Vienne l'aurore

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Alexis Smets, s.j., est l’auteur de plusieurs livres aux éditions Fidélité. Il donne des retraites et des cessions dans l’esprit du Renouveau charismatique.

ISBN : 978-2-87356-373-8 Prix TTC : 9,95 €

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Alexis Smets

Cet ouvrage, véritable petite anthologie de textes et de prières sur le thème de la mort, apportera une parole d’espérance à tous ceux qui vivent le deuil d’un proche. L’originalité de la démarche réside dans le choix de ces textes, tous éprouvés « sur le terrain » par l’auteur, et dans leur agencement en divers « tableaux ». Ces textes, d’auteurs connus (Claudel, Debruyne, Rilke, Piaf…) ou d’anonymes, pourront être utilisés avec fruit lors de funérailles ou de veillées. Ils permettront aussi à ceux qui le souhaitent de « descendre à l’intérieur d’eux-mêmes » à l’occasion de cette épreuve.

Vienne l’aurore

Vienne l’aurore

Alexis Smets



Vienne l’aurore



Alexis Smets, s.j.

Vienne l’aurore Face à la mort, oser la vie !


À la mémoire d’Aude (10 ans). À la mémoire de Josée, ma sœur bien-aimée.

Nihil obstat : Daniel Sonveaux, s.j., Provincial de Belgique méridionale, 5 juin 2007

© Éditions Fidélité • 61, rue de Bruxelles • BE-5000 Namur • Belgique ISBN : 978-2-87356-373-8 Dépôt légal : D/2007/4323/13 Illustrations : Anne Piron Imprimé en Belgique


Esprit Saint, lumière intérieure, dans la terre labourée de notre vie, tu viens déposer une toute humble confiance en toi. Aussi voudrions-nous t’accueillir tout simplement, comme des pauvres de l’Évangile 1. Frère Roger, de Taizé



Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit (Jn 12, 24).

Je vais vous préparer une place… je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que là où je suis, vous aussi vous soyez (cf. Jn 14, 2-3).

Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? (Jn 11, 25-26).

Ne craignez pas pour ceux que vous laissez, votre mort en les blessant, va les mettre au monde (J. Sulivan).

Si les morts ne reviennent pas, c’est peut-être parce qu’ils ont trouvé une merveille plus grande que toute leur vie passée (Chr. Bobin).



Risquer la vie

S

’il est important pour tout être humain de donner un sens à sa vie, et s’il est vrai que c’est en risquant sa vie qu’on lui trouve son sens, alors, réveillons-nous ! Saint-Exupéry disait : « Il en est trop qu’on laisse dormir » ! Permettez-moi de vous tenir en haleine, en état de veille, tout simplement, fraternellement, en ces jours où vous vivez le deuil d’un proche, d’un ami, d’un frère. Cet ouvrage ne m’appartient pas, il est truffé d’emprunts divers, de citations, de témoignages, de réflexions diverses, d’extraits d’auteurs qui ont exprimé avec plus ou moins de bonheur un aspect de ce mystère de la destinée humaine dans lequel j’ai été plongé depuis quelques années à l’occasion des funérailles que je suis amené à célébrer régulièrement dans nos paroisses. C’est pour vous que j’ai rassemblé ces différents textes, pour vous permettre de trouver à votre tour, aujourd’hui, une manière d’exprimer éventuellement ce que vous ressentez au fond de vous. Mais, vous l’aurez deviné, je voudrais vous entraîner bien plus loin, vous permettre de descendre à l’intérieur de vous-mêmes, dans ce jardin intérieur qu’en général, nous fréquentons si peu ! Comme l’être humain peut être mal à l’aise quand il se retrouve seul, face à lui-même, face à la mort, face à sa destinée ultime. Voici, à votre intention, ces quelques chapitres que j’appellerais plus volontiers des « tableaux », comme les tableaux d’une

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exposition. Parce qu’un chapitre n’en appelle pas nécessairement un autre. Je n’avais pas du tout la prétention de publier un livre ; non, tout simplement, je pensais qu’il était bon d’inviter ceux et celles que je rencontre lors d’un deuil, à descendre au fond d’eux-mêmes, car, aujourd’hui, peut-être pour la première fois de leur vie, ils sont confrontés à la réalité de la mort. Comment rejoindre la douleur, la déchirure, mais aussi la richesse de leur vécu, de leur foi, de la sagesse accumulée au cours d’une longue vie ? Vous êtes peut-être de la race de ces pionniers de l’aventure intérieure et vous avez longtemps habité le silence et communié à la splendeur de la Vie. Mais, nous le savons bien, ce n’est pas tant la mort qui est difficile à supporter, c’est la manière dont elle est vécue par l’entourage qui fait problème ! Voilà pourquoi je voudrais pour vous, mes amis, être un témoin de l’espérance, un témoin de la foi en cette Vie qui jamais ne s’éteindra, la Vie éternelle !

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« On ne peut escalader une cime sans risquer d’en dégringoler. On ne peut découvrir le monde sans risquer d’être mis en question par mainte rencontre. Pour vivre, il faut d’avance accepter de mourir. À vouloir fuir la mort, on s’enferme dans la médiocrité. On se paralyse… La vérité, c’est que pour personne le sens de l’existence n’est d’éviter la mort à tout prix. Il n’est même pas de survivre le plus longtemps possible… L’idolâtrie de la vie, transformée en absolu, pourrait bien être une forme de la crainte avilissante de la mort et de l’absence de liberté en toutes circonstances. À ne pas vouloir vivre, on ne sait plus comment vivre. Donner un sens à sa vie, c’est avant tout inventer, créer, s’ouvrir et explorer. Sur cette voie, les risques de la mort sont inévitables. Ils ne s’opposent pas à la beauté de la vie. Ils la soulignent. On le perçoit dans l’existence de certains explorateurs, de certains savants, de certains montagnards… 2 »

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« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26, 36-46). Elle est venue la nuit solitaire À pas de loup silencieuse éphémère Couvrir de son ombre les oliviers Sous lesquels un Dieu prie agenouillé Comme Tu veux mon Père comme Tu veux Ils ne veilleront pas les compagnons Qu’aveuglent brumes d’arrière-saison Qu’un vent sauvage emporte et désarçonne Si loin de la Vigne qu’ils abandonnent Comme Tu veux mon Père comme Tu veux Elle est venue la nuit solitaire Saisir les corps alourdir les paupières La chair est faible elle étouffe l’esprit Il s’attarde sur les siens endormis Comme Tu veux mon Père comme Tu veux 3.

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Le mystère du mal « Je veux que tout me soit expliqué ou rien… Ce que je ne comprends pas est sans raison. » Albert Camus, Le mythe de Sisyphe L’homme sera toujours tenté de faire le dieu. Nous croyons que notre monde est l’œuvre d’un Dieu qui n’est que sagesse et bonté, et pourtant notre monde est un mélange inextricable d’ordre et de désordre, de bien et de mal. Tout ce que nous sommes, tout ce que nous pouvons, nous le tenons de Dieu, mais le mal que nous faisons sciemment, nous en sommes seuls responsables. Comment concilier ces vérités apparemment opposées ? Reconnaissons loyalement que cela dépassera toujours l’homme, car ce qui est en question, c’est précisément la relation du fini avec l’infini, du relatif et du conditionné avec l’absolu et l’inconditionné. Ne cessons pas pour autant de tenir ferme les deux bouts de la chaîne. Sachons comprendre ceux que les atteintes de l’injustice et du mal plongent dans le désarroi et le sentiment d’appartenir à un monde absurde ; soyons néanmoins de ces croyants qui loin d’étouffer les requêtes de l’intelligence et du cœur s’efforcent de situer le mystère essentiel là où il est, et non là où il n’est pas 4.



Y a quelqu’un… ?

« Moi, madame, je n’crois plus au Bon Dieu ! Il y a belle lurette qu’il a remis son tablier : il ne s’occupe plus de nous… Comme le dit mon mari : “Le Bon Dieu, il a pris sa retraite ! Il a mis ses pantoufles ! Il en a marre !” » J’écoutais l’autre jour les commentaires de femmes qui se lamentaient car une jeune voisine venait de mourir en couches, et laissait derrière elle une ribambelle d’enfants en bas âge. Leurs commentaires allaient bon train : c’était à qui trouverait le meilleur argument pour prouver qu’il n’y a pas de Bon Dieu. Certes, quand tout va bien, quand la vie nous sourit, nous n’avons pas besoin du Bon Dieu. C’est si vite fait de l’oublier, de le reléguer aux oubliettes, comme un vieux vêtement démodé, au fond d’une armoire. Quelle place, je vous le demande, pourrait avoir Dieu, dans la vie d’une femme jeune, comblée et adulée, riche à souhait et grisée par le succès ? Qu’est-ce que Dieu va apporter à un homme à qui tout réussit, surtout s’il est jeune, riche et beau ? Mais, je vous en prie, regardez autour de vous ; n’avez-vous pas l’impression que la réalité n’est pas toujours aussi rose ? Nous constatons bien souvent que nous évoluons dans un monde où il y a quelque chose de cassé. Y a-t-il finalement tellement de gens comblés ? Aurez-vous assez de vos dix doigts

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pour faire le compte de vos voisins qui sont visités par la maladie, la dépression ou par toutes sortes de drames familiaux ? Il suffit que nos vies soient visitées par la souffrance, les revers de fortune ou un accident, par la perte d’un être cher ou par celle d’un enfant… et voilà, comme par enchantement, que Dieu refait surface. Voilà le Bon Dieu qui fait une apparition ! Et ce n’est pas d’abord pour écouter des prières, mais pour essuyer des torrents d’injures ! Notre colère, notre révolte, notre indignation doivent bien s’adresser à quelqu’un, non ? On ne crie pas devant un mur ! En vérité, bien souvent, Dieu est là pour être le témoin de tout ce qui ne va pas dans ce monde. Et Voltaire de ricaner sous cape : « Dieu a fait l’homme à son image et celui-ci le lui a bien rendu ! » La clameur de nos révoltes et de nos blasphèmes couvre le murmure des bonnes paroles et des prières des bien pensants ! En aurons-nous donc jamais fini de reprocher à l’Éternel tous les malheurs du monde ? — Qu’ai-je donc fait au Bon Dieu pour que cela m’arrive ? — Comment Dieu peut-il permettre des choses pareilles ? — Y a plus de Bon Dieu, c’est pas permis !… Jamais je n’oublierai le cri de cette adolescente qui hurlait devant le cercueil de son père qui venait de se passer la corde au cou dans sa cellule de prison : — C’est trop injuste ! C’est trop injuste ! Eh oui ! parlons-en, du Bon Dieu, nous qui sentons peser sur nous le poids du destin et de la fatalité. Nous sentons bien au fond de nous-mêmes qu’il y a un Bon Dieu, mais nous n’y comprenons plus rien. Il y a comme un immense fossé, un abîme, un précipice entre lui et nous. Nous savons bien qu’il doit y avoir quelque chose quelque part, « au-dessus de nous », là « de l’autre côté ». Il y a sans doute quelqu’un pour

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tourner la manivelle, pour mettre en route cette gigantesque machine de l’univers, la « Puissance Supérieure », comme disent les Alcooliques anonymes. Nous avons bien raison d’affirmer que Dieu existe, car nous sentons confusément que rien que le fait d’être là est sans doute la meilleure preuve de son existence ! Ce Dieu, s’il existe, il doit nécessairement être juste et bon, amour et vérité, source de bonheur et de paix. Nous y aspirons de tout notre cœur, de tout notre être. Et le bien devrait un jour triompher de tout le mal ; la paix et le bonheur devraient inonder un jour le monde entier. Mais, Bon Dieu de bon sang, nous ne connaissons pas Dieu ! Nous ne savons rien de lui, nous ne connaissons pas son visage. Où donc et comment le rencontrer ? Il ne se montre pas à la télé, on ne le trouve plus dans les églises. Où peut-il donc bien se cacher ? Et pour comble de malheur, si les plus âgés d’entre nous ont encore de vagues souvenirs d’un enseignement religieux dépassé que beaucoup ont rejeté avec les souvenirs de l’enfance, les voilà dévorés par un profond sentiment d’indignité et de culpabilité. Mais un jour, au cœur de la détresse, au sein de la nuit la plus noire, une flamme a jailli, l’ébauche d’une prière. — Si tu existes, aide-moi ! — Sauve-moi, aie pitié de moi ! — J’ai mal, je suis malheureux, viens à mon aide ! — Je crève de peur, je suis seul ! Donne-moi la main ! Si j’ose écrire ces lignes, mes amis, c’est parce que je vous ai rencontrés par milliers. Un jour, nos routes se sont croisées, vous m’avez confié votre peine et demandé de prier pour vous. Vous aspirez à trouver un peu de repos, de calme, de paix, vous voulez tant trouver une solution, un remède à votre solitude, à votre angoisse. Vous cherchez la paix du cœur, le

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repos comme à tâtons, de manière confuse encore ; j’en suis sûr, vous voudriez rencontrer l’Éternel comme on vient reprendre souffle à l’ombre d’un vieil arbre, comme on vient se reposer auprès d’une vieille maman, auprès d’un ami à qui on peut tout confier. L’Éternel ne méprise pas les cœurs brisés : il connaît le drame de cette femme éplorée qui, furtivement, est venue brûler un cierge… Il a vu cette chaîne que vous portez au cou et qui n’est pas simplement un bijou… Il a vu ce signe de croix esquissé au moment où votre petit bout partait pour la salle d’opération. Il connaît le cœur de ce prisonnier qui griffonnait sur le mur de sa cellule avec son propre sang : « I want to be free ! » Il entend le cri de votre appel. Oui, c’est bien sûr : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé », faisait comprendre Dieu à saint Augustin. Et voilà qu’en ce moment précis où vous venez d’être confrontés au mystère de la mort, au départ d’un être cher, il serait tellement bon de rejoindre au fond de vous-mêmes celui qui est la Vie. Reconnaissons sa voix, écoutons ce qu’il nous murmure au cœur. Osons, nous aussi, comme le vieil Israël du temps passé, accueillir la promesse de la terre promise. Un ami est là qui nous parle d’espérance : il vient sécher nos larmes, dissiper nos peurs et desserrer nos mâchoires crispées. C’est tellement merveilleux de savoir que l’Éternel parle aux enfants des hommes et qu’il les introduit dans la terre promise, « là où il n’y a plus ni larme ni douleur mais la paix et la joie, avec Jésus dans l’Esprit Saint » (Rm 14, 17). Si jamais tu es renfermé en toi-même, comme en prison… Si tu es couché sur ton lit de souffrance… Si tu es transi de peur et miné par la solitude…

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Si tu es ficelé par la camisole chimique… Si tu connais la haine, la révolte et la soif de vengeance… Si tu souffres le martyre, si tu désespères… ALORS L’ÉTERNEL A QUELQUE CHOSE À TE DIRE…

Si tu as envie d’en finir… Si tu te tues au travail pour ne plus penser… Si tu as choisi d’oublier en noyant ta détresse dans l’alcool… Si tu as choisi de fuir dans les paradis artificiels… Si tu ne supportes plus la solitude du grand âge… Si tu songes à en finir car le jeu n’en vaut plus la chandelle… Où que tu sois, qui que tu sois, le moment est venu pour toi. C’est le bon moment pour ouvrir ton cœur : ton Père du ciel qui voit dans le secret te dit : « Décharge-toi sur moi de ton souci, et sache que moi, je prends soin de toi » (cf. Ps 55, 23).

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Où êtes-vous Madame H ?… Wo sind Sie, Frau H. ? C’est auprès de vous que j’ai commencé à apprendre un peu d’allemand, lorsque j’allais vous rendre visite en cellule à la prison Saint-Léonard… Petit à petit on s’est apprivoisés… et j’ai pu deviner votre immense souffrance. Jamais vous n’auriez pensé en arriver là. Ne tue pas son mari qui veut ! Mais un jour, que vous aviez à vous défendre de l’agressivité d’un mari alcoolique et tellement violent quand il avait bu…, l’irréparable est arrivé ! Vous lui avez donné un mauvais coup ! Quand vous êtes passée devant la cour d’assises, l’avocat m’a cité comme témoin de moralité et je n’ai pas eu besoin de faire d’effets de manche. J’ai répété cette phrase qui a tellement ému le jury. Vous me l’aviez si souvent répétée : « Ich kan nicht mehr weinen ! » (« Je ne sais plus pleurer ! »).

Tais-toi donc Grand Jacques Que connais-tu du Bon Dieu Un cantique une image Tu n'en connais rien de mieux 5.

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Merveilleuses paroles d’une chanson interprétée par Elvis Presley.

He Touched Me Shackled by a heavy burden Need the Lord again and shame Then the hand of Jesus touched me And now I am no longer the same For He touched me, He touched me He touched me and what a wonderful joy What wonderful joy that foods my soul Something happened and now I know He touched me and made me whole Oh since I met this blessed Savior And since he cleaned me and whole Oh I never cease, never cease to prise Him I’ll shout it while eternity rolls Oh He touched me, oh He touched me And oh what a joy that floods my soul Something happened and now I know He touched me and made me whole 6.

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As-tu compté les étoiles ?

As-tu compté les étoiles et les astres radieux déployant aux nuits sans voiles leur cortège dans les cieux ? Dieu, qui leur donna la vie et l’éclat, Dieu, qui leur fixa la course et le pas, sait aussi quel est leur nombre et ne les oublie pas.

Les gens ne regardent plus les beautés de la nature, aujourd’hui. Ils passent à côté des merveilles de la création sans rien voir ! Les gens ne regardent plus les étoiles, aujourd’hui. Ils n’ont plus le temps de regarder le ciel ! Et pourtant, c’est tellement important de contempler un beau ciel étoilé. Ignace de Loyola raconte dans son journal que « sa plus grande consolation était de regarder le ciel et les étoiles, ce qu’il faisait fréquemment et pendant longtemps, parce qu’il sentait alors en lui un très vif élan pour servir Notre Seigneur 7 ». Que se passe-t-il donc dans le cœur d’un homme quand il communie à la splendeur de l’univers, quand il contemple un ciel étoilé, un beau paysage, la beauté sauvage de la mer, ou la majesté de la montagne, l’immensité de l’univers ? Il est

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mystérieusement renvoyé à lui-même. Et dans le fond de son cœur, ou il découvre le néant ou bien une Présence, « un pressentiment ému de l’ineffable » (c’est ce qui fait la vraie poésie !) qui suscite en lui comme un vertige, le situe face à un abîme, à une grandeur qui l’entraîne. Quand Ignace de Loyola contemplait le ciel, il ressentait alors en lui le désir de servir Dieu, il prenait profondément conscience de l’amour divin, un amour qui crée, qui donne la vie et qui relève. Toute sa vie prenait à ce moment son sens profond. À vous qui êtes brutalement confrontés au problème de la souffrance, de la maladie, de la mort, de la destinée humaine, je voudrais proposer de descendre au plus profond de vousmêmes, au cœur de votre cœur, pour y trouver la force de faire un pas en avant, pour accueillir la Vie et trouver une nouvelle vigueur pour aller de l’avant ! Et la première chose à laquelle les gens n’ont guère l’envie de réfléchir, c’est de se demander si notre vie a un sens. Quelle idée nous faisons-nous de l’aventure humaine, finalement ? Pour vous y aider, je ne vois d’autre manière, tout naïvement, tout simplement, que de vous inviter à regarder le ciel… C’est étonnant les réponses que l’on reçoit quand on regarde le ciel… Ce n’est pas une fantaisie de ma part ! Non, je vous propose d’entrer en communion avec le Tout-Puissant, le Tout Autre… En faisant cela, nous sommes renvoyés au plus profond de nous-mêmes, là où nous avons si peu l’habitude de nous rendre… pour faire la paix, pour faire le point, pour retrouver ce bonheur essentiel de vivre avec soi-même, en vérité, en Sa présence… Avez-vous déjà regardé le ciel ?

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Rabbi Nachman repéra un jour l’un de ses disciples qui se précipitait vers sa demeure. Il lui demanda : « As-tu regardé le ciel ce matin ? — Non, Rabbi, je n’en ai pas eu le temps. — Crois-moi, dans cinquante ans, tout ce qui est là aura disparu. Il y aura une autre foire, d’autres chevaux, d’autres charrettes, des gens différents. Je ne serai plus là et toi non plus. Alors qu’y aura-t-il de si important pour que tu n’aies pas le temps de regarder le ciel 8 ? »

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Mon Seigneur, c’est aujourd’hui. Oui, mon Seigneur, c’est aujourd’hui, je viens vers toi. Mes racines sont dénouées, je retourne à la terre, mais je suis dans ta main et je retourne au Père ! Car aujourd’hui et de toute manière je n’ai plus feu ni lieu autre part, autre part qu’en toi seul, mon Seigneur et mon Dieu. Oui, mon Seigneur, c’est aujourd’hui, je viens vers toi. Sur la croix n’as-tu pas versé le prix comptant de tes pardons ? En ton Royaume accueille-moi par la porte du bon larron. Car aujourd’hui et de toute manière je n’ai plus feu ni lieu autre part, autre part qu’en toi seul, mon Seigneur et mon Dieu. Oui, mon Seigneur, c’est aujourd’hui, je viens vers toi. Tout entier que je sois largué aux grands espaces d’espérance ! Tout entier, que je sois salé au sel d’éternelle naissance ! Car aujourd’hui et de toute manière je n’ai plus feu ni lieu autre part,

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autre part qu’en toi seul, mon Seigneur et mon Dieu. Oui, mon Seigneur, vers moi, c’est toi qui viens. Viens repétrir le vieux limon et faire toutes choses nouvelles. Viens dans la puissance de l’Esprit éveiller toutes semences à la vie éternelle. Car aujourd’hui et de toute manière je n’ai plus feu ni lieu autre part, autre part qu’en toi seul, mon Seigneur et mon Dieu. Oui, mon Seigneur, vers moi, c’est toi qui viens. Et voici dilatées mes puissances d’aimer, à l’infini mon cœur ouvert à tous mes frères. Et voici dans mes yeux le soleil tout entier où Dieu se livre en son mystère. Car aujourd’hui, et de toute manière je n’ai plus feu ni lieu autre part, autre part qu’en toi seul, mon Seigneur et mon Dieu 9.

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Mamy, mes yeux en sont encore tout éblouis : j’ai eu une vision de paradis ! L’allée du cimetière où s’engageait le convoi funèbre qui portait ton corps en terre. Une vraie apothéose ! J’étais émerveillée. J’avais sous les yeux une longue route bordée de cerisiers en fleurs déployant comme un grand dôme pour t’envelopper d’éternité. Et puisque le ciel, les oiseaux, les fleurs communiaient à cette fête impromptue, j’ai béni moi aussi la splendeur de l’Amour infini. J’y communie !

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Je suis fait pour toi… Toi, l’Éternel, avant même de me former au ventre de ma mère tu m’as connu ; avant même que je sois sorti du sein, tu m’as consacré (cf. Jr 1, 5). Tu me connais, Éternel, Créateur de l’univers. Vers toi, au sortir du sein je fus projeté (Ps 22, 11) ; tu m’as créé, m’as façonné, toutes mes voies sont devant toi. Tu m’as fait pour toi, ô Éternel, et mon cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi (cf. Augustin). Tu me connais, Jésus, Bon Pasteur, toi qui es parti à la recherche de la brebis perdue que je suis (cf. Lc 15, 4-7). Et depuis que tu m’as pris sur tes épaules, et que tu t’es réjoui à mon sujet, voilà mon unique certitude : « Je suis à mon Bien-Aimé et mon Bien-Aimé est à moi (Ct 6, 3). Même si je traverse un ravin de ténèbres (Ps 23, 4), et que la ténèbre m’entoure, je suis sûr que bientôt tu me révéleras la splendeur de la face du Père et qu’il me dira : « Entre dans la joie de ton Père » (Mt 25, 22).

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Tu t’en vas cueillir le soleil Quitte ce vieux monde Mon frère, Ne te mets pas en retard. Quitte la vieille terre, C’est l’heure de ton départ. Lève-toi, marche et va Vers le pays Que Dieu te montre. Dieu t’attend dans ses bras, Cours vite à sa rencontre. La liberté part en voyage Et n’attend que toi pour partir. Laisse-là tes bagages Et ton dernier soupir. Au nom du Dieu vivant Le Père De tous les commencements. Au nom de Jésus Christ Mort sur sa croix En t’ouvrant les bras. Au nom du Saint Esprit Qui t’embrasse Dans son baptême Dans les grandes eaux Qu’il sème De bruit, de feu et de vent Du grouillement des vivants.

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Au nom de Marie Recevant mort Ce Jésus Christ Corps de ton corps. Au nom de tous les saints et saintes Qui t’attendent au portail. La mort aujourd’hui est enceinte : Elle entre en travail. C’est maintenant L’accouchement, Ta naissance a mis le réveil, Ce sont les dernières douleurs Tu t’en vas cueillir le soleil. Aujourd’hui, La paix est en fleurs 10.

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Je m’y aventure sur votre parole Mon Dieu, faites, mon heure étant venue, que je vous reconnaisse sous les espèces de chaque puissance, étrangère ou ennemie, qui semblera vouloir me détruire ou me supplanter. Lorsque sur mon corps (et bien plus sur mon esprit), commencera à marquer l’usure de l’âge ; quand fondra sur moi du dehors, ou naîtra en moi, du dedans, le mal qui amoindrit ou emporte ; à la minute douloureuse où je prendrai tout à coup conscience que je suis malade ou que je deviens vieux ; à ce moment dernier, surtout, où je sentirai que je m’échappe à moi-même, absolument passif aux mains des grandes forces inconnues qui m’ont formé ; à toutes ces heures sombres, donnez-moi, mon Dieu, de comprendre que c’est Vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter en vous. …. Oui, plus l’avenir s’ouvre devant moi comme une crevasse vertigineuse ou un passage obscur, plus, si je m’y aventure sur votre parole, je puis avoir confiance de me perdre ou de m’abîmer en Vous — d’être assimilé par votre Corps, Jésus. Ô énergie de mon Seigneur, Force irrésistible et vivante, parce que, de nous deux, Vous êtes le plus fort intimement, c’est à Vous que revient le rôle de me brûler dans l’union qui doit nous fondre ensemble. (…). Ce n’est pas assez que je meure en communiant. Apprenez-moi à communier en mourant 11.


Des profondeurs, je crie vers toi !

Il y a quelque temps, à la demande d’une enseignante, j’avais rencontré Francine, une maman de quatre enfants. Ces deux femmes avaient eu l’occasion de sympathiser, pas seulement parce qu’elles exerçaient la même profession, mais surtout parce que, à elles deux, elles totalisaient neuf garçons. Francine était atteinte d’un cancer du sein en récidive, et souffrait beaucoup… Elle ne manquait certainement pas de courage, mais elle supportait mal l’idée de devoir quitter son mari et ses quatre enfants… Nous avons partagé en toute simplicité et sans tarder, elle a pu confier sa grande souffrance. Sans faire de discours, je lui ai rappelé tout l’amour que Dieu avait pour elle, et je l’ai invitée à se jeter avec confiance, dans les bras de Dieu son Père, le Dieu de tendresse et de miséricorde. Nous sommes allés à la rencontre de Jésus, qui, à travers les signes de son amour, les sacrements, lui a manifesté cet amour qui relève, pardonne et rend fort. Elle a reçu la force de l’Esprit Saint et un grand réconfort grâce à l’onction des malades. Une grande paix l’a même envahie ! Je me souviendrai toujours lui avoir dit, plein d’admiration : « Cest beau, Francine, je vois la lumière qui danse dans vos yeux ! » Francine souffrait beaucoup ; tout traitement étant devenu inutile, les médecins ont décidé d’avoir recours aux soins pal-

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liatifs. Un jour, comme je m’étais de nouveau rendu à son chevet, elle m’a posé une question étonnante : « Êtes-vous d’accord que j’accepte de mourir ? »… Surpris par cette question, après un long silence, je lui ai fait comprendre que le moment était venu de rendre les armes et de s’abandonner à son Père du ciel. Je l’ai invitée à confier à Dieu son mari, ses enfants, sa vie, sa famille. Comme Éric, son merveilleux époux, était présent, je les ai invités, tous deux, à s’abandonner entre les mains du Père. Nous avons prié ensemble et remis nos vies entre les mains de notre Père. Quelques heures plus tard, Francine sombrait dans le coma… Elle a fait le passage… et s’est élancée dans les bras de son Dieu… Vous venez de perdre un être cher : un papa, une maman, un enfant, un conjoint ; un proche, un ami vous ont été ravis. C’est comme une collision frontale en voiture, « ça ne pardonne pas », disent les gens ! Car si « la mort n’est pas un événement que nous avons à vivre », comme l’écrit Françoise Dolto, nous n’en sommes pas moins confrontés à ce mystère de la mort ; non seulement la mort d’un être aimé, d’un proche, mais aussi la nôtre ! C’est en tant que croyant que je vous propose de parcourir ensemble un bout de chemin. Je le fais parce que je crois que le Bon Dieu vous aime comme un père. Et ce serait tellement bien que vous puissiez vivre ce deuil en vrais chrétiens. Il y a tant de familles qui demandent à l’Église des funérailles chrétiennes et qui néanmoins vivent ce douloureux événement de manière totalement païenne. Certes, le fait de croire en Dieu ne nous empêche pas de ressentir la peur, l’angoisse, la panique, la révolte, le dégoût, une souffrance, une épouvante jamais connues.

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Rien de plus dur que d’être confronté à la mort ! Cependant, si tout ce qui nous arrive peut avoir un sens, il importe que cette mort nous fasse comprendre un peu mieux la grandeur de l’aventure humaine, la beauté de tout ce qui a été vécu par ce proche, l’espérance de la vie éternelle ! Oui, le choc de la mort est très éprouvant ! Personnellement, je n’oublierai jamais ce que j’ai été amené à vivre en public comme jeune prêtre, quand un homme est mort dans mes bras dans le bus de Verviers, à la gare de Liège. Je venais de monter dans ce bus, quand, devant moi, un homme a poussé un grand cri et s’est affalé dans mes bras, décédé inopinément à la suite d’une crise cardiaque. Je fais appel à la Révélation que Dieu nous a faite à travers l’enseignement, la vie et la mort de Jésus. C’est que Dieu luimême a voulu partager notre nature pour nous apprendre le chemin de la vie et du bonheur sans fin. Comment donc un chrétien se situe-t-il face à sa mort et à sa résurrection ? Si nous acceptons la vision chrétienne de la mort et de l’audelà, nous pouvons comprendre ce qu’est réellement l’homme. Nous croyons que nous tous, les humains, nous tous, les enfants du Bon Dieu, nous ne disparaîtrons pas à jamais. Au contraire, nous sommes appelés à une vie qui n’aura pas de fin. Notre mort est un aboutissement, un passage qui nous permettra d’entrer dans une plénitude totale, un bonheur éternel. Nous sommes appelés à entrer dans une vie qui dépasse infiniment tout ce que nous pouvons imaginer ou concevoir. Nous pouvons vivre dans l’espérance, avoir l’assurance que notre vie durera toujours et que notre bonheur n’aura plus de limites. Jésus, par sa vie et sa mort, éclaire, illumine toute l’aventure humaine. Lui qui s’est fait notre frère, il a choisi de vivre et de mourir pour nous ouvrir la route vers le Père : il est parti nous

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préparer la place (cf. Jn 14, 2). Ressuscité, il nous donne son Esprit qui nous unit à lui. Sa résurrection devient notre propre résurrection. « À cause du grand amour dont il nous a aimés, Dieu nous a fait revivre avec le Christ… avec lui il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus » (Ep 2, 46). Voilà qui devrait être un encouragement extraordinaire, et une grande consolation pour les chrétiens qui vivent un deuil ! Dès maintenant, ceux qui sont baptisés communient à la vie du Christ qui n’aura pas de déclin : ils participent déjà, d’une manière certaine, à la résurrection ! Et si nous marchions ensemble sur ce chemin d’espérance, « les yeux ouverts, les yeux fixés sur Jésus qui est le chef de notre foi, qui la mène à sa perfection et est désormais assis à la droite du trône de Dieu » (He 12, 1-2) ? Vous connaissez sans doute Bartimée, ce mendiant aveugle dont parle l’évangile de saint Marc. Cet homme, seul au bord du chemin, était plongé dans la nuit, et voilà qu’il entend du remue-ménage : c’est Jésus qui passe. Il se met à crier de toutes ses forces pour l’appeler. On le rabroue car il dérange, mais Jésus, ayant réalisé ce qui se passait, appelle l’aveugle et lui demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Mc 10, 46-52). C’est exactement la question qu’il vous pose, à vous qui venez d’ouvrir ce livre ! Vous qui venez de perdre un être cher, qui êtes plongés dans la nuit de la mort, du deuil, du désespoir ou de la révolte, tendez l’oreille, ouvrez votre cœur, Jésus vous crie : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Avez-vous déjà réalisé que Dieu travaille en nous à la mesure de notre désir, à la mesure de notre foi ? — Croyez-vous que rien n’est fini avec la mort ? — Croyez-vous que la mort est un passage vers une vie meilleure ?

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— Croyez-vous que tous nous sommes invités à aller vers le Père ? — Croyez-vous que vous et les défunts de votre famille, vous vous reverrez un jour ? — Croyez-vous que tous les liens que nous avons tissés icibas sont la promesse d’un avenir radieux ? — Osez-vous croire que vous avez un Père dans les cieux qui prend soin de vous et vous appelle à une vie qui n’aura pas de fin ? — Croyez-vous que tout l’amour que votre défunt vous a prodigué, c’est une richesse qui jamais ne se perdra ? — Pensez-vous que tout ce que vous avez fait par amour, au long des années pour aider un parent âgé, par exemple, ce n’est pas du temps perdu ? Mais nous avons du mal à vivre éveillés ! Nous prenons si peu le temps de vivre debout ! Oui, nous avons des yeux, mais nous ne voyons pas ce qui fait la beauté d’une vie. Nous avons peur de la lumière, et paradoxalement, nous sommes éblouis par les marchands d’illusions. Nous avons des mains : elles sont faites pour créer, à l’image de Dieu, et que faisonsnous ?… Nous avons des pieds : ils doivent nous entraîner de l’avant, oui, mais pour aller où ? Nous avons une tête — et c’est une merveille ! — qu’en faisons-nous ? À quoi pensonsnous, si parfois il nous arrive de réfléchir ? Par-dessus tout, nous avons un cœur — un cœur fait pour aimer —, et en fait, il aime si peu et si mal celui-là ! « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Et si nous aspirions de toutes nos forces à voir la lumière ? Saint Paul déjà, quelques années après avoir découvert le Christ, disait : « Réveille-toi — sors de ta torpeur — ô toi qui dors ! Relève-toi d’entre les morts ! » (Ep 5, 14).

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Que le Seigneur creuse en nous le désir, comme il l’a fait pour Bartimée. Désir de voir, de voir clair ! Désir de comprendre ! Oser enfin revoir, comme dans un film, les années vécues avec quelqu’un qui nous a aimé et que nous avons aimé, et dire merci pour tout cela ! Oser rendre grâce pour tout ce que nous avons reçu et partagé… Oser demander pardon pour tout ce qui a été mal vécu, les infidélités, les rejets, les abandons, et permettre à Dieu de visiter toute forme de culpabilité parce que vous n’avons pas assez aimé ou que nous avons mal aimé ! « Rabbouni ! dit Bartimée, mon Seigneur, j’étais aveugle, et tu as ouvert mes yeux à la lumière, merci ! » Mais quelle lumière, direz-vous ? Toute cette lumière qui a réchauffé, éclairé votre vie. Tout cet amour qui jamais ne se perdra et qui est Dieu même, finalement ! Dans l’évangile de Jean, Jésus dit une chose étonnante : « En ce jour-là, vous me verrez parce que je vis et vous vivrez. » Le Seigneur est vivant, ressuscité ! (Jn 14, 19). Jésus vient à notre rencontre aujourd’hui, comme chaque fois que nous avons à vivre une souffrance, un drame. Il veut nous dire : « Je suis près de toi, je ne te laisserai jamais tomber ! » La vie a grandi chaque fois que l’amour fleurissait dans votre famille, dans votre vie, même si vous n’aviez pas les mots pour le dire. Aujourd’hui, l’amour, tout l’amour, peut ouvrir vos yeux. Rien n’est fini ! Tout commence ! Pourquoi, je vous le demande, ce cri intempestif de Bartimée ? « Parce que j’ai entendu le Rabbi m’appeler, nous répondrait Bartimée ; il m’a appelé par mon nom, et ma vie en a été changée ! » C’est la merveille : il nous appelle par notre nom, nous existons pour lui ! Tout l’amour passionné de Dieu pour nous, tout son désir sont à l’œuvre. Il désire de tout son

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cœur de Père vous faire découvrir la vérité de la vie, la vérité de l’amour ! Il veut que vous soyez près de lui pour toujours ! Voilà ce qui est également au fond du cœur du Christ, lui qui, en se livrant, nous donne son Esprit, le Souffle de vie ! Quand Bartimée a entendu l’appel de Jésus, il a bondi vers le Seigneur en jetant au loin son manteau. Abandonnons toutes nos sécurités, nos assurances, tous nos doutes, sans rien voir, dans la confiance, marchons vers la lumière, osons plonger dans la nuit : la Lumière, la Vie sont là qui nous attirent. C’est ainsi que votre défunt arrive devant lui, dépouillé de tout, libéré de tout ce qui pourrait encore l’empêcher de plonger dans la plénitude de l’amour divin ! Comme l’aveugle, laissons notre manteau, libérons-nous de tout ce qui nous empêche d’accueillir la vraie Vie ! Faisons taire ces fausses questions qui nous torturent : ouvrons notre cœur à la confiance ! Le manteau de la peur, de l’incrédulité, de la culpabilité, de la haine ! La peur d’être puni, la peur de Dieu ! La peur de ne pas avoir fait tout ce que nous aurions dû faire ! Ces mille doutes qui nous assaillent et nous empêchent d’accueillir la joie du salut que Dieu nous donne. Revêtons ce manteau d’allégresse dont le Seigneur nous recouvre. Sa miséricorde s’étend d’âge en âge ! Éternel est son amour ! « Que l’Éternel illumine les yeux de votre cœur » : voilà la véritable guérison de notre cécité. « Qu’il illumine les yeux de votre cœur pour vous faire comprendre quelle espérance ouvre devant vous son appel » (Ep 1, 18).

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Un amour m’attend Ce qui se passera de l’autre côté quand tout pour moi aura basculé dans l’éternité, je ne le sais pas. Je crois, je crois seulement qu’un amour m’attend. Je sais pourtant qu’alors il me faudra faire pauvre et sans poids le bilan de moi. Mais ne pensez pas que je désespère. Je crois, je crois tellement qu’un amour m’attend ! Ne me parlez pas des gloires et des louanges des bienheureux. Et ne me dites rien non plus des anges. Tout ce que je peux, c’est croire, croire obstinément qu’un amour m’attend. Maintenant mon heure est si proche et que dire ? Oh ! mais sourire. Ce que j’ai cru, je le croirai plus fort au pas de la mort. C’est vers un amour que je marche en m’en allant, c’est dans un amour que je descends doucement. Si je meurs, ne pleurez pas : c’est un amour qui m’attend ! Si j’ai peur — et pourquoi pas ? — rappelez-moi simplement qu’un amour, qu’un amour m’attend. Il va m’ouvrir tout entière à sa joie, à sa lumière. Oui, Père, je viens à toi dans le vent dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va, vers ton amour qui m’attend 12.

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Mon Père, je m’abandonne à toi Mon Père Je m'abandonne à toi. Fais de moi ce qu'il te plaira. Quoique tu fasses de moi, je te remercie. Je suis prêt à tout, j'accepte tout. Pourvu que ta volonté se fasse en moi et en toutes tes créatures, je ne désire rien d'autre mon Dieu. Je remets mon âme entre tes mains. Je te la donne, mon Dieu, avec tout l'amour de mon cœur parce que je t'aime, et que ce m'est un besoin d'amour de me donner, de me remettre entre tes mains sans mesure avec une infinie confiance, car tu es mon Père 13.

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L’au revoir du « bon Pape Jean » Comment Angelo Roncalli s’est-il situé face à la mort ? Dès 1950, encore nonce à Paris, il écrivait dans son Journal de l’âme : « À presque soixante-dix ans, il y a peu à compter sur l’avenir… Je ne dois donc pas me faire d’illusions, mais me familiariser avec la pensée de la fin, non avec de l’affolement qui affaiblit, mais avec la confiance qui conserve la fureur de vivre, de travailler et de servir. Il y a longtemps que j’ai pris la résolution d’être fidèle à ce regard, à cette attente de la mort, à ce « sourire » qui devrait être le dernier sourire de mon âme au moment de sortir de cette vie. Il n’y a pas lieu d’en parler souvent, ce qui ennuierait les autres, mais d’y penser toujours, parce que se familiariser avec le «jugement de la mort» est chose bonne et utile pour mortifier la vanité et imposer en tout le sens de la mesure et du calme… Le Seigneur me voudra-t-il bientôt dans la patrie céleste ? Me voici, je suis prêt. Je lui demande seulement de me prendre au bon moment. Me réserve-t-il encore quelques années de vie ou même davantage ? Je l’en remercierai, mais toujours en le suppliant de ne pas me laisser sur la terre si je dois être inutile pour la sainte Église et encombrant. Même dans ce cas, que la sainte volonté du Seigneur se fasse et c’est tout 14. »


Face à la mort, oser la vie

Chaque fois que nous sommes confrontés à la mort d’autrui, chacun de nous est en même temps confronté à sa propre mort. Cependant, si la mort des autres nous interpelle, nous avons de la peine à imaginer que ce sera aussi, un jour, notre tour. Qu’estce qui nous empêche donc d’évoquer cette éventualité ? Nous ne sommes pas en mesure de savoir ce qui habite le cœur des hommes, cependant il en est tant que la peur de la mort habite ! Le réflexe de l’autruche, vous connaissez, non ? On meurt à tout âge, c’est vrai, et chacun d’entre nous est confronté à ces drames qui font la une de l’actualité : suicides, maladies graves, accidents de travail, épidémies… Il suffit d’allumer la télévision pour être plongé dans cet univers morbide qui énumère à longueur de journaux parlés toutes sortes de malheurs, des massacres, des attentats suicides, des génocides, des exécutions capitales, des catastrophes naturelles… mais tout cela, c’est extérieur à notre univers. Par contre, je reçois une gentille carte de Suisse. Ma correspondante, une « aînée », m’envoie cette citation de J. Neyrinck sur la vieillesse : « La vieillesse est le dernier apprentissage qui résume une vie pour l’ouvrir sur l’éternité. » Et ma correspondante d’ajouter : « C’est la première fois qu’une phrase concernant la vieillesse me semble juste ! »

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De quel apprentissage s’agit-il, sinon d’apprendre à vivre la plénitude ? Tout en continuant à nous émerveiller des cadeaux reçus tout au long de notre vie, nous avons à apprendre à accueillir la plénitude, tout en assumant avec beaucoup de patience et d’humilité tous ces détachements que nous impose la maladie ou le grand âge. Alors que beaucoup de nos contemporains ne manifestent que scepticisme et froideur vis-à-vis du mystère de la mort, comme Bartimée, ouvrons les yeux, pour avoir sur ce qu’un vieux confrère appelait « les glaces de l’âge », un regard de foi et d’espérance. En effet, tout être humain, nous le verrons tout au long de ce livre, est appelé à accueillir la vie dans sa plénitude, la vie éternelle. La pensée de la mort n’est pas réservée au grand âge. J’ai connu, par exemple, des jeunes religieux qui pensaient qu’ils mourraient à l’âge du Christ comme Thérèse Martin — la petite sainte Thérèse —, ou encore Louis de Gonzague ou Jean Berchmans… Je pense à Olivier, ce jeune de vingt-trois ans qui vient de mourir. Ce jeune, atteint d’une malformation cardiaque, a voulu « brûler la chandelle par les deux bouts » pour ensuite se lancer tête baissée, à corps perdu, dans la mort. Vous venez de lire ce qu’écrivait Angelo Roncalli, le futur pape Jean XXIII, dans ses notes intimes qui ont été publiées sous le titre de Journal de l’âme (cf. p. 42). C’est beau, cette disponibilité à l’égard de la volonté divine, mais plus belle encore est « cette confiance qui conserve la fureur de vivre » ! La pensée de la mort ne nous empêche pas de garder enracinée en nous cette ardeur qui anima encore pendant près de vingt ans cet homme extraordinaire ! Je ne saurais oublier le vieil Alphonse ; son souvenir reste gravé en mon cœur, et le fait de l’avoir rencontré m’a permis

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de savourer cette vie en plénitude que j’évoquais. Veuf depuis plusieurs années, ayant perdu une épouse qu’il chérissait, Hélène, Alphonse vivait avec ses quatre-vingt printemps bien sonnés une vie d’une plénitude étonnante. Quand on lui rendait visite, il partageait parfois un souvenir. C’est ainsi qu’un jour, il m’a raconté comment il avait rencontré sa future épouse… « La seule fois, me dit-il, où, pendant mon service militaire, j’étais de garde à la porte de la caserne, elle est passée, et, continue-t-il en wallon, d’ja stu tchûsi ! (« j’ai été choisi »). C’est bien cela ! Alphonse avait conscience d’avoir été choisi, non seulement par celle qui devait être sa compagne de vie, mais aussi par son Dieu. Il était de la race des Bartimée ! C’est dans une vie vécue dans un très grand recueillement, dans une profonde intimité avec son Dieu, qu’il vivait cette relation avec Dieu. Tout son comportement laissait deviner une présence invisible. Cette communion avec le ciel, si on peut l’exprimer ainsi, lui permettait de vivre avec la pensée de la mort, à travers la communion avec ceux qu’il aimait, la communion avec son Dieu. J’ai pu le constater jusqu’aux dernières heures de sa vie, quand il s’est retrouvé sur un lit d’hôpital. On ne peut qu’admirer ces piliers du monde dont les historiens ne se souviendront pas, mais qui sont cependant ceux qui font l’histoire ! Ils sont véritablement le peuple des vivants : et Alphonse aura eu le courage de vivre en toute lucidité cet enfouissement progressif du grain de blé qui tombe en terre, afin que la vie éternelle puisse fleurir en lui dans toute sa splendeur. Je ne peux résister à l’envie de vous faire connaître mon amie Jackie, une femme extraordinaire qui fut comme un soleil pour ma vie de prêtre, voilà quarante ans. Je l’ai rencontrée à Verviers, en 1967. Un confrère m’avait demandé d’aller célébrer l’Eucharistie à son chevet. Jackie, handicapée, immobilisée sur

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son lit de souffrance, a d’abord vécu une grande période de sa maladie en faisant preuve d’une activité étonnante. Elle a été la cheville ouvrière d’une association de handicapés, elle écrivait des contes pour enfants, elle peignait. Et quand elle n’a plus pu manier le pinceau, avec la main droite ou la main gauche, elle a peint avec la bouche ou même avec le pied. Mais la maladie creusait un sillon de plus en profond, et quand je l’ai rencontrée, Jackie était complètement immobilisée. Je veux vous partager très simplement ce texte qui est un trésor pour moi, un authentique testament spirituel que Jackie nous a légué. J’avais demandé à Jackie de pouvoir enregistrer un court témoignage pour des élèves du collège de Verviers où j’enseignais, et elle avait accédé à ma demande sans hésiter. Je relis ce texte depuis tant d’années et j’y découvre toujours de nouvelles résonances, une richesse inouïe ! Ces pages jaillies du cœur de cette malade et de son expérience de longues années de souffrance, nous posent sans doute beaucoup de questions, notamment sur le sens de la souffrance : Jackie n’y va pas par quatre chemins ! C’est de la dynamite, son témoignage ! Pourquoi Dieu permet-il la souffrance, pourquoi serionsnous invités à partager la passion de Jésus ? Pourquoi, ditesmoi, toujours devoir souffrir ? Pourquoi devoir passer vingt années, allongée sur un lit ? Pourquoi, finalement devoir mourir si jeune ? Voilà le témoignage d’une croyante ! Une croyante dont la vie fut comblée, débordante d’amour, c’est ainsi ! Trève de commentaires : ouvrons la porte de nos cœurs !

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Ainsi vivait Jackie… Il y a vingt-deux ans, j’étais infirmière dans un hôpital pour enfants handicapés parce que je voulais aider les autres. J’avais dix-neuf ans quand j’ai contracté la polio d’un de mes petits malades. Quand le docteur m’a dit que je resterais complètement paralysée, je me suis trouvée, une fois le premier choc passé, devant un choix de conduite. Je pouvais rendre Dieu responsable de ce qui m’arrivait, me révolter et vivre repliée sur moi-même. Dans ce cas, je me serais rendue horriblement malheureuse et j’aurais également rendu malheureux tout mon entourage. De plus, je serais devenue insupportable et en fin de compte, rien n’aurait changé, j’aurais toujours été paralysée. J’ai préféré une solution qui me semblait plus raisonnable. Je n’ai pas blâmé Dieu car il n’est pas responsable du mal et de la souffrance qui existe dans le monde. Il ne les veut pas et presque toujours, ils sont la conséquence directe ou indirecte des actions des hommes. Celui qui souffre n’est pas toujours responsable de sa propre souffrance, mais si elle existe, c’est à cause des hommes et on a trop tendance à blâmer Dieu. J’ai voulu accepter mon handicap puisque de toute façon, je ne pouvais rien faire pour l’éviter et j’espérais ainsi le rendre plus supportable pour moi et pour les autres. Accepter ne veut pas dire se résigner. Ceci est un terme trop passif : accepter veut dire se battre ! On ne peut pas accepter une fois pour toutes. Il faut recommencer tous les jours, cent fois par jour, chaque fois que quelque chose vous arrive, pour vous forcer à reconnaître les limites imposées par la maladie. Ce n’est pas une chose facile, bien au contraire. Mais une fois qu’on a commencé, on se voit obligé de continuer, sinon on gâche sa vie.

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Après vingt-deux ans, je dois encore le faire tous les jours, et pas seulement une fois par jour. Et je sais que je devrai continuer à le faire toute ma vie. Mais j’ai beaucoup de chance car j’ai la foi, et c’est la plus grande aide que je connaisse. Mais il ne suffit pas encore d’accepter, il faut se refaire une vie avec ce qui reste et veiller à ce que cette vie soit une vie utile, une vie de service. Nous avons tous le devoir d’aider les autres et d’essayer de les servir dans la mesure de nos moyens. Ce n’est pas vrai qu’un handicap, quel qu’il soit, puisse gâcher une vie. Il n’y a qu’une seule chose qui puisse faire cela : pour rater sa vie, il faut délibérément la rendre inutile sinon elle ne peut pas l’être. Celui dont la vie est inutile, celui qui rate sa vie, c’est celui qui ne pense jamais aux autres et qui ne fait rien par dévouement. J’ai beaucoup réfléchi depuis vingt-deux ans et je me suis rendu compte que je ne suis pas aujourd’hui ce que je serais devenue si je n’avais pas contracté la polio. La souffrance m’a changée et a fait de moi quelqu’un de meilleur, plus compréhensive et plus attentive aux autres. Peut-être parce que j’ai plus de temps, peut-être aussi parce que je me sens plus proche de Dieu. Et maintenant, je suis heureuse, pas malgré la souffrance mais à cause d’elle, et cette joie vient de Dieu. Je voudrais la partager avec tous ceux qui m’approchent parce qu’elle m’apporte tellement. La souffrance en elle-même n’est pas mauvaise : c’est son effet sur nous qui peut l’être. Quand la souffrance fait de quelqu’un un être amer, difficile, révolté et égoïste, alors elle est mauvaise. Mais pas quand elle apprend la bonté et l’amour des autres et rapproche de Dieu. C’est parce que je me rends compte que pour moi la souffrance est devenue un bien que je suis heureuse, et je sais qu’elle ré-

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pond aux vues de Dieu sur moi et fait de moi ce que je ne serais sans doute jamais devenue sans elle. J’ai compris autre chose encore, c’est que quand Dieu permet la souffrance ou la maladie, c’est réellement un honneur qu’il nous fait. Peut-être le plus grand qu’il puisse nous faire. Notre Seigneur Jésus Christ a souffert sa passion pour sauver le monde, parce que c’était la voie que son Père avait choisie pour lui. Par définition, un chrétien est un imitateur du Christ. Nous savons également que l’on dit que Dieu ne demande à personne de supporter ce qui est au-dessus de ses forces. À son Fils, il a demandé de supporter bien plus que nous ne le ferons jamais parce qu’il savait que le Christ aurait la force nécessaire. Quand Dieu nous envoie la souffrance, non seulement il nous donne la force nécessaire pour la supporter, mais il nous montre qu’il nous trouve dignes de ressembler plus à son Fils. C’est cela que je trouve un honneur : que Dieu nous demande d’essayer de ressembler au Christ. Il l’aimait mais il ne lui a pas épargné la souffrance ; peut-être l’épargne-t-il moins à ceux qu’il aime le plus. C’est pourquoi je trouve qu’une vie n’est jamais inutile si on ne la rend pas inutile, parce que la souffrance acceptée peut et doit avoir une grande valeur si elle est offerte pour les autres et surtout pour ceux qui ne savent pas accepter. Parce que moi j’ai trouvé le bonheur, je souhaite à tous de pouvoir accepter leur vie, la rendre utile et de pouvoir trouver aussi la joie et l’amour de Dieu. Ce n’est pas, peut-être, un bonheur facile à trouver ; ce n’est pas non plus certainement le bonheur que nous choisirions pour nous-mêmes, mais c’est un bonheur qui vaut vraiment la peine d’être trouvé et vécu 15.

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Christiane, François, Marie ou Pierre… c’est le prénom que tu as donné à notre ami, Seigneur, au jour de son baptême et tu continueras à l’appeler de ce doux nom comme on le fait pour un enfant bien-aimé. Ce prénom est chargé de la tendresse que tu as promise à notre ami, une fois pour toutes, et nous le croyons, car jamais tu ne retires ce que tu as promis. Par ce prénom, tu l’as appelé, Seigneur, à progresser selon l’évangile et à se dépasser à l’image de ton Fils pour le bonheur des siens. Par ce prénom, tu lui faisais signe pour le faire revenir quand il s’éloignait de toi et pour lui sourire en lui accordant ton pardon. Aujourd’hui, Seigneur, comme un père qui ouvre ses bras, tu l’invites avec ce prénom à s’approcher de toi et tu lui dis : « Mon enfant bien-aimé, ne crains pas, viens ! Tout est préparé pour toi ! » Comment pourrais-tu, Seigneur, oublier ceux que tu as appelés par leur nom, les enfants de ton amour pour les siècles des siècles 16 ?

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Heureux qui peut mûrir sa mort, comme un arbre, jour après jour, de la fleur du printemps au fruit que l’automne ensoleille et qui se détache enfin comme on se donne.

Ainsi priait Rainer Maria Rilke Ô mon Dieu, donne à chacun sa propre mort, donne à chacun la mort née de sa propre vie où il connut l’amour et la misère. Car nous ne sommes que l’écorce, que la feuille, mais le fruit qui est au centre de tout, c’est la grande mort que chacun porte en soi. […] Oh, donne-nous la force et la science de lier notre vie en espalier, et le printemps autour d’elle commencera de bonne heure. Car ce qui fait la mort étrange et difficile c’est qu’elle n’est pas la fin qui nous est due, mais l’autre, celle qui nous prend avant que notre propre mort soit mûre en nous. […] Fais que le temps de son enfance ressuscite dans son cœur ; ouvre-lui de nouveau le monde des merveilles de ses premières années pleines de pressentiments. Fais qu’il lui soit permis de veiller jusqu’à l’heure où il enfantera sa propre mort, plein d’échos comme un grand jardin ou comme un voyageur qui revient de très loin… 17.



Mûrir sa mort…

L’agonie de Luc, mon vieil ami de Comblain-la-Tour, me fait beaucoup réfléchir ! Luc vit depuis des jours une longue agonie, un lent enfouissement… Il y a quelques jours, alors qu’on le croyait plongé dans l’inconscience — comme il faut être respectueux pour ces malades dont on dit qu’ils n’entendent plus rien ! —, Luc m’a fait, à un moment donné, un grand clin d’œil tout chargé de connivence, de complicité dirais-je presque… Et le lendemain matin, il a fait comprendre à ses proches qu’il était content que je sois venu à son chevet. Je dis souvent qu’on vole leur mort aux gens ! Et je prie pour ce personnel des hôpitaux qui fait sombrer les malades proches de la mort dans un sommeil proche du coma. On veut, dit-on, éviter que les patients souffrent trop… mais au fond, on les prive du plus beau moment de leur vie… quand ils peuvent donner tout son sens à l’aventure humaine, et offrir leur vie… À partir d’un certain âge, l’être humain doit pouvoir regarder en face cette rencontre qu’il va faire, cette plongée dans les bras de son créateur : il peut « mûrir sa mort » !

Il y a plusieurs façons de mourir. Le pleutre meurt plusieurs fois par jour. Le ronchon est déjà mort le jour de sa naissance. Le héros meurt une seule fois.

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Le malheureux meurt tout le temps, à petit feu. Les croyants, eux, ne meurent jamais. Ils ne font que passer, plus ou moins vite. Leur vie est ailleurs. Rien ni personne ne pourra la leur prendre. C’est peut-être pour cela qu’ils ont souvent l’air plus heureux que les autres 18. C’est avec une détermination digne du militaire qu’il avait été, que Lucien, prenant conscience que sa course était achevée, vu que la maladie ne lui laissait aucune rémission, a demandé à recevoir l’onction des malades en présence de son épouse et des enfants qui étaient à l’hôpital à ce moment-là. Il ne s’agit pas d’abord de mettre de l’ordre dans ses affaires, de régler sa succession ou encore les détails des funérailles… il est question d’accueillir la vie éternelle qui s’ouvre devant nous, et sans doute de revoir le film de notre vie avec courage et loyauté, sans s’apitoyer sur soi-même, sans fausse pudeur. C’est ce qu’ont fait un homme et une femme dont il est impossible de citer in extenso les témoignages : l’écrivain Eugène Ionesco dans Je cours après la vie, et la chanteuse Édith Piaf dans Mon Testament (voir p. 56). Pour terminer, si vous me le permettez, j’inviterai la petite Aude (elle a dix ans) à vous faire un clin d’œil sur son lit de malade. Aude est retournée au Père après quatre longues années de souffrance, soutenue par ses parents qui ont remué ciel et terre pour la sauver… Une fille d’une vitalité extraordinaire, restant une enfant jusqu’au bout, mais quelle maturité chez cette enfant ! Quand je l’ai rencontrée pour la première fois — on m’avait invité à aller prier pour elle —, je lui ai suggéré de garder une Parole de Dieu dans son cœur. Je lui ai pro-

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posé de prier chaque jour une Parole de la Bible, et j’ai mis sous ses yeux la Bible ouverte à la page du Psaume 23. Elle a tout de suite mémorisé ce psaume du Bon Berger ; chaque jour elle le priait avec sa famille. Cette présence de Jésus le Bon Berger, effective dans la prière, dans la communion, dans les miracles de l’amour dont l’a entourée sa famille et ses amis, l’a beaucoup aidée et a permis à sa maman et à son papa de l’accompagner courageusement jusqu’au bout. Un jour, alors qu’elle avait été hospitalisée aux urgences, elle plongeait sans cesse dans le coma… Le lendemain, quand elle eut retrouvé sa lucidité, elle reçut la visite d’une visiteuse bénévole qui l’invita à chanter avec elle. Elle enregistra plusieurs chansons enfantines sur un CD. Je ne peux oublier celle-ci qu’elle a chantée à ma demande.

Un pas suivi d’un autre pas pour aller jusque chez toi… Un pied suivi d’un autre pied pour lier notre amitié… Que c’était beau ! Un enfant qui côtoie la mort quotidiennement, et qui devient un témoin d’éternité… Un enfant de sa classe a dit que la messe des funérailles, c’était comme une messe de mariage ! Il a vu juste, le gamin ! Si vous passez un jour à Louvain-la-Neuve, arrêtez-vous au cimetière du Blocry. Dans le fond, à droite, dans l’angle du cimetière, cherchez une tombe qui est toujours recouverte de fleurs, c’est la tombe d’Aude, témoin de la vie éternelle ! Demandez-lui de prier pour vous, elle le fera, j’en ai l’expérience !

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Le Testament d’Édith Piaf… Je demande qu’on n’ouvre cette lettre qu’après ma mort. Ce n’est pas moi qui l’écris. Je me sens trop faible pour le faire. J’ai essayé tout à l’heure, mais ma main tremble trop. Les mots vont de travers et sont illisibles. Aussi, je dicte à l’infirmière qui veille sur moi. Cette lettre est plus qu’un testament. Je voudrais qu’elle fasse comprendre qui j’ai été vraiment et pourquoi, parfois, j’ai mené une vie absurde. Même dans mes confidences les plus sincères, même avec mes amis les plus dévoués, il y a des choses que je n’ai jamais dites. Par pudeur ou pour ne pas faire de la peine, je me suis tue. Et puis peut-être aussi parce qu’il y a des choses qu’on n’ose pas dire. Mais il y a un moment dans la vie, lorsque la maladie vous frôle avec opiniâtreté, lorsqu’on sent, comme je le sens moi, la mort rôder à tout instant, il y a un moment où on est obligé de faire le point avec soi-même. Il y a un moment où on se demande si on n’a pas vécu pour rien. Il y a des moments aussi où la solitude vous pèse tellement, où on se sent tellement seule et abandonnée sur terre, où l’on sent tellement que l’on est lucide vis-à-vis de soi-même, qu’on comprend qu’on est arrivé au bout du rouleau. Je ne sais pas si je guérirai ou si je rechanterai un jour. Quoi que me réserve l’avenir, le jour est arrivé pour moi de faire le bilan de ma vie. J’ai fait bien des sottises. Souvent, j’ai été injuste, parfois même méchante. J’ai gaspillé mes forces, ma santé, ma fortune. J’ai été prodigue en tout, d’une manière exagérée, folle. Je me suis jusqu’à présent cherché et trouvé mille circonstances atténuantes. Aujourd’hui, je n’en ferai rien. Je veux me pencher sur ma vie et me juger franchement, sans tricher, sans excuses. On a fait de moi un « monstre sacré », on a bâti autour de moi une

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légende et on m’a hissée sur un piédestal de gloire. Tout ce que j’ai pu faire de bien ou de mal a pris les dimensions de ma renommée. Pourtant on a oublié une chose. C’est qu’au-delà de l’artiste, il n’y avait qu’une femme, avec toutes ses faiblesses et ses tourments. J’aurai bientôt quarante-huit ans. Et j’éprouve la sensation amère d’être passée à côté de bien des joies. Pour beaucoup, je le sais, je devrais être une femme heureuse. J’ai eu la gloire, l’argent, les amours. Mais ce ne sont pas des amours que j’aurais voulu connaître, mais un seul, mais un véritable amour. Oh, je sais, bien souvent mes amis se sont moqués de moi en me disant que j’avais une mentalité de midinette, et que je recherchais dans l’amour cette fraîcheur et cette pudeur de mon enfance. C’est vrai. Pour moi, l’amour devrait être comme ça. Rien ne m’arrache davantage de larmes que lorsque je vois, perdus dans la foule, un garçon et une fille se tenir par la main et se regarder tendrement, naïvement. L’amour, pour moi, ce n’est pas fait pour les adultes. Les hommes et les femmes ne savent pas aimer. Ils abîment, ils salissent tout. C’est pourquoi l’amour ne m’a jamais apporté le réconfort et l’apaisement que je lui demandais. L’amour des « grands » ne m’inspire pas confiance. Peut-être est-ce ma faute parce que je n’ai pas connu cette vie de famille tranquille qui donne aux enfants l’équilibre plus tard ? Trop tôt — j’avais quinze ans — j’ai cherché auprès d’un garçon trop jeune le soutien, l’aide et la tendresse que mon père n’avait pas su me donner. Après j’ai, chaque fois, demandé à ceux que j’avais aimés, de me soutenir, de me rassurer. Mais j’en arrive à croire que les hommes sont bizarres. Ils voient trop souvent chez les femmes un corps à aimer, un sourire qui les flatte, et c’est pourquoi vainement, j’ai cherché la tranquillité.

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C’est peut-être aussi la faute de mon métier si j’ai connu tellement d’échecs en amour. Parce que la chanson a fait de moi une vedette, il m’aurait fallu un homme célèbre aussi. C’est pourquoi, à chaque fois que je l’ai pu, je me suis efforcée, je me suis démenée, pour faire de cet homme aimé une personnalité célèbre. Mais tous, ou presque, leur gloire arrivée, m’ont déçue. Ils se sont révélés tellement indignes de leur réussite, tellement incapables avec cette fortune qui leur tombait entre les mains, et tellement stupides avec leur gloriole, qu’ils m’ont dégoûtée. Dans cette lettre, je ne citerai pas leurs noms. Je sais que tous se reconnaîtront avec leur cupidité et leur ambition. Oui, j’ai cherché cet homme qui serait pour moi plus qu’un mari, qui serait un compagnon, un frère, un père. Cet homme avec qui je rirais ou pleurerais pour les mêmes raisons, cet homme avec qui j’aurais de la connivence. Je l’ai cherché. Et parce que je l’ai cherché souvent, parce qu’on m’a vue toujours au bras d’un homme, on a fait de moi une femme volage pour qui l’amour n’était qu’un bonheur sans lendemain. Pourtant, je vous l’avoue, le bonheur, quel qu’il soit, je ne l’ai jamais éprouvé. Oh… souvent j’ai cru le tenir, mais il m’a bien vite échappé. Alors, échec après échec, à chaque déception, je me suis enfoncée un peu davantage dans la certitude que ce que j’attendais ne m’arriverait jamais. Les années ont passé. Si, jeune, je savais que les garçons s’intéressaient à moi parce que sans être belle j’étais mignonne, quand les rides et la fatigue et les maladies ont marqué mon visage, j’ai connu un drame. Je me suis aperçue un jour, qu’on me jouait la comédie de l’amour pour réussir, par intérêt. La première fois, en 1957, j’ai entendu l’homme qui disait m’aimer, raconter à des amis : « Édith me permet de réussir en quelques semaines, alors que sans elle il me faudrait des années. »

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Ce jour-là, j’ai réalisé que j’avais vieilli. Et pour une femme, c’est un jour atroce. C’est depuis ce moment-là que j’ai commencé à me détacher de lui de plus en plus. J’ai accumulé les sottises alors que j’aurais dû acquérir la sagesse. C’est depuis cette époque aussi que je ne parviens plus à m’accrocher à rien. Depuis cette époque, j’ai connu la peur, la peur de mourir seule, sans personne autour de moi, abandonnée de tout le monde, parce que, brutalement, tout s’est éclairé en moi. Et je me suis aperçue que lorsque la maladie s’abattait sur moi, lorsqu’on m’annonçait perdue pour la chanson, personne ne venait me trouver. Je me souviens, entre autres, de cette nuit de Noël 1958. J’avais à tout prix, bien qu’encore faible, voulu quitter la clinique pour revoir mes amis. J’ai fait téléphoner à tous par ma secrétaire. Quand, à trois heures du matin, je me suis résignée à me coucher, personne n’était venu. J’étais toute seule, horriblement seule, dans cette maison que j’avais voulu grande pour recevoir des amis. C’est pourquoi j’ai épousé Théo, il y a bientôt un an. Par peur de cette terrible solitude qui m’angoisse et qui rend folle la nuit quand je ne dors pas. Longtemps j’ai hésité avant d’accepter sa demande en mariage. Au début par méfiance. Je me demandais pourquoi un garçon si jeune s’intéressait à une femme bien plus âgée que lui. J’ai bien sûr pensé que c’était par intérêt. Et puis, ma foi, j’ai dû me convaincre qu’il était sincère. J’ai été égoïste, j’ai pensé que je ne serais plus jamais seule. Mais je le dis parce que cette lettre ne sera lue qu’après ma mort, il y a déjà plusieurs mois que je regrette mon mariage. Je n’aurais jamais dû me remarier. En tout cas pas avec un garçon si jeune.

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Parce que, bien que j’aie essayé de me le cacher, mon mariage ne m’a pas apporté la paix. Au contraire, depuis que Théo est dans ma vie, mes tourments ne cessent d’augmenter. Je me suis vue l’autre jour dans mon miroir et j’ai vu mon visage décharné. J’ai du mal à marcher. Depuis mon mariage, je passe ma vie à être malade, à être transportée d’une clinique à l’autre. Maintenant, je m’en veux de mon égoïsme. Théo est top jeune pour que je l’enchaîne à mon chevet. Seulement lui rendre la liberté, seulement le voir partir et me retrouver toute seule est pour moi au-dessus de mes forces. Mon Dieu, que je regrette aujourd’hui, comme je voudrais pouvoir tout recommencer à zéro… À l’âge où l’on commence à comprendre la vie, à l’âge où l’indulgence remplace la colère, il est trop tard. Il aura vraiment fallu qu’après une vie de tourbillons et de bruit, je me retrouve seule avec mon infirmière dans cette maison de Plascassier, perdue dans les collines, pour que je prenne conscience de tout ça. Comme j’ai changé… je me retrouve soudain ce besoin de pureté, cette envie de pleurer qui m’envahissait lorsque je n’étais qu’une petite fille. Cette envie de poser ma tête contre une épaule et de fermer les yeux et de me reposer enfin. Quand je pense à ma vie, à toutes ces débauches de forces, j’ai honte de moi. Quand je revois cette petite femme engoncée dans sa fourrure, qui traîne dans la nuit sa solitude et son ennui, je pense que Piaf, ç’a été ça… J’ai été quelquefois injuste et parfois méchante. J’ai été aussi ronchonneuse et autoritaire. À tous je demande pardon. Et lorsque vous lirez cette lettre à ne publier qu’après ma mort, ne pleurez pas 19.

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Père, entre tes mains, je remets ma vie J’aimerais être assez conscient pour redire la parole du Sauveur : « Père, entre tes mains, je remets ma vie. » Ma vie a eu ses peines et ses joies, ses échecs et ses succès, ses ombres et ses lumières, ses fautes, ses erreurs et ses insuffisances, et aussi ses enthousiasmes, ses élans et ses espérances. J’ai terminé ma course. Que je m’endorme dans ta paix et dans ton pardon ! Sois mon refuge et ma lumière. Je m’abandonne à toi. Je vais entrer dans la terre. Mais que mon ultime pensée soit celle de la confiance. Puissé-je alors me rappeler le verset cité par saint Paul : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera ! » Sûr de ta Parole, Seigneur, je crois que je revivrai avec tous les miens et avec la multitude de ceux pour qui tu as donné ta vie. Alors la terre sera rénovée et réhabilitée, et il n’y aura plus ni mort, ni peur, ni larme 20.

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Il fait nuit Ma cellule de prison est tout entière plongée dans la nuit. Je suis seule, enfouie comme au fond d'un puits, emmurée et sans appui… Et dans ma solitude aujourd'hui je pense à toi, Jésus ; au plus fort de ma nuit, je ne connais que toi ! J'ai commis l'irréparable et j'attends la sentence de la justice humaine. Je risque sûrement la condamnation à mort ! Mais toi que dis-tu, Jésus ? J'ai demandé à l'aumônier de me composer une prière pour m'accrocher à toi. Me voici face à la justice des hommes, et devant toi, brisée, humiliée, ma vie est en morceaux… « Fais, mon Dieu, a-t-il écrit, qu'avec les morceaux qui me restent, je puisse encore rebâtir une nouvelle vie ! » Le Christ n'est pas venu appeler les justes mais les pécheurs !


L’heure est venue

Dietrich Bonhoeffer écrivait dans son camp de la mort : « En moi tout est sombre, mais en toi est la lumière. Je suis seul, mais tu ne m’abandonnes pas. Je suis sans courage, mais le secours est en toi. Je suis inquiet, mais la paix est en toi. En moi habite l’amertume, mais en toi est la patience. Je ne comprends pas tes voies, mais tu connais mon chemin 21. » Quelle lumière ! Et nous, quand cesserons-nous d’occulter la mort, d’éloigner cette réalité de notre vie quotidienne ? Ne trahissons pas notre vocation chrétienne ! Au baptême, nous avons été plongés dans la mort et la vie du Seigneur Jésus ! Comme j’ai eu mal, ce jour-là, quand ayant appris que la mamy S. était décédée, je me suis rendu à l’hôpital. Là, j’ai rencontré son petit-fils qui m’a assuré qu’elle n’avait pas souffert. Mais il a ajouté tout de suite : « Mais on a fait ce qu’il fallait pour… » Pourquoi vole-t-on leur mort à nos parents, à nos bienaimés ? Pourquoi, sous prétexte qu’ils ne veulent pas les voir souffrir, certains enfants réclament-ils « la piqûre » pour leurs vieux parents ?

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Pourquoi dérober à l’homme sa mort ? La mort est dérobée à l’homme comme s’il y avait quelque chose d’obscène, notre vie risque de ne plus être confrontée au moment de notre propre finitude, nous faisant perdre toute capacité de rapport authentique avec les hommes, les créatures, le monde. La signification de la vie subit une déformation inhumaine et le sens de la mort échappe de plus en plus à l’homme qui se voit contraint à mourir de façon inconsciente, dans l’espace des laissés-pour-compte, selon les modèles fournis par les idéologies de la société de consommation et de l’hédonisme 22.

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Depuis que le Christ est mort pour le salut du monde, depuis que, par la mort de ce crucifié, la vie de Dieu et sa gloire sont entrées définitivement dans le monde, il n’y a pas dans l’univers d’événement plus important que cette mort. En face d’elle, tout autre événement est provisoire et sans importance. Si cependant nous avons reçu l’appel et la grâce de mourir avec lui, alors le banal fait quotidien que nous appelons la mort de l’homme et qui atteint chacun de nous, est emporté dans les mystères de Dieu. (…) Il nous suffit de contempler la mort du crucifié, d’entendre et de répéter ses paroles qu’il prononça et qui formulent ce qu’il y a de plus profond et de plus élevé en sa mort: «Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? (…) Père, je remets mon esprit entre tes mains.» Près du crucifié étaient suspendus, à sa droite et à sa gauche, bouleversante symbolique, deux autres mourants. Deux hommes qui blasphémaient la mort, parce qu’ils ne l’avaient pas comprise. Mais qui pourra la comprendre? L’un regarda la mort du Christ. Et ce qu’il vit suffit à lui faire comprendre sa propre mort. Car on a compris sa mort et on l’a vraiment comprise, quand on dit au Christ mourant: «Souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume.» Et le Fils de l’homme, qui partagea notre sort mortel, dit à ce mourant, le projetant ainsi dans la Vie: «Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis.» Cela même, il nous le dit aussi 23.

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La mort est toujours connue par personne interposée. On la sent approcher, peut-être l’a-t-on déjà frôlée… Mais tant qu’on en parle, elle demeure la grande inconnue : « N’essaie pas de comprendre l’incompréhensible, dit Jésus à son ami qui vient de perdre son fils. Non, la mort n’est pas injuste puisque tu ne sais pas ce que c’est la mort. Tout ce que tu sais, c’est qu’elle te prive de ton fils. Mais où est-il ? Que sent-il ? Il ne faut pas se révolter : tais-toi, ne raisonne plus, espère 24. »


Il est venu, le temps de la moisson

À peine Job avait-il appris la nouvelle de la mort de ses enfants, que ses amis accoururent près de lui pour lui manifester leur sympathie. « De loin, fixant les yeux sur lui, ils ne le reconnurent pas. Alors ils éclatèrent en sanglots… Puis, s’asseyant à terre près de lui, ils restèrent ainsi durant sept jours et durant sept nuits. Aucun ne lui adressa la parole à la vue d’une si grande douleur » (Jb, 12 s). Merci à tous ceux-là, famille, amis, voisins et connaissances qui s’empressent de venir nous témoigner toute leur sympathie… Cependant, toutes ces condoléances, aussi sincères soient-elles, ne suffisent pas pour nous libérer de cette colère qui gronde en nous ! Nous ne pouvons accepter ce mal partout présent, toutes ces limites, notre souffrance mais aussi celle des enfants, des innocents, « cette douleur d’innocence », ensemble mal moral et physique. Si Dieu est Dieu, comment peut-il permettre pareil carnage ? Pourquoi ces cancers, ces accidents, ces morts subites, ces catastrophes ? Pourquoi le malheur s’acharne-t-il sur ceux « qui n’ont pas mérité cela » ? La révolte nous colle à la peau, et c’est bien normal, car il n’est pas normal que les choses se passent de la sorte !

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Job était bouleversé par le scandale du mal, et nous, nous le sommes parce qu’un être cher vient de nous quitter, et qu’en même temps, nous sommes confrontés à notre propre mort. Et pourtant, Dieu est Dieu, que savons-nous de ses desseins sur le monde ? Nous avons vite fait de nous former une certaine idée de son mystère, et nous en déduisons ensuite ce qu’il devrait faire et ne pas faire… Croire en Dieu, certes, c’est accepter que ses vues dépassent les nôtres et accepter qu’il a un plan d’amour sur l’humanité… mais accepterons-nous de croire qu’il est assez puissant pour tirer le bien du mal ? Et d’ailleurs sommes-nous bien sûrs qu’il ne souffre pas plus que nous du malheur qui accable ses enfants ? Et Dieu n’a trouvé d’autre réponse à nous donner qu’en nous donnant son Fils ! Il prend sur lui l’immense détresse humaine, il se jette dans l’immense mystère du mal. Crucifié par la haine, il porte à son paroxysme le mystère du mal : scandale de la souffrance, de l’injustice, scandale du péché vainqueur ! Mais si le mal semble triompher absolument, le Christ, lui, fait confiance jusqu’au bout à l’amour de son Père, et « remet son esprit entre ses mains » (Lc 23, 46). Jésus est le seul parmi les hommes à oser vivre d’un autre, à vivre un abandon radical entre les mains de son Père. Un homme est-il là, souffrant, agonisant, déchiré par la mort ? Dans le Christ, Dieu est là ! Un homme, un peuple, est-il méprisé, bafoué ? Dans le Christ, Dieu est là ! Un homme est-il abandonné de tous, apparemment abandonné de Dieu ? Dans le Christ, Dieu est là ! Le mal, apparente négation de Dieu, nous vaut, dans le Christ, une vivante, une bouleversante présence de Dieu. Le Christ, dans son mystère pascal, s’ouvre pour toujours au don

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d’amour du Père : Il est le Fils bien-aimé en qui le Père a mis tout son amour. Il fait de nous des enfants adoptifs. L’Esprit crie en nous : « Abba ! Père ! Papa chéri ! » Pourquoi donc ai-je toujours gardé en mémoire depuis tant d’années l’image de cet homme qui agonisait seul sur son lit à l’hôpital de Nancy ? Je me trouvais à son chevet. Il s’endormait doucement dans la mort… Soudain, lentement, majestueusement, il a esquissé sur sa poitrine un immense signe de croix ! Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit !

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Job, mon frère… Dieu notre Père, donne-nous, nous t’en prions, la force de lever les yeux vers toi, malgré la tristesse qui nous envahit et toutes les questions qui montent de nos cœurs. Comme cet homme de la Bible, Job, écrasé de douleur devant la mort de ses enfants, nous crions : « Pourquoi donnes-tu un jour la lumière et la vie, si c’est pour les reprendre si vite et si tragiquement ? » (Jb 3, 20-25). « Pourquoi nous as-tu fait naître si c’est pour marcher dans la nuit et le désespoir ? » (Jb 17, 14-16). Où es-tu, Dieu, quand nous souffrons, quand tout se brouille dans nos têtes, quand tout devient injuste et absurde, comme le départ de notre ami ? Peut-être nous reste-t-il de regarder Jésus, ton Fils, lui aussi « seul et angoissé » au mont des oliviers (Mt 26, 37), à la veille de la plus injuste et de la plus cruelle des morts. Qu’il soit, comme un frère peut l’être parfois, « notre interprète auprès de toi » (Jb 16, 19-21). Qu’il te présente lui-même toute la grandeur et la beauté de la vie de notre ami, tout ce qu’il a fait et rêvé de faire pour que nos relations soient plus belles et notre monde plus harmonieux. Que Jésus nous accorde à tous la paix, la consolation et la lumière qui nous semblent aujourd’hui tout à fait inaccessibles. Aussi dans la confiance quand même, nous nous tournons vers toi 25.

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Des pas sur le sable Une nuit, j’ai eu un songe. J’ai rêvé que je marchais le long d’une plage, en compagnie du Seigneur. Dans le ciel apparaissaient, les unes après les autres, toutes les scènes de ma vie. J’ai regardé en arrière et j’ai vu qu’à chaque scène de ma vie, il y avait deux paires de traces sur le sable : l’une était la mienne, l’autre celle du Seigneur. Nous continuions à marcher ainsi, jusqu’à ce que tous les jours de ma vie aient défilé devant moi. Alors, je me suis arrêté et j’ai regardé en arrière. J’ai remarqué qu’en certains endroits, il n’y avait qu’une seule paire d’empreintes, et cela correspondait exactement avec les jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse, de plus grande peur et aussi de plus grande douleur. J’ai donc interrogé : « Seigneur, tu m’as dit que tu étais avec moi tous les jours de ma vie et j’ai accepté de vivre avec toi. Mais j’ai remarqué que dans les pires moments de ma vie, il n’y avait qu’une seule trace de pas. Je ne peux pas comprendre que tu m’aies laissé seul aux moments où j’avais le plus besoin de toi. » Et le Seigneur me répondit : « Mon fils, tu m’es tellement précieux ! Je t’aime ! Je ne t’aurais jamais abandonné, pas même une minute ; les jours où tu n’as vu qu’une trace de pas sur le sable, ces jours d’épreuve et de souffrance, eh bien ! c’était moi qui te portais 26. »

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Et si la mort était naissance… Ce matin, je pensais à ceci : l’enfant dans le ventre de sa mère est au chaud et vraisemblablement heureux. Il croit que ce petit espace tiède est son univers où rien ne manque. De l’univers que nous connaissons, quel soupçon peut-il avoir ? Aucun. En admettant qu’on puisse entrer en communication avec l’enfant qui n’est pas encore né, quelle notion pourrions-nous lui donner de ce que c’est qu’un livre, une maison ? Pas la moindre. Nous sommes dans la même situation par rapport au monde de l’au-delà qui s’étend autour de nous et que nous n’atteignons, en général, que dans la mort. En réalité, nous sommes assis dans une cavité sombre où nous nous plaisons, et nous ne naîtrons qu’en poussant des cris, quand nous mourrons. Alors nous découvrirons un univers d’une beauté inexprimable… 27


In memoriam…

Il arrive souvent, lors de funérailles, qu’un membre de la famille ou un proche demande de lire un texte de sa composition. Je n’aime pas les éloges funèbres, c’est un genre littéraire qui sonne faux la plupart du temps, mais j’apprécie beaucoup ces textes qui tiennent souvent sur une page et qui expriment avec beaucoup d’affection et de tendresse, mais aussi de manière très poétique et avec une bonne dose d’humour, quelques traits de la vie du disparu. C’est avec beaucoup de respect que je veux présenter quelques-uns de ces textes pour, éventuellement, aider ceux et celles qui voudraient écrire quelques lignes à leur tour pour évoquer la vie de ce défunt et rappeler certaines qualités qu’il a manifestées, parfois de manière héroïque… On est souvent étonné de découvrir la grandeur de certaines vies… Et c’est un grand bonheur de pouvoir être le témoin émerveillé de tout cet amour, de ce dévouement pour leur famille ou au service de la communauté. Il n’y a rien d’autre à faire que de dire merci et de communier en profondeur, amoureusement, avec tous ces témoins vivants de l’amour qui est en Dieu et qui est Dieu !

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L’adieu au visage Ton visage, nous l’aimions ! On t’y voyait en entier. Il était la fenêtre qui ouvrait sur ta lumière. Il était la porte qui nous invitait chez toi. Voir ton visage d’amour nous suffisait : Nous étions sûrs de ta tendresse Et de l’offrande que tu faisais de toi, Simplement sans rien dire, Pour nous donner du bonheur chaque jour, Ton visage de colère face à la bêtise Qui parfois semble l’emporter Dans le cœur et dans le monde. Ton visage de sourire éclairé d’une joie Qui nous entraînait dans son soleil, Ton visage de tempête lorsqu’en toi, comme en tout être, S’affrontaient le désir de te dépasser et l’envie de te laisser aller. Ton visage de silence avec ses secrets à chercher Comme un trésor réservé à ceux qu’on aime. Nous aimions ton visage devant nous, Ton visage si humain Pour toujours à l’image et à la ressemblance de Dieu ! Maintenant, il disparaît ton visage ! Il échappe à nos yeux et à nos mains Pour s’inscrire, invisible mais présent, dans notre cœur. Entre nous, il n’y aura plus de face à face Jusqu’au jour où, nous retrouvant sur l’autre rive, Nos visages seront transfigurés devant la face de Dieu. À Dieu, ton visage ! En sa présence, il trouve sa définitive beauté 28 !

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Nous te confions grand-mère… Grand-mère est morte : elle nous rassemblait. Grand-mère, tu es partie et je n’ai pas bien compris. Faut dire que c’est la première fois que la mort me touche de si près. Je suis venue te voir sur ton grand lit de mort ; je tenais à te regarder une dernière fois avant que tu ne partes pour toujours. Mais tu sais, ton visage si blanc que j’ai vu ce jour-là crois-moi, ce n’est pas l’image que je garderai de toi. J’aurais voulu te dire qu’une grand-mère comme toi, c’est… c’est bien. Dans mon cœur, tu seras toujours la grand-mère de mes vacances, toujours disponible, toujours prête à faire plaisir. Pour moi, tu resteras toujours la grand-mère galette qui nous chantait des chansons, qui nous racontait des histoires, ton histoire : le lavoir, l’usine, la guerre, les pommes de terre des fins de mois… mais aussi la grand-mère toujours dans le coup, curieuse de notre vie, nous tes petits-enfants. Et puis, même s’il ne se passait rien d’exceptionnel, si nos conversations n’étaient pas extraordinaires, tu étais là, tu écoutais, tu conseillais même, et tout était facile. Tu sais, ta foi, même si je trouvais ça un peu naïf, eh bien ça a fait en moi quelque chose d’important. Attentive à tous, tu avais toujours, dans tes prières, un petit mot pour celui qui était malade, pour celle qui attend un bébé,

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tu nous portais tous dans ta prière. Aujourd’hui, un peu comme un dernier salut, parce que je sais que c’était une chance d’avoir une grand-mère comme toi, je voudrais, par ma prière, te dire merci, grand-mère 29 !

Nous te confions grand-père Grand-père vient de mourir… Il n’était pourtant pas si mal !… Nous aurions pu penser être préparés à cet événement et pourtant sa mort nous bouleverse comme si elle n’avait jamais dû se produire ! Il était si bon ! Il comprenait tout ! Je sais que la mort d’un enfant apparaît plus horrible, scandaleuse, ou celle d’une jeune maman… Mais l’idée que la mort de grand-père serait normale parce qu’il était plus âgé, ça nous révolte. Peut-être est-ce vrai que notre machine, une fois usée, n’a plus qu’à s’arrêter… Mais grand-père n’était pas qu’une machine, c’était « lui » ! Nous aurions voulu qu’il vive mille ans ! Vous direz que je perds la tête ; mais n’est-ce pas la mort qui est absurde ? Oh, nous savons que tout cela est bien banal, la mort est un sujet de réflexions, de philosophie, de littérature inépuisable ! Mais nous n’arrivons pas à croire que tout soit simplement absurde : qu’on naisse sans savoir pourquoi, qu’on meure sans savoir pourquoi, et c’est tout ! Il doit y avoir un sens, une cause cachée ! Qu’une plante meure, qu’un chien meure, peut-être… mais pas grand-père ! « Les yeux qu’on ferme voient encore »… Oui, il doit y avoir quelque chose de cela.

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Mais si quelquefois la vie nous fait douter, au fond de nousmêmes, nous croyons qu’il y a Dieu et la vie éternelle après la mort. Dire cela nous console ?… Non, ce n’est pas le mot. Et cependant, ça change tout… La mort, le péché, le mal, le Christ ?… Peut-être y a-t-il à tout cela une explication, qu’un jour nous saurons… Je le voudrais 30.

Nous te confions Mamy Merveilleuse tu as été avec nous ; Amour tu nous as donné sans rien demander ; Magnifiques, ces moments qui nous manquent à présent ; Incroyables, ta générosité et ta serviabilité. Douce avec nous pour nous réconforter, Entremetteuse pour nous réconcilier, Naturelle dans ta manière de vivre et de parler. Inconsolables nos yeux et nos cœurs sans ton grand cœur, Super Mamy que tu as été pour nous, Envole-toi, tu l’as bien mérité mais pas trop loin, tu vas nous manquer 31.

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Nous te confions papa Nous sommes aujourd’hui réunis pour te rendre un dernier hommage, car tu nous quittes, après une longue et pénible maladie, récompense de plus de trente années de mine. Pourtant, ta vie durant, tu as été pour nous, tes trois enfants, un exemple permanent de courage, de volonté, de dignité, de respect. Ta disponibilité à l’égard de ton métier, de tes engagements dans tous les comités dont tu faisais partie, ta poignée de main aux copains et à tous ceux qui te sollicitaient, ont fait de nous des adultes responsables, mais aussi des enfants très fiers de leur papa. Jusqu’au bout du chemin, tu nous as souri, tu es resté présent, comme lors des différentes épreuves que nous avons traversées. De toi, papa, nous garderons le sens de la famille, de la parole donnée, du respect, de la tolérance et de l’écoute… Certes, très occupé, tu as parfois sacrifié notre vie de famille par obligation, comme ces nuits de Noël où tu étais rappelé au charbonnage. Mais dès que tu le pouvais, tu nous emmenais à l’aventure, que ce soit dans les bois à la cueillette des champignons, dans le grand train des mineurs pour Blankenberge, ou en famille pour les vacances. Alors, tu étais rien qu’avec nous. Chaque soir, au retour de ton travail, ton pas résonnait dans le corridor, signe absolu du baiser que tu venais déposer sur nos fronts de bambins, et ce jusqu’à notre départ pour notre vie d’adultes… Frédéric, Grégory, Antoine, Laetitia, Julie et Elsa ont eu un adorable Dziadzia, qui déjà leur manque beaucoup. Avant de nous quitter, papa, Anielka, André et moi, nous voulons te dire merci. Merci d’avoir été ce merveilleux papa. Merci pour ta générosité et ta foi, et tout cet amour que tu nous as donné ! Repose désormais en paix, près de maman, dans la lumière et la vie éternelle 32.

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Nous te confions Raphaël Il fut placé dès sa naissance en hôpital et partit vers le Père après six mois… Raphaël, mon Raphaël, notre Raphaël, depuis ta naissance, Papa, Gaël et moi, nous avons fait avec toi un bout de chemin d’une intensité inqualifiable. Ce 27 mai 2005, tu es entré dans nos vies à tous, ton histoire commençait. Tu pesais 2,6 kg de bonheur, de vouloir, de force, de courage, de leçon et d’amour. Dès le début de ta vie, nous t’avons aimé, tu nous as aimés. Nous avons eu très souvent peur pour toi, nous avons eu des moments très difficiles, mais nous avons eu aussi des beaux moments ensemble : quand tu étais dans nos bras, quand nous te promenions dans le service et surtout, lors des aérosols. Ils te faisaient beaucoup de bien… tu racontais à ta manière… Tes yeux de velours resteront à jamais en nous. Tu faisais de si grands yeux, tu étais si expressif avec tes beaux yeux, tu nous parlais avec tes yeux ! Ta naissance… un cadeau ! Faire ta connaissance… un cadeau ! Chaque jour avec toi… un cadeau ! Ton amour… un cadeau ! Au long de tout ce temps où tu t’es battu courageusement, tu nous as donné l’occasion de nous habituer à l’idée de ton départ. Tu nous as montré lorsque tu n’en pouvais plus, quand tu voulais t’en aller, et nous t’avons laissé partir. Tu nous as fait des cadeaux en abondance, tu nous as fait grandir ! Merci, Raphaël 33 !

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Un enfant s’en est allé… Rien qu’un petit mot pour te dire qu’on ne t’oubliera pas, que l’on se souvient toujours de tes cheveux blonds, de tes yeux bleus, de ton sourire radieux. Rien qu’un petit mot pour te demander de nous aider à surmonter les rudes épreuves d’ici-bas. Pour te supplier de nous envoyer, du plus profond de ta victoire, ce petit morceau de bonheur, qui s’est perdu dans le labyrinthe de la haine. Rien qu’un petit mot pour t’implorer d’effacer les fissures, les injures, les obstacles, les incompréhensions. Pour te rappeler que l’on compte sur toi, que l’on a besoin de ta force, de ta foi. Enfin, rien qu’un petit mot pour t’affirmer qu’on t’aime, que le plus grand palais, que le plus pur rubis n’est, en comparaison, qu’éphémère beauté 34.

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Nous te confions nos frères suicidés… Il faut se sauver ensemble. Il faut arriver ensemble chez le Bon Dieu. Il faut se présenter ensemble. Il ne faut pas arriver les uns sans les autres. Il faut revenir tous ensemble dans la maison de notre Père… Il faut travailler les uns pour les autres. Qu’est-ce qu’il nous dirait si nous arrivions les uns sans les autres ? Tous les mérites, toutes les vertus ensemble de Jésus et de tous les autres saints ensemble, toutes les saintetés ensemble travaillent et prient ensemble pour tout le monde ensemble 35.

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Tu l’aimes plus fort que nous À cette heure où la mort risque de nous faire douter de la vie, Seigneur, sois très fort avec nous. Dis-nous tes promesses de salut. Dis-nous ton Fils ressuscité, dans cette nuit où il ouvre une brèche de lumière. Tiens-nous debout par la puissance de ton Saint-Esprit guéris la faiblesse de notre foi. Tiens-nous debout dans l’espérance. Toi, le Dieu des vivants, nous remettons entre tes mains N. (notre proche, notre ami…) Au moment où la mort le retranche du milieu de nous, ouvre-lui toi-même les portes de la vie. Toi qui l’aimes plus fort que nous, garde-le dans ton amour, garde-le avec ton Fils Jésus Christ, pour toujours, auprès de toi 36.


Ils contempleront celui qu’ils ont transpercé

Que de fois je l’ai aperçu, ce calvaire qui se trouvait à l’entrée de notre église paroissiale ! Toujours, j’ai trouvé dans le visage du Christ une attitude de bonté et de compassion. Quand j’étais gosse, j’accompagnais le prêtre qui portait la communion aux malades, avec dans une main la clochette, et dans l’autre la lanterne… Qu’est-ce qui n’est pas passé dans ma petite tête durant ces longues marches où j’accompagnais le Roi des Rois en ambassade chez les malades. Vous qui connaissez la souffrance et la peine, vous qui êtes couché depuis des années, osez-vous contempler ce Jésus crucifié, suprême témoignage de l’amour du Dieu vivant ? Je lui demande de vous faire comprendre qu’il n’est pas venu supprimer la misère humaine mais la partager et y faire reposer la puissance de l’amour de Dieu son Père. Oui, Jésus a été éprouvé en tout, comme nous, à notre manière, ni plus ni moins… Il a affronté la mort ; il est mort et est ressuscité par la puissance de l’amour de son Père. Il accueille dans son Royaume de lumière et de paix ceux qui ont un cœur de pauvre et un cœur d’enfant…

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Oui, Jésus a été éprouvé en tout… Du Christ, il est écrit qu’« il a été mis à l’épreuve en tout, sauf le péché » (He 4, 15). L’homme éprouvé, je le rencontre tous les jours. Il est frappé par la souffrance, et celle-ci porte beaucoup de noms : maladie, infirmité, séparation, perte d’une situation, chômage, déception, rupture, échec… L’épreuve est venue, comme ça, brutalement, et elle demeure. L’homme a résisté à l’assaut. Il vit. Il a mobilisé toutes ses ressources, ses énergies. Il tient. Je veux dire : il tient tête au mal qui s’est attaqué à lui, il ne sait pas ce que sera demain. On appelle cela l’épreuve. C’est une expérience du mal et de la souffrance. Tellement inédite et personnelle que personne de l’entourage ne peut comprendre : « Vous ne savez pas ce que c’est. » Si pénétrante qu’elle modifie le regard intérieur ; l’homme qui subit l’épreuve acquiert une connaissance nouvelle de lui-même, de la vie et du monde : « Quand on est passé par là… » Aussi, à moins qu’il ne soit submergé par trop de douleur, il arrive que son épreuve le rende capable de mieux regarder, comprendre et même aider ses semblables. Éprouvé ?

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Ce même mot qualifie l’homme sur qui s’est abattue la souffrance et l’ami sur qui, dans la souffrance, je peux m’appuyer… L’ami éprouvé, c’est l’ami sûr. L’usure du temps, de la monotonie, voire de l’incompréhension, n’ont pu venir à bout de sa fidélité. Elle a subi l’épreuve et elle a résisté. On peut s’y fier comme à du métal passé par le feu. « Éprouvé en tout » : c’est dit de Jésus. J’ai de la peine à me l’imaginer proche et semblable. Et pourtant, cela fait partie de ma foi. Jésus n’a pas joué à l’homme. Soumis réellement à l’épreuve commune, il est reconnaissable par les hommes : « Celui-là, il est bien des nôtres. » « Du fait qu’il a lui-même souffert l’épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés » (He 2, 18) 37.

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Il est mort pour nous et nous a fait revivre Nous t’adorons, toi, le Très-Haut, tu t’es abaissé et tu nous as élevés, tu t’es humilié et tu nous as honorés, tu t’es fait pauvre et tu nous as enrichis. Tu es né et tu nous as fait naître, tu as reçu le baptême et tu nous as purifiés, tu as jeûné et tu nous as rassasiés. Tu as été conduit prisonnier chez le grand-prêtre et tu nous as libérés, tu as été soumis à l’interrogatoire et tu nous as fait siéger en juges, tu as gardé le silence et tu nous as instruits. Tu as été souffleté comme un esclave et tu nous as affranchis. Tu as été dépouillé de tes vêtements et tu nous as revêtus. Tu as été attaché à une colonne et tu as détaché nos liens, tu as été crucifié et tu nous as sauvés. Tu as goûté le vinaigre et tu nous as abreuvés de douceur, tu as été couronné d’épines et tu nous as faits rois, tu es mort et tu nous as fait vivre, tu as été mis au tombeau et tu nous as réveillés. Tu es ressuscité dans la gloire et tu nous as donné la joie. Tu t’es élevé au ciel et tu nous y as emportés, tu y sièges dans la gloire et tu nous as élevés. Tu nous as envoyé l’Esprit et tu nous as sanctifiés. Sois béni, toi qui viens, tout rayonnant de bonté 38.

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Aux enfants et à ceux qui leur ressemblent, il donne le Royaume « Vraiment, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu en petit enfant n'y entrera pas » (Lc 18, 17). Ce n'est pas en cherchant la différence qu'il y a entre un enfant et un adulte que nous comprendrons la parole du Christ. Regardons plutôt dans quelle terre nourricière l'enfant plonge ses racines… L'enfant a été planté dans le sein de sa mère et s'y est développé durant environ neuf mois. Il n'avait qu'une chose à faire : accueillir la vie ! Il a tout reçu ! C'est peut-être là le signe d'une grande révolution au niveau biologique, mais ce l'est en tout cas, au niveau humain et spirituel : un lien d'amour est créé entre l'enfant et sa mère que rien ne devrait pouvoir briser. Même quand il sera projeté dans le monde extérieur, le nouveauné va encore vivre durant des années dans une totale dépendance et ce n'est que peu à peu qu'il deviendra autonome. Voilà des racines d'une profondeur extraordinaire ! J'ai lu une parole de Frédéric Mistral qui disait que « les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut ». Monter haut, devenir adulte, ce n'est pas se couper de ses racines mais les plonger toujours plus en profondeur ! Nous n'irons jamais bien loin, nous ne monterons jamais bien haut, si nous ne cultivons pas cette attitude fondamentale de l'enfant qui se reçoit d'un autre. S'il est normal que le rôle de la mère et du père s'estompent dans la vie de l'adulte, il est appelé à vivre une relation de plus en plus profonde avec son Père du ciel, à la manière de Jésus. C'est cela le Royaume de Dieu ! Nous sommes tous appelés à vivre de la paternité de Dieu, à plonger nos racines dans le cœur du Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ. Entrons dans le Royaume. Jésus nous dit : « Viens vers le Père ! »

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Le suprême jour de l’homme « Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus, qui croit en moi, fût-il mort, vivra. » Et je crois, oui je crois qu’un jour, ton jour, ô mon Dieu, je m’avancerai vers toi, avec mes pas titubants, avec toutes mes larmes dans mes mains, et ce cœur merveilleux que tu nous as donné, ce cœur trop grand pour nous puisqu’il est fait pour toi… Un jour, je viendrai, et tu liras sur mon visage toute la détresse, tous les combats, tous les échecs des chemins de la liberté, et tu verras mon péché. Mais je sais, ô mon Dieu, que ce n’est pas grave, le péché, quand on est devant toi. Car c’est devant les hommes que l’on est humilié. Mais devant toi, c’est merveilleux d’être si pauvre, puisqu’on est tant aimé ! Un jour, ton jour, ô mon Dieu, je viendrai vers toi, et dans la formidable explosion de ma résurrection, je saurai enfin que la tendresse, c’est toi, que ma liberté, c’est encore toi. Je viendrai vers toi, ô mon Dieu, et tu me donneras ton visage. Je viendrai vers toi avec mon rêve le plus fou : t’apporter le monde dans mes bras. Je viendrai vers toi et je te crierai à pleine voix toute la vérité de la vie sur la terre. « Père, j’ai tenté d’être un Homme et je suis ton enfant 39. »

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Chez nous… Maintenant, nous sommes des êtres fragiles, en proie à la maladie, à la souffrance, à la vieillesse… Mais quand nous serons «chez nous», à la maison du Père, nous baignerons tout entiers dans la santé… Maintenant, nous essayons de nous aimer, en nous faisant mal, parfois en nous décevant… Mais quand nous serons «chez nous», l’amour sera quotidien comme le pain et fort comme l’aurore… Maintenant, le bonheur est la propriété des riches et des puissants. Mais quand nous serons «chez nous», Dieu mettra son tablier et servira au plus petit la plus large part de bonheur… Maintenant, la mort est laide, avec son cortège de maladies, de vieillesse et de souvenirs qui font mal… Mais quand nous serons «chez nous», la mort sera culbutée dans le néant d’où elle vient, elle ne sera même plus un souvenir!… Maintenant, notre cœur cherche sans cesse un peu d’amour, de tendresse, de fidélité… Mais quand nous serons «chez nous», notre cœur aura enfin trouvé sa vraie demeure et il se reposera… Car «chez nous», c’est l’Amour… l’Amour en personne qui nous attend et nous appelle; l’Amour en personne qui déjà nous habite et nous attire à Lui… Car, maintenant, le Ciel de Dieu c’est le Cœur de l’Homme; Mais, quand nous serons «chez nous », le Ciel de l’Homme, ce sera le Cœur de Dieu 40.

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Simple prière d’un contemporain Écoute, mon Dieu, jamais encore je ne t’ai parlé ; mais maintenant, je désire te dire : « Comment vas-tu ? » Écoute, mon Dieu, ils m’ont dit que tu n’existes pas, et comme un sot, je l’ai cru. L’autre soir, au fond d’un trou d’obus, j’ai vu ton ciel… Du coup j’ai vu qu’ils m’avaient dit un mensonge. Si j’avais pris le temps de regarder les choses que tu as faites, j’aurais bien vu que ces gens refusaient d’appeler un chat un chat. Je me demande, Dieu, si tu consentirais à me serrer la main. Et pourtant, je sais que tu vas comprendre… Curieux qu’il m’ait fallu venir à cette infernale place avant d’avoir le temps de voir ta face. Je t’aime terriblement, voilà ce que je veux que tu saches. Il y aura maintenant un horrible combat. Qui sait ? Il se peut que j’arrive chez toi ce soir même. Nous n’avons pas été camarades jusqu’ici, et je me demande, mon Dieu, si tu m’attends à la porte. Tiens, voici que je pleure ! Moi, verser des larmes ! Ah, si je t’avais connu plus tôt… Allons, il faut que je parte. C’est drôle, depuis que je t’ai rencontré, je n’ai plus envie de mourir 41.


Jette-toi dans les bras de ton Père

Quel est, selon vous, le plus beau passage de tous les évangiles ? Eh bien, pour moi, c’est quand Jésus vient d’arriver au jardin des oliviers avec Pierre, Jacques et Jean… Il porte sur lui le poids de l’heure… C’est l’heure des ténèbres… c’est l’heure de vérité. À ce moment, Jésus tombe à genoux et se met à prier son Père. L’évangile de Marc nous rapporte cette parole inouïe : « Abba, Père ; éloigne de moi cette coupe » (Mc 14, 36). Vous entendez, c’est inouï : « Jésus emploie ce doux nom de papa pour appeler son Père des cieux… » Jésus en situation d’infinie détresse appelle son papa… Voilà le secret de Jésus… C’est qu’il a un père, un papa qui l’aime et qu’il chérit lui aussi et à qui il va dire : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46). C’est ainsi que, si nous le voulons bien, nous trouverons la force de traverser l’épreuve du deuil et de la mort : c’est en appelant notre Père du ciel, c’est en nous abandonnant à lui avec une confiance sans bornes. Osons dire avec la petite sainte Thérèse de Lisieux : « C’est la confiance, rien que la confiance qui mène à l’amour ! » Et encore : « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie ! »

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Père, c'est à toi que je m'adresse ce soir avec une confiance tranquille et paisible. Ton Fils m'a appris que tu étais mon Père… Je viens donc simplement te dire que je suis ton enfant, et je te le dis sérieusement, et pourtant avec l’envie de rire et de chanter, tellement c'est beau d’être ton fils; mais, c'est aussi sérieux, car tu m'as tellement aimé, et moi si peu ! Père, fais de moi ce que tu veux. Ta volonté, je le sais, elle est que je devienne semblable à ton Unique, le frère aîné qui m'a appris ton nom : que je marche sur le même chemin. Je n'ai point de force pour cela, mais j’ai la tienne…

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Père, me voici : travaille en moi, taille et coupe, je ne te ferai jamais l'injure d'avoir peur ou de croire que tu m’oublies ; et si je trouve la croix très lourde, je pourrai du moins te répéter inlassablement que je crois à ton amour et que j’accepte ta volonté. Je sais, Père, je n'ai jamais fini de te faire de la peine, mais tu ne finiras jamais de me pardonner. Quant à l'amour, je serai toujours battu ; non pourtant, car tu me donneras le tien. Tu me donneras ton Amour, ton Fils en qui je pourrai tout 42.

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Mon seul désir est de t’aimer Je t’aime, ô mon Dieu, et mon seul désir est de t’aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie. Je t’aime, ô Dieu infiniment aimable, et j’aime mieux mourir en t’aimant, que de vivre un seul instant sans t’aimer. Je t’aime, Seigneur, et la seule grâce que je te demande, c’est de t’aimer éternellement. Je t’aime, ô mon Dieu, et je ne désire le ciel que pour avoir le bonheur de t’aimer parfaitement. Je t’aime, ô mon Dieu infiniment bon, et je n’appréhende l’enfer que parce qu’on n’y aura jamais la douce consolation de t’aimer… Mon Dieu, si ma langue ne peut dire à tout moment que je t’aime, je veux que mon cœur te le répète autant de fois que je respire… Mon Dieu, fais-moi la grâce de souffrir en t’aimant et de t’aimer en souffrant. Je t’aime, ô mon divin Sauveur, parce que tu as été crucifié pour moi. Je t’aime, ô mon Dieu, parce que tu me tiens ici-bas crucifié pour toi… Aimer un Homme-Dieu crucifié pour nous, amour de reconnaissance! Aimer un Dieu qui nous crucifie, amour généreux… Aimer un Dieu fait homme et crucifié pour notre salut, amour intéressé… Mon Dieu, fais-moi la grâce de mourir en t’aimant et en sentant que je t’aime. Mon Dieu, à proportion que je m’approche de ma fin, fais-moi la grâce d’augmenter mon amour et de le perfectionner 43.


En guise de conclusion

Osons donc interpeller Dieu…

Kierkegaard commence par se moquer durement des pseudo-consolateurs de l’affligé : Job ! Job ! Job ! N’as-tu rien à dire de plus que les consolateurs officiels, mesurant leurs paroles aux malheureux, que ces consolateurs de métier, raides comme des maîtres de cérémonies, prescrivant à l’affligé qu’à l’heure de sa détresse, il convient de dire : « Yahvé a donné, Yahvé a ôté. Que le nom de Yahvé soi béni ! » Ni plus ni moins que si l’on disait : « Dieu vous bénisse ! » à qui éternue. Immédiatement Kierkegaard proteste et, s’adressant à Job, il s’écrie : « Tu fus le témoin fidèle de toute la détresse et de tous les déchirements du cœur, le porte-parole osant se plaindre “dans l’amertume du cœur” et contester avec Dieu. Pourquoi cache-t-on cela ?… La crainte de Dieu serait-elle de nos jours devenue si grande que l’affligé puisse être dispensé des usages des anciens temps ? N’ose-t-on plus se plaindre devant Dieu ? La crainte de Dieu a-t-elle augmenté, ou bien la crainte et la lâcheté seraient-elles devenues plus grandes ? » On estime aujourd’hui que l’expression de la souffrance, la langue désespérée de la passion doivent être réservées aux poètes qui, tels des procureurs à un tribunal de première instance, soumettent la cause de l’angoisse au tribunal de la

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compassion humaine. Personne n’ose porter le débat plus haut. » Parle donc, ô Job, à jamais inoubliable ! Répète toutes tes paroles, avocat puissant qui parais devant le tribunal du TrèsHaut avec l’intrépidité du lion rugissant ! » Ta parole recèle la force, et ton cœur la crainte de Dieu, même quand, excédé de leurs propos, tu réduis leur sagesse en poussière et méprise leur défense de Yahvé, semblable aux misérables arguties d’un vieux laquais ou d’un habile ministre. » J’ai besoin de toi, j’ai besoin d’un homme qui sache se plaindre à pleine voix, faisant retentir de ses échos le ciel où Dieu délibère avec Satan pour dresser des plans contre un homme ! Plains-toi : Yahvé ne craint pas, il peut bien se défendre ; mais comment le pourrait-il quand personne n’ose se plaindre comme il sied à un homme ? Parle, élève la voix, parle fort : Dieu peut bien parler plus fort, lui qui dispose du tonnerre — mais le tonnerre est une réponse… 44 »

… et découvrir sa tendresse… « Les sentiments que je voudrais avoir à cette heure et que j’ai actuellement : penser que je vais découvrir la Tendresse. Il est impossible que Dieu me déçoive, l’hypothèse seule est énorme ! » J’irai à lui, et je lui dirai : je ne me prévaux de rien, sinon d’avoir cru en ta bonté. C’est bien là, en effet, ma force, toute

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ma force, ma seule force. Si cela m’abandonnait, si cette confiance en l’Amour me désertait, tout serait fini, car je n’ai pas le sentiment de valoir, surnaturellement, quoi que ce soit ; et s’il faut être digne du bonheur pour l’avoir, c’est à y renoncer. » Mais plus je vais, plus je vois que j’ai raison de me représenter mon Père comme l’indulgence infinie. Et que les maîtres de la vie spirituelle disent ce qu’ils veulent, parlent de justice, d’exigences, de craintes, mon juge à moi, c’est celui qui, tous les jours, montait sur la tour et regardait à l’horizon si l’enfant prodigue lui revenait. Qui ne voudrait être jugé par lui ? » Saint Jacques a écrit : “Celui qui craint n’est pas encore parfait dans l’Amour.” Je ne crains pas Dieu, mais c’est moins encore parce que je l’aime que parce que je me sais aimé de lui. Et je n’éprouve pas le besoin de lui demander pourquoi mon Père m’aime, ou ce qu’il aime en moi. Je serais d’ailleurs fort embarrassé pour répondre ; même strictement, dans l’incapacité de répondre. Il m’aime parce qu’il est l’amour ; et il suffit que j’accepte d’être aimé de lui pour l’être effectivement. Mais il faut que je fasse ce geste personnel d’accepter. Cela, c’est la dignité, la beauté même de l’amour qui le veut. L’amour ne s’impose pas : il s’offre. Ô Père, merci de m’aimer ! Et ce n’est pas moi qui vous crierai que je suis indigne ! En tout cas, m’aimer, moi, tel que je suis, voilà qui est digne de toi, digne de l’amour essentiellement gratuit ! Oh ! cette pensée m’enchante ! Me voilà bien à l’abri des scrupules, de la fausse humilité, décourageante, de la tristesse spirituelle. » On pense d’ordinaire trop à soi et pas assez à lui. Il y a de malheureux théologiens qui ont peur (sans se l’avouer) de faire Dieu trop bon — c’est-à-dire trop beau. Il est bon, mais il n’est pas faible, qu’ils disent… Faible par amour, comme mon Père en est plus grand et plus beau. La croix me donne raison 45. »



Notes

1. Roger Schutz, Dieu ne peut qu’aimer, Presses de Taizé, 2001, p. 17. 2. J. Mousse, in Union-Hebdo, p. 12-15, juillet 1971, cité in J. Pouts et Jean Servel Veillées familiales auprès d’un défunt, Paris, Éd. du Chalet, 1972, p. 38-39. 3. Anne Piron, Chemin de Croix, Durbuy, Éd. Coccinelle, 2004. 4. J. Pouts et Jean Servel, op. cit., p. 36. 5. Jacques Brel, « Grand Jacques » (C’est trop facile), 1955, © Nouvelles Éditions Musicales Caravelle. 6. Elvis Presley, « He Touched Me », RCA, 1972. 7. Ignace de Loyola, Le récit du pèlerin, Namur–Paris, Fidélité–Salvator, 2006, p. 25-26. 8. Marc-Alain Ouaknin, Dieu et l’art de la pêche à la ligne, Paris, Bayard, 2001, p. 93. 9. J. Servel, Au pas de Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1971. 10. Jean Debruynne, s.l.n.d. 11. Pierre Teilhard de Chardin, Le Milieu Divin, Paris, Seuil, 1957, p. 95-96. 12. Mère Alice-Aimée, carmélite (1896-1976), d’après saint Jean de la Croix. 13. D’après un écrit de Charles de Foucauld. 14. Jean XXIII, Journal de l’âme, Paris, Cerf, 1964, p. 423, cité in Pouts et Servel, op. cit., p. 42-43.

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15. Jackie Waller, témoignage inédit (Verviers, 1967). 16. Inspiré de « Célébrer l’adieu », in Signes d’aujourd’hui, Paris, Bayard, 2002. 17. Rainer Maria Rilke, Le Livre de la pauvreté et de la mort, s.l.n.d., p. 23-27. 18. Lu dans le mensuel Panorama. 19. Testament d’Édith Piaf, trouvé dans mes notes de retraites. Origine inconnue. 20. Jean Delumeau, Ce que je crois, Paris, Grasset, 1985, in Passer la mort, Paris, Éd. ouvrières, 1984, p. 5. 21. Dietrich Bonhoeffer, pasteur luthérien pendu en 1945 sur ordre d’Adolf Hitler, cité in Pouts et Servel, op. cit., p. 54. 22. Enzo Bianchi, Vivre la mort, Paris, Parole et Silence, 2005, p. 5. 23. Karl Rahner, Le chrétien et la mort, Paris, Desclée de Brouwer, 1971, cité in Pouts et Servel, op. cit., p. 122. 24. Charles Delhez, in La Libre Belgique, 14-04-2006, p. 31. La citation est d’Éric-Emmanuel Schmidt, L’Évangile selon Pilate, Paris, Albin Michel, 2005, p. 35. 25. Origine inconnue. 26. Adémar De Barros, poète brésilien. 27. Origine inconnue. 28. www.dominicains.be (textes pour célébrer les funérailles). 29. Origine inconnue. 30. Trouvé sur le site Web de la paroisse de Lestrem. 31. Texte lu lors de funérailles. 32. Texte lu lors de funérailles. 33. Texte lu lors de funérailles. 34. Pierre Cocheteux, Association Jonathan Pierres vivantes (Paris). 35. Charles Péguy, Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, cité in Pouts et Servel, op. cit., p. 108. 36. Rituel des funérailles, II, p. 212.

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37. Jean Toulat, in revue Aujourd’hui la Bible, no 26, p. 3. 38. Liturgie maronite. 39. Jacques Leclercq, Le jour de l’homme, Paris, Seuil, in Face à la mort des vivants, Paris, Éd. Ouvrières, 1991, p. 82. 40. Georges Madore, s.m.m. Texte trouvé sur le site Web de la paroisse de Gazeran (Yvelines, France). 41. Ce texte a été trouvé sur le corps d’un soldat américain, lors du débarquement en Afrique du Nord (www.tresordelafoi.org). 42. Écrits spirituels de Pierre Lyonnet, Paris, Éditions de l’Épi, 1951. 43. Jean-Marie Vianney, saint Curé d’Ars. 44. Kierkegaard, Répétition et expérience psychologique, cité et commenté par Jean Steinmann in Le livre de Job, Paris, Seuil, p. 354-355, cité in Pouts et Servel, op. cit., p. 111-112. 45. Auguste Valensin, s.j., La joie dans la foi. Méditations, Paris, Aubier, 1955.

Nous avons de essayé de contacter tous les ayants droit au copyright. Si toutefois certains textes étaient repris sans que les ayants droit aient été avertis, ceux-ci sont priés de prendre contact avec l’éditeur.



Tables des matières Risquer la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Le mystère du mal

Y a quelqu’un… ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Où êtes-vous Madame H ?… Wo sind Sie, Frau H. ? He Touched Me

As-tu compté les étoiles ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Je suis fait pour toi… Tu t’en vas cueillir le soleil Je m’y aventure sur votre parole

Des profondeurs, je crie vers toi ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Un amour m’attend Mon Père, je m’abandonne à toi L’au revoir du « bon Pape Jean »

Face à la mort, oser la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Ainsi vivait Jackie… Ainsi priait Rainer Maria Rilke

Mûrir sa mort… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Le Testament d’Édith Piaf… Père, entre tes mains, je remets ma vie Il fait nuit

L’heure est venue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Pourquoi dérober à l’homme sa mort ?

Il est venu, le temps de la moisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Job, mon frère…

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Des pas sur le sable Et si la mort était naissance…

In memoriam…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 L’adieu au visage Nous te confions grand-mère… Nous te confions grand-père Nous te confions Mamy Nous te confions papa Nous te confions Raphaël Un enfant s’en est allé… Nous te confions nos frères suicidés… Tu l’aimes plus fort que nous

Ils contempleront celui qu’ils ont transpercé. . . . . . . . . . . . . 83 Oui, Jésus a été éprouvé en tout… Il est mort pour nous et nous a fait revivre Aux enfants et à ceux qui leur ressemblent, il donne le Royaume Le suprême jour de l’homme Chez nous… Simple prière d’un contemporain

Jette-toi dans les bras de ton Père. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Mon seul désir est de t’aimer

Osons donc interpeller Dieu… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Tables des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

Achevé d’imprimer le 15 juin 2007 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).



Alexis Smets, s.j., est l’auteur de plusieurs livres aux éditions Fidélité. Il donne des retraites et des cessions dans l’esprit du Renouveau charismatique.

ISBN : 978-2-87356-373-8 Prix TTC : 9,95 €

9 782873 563738

Alexis Smets

Cet ouvrage, véritable petite anthologie de textes et de prières sur le thème de la mort, apportera une parole d’espérance à tous ceux qui vivent le deuil d’un proche. L’originalité de la démarche réside dans le choix de ces textes, tous éprouvés « sur le terrain » par l’auteur, et dans leur agencement en divers « tableaux ». Ces textes, d’auteurs connus (Claudel, Debruyne, Rilke, Piaf…) ou d’anonymes, pourront être utilisés avec fruit lors de funérailles ou de veillées. Ils permettront aussi à ceux qui le souhaitent de « descendre à l’intérieur d’eux-mêmes » à l’occasion de cette épreuve.

Vienne l’aurore

Vienne l’aurore

Alexis Smets


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