Contes et saynètes de Noël

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Contes et saynètes de Noël

Ces contes ont été écrits tout spécialement par les conteuses du

Le groupe « Il est une foi… de conteuses » est né d’une double passion : la Bible et le conte. De cette passion est né un premier groupe de conteuses en 2004. Depuis lors, trois autres groupes se sont formés.

rassemblés par marie-bénéDiCte De Villenfagne

Contes et saynètes de Noël

groupe « Il est une foi… de conteuses », coordonné par Marie-Bénédicte de Villenfagne. Au final, le lecteur ou l’auditeur, adulte ou enfant, se laisse immanquablement séduire par la douzaine de contes et les deux pièces de théatre sur le thème de Noël, tous plus attachants les uns que les autres. Ils constituent un support idéal pour retrouver, dans les écoles, les paroisses et les familles, la magie du temps de Noël. Deux CD audio, ci-inclus, reprennent l’intégralité des contes lus par leurs auteurs et les deux saynètes interprétées avec brio par des enfants d’une douzaine d’années.

CD 2

9 782873 564087

in a Cl u us Di o

ISBN 978-2-87356-408-7 Prix TTC : 14,95 €



Contes et saynètes de Noël



Contes et saynètes de Noël rassemblés par Marie-Bénédicte de Villenfagne


Les illustrations de cet ouvrage sont dues à : Gaëtan Evrard (couverture) Kathleen David (« Ecoute, mon fils », « Le charpentier », « Un jour des rois » et « Foi de dromadaire ») Chantal de Villenfagne (« Noël au village », « Une page couleur de nuit » et « L’enfant nourri aux sept laits ») Bérénice Regout (« Martin » et « A la bonne heure ! ») Nathalie de Villenfagne (« Le soir où le brasero fut allumé ») Marie-Joëlle de Villenfagne (« Itinéraire en Patagonie ») Hedwige Carrette (« Joseph se souvient » et « A la télé, ce soir ») Charles de Pierpont (« A la recherche d’une étoile »)

© Editions Fidélité • 7, rue Blondeau • BE-5000 Namur • Belgique • info@fidelite.be • www.fidelite.be ISBN : 978-2-87356-408-7 Dépôt légal : D/2008/4323/18 Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Imprimé en Belgique


Noël au village Acteurs Monsieur Richard Bertine, sa gouvernante Lucien, son vieux voisin (pauvre) Céline, la femme de Lucien Marie Joseph Ludo, le vagabond Bergers : Louise-gros-cafard Jo-la-trouille Jean-la-colère Lulu-touche-moi-pas Monsieur Lapikure, docteur Monsieur Dudollar, banquier Monsieur le Maire

Décor sur la scène L’hôtel de maître de Monsieur Richard A l’avant, un gazon avec une pancarte : « NE PAS MARCHER SUR LA PELOUSE » La route La maisonnette de Céline et Lucien

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Les indications pour le metteur en scène sont en italique. LECtEUR : Il y a la route. Elle part du village et va se perdre dans les collines. Un peu à l’écart du village, il y a deux maisons : – à gauche de la route, il y a la grande et belle propriété de Monsieur Richard. Pour entrer chez lui, il faut pousser la grille, contourner le gazon et la pancarte « NE PAS MARCHER SUR LA PELOUSE » et enfin arriver à l’escalier de la grosse maison. Au pied de l’escalier, Bertine, la gouvernante, est assise sur une chaise. – à droite de la route, il y a la misérable maisonnette où vivent le vieux Lucien et sa femme Céline. La pièce de théâtre commence, écoutez Bertine ! BERtiNE : Moi, c’est Bertine. Je suis la gouvernante de Monsieur Richard. Peut-être qu’il est l’homme le plus riche du village. En tout cas, il est le plus avare. Tenez, regardez en face, c’est la maison de Lucien. Lui n’a pas grand-chose, il a eu bien des malheurs. Pourtant c’est pas le courage qui lui manque, et à la Céline non plus. Eh bien, jamais, il ne leur a proposé, même une petite fois, de partager son dîner. (On voit arriver Marie et Joseph sur la route. Marie s’appuie sur le bras de Joseph. Elle a l’air épuisée.) BERtiNE : Qui vient sur la route ? Un jeune couple ? Et la p’tite madame, comme elle a l’air épuisée. Sûr qu’elle va accoucher aujourd’hui ou demain !

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JOSEPH : Courage, Marie, nous arrivons au village. Je vais demander l’hospitalité pour une nuit ou deux. On ne nous refusera pas. MARiE : La petite chaumière a l’air accueillante. JOSEPH : Je vais plutôt sonner à la grosse maison en face. A mon avis, c’est là que nous dérangerons le moins. (Il voit Bertine.) JOSEPH : Pardon, Madame, ma femme est enceinte. Elle va accoucher d’un jour à l’autre, et est épuisée. Pouvons-nous vous demander l’hospitalité pour cette nuit ? BERtiNE : Moi, j’veux bien. Mais i’faut d’mander ça à Monsieur Richard, c’est lui l’patron. MONSiEUR RiCHARD : (… qui passe la tête par la fenêtre…) Bertine, rentre ! Il est temps de préparer le dîner. Et toi, qu’est-ce que tu veux ? JOSEPH : Nous demandons l’hospitalité, Monsieur. Ma femme n’en peut plus, elle est enceinte. Je vous promets que nous nous ferons tout petits pour ne pas vous déranger.

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| Noël au village |

MONSiEUR RiCHARD : Comment ça, elle est enceinte ! Et si elle accouche chez moi ? Merci bien ! Tu appelles ça « ne pas déranger » ? Bravo. De plus, ce n’est pas possible. Toutes mes chambres sont pleines. Je ne vais pas déménager mes coffres d’argenterie et mes provisions de blé ou de céréales pour que vous veniez tout salir chez moi ! JOSEPH : Je ne vous demande même pas une chambre, Monsieur, l’arrière-cuisine nous suffira. Et… peut-être aussi un peu de soupe pour Marie… MONSiEUR RiCHARD : Et quoi encore ! N’insiste pas. Non, c’est non ! Si je devais héberger tous les mendigots de passage, ce serait vraiment jeter mon argent par la fenêtre. Va-t’en ailleurs chercher ta botte de foin et ta soupe ! JOSEPH : Je pars, Monsieur. J’espère qu’en face ils seront plus accueillants. (Joseph recule et marche sur la pelouse par inadvertance.) MONSiEUR RiCHARD : C’est ça, c’est ça, sors de ma propriété. Et ne marche pas sur ma pelouse ! Tu ne sais pas lire ? (Joseph se retourne face à la petite maison et voit devant lui Lucien attiré par les cris de Monsieur Richard.)

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LUCiEN : Vous avez un problème, mon pauvre ami ? Votre femme a l’air épuisée. Entrez donc. (Il appelle sa femme.) Céline ! Nous avons des invités ce soir. Viens vite ! CéLiNE, LA fEMME DE LUCiEN : Mais, ma p’tite dame, le bébé est bientôt là. C’est bien imprudent d’être sur les routes comme ça. Reposez-vous, je vous prépare une bonne soupe avec des légumes du jardin. Avec un quignon de pain, c’est tout ce que nous pouvons vous offrir. JOSEPH : Mais nous ne voulons pas être une charge ! CéLiNE : Une charge ? Au contraire, nos enfants habitent loin d’ici. Entrez, ça nous fera un peu de jeunesse. (Marie et Joseph entrent.) CéLiNE à vOix BASSE, à LUCiEN : Lucien, ce soir nous dormirons dans le foin. C’est eux qui auront le lit. BERtiNE SORt DE LA MAiSON : C’est-y pas malheureux de pousser à la porte une si jolie p’tite madame. Et dans son état ! Il est comme ça, not’mait’, je vous l’avais dit. Pourtant je l’aime bien, moi. P’têt parce que j’ai été sa nourrice et puis, gamin, il était si « amitieux », il n’en avait que pour moi. En fait, il a un bon fond. J’espère toujours qu’il va changer. Je vais aller, l’air de rien, jeter un p’tit coup d’œil par la fenêtre de la Céline.

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(Elle s’approche de la fenêtre de la petite maison.) Voilà, je l’avais bien dit, il va naître là, le p’tit ! (On ne voit pas Céline qui est dans sa maison. On entend sa voix.) Lucien, va me chercher une bassine d’eau chaude et des linges propres ! (Fond musical. La maison de Lucien et Céline s’éclaire de l’intérieur — spot — voix triomphante de Céline.) C’est un magnifique petit garçon ! BERtiNE : Un garçon, un garçon ! C’est la lumière du paradis chez Lucien ! LUCiEN : Le bébé est né ! Si un ange venait sur terre, il ne serait pas plus beau ! (Lucien s’adresse à Ludo, le vagabond qui passe sur la route.) Ah, te voilà, Ludo ! Viens voir ! LUDO : Lucien, laisse-moi tranquille ! LUCiEN : Viens ! Tu ne peux pas rater cela ! Une étoile a fait son nid dans ma maison… (Ludo et Lucien entrent dans la maison. Peu après, Ludo sort.)

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LUDO : Ça, il faut que je l’annonce. C’est pas croyable. Ce que j’ai vu, j’ai trop envie de le dire ! Ohé, les bergers. Hou hou, les bergers ! Vous dormez ou quoi ? Vite, venez, là, chez Lucien ! (La fenêtre de Monsieur Richard s’ouvre, il est furieux.) C’est pas bientôt fini, ce chahut ? Il y a des honnêtes gens qui veulent dormir en paix, ici ! LUCiEN : Vous fâchez pas, Monsieur Richard. C’est un vrai cadeau du bon Dieu qui nous arrive. (On voit arriver Ludo et les 4 bergers.) LUCiEN : Merci, Ludo. Tu as fait vite. Venez, les gars, vous verrez, ça vaut la peine ! Mais… qu’est-ce que tu as sur le dos, Louise-Gros-Cafard ? LOUiSE-GROS-CAfARD, UNE BERGèRE : Moi, j’ai pris une belle peau de mouton pour le petit. Mais j’espère que tu ne nous déranges pas pour rien. Tu sais bien que, la nuit, je regarde les étoiles pleurer. JO-LA-tROUiLLE, UN BERGER : (Il tient un grand pot en mains.) Ouh là là, arrête de me pousser, Jean, tu vas me faire renverser mon pot de lait de brebis. Je ne connais pas ces nouveaux. Je ne sais même pas s’ils sont gentils. J’ai peur ! Et s’ils venaient pour nous jeter un sort ?

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JEAN-LA-COLèRE, UN AUtRE BERGER : Avance Jo-la-trouille ! Ou je te donne un coup de ma belle canne de berger que j’ai sculptée. Je vais la donner au petit, pour si jamais il veut être berger plus tard. Mais s’ils nous ont dérangés pour rien, t’en fais pas, ils trouveront à qui parler ! Foi de Jean-lacolère. LUCiEN : Pourquoi tu hésites, toi, « Lulu-touche-moi-pas » ? LULU-tOUCHE-MOi-PAS, LE qUAtRièME BERGER : Ce sont des étrangers. En tout cas, je ne leur serre pas la main, ils apportent peut-être des maladies. LUDO, LE vAGABOND : Allez, on entre. Regarde, Lulu-touche-moi-pas, voilà mon harmonica. D’habitude, j’en joue pour les gens et ils me donnent quelques sous… Je veux le lui donner. Ça pourrait lui servir, au bébé. Des fois que, plus tard, il nous invente un petit air de musique tout neuf ! (Ils entrent, timides, avec leur cadeau.) Qu’il est beau ! Il sourit ! Merci… LOUiSE-GROS-CAfARD : (Sort la première de la maison de Lucien, en riant, avec Jo-la-Trouille.)

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Eh dis, Jo-la-trouille ! Tu as vu ce bébé ! Il valait le déplacement. Ludo a eu vachement raison de nous appeler. Sacré Ludo, va ! Maintenant je sais que les étoiles rient aussi dans le ciel ! JO-LA-tROUiLLE : J’étais fou d’être aussi trouillard ! Ce petit, il faut le faire connaître au village ! Tiens, je prends la grosse cloche et je file appeler tout le monde. Que chacun puisse venir admirer ce merveilleux petit ange. JEAN-LA-COLèRE : (Il sort à son tour de la maison, avec Lulu-touche-moi-pas.) Le bel enfant ! Et sa jolie maman ! Ils sont tout sourire. Le papa aussi. Quelle atmosphère heureuse et paisible. Moi, Jean-la-colère, j’en suis tout chamboulé ! Au fond, la paix, c’est tellement plus beau que la colère… Faudrait que j’essaie… LULU-tOUCHE-MOi-PAS : Il me tendait les bras, tu as vu ? Alors je me suis approché. Et moi, Lulu-touche-moipas, j’ai pris sa petite menotte toute froide dans mes deux grosses pognes pour la réchauffer. C’est chouette de donner la main. Ça réchauffe le cœur. J’aimerais bien recommencer. MONSiEUR RiCHARD : (Apparaît à la porte de sa maison.) En tous cas, merci ! Plus moyen de dormir. Ma nuit est fichue. Si je tombe malade, ce sera bien grâce à vous… Allez ailleurs faire votre chambard ! (Les bergers et Ludo partent. Le docteur arrive.)

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Oh, cher docteur Lapikure, quelle surprise de vous voir à cette heure. Rassurez-vous, je ne suis pas encore malade, je disais cela… LE DOCtEUR : Mais mon cher Richard, ce n’est pas vous que je viens voir ! Les nouvelles vont vite. Il s’est passé quelque chose d’extraordinaire chez votre voisin d’en face. J’apporte au nouveau-né un baume magique de ma composition. (Le docteur serre distraitement la main de Monsieur Richard et entre dans la maison de Lucien. Monsieur Richard reste bouche bée.) BERtiNE : Dites, Monsieur Richard, au lieu de rester planté là, si vous alliez voir, vous aussi ! MONSiEUR RiCHARD : Et avec un cadeau, sans doute ? Tu n’y penses pas ! BERtiNE : Mais si, vous savez, ce truc-là qu’on nous a ramené de la tombola de la paroisse. Je n’sais pas à quoi ça sert, un vrai ramasse-poussière, en tous cas ! MONSiEUR RiCHARD : Bonne idée, Bertine. Ça leur fera sûrement plaisir, ils n’ont quand même rien ! BERtiNE : Attendez, M’sieur Richard, je vais chercher le « truc ». Attention ! Aïe aïe ! Y a tout qui se déglingue !

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(Le « cadeau » se disloque. La moitié dégringole.) MONSiEUR RiCHARD : Mais ce n’est pas possible, Bertine ! Tu ne pourrais pas me donner un bidule qui tient ensemble ? (Au bruit, Lucien sort de chez lui.) Monsieur Richard, on peut vous aider ? MONSiEUR RiCHARD : Volontiers, Lucien. J’avais un cadeau pour les gens que tu héberges. Mais il est tout cassé maintenant ! LUCiEN : Je viens vous aider à ramasser, Monsieur Richard… Vous savez, il y en a qui ont apporté des choses précieuses, des choses qu’ils ont fabriquées eux-mêmes, comme des artistes. MONSiEUR RiCHARD : Bon, je vais chercher autre chose. Bertine ! Tu n’as pas une meilleure idée, cette foisci ? BERtiNE : Prenez la vieille nappe à fleurs, elle est encore bonne. Et on ne s’en sert plus. MONSiEUR RiCHARD : Merci, Bertine, tu es vraiment maligne !

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(On voit arriver le banquier Dudollard.) MONSiEUR RiCHARD : Mais… c’est mon ami Dudollard que je vois là ! Que me vaut l’honneur de ta visite ? LE BANqUiER : Je ne viens pas pour toi, mon cher. Tout à l’heure, si tu veux. J’ai mieux à faire pour le moment. MONSiEUR RiCHARD : Tu apportes aussi un cadeau ? LE BANqUiER : Oui, un collier en or qui me vient de ma mère. Il paraît que tout le monde est retourné par l’arrivée de ce bébé extraordinaire. Et toi, tu l’as déjà vu ? Oh ! Que caches-tu derrière le dos ? MONSiEUR RiCHARD : (Gêné, cache la nappe derrière son dos.) Euh… rien… j’avais demandé à Bertine d’apporter quelque chose, mais elle s’est trompée évidemment ! Mais vas-y mon cher, ne m’attends pas… Bertine ! Tu veux venir s’il te plaît ? Tu fais vraiment n’importe quoi ! BERtiNE : Mais, M’sieur Richard, j’n’comprends plus rien maint’nant. Vous m’aviez quand même dit… (On voit arriver le Maire.)

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Eh ! Vlà not’Mayeur ! MONSiEUR RiCHARD : Bonjour, Monsieur le Maire. Je crois comprendre que c’est plutôt chez ce brave Lucien que vous allez. Et vous aussi, vous apportez un paquet ! LE MAiRE : Et vous comprenez fort bien, mon cher Richard. A personnage exceptionnel, cadeau exceptionnel. J’apporte les clefs de la ville et je compte nommer cet enfant « citoyen d’honneur ». Mais vous, en bon voisin, vous n’avez pas encore été le voir ? MONSiEUR RiCHARD : Je m’apprêtais justement à le faire, mais je n’avais pas encore trouvé mon vrai cadeau. Or maintenant, je crois que j’ai une idée. LE MAiRE : Dites, Richard, les villageois apportent, paraît-il, tout ce qu’ils ont de plus précieux, mais lorsqu’on les voit sortir de chez Lucien, on se rend compte qu’ils reçoivent beaucoup plus qu’ils ne donnent. Mais je vous laisse, je suis impatient de découvrir notre nouveau « citoyen d’honneur ». MONSiEUR RiCHARD : Bertine ! Cette fois, tu m’accompagnes ! Toute cette animation a piqué ma curiosité et cette fois, je sais ce que je veux vraiment lui offrir. (Il rentre dans sa maison.)

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BERtiNE : J’suis bien contente, M’sieur Richard. Et j’ai aussi un beau cadeau. Vous savez le grand châle tout doux et chaud que j’avais crocheté autrefois pour ma pauvre Jeannette. MONSiEUR RiCHARD : (Apparaît avec une grosse boîte.) C’est une bonne idée, Bertine. J’ai mon cadeau, allons-y. BERtiNE : Qu’est-ce que c’est, dans votre grosse boîte ? MONSiEUR RiCHARD : C’est mon secret, Bertine. Il n’y a que le petit, là en face, qui le saura. Lui, il comprendra. Viens, entrons. (Ils entrent dans la maison de Lucien. Fond musical. Richard sort avec Lucien.) Je vous en prie, Lucien, arrêtez de me sortir du « Monsieur ». Je m’appelle Richard ! Ça fait trente ans qu’on est voisins et vous m’avez presque vu naître ! LUCiEN : Et pour de vrai, M’sieur Richard, qu’t’étais quand même un fameux gaillard ! Eh, attention à la pancarte, hein, Richard ! MONSiEUR RiCHARD : (En marchant, il bute sur la pancarte.) Qu’est-ce qu’elle fait encore là, cette pancarte idiote ! Et c’est moi qui avais mis ça ? J’étais complètement fou, ma parole. Ouh ouh ! Vous tous, oui ! Les Bergers et tous les autres, venez !

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(Tous les acteurs reviennent sur scène.) Ce soir, je vous invite tous, c’est la fête et c’est moi qui régale ! En avant, Bertine, sors la nappe des grandes occasions. (Applaudissement des convives.) Ne me dites pas merci à moi, mais à ce petit, là, chez Lucien, qui m’a complètement bouleversé. Alors, bien sûr, nous allons faire la fête. En son honneur. Et si vous le voulez bien, nous allons tous chanter. Pour lui, avec tout notre cœur… (Richard invite tous les acteurs et spectateurs à chanter un chant de Noël.) JOëL DE SURGèRES, MARiE-BéNéDiCtE Et SABiNE DE viLLENfAGNE


Martin C’est le soir de Noël. Martin vient de quitter ses copains, il déambule au hasard dans les rues. Il est de bonne humeur, pourtant il ne sait pas encore où il va dormir ce soir, mais ça ne le tracasse pas. Ses pas le mènent vers les rues animées. Les arbres sont couverts de petites étoiles lumineuses. Les vitrines débordent de décors plus extraordinaires les uns que les autres. Les passants se dépêchent, les bras chargés, emmitouflés dans leurs vêtements d’hiver. Derrière les fenêtres et rideaux fermés, on imagine les familles qui s’échangent des cadeaux, mangent la dinde farcie, la bûche à la crème au beurre. Martin débouche sur la place où il découvre avec émerveillement un grand sapin chargé de guirlandes lumineuses, de boules dorées et de cadeaux. C’est féerique. Martin se sent bien, il sort de sa poche son précieux harmonica et se met à jouer doucement un air qu’il aime bien. Quelques enfants s’approchent et l’écoutent en silence. Une petite fille le tire par la manche et lui dit au creux de l’oreille : « Joyeux Noël ! » Ça lui fait chaud au cœur. Il sent que sa mélodie sonne juste en ce soir de Noël. Une main se pose sur son épaule. Surpris, il se retourne et un vieil homme lui dit : « Joyeux Noël ! » Ça lui fait chaud au cœur. Ses doigts engourdis par le froid l’obligent à ranger son harmonica et à continuer son chemin. Alors qu’il se prépare à partir, trois ados l’appellent et lui lancent : « Tu t’en vas ? Dommage, elle était cool ta musique. » En général, on l’ignore, on l’évite même, mais ce soir c’est différent. Le regard attiré par la vitrine très appétissante d’une pâtisserie, Martin s’en approche et entend des chants. Cela ressemble à des chants religieux, un peu ringards. En général, ça le fait fuir, mais aujourd’hui, ça l’attire. Il se dirige vers le porche entrouvert et entre dans l’église. Il s’assied et s’assoupit, bercé par les chants de l’assemblée. Tout à coup, il sort de sa somnolence. Les chants se sont tus et une voix chaude se met à raconter une

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| Martin |

histoire. Cette histoire, Martin la connaît, elle est enfouie au plus profond de sa mémoire, c’est l’histoire de la naissance de Jésus, ce fameux sauveur. Il écoute avec beaucoup d’attention. Le conteur, Hector, termine son histoire et invite l’assemblée à venir prendre un vin chaud dans le fond de l’église. Comme Martin s’apprête à partir discrètement, une main lui saisit le bras, c’est Hector qui l’invite à boire un verre avec lui. Martin se laisse entraîner et ils boivent ensemble un vin bien chaud, ça lui fait chaud au corps. Hector lui demande ce qu’il a pensé de son histoire. « J’ai aimé ton histoire, dit Martin, mais comment se fait-il que les premiers à être avertis, ce sont les bergers, des hommes pauvres, qui n’ont pas très bonne réputation ? » « Tu as raison, lui répond Hector. C’est très étonnant. Les bergers ont tout de suite compris le sens de cette étoile qui brillait plus fort que les autres, cette étoile qui illumine notre aujourd’hui, nous qui sommes poussière d’étoile. Je te souhaite un joyeux Noël, Martin. » Martin n’a pas bien compris mais il a senti chez Hector un souffle doux qui rayonnait par ses yeux, sa voix, ses gestes ; une tendresse si forte qu’elle a envahi tout son être ; une lumière si intense qu’elle l’a illuminé à l’intérieur et chassé les mauvais moments. Il se dirige vers la sortie en emportant au fond de lui cette tendresse comme un précieux cadeau. Il remarque, sur le côté, les statues de la crèche. Marie, Joseph, l’enfant Jésus, l’âne, le bœuf, et trois bergers. Le premier berger tient dans ses bras un agneau, le deuxième porte un sac de victuailles. Martin est attiré par le troisième et le regarde intensément. Et vous savez quoi ? Le berger lui fait un clin d’œil complice ! COLEttE SENy



Le soir où le brasero fut allumé… De loin, la seule chose qu’on aperçoit, c’est la grande cape qui le recouvre presque totalement. Décolorée, rapiécée, elle se balance au rythme de sa marche, légèrement boitillante. L’homme vient d’au-delà de la montagne. Il s’est arrêté un moment quand il a vu, au détour du sentier, le village. Petit, le village, juste un hameau, quelques fermettes groupées autour de l’église. L’homme a repris sa marche, a traversé le petit bois et est arrivé sur la place de l’église. Là, il a vu le brasero éteint. Alors il a fait demi-tour. Arrivé au bosquet, il a ramassé quelques branchages, est revenu et a rallumé le brasero. Puis il s’est assis là, la tête dans les bras, avec un long soupir. C’est la veille de Noël. Il fait doux. Çà et là, on sent des odeurs de plats mitonnés s’échapper des maisons les plus proches. Quelques minutes plus tard, Ana Maria s’est approchée en sautillant. Il n’a pas bougé. Dort-il ? Comme un vrai petit moulin à paroles, elle a tout raconté : ses quatre ans tout neufs, sa maison, son papa, sa maman, son petit frère, les gros cadeaux, sous le sapin, qui attendent impatiemment d’être ouverts, les grands-parents qui vont arriver pour la messe de la nuit, et surtout, surtout le cadeau qu’elle a fait toute seule. Une chanson ! Une chanson qu’elle a inventée elle-même. C’est un secret qu’il faut garder très fort dans son cœur, jusqu’à ce soir, tard, après la messe. Mais c’est lourd à porter, un secret ! Elle aurait bien voulu en chanter — oh ! juste un petit bout —, à maman, mais maman est trop occupée dans la cuisine : « Plus tard, ma chérie, plus tard ! » Papa est parti soigner les bêtes. Le petit frère ? Il dort. C’est alors qu’elle l’a vu, lui, par la fenêtre, quand il a allumé le brasero. Et elle a décidé de lui chanter sa chanson. Il va bien l’écouter, lui. D’accord ?

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Sans attendre la réponse du vagabond, Ana Maria chante sa petite chanson, une ritournelle qui danse comme le pépiement des rouges-gorges, comme des rires d’enfants en cascade. « Dis, tu aimes ? » L’homme ne bouge pas. Pas tout de suite. Il y a un long silence. Puis l’homme inspire profondément et il relève lentement la tête. Il regarde Ana Maria et il chante. C’est fort, c’est grave. Comme le roulement de l’orage dans la montagne, comme le grondement de l’ours acculé par le chasseur. Les mots sont étranges. La mélodie n’est pas d’ici. Pendant qu’il chante, la vieille Marthe est doucement sortie de sa petite maison en pierres grises. Elle met sa main sur l’épaule de l’homme. Elle dit : « Tu me rappelles les Noëls de ma jeunesse. » L’homme regarde Marthe, il fait un signe : peut-être ne comprend-il pas ce qu’elle dit. Alors Marthe a chanté, en patois, un chant de son enfance. Sa voix chevrote, les notes déraillent un peu, mais Ana Maria bat des mains, ravie : « Encore, encore… » C’est l’homme qui s’est remis à chanter. Cette fois, son chant est plus tendre, plus doux, nostalgique aussi, comme un chant d’amoureux au pied d’une fenêtre qui ne s’ouvre pas, un chant où l’espoir et la tristesse croisent leurs notes. Les mots ne sont pas d’ici, les sentiments le sont. Un long silence accueille la dernière note. Plusieurs villageois s’approchent, intrigués ou touchés par le chant de l’inconnu. L’un d’eux entame un chant, puis un autre. D’autres voix s’élèvent. Un violoneux rejoint le groupe, et aussi un gratteur de guitare. Les chants se succèdent, les chants d’autrefois croisent des contemporains, des chansons joyeuses se mêlent aux nostalgiques. Le groupe des chanteurs auditeurs s’agrandit, encore et encore. C’est une belle soirée. On se sent bien, là, tous ensemble. Tous ? Non ! Il manque le bedeau. Seul, il s’affaire dans l’église. Il faut que tout soit prêt pour la messe de Noël : les bougies, l’encens, le vieil orgue poussif, les feuilles de chants, la crèche en plâtre aux couleurs délavées, les anges, la mangeoire avec l’enfant, l’âne à

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| Le soir où le brasero fut allumé… |


l’oreille cassée, le bœuf, le berger… tout est en place. Il ne manque que le curé. Et les villageois ! Le bruit dehors énerve le bedeau. Tous des mécréants, qui viennent de moins en moins à l’église ! Même pour la messe de Noël, ces païens ne se déplacent plus ! Lui, le bedeau, il est prêt. Dès que le curé arrivera, il sonnera les cloches à toute volée. Mais le curé tarde… Excédé, le bedeau ouvre la porte et, dans une grande inspiration, s’apprête à enguirlander les villageois rassemblés hors de l’église, lorsqu’il voit, assis dans le groupe, le curé chantant une berceuse d’antan… Stupéfait, notre bedeau tourne les talons, claque la porte de l’église et repart, furieux, s’asseoir devant la crèche, dans le chœur de l’église. Il a fallu que le curé soit très persuasif pour que le bedeau accepte l’inacceptable : que la messe de cette nuit douce et sainte se célèbre hors les murs de l’église, sous les étoiles, près du brasero, là, au milieu des villageois. Dieu qui quitte son église : inconcevable ! Bien plus tard, après la messe, au moment du vin chaud, Ana Maria tire la manche de sa maman : « Maman, l’homme, l’étranger, il n’est plus là, il est parti ! Dis Maman, il est où ? » « Ma puce, tu es sûre qu’il est parti ? Peut-être allume-t-il un brasero ailleurs, dans un autre village… » Depuis ce jour, lorsqu’un villageois passe près du brasero, il y dépose toujours quelques branchages… On ne sait jamais, des fois que l’homme reviendrait… MARiE-BéNéDiCtE DE viLLENfAGNE


Ecoute, mon fils… Mon fils, j’avais promis que, pour tes sept ans, je te raconterais cette aventure extraordinaire qui a marqué ma vie pour toujours. Ce soir là, comme d’habitude, je scrutais les étoiles. Les mages y lisent beaucoup de choses. Mais l’astre que je vis faisait oublier tous les autres, tellement il était grand, mais surtout lumineux, brillant. J’avais l’impression qu’il m’appelait. Une personne exceptionnelle venait de naître, et c’était son étoile. Il fallait que je rencontre cet enfant. Je ne pouvais plus penser à autre chose : partir tout de suite. Une voix en moi disait avec force : « Va, va… » Et ce, malgré ta mère, tes frères et sœurs qui ne comprenaient pas comment je pouvais vouloir faire un long voyage sans savoir où j’allais, simplement parce qu’il y avait ce signe : une étoile annonçant la naissance du Roi des Juifs, le Sauveur du monde. J’étais triste de vous quitter, surtout toi qui n’avais qu’un an. Mais cet astre m’attirait tellement que je ne pouvais que partir. Qu’apporter à cet enfant ? Il est plus qu’un roi, peut-être un dieu. J’emportais de l’encens. Je suis parti seul, je ne voulais imposer à personne ce que tout le monde considérait comme une folie. Ce fut un long voyage, plein d’embûches. Heureusement, je chevauchais mon meilleur dromadaire. J’ai traversé des fleuves, des montagnes escarpées, des déserts. Voyageant de nuit, l’étoile me guidait, sa présence m’aidait à surmonter mes peurs. Déjà à cette époquelà, je n’aimais pas du tout les scorpions, mais je paniquais à l’idée de manquer d’eau. Dans une oasis, pas loin de Jérusalem, j’ai rencontré d’autres mages. Eux aussi avaient vu l’étoile et venaient se prosterner devant l’Enfant. Nous avons fait route ensemble. A Jérusalem, nous nous sommes sentis des étrangers. Tout le monde nous regardait. C’est vrai que nous formions un cortège bien curieux. Venant de pays différents, nos

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| Ecoute, mon fils… |

costumes étaient bigarrés et chatoyants. On entendait crier : « Voilà des hommes qui viennent de l’Orient. » Nous ne voyions plus l’étoile et avons dû demander aux passants s’ils savaient où était né le Roi des Juifs. A notre grand étonnement, ils n’avaient pas entendu parler de cette naissance. C’est pourtant leur roi ! Et l’on nous a envoyés chez le roi Hérode. Des savants, prêtres et scribes, ont regardé dans leurs livres sacrés. « Le Messie doit naître à Bethléem en Judée ». Ils savaient, mais n’ont pas bougé ; ils n’avaient pas envie comme nous de partir, d’aller se prosterner devant l’Enfant, leur roi. Le roi Hérode a eu une attitude encore plus bizarre. Il voulait que nous, des étrangers, allions nous renseigner sur le lieu où se trouvait l’Enfant Roi et revenions ensuite lui dire si nous l’avions trouvé. Nous étions pressés de repartir. L’étoile était là. Quelle joie de la revoir ! Elle nous précédait. Arrivée à Bethléem, elle s’arrête au-dessus d’une petite maison toute simple. Impossible que le Roi des Juifs « Celui qui va changer le monde » habite là. Mais c’était notre étoile, tellement brillante, appelante, qui surplombait la maison. C’est bien là. Un homme vient nous ouvrir. Nous découvrons une jeune femme avec son bébé. C’est lui qui, par l’étoile, nous a amenés ici. Nous sommes émus, sans voix. Lorsque je lui ai offert l’encens, je n’ai pas eu un instant d’hésitation. On peut brûler de l’encens devant cet enfant. Nous avons été prévenus en songe de ne pas retourner chez Hérode. Nous en étions bien contents. Après avoir vu l’Enfant, notre notion de royauté est tellement différente de celle du roi Hérode. Nous avions vécu un événement très fort et nous désirions rentrer par un autre chemin. Tu vois, mon fils, je n’ai plus jamais revu l’étoile, mais maintenant elle vit, elle est en moi. MyRiAM NOLf



A la bonne heure ! Madame Robert habite à l’autre bout du village, à côté de l’arrêt du bus. Heureusement, d’ailleurs ! car de sa fenêtre, elle aperçoit les allées et venues des voyageurs, et elle connaît les horaires mieux que personne. Vous avez deviné qu’elle aime la vie, son prochain et les visites. En cette journée de la fin du mois de décembre, ses yeux se posent sur la crèche devant la cheminée : « Ce n’est quand même pas moi qui laisserais le petit Jésus dehors, dans ce froid… ni Marie ni Joseph ! Je les accueillerais, leur ferais un bon café, un bon repas, préparerais un bon lit et puis j’arrangerais tout de manière à ce que, lorsque les bergers arrivent, ils entrent en enlevant leurs sabots », se dit-elle en regardant son carrelage luisant, « et puis, je… » La voilà endormie dans son fauteuil, Madame Robert. « Madame Robert, tu sais, demain je viendrai chez toi, à un moment inattendu, mais je viendrai. » Madame Robert, dans son rêve, se voit nettoyant les vitres, secouant les coussins, brossant, astiquant, frottant, cuisinant dans la joie de recevoir demain le petit Jésus chez elle, en la journée de Noël. Tôt le matin, la voilà réalisant son programme et, à neuf heures du matin, elle est prête : la cheminée ronronne, le café chuchote sur le poêle et l’odeur des petits fours embaume la maison. « Tiens, voici le premier bus, et c’est Philomène qui en descend. Si je l’invitais à boire une bonne tasse de café ? Venez, entrez, y a pas de dérangement, j’attends une visite. Non, non, je ne sais pas quand, mais vous reprendrez bien une dernière jatte de café ? Et de ma tarte au riz ? » Ah, c’est le deuxième bus avec René, le gentil nouveau voisin, qui vient d’un peu plus loin, de l’autre côté de… ben oui, du côté des voisins du nord. « Kom maar binnen, René, en zit U maar, t’is froid pour de seizoen ma c’est une fois décembre ni waar ? Encore une

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| A la bonne heure ! |

koeke ? C’est sans façons » Et René s’en va tout content de l’accueil de sa nouvelle voisine. « Ah, vous voilà, facteur ! Vous prendrez bien un petit café et peut-être une petite goutte en plus : du péquet, ce n’est qu’une fois par an… » Un peu plus tard, Madame Robert voit arriver les filles de sa voisine. Puis une jeune dame avec son enfant qui a une bronchite et qui repart avec une écharpe qu’elle a tricotée. Et aussi la grosse bavarde du village : « Mais oui, entrez, Gertrude ! Venez prendre un petit morceau de tarte au riz. Oui, j’attends le petit Jésus, il m’a promis de venir aujourd’hui. Non je ne suis pas folle ; j’attends, il viendra. » Et toute la journée, la mère Robert ouvre sa porte et ne pense plus à son carrelage souillé, les morceaux de biscuits écrasés sur le tapis et la boue sur le paillasson. « Oh le dernier bus est passé, et le petit Jésus n’est pas venu, et pourtant, j’ai fait entrer tous ceux qui sont passés devant ma porte », se dit madame Robert, exténuée, qui s’écroule sur son fauteuil. Elle a de grosses larmes dans les yeux et une grande tristesse l’envahit. Tout à coup, la pièce se remplit de tous ceux qu’elle a accueillis tout au long de la journée : René, Philomène, la grosse bavarde, les enfants de la voisine, la jeune dame et son enfant, et le facteur qui lui tend une lettre. Elle l’ouvre et lit : « Tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » BéRéNiCE REGOUt



Itinéraire en Patagonie Un premier novembre, l’avion de Balthazar, Melchior et Gaspar atterrit sans encombre à l’aéroport de Comodoro Rivadavia en Patagonie argentine. Balthazar vient voir son cousin Pablo pour lequel il a une grande affection depuis leur enfance à Rome ; Melchior et Gaspar, venus de France et de Belgique, ne se connaissent pas, mais tous deux ont décidé de consacrer deux mois pour aider à la construction de l’église de la paroisse du Père Pablo, un père oblat. Pablo repère immédiatement ces trois Européens sur le tarmac de l’aéroport ! « Oui, cet homme avec une veste sport et des jumelles à son cou doit être le peintre animalier Melchior, qui vient peindre les vitraux de notre nouvelle église. Gaspar, l’architecte, est certainement cet homme au complet veston, cravate impeccable, avec une mallette, et bien sûr Balthazar reste fidèle à lui-même avec ses cheveux en bataille et son chapeau à la main. » La fraternité des oblats, située à cinquante kilomètres, est une maison bruyante, joyeuse où vivent ensemble une quinzaine de jeunes adolescents orphelins et trois frères salésiens. L’inconfort et la maisonnée bruyante de monde ont étonné les visiteurs mais tous se sont très vite adaptés. Mais les surprises étaient bien au rendez-vous ! Le père Pablo avait déjà préparé les dessins des vitraux et le plan de sa future église. Le peintre Melchior, enthousiasmé par les motifs proposés par Pablo, voit déjà les couleurs qu’il va utiliser : « Tu vois cette colombe ? Je vais faire un dégradé de jaune et, pour cet ensemble de fruits et de plantes, je verrais bien une panoplie de vert et de rouge. Mais il me faut bien sûr des peintures de qualité. Je suppose que j’en trouverai à Comodoro Rivadavia. » Mais Pablo lui assène une douche froide ! « Eh ! pas si vite, mon garçon ! Il fau-

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dra te contenter de ce que l’on trouve ; n’oublie pas que tu es au fond de la Patagonie et tu n’y trouveras que des peintures de médiocre qualité. » Melchior avertit Pablo qu’une peinture de mauvaise qualité s’effacera très vite. Mais Pablo sourit et prend Melchior par les épaules… « Melchior, je comprends ta déception, mais tu n’imagines pas notre bonheur d’avoir de beaux vitraux, même pour quelques années. Qui sait, toi ou un autre Melchior viendra repeindre nos vitraux. » Un peu sidéré, Melchior accepte… C’est impossible de résister à Pablo. La surprise de Gaspar, l’architecte, n’est pas moins grande ! A la vue des plans très beaux et très sobres dessinés par Pablo, Gaspar comprend tout de suite que Pablo n’a aucun besoin d’un architecte ou d’un entrepreneur ; en effet, en Patagonie, des jeunes préparent des briques d’argile et ensuite construisent les maisons. Au fond, Pablo a besoin d’un homme qui surveille le travail de ces jeunes et leur donne éventuellement quelques conseils. Gaspar se sent redevenir boy-scout mais il accepte. Très vite, il réunit les jeunes et prend la direction des opérations : « Mobilisez toutes les charrettes du village, ramassez toutes les briques et amenez-les à pied d’œuvre. » Aussitôt dit, aussitôt fait, très vite tout est prêt pour la construction. Pablo a ri de bon cœur lorsque Balthazar, son cousin, lui a demandé où il pourrait découvrir des sujets intéressants pour son prochain livre. Il connaissait quelques œuvres de son cousin, écrivain à succès, doté d’une excellente plume. « Tu devras probablement changer de style et de sujet ; ce n’est pas ici que tu trouveras des faits divers croustillants pour inspirer tes futurs romans ». Quelques heures de promenade suffisent à Balthazar pour comprendre ce que voulait dire Pablo. Il est secoué par tout ce qu’il voit, tout est si neuf : tous ces gens si joyeux se battent pourtant pour survivre, ils s’entraident et partagent le peu de ce qu’ils ont. Ils sont très accueillants. Balthazar les voit vivre car, tous les jours, il est invité : « Hello Balthazar, viens boire un verre. » Et Balthazar découvre alors leurs coutumes, leur folklore, leur manière de vivre. Melchior, le peintre, se met immédiatement au travail. Il installe ses vitraux sur une grande table. Pendant ces longues semaines, Melchior réfléchissait à ce qu’il avait fait de

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sa vie jusqu’alors. Lui qui n’était pas très croyant, tout en peignant, confiait au Seigneur ses peines, ses joies, ses doutes : « C’est bien vrai, Jésus, ma vie est un beau gâchis ! Ma femme et mes adorables petites puces sont parties. Je me retrouve seul. Je reconnais que nos disputes interminables n’étaient plus viables, que nos trois petites n’en pouvaient plus. Mais je voudrais tellement que ma femme me laisse une dernière chance. » Il sentait la présence de Jésus pendant qu’il peignait. Jamais il ne s’était senti aussi heureux : « Oui, Jésus, c’est promis, je vais changer ma manière de vivre. Je comprends maintenant pourquoi tu m’as conduit en Patagonie. Merci, Seigneur, de me peindre à l’intérieur pendant que je peins les vitraux de ton église. » Gaspar, l’architecte, n’a pas besoin d’encourager les jeunes, tellement enthousiastes, qui construisent au rythme de flamencos endiablés et parlent d’abondance. Gaspar est émerveillé devant la joie et la générosité de ces jeunes. « Gaspar, viens donc nous aider, cela ira plus vite ! » Et Gaspar retrousse ses manches, saisit une truelle, prend un seau de ciment et pour la première fois de sa vie, s’attaque lui aussi à une construction. Les jeunes le bombardent de questions : « D’où viens-tu ? » et Gaspar leur répond gentiment : « de Bruxelles » « Es-tu marié ? As-tu des enfants ? — Oui, j’ai cinq enfants, quatre sont mariés, j’ai dix petits-enfants. — Ah ! Et le plus jeune, il est encore à la maison ? Que fait-il et comment s’appelle-til ? — Il s’appelle Joseph et il est maçon. — Maçon ! Oh, c’est super ! Alors, il est comme nous. — Oui, c’est cela, il est tout à fait comme vous, joyeux, tendre, plein de fantaisie… » Gaspar sent alors une terrible émotion le submerger et des larmes coulent abondamment sur ses joues, et tout en continuant à aligner soigneusement ses briques, il médite : « Incroyable, Seigneur, tu me conduis jusqu’au fin fond de la Patagonie pour que je comprenne que j’ai un fils merveilleux, Joseph ! Au fond, je ne suis qu’un sale égoïste ! Quand je pense que je me suis engagé dans plein de choses et que l’on m’a bien souvent cité

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en exemple. Mais, en fait, je crois que je n’ai jamais vraiment aimé ! J’ai toujours été très fier de mes quatre aînés très brillants et j’ai méprisé mon cadet, Joseph, qui, allergique aux études, est devenu maçon ! » « Miséricorde, j’ai mal cimenté ma brique, s’écrie Gaspar, sacrebleu ! Ce n’est pas si facile d’être maçon ! » Et il se replonge dans sa méditation, mais ses larmes continuent à couler. Il ne peut plus les arrêter. « Oui, Seigneur, c’est promis, je lui demanderai pardon. Mais, Seigneur, je te construis ton église et toi, pendant ce temps, tu transformes de fond en comble ma demeure intérieure. C’est la première fois que ma retraite ne me fait plus peur. Oui, c’est curieux mais vrai, je me réjouis même de ce temps que je vais partager avec ma femme et Joseph ! » Un jeune interrompt sa méditation : « Tu pleures, il te manque tellement ? » « Oui, il y a beaucoup de choses que je voudrais lui dire, je voudrais lui dire à quel point je l’aime et qu’il me manque beaucoup. » Et Gaspar continue alors à aligner ses briques, mais jamais il ne s’est senti aussi heureux ! Balthazar, l’écrivain, en quête d’inspiration de romans, médite durant ses balades : « Mais Seigneur, ils sont fous ces gens, ils ne savent pas ce que leur réserve l’avenir et ils te font confiance à travers tout. Oui, toi, Seigneur, tu es bien présent ! Cela, on peut le dire ! Tous les gens que je rencontre, comme Pablo et ses confrères, n’arrêtent pas de s’émerveiller devant tous les cadeaux que tu leur offres ! » Balthazar comprend tout doucement que le Seigneur prend place dans sa vie. Alors, il reprend sa plume et se remet à écrire. « Oui, Seigneur, je le reconnais, jusqu’à présent, j’ai écrit de belles inepties. Le talent que tu m’as donné, je vais l’utiliser à faire découvrir à mes lecteurs ce qui est beau dans notre monde, comme par exemple ces hommes, ces femmes, ces enfants si démunis en apparence et pourtant tellement plus riches que dans de nombreux pays. Comme c’est curieux, Seigneur, je me remets à écrire, mais toi tu m’aides à rédiger la page la plus importante, celle de ma vie ! Au fond, je comprends pourquoi tu m’as fait venir en Patagonie. »

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Melchior, Gaspar et Balthazar, quoique éloignés de leur famille, vivent alors, dans la nouvelle église, la veillée de Noël la plus intense de leur vie. Ils rendent grâce au Seigneur qui a conduit leurs pas dans ce lieu reculé. Tous comprennent pourquoi Jésus est venu dans une étable. SUzANNE DE LiEDEkERkE


Le charpentier L’homme était dans son atelier. Il peaufinait le banc qu’il avait presque fini. Un coup de rabot par-ci, un coup de lime par-là… Il recule de trois pas pour regarder l’ensemble de son œuvre d’un œil critique. En connaisseur, il apprécie l’équilibre des formes. Voilà, c’est terminé. Ce soir, il ira conduire le banc chez Samuel, car demain, une grosse journée l’attend. Il est content de son travail. Il peut enfin rentrer chez lui. Quand il ouvre la porte, il voit sa jeune épouse blottie dans un coin de la pièce, près du feu. Il fait vraiment très froid cet hiver. Elle a les deux mains posées sur son ventre rond, le regard rêveur. Le bébé est pour bientôt. Il ne lui laisse pas beaucoup de répit. Elle sourit. Ce sera sûrement un grand marcheur, il n’arrête pas de remuer ! Le charpentier regarde tendrement son épouse. Il voudrait la ménager, mais il faut absolument se rendre à Bethléem pour le recensement. Quand le bébé sera là, ce sera encore plus difficile. « Marie, dit-il, prépare le baluchon ce soir. Après le dîner, j’irai livrer le banc chez Samuel, pour que, demain, nous puissions partir tôt. » Le repas mijote sur le feu. Le baluchon sera vite prêt. Cela ne l’amuse pas du tout de partir demain au petit matin. Quelle idée ont eue les Romains d’organiser un recensement ! Ils sont fous ces Romains. Comme si le fait de compter les gens pouvait les contrôler ! Le lendemain à l’aube, Joseph installe son épouse sur l’âne gris, et ils s’en vont à petits pas sur le chemin caillouteux, pour ne pas trop secouer la future maman. Il y a un monde sur les routes, c’est inimaginable. Chacun doit s’inscrire dans sa ville

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| Le charpentier |

d’origine. Il fait un froid de canard. On est au cœur de l’hiver. Les gens marchent d’un pas pressé et ne font pas attention au jeune couple qui se hâte lentement. Quand ils arrivent à Bethléem, il fait nuit. De nombreux voyageurs sont arrivés depuis longtemps. Ils ont déjà pris place dans les hôtels ou chez l’habitant. Joseph frappe à toutes les portes. Il essaie, essaie encore… Marie est épuisée. Il ne reste pas la moindre place. Quand, tout à coup, Rachid sort de chez lui. « J’ai bien aménagé une étable pour mon bœuf dans la grotte là-bas. Ce n’est pas loin. Je vais vous montrer. Ce n’est pas confortable, mais vous serez mieux que dans la rue. Il y a de la paille. Mon bœuf, le Boudu, est placide, vous verrez. » Et puis, regardant la jeune femme enceinte : « Vous aurez un peu d’intimité. » Le visage de Marie est creusé par la fatigue. Elle se réjouit de pouvoir enfin descendre de sa monture et s’allonger, ne fût-ce que s’allonger… Pendant la nuit, elle met au monde un magnifique garçon. De la mangeoire, avec un peu de paille, Joseph fait un berceau où l’enfant repose, quand soudain, le Boudu se met à beugler, mais à beugler, de toutes ses forces. L’âne lui dit : « Tu es fou, tu vas réveiller l’enfant ! Tu ne vois pas qu’ils sont tous épuisés. Laisse-les dormir ! » Mais le Boudu de beugler de plus belle : « T’occupe, je sais ce que je fais, tu verras. » Là-bas, dans la campagne, des bergers faisaient paître leurs troupeaux, près d’une herbe rare et sèche. En entendant le bœuf, le Ravi court vers la grotte. « Il est arrivé quelque chose, j’en suis sûr. Le Boudu a besoin de nous. » Derrière lui, le Bougon lui emboîte le pas en grommelant : « Arrête ! Tu cours, tu cours, mais tu ne sais pas ce qui se passe. Réfléchis un peu. C’est peut-être un accident. Qui sait, des brigands sont en train de l’assassiner, il y a plein de sang partout. C’est dangereux. Mais ne cours pas comme ça ! Qu’est-ce que tu vas faire, hein ? Qu’est-ce que tu vas faire ? » Mais le Ravi ne l’écoute pas. Le Boudu a besoin d’aide. Il ne pense à rien d’autre.

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Le troisième les regarde s’en aller en riant. C’est toujours la même chose. Ils partent sans se retourner. Lui, en homme responsable, il rassemble les affaires du camp. Un berger est un nomade, et un nomade ne laisse jamais rien derrière lui. Il ne possède que ce qu’il peut transporter, rien de plus, rien de moins. Le quatrième ne fait rien. Il pense. « Tout cela n’a pas de sens », se dit-il. Et il emboîte le pas aux trois autres, car il ne fait pas bon qu’un homme reste seul. Le Ravi se précipite dans la grotte devenue une étable. « Attends-moi », crie le Bougon tout essoufflé. Le Ravi est déjà à l’intérieur. Ce qu’il voit le laisse sans voix. Un bébé ! Dans la mangeoire des animaux ! Il se retourne vers le Bougon qui vient d’entrer. Lui aussi est médusé. Quand le troisième arrive, chargé de tout le campement, il lâche ses paquets. Il reste en contemplation devant un si joli tableau. Qui eût cru que, dans cette grotte, toute une petite famille ait trouvé refuge. Son esprit pratique reprend le dessus : « Vous êtes si beaux ! Mais vous avez l’air épuisés. Vous devez avoir faim. Je suis sûr que vous n’avez rien mangé depuis le matin ! Prenez nos vivres. Nous allons partager ce repas. » Il s’agite et, en une, deux, trois, le pain, le fromage, le lait sont présentés de manière appétissante. Le quatrième est très ému. Il aime ses compagnons de route, tous si différents. Il ressent l’harmonie qui règne dans la grotte. Pourtant, la naissance d’un enfant dans ces conditions, c’est un vrai scénario catastrophe. Cet enfant, pure présence, pousse chacun à donner le meilleur de lui-même. Se tournant vers Joseph, le berger lui demande : « Comment s’appelle-t-il ? » « Il s’appelle Jésus, Dieu sauve, ou Yeshouah » « Dieu sauve… », répète le berger. Et les premiers rayons du soleil sont entrés dans la grotte. SOLANGE DE BEHR


Joseph se souvient… Acteurs Jacob Joseph âgé Marie âgée Joseph jeune Marie jeune Les 4 bergers Les 3 mages

Les indications pour le metteur en scène sont en italique. La pièce se déroule alternativement à gauche et à droite de la scène. (A gauche de la scène se trouvent Marie et Joseph âgés. Joseph est fatigué. Il se souvient… A droite défilent ses souvenirs…) JOSEPH âGé : Marie, j’ai demandé à mon vieil ami Jacob de venir. Tu voudras bien l’accueillir et nous offrir le thé ? MARiE : Jacob, ton bon vieil ami ! Quel bonheur !

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(Marie introduit Jacob, amène le thé et se retire.) JOSEPH : Bonjour Jacob ! Excuse-moi de ne pas me lever, je ne tiens plus sur mes jambes. Merci d’être venu aussi vite. Comment vas-tu, toi, ton Anna, tes enfants et tes petits-enfants ? JACOB : Anna va bien, elle te dit bonjour. Nos enfants et petits-enfants vont tous très bien, je te remercie. Quant à moi, je vieillis, mais je ne peux pas me plaindre. J’ai vu Marie toujours si douce et si rayonnante. Mais toi Joseph, tu me sembles épuisé. Comment va ton fils Jésus ? Toujours pas de mariage à l’horizon ? JOSEPH : Tu as raison, je suis épuisé et je n’en n’ai plus pour longtemps. C’est pourquoi je t’ai fait venir. Je voudrais, avant de mourir, te confier une histoire incroyable dont je n’ai encore jamais parlé à personne, précisément à propos de Jésus ! Et pourtant elle est tout à fait vraie ! Je voudrais partager ce secret avec toi, mon meilleur ami ! Un jour que je ne suis pas près d’oublier, alors que nous étions fiancés, Marie est venue me trouver, elle semblait fort émue… (Le vieux Joseph et Jacob restent dans le coin gauche de la scène. A droite, le jeune Joseph travaille le bois. La jeune Marie, bouleversée, vient à la rencontre de Joseph.) MARiE : Joseph, j’ai une nouvelle incroyable à t’annoncer, mais je ne sais comment tu vas l’accepter. J’attends un enfant, Joseph, c’est un enfant envoyé par Dieu ! Un ange m’a annoncé sa venue. Je t’en supplie, crois-moi. Je ne connais aucun homme autre que toi. Cet enfant est un don de Dieu !

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JOSEPH : Mon Dieu ! Marie, qu’as-tu fait ? Ce n’est pas possible ! Qu’allons-nous devenir ? Va, laisse-moi réfléchir. La nuit porte conseil ! (Joseph se couche, Marie part prier plus loin. Joseph se retourne constamment sur sa couche et parle tout seul.) JOSEPH : Si je la renvoie officiellement, elle sera lapidée. Mon Dieu, je ne peux pas laisser subir un supplice aussi affreux à ma tendre Marie. Je peux peut-être la renvoyer discrètement chez ses parents. (Joseph s’endort. Marie s’assied. Un peu plus tard, Joseph se réveille et va vers elle.) JOSEPH : Marie, ma douce, moi aussi j’ai eu un songe et j’ai entendu une voix me dire que l’enfant que tu portes est bien un don de Dieu et cette voix m’a ordonné de te prendre pour épouse. Pardonne-moi de t’avoir fait souffrir et d’avoir douté de toi. ! (Les deux jeunes acteurs sortent en se donnant la main…) (A gauche) JOSEPH âGé : J’ai donc épousé Marie, et, rappelle-toi, notre Jésus est né dans des conditions difficiles alors que nous étions à Bethléem pour le recensement de Quirinus. JACOB : Mon Dieu, Joseph, qu’est-ce que tu me racontes là ! Je suis abasourdi ! Qui donc ne se souvient pas de la naissance de Jésus ? Il y avait un monde fou à Beth-

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léem et tu n’as pu trouver un endroit un peu tranquille pour que Marie puisse accoucher. Je me souviens que, finalement, vous n’avez pu trouver place que dans une étable ! JOSEPH : Oui, mais tu ne connais pas les événements étonnants qui sont survenus lors de cette naissance. Nous avons vu arriver des jeunes bergers ; au départ intimidés, ils se tenaient à l’écart, mais j’entendais tout, ils étaient merveilleux ! (A droite : Marie et Joseph entourent l’enfant Jésus et quatre bergers se tiennent à l’entrée de l’étable. Un des chiens aboie et un jeune berger lui ordonne de se taire.) UN JEUNE BERGER : Chut ! Tu vas réveiller le bébé ! UN AUtRE BERGER : Tu as vu sa Maman, comme elle est belle ! Son visage est si gentil et doux malgré sa fatigue. UN tROiSièME BERGER : Mais ce bébé ressemble à tous les autres bébés ! LE qUAtRièME BERGER : Oui, mais ce n’est qu’une apparence, sinon nous n’aurions pas entendu une voix nous dire d’aller voir cet enfant qui venait de naître et qui allait nous sauver ! UN DES BERGERS : Allez, avançons !

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UN AUtRE BERGER : Oui, et si nous donnions un cadeau ? LE tROiSièME BERGER : Excellente idée, offrons-lui donc un de nos agneaux ! (Les quatre bergers s’avancent, s’agenouillent émerveillés par cet enfant et offrent un agneau.) (A gauche) JOSEPH âGé : Tu devines notre émotion à tous deux ; nos cœurs battaient très fort et nous avons remercié le Seigneur que tout se soit si bien passé malgré nos difficultés. La gentillesse touchante des bergers et le message qu’ils avaient reçu nous bouleversaient. JACOB Tout cela est incroyable, incroyable ! Incroyable, incroyable… JOSEPH Oui, mais ce n’est pas tout. Après le départ des bergers, nous avons eu d’autres visiteurs, beaucoup plus impressionnants. Figure-toi que nous avons reçu la visite de trois mages, venus de bien loin, avec leur caravane. Ils avaient suivi une étoile qui s’était arrêtée au-dessus de notre étable. Tu comprends, Jacob, nous étions terriblement surpris et émus ! (La scène se déroule du côté droit. Les trois mages s’approchent très respectueusement. Ils s’inclinent devant l’enfant.)

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LES tROiS MAGES : Nous avons fait un très long voyage ! Une étoile a conduit nos pas jusqu’à cet enfant. Son destin sera exceptionnel. MELCHiOR : J’offre de l’or à cet enfant, car il deviendra roi ; de quel royaume je ne sais, mais il deviendra roi ! BALtHASAR : J’offre de l’encens, car des hommes et des femmes de toutes les nations à travers le monde rendront un culte à cet enfant. GASPAR : J’offre de la myrrhe pour soigner ses blessures et l’embaumer lors de sa sépulture, car je pressens que son destin sera exceptionnel. Oui, mais hélas ! il connaîtra aussi de grandes souffrances. (A gauche) JOSEPH âGé : Marie et moi, bouleversés, étions sans voix et ne comprenions pas grand-chose à tout cela. Les mages nous ont annoncé qu’ils repartaient par un autre chemin. Nous n’en avons pas compris tout de suite la raison. Mais, la nuit suivante, j’ai eu un songe : nous devions partir immédiatement pour l’Egypte. JACOB : C’est donc ce songe qui t’a fait fuir et a sauvé Jésus de cet affreux massacre ordonné par Hérode ! Dans toute la région, pas un enfant en dessous de deux ans n’a échappé ! Une abomination !

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Je me souviens aussi de ton Jésus, étonnant, à douze ans, discutant avec les docteurs de la Loi ; sa connaissance et sa maturité les avaient terriblement impressionnés ! JOSEPH : Comme tu as bonne mémoire ! C’est vrai, Jésus nous avait sidérés, mais en même temps, il avait terriblement peiné Marie. Mais tu vois, depuis lors, plus rien ne s’est passé. Et cela me trouble très fort. Jésus aura bientôt trente ans, il ne songe toujours pas à se marier ! Bien sûr, il a toujours été un fils merveilleux, très doué, très gentil, travailleur, très pieux, le fils idéal. Tout de même, quel est le sens de tout cela ? Pourquoi une naissance aussi exceptionnelle sans raison apparente ? Je suis malade, je vais bientôt mourir sans comprendre ce qui nous est arrivé ! JACOB : Ton histoire est incroyable, Joseph, je la crois parce que Marie et toi vous êtes tous deux des êtres exceptionnels, droits et justes. Qu’en pense Marie ? JOSEPH : Oh ! Marie, lorsque je lui parle de mon étonnement, elle sourit avec tendresse et me répond doucement : « Fais donc confiance, le Seigneur sait où il nous conduits. » Au fond de mon cœur, je sais qu’elle a raison et que je dois accepter de partir sans comprendre. Le Seigneur sait ce qu’il fait. Oui, je vais mourir en gardant la confiance et l’espérance dans mon cœur !

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JACOB : Joseph, merci de ta confiance. Je suis bouleversé. Les paroles de Marie me font penser au psaume : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. » SUzANNE DE LiEDEkERkE



Un jour des Rois… Hier après-midi, nous étions partis à trois, Antoine Leroy, Sébastien Leblanc et moi, chanter dans les maisons du village : « De bon matin, j’ai rencontré le train de trois grands Rois qui partaient en voyage… » Bien sûr, c’était le 6 janvier ! Cette fois-ci, on avait fait fort ! Antoine avait pris un vieux manteau de fourrure de sa mamy. Nous avions fabriqué de magnifiques couronnes en carton puis nous les avions peintes en doré et j’y avais collé les petites perles du collier de ma sœur Julie. Nous avions attaché l’étoile à la canne de l’oncle Jules, dorée elle aussi. Maman m’avait donné une chemise de nuit en satin et un peignoir à bords dorés. Quel effet ! Sébastien avait une belle cape rouge qui traînait un peu par terre, derrière… En plus, cette fois-ci, on n’avait pas dû noircir la figure de Gaspar avec du bouchon brûlé parce que Sébastien, eh bien ! il est vraiment noir ! (Sa maman est africaine, pas son papa ; lui il est blanc et même que, pas de chance, il s’appelle Leblanc. Chaque fois, c’était la même chose, à l’appel du matin : « Leblanc », disait le professeur. « Présent, M’sieur »… Et il y en avait 23 qui étaient morts de rire ! Monsieur Philippe avait même menacé d’une retenue générale si ça continuait.) Alors nous avions demandé à Sébastien de nous accompagner hier après-midi. D’accord, c’était plus facile pour la couleur, mais aussi, on l’aime bien, Seb. Et ça le consolait un peu des moqueries de pouvoir être Roi pendant quelques heures. Nous étions tellement beaux et nous avions tellement bien chanté que les gens nous avaient donné plein de choses : des biscuits, des chocolats, des bonbons et aussi des sous… Même une vieille dame avait donné un panier de magnifiques pommes rouges !

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Nous avions beaucoup marché, nous étions très fatigués et, tout à coup, vlan, Sébastien se prend les pieds dans sa cape rouge et se blesse le genou sur les cailloux. Une gentille dame est sortie de la maison (Seb faisait beaucoup de bruit en pleurant) et quand elle a vu le genou de Seb, elle a dit : « Attends ! Je vais t’apporter un baume miracle. » Et c’était vrai. Elle a bien tartiné la plaie et Seb a dit qu’il n’avait plus mal. (Pourtant, il est un peu douillet.) Alors, la dame lui a donné le pot en disant : « Garde-le pour si tu tombes encore ! » Sébastien a bien remercié et mis le pot au fond de son sac. Seulement voilà, en chantant nous avancions de plus en plus loin. Aux croisées de chemins, nous prenions à gauche, à droite, sans trop savoir… le soir tombait et notre étoile en carton doré ne nous aidait pas beaucoup ! On était perdus ! Tout à coup, au bout du chemin, nous avons vu arriver Rody et sa bande ! Il dit qu’il est le roi de la blague mais c’est plutôt un vrai caïd, toujours prêt à se moquer et jouer de vilains tours. Bien sûr, il a crié de loin : « Salut, Leblanc, on te voit plus très bien dans le noir… Heureusement que t’as un manteau rouge ! » Et tous rigolaient. Moi, je voulais pas dire qu’on était perdus. J’ai fait celui qui n’avait pas peur et j’ai dit : « Salut, Rody, tu connais pas un raccourci pour rentrer au village ? On n’a plus envie de trop marcher ! » Alors il a demandé aux autres ; ils chuchotaient et se marraient. « Ah oui ! il a dit. On raconte qu’en allant par là, tout droit dans le petit chemin qui tourne à travers le bosquet et les hautes herbes, on arrive à la route qui mène au village. Mais on dit aussi qu’il faut passer par des maisons abandonnées, enfin d’anciennes cabanes de bergers et qu’on y voit souvent des fantômes ! » Les autres pouffaient derrière… « Alors, allez-y ! dit Rody. Et vous viendrez me raconter comment ils sont, ces fantômes ! » Nous avons pris le chemin et nous entendions derrière la bande à Rody qui se tordait ! On n’était pas à l’aise. Antoine m’a dit : « Tu crois que c’est prudent ? On peut lui faire confiance ? »

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| Un jour des Rois… |

Seb pleurnichait : « Louis, j’ai peur des fantômes ! » Alors, j’ai fait le grand courageux et j’ai dit : « On n’a pas le choix, suivez-moi ! » Mais plus nous avancions, plus nous avions l’impression que le chemin s’éclairait. Oh, ce n’était pas une bien grande lumière, non, un peu comme la clarté d’une étoile qui aurait brillé au bout du chemin. On a marché, marché… mais plus on marchait, plus la lumière avait l’air de s’éloigner. Brusquement, à travers les hautes herbes, nous avons vu les maisonnettes. La lumière semblait sortir de l’une d’elles. Une femme chantait. Antoine et Seb s’étaient arrêtés derrière moi. Nous n’avions plus peur, au contraire, c’était comme si la lumière était entrée dans notre cœur et nous attirait vers la cabane ! Très lentement, on s’est approchés et par la fenêtre on a vu ! Oui, il y avait une femme qui chantait et berçait dans ses bras un petit bébé qu’elle avait emballé dans une couverture chaude pour qu’il n’ait pas trop froid. Une grosse voix derrière nous a dit : « Qu’est-ce que vous faites là ? » C’était un homme, un genre romanichel, je crois, avec une barbe noire. Il tenait par la bride un mulet chargé de fagots. Alors j’ai dit : « Pardon, monsieur, nous sommes les rois mages, on a chanté dans les maisons, on s’est perdu, c’est Rody qui nous a dit de venir par ici, on peut chanter pour le petit si vous voulez. » L’homme a ri, il avait l’air gentil et il nous a dit d’entrer. Alors, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai tendu à la dame le panier de pommes et j’ai dit : « Elles sont belles et bonnes, vous pourrez faire des panades pour le bébé et si vous plantez les pépins, vous aurez un jour des pommiers ici. » Elle a remercié en souriant, mais j’ai vu une petite larme au coin de son oeil. J’ai regardé Antoine, il a hésité et puis il a pris au fond de sa poche une grosse poignée de sous qu’il a mise sur la table et il a dit : « C’est pour le petit. » Cette fois, c’est le monsieur qui avait l’air ému ! Et Seb a tiré de son sac le baume miracle et il a dit : « Ça, c’est pour le guérir quand il se fera mal. »

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Alors, nous avons partagé nos biscuits et nos chocolats, c’était la fête ! Le bébé souriait, son papa et sa maman riaient de bonheur. Ils ont dit : « Merci, vous êtes de bons petits gars » et aussi : « Le bon Dieu vous le rendra ! » Nous étions tellement heureux qu’on serait bien restés mais on ne pouvait pas y passer la nuit, nous devions rentrer, nos parents allaient s’inquiéter. Alors, l’homme nous a mis sur son mulet et nous a reconduits au village. Rody avait raison, c’était un vrai raccourci, en fait nous n’étions plus tellement loin. Quand nos mamans nous ont vus, elles étaient contentes parce qu’elles commençaient à s’inquiéter. Elles ont trouvé que nous ne ramenions pas grand-chose pour être partis si longtemps ! Alors, nous avons raconté notre drôle d’après-midi, nos joies, nos angoisses, le bonheur qu’on a eu et qu’on sent encore dans notre cœur, tout quoi ! Julie aussi écoutait. Elle trouvait que nous avions bien fait et elle ne s’est même pas fâchée quand elle a reconnu les perles de son collier collées sur la couronne ! Mais le plus bizarre, c’est que, ce matin, Maman a aussi voulu aller voir et apporter quelque chose, un bon pain qu’elle venait de cuire et des petits chaussons pour le bébé. Elle a bien trouvé la cabane. Elle était vide… Il n’y avait plus personne… Mais sur la table brillait une petite étoile en or… JOëL DE SURGèRES




Foi de dromadaire Quelle effervescence autour de notre oasis, ces jours-ci ! Manifestement, les préparatifs vont bon train pour une toute grande expédition. Mais laquelle ? Il se fait que, depuis quelque temps, mon maître Melchior, scrute le ciel avec passion… J’entends d’ailleurs dire autour de moi qu’il est un grand savant et qu’il peut interpréter le mouvement des astres et leur signification. Or, il semble qu’un astre tout à fait unique et exceptionnel soit apparu dans le ciel, et mon maître est bien décidé à suivre cette étoile jusqu’au bout et quelles que soient les difficultés rencontrées en chemin. Et, foi de dromadaire, je peux vous dire qu’il ne manque pas d’embûche, dans le désert ! Mon maître est persuadé que cette étoile est le signe d’une nouvelle naissance, de la naissance d’un roi exceptionnel, un nouveau-né qui va changer la face du monde. Et pour trouver ce roi nouveau-né, mon maître est prêt à se mettre en route, à tout quitter, sans savoir jusqu’où cette étoile va le mener ! Quelle foi extraordinaire ! Moi, j’admire mon maître. Et même si cela ne paraît pas très raisonnable, mon instinct me dit qu’il a raison ! Je vous disais donc que des préparatifs allaient bon train ! Et voici venu enfin le grand jour du départ ! Oh, oh ! Doucement ! Voilà que l’on charge une selle imposante sur mon dos… Elle est couverte de soieries et de tissus brochés, dignes du maître que j’aurai l’honneur de porter ! On m’amène ensuite, avec mes collègues, au puits pour faire le plein d’eau, en vue de la longue traversée du désert. Nous sommes, en effet, au nombre de vingt à assurer le transport de mon maître et de sa suite, ainsi que du ravitaillement et des superbes coffrets en or pour le roi nouveau-né.

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Les femmes et les enfants, ainsi que nos petits regroupés près du puits, sont inquiets de nous voir partir et nous font de timides signes d’adieu. Mais moi, je suis très excité et fier de porter mon maître. J’avance d’un bon pas rythmé tandis que lui me paraît heureux et passionné à l’aube de cette grande aventure. Nous marchons durant des semaines avec, comme seul horizon, des dunes de sable à perte de vue. Et jour et nuit, l’étoile nous précède, nous montrant le chemin. Et voilà que nous rattrapons deux autres caravanes. Entre dromadaires, on se comprend ! Il paraît que leurs maîtres, Gaspard et Balthazar, ont aussi été attirés par l’étoile, car eux aussi sont des savants et des sages. Et ainsi nous poursuivons notre route en leur compagnie. Il faut dire que l’étoile devient de plus en plus étincelante. Elle semble nous pousser en avant. Si bien que, lorsque mon maître paraît s’endormir, je sais parfaitement par où je dois diriger mes pas ! Et, malgré la longueur du voyage, la confiance de nos maîtres est sans faille. Mais voilà que, soudain, alors que nous ne sommes plus qu’à quelques lieues de la ville de Jérusalem, l’étoile se dérobe à nos yeux. C’est la consternation ! Mes collègues et moi-même possédons pourtant un flair extraordinaire pour ces choses-là. Mais il n’y a rien à faire. Nous ne savons plus quel chemin emprunter. Nos maîtres sont contraints de s’enquérir auprès du roi de la contrée, un certain Hérode, pour savoir où pourrait naître ce roi d’exception. Naturellement, moi je reste avec mes collègues dans la cour, mais d’emblée je pressens que ce Hérode est un mauvais personnage. Vous savez, nous les animaux, nous sentons ces choses-là encore mieux que les hommes. C’est à nouveau une question d’instinct ! Il semble alors qu’Hérode interroge des savants de sa cour pour ensuite donner des indications à mon maître. Et, foi de dromadaire, est-ce que je ne l’entends pas demander

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| Foi de dromadaire |

à mon maître de repasser à Jérusalem, au retour, afin que lui, ce Hérode, puisse aussi aller rendre visite au Roi nouveau-né ! Pfff ! Moi, je me méfie de ce personnage ! Enfin, voilà que nos trois caravanes reprennent la route et… oh bonheur ! L’étoile, de plus en plus éblouissante, nous guide à nouveau. La joie et la confiance de nos maîtres semblent décuplées, après ce douloureux moment de doute. Cette fois, je pense que nous ne devons plus être loin car, soudain, l’étoile semble avoir quitté le ciel pour se poser sur une humble petite cabane que nous apercevons à la sortie de la ville de Bethléem. Nous nous approchons de la cabane. Les caravanes s’arrêtent enfin. Je retiens mon souffle ! Mon Maître descend et, en compagnie de Gaspard et de Balthazar, je le vois entrer respectueusement dans la cabane. Je m’approche doucement et, par une fente entre les planches de bois, je vois la chose la plus belle qu’un dromadaire puisse jamais imaginer : Une maman, si belle et pure, portant dans ses bras le plus beau bébé du monde. Le Papa est tout près et… tenez-vous bien ! En tendant un peu plus le cou, je vois un petit âne gris et un gros bœuf tout brun occupés tous deux à souffler sur le petit, pour lui donner de la chaleur. De mémoire de dromadaire, je n’ai jamais rien vu de si beau ! J’aimerais tellement rentrer dans la cabane aussi pour souffler sur le petit pour qu’il ait encore un peu plus chaud, car il fait si froid… Mais, voyant mon émerveillement, mes collègues me supplient, chacun à leur tour, de pouvoir regarder par la fente ! Nous sommes tous émerveillés ! Reprenant ma place, les oreilles redressées, je vois alors nos maîtres se mettre humblement à genoux devant le petit et lui offrir les présents qu’ils avaient apportés. Ce n’est pas facile pour un dromadaire de comprendre le monde des humains…

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Mais, à cet instant-là, je comprends que ce petit va changer le cœur des hommes ! Nous demeurons plusieurs jours près de la cabane. Lorsque, enfin, nous reprenons la route vers l’Orient, nous ne repassons plus chez Hérode : mon maître a compris ! D’ailleurs, s’il avait voulu y repasser… je crois que, comme l’ânesse de Balaam, j’aurais tout simplement refusé d’avancer ! BRiGittE vERHAEGHE




A la télé, ce soir 24 décembre, seize heures, sur le plus grand plateau de la télévision Télétoche. C’est l’effervescence des grands jours. Alain, le célèbre animateur vedette, a été choisi pour occuper l’antenne ce soir. Il a été pressenti, il y a trois mois déjà, et depuis lors, ses collaborateurs ont travaillé d’arrache-pied. Toutes les demandes de la vedette ont été acceptées, sans aucune restriction budgétaire. Pour tout dire, le conseil d’administration a mis le paquet pour faire exploser l’audimat et écraser enfin et définitivement les chaînes concurrentes. Alain a fait appel à Sanrit, le décorateur le plus tendance, pour réaliser le décor du studio. Question d’accrocher les téléspectateurs branchés art contemporain. Il a fallu plusieurs réunions pour analyser les deux projets proposés : d’une part, l’exotisme avec une oasis, des palmiers et du sable ; d’autre part, l’actualité chaude d’une banlieue parisienne… Alain a tranché : ce sera la déco attendue d’une étable antique. Question d’éviter le zapping des téléspectateurs traditionnels. Ce ne fut pas une sinécure de trouver les matériaux qui fassent d’époque : les poutres, le chaume, des bancs, des lampes à huile… Sans parler de la mangeoire, payée à prix d’or chez un antiquaire. Une crèche plus vraie que nature. Ah la la, catastrophe ! La paille accroche les robes, les pantalons et les bas nylon ! Sanrit a heureusement trouvé et commandé, par courrier express, huit cents kilos de paille synthétique chinoise incomparablement plus douce et plus souple que celle de nos étables. L’âne, le bœuf, ainsi que les moutons étaient bien trop rustiques aux yeux du décorateur, aussi a-t-il cherché — et loué — des animaux nains beaucoup plus mignons que les animaux des champs. Shampouinés, frisottés, crémés, parfumés, ils sont exquis !

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On a procédé à des dizaines et des dizaines d’heures de castings pour enfin trouver une Marie pas trop délurée, un vieux sage saint Joseph, des anges joufflus et bouclés, des bergers pseudo authentiques et des mages raisonnablement exotiques. Il faut n’oublier aucun personnage traditionnel pour fidéliser les éventuels puristes religieux. Dans la liste des personnages, il y a le bébé. Un beau bébé bien blanc, bien de chez nous. Pour plaire aux partisans du mouvement raciste devenu majoritaire dans plusieurs grandes villes du pays. Eloïse se chargera du bébé. Bref, c’est une fortune qui a été dépensée pour que cette crèche fasse le plus pauvre possible ! Le résultat est bucolique, doucereux, ronronnant… juste ce qu’il faut pour ménager des téléspectateurs les yeux rivés sur le petit écran et la bouche dégoulinante de sauce homardine. Il est dix-sept heures, l’émission commence dans trois heures. Les nouvelles du jour sont triées : Alain a décidé qu’il ne faut pas empêcher la bonne digestion des braves gens. Il ne veut que des nouvelles joyeuses, sympathiques, souriantes, légèrement épicées d’humour. Les nouvelles en provenance d’Amérique Latine, d’Irak ou du Proche-Orient attendront. Il ne sera donc pas question, ce soir, d’attentats, de bombes, de violences, de blessés, de morts, d’horreur… Ce Noël doit être charmant. Plutôt des interviews de chefs cuisiniers réputés, de visiteurs de prisons, de tours opérateurs organisant les Noëls des plus excentriques, de religieuses habitant des bidonvilles. L’interview également du traiteur Kobs qui détaillera avec enthousiasme le nombre de kilos d’huîtres, de homards, de foie gras, de truffes, de bûches chocolatées, et même de petits Jésus en sucre rose vendus en deux jours… A dix-huit heures, Eloïse accourt : le petit Jésus ne sera pas là ! Il était prévu, mais les parents ont changé leur projet et sont partis en vacances avec leur petit, si beau, si blanc. « Est-ce si important après tout ? Ne pourrait-on se passer de ce bébé ? Noël sans le petit Jésus, est-ce si grave », demande-t-elle ?

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| A la télé, ce soir |

Alain est furieux : il y tient, à son petit Jésus ! Et il tient surtout à ne pas choquer ses chers téléspectateurs. Là, pour le coup, c’est le zapping assuré d’un million de personnes, au bas mot ! Mais, comment, à deux heures du début de l’émission, trouver un petit Jésus ? Alain s’affole. Eloïse et les autres collaborateurs sont expédiés avec l’ordre formel de trouver un bébé d’urgence. Trouver un bébé à prêter, à louer, à ce qu’on veut, pourvu que ce bébé soit dans sa mangeoire de vingt à vingt-quatre heures, en cette nuit de Noël ! Après vingt longues minutes, Eloïse téléphone à Alain : « Je crois avoir trouvé ! Viens voir ! Au croisement des deux avenues ! » Alain dévale les quatre étages et la rue qui le séparent du croisement : là, dans le froid, une gamine mendie, un bébé dans les bras. Alain parlemente avec elle, mais celle-ci ne comprend pas le français. Alors l’animateur, excédé, sort un billet de cent euros qu’il tend à la gamine en disant : « Tu vois le bâtiment, là-bas ? Tu viendras à minuit chercher le bébé. O.K. ? Tu as compris ? » La fillette regarde, sidérée, le billet qui lui est tendu, elle parle à toute allure dans une langue inconnue, tend le bébé à l’animateur, fait un grand geste, du style « Attends-moi ! » et s’encourt, tenant précieusement le billet dans la main. L’animateur n’a vraiment pas le temps d’attendre. Il regarde attentivement le paquet qu’il a dans les bras. C’est un plutôt basané, et pas si neuf que cela ! Europe de l’Est ? Après tout, une bonne couche de maquillage arrangera cela. Alain remonte dans le studio. Il est dix-neuf heures. Les vedettes de cette nuit sont arrivées. Ils sont chez la maquilleuse. L’animateur va les saluer, blague un peu, détend l’atmosphère. La chorale est déjà installée dans le studio et répète : « Mon beau sapin, roi de Noël… » Alain rejoint sa loge, il se change. Smoking, ce soir. Dans sa poche, il met les billets d’avion destination Cancun, au Mexique. Il a décidé de faire une surprise à Coraline. Cela mettra certainement un peu d’huile dans leurs relations assez orageuses pour l’instant. Une fois l’émission finie, il foncera lui offrir son cadeau. Elle aura vingt minutes pour faire sa valise : leur avion décolle trois heures plus tard !

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Dix-neuf heures trente-cinq. Il y a la pagaille dans le grand studio. Alain se précipite : les mignons moutons ont mangé la paille synthétique et à voir leur tête, ce n’était vraiment pas une bonne idée ! Un vétérinaire, d’urgence, il ne reste que vingt minutes avant le début de l’émission. Le bébé, lui n’a pas l’air en forme. Ce n’est sûrement pas grave, il faisait très froid dehors, et dans le studio, avec tous ces spots, la température est élevée. Quand le vétérinaire passera, qu’il jette aussi un coup d’œil au bébé, on ne sait jamais ! Et qu’il leur donne à tous un sédatif, que ce petit monde ne dérange pas l’émission ! Le mot d’ordre est : pour fêter Noël, rien d’inattendu, rien de subversif. Question d’audimat, évidemment ! Alain vérifie une dernière fois l’ordre de passage de ses invités en paillettes et strass qui chanteront avec un brin d’émotion des Noëls traditionnels. Il y a deux chanteurs du « Top 10 », le footballeur Fellé, sacré meilleur buteur du moment, même un authentique prince fera une apparition. Chacun, à sa façon, fera un petit couplet sur l’importance de la tendresse, de l’amitié, de l’amour, de la famille… Cette veillée de Noël, pseudo-évangélique, doit garder des millions de spectateurs en éveil pendant quatre heures, de vingt à vingt-quatre heures. C’est le contrat que doit remplir Alain : rafler de nouveaux téléspectateurs, pulvériser l’audimat, écraser les chaînes adverses. Ça y est, le générique est lancé, l’émission démarre. Les chanteurs, les interviews, les sportifs se succèdent. La chorale aussi. L’émission est régulièrement interrompue par la publicité barbouillée de folklore chrétien : Marie y vante son shampoing, « car elle le veut bien » ; Joseph ponce un bout de la mangeoire avec sa nouvelle machine multi-fonctions « Black and White » si performante ; les mages sortent avec panache de leur voiture Quicker Pissaro, si spacieuse — même leurs trois chameaux y étaient à l’aise. Quant aux bergers, ils ont offert au petit Jésus le yaourt Rassi, si bon grâce à tous ses ferments, qu’il vous évite crampes et ballonnements… !

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| A la télé, ce soir |

De temps à autre, la caméra s’attarde sur le visage de l’enfant si sage. L’émission se termine comme prévu à minuit moins une. L’antenne est reprise par l’envoyé spécial sur la place Saint-Pierre, à Rome, où les cloches carillonnent allègrement. Sur le plateau, c’est la bousculade. Tout le monde se dépêche pour rejoindre au plus vite sa famille, ses amis. En bas, le camion tourne, déjà prêt à rembarquer les animaux drogués de bruit, de lumière et de sédatif. « Au revoir, au revoir, joyeux Noël ! » Les ascenseurs sont pris d’assaut. « A la semaine prochaine ! » Les voitures vrombissent. Le plateau est abandonné au silence et à l’obscurité. Le lendemain, le 25 décembre, Aïcha, la femme d’ouvrage, arrive sur le plateau. Elle a accepté ce travail parce qu’elle vit seule ici. Pas de famille, pas d’amis pour faire la fête. Ils sont au pays. Aïcha travaille ici pour eux, là-bas. Et puis, quelle fête ? Aïcha n’est pas chrétienne. Aïcha tourne l’interrupteur et découvre avec étonnement une immense croix formée, de façon inattendue, par la grosse poutre horizontale de l’étable et par la banderole « Joyeux Noël » partiellement décrochée du plafond. Elle découvre aussi l’incroyable foutoir à nettoyer. Huit cents kilos de paille synthétique ornée de crottin, de confettis, de serpentins, d’ailes d’anges déchirées, de coupes de champagne. Aïcha relève les manches et se met au travail. Elle remplit les poubelles les unes après les autres. Soudain, juste sous la croix, elle aperçoit le bébé. Le petit Jésus. Immobile, bleu, cadavérique. Aïcha hurle. Elle se précipite, prend le petit corps déjà tout froid. Elle dégrafe son tablier, place le petit enfant sur sa peau, souffle dessus, le berce, pleure, le secoue, se balance. Elle n’ose pas le quitter, appeler du secours. D’ailleurs, il n’y a personne dans l’immeuble. Alors elle reste là, le bébé si froid contre sa peau tiède, elle le berce, elle l’em-

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brasse, lui susurre des mots d’amour, l’enlace… Pendant combien de temps est-elle restée accroupie, le bébé serré contre elle ? Trois heures peut-être… Un hoquet ? A-t-il hoqueté ? Progressivement elle croit sentir comme une légère vibration, un imperceptible mouvement, une infime chaleur. Imagination ? Réalité ? Elle ne sait pas. Elle n’ose pas bouger, elle n’ose pas y croire. A l’ombre de la croix, ce petit étranger, dans les bras tendres d’Aïcha, reviendrait-il vers la vie… ? MARiE-BéNéDiCtE DE viLLENfAGNE D’APRèS UN CONtE DE J.-P. vANHECkE




Une page couleur de nuit Au palais du roi Hérode, on s’agite, on se bouscule. Hérode, lui, est d’une nervosité sans pareille. En effet, des savants venus de loin sont là, chez lui. Ils sont venus lui demander où se trouve un nouveau roi qui vient de naître ! — oui, c’est bien cela : un autre roi que lui, Hérode ! C’est, paraît-il, une étoile qui les a guidés jusqu’à Jérusalem. Tout le centre de la ville est aussi en émoi, car la caravane des mages encombre les rues avec ses chameaux, chameliers et serviteurs de tout genre. Depuis des heures, les intellectuels et savants de la ville ont défilé au palais pour essayer d’interpréter l’événement. Les docteurs de la Loi sont sortis à l’instant. On dit qu’ils ont enfin pu donner une direction aux mages d’Orient : d’après leurs recherches dans les Ecritures, c’est du côté de Bethléem, en Judée, que devrait naître ce roi. Parmi ces docteurs d’Israël se trouve un très jeune homme, Nicodème. Il écoute ses semblables discuter. Cela se prolonge sur le parvis du palais. Il n’ose marquer son opinion, il reste discret, en retrait. On le sent hésitant, peu assuré. C’est normal, il vient de terminer sa formation et il doit avoir à peine vingt ans. Sous le bras, il porte un volumineux manuscrit. Il le tient avec grand soin. Evidemment ! C’est son bien le plus précieux, le fruit des connaissances qu’il a accumulées durant sa formation. Tandis qu’à la tombée du jour les mages remettent leur convoi en route, le jeune docteur d’Israël les regarde partir à la suite de leur étoile. Oui, elle est réapparue et semble les appeler dans sa direction. Le calme retombe sur la ville. Notre Nicodème reste encore là un long moment à observer le majestueux convoi qui n’est bientôt plus qu’un petit point à l’horizon. N’aurait-il pas dû partir avec ces mages ? Un poulet égaré lui déboule dans les jambes et le tire de sa rêverie. Allons, il est tard ! Dans quelques instants, il fera nuit noire. Machinalement, il rentre donc chez lui, mais il a la tête

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| Une page couleur nuit |

basse. N’a-t-il pas raté l’occasion de sa vie ? Il s’assied devant la fenêtre et ouvre son précieux manuscrit. Il est stupéfait : la dernière page qui a la couleur de la nuit — il n’est jamais arrivé à écrire dessus —, mais ce soir, oh surprise ! une étoile s’est fixée sur le haut de la page. Ce n’est pas lui qui l’a posée à cet endroit, mais elle est bien là, comme une lueur dans la nuit. Près de trente ans plus tard, Nicodème n’a toujours rien dit à personne de ce phénomène étrange et, sur la page couleur de nuit, l’éclat de l’étoile est resté intact. Il n’a jamais réussi à rien écrire d’autre sur cette dernière page. Or, à cette époque, on ne parle plus dans le pays que d’un certain Jésus de Nazareth. Ne serait-ce pas le roi de l’étoile ? Nicodème se pose la question. — En tout cas, cet homme accomplit des choses extraordinaires et parle avec une telle sagesse. Justement, Jésus vient d’arriver à Jérusalem. Nicodème décide d’aller le trouver, en direct, pour l’interroger, mais comme il a peur de ce que son entourage pourrait penser de lui, c’est de nuit qu’il va à sa rencontre. De retour chez lui il repense à cette entrevue. Comme chaque fois qu’il est très troublé, il ressort son précieux manuscrit et l’ouvre à la dernière page, celle qui est couleur de nuit avec cette étoile au-dessus. Stupéfaction ! Trois mots se sont maintenant marqués sur cette page, en plein milieu, les trois mots principaux que Jésus lui a dit : « Renaître d’en haut ». Il ne comprend pas bien. Ce Jésus, qui est-il ? Deux ans plus tard, Jésus est condamné. Nicodème, son inséparable manuscrit sous le bras, est impuissant. En tant que docteur de la Loi, il ne s’est pas mêlé à la foule. D’ailleurs, elle lui fait peur, tellement elle est excitée. De tous côtés, on crie, on vocifère même et on exige la mort de Jésus. Nicodème se tient à l’écart. Il a bien trop peur de se faire tuer, lui aussi, et c’est bien trop dangereux de prendre ouvertement position pour le condamné. Pourtant, il pressent au minimum que c’est un envoyé de Dieu. Tiens, voilà justement Joseph d’Arimathie, le copain de Nicodème. Tous deux se chuchotent quelque chose puis disparaissent dans deux directions différentes. Nicodème se précipite jusque chez lui, file au fond du jardin, revient avec une brouette, s’engouffre

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dans une remise, où il farfouille avec grand bruit et bouscule quelques jarres au passage. Il ressort enfin avec un gros sac qu’il bascule sur la brouette. Comme si cela ne suffisait pas, il court encore chez tous les marchands d’aromates de la ville. Finalement, sa brouette est presque débordante et il la pousse tant bien que mal à travers les ruelles de la ville. Tout essoufflé par l’effort, il rejoint son ami Joseph dans un jardin un peu à l’extérieur et en contrebas de la ville. C’est là que Joseph d’Arimathie s’est fait aménager une sépulture. Il l’offre pour Jésus. Nos deux amis y déposent le corps. Nicodème ouvre ses sacs : plus de trente kilos de myrrhe et d’aloès qu’il en sort pour embaumer le corps ! Hommage à celui qu’il a depuis longtemps admiré en secret. Il retourne chez lui, fatigué, et surtout triste. Et pourtant… Dans toute cette affaire, il a été nul, nul ! se répète-t-il tout le long du chemin : il a réagi bien trop tard. Pourtant, il est content d’avoir fait ce peu de chose pour Jésus aujourd’hui. Ce Jésus, c’était quelqu’un quand même ! Comment se fait-il sinon qu’il ait pu, lui, Nicodème le trouillard, se décarcasser tout à l’heure pour sa mise au tombeau ? Comme chaque fois qu’il est troublé, il ouvre son précieux manuscrit à la dernière page, celle couleur de nuit, celle qu’il ouvre quand rien ne va plus. A sa grande surprise apparaît maintenant, vers le bas de la page, comme un grand feu, oui, un buisson ardent. Est-ce cela que le Christ a imprimé dans son cœur aujourd’hui ? Car il se sent tout autre. La page couleur de nuit… elle a suivi le fil de sa vie, marquée par une étoile, trois mots : « Renaître d’en haut », et ce buisson ardent de l’Amour qui est venu le toucher et qui lui a enlevé toute peur. SABiNE DE viLLENfAGNE


L’enfant nourri aux sept laits Il y a de cela bien longtemps, vivait un prince très ambitieux. Ce prince était marié, et sa jeune femme, la princesse, attendait un bébé. Le prince voulait un fils. Un fils pour lui succéder, un fils fabuleux, un fils qui serait plus connu, plus craint, plus respecté que l’empereur lui-même. Un fils tellement génial, tellement à l’image de son père, qu’il deviendrait le roi de toute la terre. Et du ciel aussi, d’ailleurs. Oui, le prince imaginait déjà son fils honoré par le monde entier. Tous les marquis, les princes, les rois et même les empereurs s’inclineraient devant son fils. Les étoiles mêmes… Enfin, bon ! Faut peut-être pas trop exagérer. Encore que… Mais comment faire pour que ce bébé à naître soit vraiment exceptionnel ? De l’aube au crépuscule et du crépuscule à l’aube, la question tracasse le prince. La jeune femme, son épouse, s’arrondit. Déjà elle gazouille des mots d’amour en caressant son ventre. Cela agace le prince au plus haut point : son fils va devenir débile en entendant ces fadaises ! Aussi convoque-t-il un sage très illustre pour donner des leçons de mathématiques et de philosophie politique devant le ventre de la princesse. Là, à coup sûr, son fils sera brillant. Deux mois plus tard, lors d’une chasse, le prince a l’inspiration, la réponse à la question qui n’arrêtait pas de le tarauder : « Que faire pour que mon fils soit un être exceptionnel ? » C’est absolument évident ! Tout dépend non seulement de l’environnement, mais aussi de la nourriture !… Trois semaines plus tard, la princesse met au monde son bébé. Un fils ! C’est un fils. Le prince est fou de joie. Il déclare aussitôt : « Aucune femme au monde, fût-elle la mère de mon fils, n’est digne de le nourrir. Il recevra les sept laits qui feront de lui un être exceptionnel, un être divin. »

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Son conseiller s’étonne : « Quels sont ces sept laits, Seigneur ? — Mon fils sera nourri au lait de tigresse pour qu’il obtienne la puissance du tigre ; au lait de chamelle pour qu’il devienne sobre comme le chameau traversant le désert ; au lait d’éléphante pour obtenir la mémoire et l’intelligence ; au lait d’ourse pour qu’il en ait la force ; au lait de hase pour avoir la rapidité du lièvre ; au lait de jument pour qu’il ait l’élégance du cheval ; au lait de chatte pour que sa vue soit perçante même dans l’obscurité. C’est le mélange de ces sept laits qui fera de mon fils le roi du monde ! » Ainsi ordonné, ainsi fait. Le bébé est soigneusement nourri du mélange de ces sept laits. Et l’enfant grandit. Alors que l’enfant a six ou sept ans, arrive au palais de son père une étrange caravane. Les chameliers ne vendent ni n’achètent quoi que ce soit. Leur chef est un vieil astrologue. Accueilli par le prince, l’astrologue explique qu’il a vu apparaître une étoile étonnante, une étoile annonciatrice d’un personnage important. Peut-être le personnage le plus important que la terre ait jamais porté. C’est pour rencontrer ce personnage que le vieil homme s’est mis en chemin. Or, depuis peu, l’étoile a disparu. L’astrologue demande : « Est-ce donc ici, dans ce palais, qu’est né cet être divin ? Je cherche un futur roi, peut-être un empereur, en fait je ne sais pas exactement qui se trouve au bout de ma quête… » Le prince est fou de joie. Il le savait que son fils allait être quelqu’un d’exceptionnel. Et en voilà la confirmation. Même les étoiles chantent les louanges de son fils ! « Entre, grand Sage, daigne franchir le seuil de ma maison. C’est ici que prend fin ta longue route. Mon fils est celui que t’a désigné l’étoile. Nourri aux sept laits, il est le soleil parmi les étoiles, le lys parmi les pâquerettes, l’albatros parmi les moineaux. Entre, et dévoile-moi le fabuleux futur destin de mon fils ! »

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Le vieil homme s’installe donc dans le palais avec sa longue vue et ses parchemins aux formules astrologiques compliquées. Il observe aussi longuement le fils du prince… Au bout de sept jours, l’astrologue prend congé du prince : « Merci de ta généreuse hospitalité. Il faut continuer à mettre la route sous mes pieds, il me faut continuer à chercher l’être exceptionnel que l’étoile annonce. — Mais… et mon fils ? balbutie le prince. — Ton fils n’est pas celui que je cherche. — Comment peux-tu en être si sûr ? Je t’ai pourtant confié tous les atouts que j’ai mis dans son jeu ! Souviens-toi que je l’ai fait abreuver des sept laits ! — Prince, je vais te parler en toute franchise et amitié. Tu as pourri ton fils. Par ta faute, il a… la férocité du tigre, la lippe boudeuse du chameau, la balourdise de l’éléphant, la stupidité de l’ours, la lâcheté du lièvre, le caractère capricieux du cheval rétif, et la perfidie du chat. — Comment peux-tu dire cela, à moi qui t’ai accueilli ? Crains mon courroux ! Je vais t’écrabouiller comme une vermine ! — Non, réplique le vieil homme, non, je n’ai pas peur de ton courroux, parce qu’il dit ta déception. Mais, au fond de toi, tu sais que je dis vrai. — Qu’a donc de plus que mon fils ce roi que tu cherches ? — Je te l’ai dit, je ne sais pas exactement ce qu’il sera. Mais je sais qu’il sera nourri de l’immense tendresse et du lait de sa mère, de lait humain, et qu’il sera pleinement homme. Pleinement homme sûrement, mais, à voir l’étoile, je pense qu’il sera bien davantage encore… »

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| L’enfant nourri aux sept laits |

D’un signe de la main, le vieil astrologue remet sa caravane sur la route. Et, à ce moment précis, dans l’immensité du ciel réapparaît l’étoile. La tête levée vers l’astre revenu, le vieil homme entend la voix du petit prince : « M’sieur, dis, M’sieur, je peux venir avec toi ? Dis oui, M’sieur, s’il te plaît… » MARiE-BéNéDiCtE DE viLLENfAGNE D’APRèS UN CONtE tADJik Cité PAR LUDA



A la recherche de l’étoile… Khartoum : c’est la foule toujours un peu agitée et bruyante des aéroports ; elle bavarde. La chaleur est lourde. Un groupe assez jeune s’observe ; quelques étudiants, sac au dos, grosses bottines, échangent un peu. « Toi aussi, tu pars au désert ? demande Marc. — Oui, cela m’attire, répond Bernard. — Pourquoi ? — Je ne sais pas encore. Le voyage est un remède souverain dit-on. Et toi ? — Oh ! moi, c’est une expérience. Je veux voir, chercher, découvrir du nouveau. — Quant à moi, je me sens attirée par quelque chose que je ne comprends pas, dit Louise, mais il y a tout un temps que j’y pense. — Alors là, dit Melchior, l’Africain, nous partons comme des explorateurs, des chercheurs, des scrutateurs d’étoiles. » Et chacun se met à parler de son projet… La route sera longue. Tentes, bidons d’eau, bagages sont soigneusement vérifiés une dernière fois. Personne ne pense encore à l’arrivée, mais l’arrivée où… ? Ils ont pris un peu d’argent, sait-on jamais ? Quant à la pharmacie, elle est légère, presque inexistante. Mais un baume pour soulager les maux de tête, les douleurs des membres, une éventuelle morsure de serpent… Bah ! ils sont jeunes, sauf Odette et Adrien, un ménage dans la cinquantaine. Ils sont venus comme ça, du moins, c’est ce qu’ils disent. Le petit groupe auquel s’est joint le guide se met en route. Dix jours de vie partagée

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| A la recherche de l’étoile |

avec enthousiasme, mais aussi un peu d’inquiétude : « Tiendrons-nous le coup ? Que verrons-nous ? Que trouverons-nous ? » La marche a commencé. Supporter le soleil est particulièrement dur, qu’importe ! Au fond d’eux-mêmes, l’espoir que cela vaudra le coup les pousse en avant. Et puis, il faudra marcher au coucher du soleil et se lever tôt, avant son lever à lui ! Le premier campement est dressé. Tout le monde est fatigué. Normal pour le premier jour. Pas de problème. Le lendemain, lever à l’aurore et départ après le thé et le rangement. Ils commencent à comprendre le déroulement des opérations. Mais Louise et Bernard ont des maux de tête… Tant pis, ça vaut le coup ! Qu’est ce qui vaut le coup ? Rien de précis, mais toujours cette soif en eux et cet espoir qui leur chauffe le cœur. Ils marchent. Jusqu’à présent tout va bien. Cinquième jour. Adrien fait une méchante chute en dévalant une dune qu’il avait voulu escalader pour voir plus loin. Sa cheville est terriblement enflée, sûrement une entorse… L’enthousiasme du début s’est quelque peu refroidi. Odette masse la cheville de son mari avec le baume ; ça a l’air d’aller. Il veut continuer malgré tout, il boîte un peu. Trois jours passent encore. Marc est de mauvaise humeur : on lui a demandé de porter un sac, question de faire de la place pour Adrien sur le dos du chameau qui porte les bagages. Odette est inquiète, Adrien a été hissé sur le chameau, mais il est oppressé et veut continuer malgré tout. Il refuse la proposition du guide de le déposer chez des membres de sa famille qui ont posé leur tente près d’un point d’eau à deux heures de marche. Mais le guide tient à aller saluer les siens. Il les rejoindra, dit-il, et leur indique la direction de l’oasis qu’ils doivent atteindre normalement en un jour. Nouveau départ. La piste n’est pas nette. Chacun y va de son commentaire. Ils veulent garder la direction même s’il faut escalader des dunes ! Mais Adrien n’en peut plus et ils se sont égarés ! Les heures passent, la réserve d’eau est à présent épuisée, la soif est insupportable. Au loin se détache sur l’horizon la silhouette d’un homme.

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Un mirage ? Non, c’est un bédouin qui traîne derrière lui quelques chèvres et un chameau. Il s’approche et leur demande s’ils ont besoin d’aide. « De l’eau, de la fraîcheur, la vie, la lumière. » Le soleil avait disparu. « Ce que vous cherchez est derrière cette dune », dit l’homme. Tête levée vers le ciel dont ils espèrent tout maintenant, ils reprennent leur chemin. Ils escaladent la dune, poussés par une force irrépressible… Et voilà qu’une étoile d’un éclat particulier les éblouit. Les faisceaux de sa lumière éclairent une nappe d’eau. A bout de forces, Adrien se laisse glisser le long de la dune. Il est là, au bord de l’eau, le visage inondé de lumière et de bonheur. Il sourit à Odette. Tous sont tombés à genoux. Une grande paix les envahit. Cette étoile est le signe d’amour qu’ils étaient venus chercher sans le savoir. Que s’est-il donc passé ? Tout est clair pour eux maintenant. Cette joie, cette force retrouvée, où avaient-ils vu cela ? Fermant les yeux, ils voient une étable, ils voient un bébé qui sourit… Dans le silence du désert, un chant s’élève, un psaume : « Les rois de Tarsis et des îles apporteront des présents, Les rois de Saba et de Séba feront leur offrande Tous les rois se prosterneront devant lui, Tous les pays le serviront… » C’est la voix de Melchior, l’Africain. Alors, sans se concerter, ils vident leurs poches sur le sable de l’oasis. Louise a déposé son parfum et Bernard, le futur médecin, a mis le précieux baume préparé pour le voyage… Le retour s’opère dans la paix, la joie, le recueillement. Ils reviennent. Mais ils savent, au fond de leur cœur, que leur chemin ne sera plus jamais le même. BERNADEttE DE PiERPONt


« Il est une foi… de conteuses » « Il est une foi… de conteuses » est né d’une double passion : la Bible et le conte. De cette passion est né un premier groupe de conteuses en 2004. Depuis lors, trois autres groupes se sont formés en Belgique. Plusieurs rencontres mensuelles permettent de lire, d’approfondir, de s’imprégner, de mâchouiller, de « demeurer avec » le texte biblique. Ensuite vient le temps du travail individuel de création. Enfin arrive le moment où chaque conteuse offre, avec stress et générosité, son conte au groupe. « Il est une foi… de conteuses » a permis la découverte émerveillée de la proximité du texte biblique, interpellant chacune, personnellement, avec force et tendresse. Pour beaucoup de conteuses, le déploiement de son potentiel créatif et le fait de parler devant un public a été un challenge important. Ces contes sont donc nés d’un chemin vagabondant entre partages et discussions acharnées, entre rires et larmes, enthousiasme et émotions, travail intensif et imagination débridée, le tout agrémenté de nombreux détours aussi enrichissants qu’inattendus… ! Toutes les conteuses d’« Il est une foi… de conteuses » vous offre, de tout cœur et avec joie, leurs contes, en vous souhaitant une très sainte et lumineuse fête de Noël. Contact : Marie-Bénédicte de Villenfagne, <mbdevillenfagne@hotmail.com>.

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A propos des CD Les CD audio qui accompagnent cet ouvrage contiennent chacun l’enregistrement d’une saynète avec des indications scéniques, de six contes, puis la reprise de la saynète initiale. Cette version est prévue pour une utilisation mimée par des jeunes au cours d’une célébration, qu’elle soit en église, à l’école, dans un mouvement de jeunesse ou ailleurs encore. Ces contes et saynètes ont été lus par : - les élèves de M. Scattareggia de l’Institut Saint-Paul, à Liège (« Noël au village » et « Joseph se souvient ») - Colette Seny (« Martin ») - Marie-Bénédicte de Villenfagne (« Le soir où le brasero fut allumé », « A la bonne heure ! », « A la télé, ce soir » et « L’enfant nourri aux sept laits ») - Sabine de Villenfagne (« Ecoute, mon fils » et « Une page couleur nuit ») - Suzanne de Liedekerke (« Itinéraire en Patagonie ») - Solange de Behr (« Le charpentier ») - Joël de Surgères (« Un jour des rois ») - Brigitte Verhaeghe (« Foi de dromadaire ») - Bernadette de Pierpont (« A la recherche de l’étoile ») L’enregistrement des CD a pu être effectué grâce à la collaboration technique de l’équipe de RCF Liège.

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Table des matières Noël au village ............................................................................................................................................ 5 Martin .......................................................................................................................................................... 21 Le soir où le brasero fut allumé…...................................................................................................... 25 Ecoute, mon fils… .................................................................................................................................. 29 A la bonne heure ! .................................................................................................................................. 33 Itinéraire en Patagonie .......................................................................................................................... 37 Le charpentier .......................................................................................................................................... 43 Joseph se souvient… ............................................................................................................................ 47 Un jour des Rois… .................................................................................................................................. 57 Foi de dromadaire .................................................................................................................................. 63 A la télé, ce soir ........................................................................................................................................ 69 Une page couleur de nuit .................................................................................................................... 77 L’enfant nourri aux sept laits .............................................................................................................. 81 A la recherche de l’étoile… .................................................................................................................. 87 « Il est une foi… de conteuses » ........................................................................................................ 91 A propos des CD ...................................................................................................................................... 93

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Achevé d’imprimer le 6 octobre 2008 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique)



Contes et saynètes de Noël

Ces contes ont été écrits tout spécialement par les conteuses du

Le groupe « Il est une foi… de conteuses » est né d’une double passion : la Bible et le conte. De cette passion est né un premier groupe de conteuses en 2004. Depuis lors, trois autres groupes se sont formés.

rassemblés par marie-bénéDiCte De Villenfagne

Contes et saynètes de Noël

groupe « Il est une foi… de conteuses », coordonné par Marie-Bénédicte de Villenfagne. Au final, le lecteur ou l’auditeur, adulte ou enfant, se laisse immanquablement séduire par la douzaine de contes et les deux pièces de théatre sur le thème de Noël, tous plus attachants les uns que les autres. Ils constituent un support idéal pour retrouver, dans les écoles, les paroisses et les familles, la magie du temps de Noël. Deux CD audio, ci-inclus, reprennent l’intégralité des contes lus par leurs auteurs et les deux saynètes interprétées avec brio par des enfants d’une douzaine d’années.

CD 2

9 782873 564087

in a Cl u us Di o

ISBN 978-2-87356-408-7 Prix TTC : 14,95 €


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