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Le christianisme est-il en voie de disparition ou en pleine renaissance ? La question se pose, car de profonds changements se manifestent dans les mouvances chrétiennes, catholique, protestante et orthodoxe. Une sève printanière s’écoule dans tous les sarments de l’unique vigne chrétienne par-delà ses identités historiques. Une intériorité renouvelée, source d’une authentique action dans le monde, se fait jour dont nous ne sommes pas forcément conscients. Des courants nouveaux, parfois surprenants, semblent répondre à une fréquente interrogation : et si le christianisme ne faisait que commencer ? Ce livre est une esquisse des réponses possibles à cette question.
Gérard Fomerand est universitaire et conférencier. Il analyse, depuis ses premiers travaux, les mutations du christianisme, notamment dans son rapport à l’État.
ISBN 978-2-87356-548-0 Prix TTC : 19,90 €
9 782873 565480
Photo de couverture : icône de la réconciliation (origine inconnue)
Gérard Fomerand
Renaissance du christianisme
Gérard Fomerand
Renaissance du christianisme
Gérard Fomerand
Renaissance du christianisme
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GĂŠrard Fomerand
Renaissance du christianisme Le retour aux origines
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Du même auteur La mémoire vive des mystiques chrétiens, Paris, L’Harmattan, 2012. Crise des valeurs et mutation de l’État, Paris, Loysel, 1994. L’audit des collectivités locales en France et dans les pays francophones, Paris, L.G.D.J., 1991.
Écrits universitaires Intervention administrative et libertés publiques au Second Empire – le cas des libertés religieuses, thèse d’État, faculté de Droit de Nice, 1973. Les catholiques français face au concile de Vatican I, mémoire de Sciences politiques, I.E.P. d’Aix-en-Provence, 1969.
© 2013, Éditions Fidélité, 7 rue Blondeau, 5000 Namur Dépôt légal : D.2013, 4323.19 ISBN : 978-2-87356-548-0 Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Illustration de couverture : icône de la réconciliation (origine inconnue). Dès les débuts de l’Église, il y eut des tensions dues aux diversités qui devaient se conjuguer. L’icône de la couverture représente la réconciliation entre Pierre et Paul, les colonnes de l’Église, après un vif débat (voir Galates 2, 11-14). Imprimé en Belgique
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À Charlotte, ma petite-fille, graine d’avenir.
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« Vous vous accommodez tous des églises, et vous y allez, mais dans le temple du Christ personne n’y veut aller. Allez dans le temple du Christ et, de morts, vous deviendrez vivants. » Jacob Böhme « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). « L’heure vient — et c’est maintenant — où les morts entendront la voix du Fils de Dieu » (Jn 5, 25).
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Avant-propos de l’éditeur
Les
Editions Fidélité proposent depuis longtemps des ouvrages destinés à nourrir leur réflexion et leur action dans une perspective catholique avec un souci de large ouverture à tout ce qui humanise. Le livre de Gérard Fomerand expose le point de vue d’un homme qui aspire à l’intériorité inspirée par les Evangiles et la Tradition chrétienne, mais à distance par rapport aux Eglises instituées et notamment par rapport à l’Eglise catholique romaine. Il entend prendre la question « de plus haut » et d’un point de vue privilégiant surtout l’expérience individuelle, relativisant l’importance de la réflexion théologique et des pratiques communautaires. Le propos de l’auteur n’est pas de se passer des Églises, mais d’en dépasser les clivages institutionnels et culturels. Ce faisant, ce texte exprime une espérance très actuelle : il appelle, en effet, à retrouver l’Église primordiale et l’unité intérieure, ce qui en nous rassemble et non divise, c’est-à-dire le souffle de l’infini s’incarnant dans le fini.
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Avant-propos
Beaucoup de lecteurs y reconnaîtront certains aspects de leur propre expérience spirituelle, leurs aspirations profondes, voire critiques par rapport à certains aspects de la vie en Eglise. De plus, la vue panoramique sur les divers chemins contemporains de quête spirituelle est honnête, réaliste et bien informée. Ces qualités remarquables ont incité les Editions Fidélité à éditer ce livre sans nécessairement souscrire à toutes les options de l’auteur. Que le lecteur lise avec intelligence !
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Note liminaire À propos des traductions de la Bible utilisées dans cet ouvrage et des abréviations utilisées
L
a Bible est sans doute le livre le plus édité et le plus traduit dans des centaines de langues et idiomes. Ses versions françaises sont très nombreuses et on a retenu dans ce livre les trois versions les plus connues. En premier lieu, la Bible dite de Jérusalem et la traduction de Louis Segond servent de repères bibliques. La version récente d’André Chouraqui nous a servi aussi de référence. Elle a pour singularité d’être, du moins pour le Nouveau Testament, la première à avoir été traduite par un fils d’Israël. Son originalité réside dans la sensibilité particulière d’André Chouraqui à saisir, derrière les textes grecs et latins qui seuls ont survécu au naufrage du monde antique, les substrats hébraïques sous-jacents. La probable disparition des Evangiles originaux en hébreu (les exégètes bibliques supposent qu’il y a eu un premier Evangile écrit par Matthieu en hébreu, mais qui n’a jamais été retrouvé à ce jour) en a souvent faussé la compréhension. Leur diffusion a eu lieu en latin et en grec alors que leurs auteurs pensaient, vivaient et écrivaient en hébreu. Les textes chrétiens traduits par André Choura13
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qui redonnent une sève et une saveur qu’ils avaient pour une part perdues. Sauf indication contraire, les citations de la Bible dans cet ouvrage sont extraites de la version 2000 de la Bible de Jérusalem. Pour les lecteurs non avertis des usages des biblistes, les abréviations suivantes ont été adoptées, conformément à la pratique dominante, comme par exemple :
Ancien Testament
Nouveau Testament
Le Pentateuque (ou Torah pour les juifs) - Gn (la Genèse) - Ex (l’Exode) - Lv (le Lévitique) - Dt (le Deutéronome) Les Livres historiques - 1 S ; 2 S (les livres de Samuel) - 1 R ; 2 R (les livres des Rois) Les Livres poétiques et sapientiaux - Jb (Job) - Ps (les Psaumes) - Pr (les Proverbes) - Qo (l’Ecclésiaste ou Qohélet) - Ct (le Cantique des Cantiques) - Sg (Sagesse de Salomon) Les Livres prophétiques - Is (Isaïe) - Dn (Daniel) - Os (Osée) - Mi (Michée) - Za (Zacharie) - Ml (Malachie)
Les Evangiles - Mt (Evangile de Matthieu) - Mc (Evangile de Marc) - Lc (Evangile de Luc) - Jn (Evangile de Jean) Ac (Les Actes des Apôtres) Les épîtres de Paul - Rm (aux Romains) - 1 Co (1re aux Corinthiens) - 2 Co (2e aux Corinthiens) - Ga (aux Galates) - Ep (aux Ephésiens) - Col (aux Colossiens) - He (aux Hébreux) Les autres épîtres - Jc (Epître de Jacques) - 1 P (1re épître de Pierre) - 2 P (2e épître de Pierre) - 1 Jn (1re épître de Jean) - 2 Jn (2e épître de Jean) Ap (Apocalypse de Jean)
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Prologue
Un christianisme printanier ? « Au commencement… » (Gn 1, 1 et Jn 1, 1)
La
lecture de ces premières lignes laissera rapidement transparaître un cœur-Esprit unique animant ce texte : la figure de Yeshua, l’Envoyé, le Christ historique. Yeshua (ou « Dieu sauve », en hébreu) a été reconnu comme Messie, c’est-à-dire « oint » en langue hébraïque, par ses premiers disciples, puis par les premiers chrétiens. L’homme-Dieu, Jésus, est la trame de cette tapisserie tissée par des générations de chrétiens. Car… au commencement, « le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous » (Jn 1, 14). Dieu s’enracine ainsi dans le limon du temps avec ses vicissitudes, ses hauts et ses bas, ses souffrances et ses bonheurs. Un jour, autour de l’an zéro de l’ère chrétienne, a commencé un long périple qui se poursuit à notre époque à travers des communautés aux noms changeants. Elles ont été finalement intitulées Eglises par glissement progressif de traduction d’un premier Evangile disparu, probablement en hébreu ou en araméen, traduit d’abord en grec puis en latin. Etymologiquement « Assemblée » ou « Communauté », ces communautés reliées par la Per15
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sonne-Christ sont devenues, par un effet de traduction, nos Eglises contemporaines dont le sens courant est de nature institutionnelle. De l’Orient à l’Occident de nos horizons prospèrent, après bien des crises, des mouvances orthodoxes, catholique romaine, protestantes, anglicanes. De plus, et massivement en ce xxie siècle, émergent des Eglises évangéliques aux multiples appellations. La diffusion mondiale mais fragmentée du christianisme renvoie à une double origine, le ciel et la terre, comme nous le rappellent les auteurs inspirés de la Bible hébraïque et chrétienne. « Au commencement » (Gn 1, 1), Dieu créa le ciel et la terre. Symboliquement, s’amorçait la chaîne biologique et spirituelle qui, des millions d’années plus tard, allait mener à un autre commencement. L’évangéliste Jean le dit avec des mots identiques au début de son Evangile (Jn 1, 1). Les lignes de cet ouvrage calligraphient les arabesques de ces commencements sans fin. Elles insistent sur les manifestations successives du divin qui par « amour » (l’une des compréhensions du nom de Dieu dans la mystique juive) sema la graine du vivant dans l’univers « pour que se fortifie en [nous] l’homme intérieur » (Ep 3, 16) comme le remarque l’apôtre Paul. La proximité, voire l’identité des mots, entre les rédacteurs de la Genèse et l’apôtre Jean marque l’unité des Ecritures bibliques juives et chrétiennes. Ces écrivains et voyants scrutaient les abîmes du sacré. Ils baignaient, à quelques centaines d’années d’intervalle (la fixation par écrit des premiers textes hébraïques remontant environ au viiie siècle av. J.-C., avec notamment l’activité des scribes d’Ezéchias vers 716 av. J.-C.), dans l’optimisme natif du lignage judéochrétien toujours éclairé par la lumière d’une perpétuelle aurore. L’idée est souvent avancée chez les Pères grecs de l’Eglise orientale que nous irions tous de commencement en commencement jusqu’à un commencement qui n’aura pas de fin. Ces propos optimistes peuvent surprendre dans le contexte de nos sociétés en mal-être collectif et individuel. Elles se croient en
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fin de course, gangrenées par une violence rampante et la désillusion devant un développement effréné qui, de sans fin, est devenu sans but. Confrontés à une ère d’incertitudes qui s’annonce, nos contemporains ont des réactions contradictoires : soit baisser les bras et se retirer, soit vivre et attendre dans la « veille du cœur » évoquée par l’un des plus beaux poèmes de la Bible, le Cantique des Cantiques (Ct 5, 2). La question est lancinante : comment se peut-il que l’homme qui fut façonné « à peine […] moindre qu’un Dieu » (Ps 8, 6) soit allé aussi loin dans la destruction et le doute ? Si les désastres écologiques ne sont pas l’objet de ce livre, ils l’entourent de leur ombre inquiétante. Jamais sans doute dans l’histoire de l’humanité, pourtant riche en pathologies meurtrières, n’auront autant prospéré les malheurs sociaux, économiques et psychologiques. Mais le cycle des commencements sans fin n’est guère éloigné. Il est à peine voilé. L’évangéliste Jean, dont la figure anime le texte étrange de l’Apocalypse (mot signifiant non pas « catastrophe » dans son acception souvent convenue, mais simplement « révélation ») réaffirme la permanente vigueur du Vivant : « Voici, je fais l’univers nouveau » (Ap 21, 5).
En apparence, le témoignage du Christ et de ses envoyés ne semble plus guère perceptible de nos jours. L’écoute intérieure, dans un contexte de communication virtuelle, de pollutions sonores et de consommation de masse, paraît inaccessible car elle passe nécessairement par le silence. Il est dans l’air du temps d’admettre que le christianisme se mourrait de sa belle mort. Sous les coups de boutoir du rationalisme dominant et des marchés triomphants, le message christique appartiendrait à un passé révolu. Il n’en reste pas moins une soif, une quête d’absolu chevillée au corps de l’humanité. L’homo sapiens contemporain porte dans ses gènes des dizaines de millénaires de demande de verticalité et de
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recherche de transcendance. Il les rejette, elles reviennent ; ils les renient, elles renaissent aussitôt. L’échec sanglant des régimes marxistes du xxe siècle en est le meilleur exemple. Dans les pays de l’ancien bloc communiste, la spiritualité a été l’un des principaux acteurs de l’écroulement du système. La Russie est en pleine renaissance religieuse. Dans une Chine officiellement athée, les courants spiritualisés remplissent le vide existentiel d’une société sans repère. L’Occident connaît à sa façon une évolution semblable. Il se tourne volontiers vers les nouvelles religiosités New Age ou les sagesses de l’Extrême-Orient censées combler le déficit des Eglises historiques. Les paroisses vides ou vieillissantes alimentent ce constat. En France environ cinq millions de citoyens se sentent proches des philosophies bouddhistes. La vague déferlante du New Age a, sur un autre registre, rompu les digues dressées par des Eglises adossées dans l’opinion commune à des dogmatismes surannés ou des rites fossilisés. Les chercheurs de vie se détourneraient-ils du christianisme ? Et pourtant… depuis l’aube des temps, la parole de vie du judéochristianisme se renouvelle, tel un phénix renaissant périodiquement de ses cendres. Au qualificatif de « Je suis » que se donne Yahvé-Dieu au Buisson ardent (Ex 3, 14) répond dans l’Apocalypse de Jean un autre nom : « le Principe et la Fin » qui abreuve « celui qui a soif [et à qui, Il donnera] de la source de vie, gratuitement » (Ap 21, 6). L’affirmation d’un christianisme déclinant ou agonisant existe principalement dans les terres dites d’ancienne chrétienté, essentiellement l’Europe de l’Ouest : chute drastique des pratiques cultuelles religieuses (notamment de l’assistance aux offices du dimanche), du nombre de baptêmes, vieillissement des prêtres et des fidèles. Si le phénomène est incontestable, il n’en recouvre pas moins d’autres réalités totalement différentes aussi bien en Europe que dans le reste du monde.
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Deux mutations radicales traversent le christianisme historique. Elles seront au cœur de cet ouvrage. L’une est quantitative et l’autre qualitative : - Un changement de type statistique : jamais sans doute les chrétiens n’auront été aussi nombreux. Jamais aussi, depuis la diffusion de l’Evangile aux derniers siècles de l’Empire romain, l’expansion chrétienne, sous des noms ecclésiaux divers, n’aura été autant marquée, en Amérique, en Afrique, en Asie et même dans la vieille Europe. L’explosion des courants évangéliques est fulgurante. En 2012, d’après les sources du Conseil œcuménique des Eglises, le nombre probable de leurs adeptes avoisinerait les cinq cents millions. Du fait de la nature spontanéiste de ces Eglises, ce chiffre reste incontrôlable. Il n’est qu’approximatif et en constante évolution. En Chine surtout, le phénomène est exponentiel mais invérifiable, vu la nature particulièrement opaque du régime dans le domaine religieux. Il est vraisemblable que ce pays de culture taoïste, confucianiste et bouddhique sera dans un avenir proche la première contrée chrétienne du globe. Des pays de tradition musulmane comme l’Algérie ou l’Iran semblent aussi touchés par l’expansion des Eglises évangéliques. En France, environ deux mille lieux de culte évangélique ont ouvert depuis une quarantaine d’années, répondant d’une autre façon, à la désertification des églises catholiques. - En deuxième lieu, une mutation qualitative, diffuse mais réelle, pointe dans le paysage religieux. Des communautés para-monastiques (comme la fraternité de Taizé réunissant surtout des catholiques et des protestants) ou monastiques apparaissent ou rajeunissent. De la même façon, des coupoles inattendues dans le panorama occidental bourgeonnent dans des espaces marqués par le catholicisme latin. Un peu plus d’une vingtaine de monastères orthodoxes se sont implantés depuis 1960 en France. Ils sont chacun rattachés à un Patriarcat orthodoxe ex-
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térieur : grec, russe, roumain, serbe, d’Antioche ou d’autres encore. Pour les identifier, il suffit de consulter l’annuaire des monastères orthodoxes canoniques édité par l’assemblée des Evêques orthodoxes de France. Ils drainent des fidèles d’origine orientale, mais également de plus en plus d’occidentaux. Des églises coptes orthodoxes relevant du patriarcat d’Alexandrie se sont même bâties en région parisienne et en province. Leur siège hiérarchique réside près de Toulon. Un air d’Egypte flotte dans les senteurs de romarin provençal près d’un ermitage consacré à Notre Dame de Zeitoun, endroit d’apparitions mariales récentes au Caire. L’île de Porquerolles, face à la côte méditerranéenne varoise, voit aussi des brises orientales atteindre les rivages occidentaux. Un moine orthodoxe, venant tout droit du mont Athos, phare de l’orthodoxie et Sainte Montagne des orientaux byzantins, y a restauré un fort en ruine de l’époque de Napoléon III. Dans l’église ornée d’une iconostase, il officie, au rythme lent des liturgies somptueuses et des psalmodies de l’Orient chrétien. Quand il sort, il croise des promeneurs, randonneurs ou baigneurs. Ce n’est pas un choc des cultures, mais l’une de ces rencontres imprévisibles dont seule l’intériorité a le secret. Sur un plan plus subtil s’esquisse une nouvelle religiosité d’inspiration monastique, intériorisée et secrète. La prière de Jésus d’inspiration orientale se diffuse en Occident, les textes des mystiques ou des contemplatifs chrétiens sont réédités dans de nouvelles collections. Les ouvrages des traditions chrétiennes d’Orient et d’Occident circulent à nouveau. Les noms de Hildegarde de Bingen (1098 – 1179), de Maître Eckart (1260 – vers 1328), de Grégoire Palamas (1296 – 1359) sont désormais connus sur nos continents. D’autres, plus proches dans le temps sont lus, relus et médités pour en tirer une sagesse de vie au quotidien et une entrée profonde dans l’intériorité.
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Quelques noms sont cités ici. La liste est à peine allusive car ils sont innombrables. La plupart sont demeurés inconnus. Leur anonymat est aussi radical que volontaire. Leur influence est parfois considérable à travers leurs proches ou leurs disciples. Nous évoquerons des visages sublimes, contradictoires et fascinants comme ceux de Simone Weil (1909 – 1943), d’Etty Hillesum (1914 – 1943) ou d’Henri Le Saux (1910 – 1973). Séraphim de Sarov (vers 1770 – 1833), est l’un des saints les plus honorés de la nouvelle Russie ; sa vie a été écrite par l’un de ses disciples, Nicolas Motovilov. Sa joie était permanente et il accueillait chaque visiteur en les appelants « ma joie ». Il est l’auteur d’une phrase célèbre qui a été reprise sans fin dans l’ensemble du monde orthodoxe. Elle se situe dans la droite ligne du Sermon sur la Montagne du Christ, souvent appelé les Béatitudes. Ce moine russe disait à tous ses visiteurs en proie aux tourments de difficultés de toute sorte : « Fais la paix en toi et le monde sera sauvé. » Il reprenait d’une autre façon l’antique adage de Socrate : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux. » La connaissance intérieure et la paix sont intiment liées. Leur application au quotidien dans nos sociétés serait un remède souverain contre les maux qui la gangrènent. Ce christianisme aux couleurs printanières annoncerait-il un renouveau ? Une autre histoire surgirait-elle d’une longue histoire ? L’objectif de cet ouvrage est d’essayer de deviner des lignes de fond ou des mutations qui, d’insensibles, deviendraient palpables. La tâche est difficile tant est fragmenté et chaotique le parcours des Eglises historiques. Un autre obstacle se dresse immédiatement devant l’observateur des évolutions chrétiennes. Les centaines d’appellations ecclésiales qui occupent l’espace dit chrétien sont matérialisées par des Eglises. Elles s’érigent souvent en gardiennes de leurs certitudes et se perçoivent parfois comme seules porteuses de l’authenticité évangélique. Elles défendent des territoires marqués par le temps et les contextes culturels et sont le plus souvent
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peu favorables à la demande qui est contemporaine et massive : celle de l’intercommunion entre les Églises. Ce livre invite à un parcours transconfessionnel, à un au-delà des Eglises historiques qui, comme le notait Marie-Madeleine Davy, ont été assez souvent, malheureusement, des caricatures. Mais, corrigeait-elle immédiatement, s’il convenait surtout d’abandonner un christianisme des formes, des dogmes et des rituels, c’était pour redécouvrir la profondeur de l’authentique message du Christ. Nous sommes bien là dans la principale mutation de ces dernières décades : le retour à l’intériorité, derrière les masques ou les étouffoirs des traditions autoproclamées. L’histoire d’un christianisme qui était surtout le fait de quelques aventuriers de l’âme est encore devant nous. Cet horizon paraît inaccessible tant la gangue des crispations identitaires est forte. Mais les lignes bougent imperceptiblement. On en sent les frémissements sous les pesanteurs culturelles ; une houle puissante traverse l’océan, malgré l’imprégnation des certitudes communautaires. L’Eglise intérieure, miroir incarné en chacun ainsi que dans une communauté de personnes rassemblées par le Christ, s’élargit en Eglise extérieure sous diverses appellations, orthodoxe, protestante ou catholique. Le christianisme a pour spécificité d’incarner, dans les chairs individuelles et collectives, une semence de divin. L’apparente contradiction entre intériorité et extériorité se résout ainsi par l’affirmation évangélique de l’incarnation. Elle est à la fois dans le temps comme le dit l’apôtre Jean : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14) et intériorité dégagée du temps : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36), affirmée par le Christ lui-même. Ce dépassement de la dualité du « dedans-dehors » retrouve de nos jours une nouvelle vigueur. L’expérience intérieure est d’évidence le signe de naissance du christianisme, et cela dès l’origine. Elle renaît et disparaît au gré des chutes ou des rechutes des formes ecclésiales, dans un rapport paradoxal de revitalisation et d’exclu-
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sion suivant la qualité changeante des hiérarchies épiscopales de l’époque. Cette Eglise de l’Esprit et du Verbe divin incarné appartient au christianisme dès son berceau de naissance ; elle en possède le même bois symbolique dont avait été construite la solide arche du Déluge, cette charpente solide, imputrescible en poutres de cèdre du Liban. La nef contenait toute la création existante et surtout à venir car chacun de ces couples d’animaux et de sacs de semences portaient en eux une innombrable descendance. L’armature indestructible de la nef lui a permis d’affronter sans sombrer le péril des flots déchaînés et les pluies diluviennes. D’une autre façon, allégoriquement identique, l’arche a été rebâtie lors des temps apostoliques par le Christ, puis par les apôtres. Chacune des ramifications chrétiennes — bien que très fragmentées — vient toujours y puiser un nouveau souffle de vie en recevant la lointaine semence de Noé qu’elle implante à sa façon dans son propre terroir. Aux premiers jours de l’an 33, 34 ou 35 de l’ère chrétienne revenait comme tous les ans la fête de Pentecôte. « Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint » (Ac 2, 4). Une première mondialisation s’opérait sous les yeux des habitants de Jérusalem : « Il y avait […] des hommes dévots de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui se produisit, la multitude se rassembla et fut confondue : chacun les entendait parler en son propre idiome. Ils étaient stupéfaits, et, […] ils disaient : “[…]. Comment se fait-il […] que chacun de nous les entende dans son propre idiome maternel ?” » (Ac 2, 5-8).
Toutes les peuplades de l’ensemble de l’Empire romain de ce temps-là étaient représentées sur l’esplanade du Temple : juifs et non juifs, romains et grecs, hommes et femmes de toutes les contrées. L’apôtre Pierre tira les conclusions de ces événements ex-
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traordinaires en rappelant les prophéties d’Isaïe sur les derniers temps de l’univers : « Il se fera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair » (Ac 2, 17).
L’expérience chrétienne, extatique, visionnaire, mystique apparaît dès les premières heures de l’Eglise de Jérusalem. De multiples périples d’intériorité vont commencer et se poursuivent avec des hauts et des bas jusqu’à notre époque. Par-delà des « chrétientés » souvent polluées par les contextes institutionnels et les enjeux de pouvoir, une autre voie se déroulait, plus cachée, repliée dans les monastères ou dans les grottes secrètes habitées par des maîtres spirituels ou leurs propres disciples. La pratique de ce silence est dans la droite ligne du secret dans lequel se tiennent les « amis de Dieu » à l’écoute du Cantique des Cantiques où la Bien Aimée se tient « cachée au creux des rochers, en des retraites escarpées » (Ct 2, 14). Le triomphalisme des Eglises historiques, leurs liens complexes avec les Empires ou les Etats avaient masqué en partie cette intériorité. L’effritement actuel de ces mêmes Eglises remet en pleine lumière ces trésors enfouis qui ne se trouvaient jamais très loin de la surface du sol. L’ambition première de cet ouvrage n’est en aucun cas de procéder à des fouilles archéologiques, mais de débroussailler les ronces et de déblayer les gravats ensevelissant de jeunes pousses printanières. Elles étaient bien présentes, mais invisibles à des yeux conditionnés par les pratiques et les rituels d’ordre culturel. La mutation primordiale engageant l’ensemble des mouvances chrétiennes est indubitablement ce ressourcement aux fontaines évangéliques dont la source n’était pas tarie mais voilée. Dans le flot jaillissant de ces eaux originelles coulait une fraîcheur revigorante, l’unité transcendant les divisions, image de l’unité divine.
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Comme l’a dit le Christ : « Moi et le Père nous sommes Un » (Jn 10, 30). Cette réminiscence de l’écoute du Un divin sonne en écho au très ancien verset de la Bible hébraïque : « Ecoute Israël » qui constelle un peu partout l’écriture hébraïque. Cette phrase est omniprésente dans la vie quotidienne des juifs, de leur naissance à leur mort, car ils disent, dans un dernier souffle, cet ultime verset, avant de passer sur l’autre rive. Le message a été partiellement transmis à leurs héritiers chrétiens qui l’ont souvent négligé. Mais il est le signal fort à la fois de la proximité des chrétiens et des juifs et, au-delà des frontières religieuses, d’une ouverture de l’oreille interne, dernière frontière d’un homme moderne en perte de repères concrets pour l’amener à une véritable rencontre avec l’autre et surtout avec le Tout-Autre. Entendre enfin les grondements des abîmes insondables qui nous environnent, percevoir l’azur du ciel derrière la couche menaçante de nuages orageux est un défi difficile pour nos contemporains amateurs de certitudes confortables et protectrices qui nous rendent aveugles et sourds. Mais si l’on accepte d’écouter et d’ouvrir bien grands les invisibles canaux menant au cœur profond, l’horizon se dégage. Dans des territoires inconnus, apparaissent alors les immenses espaces d’une intériorité retrouvée, composée de paysages étonnants qui se jouent de l’espace et du temps. Dans ce monde en décomposition-recomposition, l’écoute intérieure est le fil conducteur des mutations contemporaines du christianisme. La parole évangélique s’intériorise, les anciens réflexes de conquête du temps disparaissent, la source hébraïque longtemps occultée renaît, l’unité des communautés ecclésiales tend à se renouer dans un au-delà des formes instituées. Les chemins contemplatifs, jamais tout à fait oubliés mais parfois masqués par un investissement massif d’ordre social, s’ouvrent largement devant ce « moine intérieur » évoqué par la tradition de l’Orient chrétien.
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L’incarnation de Dieu dans la création et dans le corps de l’humanité est le signal le plus fort du christianisme : « Et le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous » (Jn 1, 14).
Comment mieux résumer, par ces premières lignes de l’Evangile de Jean, l’extrême particularité du témoignage chrétien ? Une graine d’infini a été semée au commencement de l’espace-temps, quand « un souffle de Dieu agitait la surface des eaux » (Gn 1, 2). Une nuit obscure recouvrait le silence des gouffres insondables des trous noirs d’avant la création. « Les ténèbres couvraient l’abîme » (Gn 1, 2). Les premières vagues de l’océan primordial grondaient et délimitaient les frontières avec le ciel (Gn 1, 7). Un liquide fertile et amniotique fécondait ce qui, de loin en loin, se transformait en myriades de manifestations du vivant. « Et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1, 5).
Cet éclair incandescent jaillit du vide de l’univers en irradiant chaque homme et femme car il était destiné à éclairer « tout homme venant dans le monde » (Jn 1, 9). La lumière dorée des commencements colore les pages de ce livre en résonance lointaine des fulgurances créatrices de l’origine. Des lettres lucioles en balisent la lecture pour peut-être éclaircir des parcours parfois assombris par les doutes et les émotions négatives. Si tel en est le cas, son objectif initial aura été non seulement rempli, mais dépassé. Une précision documentaire de départ s’impose par ailleurs en entamant le fil de ce texte. L’analyse des mutations du christianisme contemporain repose sur des éléments statistiques ou des données objectives historiques. A partir de l’analyse de ces axes de
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changement, s’amorcent des réflexions de nature qualitative débouchant sur des évolutions à effet retardé dont on mesure mal le terme : dans vingt ans, trente ou au-delà. Nul ne le sait, à dire vrai, car nous sommes au creux d’une vallée séparant deux montagnes. L’une a été dépassée et franchie, l’autre n’est discernable que de loin et ses contours sont incertains. La mesure temporelle de ces changements est générationnelle voire pluri-générationnelle. Il est vain de vouloir donner des dates ou des repères. Simplement, un monde s’estompe et donc un autre arrive. Nous ne pouvons être que des veilleurs ou des guetteurs ou au mieux des témoins d’une redécouverte progressive d’un christianisme en partie recouvert par les sédiments de l’histoire. Les Eglises sont nombreuses, elles se différencient souvent les unes par rapport aux autres et nous ne pouvons en dresser ici la liste exhaustive. Pour ce faire, l’outil Internet est particulièrement précieux. Il existe trois cent quarante-neuf Eglises chrétiennes composant le Conseil œcuménique des Eglises (COE), sans compter la plus importante d’entre elles en effectif puisque l’Eglise romaine n’est qu’observatrice. Le COE n’est en aucun cas une « super Eglise », mais une plate-forme institutionnelle d’Eglises s’entendant sur un minimum doctrinal, l’unité et la Trinité de Dieu et la divinité du Christ. Chaque Eglise ayant son propre site Internet, il sera toujours facile au lecteur intéressé d’y accéder pour découvrir ainsi son histoire et son corps de croyances. Quant aux Eglises n’appartenant pas au COE, elles foisonnent surtout chez les Evangéliques ; leur portail est aussi présent sur Internet et leurs propos aisément abordables. Ces remarques liminaires préalables ont une conséquence directe sur la problématique de cet ouvrage. Il aurait été impossible de citer l’intégralité des sources disponibles concernant les évolutions du christianisme contemporain. Les citations ou les renvois textuels sont, pour l’essentiel, d’origine biblique ou encore proviennent de mots ou de dires des premiers Pères du désert qui ont
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été conservés. Ils ont le grand avantage de relater des expériences directes, physiques et métaphysiques d’hommes et de femmes des tout débuts de l’ère chrétienne, des iie, iiie et ive siècles. La période est très riche car ces hommes retirés dans des lieux hostiles et désolés n’étaient pas de grands constructeurs de systèmes de pensée ou de traités dogmatiques. Ils vivaient et partageaient avec leurs proches une expérience de l’indicible, de ce qui s’entend derrière le bruit des mots et des discours. Ils possédaient une connaissance intime de la nature humaine, de ses forces et de ses faiblesses. Leur témoignage d’un quotidien hanté par le sacré demeure d’une étonnante actualité. L’héritage des contemplatifs et des mystiques chrétiens transparaît naturellement dans ce livre. Ils ont toujours été présents dès les premiers jours du christianisme naissant. Le premier diacre Etienne, quelques semaines après la disparition du Christ, en est l’un des exemples. Lapidé sur les ordres des grands prêtres du temple de Jérusalem, il vit avant de mourir sous les pierres de ses bourreaux « la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu » (Ac 7, 55). Ces contemplatifs (littéralement, ceux qui entrent dans le temple du Christ) entendaient une voix inconnue, un silence subtil. Ils avaient dévoilé les contours d’un pays inconnu aux perspectives étranges et inversées : le haut était le bas, la raison habituelle n’avait plus cours, le soleil dansait avec la lune. Ils ressentaient une présence à nulle autre pareille, se dirigeaient vers un face-à-face avec le grand ailleurs. Il leur arrivait même, à l’image de Jacob luttant avec Dieu (Gn 32, 25-30), de se confronter avec des forces plus puissantes qu’eux. Ce livre a donc comme socle fondateur l’Ecriture juive et chrétienne. Son ambition est de mettre ces versets bibliques en parallèle avec l’application qu’en ont faite les groupes religieux se réclamant de leur enseignement. La pratique des Eglises, ou d’autres organisations humaines religieuses, comporte sa propre leçon. Quand le
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Christ demande à chacun de ses disciples (et donc à nous-mêmes) de se montrer compatissants comme le Père est compatissant (Lc 6, 36), la question demeure posée de la compassion réciproque des Eglises et de leur attitude par rapport au monde extérieur. Il insiste, à plusieurs reprises, sur son absence de jugement : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés » (Lc 6, 37).
L’exercice de la comparaison permanente des versets de l’Evangile et des paroles christiques est significative et parfois peu favorable aux Eglises, toutes branches confondues. Les accusations d’hérésie ou de blasphèmes, les condamnations, les excommunications ont été proférées à tout âge par ces institutions. La scène emblématique d’un Galilée agenouillé devant le « Saint Office » de l’Eglise de Rome et reconnaissant, en battant sa coulpe, une involontaire erreur sur la gravitation de la terre autour de soleil est restée dans les mémoires. Il ajoutait malicieusement néanmoins… « Et pourtant elle tourne ! » Les mises au bûcher de prétendus hérétiques ont été le lot commun des Eglises aussi bien catholique qu’orthodoxes et à un moindre degré protestante. Personne n’a oublié que Jean Calvin a laissé l’exécution de Michel Servet se faire alors que l’évangéliste qu’il affirmait être aurait dû s’y opposer de toutes ses forces. La liste de ces jugements accusatoires des Eglises affirmant posséder l’unique vérité, et, de ce fait, pouvant incliner à la répression, est trop longue pour être citée. Mais la tendance est claire, le penchant potentiellement coercitif est trop évident pour être nié. Nous n’y reviendrons d’ailleurs que rarement même s’il s’agit à tout le moins de rappeler des évidences : aucune Eglise n’est propriétaire de l’Evangile qui appartient à tous et à toutes dans l’intimité de leur conscience. L’ouvrage dans lequel vous entrez est dès lors un carrefour de données scripturaires, historiques et de leurs retombées dans le quo-
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tidien de centaines de millions de personnes qui ont fait de l’Evangile leur livre de vie à toutes les époques et dans les endroits les plus divers. Le christianisme a été amené, par la force des choses et les contraintes culturelles, sociologiques ou politiques, à construire des systèmes conceptuels ou théologiques en digne héritier de la pensée hellénique. Il a alors souvent succombé à une inflation intellectualisée au détriment de l’expérience intérieure du Divin. Les frontières ne sont évidemment pas aussi tranchées et réductrices. Si la foi du charbonnier est une réalité, la glose des théologiens n’a pas empêché certains d’entre eux de connaître des états proches de la transfiguration. Notre époque s’enrichit d’ailleurs d’une approche revisitée de l’Evangile. Chez certains auteurs chrétiens actuels, comme Simone Pacot1, sont avancées des notions profondes et novatrices, sortant des sentiers battus. Les notions d’Evangile intérieur ou d’évangélisation des profondeurs de l’être sont à la fois nouvelles et extrêmement anciennes. Elles correspondent à une réalité spirituelle et psychologique. Les maladies psychosomatiques, les dépressions, les comportements schizoïdes ou paranoïaques prolifèrent dans nos sociétés. Des chiffres terrifiants sont délivrés par le ministère de l’Education nationale français : environ 14 % des enseignant du deuxième degré seraient en état de burn-out, c’est-à-dire au dernier degré de l’épuisement psychique et physique. Bien entendu, la hausse tendancielle des suicides au travail va dans le même sens. L’évangélisation des profondeurs prend alors son sens véritable, celui d’une guérison par la parole du Christ. Ce pouvoir thérapeutique remonte aux Evangiles. La première lettre de l’apôtre Pierre nous le rappelle :
1.
Simone Pacot, L’évangélisation des profondeurs, Paris, Cerf, 2001.
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Prologue : un christianisme printanier ? « C’est en lui qu’il [le Christ] s’en alla même prêcher [ou parler] aux esprits en prison » (1 P 3, 19).
Au plus intime de l’homme-Christ s’amorçait un chemin de libération. Les compréhensions d’aujourd’hui de cet enfermement psychologique et spirituel sont multiples. Le Verbe divin ouvre les portes du dehors et du dedans, ôtant leurs chaînes aux malades prisonniers de leurs bouffées délirantes, les libérant de leurs pulsions maladives et destructrices en les guérissant. Un ultime élément doit être avancé dans ce prologue. Si les analyses reposent pour l’essentiel sur des versets bibliques mis au regard des données historiques disponibles, il n’en reste pas moins une part d’appréciation personnelle et subjective. L’historien, dans sa démarche, a ses propres limites et un regard dont la responsabilité lui reviendra toujours. Le propos de ce livre reprend à son compte les termes de Paul dans sa deuxième épître aux Corinthiens : « Car le Seigneur, c’est l’Esprit » (2 Co 3, 17). Chaque homme est porteur, s’il le souhaite, de la liberté évangélique. Les Eglises composant le COE, sans compter les nombreuses n’en faisant pas partie, affirment dans un concert unanime l’existence d’une seule Eglise (passant si possible par elle-même !). Ces langues convenues ecclésiales se sont forgées au fil du temps et il convient sans doute maintenant de déposer les habits du vieil homme des institutions. « Indignez-vous !2 » nous dit Stéphane Hessel dans son livre qui a eu le succès que l’on sait. Indignons-nous aussi devant la division des Eglises et leurs difficultés à vivre ensemble. Leurs différends ou leurs pulsions identitaires ont engendré tellement de crises ou de guerres civiles ! Le Christ est cependant infiniment plus grand que les divisions chrétiennes.
2.
Stéphane Hessel, Indignez-vous ! Montpellier, Indigène éditions, 2010.
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Renaissance du christianisme « Ainsi nous, à plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres » (Rm 12, 5).
L’évangéliste Jean souligne la pluralité des enclos où vivent des brebis de race ou d’origine différentes : « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur » (Jn 10, 16).
Les Eglises historiques sont ces brebis. Elles viennent de partout et vivent chacune dans leur territoire. Il n’en demeure pas moins qu’aucune n’est plus grande que l’autre et qu’un seul berger les dirige ensemble dans la même direction. La saison des alpages voit, à la fin du printemps, les brebis quitter les clôtures qui les protégeaient de l’hiver. Elles s’en vont alors vers les monts du renouveau dans des prairies d’herbe grasse constellées de taches de couleurs fleuries. Ce bourgeonnement printanier, ce frémissement d’une sève se frayant sa route dans les frimas du passé ont accompagné l’écriture de ce livre dont les propos n’engagent naturellement que son auteur et, en aucune façon, l’une ou l’autre des Eglises occupant notre vaste monde. Il est une contribution, entre bien d’autres, à une poussée de vigueur juvénile dans une histoire toujours à reprendre car toujours à recommencer. L’apôtre Paul parle de scandale quand il retrace les conflits de l’Eglise naissante :
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Prologue : un christianisme printanier ? « Ayez tous même langage, qu’il n’y ait point parmi vous de divisions » (1 Co 1, 10).
Ces disputes millénaires entre courants chrétiens antagonistes semblent s’estomper, mais l’idée qu’il n’y a au fond qu’une seule Eglise aux entrées ecclésiales multiples est loin de faire l’unanimité. Les logiques identitaires, par-delà les déclarations de principe, demeurent dominantes. C’est à l’aune de cette unité retrouvée dans une intériorité partagée que se déroulent les pages de ce texte. Cette rencontre des différences a un nom : liberté, l’un des fondements de l’Evangile. « C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés » (Ga 5, 1).
Liberté et intériorité sont les deux faces d’un unique visage, deux façons de contempler une identique réalité. L’équilibre du corps n’est atteint qu’au moment où le même Esprit souffle dans toutes ses composantes. Une renaissance, ou une nouvelle naissance, se produit sous nos yeux. Le christianisme change radicalement. Il se dépoussière, s’épure, se lave à la grande eau de ses origines. Les retombées, entre autre l’intercommunion systématique, ne s’en observeront que plus tard, au rythme des départs générationnels. Le terme en est lointain, et il y a bien longtemps qu’il est attendu. Des dizaines d’années seront sans doute nécessaires, peut-être même des siècles. Mais quelle importance a le temps devant l’éternité ?
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Table des matières Avant-propos de l’éditeur ...................................................... 11 Note liminaire ...................................................................... 13 Prologue. Un christianisme printanier ? ................................ 15 1. Un contexte spirituel mouvant.......................................... 35 L’arrivée des spiritualités orientales .............................................. La vague du New Age.................................................................. L’islam, un nouvel acteur religieux ? ............................................ La tentation syncrétiste ................................................................
36 40 46 50
2. Le réveil chrétien dans un monde en mutation.................. 53 Eglises de Paul, Jean, Pierre ou Jacques ? ...................................... 57 Orient et Occident : une géographie spirituelle .............................. 61 Les portes d’entrée ecclésiales ........................................................ 63 Le réveil des Eglises orientales .......................................................... 64 Une Eglise romaine saisie par l’aggiornamento ? ................................ 76
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Table des matières Un protestantisme au visage nouveau .............................................. Une Communion anglicane en recherche de repères ........................ L’Eglise de la circoncision ................................................................ Les Chrétiens sans Eglise, renouveau de l’Eglise intérieure ? ............ Une pauvreté évangélique à redécouvrir .......................................... L’intercommunion ou l’Un et le multiple ........................................
89 99 101 103 110 112
3. Une voie contemplative renouvelée ? ................................ 119 Les quatre lectures de l’Ecriture .................................................... 120 Au désert .................................................................................... 123 Anciennes et nouvelles clefs d’intériorité ........................................ 125 Solitude .......................................................................................... Le silence, porte de la Présence ........................................................ L’écoute .......................................................................................... L’ouverture ...................................................................................... Le souffle ou quand l’Occident retrouve son Orient ........................
125 126 128 130 133
Les fruits de l’intériorité évangélique ............................................ 135 La guérison ...................................................................................... 137 La compassion ................................................................................ 139 La louange ...................................................................................... 144
L’intériorité chrétienne, un art de vivre ........................................ 147 Le contemplatif chrétien : une voie nouvelle .................................. 150 De l’idéal monastique au monachisme intérieur ............................ 152
4. Sortir de la tentation du temps.......................................... 157 L’Occident ou la confrontation temporelle .................................... 162 L’Orient ou le rêve impérial brisé ................................................ 168 L’Orient byzantin ou le ciel sur la terre ............................................ 168 L’Orient chrétien non byzantin, un veilleur dans la tourmente ........ 171
Le dépassement des codes légalistes et moraux ................................ 173
5. La résurgence hébraïque.................................................... 179 La mémoire juive retrouvée .......................................................... 183
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Table des matières Des Juifs pour Jésus...................................................................... 193 Les chrétiens sionistes .................................................................. 196 Le retour à Jérusalem .................................................................. 197
6. L’Eglise, une communion d’amour ..................................201 Le Conseil œcuménique des Eglises, un signal d’unité ? .................. 205 De la spéculation théologique à la prière théologique ...................... 208 Du clerc au sacerdoce universel .................................................... 210 Une seule Eglise .......................................................................... 213 La pluralité des superstructures ecclésiales........................................ 214 L’unité ou l’Eglise communion d’amour .......................................... 218
7. Quand l’Esprit devient chair ............................................ 223 Une mystique de la conjugalité .................................................... 228 L’Eros et le Divin ........................................................................ 232
8. La Parole intérieure .......................................................... 237 Parcourir l’Ecriture .................................................................... 242 Avancer en eaux profondes .......................................................... 248 L’Evangile intérieur ou l’incarnation de la Parole.......................... 251
9. L’arc-en-ciel...................................................................... 257 Les sept couleurs .......................................................................... 261 Le blanc de l’infini ...................................................................... 265 Cherchez et vous trouverez .......................................................... 267
Remerciements...................................................................... 279
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Achevé d’imprimer le 17 juin 2013 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique)
Renaissance du christianisme - couv 26/06/13 17:31 Page1
Le christianisme est-il en voie de disparition ou en pleine renaissance ? La question se pose, car de profonds changements se manifestent dans les mouvances chrétiennes, catholique, protestante et orthodoxe. Une sève printanière s’écoule dans tous les sarments de l’unique vigne chrétienne par-delà ses identités historiques. Une intériorité renouvelée, source d’une authentique action dans le monde, se fait jour dont nous ne sommes pas forcément conscients. Des courants nouveaux, parfois surprenants, semblent répondre à une fréquente interrogation : et si le christianisme ne faisait que commencer ? Ce livre est une esquisse des réponses possibles à cette question.
Gérard Fomerand est universitaire et conférencier. Il analyse, depuis ses premiers travaux, les mutations du christianisme, notamment dans son rapport à l’État.
ISBN 978-2-87356-548-0 Prix TTC : 19,90 €
9 782873 565480
Photo de couverture : icône de la réconciliation (origine inconnue)
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