Mgr Oscar Romero

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Sur la route des saints

Jon Sobrino

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Monseigneur Óscar Romero

Mgr Óscar Romero

Mgr Romero a été assassiné à San Salvador le 24 mars 1980 tandis qu’il célébrait l’Eucharistie. Trois ans plus tôt, il avait été nommé archevêque de San Salvador à cause de ses positions conservatrices. Face au cadavre du P. Rutilio Grande, assassiné par les forces de l’ordre, il comprit et « changea de camp ». Désormais, il fut au côté des pauvres et devint la « voix des sans-voix ». Le P. Jon Sobrino, théologien bien connu làbas, témoin et collaborateur de ces trois années où Mgr Romero fut « pasteur, prophète, martyr, croyant salvadorien extraordinaire », nous livre ses souvenirs ainsi que ses réflexions sur la façon dont Mgr Óscar Romero a vécu son ministère épiscopal.

ISBN 978-2-87356-664-7 Prix TTC : 9,95 €

9 782873 566647

Illustration de couverture : D.R.

Préface par Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège.

Mgr Óscar Romero « Dieu est passé par le Salvador » par Jon SOBRINO



Sur la route des saints

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Monseigneur

Óscar Romero « Dieu est passé par le Salvador » Jon Sobrino, s.j. Préface par Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège

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Dans la même collection (derniers titres parus) : Lambert Louis Conrardy, no 22 Alberto Hurtado, no 23 Ignace de Loyola, François Xavier, Pierre Favre, no 24 Eustache van Lieshout, no 25 Marie-Eugénie Milleret, no 26 Claude La Colombière, Marguerite-Marie Alacoque, no 27 Joseph Anciaux, no 28 Anne de Jésus, no 29

Cum permissu superiorum Deux articles de Jan Sobrino s.j. parus dans Revista latinoamerica de teología, Universidad centroamericana, San Salvador : – « Mi recuerdo de Monsenor Romero », n° 16, 1989 Traduit de la version néerlandaise publiée par Altiora, Averbode par A. Gillet scheutiste. Première édition française : Éditions l’Épiphanie, B.P. 724, Limete-Kinshasa. Seconde édition française : Éditions Fidélité, Namur, 1992. – « Monseñor Romero (1917-1980) Ante Díos con su pueblo », n° 92, 2014 Traduit par P. Dehove s.j., Y. Roullière, P. Sauvage s.j.

©  2015, Éditions jésuites Belgique : 7, rue Blondeau, 5000 Namur France : 14, rue d’Assas, 75006 Paris Dépôt légal : D.2015, 4323.14 ISBN : 978-2-87356-664-7 Maquette : Jean-Marie Schwartz Imprimé en Belgique

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Préface Óscar Romero martyr et pasteur de son peuple par Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège

Q

uelle joie pour moi de préfacer ce témoignage du   P. Jon Sobrino sur Mgr Óscar Arnulfo Romero, assassiné le 24 mars 1980 à San Salvador et béatifié le 23 mai 2015 ! « Mgr Romero était un homme pieux, humble, discret, m’a un jour confié Jésus Delgado, son secrétaire. Rien ne le prédisposait à des actions d’éclat. Peu après son ordination épiscopale, en 1977, il a pris conscience de la situation dramatique de son pays. « J’ai été nommé évêque pour ramasser des cadavres », disait-il. C’est pour cela qu’il voulut dénoncer les causes du mal social, montrer un visage de l’Église proche des pauvres, prendre une option préférentielle pour les pauvres. » C’est l’assassinat de son ami jésuite Rutilio Grande qui l’a rendu fort dans son témoignage et son ministère. Mgr Romero composait ses homélies suivant un double volet : commentaire de l’Évangile et explication de la réalité sociale violente de son pays. Il réalisait ce que le pape François nous dit du prêtre quand il prononce une homélie : il doit être à l’écoute de Dieu et à l’écoute du peuple, et per5

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mettre par son homélie de mettre en dialogue Dieu et son peuple. Lors de son doctorat honoris causa à l’Université catholique de Louvain, le 2 février 1980, Mgr Romero a pu dire : « Le monde des pauvres nous apprend que la libération arrivera non seulement quand les pauvres seront les destinataires privilégiés des attentions des gouvernements et de l’Église, mais bien quand ils seront les acteurs et les protagonistes de leur propre lutte et de leur libération en démasquant ainsi la dernière racine des faux paternalismes, même ceux de l’Église. » Peu avant sa mort, il avait voulu citer pour la première fois dans une homélie à la cathédrale le nom d’un responsable des massacres : le général d’Aubuisson. D’après J. Delgado, on sait depuis lors que c’est celui-là même qui a commandité son assassinat. Mgr Romero se refusait à faire appel à la violence ; sa position était donc délicate, c’était celle d’un résistant non violent. Il disait dans une homélie le 17 février 1980 : « Ce que je cherche à faire, ce n’est pas de la politique. Et si par la nécessité du moment, j’éclaire la politique de ma patrie, c’est parce que je suis pasteur, c’est à partir de l’Évangile, c’est une lumière qui doit éclairer les routes de mon pays. » Le témoignage du P. Jon Sobrino, qu’on va lire dans les pages qui suivent, rédigées en 1989, montre comment l’engagement de Mgr Romero a été facteur d’unité dans son Église locale. Il écrivait peu avant sa mort : « S’ils me tuent, je ressusciterai dans le peuple salvadorien. » Le martyre de Mgr Romero a débouché sur la paix au Salvador en 1992, signée grâce à l’engagement de son successeur, Mgr Rivera y Damas. Entre-temps, six jésuites de l’Université centraméricaine furent martyrisés le 16 novembre 1989. La passion des martyrs est devenue source de la résurrection du pays.

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Situation du Salvador au temps de Mgr Romero

Le chrétien face à l’oppression au Salvador

L

e Salvador est bordé par l’océan Pacifique, par le Guate  mala et le Honduras. C’est le plus petit État d’Amérique centrale, mais celui où la population est la plus dense, avec plus de 200 habitants au kilomètre carré. La population est fortement métissée : 70 % de Métis, 20 % d’In­diens et 10 % de Blancs. Elle est en majorité rurale et se trouve concentrée sur le plateau de l’intérieur qui est fertile et qui est dominé par une chaîne de montagnes volcaniques, tandis que la plaine côtière qui borde le Pacifique est basse et lagunaire. La propriété de la terre est concentrée dans les mains de quelques familles riches. Ils veu­lent à tout prix conserver le pouvoir et ne recu­lent devant aucun moyen pour défendre leurs privilèges. En 1931, ne parvenant plus à conte­nir l’agitation sociale, l’oligarchie confie le pou­voir politique à l’armée. À partir de cette date, le Salvador a été marqué par l’instabilité politi­que et les dictatures militaires qui se succèdent. En 1979, une junte militaire prit le pouvoir et depuis lors elle fait face à une guérilla menée par des mouvements révolutionnaires armés de gauche. Cette guerre civile a entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes et la paralysie de l’économie du pays. 7

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La majorité de la population est composée de paysans sans terre, qui vivent dans des conditions très difficiles. Le plus souvent, ils louent un petit lopin de terre où ils font pousser du maïs, des haricots et du riz. En octobre, ils s’en vont travailler comme main-d’œuvre dans les grandes plantations de café, de canne à sucre et de coton. Le coton est cultivé dans les plaines côtières. Pendant ce travail saisonnier, l’épouse reste à la maison avec les plus jeunes enfants. Le rôle de l’Église est religieux, mais ne s’ins­crit pas hors de la réalité. Annoncer la Bonne Nouvelle implique le devoir de contribuer à la libération totale de l’homme. Aussi les évêques latino-américains, face à une situation générali­ sée d’exploitation des masses paysannes, ont-ils pris position en faveur des pauvres à Puebla, en 1979. Auparavant, en 1968, l’Église latino-américaine avait tenu sa conférence épiscopale de Medellín, pour appliquer le concile Vatican II à l’Amérique latine. Medellín avait proclamé que Dieu veut la justice et avait élaboré les idées fondatrices de la théologie de la libération. Peu à peu, des communautés ecclésiales de base se sont constituées et l’Église a mis en route la forma­ tion de leaders, recrutés parmi les paysans eux-mêmes. Leur rôle est d’annoncer l’Évangile et de montrer, par une lutte contre toutes les formes d’oppression, que le règne de Dieu se réalise petit à petit. C’est un long travail de conscientisation qui s’effectue de la sorte au sein des communautés chrétiennes. Les chrétiens qui s’organisent ainsi pour dénoncer les injustices attirent sur eux la répression. Du fait qu’ils veulent obtenir pour les masses paysannes une situation plus humaine, ils sont considérés comme subversifs. Beaucoup de leaders de communautés ont été assassinés à cause de leur engagement chrétien, parce qu’ils ont enseigné que l’exploitation de l’homme par l’homme ne correspond pas au 8

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plan de Dieu. Mgr Romero n’était pas seul dans son martyre : avant lui six prêtres ont été assas­sinés et, après sa disparition, il y eut le massacre en 1989 des six jésuites, profes­seurs de l’Université d’Amérique centrale. À ceux-ci s’ajoutent des centaines de laïcs qui ont été arrêtés, torturés, assassinés ou qui ont dis­paru. Ils n’ont pas versé leur sang en vain.

La vie d’Óscar Romero (1917-1980) Óscar Arnulfo Romero y Galdamez est né à Ciudad Barrios, dans le département de San Miguel, le 15 août 1917. Ses parents étaient Santos Romero et Guadelupe de Jesus Galda­mez. Ciudad Barrios se trouve à l’est du Salva­dor, à 16 km seulement de la frontière du Hon­duras. Des pentes escarpées et boisées entou­rent la ville, sise à près de mille mètres d’altitude. Le petit Óscar entra à l’école dès l’âge de six ans, mais n’y resta que jusqu’à l’âge de douze ans. Il fut ensuite apprenti chez un menuisier. L’année d’après, en 1930, un jeune prêtre de Ciudad Barrios revint à la ville pour dire sa première messe. Le vicaire général était présent à cette cérémonie et le jeune Óscar eut la chance de lui parler de son désir d’entrer au séminaire L’année suivante, il quittait sa ville natale pour le petit séminaire de San Miguel. Il y fit de bonnes études. Mais, après quelques années, il quitta le séminaire pour aller travailler dans les mines d’or de Potosi, à dix kilomètres de Ciudad Barrios. On était alors dans les années de dépres­ sion et sa famille avait des difficultés finan­cières. Après trois mois, l’évêque obtint qu’Ós­car revienne au séminaire. En 1937, il alla au grand séminaire de la capitale San Salvador. Après sept mois, son évê­que l’envoya continuer ses études à Rome. Il y fut ordonné prêtre le 4 avril 1942. 9

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Personne de sa famille n’était présent à la cérémonie. Romero resta à Rome pour préparer un docto­rat en théologie. Mais la guerre ne lui permit pas de finir ses études. Il rentra chez lui en 1943. Nommé dans une paroisse de montagne, il n’y resta que quelques mois. L’évêque le rap­pela à l’évêché de San Miguel pour y assumer la fonction de secrétaire du diocèse. Il avait en plus la charge d’une paroisse. Il y resta plus de vingt ans et, en 1967, il partit pour la capitale et devint secrétaire général de la conférence des évêques. Trois ans plus tard, Romero est nommé évêque auxiliaire de l’archevêque Mgr Chavez à San Salvador. L’ordination épisco­pale eut lieu le 21 juin 1970. Tout le monde ne se réjouissait pas de cette nomination. Pour certains prêtres qui avaient réfléchi sur la nouvelle direction donnée par l’Église au cours de Vatican II, et sur les déclarations des évêques latino-améri­cains à Medellín, Romero représentait l’an­cienne voie. Pourtant, il serait faux de prétendre qu’il était un conservateur obstiné qui ne voulait pas de Vatican II. Homme d’Église, formé à Rome, il ne pouvait manquer de suivre l’Église ; mais il n’était pas prêt à tirer toutes les conclusions des déclarations de Vatican II et des évêques d’Amérique latine. Même après le grand changement qu’il subit plus tard comme archevêque, il n’accepta jamais toutes les idées des plus radicaux de ses prêtres. * * * Le 15 octobre 1974, Mgr Romero fut nommé évêque de Santiago de Maria, un nou­veau diocèse qui comprenait sa ville natale de Ciudad Barrios. Les deux années de Romero à Santiago de Maria commencèrent à lui ouvrir les yeux sur la situation des paysans salvado­riens. Il apparut comme un homme cherchant sa voie ; ses attitudes et ses positions n’étaient pas encore tranchées. 10

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Le 22 février 1977, Mgr Romero est nommé et installé comme archevêque de San Salvador. Il le sera pendant trois ans jusqu’au 24 mars 1980, jour où il fut abattu d’un coup de fusil, pendant qu’il célébrait l’eucharistie. Le Père Jon Sobrino, jésuite espagnol, théologien et missionnaire au Salvador depuis 1957, fut un proche collaborateur et ami de Mgr Romero durant trois années et le premier prêtre à apprendre sa mort. Lui-même aurait dû être parmi les six jésuites qui ont été brutalement assassinés, ainsi que leur cuisinière et sa fille, le 16 novembre 1986, par des soldats de l’armée salvadorienne à cause de leur engagement pour la foi et la justice. Théologien de la libération mondialement connu, il est docteur honoris causa notamment de l’Université catholique de Louvain (KU Leuven, Belgique). * * * Dans ce livre, nous présentons deux articles complémentaires de ce théologien jésuite1. Le premier est un témoignage à la première personne – Mes souvenirs de Monseigneur Romero. Il fut écrit quelques années après la mort de l’évêque (1989). Le second est un essai récent (2014) – Monseigneur Romero (1917-1980) devant Dieu et son peuple2. Dans celui-ci, le théologien espagnol aborde, de manière plus réflexive, la façon dont Óscar Romero a vécu son ministère épiscopal durant son mandat d’archevêque. Les Éditeurs

1.

Nous remercions Jon Sobrino qui a permis de traduire le second article. Ces deux articles sont parus en espagnol dans Revista latinoamericana de teología (Universidad centroamericana, San Salvador). Nous remercions A. Gillet scheutiste pour sa traduction du premier article, à partir du néerlandais et Paul Dehove, s.j., Yves Roullière et Pierre Sauvage, s.j. pour celle du second, à partir de l’espagnol. 2.

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Souvenirs de Monseigneur Romero

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1 L’événement qui bouleverse une vie

M

a première rencontre avec l’archevêque Romero date   du 12 mars 1977. C’était l’après-midi du jour où le Père Rutilio Grande s.j. fut assassiné près d’El Paisnal en même temps qu’un jeune paysan et un autre plus âgé. Ce soir-là, de nombreux jésuites, des prêtres, des religieuses étaient venus au couvent d’Agui­lares pour le pleurer. Des centaines de paysans, auxquels le Père Rutilio avait annoncé la Bonne Nouvelle, étaient également présents. Mgr Romero venait à peine d’être installé comme archevêque le 22 février. Nous l’atten­dions, ainsi que Mgr Rivera, son évêque auxi­liaire. Ils devaient célébrer l’eucharistie en pré­sence des corps des trois victimes ; mais il se faisait tard, et les évêques n’arrivaient pas. La soirée s’avançait, et les gens commençaient à s’impatienter et à s’énerver. Aussi, le Père Perez, provincial des jésuites d’Amérique cen­trale, décida-t-il de commencer la messe. Les assistants se dirigèrent vers l’église attenante au couvent. Quant à moi, je restai en arrière, je ne sais plus pour quelle raison. C’est alors qu’on frappa à la porte du couvent, et Mgr Romero entra en compagnie de Mgr Rivera. Il avait le visage sérieux et préoccupé. Je les saluai et les conduisis à l’église sans dire un mot. Ce fut là mon premier contact personnel avec Mgr Romero. Ce fut très court, plutôt symbolique. Mais les circonstances que nous vivions en firent pour moi un événement très important. 15

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Nos pensées étaient évidemment tournées vers Rutilio et vers les paysans assassinés. Nous nous demandions ce qui allait encore arriver. La répression contre les paysans avait déjà commencé et certains prêtres avaient été appréhendés et expulsés du pays, mais l’assassi­nat d’un prêtre restait jusqu’alors un événement inouï au Salvador. Ce crime dépassait les limites. Maintenant que les puissants avaient osé tuer un prêtre, on pouvait s’attendre à tout. Et effectivement, cette année 1977 fut une année très dure pour les paysans, pour les prê­tres, et aussi pour nous jésuites. Deux mois après le meurtre de Rutilio, les trois jésuites qui restaient à Aguilares furent expulsés. Le 20 juin, tous les jésuites furent menacés de mort. Ce soir-là, c’est le cadavre de Rutilio qui drainait l’attention de tous. Mais pour moi, il fut aussi très important de faire l’expérience d’un Mgr Romero à la fois sérieux et très préoccupé. Cet évêque, je le connaissais comme conserva­teur, et psychologiquement faible. Il commen­çait son ministère d’archevêque, non dans la joie de célébrations solennelles, mais bien dans une période d’emprisonnements, de tortures et d’expulsions de ses prêtres. À présent, il était confronté avec le sang de l’un d’entre eux qu’il avait le mieux connu : Rutilio. Ce qui était le plus dur, c’était le développement de la répres­sion contre les paysans et les ouvriers. Ce fait avait été courageusement dénoncé le 5 mars dans un message des évêques fortement stimu­lés par Mgr Rivera. Le visage sérieux et préoccupé de Mgr Romero, quand je lui ouvris la porte, je l’ai tou­jours devant les yeux. En moimême, je pensais que je devais l’aider. Déjà dans les derniers jours de février, à l’occasion des réunions du clergé, lorsqu’il se présenta comme notre nouvel archevêque et qu’en raison des circons­tances difficiles, il demanda notre aide, notre opinion à son sujet avait changé. Notre décision de 16

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l’aider fut spontanée et partagée par un grand nombre. Cela devenait pour chacun d’entre nous une nécessité. Nous pressentions que la situation allait devenir très problématique et qu’il valait mieux résister en groupe, en Église, que de le faire divisés et chacun de son côté. Un change­ment évident était donc déjà survenu dans nos relations avec Mgr Romero. Mais la soirée du 12 mars fut décisive. Ce fut d’ailleurs un changement surprenant car, depuis mon retour au Salvador en 1974, nos rares contacts avaient été plutôt tendus. La seule chose que je savais de lui alors, c’était qu’il était un évêque très conservateur, fort influencé par l’Opus Dei. Il s’opposait, parfois avec une certaine agressivité intellectuelle, aux prêtres et aux évêques qui avaient accepté la ligne de Medellín. Il considé­rait certains jésuites du Salvador comme des marxistes politiquement engagés. Et comme par hasard, c’était justement ceux-là qui, après mes sept années d’absence, m’avaient aidé à faire mes premiers pas de jésuite et de théologien. Si mes souvenirs sont bons, j’ai rencontré Mgr Romero pour la première fois en chair et en os au séminaire San José de la Montana, où je devais donner une conférence à des prêtres et à des séminaristes sur le thème « Jésus historique et le Royaume de Dieu ». Pendant ma conférence, il ne leva pas une seule fois les yeux comme s’il voulait prendre ses distances par rapport à ce que je disais. Bref, je dois avoir été, aux yeux de Mgr Romero, un de ces prêtres marxistes. En ce qui me concerne, j’étais vraiment persuadé que l’image que l’on m’avait esquissée de Mgr Romero correspondait vraiment à la réalité. Tout cela trouva sa confirmation le 6 août 1976, le jour de la fête du Saint Sauveur, fête patronale du pays. On y célébrait toujours une messe solennelle. À cette époque, la tradition voulait que l’on invitât une autorité religieuse pour faire 17

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l’homélie en présence de tous les évêques, des autorités du pays, du corps diplo­matique et d’autres invités. Cette homélie était donc d’une très grande importance. En 1970, c’est le Père Rutilio Grande qui l’avait pronon­cée. C’était un prêtre reconnu et aimé dans l’ar­chidiocèse. Il était aussi pressenti pour le recto­rat du séminaire. À cette occasion, Rutilio avait commenté les trois mots inscrits sur le drapeau national : Dieu - Unité - Liberté. Et son sermon avait été une énergique dénonciation de tout ce qui se passait à l’époque dans le pays. Il n’y avait ni unité, ni liberté, et donc Dieu n’y était pas non plus. Cette homélie causa beaucoup de remue-ménage et eut comme conséquence que Rutilio ne fut jamais nommé recteur du sémi­naire. En 1976, Mgr Romero fut invité à faire cette même prédication. Dans un premier point, il critiquait les christologies qui avaient du succès dans le pays. Il les considérait comme rationa­listes, incitant le peuple à la haine et à la révolu­tion. En d’autres mots, son homélie était une critique acerbe de ma propre christologie. On comprend dès lors que nous n’étions pas très enthousiastes lorsqu’il fut désigné comme successeur de l’archevêque Luis Chavez. Je me demandais si Mgr Romero aurait le courage de dénoncer la répression, ou si, au contraire, il allait la faciliter. Allait-il défendre les paysans et les prêtres menacés ? Quelques jours plus tard, je recevais une carte postale d’un jésuite mexicain qui ne pouvait que m’offrir sa com­ passion. Décidément, nous n’avions pas une bonne opinion de Mgr Romero, mais heureuse­ment, nous nous sommes tous trompés.

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Une grande délicatesse de cœur Le soir du 12 mars, je ne pensais plus à tout cela, ni à l’homélie du 6 août. Pourtant en y réfléchissant par après, je pense que ce premier salut silencieux de Mgr Romero a été pour moi comme une sorte de réconciliation avec lui, le début d’une nouvelle relation en Église, le point de départ d’une amitié mutuelle. Je sais que beaucoup ont fait la même expérience. Tous, nous en étions très heureux. Certains pensent probablement que les prêtres progressistes, les théologiens de la libération et les membres des communautés de base ne cherchent les contacts avec la hiérarchie que pour des raisons tacti­ques. Pourtant, il n’en est rien. C’est pour nous une source de joie de vivre ensemble comme des frères dans l’Église et surtout, quand c’est possible, avec nos frères les évêques.

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En lecture partielle‌


Table des matières Préface. Óscar Romero martyr et pasteur de son peuple par Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège . . . . . . . . . . . . 5 Situation du Salvador au temps de Monseigneur Romero, Les éditeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Le chrétien face à l’oppression au Salvador . . . . . . . . . . . . . . 7 La vie d’Óscar Romero (1917-1980) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Souvenirs de Monseigneur Romero . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 1.  L’événement qui bouleverse une vie . . . . . . . . . . . . . . . 15 Une grande délicatesse de cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 2.  Faire le choix décisif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Une option difficile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Comment une telle option fut-elle rendue possible ? . . 25 3.  Un long chemin de fidélité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Un geste prophétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 4.  Le courage de tenir bon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Ombres et lumières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 5.  L’Évangile source de force et de joie . . . . . . . . . . . . . . . . 45

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6.  Être avec les persécutés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 La théologie dans la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 7.  Le choix prioritaire des pauvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Bienveillance critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 8.  Courir les mêmes risques que Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Monseigneur Óscar Romero (1917-1980). Devant Dieu avec son peuple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 1.  Mgr Romero devant Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Honnêteté, délicatesse et abandon . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 L’acceptation d’une mort violente . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 En conflit avec ses frères évêques et fidèle à l’Évangile . . 80 2.  L’action de Mgr Romero . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 « Mgr Romero a dit la vérité » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 « Mgr Romero nous a défendus, nous, les pauvres » . . . 95 3.  Le destin de Mgr Romero . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 « Et c’est pourquoi ils l’ont tué » . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 « Avec Mgr Romero, Dieu est passé par le Salvador » . . 106 « Le frère aîné, porteur de la foi d’un grand nombre » . 110 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

Achevé d’imprimer le 23 avril 2015 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).

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Mgr Óscar Romero

Mgr Romero a été assassiné à San Salvador le 24 mars 1980 tandis qu’il célébrait l’Eucharistie. Trois ans plus tôt, il avait été nommé archevêque de San Salvador à cause de ses positions conservatrices. Face au cadavre du P. Rutilio Grande, assassiné par les forces de l’ordre, il comprit et « changea de camp ». Désormais, il fut au côté des pauvres et devint la « voix des sans-voix ». Le P. Jon Sobrino, théologien bien connu làbas, témoin et collaborateur de ces trois années où Mgr Romero fut « pasteur, prophète, martyr, croyant salvadorien extraordinaire », nous livre ses souvenirs ainsi que ses réflexions sur la façon dont Mgr Óscar Romero a vécu son ministère épiscopal.

ISBN 978-2-87356-664-7 Prix TTC : 9,95 €

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Préface par Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège.

Mgr Óscar Romero « Dieu est passé par le Salvador » par Jon SOBRINO


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