié son Père. On a commencé à distribuer ce que nous avions. On a partagé encore. Je crois bien que d’autres sacs se sont ouverts. Nous avons tous mangé à satiété dans un grand climat de fête. Il a même fallu douze corbeilles pour ramasser les restes. Je n’avais encore jamais vu Jésus aussi heureux.


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Je n’ai jamais très bien compris ce qui s’était passé. Moi qui suis assez terre à terre, je crois que Jésus a réussi un prodige. Ce prodige, c’est que tous les gens, ce soir-là, ont eu envie d’avoir confiance les uns dans les autres. Ils ont tous ouvert leur sac. Et Jésus voulait leur montrer ce mystère : si nous osons partager nos réserves et mettre tout en commun, alors il y aura assez pour que tous aient le nécessaire. Quand, dans les jours qui ont suivi, je lui ai dit mon point de vue, cette version a semblé lui convenir, il a ri comme d’habitude et il ne m’a pas contredite. Mais pour les gens qui étaient présents, ce soir-là, c’était bien trop simple. Ils ont aussitôt crié au miracle. Ils avaient découvert le nouveau Moïse qui faisait tomber la manne dans le désert. Et comme Jésus avait parlé du Royaume qui était advenu, ils se sont mis à crier : « Voilà le roi qu’il nous faut. Enfin nous l’avons trouvé. Lui nous fera vivre ! » J’ai bien vu que Jésus s’impatientait. On était en pleine confusion. La fête devenait un cauchemar et, toute la nuit, cela allait tourner au délire, comme si soudain les forces du mal étaient déchaînées. Jésus a pris les choses en main, presque avec violence. Il nous a fait embarquer en nous donnant rendez-vous à Capharnaüm. Malgré la nuit qui était tombée, il a fait partir les gens, comme si ce lieu était soudain mal famé. Nous avons senti se lever un grand vent et nous avions l’impression que nos barques étaient secouées par les vagues. Ceux qui pratiquaient le métier de la pêche ont ramené les voiles et ils se sont acharnés sur leurs rames. Nous ne savions plus où nous en étions. Certains ont dit qu’ils avaient vu Jésus dans la tourmente. En tous les cas, après cette nuit d’enfer, il se trouvait à Capharnaüm et il nous attendait sur le rivage. Nous avons pris alors quelques heures de repos car nous en avions bien besoin. L’après-midi du lendemain, les gens étaient encore presque aussi nombreux sur cette plage où Jésus aimait rassembler les siens.


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Alors il nous a longuement parlé. Je n’ai pas tout compris. C’est après plusieurs années, que les choses me sont un peu revenues. Je résume en quelques phrases ce qu’il disait : « Vous me cherchez parce que vous vous imaginez que je vais vous nourrir sans que vous ayez à travailler. Je viens vous apporter quelque chose de beaucoup plus nourrissant que le pain d’hier soir. Ce que je viens vous apporter, c’est moi, ma manière de vivre. Je viens pour que nous réussissions à faire un monde où on se donne en partage, comme le pain partagé d’hier soir. Je vous assure que mon Père est comme cela, c’est cela qui le rend heureux, et c’est ce bonheur-là qu’il nous propose… » Il a parlé longtemps. Et peu à peu, on a vu les gens qui commençaient à partir. Ils avaient cru trouver quelqu’un qui les assisterait et voilà qu’on leur demandait de partager le peu qu’ils avaient ! Et puis cette manière curieuse de dire qu’il fallait se nourrir de lui, qu’est-ce que cela voulait dire ? Quand Jésus a vu le vide qui s’était créé, il s’est tourné vers notre petit groupe. Il avait l’air rassuré, il souriait : « Voilà, les choses sont plus claires. Et vous, qu’est ce que vous décidez ? » C’est Simon Pierre qui a répondu pour nous que ce qu’il venait de dire nous aidait vraiment à vivre, et mieux que jamais. Le visage de Jésus s’est éclairé. Parmi tous ces gens qui sont partis déçus, il y en avait qui sont simplement retournés chez eux en attendant un nouveau prophète. Mais je crois bien qu’il y en avait aussi qui étaient en colère contre lui et qui chercheraient comment le lui faire payer. Jésus sentait cela mieux que nous. Et à partir de ce jour, il a commencé à nous dire qu’il faudrait aller à Jérusalem et mettre les choses au point avec les responsables religieux qui entretenaient des idées fausses sur le Père et son projet d’amour sur le monde. Il savait qu’il aurait à y risquer sa vie. Mais que ce serait ainsi qu’il remporterait la victoire sur la mort.


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Il a fait plusieurs voyages à Jérusalem. Pour mon compte, je retournais passer quelques jours à Tibériade. Je n’étais pas mécontente de mettre un peu d’ordre dans mon linge. Surtout je pouvais parler longuement avec Couza. Je lui parlais en particulier de l’attitude singulière de Jésus devant l’argent. Jésus était content quand on en avait et qu’on pouvait se mettre à l’aise ; si par contre on était dans le manque, cela semblait ne pas avoir d’importance. Mais quand il voyait des pauvres qui ne mangeaient pas à leur faim, cela le mettait en colère et il se lamentait sur le sort des riches qui travaillaient à leur propre malheur. Il trouvait que l’argent, c’était quelque chose de bien puisque c’était un moyen commode de partager. Mais en même temps, il constatait que cela faisait le malheur de beaucoup pour qui c’était devenu leur raison de vivre. Cela m’a sauté aux yeux lors d’un de ses voyages à Jérusalem où je les accompagnais. Nous avions pris le temps de nous promener pour admirer les derniers travaux exécutés au Temple. Nous nous sommes assis devant les troncs où les gens venaient déposer leurs offrandes. Nous avions un peu envie de rire car il y en avait qui s’avançaient lentement et avec solennité pour être sûrs d’être remarqués par le grand nombre. Tout à coup, Jésus a dit : « Vous avez vu ? Vous l’avez remarquée, j’espère ! Cette pauvre femme en deuil qui se faufile pour qu’on ne la voie pas. Elle a mis deux piécettes dans le tronc. Je suis certain qu’elle a donné là tout ce qui lui restait. » Jésus, encore tout ébloui, nous a fait comprendre que les autres avaient donné leur superflu, alors que cette femme avait donné ce qu’elle avait pour vivre. « Elle a donné sa propre chair. » J’ai compris ce que Jésus voulait nous faire comprendre. Dieu, celui que Jésus appelle son Père, est le seul pauvre. Il a tout donné une fois pour toutes. C’est parce qu’il est totalement pauvre qu’il ne peut donner que lui, sa vie. Nous autres, nous nous protégeons avec des choses que nous donnons, cela nous évite de donner


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notre propre chair, comme l’a fait cette veuve. Elle, elle nous montre comment aimer comme Dieu. C’est au voyage suivant à Jérusalem, le dernier, que les choses se sont encore plus éclairées pour moi. J’avais veillé à l’entrée de Jésus dans la ville. Puis il m’a demandé de trouver une grande salle pour que nous célébrions ensemble le repas de la Pâque. Malgré la grande affluence de pèlerins, je n’ai pas eu trop de mal, car Couza avait de nombreuses relations dans la ville. J’ai fait préparer l’agneau, les herbes, les fruits, le pain et le meilleur vin que j’ai pu trouver. Il n’était pas question de nous étendre à la mode romaine. Nous étions très serrés : une quarantaine de personnes peut-être, tous très émus, car nous savions que la conspiration s’était nouée contre lui. En même temps nous voyions bien qu’il était décidé à ne pas se défendre. Cette vie qu’on lui prenait, il la donnait. Au milieu du repas, il a pris du pain, il l’a partagé et il a prononcé ces paroles mystérieuses qu’après lui nous redisons depuis vingt ans : « Ce pain partagé, c’est mon corps livré. Faites en votre nourriture. » Et à la fin, il a pris la coupe de bénédiction et il a dit que c’était son sang versé pour l’alliance nouvelle. Quand le lendemain, je me suis trouvée, avec quelques autres femmes, au pied de la croix, ces mots retentissaient en moi : « corps brisé, sang versé pour vous ». Je pleurais, le cœur brisé, mais je savais que la vie était en train de triompher. Je suis aussitôt rentrée rejoindre Couza. Les disciples de Jésus ont pris l’habitude de se réunir dans chaque ville, le premier jour de la semaine. C’était pour nous souvenir ensemble de ce partage qu’il avait fait, pour nous, de sa vie. Ce don qu’il avait fait de lui l’avait fait entrer dans la vie de son Père où il nous précédait. C’était l’oc-


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casion de partager nos soucis et nos joies. Et si l’un d’entre nous était dans le besoin, nous avions à cœur de venir à son aide. Nous recevions souvent, à Tibériade, des commerçants qui venaient de Jérusalem et parmi eux des hommes et des femmes qui s’étaient engagés sur la voie de Jésus. Ils nous racontaient que la communauté de Jérusalem avait décidé d’aller plus loin dans la pratique du partage. Certains d’entre eux vendaient tout ce qu’ils possédaient, ils en remettaient le prix aux responsables de la communauté qui faisaient la répartition selon les besoins. Avec Couza, nous nous sommes souvent demandé ce que Jésus en aurait dit. Tel que je le connais, je crois qu’il se serait d’abord émerveillé. Sans doute aurait-il dit ensuite qu’il ne suffisait pas d’être simples comme la colombe, qu’il fallait, en même temps, être rusés comme le serpent. Pas facile ! De fait, quelques années plus tard, nous avons dû envoyer de l’aide à la communauté de Jérusalem. Après vingt ans, c’est plus facile pour nous de discerner ce qui est le mieux. Nous n’avions sans doute pas très bien compris ce que Jésus voulait dire quand il parlait du retour imminent du Fils de l’Homme. Le temps continue à courir. Et il nous faut rester prévoyants pour nous et pour nos enfants. Nous ne pensons pas que cela nuise à la confiance que nous faisons à la providence de notre Dieu. '



Salomé, mère des fils de Zébédée Une femme qui avait de l’ambition pour ses fils Dans la société palestinienne, on pouvait faire carrière en devenant un scribe qualifié. Il s’agissait de se mettre à l’école d’un maître renommé et de s’entraîner au commentaire de la parole biblique et des prescriptions légales. On pouvait espérer devenir, un jour, responsable d’une synagogue. Et pourquoi pas fonder soi-même une école rabbinique. Si le pouvoir autour du Temple était réservé aux grandes familles sacerdotales, un autre pouvoir pouvait être exercé, autour des synagogues, par les plus méritants, ou aussi par les plus ambitieux. On peut imaginer que c’était ce dont on rêvait chez les Zébédée. En passant de Bethsaïde à Capharnaüm, la famille avait sans doute déjà connu une sorte de promotion sociale. L’activité familiale de pêche était devenue une petite entreprise. On avait engagé des ouvriers. Jacques et Jean, les deux fils faisaient preuve d’une belle intelligence. On était prêt à faire des sacrifices pour les mettre à l’école d’un maître qui les lance. En l’appelant « la mère des fils de Zébédée », l’évangile de Matthieu (, ) souligne discrètement que c’était là le souci premier de cette maman.


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La rencontre de Jésus va tout faire basculer. Sans rien retrancher à l’ambition qu’elle avait pour ses fils, elle va découvrir le vrai sens de l’autorité qui consiste à se mettre au service. Elle va aussi apprendre de Jésus à valoir, non seulement comme épouse et comme mère, mais aussi comme personne unique, aimée de Dieu. C’est pourquoi nous avons choisi de l’assimiler à celle que Marc appellera Salomé (,  ; , ).


ous savions bien, Zébédée et moi, que nous ne garderions pas longtemps à la maison Jacques et son petit frère Jean. Nous avions mis en route notre entreprise de pêcherie et de sècherie de poissons à Bethsaïde. Puis assez rapidement, pour être plus près de la clientèle, nous nous étions établis à proximité de Capharnaüm. Jacques et Jean aidaient leur père par devoir, mais il était clair qu’ils visaient plus haut, et moi aussi avec eux. Nous avions fait notre possible pour les mettre à l’école des meilleurs rabbins de la région. Une bonne connaissance du Livre et de ses commentateurs pouvait donner des chances de brillante carrière. Jacques avait vingt quatre ans et Jean à peine vingt quand nous avons entendu parler de cet homme qui baptisait sur le bord du Jourdain. Aussitôt les garçons sont partis se renseigner sur lui. Il y avait, à cette époque, beaucoup de prêcheurs qui tentaient de rassembler des disciples. Il valait mieux ne pas se fier aux simples rumeurs. C’est là qu’ils ont rencontré Jésus pour la première fois. Ils sont rentrés à Capharnaüm en sa compagnie. Ils s’y étaient fait aussi deux amis, deux frères, Simon et André, des petits pêcheurs qui n’habitaient pas très loin. Le lendemain, à la maison, ils nous ont parlé de Jésus et j’ai senti qu’il y avait là, pour eux, une chance à saisir. Je les ai encouragés à se joindre à ce groupe. Ils ont parcouru avec lui toute la région. La renommée de Jésus ne cessait de croître. Il guérissait de nombreux malades et il annonçait la venue d’un royaume. Au bout de quelques semaines, j’ai demandé à Zébédée de me laisser les rejoindre : je craignais qu’ils ne soient pas reconnus à leur juste valeur. Jésus m’a accueillie avec beaucoup de gentillesse. J’ai été tout de suite rassurée : manifestement, Jacques et Jean étaient ses préférés. Plusieurs

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fois, je l’ai remarqué : quand il voulait avoir un peu de tranquillité pour réfléchir et pour prier, il prenait à part mes fils avec Simon. Un jour, j’ai voulu avoir des garanties. Nous étions tous assis, à une quarantaine de personnes, hommes et femmes ; je ne les connaissais pas encore très bien. Je m’étais arrangée pour me trouver assez près de lui, je me suis armée de courage et j’ai demandé la parole et, avec le sourire, il a dit : « Mais parle, Salomé ». Et alors j’ai osé lui demander que, dans le royaume à venir, mes fils soient assis à sa droite et à sa gauche. En même temps que je parlais, je sentais déjà que mes paroles étaient tout à fait déplacées. Sous leurs regards étonnés, je me sentais soudain comme une étrangère. Mais en même temps, j’ai tout de suite perçu que, pour Jésus, je n’étais pas une étrangère, mais pas du tout. Il a ri et il a dit : « Que c’est beau, l’amour d’une maman pour ses fils ! Tu serais prête à tout risquer pour qu’ils soient le plus heureux possible ! » J’étais contente, je sentais qu’il me comprenait. Mais en même temps, j’avais deviné qu’on n’allait pas en rester là. Il s’est tourné vers Jacques et Jean et il leur a demandé ce qu’ils en pensaient. Ils baissaient le nez tous les deux. Jésus a alors parlé longtemps et je ne saurais plus redire ses mots. J’ai seulement bien compris, et je ne l’ai pas oublié depuis, qu’on n’était pas en route vers un royaume comme les autres, mais qu’il s’agissait de rassembler les hommes d’une manière nouvelle, sans violence. C’était pour cela que son Père l’avait envoyé, nous disait-il. Dans les jours qui ont suivi, j’ai bien vu que ma requête n’était pas si incongrue que cela. Au fond, j’avais osé dire tout haut ce que beaucoup pensaient. Et plusieurs fois, en marchant, des disputes ont éclaté entre les hommes du groupe. Aucun n’osait revendiquer la première place, mais les uns se réclamaient de Simon, les autres de Jacques, les autres de Judas… Il s’agissait de


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se placer dans le camp de celui qui serait au pouvoir. Et Jésus qui marchait devant ne disait rien ; mais on sentait que ce genre de discussion l’horripilait. Le soir, alors que nous étions assis à la fraîche, il leur a demandé de quoi ils avaient discuté en chemin. Personne n’osait répondre, car ils avaient un peu honte. Alors il nous a expliqué que, dans les royaumes de ce monde, les chefs exploitent leurs sujets, alors qu’il venait instaurer un royaume nouveau où les chefs seraient serviteurs. C’était difficile à admettre, mais cela ne nous a pas tellement surpris, car cela lui ressemblait. Aussitôt il a voulu mettre cela en œuvre. Il avait choisi douze hommes pour leur confier des missions de confiance. Or, ce soir là, il nous a annoncé que nous serions tous, et toutes, envoyés en mission, deux par deux, pour annoncer son passage et préparer le terrain. Comme il aimait jouer avec les nombres, il nous a dit que nous serions soixante-douze, en plus des douze ; c’est-à-dire quatre-vingtquatre. Et il riait en nous demandant si nous comprenions ce que cela voulait dire. Comme nous étions habitués, nous avons aussitôt compris : cela faisait sept fois douze : quoi de plus parfait pour dire que ce royaume à venir serait universel ? Dieu n’avait-il pas créé quatre vingt quatre nations à l’origine ? Je ne pense pas que nous ayons jamais atteint cet effectif ; c’était juste pour faire signe ; il n’a jamais cherché à faire nombre. Le lendemain, nous sommes partis deux par deux. Le hasard m’a mise avec Marie de Magdala que j’ai été heureuse de découvrir. Nous avons d’abord ri qu’on demande à des femmes de témoigner ; dans notre société, on ne se fie au témoignage que des hommes. Nous avons parlé de Jésus dans un petit village et les gens nous ont dit qu’ils avaient envie de le connaître. Quand tout le monde s’est retrouvé le soir, nous disions notre étonnement d’avoir été si bien accueillis. C’est alors qu’il nous a fait comprendre qu’il n’y aurait pas de hiérarchie parmi ses disciples et


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que le plus petit avait autant de prix que celui qui avait fait des études. « Savez-vous ce qui doit vous mettre dans la joie ? C’est de savoir que votre nom, à chacun et à chacune, est inscrit dans le cœur de Dieu. » Je me souviens qu’il m’a alors regardée et il m’a dit : « Salomé, qu’est-ce que tu en penses ? » J’ai alors pris conscience de tout le chemin qui avait commencé à se tracer en moi depuis que je le suivais. Je n’avais longtemps été que la fille de Jacob, puis j’avais été l’épouse de Zébédée. Ensuite j’étais devenue la mère des fils de Zébédée, et je n’en étais pas peu fière. Voilà que Jésus me disait : « Mais tu es Salomé, la bien aimée de ton Dieu ! » Je me suis souvenue des longues conversations que j’avais eues avec Marie de Nazareth. Elle m’avait confié avec quelle mystérieuse autorité Jésus semblait lui dire : « Tu n’es pas seulement ma mère. Tu es une femme unique sous le regard de mon Père. » Et me revenaient en mémoire ces paroles d’Isaïe que j’avais souvent entendues à la synagogue. Je ne les avais pas comprises parce qu’elles me faisaient peur : « Comme un jeune homme épouse une vierge, tes fils t’épouseront. Comme la fiancée fait la joie de son fiancé, tu seras la joie de ton Dieu ». Jésus venait nous aider à rompre des liens pour que nous puissions entrer dans une alliance nouvelle. Je ne savais pas quelles découvertes Jacques et Jean étaient en train de faire de leur côté. Ils n’auraient sûrement pas aimé que je les prenne à part pour leur poser la question. Mais un jour, ils se sont fait remarquer. Nous traversions la Samarie. Comme on en avait l’habitude, deux personnes avaient été envoyées dans un village pour demander que notre groupe y passe la nuit. Les gens de ce village avaient refusé de nous recevoir. Alors mes deux fils, et là j’ai bien reconnu leur tempérament bouillant, se sont mis en colère. Ils disaient que ce village méritait de connaître le sort de Sodome et de Gomorrhe. Jésus leur a dit de se calmer ; il les appelait


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en riant : « Les fils du tonnerre ». Moi je reconnaissais bien l’éducation que nous leur avions donnée et j’en avais un peu honte. Puis nous avons poussé jusqu’au village suivant. En réalité, il devenait de plus en plus clair que Jésus ne cherchait pas du tout à prendre le pouvoir. C’est même pour cela que beaucoup de ceux qui l’avaient suivi commençaient à lui en vouloir. Ils croyaient que Jésus renonçait à lutter contre l’injustice de ce monde. En réalité, il y pensait plus que jamais, mais il savait que rien ne pourrait changer par la violence. Plusieurs fois, il nous a dit que maintenant il fallait aller à Jérusalem pour affronter l’injustice de ce monde, et qu’il y laisserait sa vie. Nous l’avons suivi sans comprendre. Quand nous sommes arrivés aux portes de la ville, Jeanne a voulu organiser une entrée solennelle. C’était un peu dérisoire, mais nous avions besoin de nous dire les uns aux autres que, quelle que soit la tournure que cela prendrait, c’était bien le royaume nouveau que Jésus allait instaurer. Jeanne a emprunté une ânesse à des amis. On y a fait monter Jésus. On s’est mis à couper des branchages et à crier : « Vive le roi ! Vive le fils de David ! » Un roi sur le dos d’une ânesse ! Comment mieux dire que ce roi n’imposerait rien par la force ? Alors, pour sortir de toute ambiguïté, Jésus nous a entraînés tous ensemble jusqu’au Temple. Sous les portiques, il y avait un grand nombre de marchands qui vendaient des colombes et des agneaux pour les sacrifices. Il y avait aussi à la porte des changeurs pour que personne n’entre dans le Temple avec des monnaies portant l’effigie de César. Alors sans prévenir, Jésus s’est improvisé un fouet avec de vieilles cordes et il a commencé à renverser les tables des changeurs et à disperser les animaux. Il criait : « Vous ne pensez quand même pas que vous allez acheter Dieu en lui offrant des sacrifices ! » À d’autres, ils disaient : « Trop commode ! On se comporte comme des brigands et on vient se réfugier là pour échapper


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au jugement ! » La police du Temple a aussitôt alerté les prêtres de service. Le calme est vite revenu et chacun a ramassé son bien. Mais les prêtres avaient reconnu Jésus. Nous savions bien qu’il n’est jamais bon de les avoir comme ennemis. J’ai été me reposer quelques jours chez des cousins de Zébédée. Mais je restais informée et, la veille du grand sabbat de la Pâque, la rumeur a couru dans toute la ville : ils l’avaient arrêté et condamné. Je me suis retrouvée sur la colline du Crâne avec ces femmes qui étaient devenues mes amies. Pendant que nous regardions, la lumière nous inondait. Je me frappais la poitrine, non pas pour me dire pécheresse, mais pour me crier en moi-même : « Ouvre-toi, mon cœur ! Brise-toi ! Laisse-toi envahir par cet amour qu’il te donne ! » Durant plusieurs jours, nous avons eu la sensation qu’il était vivant, plus présent qu’il ne l’avait jamais été. Ils m’ont invitée à refaire avec eux le dernier repas de Jésus auquel je n’avais pas assisté. Nous savions qu’il se donnait en partage, nous vivions dans la paix. Les semaines passant, il a fallu nous convaincre que cette présence, nous aurions à la vivre dans l’absence. Nous commencions à comprendre que son départ nous provoquait à inventer nous-mêmes ce Royaume qu’il était venu inaugurer. Le jour de la Pentecôte, nous étions rassemblés dans cette grande salle où nous partagions la Cène. Il y avait là tous ceux et toutes celles qui avaient fait route avec lui. Nous avions même été rejoints par quelques membres de sa famille dont Jacques, celui qu’on appellerait le Mineur pour le distinguer de mon fils. Nous n’étions pas très rassurés et nous avions fermé les portes à clé. Pierre conduisait notre prière et Jean disait parfois quelques passages des prophètes qu’il savait par cœur. Nous prenions alors peu à peu conscience que la force de Dieu était avec nous. Nous faisions l’expérience que chacun et chacune d’entre nous pouvait redire les paroles de Jésus d’une manière qui lui était propre. Nous


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avons ouvert les portes et nous sommes partis à travers la ville. Et les gens, venus de toutes les régions à l’occasion de la fête, s’étonnaient de ce que nous leur disions de Jésus. Et beaucoup s’en réjouissaient. Je ne suis pas restée plus longtemps à Jérusalem. Je savais que Zébédée devait s’inquiéter des rumeurs qui lui parvenaient. J’ai pris la route avec plusieurs femmes de Capharnaüm. Très vite, dans notre ville, un petit groupe s’est constitué de personnes qui avaient choisi de suivre la voie de Jésus. Voilà près de vingt ans que tout cela est arrivé. Et maintenant, je sais que Jésus a exaucé ma requête. Mais pas de la manière que j’imaginais. Jacques a été l’un des premiers à donner sa vie pour l’annonce de la bonne nouvelle. Hérode Agrippa l’a fait exécuter pour faire plaisir aux prêtres. Et Jean s’apprête à gagner les provinces d’Asie pour aider les premières communautés à se souvenir de Jésus. '



Une veuve qui avait perdu son fils unique Revivre, mais pour quelle vie ? Les veuves tiennent une grande place dans l’Évangile. Sans doute parce que la plupart d’entre elles étaient pauvres parmi les plus pauvres. C’est parmi ces femmes pauvres que Jésus va découvrir tant de perles cachées, comme celle qui, dans le tronc du Temple, donne, non pas son superflu, mais ce qui lui est nécessaire pour vivre. Pur portrait de ce qu’est Dieu ! Celle que Jésus rencontre à Naïm, dans son extrême pauvreté, n’avait qu’un bonheur : son fils unique. Il était son unique raison d’exister. En le conduisant à la tombe, c’est comme si elle se considérait elle-même comme morte avec lui. Une foule désespérée conduit vers la mort ce fils et sa mère. Et voilà qu’une autre foule qui croit à la vie stoppe cette marche funèbre. Jésus est bouleversé jusqu’aux entrailles, nous dit Luc, et, avec lui, la foule de ses disciples. Et l’amour va être plus fort que la mort. Reste à cette femme, en mettant ses pas dans les pas de Jésus, à découvrir le signe qui lui est fait. Cette vie rendue à


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son fils, et à elle avec lui, cette vie n’est que l’annonce de la vie véritable. C’est en partant à Jérusalem pour voir Jésus mourir sur la croix qu’elle comprendra ce que c’est que de vivre en plénitude. On n’est pas étonné que ce soit justement Luc (, -) qui ait tenu à nous raconter comment cette femme a été rencontrée par Jésus.


out s’était effondré pour moi. En quelques jours, Lévi, mon fils chéri m’avait été enlevé. Tout s’était enchaîné comme dans un mauvais rêve. Pour la première fois de ma vie, je ne maîtrisais plus rien. Ma vie s’en allait avec la sienne. Quand Ruben était mort, cinq ans plus tôt, ce n’était pas du tout pareil. Pendant plusieurs mois, on avait vu ses forces diminuer. Je sentais bien qu’on n’arriverait pas à le guérir ; mon cœur s’était peu à peu habitué à son absence. Pendant la maladie de son père, Lévi avait pris en main notre petit commerce. Quand Ruben nous avait quittés, j’avais pleuré, mais je parvenais à dire à Dieu : « Tu me l’avais donné ; tu le reprends ; maintenant tu sauras comment le rendre heureux ; il le mérite. » Mais la mort de Lévi, si subite, cela avait été pour moi incroyable. Comment y voir la volonté de Dieu, comme me le suggéraient des amies ? J’étais morte avec lui, voilà tout ! Je ne me posais même pas de question sur ce que j’allais devenir, ce que deviendrait la maison qui appartenait à la famille de Ruben. C’est maintenant, avec vingt ans de recul que je comprends plus clairement à quel point ma situation était désespérée. Des amies avaient fait la toilette de Lévi. J’en étais bien incapable. Et dès le lendemain matin, la foule s’est rassemblée devant notre maison. À Naïm, tout le monde se connaît, je voyais bien que tous avaient pour moi une grande pitié. Quelques femmes pleuraient tout haut. Ces larmes me faisaient du bien. Je les sentais sincères puisque je n’avais pas de quoi me payer le service de pleureuses. On a placé Lévi sur un brancard et on l’a recouvert d’un voile blanc. Quatre hommes de la famille de Ruben ont soulevé le corps de mon fils et on a commencé à traverser la ville pour aller le déposer dans la terre. Deux voisines me soutenaient et beaucoup lançaient des lamentations à ma place car j’étais sans voix. Derrière le corps, il y avait

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aussi le rabbin de la synagogue qui dirait les dernières prières auprès de la tombe. Soudain, à un carrefour, un autre groupe a croisé le nôtre. Ils étaient peut-être cinquante hommes et femmes. Tout de suite, nous avons senti comme ces gens éprouvaient pour nous une grande compassion. Ils se sont mis à nous poser des questions ; les femmes ont commencé à se joindre à nos lamentations. Elles se sont tournées vers celui qui semblait être leur chef. Elles l’appelaient Jésus. « Comment est-ce possible?» lui disaient-elles. Nous avons tous compris que Jésus était profondément peiné. Il a demandé aux porteurs de poser le brancard. Il a fait enlever l’étoffe blanche et il a longuement regardé le visage de Lévi. Nous avons vu alors ses yeux se remplir de larmes. Puis il a semblé prendre sur lui, il a saisi la main de Lévi et, paisiblement, avec le sourire, il lui a dit : « Allons maintenant il faut te réveiller.» On a eu l’impression que Lévi sortait d’un profond sommeil. Il s’est mis debout et nous a demandé ce que nous faisions tous là. Vous devinez la confusion et le tumulte. Tous voulaient voir Lévi et le faire parler. Nous sommes rentrés à la maison, avec le groupe de Jésus. Dans tout le quartier, on a fait la fête. Jésus et les siens sont repartis au lever du soleil. Il m’a fallu plusieurs jours pour m’assurer que Lévi était vraiment vivant. J’avais besoin de le toucher pour être sûre que je ne rêvais pas. La nuit je me relevais pour aller l’écouter respirer dans son sommeil. C’était pour moi comme s’il était né une deuxième fois. Mais là vraiment j’avais conscience de l’avoir reçu gratuitement. Je le recevais, chaque matin, émerveillée, étonnée que cette vie si fragile soit encore là. Plus tard, après avoir longuement entendu Jésus parler, j’ai réalisé à quel point c’est long de mettre un homme au monde puisqu’il s’agit en réalité de faire naître un fils de Dieu. Jésus disait des choses mystérieuses à ce sujet. Moi je comprenais que nous, les femmes, après avoir fait naître notre enfant d’en bas, il s’agissait de les faire naître


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d’en haut, de la parole de notre bouche. Après les avoir fait sortir de l’eau de notre ventre, il nous restait le plus important : les nourrir du souffle de notre parole. Au fond, Jésus a dû penser que je n’avais pas fini de mettre Lévi au monde ; il m’a donné de nombreuses années de supplément : j’en ai bien profité pour parler avec Lévi. Et j’espère bien qu’Élisabeth, celle qui est devenue sa femme ne m’en voudra pas. Quand, dans les années qui ont suivi, les disciples de Jésus sont venus nous donner le baptême, j’ai deviné que tout cela disait des choses mystérieuses au sujet de cette naissance nouvelle que Jésus était venu nous apporter. Jésus qui parcourait la Galilée est repassé plusieurs fois à Naïm. Il ne venait pas chez nous. Il semblait ne pas nous connaître. C’était comme si sa main gauche avait oublié ce qu’avait fait sa main droite. Moi je profitais de son passage pour l’écouter. Une fois son groupe avait passé la nuit dans la campagne au pied de la colline, le mont Thabor. On disait que Jésus était monté la veille au soir avec trois de ses disciples : on attendait qu’ils redescendent. Les gens commençaient à affluer, avec des malades. Moi aussi j’étais venue et j’ai remarqué un homme qui soutenait un garçon d’une dizaine d’années, sans doute son fils. Il parlait avec le groupe des proches de Jésus ; la conversation était très animée. Voilà que Jésus est arrivé avec ses trois amis. Tous nous avons été stupéfaits de voir comme il était radieux. Je ne savais pas ce qui s’était passé là-haut, mais j’ai aussitôt pensé à ce que j’avais entendu lire à la synagogue : le visage illuminé de Moïse quand il descendait du Sinaï. Jésus a demandé pourquoi on discutait si fort. C’est l’homme qui a répondu qu’il avait amené son fils qui était très malade, que les disciples de Jésus n’avaient rien pu faire et que maintenant ils se disputaient pour savoir pourquoi cela n’avait pas marché. Alors tout de suite, Jésus s’est mis en colère. Il leur a dit que ce n’était vraiment pas le moment de discuter, entre eux, des


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méthodes de guérison. « Quand quelqu’un souffre, leur disait-il, c’est avec lui qu’il faut parler ! » Sa colère s’est apaisée d’un coup. Il a passé un bras sur les épaules de cet homme et l’autre bras sur celles du fils, et il leur a dit de venir s’asseoir avec lui sur l’herbe. Le plus discrètement possible, nous nous sommes tous assis autour d’eux. Le père a commencé à parler. Il disait que son fils était sourd et muet ; moi j’avais l’impression que le garçon dont le visage restait figé, ne perdait rien de ce que son père disait. Sa situation était bien désespérée, disait le père ; il était habité par un esprit mauvais qui le faisait parfois tomber à terre tout raide ; l’écume lui sortait de la bouche ; et c’était terrifiant pour ceux qui le voyaient. En écoutant parler ce père, j’avais l’impression qu’il se sentait coupable de ne pouvoir guérir son fils. Et en même temps, je me demandais s’il ne reprochait pas à son fils de le décevoir. Au fond, sans pouvoir se le dire, ils s’en voulaient l’un à l’autre. Et je me disais : « Mais où est la maman qui pourrait les réconcilier ? » Cet homme suppliait Jésus d’exercer ses pouvoirs. Mais on voyait bien que Jésus ne voulait pas faire de prodige. Il disait à cet homme : « Toi, si tu as confiance en Dieu, tu peux permettre à ton fils de guérir. » Ils ont parlé encore longuement et le père a crié : « Oui, maintenant, je crois que Dieu peut faire vivre mon fils. » À ce moment, l’enfant a eu une crise et il était là tout raide comme mort. Jésus s’est penché vers lui. Il lui a dit : « Allons, c’est fini maintenant. Tu es guéri ! » Le père a dit : « Maintenant je sais comment prier Dieu pour qu’il fasse vivre mon fils. » Cette scène est restée profondément gravée dans ma mémoire et j’y ai souvent repensé parce que je crois que ce père avait fait une découverte semblable à la mienne : la vie est un cadeau que nous avons à recevoir de Dieu. Y penser nous fait vivre dans l’émerveillement et la reconnaissance.


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Mais je n’étais pas au bout de mes découvertes. Quand j’ai été vraiment rassurée sur la santé de Lévi, j’ai décidé de me mettre en route derrière Jésus puisqu’il acceptait des femmes dans son groupe. Je sentais bien son désir ardent que nous vivions vraiment, mais j’avais du mal à comprendre ce que cela voulait dire. C’est quand nous sommes montés à Jérusalem pour la dernière fois que les choses sont devenues plus claires pour moi. D’abord j’ai bien vu que la vie qu’il venait nous proposer avait tellement de prix qu’il était prêt, sans hésiter, à risquer la sienne. J’ai compris ensuite que cette vie, ce n’était pas seulement une existence après la mort, c’était quelque chose à vivre dès maintenant, quelque chose que lui vivait devant nous et qui le rendait étonnement heureux. C’est quand je l’ai vu cloué à la croix que j’ai compris. Cette vielà était plus forte que la mort. Cela paraît sans doute fou à beaucoup. Mais je voyais bien que cette manière de vivre sa mort, c’était la vraie vie. Quand, les jours suivants, le bruit a couru parmi ses disciples qu’il était vivant, je n’ai pas été plus étonnée que cela. Simplement les choses se mettaient en place dans ma pauvre petite tête. C’était dans la vie de Dieu qu’il était entré. Je le vois bien maintenant : quand il a fait revenir mon fils à la vie, ce n’était pas seulement par pitié pour moi, car, après tout, il y avait, en Israël, bien d’autres veuves éplorées dont il n’avait pas réanimé le fils. C’était pour nous faire signe : c’était à la vie de son Père qu’il nous appelait, à la vie éternelle, celle qui consiste à trouver son bonheur à aimer. Beaucoup, à Naïm, ont suivi le chemin de Jésus. Depuis vingt ans, en mémoire de lui, je n’ai cessé de rappeler à notre communauté combien est injuste, dans notre pays, le sort qui est réservé aux veuves. Et nos responsables ont voulu organiser un service d’aide pour qu’elles ne soient pas oubliées. '



Une femme à qui il fut donné de voir les visages « Nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est » C’est Luc (, -), une fois de plus, qui nous fait connaître cette femme que nous choisissons de nommer Léa. Elle vit dans le malheur depuis dix-huit ans : cassée en deux, elle n’a sous les yeux que la poussière des chemins et les pieds des passants. Et comme de juste, les hommes ont diagnostiqué un esprit impur. Imaginons sa souffrance de ne pouvoir plus rencontrer aucun visage. Dieu seul se laisse rencontrer par elle. Elle le sait puisqu’elle est fidèle à ces rendez-vous du Sabbat à la synagogue. Mais, Dieu, elle sait bien aussi que « nul ne peut le voir sans mourir ». Pour lui rendre la joie de la rencontre des regards, Jésus se moque bien que ce soit aujourd’hui le sabbat. Qu’est-ce qui peut le mieux honorer son Père, en ce jour qui lui est consacré, que la libération de cette fille d’Abraham ? Et les scrupules du chef de la synagogue ne mériteraient que le rire, s’ils n’annonçaient déjà la colère de ses ennemis. Mais pendant ces dix-huit années de nuit, le désir de rencontrer et d’être rencontrée s’est si vivement creusé en elle


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que, sous le regard de Jésus, Léa va découvrir qu’en lui, c’est le visage de Dieu qui s’offre à elle, « plein de grâce et de vérité ». Se mettant à sa suite, elle apprendra à le contempler et à déchiffrer, au-delà des apparences premières, tous les sentiments qui animent le cœur du Père. Et c’est quand, ressuscité, il échappera à son regard qu’elle fera revenir dans sa mémoire tout l’amour qui s’exprimait sur la face de cet homme en croix. Vraiment il lui a fallu, d’une certaine manière, traverser la mort pour le voir et dire avec Jean : « Ce que nous avons vu du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. »


l y avait dix huit ans que ce malheur était tombé sur moi. Beaucoup disaient qu’il s’agissait d’un esprit impur. Certains même évitaient de me fréquenter. Ce qui est sûr, c’est que, soudain, quelque chose s’était bloqué dans mon dos et que je ne pouvais plus me relever. Je m’étais, au début, tournée vers plusieurs guérisseurs. J’y avais dépensé ce qui me restait d’argent. J’avais vite compris qu’il me faudrait vivre comme cela. Jacob, mon mari, avait été gentil pour moi. Puis, au bout d’un an, j’avais tout à fait compris qu’il décide de me donner une lettre de répudiation. Ma famille m’avait recueillie et je les aidais, du mieux que je pouvais, en réparant leurs vêtements. J’étais devenue un peu comme une aveugle : j’entendais les voix, j’avais appris à déchiffrer les intonations, mais je ne voyais plus les visages. Et c’est cela qui était le plus difficile à accepter. Quand je repense à cette époque, j’en ai encore le cœur tout glacé. Dans notre ville de Bethsaïde, les gens sont tolérants et ils n’ont vu aucun inconvénient à ce que je me joigne à leur assemblée à chaque Sabbat. Je me nourrissais des lectures de la Loi et des Prophètes. Je murmurais ma prière en union avec le chant des Psaumes. Je trouvais là le réconfort dont j’avais besoin. Je ne comprenais pas pourquoi cette épreuve m’était venue. Mais de me savoir membre du peuple choisi par notre Dieu, c’était cela qui m’aidait à vivre.

I

J’ai tout de suite senti que ce Sabbat ne serait pas comme les autres. Il y avait là tout un groupe d’hommes et de femmes dont je ne connaissais pas la voix. Très vite, l’un d’entre eux a parlé avec une telle autorité que le silence s’est imposé pour l’écouter. Manassé, le chef de notre synagogue l’a appelé par son nom, Jésus de Nazareth, et il lui a proposé de commenter la lecture. Nous avions écouté un


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épisode de la vie de David ; je ne sais plus lequel. Jésus a alors parlé du Royaume de Dieu. Il le comparait à une toute petite graine. Si on la plante en terre, elle peut devenir un arbre si grand que les oiseaux du ciel viennent y faire leur nid. Il parlait avec une telle conviction que j’ai été bouleversée par cette espérance : ce peuple si petit qui peut donner le salut à tous les peuples de la terre ! J’avais envie de crier : « Oui, c’est vrai ! » À ce moment, j’aurais tant voulu voir ses yeux ! Il y a eu un silence. Soudain, j’ai senti qu’il s’approchait de moi. J’ai vu ses pieds devant les miens. Il m’avait remarquée dans la foule. Il m’a demandé mon nom. « Léa » lui ai-je répondu. Je n’ai rien demandé. Je n’espérais rien d’autre que de voir son visage. Il a alors dit : « Femme, te voilà libérée de ton infirmité. » Je n’ai pas compris où il voulait en venir. J’ai senti ses mains se poser sur ma tête, pleines de douceur. Insensiblement, ses mains se sont élevées. Et ce contact était si bon que j’ai élevé ma tête, et encore, et encore. Il y avait en moi un grand cri : « Le voir ! Le voir ! » En quelques minutes, je me suis trouvée droite devant lui, sans douleur. Nous nous sommes regardés. Son visage était plein de grâce. J’ai su, sous son regard, que mon visage était plein de grâce. Je n’ai rien dit. J’ai seulement pleuré et ces larmes me lavaient de dix huit ans de souffrance secrète. C’est alors que Manassé s’est fâché. Il n’osait pas s’en prendre à Jésus. Il s’est adressé à nous tous : « Mais enfin, c’est aujourd’hui jour de Sabbat ! Vous avez six jours pour vous faire soigner ! Pourquoi venir justement ce jour où Dieu nous demande de ne pas travailler ? Quand serez-vous donc fidèles à la Loi ? » Il n’avait pas tout à fait tort, mais il y avait là tout de même quelque chose d’un peu comique. De fait, Jésus souriait. Il nous a laissé le temps de réagir, puis il s’est tourné vers notre chef de synagogue et il lui a dit : « Dismoi, Manassé, tu as bien un âne que tu attaches près de ta maison. Ce matin, est-ce que tu ne l’as pas détaché pour qu’il puisse aller boire ? N’est-il pas permis de faire ce travail un jour de Sabbat ? »


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Manassé s’est contenté de faire oui avec sa tête, comme si cela allait de soi. Alors Jésus a continué : « Regarde bien Léa qui est là avec nous. Elle était liée depuis dix huit ans ! Et il ne serait pas permis de faire ce beau travail de la délier, même un jour de Sabbat ! Est-ce que ton âne aurait plus de prix que cette fille d’Abraham ? » Quelle joie d’entendre Jésus dire de moi que j’étais une fille d’Abraham ! J’avais bien conscience que ce qui donnait du prix à ma vie, ce n’était pas ce que je serais capable de réaliser, c’était seulement la foi que je mettais en mon Dieu. D’un coup, je réalisais que ma foi en Dieu ne faisait plus qu’un avec la confiance sans borne que j’avais en cet homme. En me disant le respect qu’il avait pour moi, il me disait que Dieu croyait en moi comme il avait cru à nos ancêtres, Abraham et Sarah. Ils ont continué à parler avec Jésus. Moi, je suis rentrée chez les miens en courant. Vous devinez leur stupéfaction quand ils m’ont vue droite devant eux. Ils étaient tellement sidérés que nous avons à peine fait la fête. Je crois qu’ils s’attendaient à me voir reprise du même mal. Moi, je savais bien que cette guérison était un pur don de Dieu. Dieu ne revient pas sur ses cadeaux. Il m’a fallu quelques mois pour m’adapter à ma nouvelle vie. Mais je ne pouvais oublier le regard que Jésus avait posé sur moi. Il fallait que je le connaisse davantage. Il fallait que je sache comment notre peuple l’accueillait. Ma famille connaissait les Zébédée qui avaient habité autrefois à Bethsaïde. Par eux, j’ai appris que Jésus et les siens se trouvaient dans un village proche. Je suis aussitôt partie. Rien ne me retenait dans notre ville. Jésus m’a tout de suite reconnue et accueillie avec chaleur et j’ai eu beaucoup de joie à faire connaissance avec les autres femmes du groupe. Je l’ai tout de suite compris : la liberté qu’il avait prise en me guérissant un jour de Sabbat n’était pas une exception. Quand quel-


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qu’un souffrait, il ne se demandait pas si c’était l’heure ou le lieu d’agir. Il était comme indigné, il soupirait comme s’il portait luimême cette souffrance et il faisait son possible pour apaiser ou guérir. Plusieurs fois, je l’ai vu faire des guérisons un jour de Sabbat. La première fois, dans une synagogue, il y avait un homme qui avait la main desséchée. Jésus a demandé aux pharisiens qui se trouvaient là, s’ils pensaient qu’on pouvait le guérir. Comme il les voyait hésiter, il s’est littéralement mis en colère : « Mais enfin, vous ne comprenez pas que mon Père qui est aussi votre Père ne supporte pas de faire attendre son enfant qui souffre ? Vous voulez honorer Dieu le jour du Sabbat ; et bien ce qui l’honore, c’est qu’on communie à la tendresse qu’il éprouve pour chacun de ses enfants. » Une autre fois, c’était un paralytique, auprès de la piscine de Bézatha. Non seulement il l’a guéri, mais il lui a dit d’emporter son brancard. C’était presque une provocation. Et je me souviens qu’il riait : « Vous ne croyez pas que notre Père est heureux de voir son enfant si vigoureux ? » Il ajoutait que nous n’avions pas à vivre pour le Sabbat, mais qu’au contraire le Sabbat avait été institué pour que nous vivions davantage. Mais à chaque fois, je voyais bien que ses ennemis attendaient leur heure. Les pharisiens lui reprochaient aussi de ne pas nous faire jeûner. Et pour essayer de le convaincre, ils lui disaient que les disciples de Jean le Baptiste pratiquaient le jeûne. Et Jésus nous expliquait : « Est-ce qu’on jeûne quand on célèbre une noce ? Et vous ne pensez pas que c’est bien une noce que nous fêtons ensemble ? » Là je n’ai pas très bien compris. Mais on voyait bien qu’il était heureux comme un jeune marié quand nous chantions notre louange au Père. Il se régalait de nous voir danser avec nos tambourins. C’est plus tard, quand il nous a été enlevé, que nous en avons perdu l’appétit pendant bien des jours. Alors nous avons compris qu’il


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était venu célébrer avec nous une Alliance nouvelle. C’était bien une noce que nous avions célébrée ensemble. Bien sûr, Jésus n’avait rien contre les prescriptions de la Loi. Il ne voulait rien en supprimer. Il en rajoutait même en disant, par exemple, qu’il ne suffisait pas d’aimer ses proches, mais qu’il fallait aussi aimer ses ennemis, comme le Père qui fait briller son soleil sur les méchants comme sur les bons. Il y a un mot qui m’a frappée. Il disait qu’il était venu accomplir la Loi. Et cela je le comprenais bien en le regardant : il était la loi nouvelle, il suffisait de se laisser imprégner de ce qui l’habitait. Un jour, il nous avait dit cette parole audacieuse : « Qui me voit, voit le Père ». Pour moins que cela, combien de prophètes étaient morts lapidés. Mais nous qui le connaissions bien, nous savions que c’était vrai. Nous l’avions souvent vu en prière ; et Jacques m’a raconté qu’une nuit, sur le mont Thabor, alors que dans sa prière il s’entretenait avec Moïse et Élie, ils avaient vu son visage devenir tout lumineux. Il était clair, dans ces moments-là, qu’il n’avait plus qu’un seul cœur avec son Père. On lisait alors, sur son visage, ce que nous étions appelés à devenir. J’ai compris le cadeau qu’il m’avait fait en redressant mon dos et en me livrant ainsi son visage à contempler. Élisabeth, cette veuve de Naïm dont le fils avait été ramené à la vie, m’avait fait remarquer plusieurs fois : « Tu as vu comme son visage est douloureux quand il écoute une personne qui est dans le deuil ! » Nous étions, dans son groupe, plusieurs femmes qui ne comprenions pas tout ce qu’il disait. Mais ce que nous voyions de lui valait tous les discours. « Vois comme ses yeux rient quand il écoute cette petite fille lui raconter une histoire. » me disait Anne, la belle mère de Simon. Un jour, il nous avait envoyés au devant de lui dans les villages voisins. Quand nous racontions comment les gens avaient


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bien accueilli ce que nous avions dit de lui, je remarquais à nouveau comme tout son être exultait sous nos yeux. Après qu’il ait été mis à mort, le premier jour de la semaine, nous nous étions donné rendez-vous avec les deux Marie pour aller parfumer son corps. Je voulais surtout voir, une dernière fois, son visage. Quand nous sommes arrivées au tombeau, la pierre était roulée. Tout était bien en ordre mais son corps n’était plus là. Tout de suite, j’ai compris qu’il ne fallait pas chercher parmi les morts celui qui était entré dans la vie. J’ai fait revenir dans ma mémoire ce que j’avais vu deux jours plus tôt. Son corps était tout entier couvert de plaies. Le sang ruisselait sur son visage. Ses bras et ses jambes étaient tétanisés par la douleur, sa bouche dévorée par la soif. Cependant son visage était illuminé. Il regardait chacun et chacune d’entre nous avec tendresse ; nous savions qu’il parlait de nous à son Père. Jamais je n’aurais cru qu’un être humain puisse aimer jusque là. Il faisait briller, sous nos yeux, l’image de l’humanité nouvelle, recréée à la ressemblance de Dieu. Voilà près de vingt ans qu’à Bethsaïde ses disciples se rassemblent, le premier jour de chaque semaine, pour faire mémoire de lui. Je ne me lasse pas de leur faire le récit de ce que j’ai vu. J’ai bien souvent aussi eu l’occasion de reconnaître son visage en regardant, autour de moi, tant de personnes qui souffrent et qui aiment. '


La femme de Pilate Peut-être la première romaine chrétienne ? C’est Matthieu (, ) qui nous fait savoir que la femme de Pilate se souciait de Jésus. Lors du procès, elle envoie un message à son mari : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste ! Car aujourd’hui, j’ai été tourmentée en rêve à cause de lui. » Il n’est pas absurde de penser qu’elle avait entendu parler de lui par les femmes de sa domesticité. Elle vivait en effet à Césarée, cette ville maritime qui n’est pas très éloignée de la Galilée. Rien d’étonnant qu’une femme cultivée soit curieuse des courants religieux venus d’Orient. La religion officielle de l’Empire était totalement tombée aux mains du pouvoir politique ; on allait logiquement voir venir bientôt ces empereurs qui se feraient déclarer dieux et exigeraient un culte à leur nom. Les voies romaines et les flux commerciaux allaient permettre la diffusion de ces religions à mystères proposant des réponses aux inquiétudes spirituelles des élites romaines. La religion juive se présentait comme l’un de ces courants à la mode. Et donc plus particulièrement cette secte juive qu’est la voie proposée par les disciples de Jésus. L’existence d’une communauté chrétienne à Rome, bien avant la venue de Pierre et de Paul, est donc tout à fait vraisemblable.


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Qui est responsable de la mort de Jésus ? La femme de Pilate sent bien que son pauvre mari a été dépassé par les évènements. Même si les chefs religieux ont bien été les éléments moteurs du procès, il n’y a aucune raison d’en faire tomber la responsabilité sur le peuple juif qu’ils exploitaient et manipulaient. Et moins encore d’en accuser les juifs des siècles à venir. Rien n’est mieux partagé entre les peuples, au long des siècles, que l’aveuglement, la bêtise et la cruauté.


ontius, mon cher mari, nous a quittés voilà deux ans. Je ne saurai jamais s’il a bien réalisé la gravité de ce que nous avons vécu, à Jérusalem lors de ces jours où les Juifs fêtaient leur Pâque. Nous étions arrivés à Césarée quelques années auparavant. Nous n’aimions guère aller à Jérusalem. La ville était peu sûre. Lors des fêtes, on y manquait d’eau et l’air était empesté par les foules qui s’entassaient sans le moindre confort. Nous avions l’impression que ces grands rassemblements étaient, pour les Juifs, l’occasion de débats sans fin qui nous semblaient vains. Et sous prétexte de patriotisme, beaucoup en profitaient pour se livrer à la violence et au brigandage. Vraiment Pontius avait fort à faire pour maintenir la région en paix. Les condamnations à mort étaient rapidement décidées et exécutées. Nous savions bien que nous avions tout à craindre des rapports envoyés à Rome par le légat de Syrie qui n’aimait pas mon mari. Nous restions donc à Césarée. La ville était plus calme et elle bénéficiait des vents venus de la mer. Peu de temps après notre arrivée, j’avais entendu parler de Jésus qui parcourait la Galilée. Pour prendre soin de Lydie, notre fille, nous avions engagé une jeune fille qui se nommait Marie et qui avait eu plusieurs fois l’occasion de le rencontrer. Elle nous racontait comment les malades se trouvaient guéris à son contact. Elle nous disait le respect qu’il manifestait aux petites gens. Elle était surprise de la simplicité avec laquelle il parlait du Dieu des Juifs qu’il appelait son Père. J’étais, pour ma part, impressionnée de l’influence que ce Jésus semblait exercer sur notre Marie. Chaque fois qu’elle revenait de chez elle, elle nous rapportait ce qu’elle avait entendu raconter à son sujet.

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Un jour, nous avons reçu, à notre table, un centurion qui était affecté à Capharnaüm. Je l’ai questionné sur Jésus. J’ai tout de suite compris qu’il portait en lui un souvenir très fort. Il a commencé par nous dire qu’il vivait avec les Juifs des relations très amicales et qu’il leur avait même donné de l’argent pour entretenir leur synagogue. Il nous confiait cela avec un peu de gêne, parce qu’il savait que ce n’était pas du tout le genre de Pontius, lui qui ressentait, pour les Juifs, au mieux de la condescendance. Ce centurion nous a raconté qu’il avait un esclave très apprécié qui était tombé gravement malade et pour qui on ne pouvait rien faire. Ses amis juifs lui avaient parlé de Jésus et il avait été séduit et intrigué de tout ce qu’ils lui avaient raconté. Mais que faire ? L’esclave était intransportable et il n’était pas question de demander à un juif pieux d’entrer dans la maison d’un païen notoire. Alors ses amis avaient proposé d’aller eux-mêmes intercéder auprès de Jésus au nom de l’amitié qu’il manifestait à leur peuple. Quelques heures plus tard, un de ses serviteurs qui les avait accompagnés rentre, en courant, à la maison et lui annonce : « Jésus vient ! Il veut entrer chez toi ! Il tient absolument à voir le malade ! » Alors notre centurion a aussitôt renvoyé son serviteur en lui expliquant ce qu’il devrait dire à Jésus de sa part : « Moi qui suis un officier, je donne des ordres à mes soldats et ils m’obéissent. Et toi, il suffit que tu décides la guérison de mon esclave ; je suis sûr qu’il guérira. ». Et, nous racontait-il, lorsqu’il est retourné au chevet de son esclave, il a constaté qu’il était prêt à se lever et à se remettre au travail. À ce moment, notre centurion avait pris conscience que c’était par sa foi qu’il l’avait guéri. Le serviteur envoyé au devant de Jésus revenait, toujours au pas de course, et il lui racontait que le plus stupéfait de tous avait été Jésus : il n’en revenait pas qu’un païen ait une foi pareille. Il disait même qu’il n’avait pas encore rencontré de Juif qui croie avec un tel élan. Pour ma part, en entendant ce centurion lancé dans son


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récit, c’est cela que j’ai retenu. Ce prophète juif était capable de s’émerveiller de la foi d’un païen, et qui plus est, un païen de l’armée d’occupation. L’honneur de cette guérison, il ne se l’attribuait pas à lui-même, mais à un étranger qu’il ne connaissait pas. Je ne sais ce que Pontius a pensé de tout cela. Il avait d’autres soucis qui lui semblaient plus graves. Pour ma part, j’ai continué à glaner des renseignements, surtout auprès de Marie. Elle me racontait que Jésus prenait des risques fous. Pour continuer à annoncer un Dieu qui prenait la défense des plus petits, il finissait par se mettre à dos tous ceux qui exerçaient un pouvoir, qu’il soit religieux, intellectuel, économique ou politique. Lui qui ne disposait d’aucune force, il semblait faire peur à tous les puissants. Je ne m’étais jamais beaucoup intéressée, jusque là, à la religion des Juifs. Voilà que cette attitude de Jésus me faisait deviner les richesses cachées de cette tradition. Marie qui allait à la synagogue chaque sabbat me redisait des paroles de leurs prophètes d’autrefois qui semblaient annoncer ce Dieu de tendresse et de miséricorde dont Jésus parlait. Il y avait longtemps que, sans pouvoir en parler, je considérais comme vaines les divinités officielles de notre Empire. Sans oser lui donner de nom, je sentais que cette divinité-là nous offrait peut-être un chemin de salut. J’aurais tant voulu rencontrer Jésus pour en apprendre plus, mais c’était impossible. Une fois Marie m’a raconté que les partisans d’Hérode avaient voulu tendre un piège à Jésus. Après l’avoir flatté, ils lui avaient demandé s’il fallait payer l’impôt aux autorités romaines. C’était malin de l’obliger à se prononcer à ce sujet. Car s’il conseillait de payer l’impôt, il se mettait à dos tous les patriotes et les fanatiques qui refusaient toute collaboration avec les païens. Mais dans le cas contraire, on pourrait le dénoncer au tribunal de mon mari. Tout le monde avait une opinion là-dessus. Mais personne n’osait en parler.


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Alors Marie me disait que Jésus avait ri tranquillement et, après un temps de silence, il leur avait demandé de lui montrer une pièce d’un denier. C’était malin : lui n’avait jamais d’argent sur lui parce que seule la rencontre des gens l’intéressait. Au contraire, ces gens qui se déclaraient purs ne craignaient pas de porter, dans leurs poches, l’effigie de César. Leur hypocrisie sautait aux yeux. Mais le plus malin, c’est ce qui a suivi. En regardant la pièce, il a demandé de qui était cette effigie ; ils ont répondu qu’elle était de César. Alors il leur a dit, toujours en riant doucement : « Eh bien ! Rendez à César, ce qui appartient à César. Et rendez à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Il paraît qu’ils sont tous partis penauds. Je n’ai pas manqué de raconter à Pontius cette répartie de Jésus. Dans un premier temps, il a apprécié cette prise de position pour l’impôt à César. Puis il a pris le temps de réfléchir et il m’a dit : « Mais c’est comme une sape au pied d’une fortification, ce qu’il a dit là ! Chez nous on a résolu le problème en déclarant que César est dieu. Si on s’embarque dans ces distinctions, c’est le chemin ouvert à tous les désordres ! » Mon mari a toujours été partisan de ne pas s’engager sur des chemins trop risqués. Cette année-là, comme chaque année, nous étions à Jérusalem pour la Pâque des Juifs. Pontius devait être sur place pour prévenir le moindre désordre. Je l’accompagnais car je crois qu’il appréciait les conseils que je lui donnais discrètement. Voilà qu’un soir, Marie se précipite chez moi toute affolée. La rumeur s’était répandue : Jésus devait être arrêté au cours de la nuit. Lui-même le savait et il avait fait ses adieux à ses amis. J’ai demandé à Marie de retourner en ville et de me tenir au courant. Je me souviens d’avoir alors passé une nuit affreuse. Je voyais, cloué sur la croix, cet homme dont j’avais souvent imaginé le visage. Et je pensais à la souffrance de tous ces hommes qu’on exécutait sommairement ; j’entendais le cri de ces femmes qui assistaient impuissantes à ces


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agonies et à ces enfants orphelins réduits à mourir de faim… Pourquoi tant de souffrances injustes ? Je ne trouvais aucune réponse et j’étais torturée dans tout mon être. Plusieurs fois Marie est venue m’informer. Un de ses amis l’avait trahi. On l’avait arrêté. Le sanhédrin voulait sa mort mais ne savait comment s’y prendre. On avait essayé de faire agir Hérode qui l’avait renvoyé. Alors ce serait au pouvoir romain de prendre la décision. En entendant cela, je sentais un grand froid m’envahir. Au milieu de la matinée, de ma fenêtre, j’ai vu qu’un groupe d’hommes se rassemblait dans la cour qui est devant la salle du prétoire. Mais ils ne sont pas entrés. C’est Pontius qui est sorti sur le perron et qui s’est fait apporter un siège. Je ne pouvais entendre ce qu’il disait. Quand la foule criait, c’était dans leur langue que je ne comprends pas. Soudain on a fait sortir Jésus. Il était vêtu d’une tunique rouge comme les fous. On avait tressé des ronces qu’on lui avait appliquées sur la tête comme une couronne, son visage ruisselait de sang. Quand ils l’ont vu dans cet état, ils se sont mis à hurler. Je ne le voyais que de profil. L’impression qui est restée gravée en moi, c’est qu’il était grand, très grand. Devant toute cette violence bestiale qui se déchaînait, il restait d’un grand calme. La justice, ce n’était ni mon mari, ni cette foule qui l’exerçaient. En revivant cette scène aujourd’hui, je crois qu’il éprouvait une grande tristesse pour ces hommes qui se dégradaient jusque là. Le sentir si grand redoublait leur colère. Il y a eu encore quelques échanges de paroles. Quand j’ai vu Pontius se laver les mains dans une cuvette qu’il s’était fait apporter, j’ai compris qu’il n’y avait plus d’espoir pour sauver Jésus de la mort. J’ai éprouvé pour mon mari un sentiment de honte, mais aussi de pitié. Je me demandais comment il pourrait guérir d’une aussi grave blessure. Marie m’a raconté la suite à sa manière. Elle était partagée entre l’indignation pour une telle injustice et l’admiration pour un si


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grand amour : « Il ne faisait que pardonner. On avait l’impression qu’il avait mal pour nous » me répétait-elle. Pontius ne s’est jamais bien remis de cette épreuve. Il est devenu plus violent jusqu’à ordonner des exécutions arbitraires. Je crois que c’est à cause de cela que nous avons dû quitter la Palestine et qu’il nous a fallu gagner Lugdunum en Gaule. Après quelques années assez tristes, nous avons rejoint Rome où nous avons retrouvé famille et amis. Pendant toutes ces années, j’étais habitée d’une grande curiosité. Qu’est-ce que Jésus et mon mari avaient bien pu se dire dans cette dernière rencontre ? Quand je sentais qu’il était prêt à parler, je lui posais la question ; je crois que cela lui faisait du bien de se libérer de ce poids. Les souvenirs sont revenus par bribes. Quand à Rome, j’ai rencontré quelques Juifs qui suivaient la voie de Jésus, je leur ai fait part de ces confidences et nous les avons méditées ensemble. Pontius lui avait d’abord demandé si vraiment il se prétendait roi. Et les réponses de Jésus semblaient avoir été à double sens. Bien sûr, il n’était pas roi à la manière des chefs d’État et il ne disposait d’aucune force pour imposer ses décisions, ni pour le protéger de la violence. Et pourtant, c’était bien pour rassembler l’humanité dans la paix qu’il était venu. Et mon mari avait senti qu’il y avait ce double sens quand il avait ordonné de clouer sur la croix un écriteau portant l’inscription : « Jésus roi des Juifs ». C’était de la dérision envers les prêtres qui semblaient ne rien comprendre. C’était de la dérision envers Jésus à qui il reprochait de n’avoir rien fait pour se défendre. Mais en même temps, Pontius sentait bien qu’il y avait quelque chose de vrai dans cet écriteau. Il était fier d’avoir fait au moins cela de juste. Pontius pensait avoir fait tout ce qu’il avait pu pour sauver Jésus. Il insistait là-dessus. « C’était la coutume que je gracie un


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condamné pour la Pâque. Je me suis dit qu’entre Jésus et Barrabas, ce bandit de grand chemin, ils n’hésiteraient pas s’ils avaient un minimum d’intelligence » Mais ils avaient choisi Barrabas. Et là mon mari n’avait plus rien compris, ou plutôt il avait compris que c’était la bêtise qui triomphait. Et avec mes nouveaux amis juifs, nous nous disions que, si Jésus n’avait pas bénéficié d’un procès correct, c’était qu’il portait sur lui toute l’absurdité de la violence humaine. Pontius, en démêlant l’écheveau de ses souvenirs, faisait revenir une phrase de Jésus : « Je suis venu rendre témoignage à la vérité. » Mon mari se souvenait lui avoir demandé ce que c’était que la vérité. Jésus n’avait pas répondu, mais mon mari ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait tout de même eu une réponse dans leur échange. Nous, nous pensions qu’il suffisait de le regarder vivre ces instants tragiques pour voir ce que c’était vraiment que l’homme. C’était justement le dernier souvenir de Pontius. Il se souvenait que, après avoir fait flageller Jésus, dans l’espoir que cela suffirait à apaiser leur soif de sang, il l’avait fait revenir devant eux et un mot lui avait échappé. Il leur avait crié : « Voilà l’homme ! » Il voulait leur dire : voilà ce que nous en avons fait. Cela devrait vous suffire. Mais nous autres maintenant, nous nous disions que Jésus, à ce moment, mettait sous nos yeux l’homme accompli, la réussite plénière de la création, l’homme aimant avec l’amour même qui est dans le cœur de Dieu. J’ai appris qu’on a accueilli à Rome, depuis quelque temps, plusieurs personnes qui l’ont accompagné. Elles nous aideront à mieux le connaître. '



Lydie, chef d’entreprise à Philippes Une matrone gréco-romaine Les deux femmes à qui nous allons maintenant donner la parole n’ont pas rencontré Jésus sur les routes de Palestine. Au même titre que vous et moi, elles ont fait sa connaissance par le témoignage des premiers témoins de sa résurrection. Paul et ses compagnons en sont à leur deuxième voyage. Après avoir traversé la province d’Asie que nous appelons, de nos jours l’Asie Mineure, ils ont franchi la mer et ils ont abordé en Macédoine. Pour eux, c’est le même monde gréco-romain. Dans nos catégories actuelles, nous autres, nous disons qu’ils sont passés d’Orient en Occident, ou d’Asie en Europe. Lydie ne pouvait pas savoir que nous allions la considérer comme la première européenne chrétienne si ce n’est la femme de Pilate. Lydie porte le nom de la province d’où elle est originaire. C’est là que se trouve la ville de Thyatire, rendue célèbre par la production de pourpre. « La pourpre, nous dit Pline l’Ancien, a la couleur du sang figé : foncée, vue de face ; avec reflets brillants, vue de biais. » La plus précieuse était produite à Tyr et Sidon à partir de certains mollusques. Mais Thyatire en produisait aussi de belle qualité à partir d’insectes ou de plantes comme la garance.


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Avisée, Lydie a établi son entreprise dans la riche colonie de Philippes qui contrôle le passage des Balkans vers la mer. Elle sait que les riches citoyens de cette ville aspirent à ce signe de pouvoir et de prospérité que sont les habits teints de pourpre. Le livre des Actes des Apôtres qui nous la présente, au chapitre , nous laisse deviner que c’était une femme de caractère. Beaucoup de femmes cultivées de l’époque s’intéressent de près à toutes ces religions orientales qui jouent un grand rôle dans l’émancipation féminine. Pour son compte, Lydie a choisi de suivre le Dieu qu’adorent les Juifs. Elle est de ceux que l’on appelait alors les « craignants Dieu ». Cette entrée de Paul dans le monde romain a dû aussi lui faire découvrir l’importance, dans cette société, du pouvoir exercé par le dominus ou la domina qui entraînait toute sa maisonnée dans ses choix de vie. La lettre que Paul écrira, bien plus tard, aux chrétiens de Philippes est empreinte de beaucoup de nostalgie et de tendresse. On peut imaginer que Lydie n’était pas seulement une femme de tête et que Paul a laissé là un peu de son cœur.


omment remercier Paul et ses compagnons d’avoir traversé l’Asie et franchi la mer pour nous apporter la bonne nouvelle de Jésus ?

C

Je sais de quoi je parle car, après la mort d’Eutychès mon époux, j’ai moi-même décidé, voilà dix ans, de quitter la ville de Thyatire, avec Alexandre et Claudia, mes enfants, et toute ma maisonnée. Notre teinture de pourpre est renommée. À Philippes, nos amis de la corporation des teinturiers nous encourageaient, depuis longtemps, à les rejoindre. Cette colonie romaine, nous disaient-ils, compte de nombreux fonctionnaires et paysans venus de Rome. Ils ont fait fortune et leurs épouses désirent se vêtir de pourpre. À Rome, cette couleur est réservée à l’empereur ; mais dans les colonies, on ose se parer de ce signe du pouvoir. Déjà malade, Eutychès hésitait ; après sa mort, j’ai osé franchir la mer et je m’en félicite. Je suis assez rapidement entrée en relation avec d’autres femmes qui, à Philippes, avaient réussi, comme moi, à devenir économiquement indépendantes. Nous nous sentons libres ensemble et nous aimons échanger. Certaines d’entre nous ont été séduites par des cultes venus d’Orient comme celui de la Bonne Mère ou celui de Cybèle. J’ai pour ma part, sympathisée avec plusieurs femmes juives qui m’ont fait connaître leurs Écritures. Leur divinité unique dont le nom est imprononçable m’a peu à peu séduite. J’ai commencé à payer la redevance au temple de Jérusalem. Avec toute ma maison, nous avons décidé de respecter le repos du Sabbat et de nous joindre aux réunions de prière. C’est au bord de la rivière Ganza que nous nous retrouvons, auprès de l’aqueduc, puisque notre communauté n’est pas suffisante pour


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construire une synagogue. Après la prière, nous aimons flâner et les femmes se retrouvent entre elles pour échanger des nouvelles de notre famille. C’est là qu’il y a six mois, nous avons été rejointes par quatre hommes qui s’exprimaient en grec, mais avec l’accent d’Asie. Ils se sont présentés : Silas, Luc qui était médecin, Timothée, un tout jeune homme de Lystre, et Paul, tisserand de Tarse. Tout de suite, j’ai sympathisé avec Paul car nous avons parlé tissus. Mais bien vite, Paul nous a fait comprendre qu’ils n’étaient pas en voyage d’affaire. Il nous a parlé de Jésus, mis à mort à Jérusalem voilà vingt ans, mais que ses disciples disent vivant. À mesure que Paul parlait, je percevais que ce qu’il nous disait était en harmonie avec ce que les Juifs m’avaient fait connaître du visage de Dieu. Qu’il vienne vivre avec nous le quotidien, je sentais que cela lui ressemblait bien : c’était lui que j’attendais sans savoir le nommer. Pendant que Paul nous révélait ce mystère, une grande paix, une grande douceur m’habitaient. Je voyais bien que je n’étais pas la seule à entrer dans cette vie nouvelle. Après Paul, Luc a parlé pour nous raconter la vie de Jésus de Nazareth, sa grande tendresse pour les plus pauvres, les nombreuses guérisons qu’il avait opérées, son amour des enfants, les histoires qu’il inventait pour faire comprendre l’amour de son Père. Il nous a raconté combien Jésus aimait la vie et la fête. Il nous a dit comment, la veille de sa mort, il avait partagé le pain et le vin avec ses amis pour en faire le signe de sa présence offerte pour la vie de l’humanité. Quand Luc nous a raconté que, parmi les disciples de Jésus, de nombreuses femmes avaient trouvé leur place, notre cœur alors bondissait de joie. Nous avons longtemps parlé, posant à ces hommes une multitude de questions. Et puis je me suis approchée de Paul et je lui ai dit : « Je suis des vôtres. Qu’est-ce qui s’oppose à ce que je sois bap-


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tisée ? » Il m’a posé quelques questions puis il m’a fait descendre dans la rivière et il a fait de moi une chrétienne. Plusieurs d’entre nous ont alors chanté un de ces psaumes qui évoquent le passage de la mer. Puis je me suis tournée vers Paul et je lui ai dit : « Tu as bien compris que c’est toute ma maison qui s’engage sur la voie de Jésus. Quand je suis descendue dans l’eau, ce sont mes enfants, mes employés, mes esclaves, mes affranchis qui ont commencé la traversée vers la liberté. » Paul qui a un tempérament un peu impétueux a commencé par protester. Et j’ai bien vu qu’il venait de régions où les choses se passaient autrement. Nous nous sommes mises à plusieurs pour lui expliquer que, chez nous, grecs et romains, quand le maître ou la maîtresse de maison choisissait une voie, il y engageait tous les siens. J’ai ajouté qu’avant de descendre dans l’eau, j’avais bien vu, dans le regard des femmes de ma maison qui étaient présentes, la même joie que celle qui m’animait. Le soir commençait à tomber. Nous avions été tellement captivés par ce que nous vivions que nous n’avions pas mangé depuis le matin. Il n’était pas question de laisser aller ces hommes qui nous avaient tant apporté. J’ai insisté pour qu’ils s’installent chez moi. Ils n’ont pas été faciles à convaincre. J’ai tout de suite compris que Paul n’aimait pas trop demander de l’aide, surtout peut-être à des femmes. Mais j’avais décidé et, à la grande satisfaction de ses collègues, Paul a dû céder. Nous avions encore beaucoup à nous dire et ce repas du soir a été bien animé. Ils sont restés à Philippes presque un mois. On peut dire que nous n’avons pas eu le temps de nous ennuyer. Paul s’intéressait à notre teinturerie. Mais, dès que notre travail était moins urgent, nous nous asseyions avec lui pour relire l’Écriture à la lumière des paroles et des œuvres de Jésus. À chaque Sabbat, nous allions rejoindre nos frères et sœurs juifs et sympathisants au bord de la


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rivière. Et le premier jour de la semaine, ceux et celles qui s’étaient engagés sur la Voie de Jésus se retrouvaient chez l’un ou l’autre d’entre nous pour partager la nourriture que nous apportions. Alors Paul faisait mémoire de la dernière Cène de Jésus et nous partagions le pain et le vin de sa présence. Les ennuis ont commencé drôlement. L’un de nos voisins, Fortunatus a une petite esclave à laquelle il tient beaucoup. Nympha a le don de voyance et son maître sait bien en tirer profit. Un jour de Sabbat, alors que nous nous rendions ensemble au lieu de prière, Nympha s’est mise à nous suivre et elle criait que Paul et ses amis étaient des prophètes qui annonçaient la voie du salut. Nous nous sommes payé une bonne partie de fou rire. Mais Paul n’avait pas du tout envie de rire et il la rabrouait durement. Cela a recommencé la semaine suivante. Alors là Paul n’a plus supporté et il a expulsé d’elle l’esprit qui l’habitait. Nympha avait perdu son don de voyance ! Colère de Fortunatus jeté dans l’infortune ! De quel droit le prive-t-on de son trésor ? Le voilà donc qui porte plainte auprès des deux magistrats romains que l’on appelle ici les « stratèges ». Paul et Silas sont convoqués devant leur tribunal et on leur reproche de « jeter le trouble dans la ville en prônant des usages qui ne sont pas permis aux Romains ». N’importe quoi ! Les juges bien embarrassés décident de ne pas décider. On donne à nos amis quelques gifles et on les met en prison jusqu’au lendemain. Même pour une seule nuit, la prison n’est pas une partie de plaisir. Paul et Silas nous ont raconté qu’on leur avait attaché les pieds au mur : couchés par terre, ils ne pouvaient guère changer de position. Ils se sont alors mis à prier tout haut et à chanter des psaumes. Les autres prisonniers, nous dirent-ils, se joignaient à leur chant. C’est alors qu’a eu lieu le fameux tremblement de terre qui a secoué toute la région et qui a fait bien des dégâts. Notre


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teinturerie a tenu bon ; ce sont les plus pauvres, comme d’habitude qui ont le plus souffert. Affolement à la prison. Les murs se sont fissurés et les chaînes se sont descellées. Le gardien chef, nommé Justus, arrive en courant. Dans la nuit, il croit que les détenus se sont évadés et il crie son désespoir. La suite, c’est Silas qui nous l’a racontée. Paul, toujours dans la nuit complète, crie à Justus que tout va bien. Tout le monde est sain et sauf et personne n’est parti. Justus est tellement impressionné qu’il recueille dans sa maison Paul et Silas. Aidé de sa femme et de ses enfants, il soigne leurs blessures, il les fait parler et il demande à connaître ce Jésus qui les rend tellement maîtres de la situation. En quelques heures, les voilà conquis et Justus demande le baptême pour toute sa maison. La nuit se termine par un repas de fête. Pendant ce temps-là, tout le monde courait dans la ville pour réparer les dégâts les plus graves. Les stratèges avaient vraiment autre chose à faire que de s’occuper de ce procès ridicule dont les charges étaient inexistantes. Ils envoient donc deux licteurs pour qu’on libère les prisonniers. Allant prendre des nouvelles de nos amis, je me suis trouvée, en même temps qu’eux devant la maison de Justus. Alors là, malgré le tragique de la situation, j’ai ri comme jamais. Paul est sorti au-devant des licteurs et sèchement il leur a dit : « Nous libérer comme cela ? Trop facile ! S’ils avaient pris la peine de nous écouter hier soir, je leur aurais dit que nous sommes citoyens romains. Ils ont fait tabasser publiquement des citoyens romains et maintenant ils veulent nous jeter dehors clandestinement ! Pas question ! J’exige qu’ils viennent personnellement nous libérer ! » Eh bien ! Croyez-moi, si vous le voulez Les stratèges sont venus. Ils se sont excusés auprès de leurs « concitoyens ». Et ils les ont priés poliment de quitter la ville.


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Dès le lendemain, nous avons donné à Paul et à Silas des provisions pour la route, nous les avons accompagnés quelque temps et ils ont poursuivi leur marche en direction de Thessalonique. Timothée est resté quelques jours avec nous et Luc un peu plus longtemps. Ils nous ont aidés à organiser notre petite communauté. En effet, les Juifs qui ne reconnaissaient pas Jésus comme messie ne nous ont plus considérés comme des leurs et nous avons donné toute leur importance à nos réunions dans les maisons de certains d’entre nous. J’ai eu la joie de faire découvrir le salut apporté par Jésus à deux de mes amies, Évodia et Syntyché. Elles ont ouvert leur maison à leurs propres amis à qui elles ont communiqué la bonne nouvelle. J’espère qu’elles sauront s’entendre, car il faut reconnaître que nous avons du tempérament, les unes et les autres. Nous avons appelé, parmi nous, beaucoup de personnes qui ont réussi dans le commerce. Comme nous savions que Paul, parti pour la Grèce, désirait, au-delà d’Athènes, gagner Corinthe où, dit-on, les pauvres sont nombreux, nous avons décidé, entre nous, de l’aider à rester indépendant financièrement et nous avons confié un petit pécule à Timothée qui partait le rejoindre. Je ne sais comment il aura reçu ce cadeau. Il reste pour moi un mystère. Mais nous lui devons le plus précieux de notre vie. '


Priscille, marchande de tentes à Corinthe Un couple missionnaire Priscille et Aquila, on ne peut les séparer. À la différence de Lydie, ils sont juifs. Comme beaucoup de leurs coreligionnaires, ils parcourent le bassin méditerranéen pour vivre de leur métier, mais aussi parfois pour fuir des menaces de persécution. Quand Paul les rencontre à Corinthe (Actes , -), ils viennent d’arriver de Rome. Un an et demi plus tard, Paul se mettra en route vers Jérusalem, ils l’accompagneront jusqu’à Éphèse. Et quand, plus tard, Paul écrira aux chrétiens de Rome, on apprendra qu’ils sont à nouveau dans la capitale de l’empire et que des chrétiens se réunissent dans leur maison. (Romains , -) Et Paul en profite pour ajouter qu’il leur doit la vie. Ils exercent la même profession que Paul : tisserands et tailleurs de tentes et de vêtements. Ce qui contribuera sans doute à leur rencontre providentielle dans la grande ville de Corinthe. On peut aussi supposer que, comme Paul, ils étaient descendants « affranchis », ce qui faisait d’eux des citoyens romains et leur donnait un réseau de relations privilégiées. Ce n’est pas Paul qui leur a fait connaître Jésus. Ils avaient déjà rencontré à Rome des disciples de Jésus. Ainsi dans les Églises naissantes, deux formes d’annonce coexistaient. Paul


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annonçait la profondeur du mystère : Dieu s’est fait l’un de nous jusqu’à connaître la mort ; il est ressuscité et il nous entraîne dans sa résurrection pour faire de nous les enfants du Père. On a l’impression que Paul ne veut pas en savoir plus ! Mais ceux qui, à la différence de Paul, avaient vu et entendu Jésus vivant racontaient le concret de sa vie parmi les pauvres, ses miracles, ses paraboles… C’est sans doute ce qu’avait fait Luc dans la maison de Lydie, à Philippes et c’est ce que transmettaient Priscille et Aquila à Corinthe. Cet homme et cette femme qui ont tant rendu service à Paul ne se contentent pas en effet d’être exécuteurs de ses ordres. Ils prennent des initiatives. Lors de leur séjour à Éphèse, ils rencontreront Apollos qui venait d’Alexandrie. Cet homme connaissait le message de Jésus, mais n’avait entendu parler que du baptême de Jean Baptiste. Priscille et Aquila complèteront donc sa formation. Puis ils l’enverront à Corinthe avec une lettre de recommandation (cf. Actes , -).


vec Aquila, mon époux bien-aimé, nous étions arrivés à Corinthe depuis six mois quand la Providence a conduit chez nous Paul avec ses deux compagnons, Silas et Timothée. Avec quelques frères et sœurs de notre peuple, nous avions jugé prudent de quitter Rome, car l’empereur avait fait fermer notre synagogue. Changer de ville ne nous a jamais beaucoup inquiétés. On peut dire que nous sommes des êtres « de passage » et, dans toutes les villes de l’Empire, nous trouvons rapidement des amis. Aquila est passé maître dans la fabrication et la réparation des tentes, en tissu ou en peaux. Pour ma part, je me débrouille assez bien dans la partie commerciale. Paul a frappé à notre porte parce qu’il pratique le même métier et qu’il lui fallait gagner sa vie. Quelle stupeur de découvrir, le lendemain, qu’il était, en réalité, arrivé à Corinthe pour annoncer la bonne nouvelle de Jésus. Nous avions, pour notre part, rencontré à Rome un ancien compagnon de Jésus qui nous avait gagnés à sa foi et nous avait donné le baptême en son nom. Paul a commencé à travailler dans notre atelier. Mais pendant que ses mains s’activaient, il ne cessait de parler. Parfois il était amené à retoucher des capes sur le dos de clients ou de clientes ; il ne manquait pas l’occasion de faire part alors du feu qui l’habitait. On comprenait en l’écoutant qu’il avait été à l’école des meilleurs pharisiens de Jérusalem. Il racontait qu’il n’avait jamais vu Jésus de son vivant. Il avait commencé par persécuter avec ardeur les premiers chrétiens. Soudain Jésus vivant avait mis à terre toutes ses certitudes. Il s’était manifesté à lui et Paul savait désormais qu’il était le Christ et que personne d’autre ne pourrait nous apporter le salut.

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Dès le sabbat suivant, Paul et les siens sont allés à la synagogue et nous les avons accompagnés. Très vite, cela a tourné au scandale. Paul osait dire, clairement et sans crainte, ce que nous pensions depuis que nous avions commencé à suivre la voie de Jésus. « Le projet de Dieu sur nous est si grand que l’observance de la Loi ne peut suffire à le réaliser. Cela ne peut que nous être donné gratuitement. C’est la confiance faite à Jésus qui sauve notre vie en faisant de nous des fils et des filles de Dieu à sa suite ». C’était bien la conséquence logique de notre foi ; mais jamais nous n’avions eu les mots pour l’affirmer avec une telle audace. À mesure que Paul parlait, nous voyions bien la tension monter. Soudain, ce fut un grand tumulte. Nous avons été jetés à la porte. Quelques jours plus tard, notre ami Crispus qui était alors chef de la synagogue est venu nous dire qu’il adhérait à notre foi. Il a été à son tour considéré comme païen par les Juifs du quartier. Paul nous a paru profondément blessé. Il aimait passionnément son peuple. Comme nous, il savait qu’en donnant notre foi à Jésus nous étions plus que jamais fidèles à la tradition de nos pères. Il voyait que, dans celui qu’il appelait le Christ, Dieu réalisait en plénitude son œuvre pour l’humanité. Nous autres, venus de Rome, nous avions entendu parler des personnes qui avaient côtoyé cet homme Jésus. Ils nous avaient raconté sa tendresse pour les plus pauvres, sa compassion pour les malades, son respect pour les femmes, sa joie au milieu des enfants. Ils nous avaient raconté les paraboles qu’il inventait pour faire comprendre la nouveauté du Royaume. Ils nous avaient rapporté les dernières paroles qu’il avait prononcées avant de mourir. Nous l’avions reconnu : il était celui qui accomplissait ce que les prophètes avaient annoncé de Dieu. Paul était affecté, mais pas du tout surpris. C’était comme s’il s’était attendu à ce qui était arrivé. Dans les jours qui ont suivi, il nous a raconté ce qu’il avait vécu, avec ses compagnons, à An-


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tioche de Pisidie, à Iconium, à Lystre et dans un grand nombre de villes. Lui et ses amis s’étaient toujours d’abord adressés aux Juifs de la ville. À chaque fois, éconduits, ils s’étaient tournés délibérément vers les Grecs. Or, leur annonce avait été accueillie avec joie. Paul nous a raconté comment sa venue jusqu’à Corinthe était le résultat de l’hostilité des Juifs qui l’avaient chassé de Thessalonique puis de Bérée. C’est alors qu’avec Aquila nous avons compris ce que nous devions faire. Nous étions tous les deux des descendants d’affranchis. Ce statut nous mettait un peu à part, aussi bien vis à vis des esclaves que des hommes libres. Mais, dans une grande ville comme Corinthe, il existe une véritable solidarité entre les affranchis. Nous nous connaissons, nous nous rendons visite, nous savons que nous pouvons toujours trouver de l’aide les uns auprès des autres. Que nous soyons grecs ou juifs, il y a entre nous une connivence qui dépasse les frontières et les appartenances religieuses. Paul n’a pas eu de mal à comprendre notre projet. N’est-il pas lui-même fils d’affranchis ? Je passais une bonne partie de mes journées à courir la ville pour notre commerce. Je suis passée chez plusieurs de nos amis grecs et je leur ai parlé de Paul et de son message. Plusieurs m’ont dit leur désir d’en savoir plus et nous avons convenu des soirées organisées chez eux, avec certains de leurs amis. C’est ainsi que sont nés ces petits groupes où nous avons pris l’habitude d’écouter Paul qui nous parle du Christ. Nos amis découvrent, avec émerveillement la parole de nos prophètes qu’ils ignoraient jusque là. Nous prions ensemble en suivant les paroles des Psaumes. Leur joie est grande de découvrir que Jésus les fait entrer dans l’alliance promise sans qu’ils aient à se plier aux contraintes légales des Juifs. Bientôt Paul a dû renoncer à travailler dans notre atelier. Je lui ai trouvé un petit logement auprès de chez nous pour pouvoir mieux


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veiller sur lui ; mais je dois être très discrète car il supporte mal de dépendre de quelqu’un d’autre. Nous avons tous un peu de mal à le suivre. C’est un homme tourmenté qui ne cesse de porter le souci de toutes les communautés qu’il a fondées au long de ses périples. Il vient d’écrire une lettre aux chrétiens de Thessalonique et Timothée s’est mis en route pour la leur porter. Il faut reconnaître que notre ami n’est pas toujours facile à vivre. Lorsqu’il a l’impression que l’on risque d’édulcorer la grande nouveauté apportée par le Christ, il se met facilement en colère. Il dit souvent que ce qui paraît folie pour les hommes, c’est cela qui est sagesse de Dieu. Certains autres jours, nous le voyons abattu et découragé. Je m’efforce alors de lui cuisiner quelque bon plat de Palestine ; mais je ne sais s’il y fait vraiment attention. En réalité, ce qu’il a eu à souffrir dans ses voyages a compromis sa santé. J’ai beaucoup d’amitié pour Phoebée. Elle habite à Cenchrées qui est à deux heures de marche de notre faubourg. Elle et son mari sont parmi les premiers qui ont accueilli la foi au Christ. Corinthiens d’origine, ils ont bien réussi dans le commerce des étoffes. La grande maison qu’ils se sont fait construire, non loin de la mer, est vite devenue le centre d’une petite communauté de croyants. Les femmes y sont les plus nombreuses. Paul participe à leurs rencontres pour poursuivre leur formation. Quand je suis libre, je suis heureuse de m’y rendre aussi. La situation est parfois un peu comique. Paul, pris dans son élan, nous conduit vite au septième ciel. Alors il m’arrive de l’interrompre pour illustrer ses propos avec des souvenirs qui me reviennent de ce qu’on m’a raconté à Rome. J’aime raconter les paraboles que Jésus nous a laissées : ce fils qui revient vers son père après avoir dépensé tout son héritage, ce pauvre assis à la porte d’un riche et qui se retrouve dans le sein d’Abraham, ce berger qui part dans le désert à la recherche de sa brebis perdue… Paul supporte avec patience mes interventions. Mais je sens bien qu’il n’aime pas trop que les


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femmes prennent la parole en public. C’est pourtant bien lui qui nous dit que, dans le peuple nouveau, il n’y a plus de différence entre les hommes et les femmes, pas plus qu’entre les esclaves et les hommes libres, ni entre les Juifs et les Grecs. Une autre communauté se réunit chez Stephanas. C’est lors d’une rencontre chez lui que Paul nous a parlé de ce qu’il appelle la grande collecte. Il en avait déjà touché un mot à Aquila. C’est une affaire difficile et douloureuse, car Paul a horreur de demander de l’argent. Il nous a raconté, ce jour-là, qu’il a vécu une situation très conflictuelle avec les responsables de la communauté de Jérusalem. Il avait commencé, avec Barnabé, à convertir des païens à Antioche et Jacques avait exigé que ces gens deviennent d’abord des Juifs. Il y avait eu, à Jérusalem, un grand débat que Pierre avait arbitré. Paul avait eu le dernier mot. Mais il s’était cru dans l’obligation de promettre que les Églises nouvelles qu’il voulait fonder enverraient une aide financière aux chrétiens les plus pauvres de Palestine. Il faut dire que les premiers disciples de Jésus étaient tellement persuadés que la fin des temps était imminente qu’ils avaient arrêté de travailler et qu’ils avaient vendu leurs biens. Partout où Paul est passé, il a confié aux premières communautés le souci de cette promesse qu’il avait faite. Il ne parvient pas à savoir quelle suite a été donnée à cette demande. Il a seulement la conviction que la communauté de Philippes a commencé cette collecte. Il a une grande confiance en Lydie qui l’a accueilli dans cette ville et chez qui la communauté se réunit. Dans cette mission qui lui est confiée, Paul voit un signe du partage que notre Église est appelée à vivre. Il aime dire que nous avons été choisis pour devenir les membres d’un même corps dont le Christ est la tête. Aucun de nous n’a à envier ce que l’autre peut faire : chaque membre a une mission irremplaçable pour la vie de l’ensemble du corps. En l’écoutant, je ne peux m’empêcher de penser à ce que j’ai entendu à Rome : Jésus aurait dit après avoir chassé


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les marchands du temple de Jérusalem : « Détruisez ce temple et je le reconstruirai en trois jours. » Bien sûr, il parlait de son corps ressuscité. Je crois que nous sommes ensemble ce corps qui est train de ressusciter pour montrer au monde le vrai visage de Dieu. Il y a ainsi à Corinthe six petites communautés qui se réunissent chaque semaine pour écouter la parole et pour prier. C’est chez Gaius que nous trouvons une maison assez grande pour accueillir toute l’Église. Gaius est affranchi comme nous et il est devenu fonctionnaire municipal. C’est toujours le premier jour de la semaine que nous nous rassemblons chez lui pour faire mémoire de la résurrection où le Christ nous entraîne. Nous lisons quelques passages de la Loi et des Prophètes. Ceux qui le veulent expriment leur commentaire. Nous chantons des Psaumes. Ensuite, celui qui préside exprime notre louange autant que son cœur l’inspire. Puis il prend le pain, il le partage et il redit les paroles de Jésus : « Ceci est mon corps brisé pour vous. Prenez et mangez ». Puis il prend la coupe de vin et il dit : « Ceci est mon sang versé pour la multitude. Prenez et buvez. » C’est la tradition que Paul a reçue à Antioche de Syrie. C’est bien la même que nous avons reçue à Rome. C’est au cours d’un repas que nous célébrons ainsi la mort et la résurrection de Jésus. Chaque famille apporte le nécessaire. À chaque fois, Paul insiste pour que nous mettions tout en commun. Mais ce n’est pas du tout dans nos habitudes. Et je crois que Paul aura encore bien des occasions de se fâcher. Voilà presque une année que Paul est parmi nous. Sa mission est devenue la nôtre et nous sommes décidés à le suivre là où il ira porter la parole. Aquila pense que nous pouvons l’aider à s’organiser. Et moi, je pense qu’il aurait besoin de mettre un peu de fantaisie dans sa vie et d’accepter, de temps en temps, de rire de lui-même. '


Marie de Nazareth s’est mise à leur écoute Marie sa mère était parmi celles qui le suivaient On sera peut-être étonné de la place modeste que nous avons donnée à Marie de Nazareth parmi les femmes qui accompagnaient Jésus. C’était sans doute la place qu’elle tenait, celle qu’elle désirait. Il faut bien comprendre qu’en cette année cinquante, rien n’est encore écrit de ce qui deviendra le Nouveau Testament. Marie est loin de se douter qu’elle sera au centre d’une réflexion théologique qu’on appellera la mariologie. Comment pourrait-elle prévoir qu’à la fin du IIe siècle, saint Justin, puis bientôt saint Irénée compareront son rôle, dans l’histoire du salut, à celui d’Ève. On est loin des grands débats théologiques d’Éphèse et de Chalcédoine qui, au Ve siècle, aboutiront à faire de Marie la « mère de Dieu ». Le bonheur de Marie, c’est d’être « la servante du Seigneur ». On peut imaginer que, sur les routes de Palestine, elle a rempli cette mission en se mettant à l’écoute, non seulement de Jésus, mais de chacune des personnes qui le rencontraient. Elle savait en effet que la parole de Dieu surgit de toute rencontre entre des personnes qui parviennent à être vraies. Et c’était sans doute le premier cadeau apporté par Jésus : il permettait à


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chacun d’être lui-même… de devenir le meilleur de lui-même. Marie savait que, pour réaliser cette œuvre de recréation, il n’y avait pas trop d’oreilles attentives dans leur groupe. Et après le départ de Jésus, on imagine facilement qu’elle a continué cette œuvre de mise au monde en aidant chacun et chacune de ceux qui l’avaient suivi à se souvenir. Ce travail de mémoire, cela ne consistait pas seulement à retrouver ce qui s’était passé, mais à en déchiffrer le sens ensemble. Avec les premiers chrétiens, elle découvre alors que l’Esprit de Jésus est là avec eux et qu’il leur fait comprendre ce qu’ils ne pouvaient pas encore porter alors qu’il leur parlait. Pendant ces années, dans la maison de Jean, elle « méditait toutes ces choses dans son cœur ». Et on peut supposer que ce cantique d’Anne qu’elle avait chanté avec Élisabeth, cinquante ans plus tôt, elle le ruminait en le transformant insensiblement. Elle disait : « Désormais tous les âges me diront bienheureuse, car le Seigneur a fait pour moi des merveilles. »


oilà que je suis devenue une vieille femme. Et pourtant j’ai l’impression que, chaque jour, mes yeux découvrent, pour la première fois, ce fils qui m’a été donné. Pendant trente ans, il a vécu parmi nous une vie tout à fait ordinaire, si ordinaire que, quand il a commencé à prendre la parole en public, les hommes de chez nous ont voulu le remettre à sa place. Après tout, il n’était que le charpentier de notre village. Les meubles qu’il fabriquait étaient comme ceux que Joseph avait fabriqués avant lui, ni mieux ni moins bien. Les charpentes qu’il réparait tenaient bon, mais comme on l’avait fait avant lui. À chaque sabbat, il se tenait parmi les hommes, à la synagogue, et il écoutait la lecture et les commentaires de notre rabbin sans se faire remarquer. À la maison, ce que je goûtais le plus, c’était son bonheur de vivre. Il s’émerveillait pour les plus petites choses. Il s’étonnait de ce que vivaient les petites gens de notre voisinage. Ce que disaient les enfants le faisait rire aux éclats. Et quand nous priions les psaumes, il les illustrait par ce qu’il avait vu et entendu. Je l’admirais en silence. Mais je savais bien, et mes sœurs me le rappelaient : pour une maman, son fils est le meilleur de tous, surtout si c’est son unique. Mais il y avait une ombre à ma joie. Quelle mère accepte, avec l’esprit tranquille, que son fils atteigne l’âge de trente ans sans fonder une famille. Parfois, un doute traversait mon esprit : « Tu le couves trop. C’est parce qu’il ne veut pas t’abandonner. Il a trop bon cœur. Tu ne sais pas le laisser aller. » C’était sans doute ce que pensaient certaines de mes voisines. Mais je voyais bien que cela ne tenait pas. Il suffisait de le regarder vivre pour savoir qu’il n’avait pas peur de la vie. Il n’avait pas davantage peur pour moi. Je voyais

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bien aussi que bien des filles de Nazareth auraient accepté avec joie de l’épouser. Simplement il avait un autre projet. Et je ne suis même pas certaine qu’il l’ait lui-même bien connu, ce projet. C’est lors de ce repas de noce, à Cana, que les choses ont commencé à se mettre en route. Très vite, je me suis rendue compte que quelque chose allait de travers : la fête courait le risque de tourner court faute de vin. J’ai senti que cela le concernait. Tel que je le connaissais, il ne pouvait pas assister passivement à l’échec d’un repas de noce. Je ne saurais redire les paroles que nous avons échangées. Je me souviens lui avoir dit qu’il était temps qu’il s’y mette. Je me souviens aussi qu’il a manifesté une certaine résistance. Je ne saurais dire comment, mais la fête a repris de plus bel. Il y avait longtemps qu’il m’avait habituée à accueillir des signes et à les retourner dans mon cœur… J’attendais ses noces. Ce ne serait pas comme j’avais rêvé. Ce que nous étions en train de vivre était le commencement d’autres noces. Je sentais que ce ne serait pas sans souffrances, mais que c’était le commencement d’une grande aventure. Et je voyais bien comme il participait pleinement à cette fête. Ce jour-là, j’avais livré, avec lui, une sorte de combat de Jacob. Je me souviens que, justement, à cette occasion, il m’a appelée « femme », comme il le faisait parfois dans des moments un peu solennels. Cela ne me choquait pas. Je devinais ce qu’il voulait me dire : « Ce qui te fait grande, ce n’est pas seulement d’être l’épouse de Joseph, ce n’est pas seulement d’être ma mère, ce n’est pas seulement d’avoir une parole de sagesse parmi mes disciples. Ce qui te fait grande, c’est d’être cette femme, cette personne humaine, unique sous le regard de mon Père, image tout à fait inédite de son amour. » C’est ce que j’ai compris avec plus de force quelques semaines plus tard. Il avait fait un passage rapide à Nazareth, avec quelques


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uns de ses disciples, et les gens l’avaient chassé avec violence. C’est alors que les hommes de notre famille ont pris peur : le comportement de Jésus risquait de nous attirer des ennuis. Ils ont déclaré que Jésus perdait la raison ; ils ont annoncé qu’ils allaient le ramener à la maison et le remettre au travail. Ils exigeaient que je les accompagne. Je ne me faisais aucune illusion ; je savais que Jésus ne se laisserait pas ramener à la maison comme un enfant. C’est avec joie que j’ai accepté de les accompagner Quand nous sommes arrivés à Capharnaüm, la maison qu’on nous a indiquée était pleine de monde. J’ai senti que tous ces gens l’aimaient et cela m’a rassurée. Nous ne sommes pas entrés. Jacques et José ont réclamé que Jésus sorte au-devant de sa mère et de ses frères. Il y a eu un moment de silence et nous avons entendu distinctement Jésus dire : « Ma mère, mes frères, c’est vous tous qui écoutez la parole. » Certaines des femmes qui se trouvaient là et qui m’ont parlé dans les heures qui ont suivi, m’ont dit leur crainte que ces paroles m’aient blessée. En réalité, elles m’avaient comblée de joie, car je comprenais que je deviendrais chaque jour davantage sa mère en me mettant à l’écoute de sa parole. C’est alors que l’une d’elles m’a raconté que, quelques jours plus tôt, elle était si heureuse d’écouter Jésus qu’elle avait crié : « Comme elle a de la chance celle qui t’a porté dans son ventre et qui t’a allaité de ses seins ! » Et Jésus lui avait répondu : « Dis plutôt qu’elle a de la chance la personne qui écoute la parole de Dieu et qui la met en pratique. » Cette femme avait compris qu’elle pouvait me rapporter ces paroles sans me blesser. Je découvrais que ma mission n’était pas terminée : je l’avais nourri de mon sang pendant neuf mois, de mon lait pendant plus d’un an, de ma tendresse et de ma fatigue pendant trente ans. Et maintenant je pouvais, par mon écoute, nourrir sa parole, lui donner toute son ampleur. Je suis rentrée à Nazareth avec Jacques et José. Mais cette journée passée à Capharnaüm m’avait convaincue que ma place était


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dans son groupe de disciples. Quelques semaines plus tard, avec ma grande sœur Marie, nous avons décidé de le rejoindre. Tout de suite, j’ai remarqué la surprise des gens quand nous arrivions dans un bourg : ils voyaient, dans le groupe de Jésus, un certain nombre de femmes qui manifestement y trouvaient bien leur place. Il me semble que, pour Jésus, leur présence était importante. Et pas d’abord parce qu’elles rendaient service. Il disait souvent que les gens instruits ne comprennent pas tout, et surtout les choses les plus importantes pour le bonheur ; mais que ces choses-là, Dieu les révélait aux simples et aux petits. Chez nous, depuis des siècles, les femmes sont parmi les simples et les petits. Jésus n’appelait pas les femmes. Il accueillait toutes celles qui choisissaient de le suivre, quelle que soit leur réputation. J’en connais plus d’une qui étaient en rupture avec leur mari et qui sont parvenues à se réconcilier avec lui après avoir fait route avec Jésus. Je me souviens par exemple de Rébecca qui avait failli être lapidée à Jérusalem. Elle était venue me présenter son petit Jésus quelques jours avant que le mien soit arrêté. S’il accueillait les femmes, ce n’était pas du tout parce qu’il aurait eu pitié d’elles. Ce n’était pas non plus par provocation. C’était parce qu’il avait besoin de les voir et de les entendre. Il désirait entendre la vérité qui germe dans le cœur des humains, de tous les humains. Je me demande même si elle ne germe pas de la rencontre entre les hommes et les femmes. J’ai souvent constaté que Jésus semblait y voir plus clair après ces longues conversations qu’il avait avec Marie de Magdala. Parmi toutes les choses qui ne cessent de m’étonner quand je me souviens de ce qu’il a vécu parmi nous, je revois avec quelle attention il écoutait ce que disaient les femmes, comme s’il découvrait d’elles ce qu’il ne pouvait savoir, lui un homme. Celui que Dieu nous avait envoyé avait besoin d’apprendre des choses nou-


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velles de la bouche des simples et des petits. Je me dis qu’il avait besoin, comme chacun d’entre nous, d’apprendre ce que c’est que d’être un humain. Sarah que Jésus avait guérie de la honte d’être femme me disait : « Quand Jésus regarde ce que nous vivons, nous les femmes comme les hommes, il nous dit qu’il y déchiffre l’amour de son Père. Et sous ce regard d’admiration et de joie, je découvre, moi, que Dieu n’est pas du tout ce que j’avais cru jusque-là. » Naturellement, ces choses intimes, nous ne pouvions les dire qu’entre nous, les femmes. C’est pourquoi, dans le groupe de ceux qui suivaient Jésus, nous nous retrouvions le plus souvent entre nous. Nous pouvions plus facilement nous comprendre à demi-mot. Et puis il fallait partager ce que les hommes ne peuvent comprendre. Il était clair qu’au sujet de Jésus les hommes s’intéressaient surtout à ce qu’il réalisait et aux idées qu’il émettait. Il fallait en effet que tout cela soit recueilli. Mais je crois que souvent leur échappaient d’autres signes qu’il nous a laissés. Souvent nous nous disions : « Tu as vu quel était son sourire quand il parlait à cette personne. Tu as vu comme il se penchait vers ce malade. Tu as remarqué comme son visage était triste quand il écoutait cet autre, et comme il posait sa main sur son bras. Tu te souviens comme son rire était éclatant quand il nous a fait cette surprise… » Anne, la belle mère de Pierre, était tout particulièrement sensible à la manière dont il prenait dans sa main celle des malades. Voilà, nous entendions et nous voyions des choses fugaces et nous avions l’impression qu’elles disaient de l’éternel. Alors, il fallait bien que soient recueillies toutes ces perles cachées. Le rire de Jésus nous a tout particulièrement saisies, nous autres les femmes. La première qui me l’a fait remarquer, c’est cette femme de Samarie chez qui nous avons logé pendant trois jours. C’était un rire étonné devant les inattendus de la vie. C’était comme s’il criait à son


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Père : « Vraiment quelle imagination ! » Nous sentions que cela le remplissait de bonheur. Voila sans doute la plus grande révélation qu’il nous a faite. Il était heureux et il désirait avec passion que nous entrions dans son bonheur. Dieu sait pourtant si toutes les souffrances humaines venaient vers nous ; elles retentissaient dans son cœur. Pourtant c’était bien son bonheur d’abord qui sautait à nos yeux et à nos oreilles et qui explosait quand il riait, et c’était souvent. Ce bonheur, nous le sentions tout particulièrement quand il priait. Le plus souvent, pour cela, il se retirait à l’écart, parfois il gravissait une colline. Mais souvent aussi spontanément, quand un évènement l’y invitait, il proclamait un psaume, ou le plus souvent il le chantait. Nous unissions nos voix à la sienne. Nous les femmes, nous ne manquions pas l’occasion de danser, et c’était tout notre être qui se mettait ainsi en prière. On sentait bien que Jésus en éprouvait beaucoup de joie. Quand nous parlions entre nous, nous étions frappées par l’importance qu’il donnait à toutes les petites choses de la vie : une fleur, un brin d’herbe, un oiseau, le murmure du vent… Toutes ces merveilles cachées l’étonnaient, comme si cela lui rappelait quelque chose. Nous étions frappées, et ma sœur aînée me l’a souvent fait remarquer, comme il attachait de l’importance aux enfants, pas seulement pour nous faire signe, mais parce que chacun d’eux était déjà une personne qui avait quelque chose d’intéressant à dire et qu’il ne fallait pas laisser perdre. Parmi toutes ces petites choses qui avaient, pour lui, du prix, il y avait naturellement la nourriture que nous essayions de préparer pour tout le groupe malgré notre manque d’installation. Nous connaissons toutes des hommes qui mangent sans penser à apprécier ce qui est bon, parce qu’ils sont occupés, pendant leur repas, à penser ensemble à des choses sérieuses. « Tu te rends compte, me disait parfois Marthe quand nous passions chez elle à Béthanie, un


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plat cuisiné avec soin, c’est de l’amour, alors, c’est quelque chose de divin. » Je vous prie de croire qu’elle savait de quoi elle parlait parce qu’en bonne cuisine, elle s’y connaissait. Cette manière d’aimer était devenu pour elle un art. Jésus, en même temps qu’il affinait ses propres papilles, avait su faire grandir, chez Marthe, cette sagesse qui a bien quelque chose à voir avec la saveur. Après toutes ces années, nous restons surprises de l’importance que Jésus donnait aux repas. À chaque fois, c’était comme quelque chose de sacré. Pas seulement à cause de toutes ces bonnes choses de la création qui nourrissaient notre vie. C’était comme s’il voulait, dans chacun de ces repas, nous faire vivre un peu plus de lui. Salomé, la mère de Jacques et de Jean, me confiait souvent cet étonnement qui la prenait. Elle avait toujours eu la conviction que le chef, c’est celui qui se fait servir. Et elle n’arrêtait pas de s’émerveiller en voyant Jésus se mettre à notre service, comme s’il voulait nourrir notre vie de la sienne. Maintenant que nous célébrons, le premier jour de chaque semaine, la mémoire de son dernier repas avec nous, nous faisons l’expérience qu’il revient pour nous entraîner dans son passage. Cette femme de Naïm, à qui Jésus avait rendu son fils vivant, y avait beaucoup réfléchi : « Ce n’est pas pour cette vie là qu’il nous ressuscite, c’est pour la vie avec son Père », me disait-elle en cherchant à exprimer l’indicible. Quand je me souviens de ces longues conversations que nous avions sur la route, je comprends mieux comment Jésus a mis mon cœur en chemin depuis le premier jour où je l’ai accueilli. C’était une parole toujours nouvelle qui se disait en moi. En même temps que je la retournais en moi, je savais qu’elle me retournait. Mais cette parole intérieure, j’ai toujours eu besoin de lui chercher des mots, de trouver auprès de moi une oreille complice qui accepte de deviner l’indicible à travers mes balbutiements.


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Cela avait commencé avec Élisabeth chez qui j’étais allée passer trois mois. Je me souviens que, ne sachant comment dire la merveille qui nous était donnée, nous murmurions le chant d’Anne célébrant la naissance de son petit Samuel : « L’arc des forts sera brisé, mais le faible se revêt de vigueur. Les plus comblés s’embauchent pour du pain et les affamés se reposent… Le Seigneur rend pauvre et riche, il abaisse et il élève. De la poussière, il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre… » Au long des jours, nous jouions avec ce beau poème ; nous le redisions avec nos mots d’aujourd’hui et notre cœur se dilatait de joie. Au long des années, cela a été avec Joseph, et avec mes sœurs que je cherchais des mots pour dire mon étonnement de chaque jour devant ce fils tout à fait mien et en même temps reçu d’ailleurs. La fugue qu’il avait faite à douze ans au Temple de Jérusalem nous avait ouvert les yeux. Il était l’un des nôtres, bon fils, bon charpentier, bon voisin ; mais aussi le regardant vivre, nous devinions en lui une manière d’être homme inespérée, image et ressemblance du Père. Et chacun d’entre nous, s’il y prêtait attention, se sentait appelé, sous son regard, à croire en ses désirs les plus fous. C’est parce que nous pouvions, sans crainte, entre femmes, nous dire ces balbutiements, et bien d’autres, qu’il nous était possible de méditer, dans nos cœurs, les merveilles que sa présence nous révélait. Vous parlerai-je de ces jours d’angoisse et de douleur que nous avons vécus à Jérusalem ? Je l’avais assez écouté sur les routes pour avoir compris, comme lui, qu’on ne ferait pas l’économie de cette grande injustice. Mais je savais aussi que notre Père en faisait le chemin de la justice. Je crois que ma plus grande souffrance a été de comprendre comme il était navré de l’endurcissement de ses ennemis et de la lâcheté des foules qui l’avaient pourtant acclamé peu de jour auparavant.


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Quand il a été mis au tombeau, je savais qu’il n’y avait plus rien à attendre. Comme il l’avait dit, tout était accompli. Je ne savais pas comment Dieu nous le manifesterait, mais j’avais la conviction que l’amour désormais était le plus fort. Les années ont passé. Quelque temps après son départ, on a commencé à nous appeler « les chrétiens ». Nous attendons toujours son retour. Mais nous commençons à comprendre que, ce retour, il veut peut-être le faire au long de plusieurs années. Et pourquoi pas au long de plusieurs siècles ? Alors bien sûr, ses apôtres ont dû organiser nos communautés. Toutes les fois que Couza a des affaires à traiter à Jérusalem, Jeanne ne manque pas l’occasion de l’accompagner et, naturellement, elle vient parler longuement avec Jean et avec moi. Cette question de l’organisation des communautés l’intéresse particulièrement. Elle est contente de voir que les choses se mettent en place. Mais parfois elle me dit : « J’espère que, dans les années à venir, ils trouveront le moyen de confier aussi des responsabilités aux femmes. Nos communautés ne peuvent qu’y gagner. » Comme elle, je crois que c’est le désir de Jésus et je vis de cette espérance.

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Table des matières

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

Ouverture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Anne, belle-mère de Simon Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Marie de Magdala . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Une femme en Samarie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Une femme qui perdait son sang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Marie, femme de Clopas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Une femme sauvée de la lapidation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Marthe de Béthanie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Jeanne, femme de Couza . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Salomé, mère des fils de Zébédée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Une veuve qui avait perdu son fils unique . . . . . . . . . . . . . . . . .  Une femme à qui il fut donné de voir les visages . . . . . . . . . . 


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L’Évangile au féminin

La femme de Pilate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Lydie, chef d’entreprise à Philippes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  Priscille, marchande de tentes à Corinthe . . . . . . . . . . . . . . . .  Marie de Nazareth s’est mise à leur écoute . . . . . . . . . . . . . . . 

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

Achevé d’imprimer le  mai  sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à  Gilly (Belgique).



Gérard Bessière, extrait de la Préface Jean du Mesnil est prêtre retraité à Alençon (). Il a enseigné l’histoire de l’Église au grand séminaire de Sées. Puis il a exercé divers ministères dans l’enseignement public, dans le monde de la psychiatrie et au Tchad. Il a aussi travaillé dans un centre de réinsertion sociale. ISBN 978-2-87356-371-4 Prix TTC : 13,95 €

9 782873 563714

Jean du Mesnil

« Jean du Mesnil prête vive attention à quatorze femmes, nommées dans les évangiles, dont la vie a été illuminée par le regard de Jésus. Il donne successivement la parole à chacune. Il le fait à travers une fine approche des origines chrétiennes et de… la sensibilité féminine. Depuis leur rencontre avec le jeune prophète, ces femmes ont “conservé toutes ces choses dans leur cœur”. La Bonne et Joyeuse Nouvelle a accompagné l’originalité de leurs parcours. La voix et l’expérience de chacune nous atteignent. Nous sommes en l’an , environ. Les évangiles n’ont pas encore été écrits. Les élaborations théologiques et spirituelles des décennies et des siècles à venir n’ont pas encore mûri dans les esprits. Nous accueillons dans sa fraîcheur première le bouleversement qui a transfiguré ces existences. Au long de ces confidences, on entend les mots de tous les jours, les nôtres. Et ce bel Évangile au féminin nous offre, à nous aussi, l’ineffable rencontre. »

L’Évangile au féminin

L’Évangile au féminin

Jean du Mesnil

L’Évangile au féminin Préface de Gérard Bessière


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