N° 6 •septembre-octobre 2017 • Bureau de dépôt : Namur 1 • N° d’agr. : P 301046
SENS & SPIRITUALITÉS
ivages
BIMESTRIEL
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Découvrir
Rébecca 18
Temps de rencontre et de spiritualité 8
Comme d’habitude ? Peu-être pas… 22
Visite à Fisenne 14
Une parabole bouddhiste 10
Les « dys… » 27
ivages | n° 6 | septembre-octobre 2017 Éditeur responsable : Xavier Cornet d’Elzius, 7 rue Blondeau, 5000 Namur • Rédactrice en chef : Pascale Otten • Secrétaire de rédaction : Stéphane Dupuis • Comité de rédaction : Alain Arnould, Christian Deduytschaever, Charles Delhez, Stéphane Dupuis, André Füzfa, José Gérard, Vanessa Greindl, Jean-François Grégoire, Marie-Raphaël de Hemptinne, Armel Job, Hugues d’Oroc, Simon Malotaux, Samira Mhanzez Serghini, Constance Proux, Guy Ruelle, Jacques Scheuer, Luc Templier, Myriam Tonus, André Wénin, Lambert Wers, • Maquette et mise en page : Véronique Lux • Abonnements : Nicolas Tonus, 7, rue Blondeau, 5000 Namur, info@editionsjesuites. com, 081 22 15 51 • Prix abonnement Belgique 1 an, 6 numéros : 24,50 EUR (36,00 EUR pour l’étranger) ; abonnement 2 ans, 12 numéros : 45,00 EUR (68,00 EUR pour l’étranger) ; abonnement de soutien : 40,00 EUR ; à partir de 10 abonnements groupés à la même adresse : 21,50 EUR par abonnement (33,00 EUR pour l’étranger) • Prix au numéro : 5,00 EUR • BE64 0688 9989 0952, IBAN GKCCBEBB – Paraît tous les deux mois • ISSN 2506-9829 • Rivages est une publication des Éditions jésuites • www.rivages.be Crédits photographiques : © Pixabay, couverture, p. 2 (enfant), p. 26 – © Aurore Dupuis p. 2 et 9 – © Govert Flinck, Rijksmuseum p. 2 et 19 – © Silvana Panciera p. 7 – © Léon Spilliaert p. 12 – © Constance Proux p. 2, 14-15 – © Museo Nacional de Antropologia, Mexico p. 17 – © Fotolia, Art Photo Picture p. 22-23, Tanja p. 25, Whitehoune p. 28, Sablin p. 24-28 – © Xavière Remacle p. 25 – 2 Salvia p. 25 – © David Henquinet p. 32 © Gilles
Éditorial
Sommaire
Découvrir est un mot plein de sens ! Il nous entraîne tantôt à trouver un trésor, tantôt à révéler ce qui Pascale Otten était secret, caché ou encore à voir, apercevoir ce qui paraît lointain. Pour Sartre, la réalité humaine est dévoilante : « À chacun de nos actes, le monde nous révèle un visage neuf1. » Autrefois, les Européens découvrirent la civilisation des Mayas. Ce peuple voyait dans la plante de maïs, si nourrissante, une association avec la création de l’homme. Celui-ci serait créé à base de maïs. De plus, le maïs portant en lui son germe, il symbolisait pour eux la renaissance possible. La compréhension de cette civilisation ancienne très développée enrichit notre vision de la pensée créative de l’humain face à sa propre destinée. En Inde, depuis des millénaires, la philosophie a développé une compréhension du corps comme une expérience intérieure, le corps et l’esprit comme une réalité continue. La pensée occidentale, par contre, est fortement structurée par la distinction corpsesprit. Entreprendrons-nous une démarche vers une compréhension profonde pour découvrir, à travers le miroir de l’Inde, quelles sont nos propres conceptions2 ? Je ne puis découvrir vraiment que si je suis prêt, dépouillé de mes certitudes. « J’essaie dans ma vie et dans ma pensée de me tenir dans ce questionnement : un projet sans programme, un état de surprise permanente face aux phénomènes, aux discours, au sens et au non-sens, qui me libèrent de ce qui a eu lieu ainsi que de mes jugements antérieurs et qui m’incitent à une sorte de dépassement. Je vis avec ce désir de sortir de moi3. » Peut-être un savoir-être à cultiver pour aujourd’hui. Voir la beauté du quotidien, se réaliser en habitant pleinement l’ici et maintenant, faire vivre une pédagogie du provisoire sont autant de démarches pleines d’humilité face à la tentation de se replier sur ce que l’on connaît. Se dé-couvrir est un mouvement nécessaire pour accueillir ce qui sommeille en nous… Ce dévoilement de nous-même possible si la confiance existe.
Rencontrer
1. Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, 1969. 2. Cf. journée d’études « Corps et esprit dans la philosophie de l’Inde », 25/11/2013, Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. 3. Julia Kristeva, Le monde des livres, 17/11/2005, interviewée par Roger-Pol Droit.
• Habiter l’ici et maintenant. Voyage intérieur avec le yoga ................................... 4 Propos de Silvana Panciera recueillis par Maxime Bollen
• Un temps de rencontre et de spiritualité. Des jeunes au Kula Yoga Festival ........................ 8 Aurore Dupuis
• La diversité authentique de la vie. Visite à Fisenne ....................................................................... 14 Propos de Valentine d’Ursel recueillis par Constance Proux et Simon Malotaux
• Amour-Amitié .......................................................................... 28 Regards croisés entre Jean-François Grégoire et Vanessa Greindl
Contempler • Trouver Dieu en soi. « J’ai tardé à t’aimer », de saint Augustin ................................. 13 Guy Ruelle
• Un visage d’homme au temps des Mayas . 16 Pascale Eyben
• Rébecca .......................................................................................... 18 André Wénin
• Découvrir. Se découvrir ................................................. 20 Luc Templier
Vivre • Toujours Sans Mépris. Une parabole bouddhiste ............................................ 10 Jacques Scheuer • La porte étroite ....................................................................... 12 Armel Job • Comme d’habitude ? Peut-être pas… ............. 22 Myriam Tonus • La compréhension des autres m’a fait grandir ....................................................................... 24 Témoignage de Maxence de Callataÿ • Les « dys…», compétences et aménagements ............................................................... 25 Propos de Xavière Remacle recueillis par Pascale Otten
• Il faut tout un village pour élever un enfant ....................................................................................... 27 José Gérard
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Habiter l’ici et maintenant Propos recueillis par Maxime Bollen
Découvrir le yoga comme voyage intérieur, voilà ce que nous explique Silvana Panciera, auteure de Que penser de… ? Le yoga, paru aux Éditions Fidélité en 2016. S. Panciera a étudié la sociologie à l’Université catholique de Louvain et a ensuite obtenu un doctorat auprès de l’École pratique des hautes études de Paris. Elle a reçu en 1995 le prix Femme d’Europe pour la Belgique. Depuis, elle collabore au Centre européen de rencontre et de ressourcement (Gargnano, Italie).
Maxime Bollen termine un master en « Sciences et métiers du livre » à l'UCL et, parallèlement à cette formation, suit des cours de théologie pour réfléchir une pratique pastorale déjà bien ancrée. Kedara Ragini, Fifth Wife of Shri Raga.
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RENCONTRER | interview
Dans votre ouvrage, vous écrivez : « Le monde du yoga est comme la caverne d’Ali Baba. » Elle est pleine de trésors, mais il faut en connaître le mot de passe. Quel serait le mot de passe qui permettrait à vos lecteurs de commencer à s’approcher de ces trésors ? Pour rencontrer les trésors du yoga, il faut le rencontrer dans la plénitude de ce qu’il est. Il s’agit donc de reconnaître la caverne où les trésors cachés seront petit à petit dévoilés grâce à une pratique assidue et confiante. Le mot de passe est donc le nom de l’enseignant(e) qui nous fera cheminer sur la voie du yoga. Mais pour bien reconnaître et choisir l’enseignant(e), il faut avoir la carte du chemin à parcourir. Donc, avec un peu d’humour, je pourrais aussi ajouter que mon petit livre est le manuel pour trouver le mot de passe. Vous prenez soin, dès les premières pages, de préciser ce que le yoga n’est pas : avez-vous l’impression qu’il circule pas mal de malentendus à propos du yoga ? À quoi pensez-vous surtout ? Plus que des malentendus, il me semble que ce qui circule à propos du yoga est constitué d’images réductrices. On assimile le yoga à une gymnastique douce pour soigner le mal de dos, à un antistress de détente après des journées frénétiques, à un antidote à l’usure due à l’âge et aux raidissements… Oui, bien sûr, le yoga est tout cela, mais pas que cela et surtout pas principalement cela. C’est ainsi que le premier chapitre du livre Que penser de… ? Le yoga fait les mises au point nécessaires pour redonner au yoga la place d’honneur qui lui revient. Il n’est pas un sport, il est plus qu’une thérapie et il n’est pas un antidote illusoire à nos peurs égotiques : le yoga est une voie de « réalisation ». En Inde, le yoga royal (Râja-yoga, également appelé Ashtânga yoga, le yoga qui comporte huit membres) est en effet l’un des six chemins de réalisation reconnus par l’orthodoxie hindouiste. Réalisation de la libération qui va nous
permettre, en sortant de l’ignorance existentielle du « qui suis-je », d’arrêter les causes de la souffrance. Voulez-vous nous dire quelque chose de votre itinéraire personnel ? Comment avez-vous découvert le yoga ? Quels sont les groupes ou les maîtres qui vous ont aidée à le pratiquer, à le comprendre… et maintenant à avoir envie d’en parler ? J’ai rencontré le vrai yoga en 1992, après une courte expérience préalable de yoga gymnastique. Je m’en suis approchée pour une raison spirituelle. Je cherchais une voie qui permette d’associer positivement le corps à la quête spirituelle. Je cherchais à remplacer l’image du corps perçu comme un traître dont il faut se méfier (car synonyme de tentation, de péché, de dérive), pour y trouver, à l’inverse, un allié. Je ne pouvais pas me résigner à l’idée que le Bon Dieu nous avait donné un corps rien que pour nous piéger. Mon mot de passe a été : Frans De Greef, mon seul maître de yoga, de 1992 à 1999. Le yoga tel qu’enseigné par Frans De Greef (élève d’André Van Lysebeth, mais aussi de Jean Déchanet, par le biais d’André Roquoy, et amoureux d’Henri Le Saux) me donnait un accès privilégié pour ramener le corps, le souffle, l’énergie à cette merveilleuse expérience d’unification de tout ce que, chacun de nous, nous sommes. Mon départ de Belgique en 1999 m’a obligée à me prendre en charge de manière autonome, ainsi qu’à assurer mon autoformation, à travers des lectures et de courtes sessions, mais toujours en liaison, bien qu’à distance, avec Frans et cela jusqu’au moment de sa mort corporelle en 2013. Petit à petit, j’ai mûri sur le chemin et il me semble qu’aujourd’hui « je vis en yoga », car le yoga n’est pas uniquement confiné au seul moment de ma pratique quotidienne, mais il est une manière de vivre. Depuis une dizaine d’années, j’ai franchi un palier en acceptant, tous les jeudis des mois de juillet et d’août, d’animer des séances de Hatha-yoga en préparation à la lectio divina (la lecture méditative de la Bible) dans le cadre des « Jeudis en monastère », une initiative de la pastorale du
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prétend que « le temps, c’est de l’argent », je pense moi que l’amour, sans se confondre avec le temps, peut compter sur lui pour se renforcer. Jusqu’à parvenir, qui sait, à le dépasser !... Je pense à cette question cruciale, radicale de l’écrivain André Dhôtel, qui me plonge dans des abîmes de méditation : « Comment se fait-il que l’histoire de notre amour soit plus longue que notre vie ? » L’amour se nourrit de temps, même de longueur de temps, parfois, non pour se fondre dans la routine, mais pour s’en servir de tremplin et sauter « ailleurs ». P. Montaigne disait en parlant de l’expérience d’une relation amicale, amoureuse : « Le sujet devient luimême auprès de l’autre, même après sa mort. » V. G. : Une relation amoureuse est porteuse quand l’autre est sujet et non objet. P. Ne devient-on pas sujet que grâce à l’autre ? V. G. : On ne peut advenir à soi-même sans un adulte qui fait passer du statut d’objet (du désir de l’autre) au sujet (de son propre désir). J.-F. G. : Dans le rituel du mariage chrétien, il est question que les mariés disent une formule du genre : « Je me donne à toi », qui n’a rien à voir avec un éventuel « je te prends ». V. G. : Et on ajoute : « Je te reçois. » J.-F. G. : C’est un rapport non marchand ! Aimer, alors, c’est donner, donner de soi, donner le meilleur de soi. C’est, comme Jésus lavant les pieds de ses disciples, se mettre au service de celui qu’on aime, l’accueillir, lui faciliter la vie. C’est simple, pratique ou pragmatique, mais c’est vrai ! Par ailleurs, on pourrait dire que dans l’amour à la mode évangélique la part du désintéressement (autrement dit : la volonté de se mettre à l’écart pour faire place à l’autre) est énorme, démesurée par rapport à « ce-qu’on-pourrait-attendre-pour-soi » (c’est-à-dire ce qu’il serait légitime de chercher pour soi). Mais aimer, c’est aussi, bien sûr, accepter — de bon cœur — ce qu’on m’offre. Parfois, je me dis que la part réservée à l’art de recevoir inhérente à la démarche amoureuse est trop faiblement soulignée dans le christianisme. Elle est pourtant si importante, déterminante même.
La juste solitude V. G. : Il me semble que pour parler d’amour et d’amitié, il importe également d’évoquer la question de la juste solitude — lien paradoxal peut-être —, mais il me semble que cette solitude assumée permette un amour plus libre. J.-F. G. : Le christ s’en va seul dans le désert pour prier et cela lui permet d’affronter la suite de sa journée, de garder le cap. Peut-être que la solitude (celle, positive, dont on parle maintenant ; pas celle, subie, qui vous isole) est un des ingrédients principaux de l’amour de soi… Il faut (se) recueillir pour (se) donner. Sans ce moment de recueillement, que pourra-t-on rayonner, partager — sinon sa fatigue, qui n’est pas rien, bien sûr, mais qui risque d’ajouter à la fatigue de ceux qui voudraient en sortir grâce à vous ! En en parlant avec vous, je me dis que la solitude qu’appréciait le Christ ressemble à la pierre d’attente d’un réseau fabuleux censé susciter une vraie communauté d’amis. Le temps d’arrêt, de prise de distance avant de se faire proches, comme on disait tout à l’heure. V. G. : Pouvoir être seul permet de garder le lien avec soi-même. D. Winnicott, ce pédiatre et psychanalyste anglais du siècle précédent évoquait la capacité d'être seul, comme une grande force qui se construit. P. Le christ pourrait-il être comme une figure de solitude ? À certains moments, il semble ne pas avoir besoin d’être reconnu. J.-F. G. : Oui, je pense qu’il n’a pas peur de la solitude, parce qu’elle est habitée — par Dieu, par son Père, par son tout-proche. Quand on se laisse habiter par autre chose ou par quelqu’un d’autre (Dieu ?) que ce qui procure du souci, qu’on s’offre le temps de se centrer sur ce qui nous est essentiel, des formes de présence autre, différente viennent renourrir notre source, renforcer notre centre de gravité. V. G. : La conviction d’être aimé de Dieu dont parle Jean-François me fait penser à la conviction d’être aimé de ses parents au sens de agapé, véritable trousseau du nouveau-né. Certains en sont cruellement privés et rencontrent néanmoins de belles personnes sur leur route. Être vigilant, ouvert aux événements réels, cela peut-il être une façon d’être mieux armé pour affronter une saine solitude ? ♦
n° 6 | septembre-octobre 2017 |
ivages 31
© Photo de David Henquinet
ivages
A toi dont la réalité Renouvelée Est celle de la lumière À travers laquelle Le monde prend conscience du monde (Edmond Jabès, Le livre des questions)
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