L’argent, lieu de conversion. Une lecture de l’Évangile selon saint Luc by Éditions jésuites

Bernard Pommereuil

L’argent, lieu de conversion Une lecture de l’Évangile selon saint Luc

Éditions Vie chrétienne

MATIÈRE À EXERCICES

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Matière à exercices

Un parcours spirituel, non seulement à lire, mais aussi à vivre, seul ou en petits groupes.

ISBN 978-2-900282-22-9 Code article 596 © Éditions Vie chrétienne, 2018 47, rue de la Roquette, 75011 Paris, France www.viechretienne.fr

Photo de couverture : © Ira Dobrolyubova/EyeEm.

MATIÈRE À EXERCICES

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Bernard Pommereuil

L’argent, lieu de conversion Une lecture de l’Évangile selon saint Luc

Vie chrétienne 47, rue de la Roquette 75011 Paris

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SOMMAIRE AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR........................................................7 PRÉLIMINAIRE ..................................................................................9 L’argent est partout ........................................................................9 La Bible, l’argent et le partage......................................................10 L’argent, un sujet de préoccupation pour Luc ..............................12 Une lecture pastorale ....................................................................13 INTRODUCTION ................................................................................15 I. DU DÉSIR DE CONSTRUIRE SA VIE SUR LE ROC DU CHRIST ......19 Les Béatitudes vues par Luc (Lc 6, 20-26) ....................................21 Question d’héritage (Lc 12, 13-34) ................................................25 Le renoncement (Lc 14, 25-35)......................................................30 Le riche et le pauvre (Lc 16, 19-31) ..............................................34 II. DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE DES CHOIX ....................................39 Elle a mis plus qu’eux tous (Lc 21, 1-4) ..........................................40 Jésus demeure chez Zachée (Lc 19, 1-10) ....................................42 Comme c’est difficile pour ceux qui ont des richesses (Lc 18, 18-30)..46 La pécheresse pardonnée (Lc 7, 36-50) ........................................50 III. DES CONTRADICTIONS QUI TRAVERSENT NOS VIES ................55 Un prince, en route, pour recevoir la royauté (Lc 19, 11-28)........56 Ah ! les impôts ! (Lc 20, 20-26) ......................................................61 Le père et ses deux fils (Lc 15, 11-32) ..........................................65 Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent (Lc 16, 1-13) ................70 IV. VERS LE DON SUPRÊME ............................................................75 Qui est mon prochain ? (Lc 10, 25-37) ..........................................76 Inviter les pauvres (Lc 14, 7-14) ....................................................80 L’argent de la trahison (Lc 22, 1-6) ..............................................83 Le pardon pour tous (Lc 23, 33-43) ..............................................86 CONCLUSION ..................................................................................89 BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................95 5

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AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR Cet ouvrage a vu le jour grâce à des ateliers d’Évangile que j’ai animés dans ma paroisse, à la demande du curé, après avoir achevé ma licence de théologie. Ces ateliers ont permis de faire une lecture continue et commentée des quatre évangiles. Leur particularité était de proposer un questionnement pour aujourd’hui personnel et partagé pour que les participants puissent faire leurs les textes commentés. Cette approche pastorale a trouvé un écho particulier pour l’Évangile selon saint Luc, dont le prolongement est le présent essai. J’adresse ici mes remerciements aux deux curés successifs de ma paroisse qui m’ont fait confiance et m’ont permis ainsi de récolter de beaux fruits personnels. Me centrer sur les Paroles de Jésus a transformé ma relation au Christ. D’intellectuelles, elles sont devenues vivantes aujourd’hui pour moi. C’est cette joie profonde que j’ai partagée avec ceux qui fréquentent l’atelier biblique. Je tenais à le témoigner.

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PRÉLIMINAIRE L’argent est partout L’argent est partout. Il symbolise la puissance. Le désir d’être le maître de sa vie, de ne dépendre de personne, de n’avoir de comptes à rendre qu’à soi-même est savamment mis en avant dans les publicités, les journaux, les émissions sur le bien-être, etc. Les « droits à » fleurissent de tous côtés, y compris le droit à l’enfant. Avec de l’argent on peut modifier les caractéristiques génétiques de l’enfant à naître pour avoir le « modèle » parfaitement conforme à son désir. Le téléphone portable est un instrument quotidien, docile, particulièrement efficace pour conforter son propriétaire, grâce à toutes les applications installées, dans l’impression d’avoir la maîtrise de sa vie, de son compte bancaire, de la mise en route de son chauffage, de la surveillance vidéo de sa maison, de ses adolescents, des derniers mails, des informations… « Tout est sous contrôle ». On peut même ajouter l’appareil photo du portable, qui permet de saisir l’événement et de jouer les reporters comme si l’important était de capter, saisir pour être sûr qu’on ne va rien perdre. Aujourd’hui, tout se vend et s’achète, aussi bien les produits de consommation que les corps. La gratuité devient suspecte. Rendre un service est parfois apparenté à un travail au noir. L’argent est partout, mais les inégalités entre riches et pauvres se creusent. En 2017, selon le classement Bloomberg, les cinq cents plus grands milliardaires ont vu leur fortune gonfler de mille milliards de dollars. L’argent est présent dans l’esprit de ceux qui en veulent toujours plus afin d’assurer une sécurité financière, une reconnaissance sociale, un patrimoine à transmettre… Il est aussi présent dans le cœur de ceux qui sont dans le dénuement, et c’est bien compréhensible. Certains en ont très peu et, le 15 ou même le 10 du mois empruntent à nouveau pour remplir le panier jusqu’à la paie 9

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suivante, pour des raisons de chômage, de manque de formation, de maladie, de handicap. Certes les minima sociaux atténuent les effets du manque d’argent. Mais louer la pauvreté est bien souvent le fait de personnes qui ne la connaissent pas. Si les riches sont souvent dominés par l’argent au point d’en être des esclaves, l’argent peut devenir une obsession dans l’esprit de la classe moyenne. La sagesse populaire lui donne des allures incendiaires : ne diton pas que « l’argent lui brûle les doigts », que « telle personne flambe tout son argent », « que toutes ses économies sont parties en fumée » ? N’y aurait-il pas là une allusion aux flammes de l’enfer ? Pourtant le Premier Testament ne rejette pas l’argent, mais sa mauvaise utilisation.

La Bible, l’argent et le partage L’exégète protestant Daniel Marguerat a retranscrit, dans son ouvrage1 sur Dieu et l’argent, une histoire juive édifiante, rapportée du Baal ChemTov, un rabbin médiéval. « Un homme dont la richesse avait endurci le cœur est venu voir le rabbin dans l’espoir de retrouver la joie. Le rabbin lui dit : — Regarde par cette fenêtre et dis-moi ce que tu vois. Il répondit : — Je vois des hommes dans la rue qui vont et viennent. — Bien, dit le Baal Chem-Tov, qui tendit alors un miroir à l’homme en lui demandant : — Regarde dans ce miroir et dis-moi ce que tu vois. — Je me vois moi-même, dit l’homme. — Et tu ne vois plus les autres ? s’enquit le rabbin. — Non ! — Songe, reprit le rabbin, que la fenêtre et le miroir sont faits du même matériau, le verre. Mais pour fabriquer un miroir, on le recouvre d’une pellicule d’argent par derrière. Lorsque l’argent s’interpose entre les autres et toi, tu ne vois plus les autres, tu ne vois que toi. »

Dans le Premier Testament, la richesse n’est pas rejetée et est même le signe d’une bénédiction divine. Abram « était extrêmement riche en trou1. Daniel Marguerat, Dieu et l’argent. Une parole à oser, Éd. Cabédita, 2013. 10

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peaux, en argent et en or2 » (Gn 13, 2). De même, Salomon « devint le plus grand de tous les rois de la terre en richesse et en sagesse » (1 R 10, 23). Cependant son utilisation est soumise à certaines conditions : elle doit générer l’échange et le partage. Ainsi, la possession de champs et de troupeaux ne doit pas empêcher l’accueil. L’épisode du chêne de Mambré en est un bel exemple (cf. Gn 18). La richesse, source d’inégalités et de jalousies, doit être régulée. En effet les auteurs bibliques connaissaient ses effets dévastateurs et proposaient d’y remédier par la loi. C’est dans le Deutéronome qu’une réponse est apportée : « Se trouve-t-il chez toi un malheureux parmi tes frères, dans l’une des villes de ton pays que le Seigneur ton Dieu te donne ? Tu n’endurciras pas ton cœur, tu ne fermeras pas la main à ton frère malheureux, mais tu lui ouvriras tout grand la main et lui prêteras largement de quoi suffire à ses besoins » (Dt 15, 7-8). Dieu a offert la Terre promise, les plantes, les arbres qui portent des fruits, les animaux du bétail. Il s’agit donc de donner à un membre du peuple élu le nécessaire pour lui éviter l’indigence et la perte de sa dignité. Ainsi en Dt 24, 18-22 : « Souviens-toi que tu as été esclave en Égypte et que le Seigneur ton Dieu t’a racheté. Voilà pourquoi je te donne ce commandement. Lorsque tu feras ta moisson, si tu oublies une gerbe dans ton champ, tu ne retourneras pas la chercher. Laisse-la pour l’immigré, l’orphelin et la veuve, afin que le Seigneur ton Dieu te bénisse dans tous tes travaux. Lorsque tu auras récolté tes olives, tu ne retourneras pas chercher ce qui reste. Laisse-le pour l’immigré, l’orphelin et la veuve. Lorsque tu vendangeras ta vigne, tu ne retourneras pas grappiller ce qui reste. Laissele pour l’immigré, l’orphelin et la veuve. Souviens-toi que tu as été esclave au pays d’Égypte. Voilà pourquoi je te donne ce commandement. » Il est également demandé de faire l’aumône. Ainsi, tous les trois ans, lors de grandes fêtes religieuses, « tu prélèveras toutes les dîmes de tes récoltes de cette année-là et tu la déposeras aux portes de ta ville. Alors viendront le lévite — puisqu’il n’a ni part ni héritage avec toi — l’immigré, l’orphelin et la veuve qui résident dans ta ville ; ils mangeront et seront rassasiés. Ainsi le Seigneur ton Dieu, bénira toute œuvre de tes mains » (Dt 14, 28-29). Les richesses sont donc destinées à tous et doivent être partagées.

2. Les passages de la Bible cités dans ce livre sont tirés de la traduction liturgique AELF. 11

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Pour ceux qui n’arrivent pas à vivre dignement, il y a en quelque sorte une deuxième chance, décrite au chapitre 15 du Deutéronome et au chapitre 25 du Lévitique. C’est l’année sabbatique, la cinquantième année, avec la libération des esclaves juifs et la remise des dettes. Tous les habitants doivent profiter de la terre, laissée en jachère. Pour rappeler aux Hébreux que tout vient de Dieu, à chaque récolte, les pasteurs ou les paysans doivent apporter les prémices de la récolte ou les premiers-nés du troupeau au prêtre (cf. Lv 23, 10-11). Pour les Juifs, toutes ces dispositions ont pour but de mettre Dieu au centre de leurs vies. Il est à l’origine des biens acquis. En disposer pour soi seul est donc une atteinte à Dieu lui-même. Jésus va beaucoup plus loin. Car il a vécu en Galilée parmi les gens simples, les pauvres, les déshérités. Quand il annonce le Royaume des Cieux, il a certainement en tête tous ces pauvres qu’il a côtoyés, sans défense devant les propriétaires terriens ou les collecteurs d’impôts. Jésus les déclare « bienheureux ». « Tous doivent savoir que Dieu est le défenseur des pauvres : ce sont ses préférés3 ».

L’argent, un sujet de préoccupation pour Luc Parmi les évangélistes, Luc est celui qui accorde la plus grande place au thème de l’argent. À ce sujet, il est un poseur de jalons, permettant de distinguer pour ainsi dire la route du fossé quand ils sont tous les deux recouverts de neige, mettant en péril le conducteur insouciant ou ignorant. Dès le premier chapitre de son Évangile, il indique l’essentiel : « Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides » (Lc 1, 53) dans les paroles du Magnificat. Les textes consacrés à l’argent ou l’évoquant sont nombreux et tous d’une manière ou d’une autre incitent à la conversion. S’il ne le dit pas aussi explicitement que Matthieu (cf. Mt 4, 17) ou Marc (cf. Mc 1, 15), l’appel est bien présent. La conversion est d’abord un mouvement intérieur, un élan de chaque instant vers le Seigneur. Elle part d’un triste constat qui nous concerne tous. Je suis séparé de Dieu et je ne peux pas par moi-même retrouver son intimité sans sa grâce et sa miséricorde. Car notre Dieu est un Dieu

3. José Antonio Pagola, Jésus, approche historique, Cerf, 2012, p. 114. 12

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qui veut la joie, la paix, la vie pour nous. Mais il veut aussi sauvegarder notre liberté pour que notre retour vers lui soit fait volontairement. La conversion bouscule, renverse tous nos espaces intérieurs que nous avions patiemment protégés, permettant à la foi de rester éloignée du cœur et de la rencontre personnelle. Elle révèle la séparation entre nos attentes spirituelles et nos actes de la vie quotidienne, mettant ainsi à jour l’absence d’unité dans nos vies traversées par des soifs diverses telles la reconnaissance, la puissance, la recherche de gloire, le désir de maîtriser sa vie, de laisser des traces sensibles après notre passage terrestre. Luc veut nous faire goûter à la tendresse et à l’Amour de Dieu, sans limites, sans hésitations. Mais il sait qu’au cœur de nos vies, les obscurités générées par l’utilisation de l’argent viennent entraver l’élan de la conversion. Pour lui, Mammon est l’obstacle majeur sur le chemin vers Dieu. Aussi se sert-il de ce moyen pour en faire paradoxalement un lieu de conversion. C’est un véritable exercice que nous chrétiens soucieux de vivre l’Évangile devons mener quotidiennement pour marcher vers la Lumière. En fait, l’argent n’est ni bon, ni mauvais en soi, mais la place qu’il occupe dépend entièrement de nous. Luc pose la question : « Qu’estce que ton argent fait de toi ? »

Une lecture pastorale Se nourrir de la Parole du Christ est une nécessité vitale pour essayer de vivre en chrétien. La lecture et la méditation des textes évangéliques ne sont pas optionnelles mais essentielles. La lecture d’extraits de l’Évangile de Luc en lien avec l’argent que nous proposons se veut « pastorale » dans le but de favoriser une méditation sous la forme d’exercices. Il ne s’agit pas d’un travail exégétique4. Notre ambition est de rendre accessible cette Parole riche, féconde, décapante, déroutante, en vue de faire émerger le désir de voir le Royaume de Dieu prendre place, laissant l’idole Mammon s’effacer.

4. Une liste de livres de très grande qualité qui nous ont nourris pour écrire ces lignes se trouve en fin d’ouvrage. 13

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INTRODUCTION Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs Après cela, Jésus sortit et remarqua un publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts) du nom de Lévi assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » 28Abandonnant tout, l’homme se leva ; et il le suivait. 29Lévi donna pour Jésus une grande réception dans sa maison ; il y avait là une foule nombreuse de publicains et d’autres gens attablés avec eux. 30Les pharisiens et les scribes de leur parti récriminaient en disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » 31Jésus leur répondit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. 32Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent. » 27

Lc 5, 27-32

Jésus vient de guérir un paralytique (5, 17-26) et de lui pardonner ses péchés. Qu’il utilise cet apanage de Dieu provoque la fureur des pharisiens et des docteurs de la loi. Puis Jésus sort et appelle un collecteur d’impôt, personnage détesté par la population en raison de son métier, mais surtout des soupçons de prévarication dont cette fonction est entachée. Lévi est un homme sans doute riche. Pourtant, il répond immédiatement à l’appel de Jésus. « Suismoi. » Lévi ne pose aucune question, il est comme poussé par une force intérieure car il abandonne tout immédiatement et suit Jésus. Il renonce à sa richesse, à ses relations multiples, à sa notoriété. Il sait qu’il sera raillé. En premier lieu, sa conversion va sembler suspecte, puis il sera l’objet de quolibets, lui le notable, l’homme autrefois craint et redouté. Pourtant, il se laisse convertir. Pour conclure cette histoire extraordinaire, il organise un banquet, ouvert, traditionnellement, à tous. Ainsi, de manière ostentatoire, les rela15

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tions de Lévi, ses fréquentations, sont rassemblées. Jésus se trouve donc au centre d’une foule nombreuse de publicains et d’autres personnes considérées par les bien-pensants juifs comme des pécheurs. Du beau monde mais certainement véreux, dont la présence aux côtés de Jésus génère commentaires et apartés parmi les observateurs. Pourtant Jésus ne porte aucun jugement sur Lévi, les autres publicains et leurs pratiques douteuses. Les scribes et les pharisiens murmurent et critiquent. Ils s’adressent aux disciples, peut-être pour ne pas affronter Jésus directement : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » Cette question, pleine de sous-entendus, peut signifier : « Pourquoi devenez-vous impurs en mangeant avec des pécheurs notoires et qui, de plus, sont des collaborateurs de l’occupant romain, puisque la collecte des impôts va directement dans les caisses de l’empire romain ? » Entre les publicains et les Pharisiens existe un fossé impossible à combler. Jésus, en répondant, devient leur trait d’union. La présence de Jésus à ce banquet est intentionnelle. Il a des choses à dire à toutes ces personnes, aussi différentes soient-elles. À nous aussi, aujourd’hui, Jésus a quelque chose à dire. Glissons-nous auprès de la table du festin, au milieu des publicains, ou bien au milieu des Pharisiens, ou encore parmi les disciples. Écoutons Jésus répondre, laissons-nous toucher. Au fil des récits de Luc que nous lirons, essayons de nous positionner comme acteurs dans la scène plutôt que comme spectateurs, car la Parole de Dieu est vivante et s’adresse à nous aujourd’hui comme hier. Et quelle parole ! « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent. » Si le texte ne présente pas de difficultés de compréhension, il bouscule nos sentiments de « bons chrétiens ». Dans quelle catégorie nous situonsnous ? Celle des bien-portants ou celle des malades ? Du côté des justes ou du côté des pécheurs ? Voilà un dilemme qui se réfère à l’appréciation que nous portons sur nous-mêmes et qui fait appel à notre liberté. Comment nous regardonsnous, en vérité, au-delà de la facilité intellectuelle à se sentir malade ou juste ? Est-ce si simple ? Luc nous invite à un véritable chemin de conversion. « Pour qu’ils se convertissent. » Jésus mange avec de grands pécheurs publics, une foule 16

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Introduction

de badauds le regardent, Pharisiens et scribes l’épient. Or, il fait la même proposition de conversion à tous. Car tous sont pécheurs. Le péché ne se limite pas à la transgression des Dix Commandements donnés jadis à Moïse et au peuple élu. Luc met en place dans son Évangile une pédagogie de prise de conscience du caractère du péché comme manquement à l’amour. Jésus est lucide sur ce que nous sommes, mais il nous fait connaître l’Amour du Père, la miséricorde, la compassion qu’il a pour ceux qui sont dans la peine ou dans la souffrance. L’évangéliste va, petit à petit, tout au long de l’Évangile, nous provoquer à des déplacements intérieurs pour que la prise de conscience attendue devienne réelle et conduise à notre conversion. L’impératif donné par Jésus, « Convertissez-vous », n’est pas un ordre qu’il faudrait à tout prix mettre en œuvre par une sorte d’acte volontariste, mais une proposition pleine de tendresse et d’affection. Il sait combien nous convertir est difficile tant nous sommes soumis à nos désirs égoïstes, soucieux de reconnaissance et de domination. Jésus nous aime trop pour nous contraindre. Il veut notre bonheur mais en respectant notre liberté. Sur ce chemin de conversion, Luc présente plusieurs moyens. En particulier, il s’attache à un instrument de conversion paradoxal : notre rapport à l’argent. La richesse est-elle un obstacle en elle-même au changement de notre cœur ? Qu’est-ce que l’esprit de pauvreté et de renoncement ? Sommes-nous capables de franchise avec nous-mêmes pour entendre, vivre, partager la Parole de Jésus au cœur de nos vies ? Le parcours que nous vous proposons à travers l’Évangile de Luc privilégiera donc les récits où il est question d’argent, de richesse ou de pauvreté, sans forcément respecter l’ordre de l’Évangile. Dans cette optique, le parcours comporte quatre thèmes directeurs, qui formeront autant de chapitres : - Du désir de construire sa vie sur le roc du Christ - De la nécessité de faire des choix - Des contradictions qui traversent nos vies - Vers le don suprême Quatre passages de l’Évangile de Luc illustreront notre propos dans chaque partie. De manière pédagogique, Luc offre au lecteur des repères en opposition pour tracer la route à suivre. Que faut-il pour être heureux (Lc 6, 17

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20-26) ? Où se trouve notre vraie richesse (Lc 12, 13-34) ? Comment discerner (Lc 14, 25-35) ? Et si nous ouvrions les yeux (Lc 16, 19-31) ? Luc nous invite ensuite à poser des choix vitaux. On se souvient de la parole du Deutéronome : « Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance » (Dt, 30, 19). Certains ont déjà compris l’essentiel : c’est la veuve du Temple (Lc 21, 1-4). Certains riches clarifient leurs relations financières avec les autres : c’est Zachée (Lc 19, 1-10). Mais certains nantis ne peuvent pas franchir le pas : c’est le notable riche (Lc 18, 18-30). Certains ont horreur du gaspillage d’argent : c’est Simon qui déplore le parfum versé sur Jésus par la pécheresse (Lc 7, 36-50). Le chapitre trois nous met face à nos contradictions. L’argent produit des effets sur nos vies et change nos relations aussi bien avec Dieu qu’avec autrui. La gestion des biens qui nous sont confiés, aussi bien par le roi qui part en voyage (Lc 19, 11-28) que par un père qui partage son héritage (Lc 15, 11-32), la façon de payer nos impôts (Lc 20, 20-26) ou de nous dépêtrer de mauvais choix financiers (Lc 16, 1-13) révèlent nos incohérences internes. Enfin il est question dans le dernier chapitre de gratuité totale. La parabole du Samaritain l’illustre tout d’abord : elle émane de notre liberté intérieure (Lc 10, 25-37). Voyons-nous les pauvres autour de nous (Lc 14, 7-14) ? Alors que Judas l’a trahi pour de l’argent (Lc 22, 1-6), Jésus sur la croix manifeste le don total de Dieu, en pardonnant à ses bourreaux et en offrant le salut au bandit crucifié avec lui (Lc 23, 33-43). Les méditations nourrissantes du prêtre d’origine suisse Maurice Zendel (1897-1975) introduisent chaque chapitre. Elles présentent un Dieu qui se dépouille et qui ne retient rien par amour pour nous. Des exercices de réflexion pour notre propre cheminement sont également proposés au long de l’ouvrage.

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I DU DÉSIR DE CONSTRUIRE SA VIE SUR LE ROC DU CHRIST Dieu est Dieu parce qu’il n’a rien, Il est tout en être, tout en valeur, parce qu’il n’a rien, parce qu’il ne peut rien avoir, parce qu’il ne peut rien posséder, parce qu’il a tout perdu éternellement, parce qu’il est le dépouillement subsistant, infini, personnifié, éternel. C’est là ce que François a découvert, c’est là ce qu’il a vécu, ce qu’il nous a communiqué ou plutôt Dieu à travers lui. C’en est fini maintenant de ce Dieu propriétaire, de ce Dieu maître, de ce Dieu despote, de ce Dieu qui est assis sur ses trésors, qui les défend et qui ne veut pas lâcher la bride du pouvoir. C’est le contraire qui est vrai : Dieu a éternellement lâché la bride du pouvoir, il ne veut rien pouvoir, sinon donner. Il n’y a rien d’autre en lui que l’amour. Il ne peut nous toucher que par son amour, comme nous ne pouvons le rejoindre que par notre amour. C’est un Dieu inconnu, un Dieu inimaginable, un Dieu imprévu, un Dieu que les chrétiens n’ont pas encore commencé à reconnaître. Nous continuons à penser à Dieu comme on pouvait y penser avant Jésus Christ. On oublie qu’en Jésus Christ tout a été renouvelé, qu’au travers de l’humanité transparente de Jésus Christ, le vrai visage de Dieu s’est révélé, qui est le visage de la pauvreté, le visage de la fragilité. Car si Dieu est pauvre, il est fragile ; si Dieu est pauvre, il est désarmé, car il n’a rien pour le défendre, il n’est que son amour. Et il suffit de lui refuser le nôtre pour que rien ne se puisse accomplir. C’est ce que nous dit magnifiquement le prologue de saint Jean : « En lui est la lumière, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne la saisissent pas. Il est dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne le connaît pas. Il vient chez les siens et les siens ne le reçoivent pas. » Et que peut-il faire ? Il meurt. Il meurt pour tous ceux

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BIBLIOGRAPHIE Philippe Bacq, s.j., Luc, un évangile en pastorale, t. I, Lumen Vitae, 2009 ; t. II avec Odile Ribadeau Dumas, 2013. François Bovon, Luc le théologien, Labor et Fides, 2006. Raymond E. Brown, Lire les Évangiles au temps de l’Avent et à Noël, Cerf, 2008. Roselyne Dupont-Roc, Saint Luc, Éd. de l’Atelier, 2003. Claude Flipo, s.j., Hommes et femmes du Nouveau Testament. Cinquante portraits bibliques, Seuil, 2006. Augustin George, Pour lire l’Évangile selon saint Luc, Cahier Évangile no 5, Cerf, 2003. Roland Meynet, s.j., L’Évangile de Luc, Éd. Gabalda, 2011. Roland Meynet, s.j., Prière et filiation. Le témoignage de Luc, Facultés jésuites de Paris, 2011. José Antonio Pagola, Jésus, une approche historique, Cerf, 2012. Yves Saoût, Évangile de Jésus Christ selon saint Luc, Cahier Évangile no 137, Cerf, 2006. Nathalie Siffer et Denis Friscker, « Q » ou la source des paroles de Jésus, Cerf, 2010.

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AchevĂŠ dâ&#x20AC;&#x2122;imprimer

Écouter la Parole Bernard Pommereuil

L’argent, lieu de conversion Une lecture de l’Évangile selon saint Luc « On ne peut servir Dieu et l’argent. » « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » « Rendez à César ce qui est à César. » Ces versets de l’Évangile nous sont connus. Peut-être trop d’ailleurs, si bien que nous n’y prêtons plus attention… Quel rapport entretenons-nous vraiment avec l’argent ? Acceptons-nous de regarder lucidement nos attitudes face à nos possessions ? Nos biens ne constituent-ils pas un obstacle sur notre chemin à la suite du Christ ? Ne sommes-nous pas possédés par nos richesses ? Parmi les quatre évangélistes, saint Luc en particulier se montre sensible à la question de la richesse et de ses dérives. À partir de son expérience d’animation d’ateliers bibliques, Bernard Pommereuil scrute le troisième évangile et invite le lecteur à y découvrir un véritable appel à changer nos cœurs, en proposant que l’argent devienne, paradoxalement, un lieu pour notre conversion. Le parcours qu’il propose comprend quatre étapes : le point de départ est le désir de suivre Jésus. Il devient alors nécessaire de poser des choix de vie essentiels et de ne pas être dupes de nos contradictions internes, pour enfin cheminer vers la gratuité totale. Afin d’ancrer notre réflexion dans le concret, l’auteur nous interpelle au moyen de questions pertinentes au fil des textes commentés. Bernard Pommereuil, après des études d’éducateur spécialisé, a commencé sa carrière professionnelle dans un service de Protection de l’enfance. Il est devenu directeur de service, puis directeur général de l’association jusqu’à sa retraite en 2008. Il approfondit alors sa foi à l’Institut catholique de Paris, qui lui décerne le diplôme de licence de théologie en 2012. Après un passage dans la Communauté du Chemin Neuf, Bernard Pommereuil a rejoint la Communauté de Vie chrétienne en 2004. Au sein de sa paroisse, il conduit depuis six ans un atelier biblique en vue d’une approche pastorale des Évangiles pour aujourd’hui.

11,50 €

viechretienne.fr ISBN 978-2-900282-22-9

9 782900 282229