Rivages 7

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N° 7 • novembre-décembre 2017 • Bureau de dépôt : Namur 1 • N° d’agr. : P 301046

SENS & SPIRITUALITÉS

ivages BIMESTRIEL

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Traverser


La beauté contre la mort   24

Que peut-il encore pousser ?  4

Yin-yang  22

Vivre dans l'insécurité 26

Seule la foi envisage l'au-delà  20

Louer Dieu pour ne pas mourir  16

ivages | n° 7 | novembre-décembre 2017 Éditeur responsable : Xavier Cornet d’Elzius, 7 rue Blondeau, 5000 Namur • Rédactrice en chef : Pascale Otten • Comité de rédaction : Alain Arnould, Christian Deduytschaever, Charles Delhez, Stéphane Dupuis, André Füzfa, José Gérard, Vanessa Greindl, Jean-François Grégoire, Marie-Raphaël de Hemptinne, Armel Job, Hugues d’Oroc, Simon Malotaux, Samira Mhanzez Serghini, Constance Proux, Guy Ruelle, Jacques Scheuer, Luc Templier, Myriam Tonus, André Wénin, Lambert Wers, • Maquette et mise en page : Véronique Lux • Abonnements : 7, rue Blondeau, 5000 Namur, info@editionsjesuites.com, 081 22 15 51 • Prix abonnement Belgique 1 an, 6 numéros : 24,50 EUR (36,00 EUR pour l’étranger) ; abonnement 2 ans, 12 numéros : 45,00 EUR (68,00 EUR pour l’étranger) ; abonnement de soutien : 40,00 EUR ; à partir de 10 abonnements groupés à la même adresse : 21,50 EUR par abonnement (33,00 EUR pour l’étranger) • Prix au numéro : 5,00 EUR • BE64 0688 9989 0952, IBAN GKCCBEBB – Paraît tous les deux mois • ISSN 2506-9829 • Rivages est une publication des Éditions jésuites • www.rivages.be Crédits photographiques : © couverture : Flickr, Ophelia, Odile Redon ; © Flickr, p. 2 et 26 ; © Fotolia, p. 20-21 ; © Pixabay, p. 2-6-8 -13-16-17-18-19-24-25

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Éditorial Y a-t-il des traversées sans remous ? Embarqué ensemble dans ce voyage Pascale Otten qu’est la vie, chacun vit les étapes, les épreuves, les événements qui nous marquent et qui nous ouvrent à de nouveaux possibles. « Voici le paquebot ma vie renouvelée. Ses flammes sont immenses » dit le poète1. La mort des autres et de nous-mêmes est-elle alors une des étapes à vivre ? De nos jours, la mort est un tabou2. Le deuil est escamoté, la douleur refoulée, la souffrance cachée dans les hôpitaux aux portes de nos villes. Et si nous nous convertissions au réel ? Sans nier tout ce que nous avons à vivre ? Commençons ce voyage, cette réflexion avec l’explosion de couleur que nous propose le peintre symboliste Odilon Redon, quand il représente Ophélie qui se meurt comme une image pleine d’espoir. En effet le peintre, après avoir travaillé de nombreuses années en noir et blanc, intégrera progressivement la couleur dans ses œuvres à partir de 1890 suite au décès de son premier enfant et de la naissance de son second fils, pour en arriver à ces bouquets pleins de vie. Et si nous prenions ce précieux « temps de recul » sur la question de la mort ? Du temps des civilisations qui vivaient avec les dépouilles de leurs ancêtres, il n’y avait pas vraiment de rupture entre la vie et la mort. Dans son étude, Philippe Ariès y voit une « mort apprivoisée ». Ce n’est qu’au Moyen Âge que l’homme occidental prit conscience de son « moi ». La personnalisation sera progressive et ira vers une dramatisation. Ensuite, le deuil de l’autre deviendra lui aussi très difficile… pour arriver au xxe siècle à « la mort interdite ». Inconvenance de la mort, de la maladie, recherche de la performance, du « jeunisme » à tout prix… ne sontce justement pas là des symptômes d’une société qui a du mal à vivre ? Et si ces fantasmes d’immortalité et ce déni de mort au quotidien étaient comme un refoulement ? Il en résulte alors un mouvement de « retour en force » qui se traduit en art ou dans les médias par une exhibition de la mort. La plupart du temps, cette exhibition manque de mots. La communauté humaine est appelée à passer de cet état de « voir », de recevoir des images à celui de penser, dialoguer à ce sujet. Ce numéro de Rivages vous y invite.

Sommaire Rencontrer • Que peut-il encore pousser ? .................................. 4 Propos de Jacques Fierens recueillis par Charles Delhez

• La conversion au réel ...................................................... 7 Colette Nys-Mazure

• Comment penser la question de la mort ? ................................................................................. 29 Regards croisés entre Jean-François Grégoire et Vanessa Greindl

Contempler • « Il repose, il est bien » Le sommeil de Julien (poésie) ............................... 9 Guy Ruelle

• Quand la beauté rend le joug léger .................. 10 Alain Arnould

• La mort … vivre une vie riche… ..................................................... 14 Luc Templier

• Louer Dieu pour ne pas mourir

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Marie-Raphaël de Hemptinne

Vivre • Regard sur la Toussaint Une réflexion à travers l’histoire, les coutumes et les Écritures .................................. 12 Christian Deduytschaever • « Vers Lui est le retour. » La mort selon selon de Coran .............................. 18 Jacques Scheuer • Seule la foi envisage l’au-delà ............................... 20 Hicham Abdel Gawad • Yin-yang ......................................................................................... 22 Propos d’Edmond Tang recueillis par Pascale Otten

• La Beauté contre la mort ............................................ 24 Myriam Tonus • Vivre dans l’insécurité .................................................... 26 José Gérard • Plus fort que la mort ....................................................... 28 Armel Job

1.  Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913, p. 91 2.  Philippe Aries, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, du Moyen Âge à nos jours, Seuil, 1975

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RENCONTRER | interview

Que peut-il encore pousser ? Propos recueillis par Charles Delhez

Au départ du terrible génocide au Rwanda, le professeur Jacques Fierens s’est interrogé sur ces situations d’extrême violence. De sa réflexion pourrait poindre une question : « Que peut-il encore pousser sur ces terres ravagées où la mort a été semée avec tant de cruauté ? » Tout doucement et avec un infini respect, un chemin de vie nouvelle peut parfois s’ouvrir, même quand le droit reste sans voix. Jacques Fierens, vous avez enseigné le droit humanitaire pénal qui cherche à empêcher et à réprimer les génocides et les crimes contre l’humanité. Comment, à partir de cette expérience, en venir à une méditation sur le pardon et sur la paternité ? En 1996, un fax aboutit sur mon bureau, émanant du recteur de l'Université nationale du Rwanda. Il cherchait un professeur de philosophie du droit au moment où l'université tentait de redémarrer après les terribles événements que ce pays a connus. C'est ainsi que j'ai découvert le

pays des Mille Collines et que je me suis retrouvé devant une cinquantaine d'étudiants dont certains avaient vécu le génocide comme victimes ou, probablement pour quelques-uns d'entre eux, comme auteurs. Nous avons d’abord réfléchi ensemble au rôle du droit et des tribunaux. Aristote avait déjà souligné que l’humanité de l’homme découle de sa possibilité de se mettre d’accord sur ce qui est juste et injuste, et les jugements participent de cet effort. Le droit est alors : donner à chacun ce qui lui revient. Toutefois, lors des campagnes d’extermination comme au Rwanda en 1994, des hommes

Jacques Fierens, docteur en droit, licencié en philosophie ; professeur extraordinaire à l'Université de Namur, professeur à l’Université de Liège et à l’Université catholique de Louvain ; avocat au barreau de Bruxelles.

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RENCONTRER | interview

sont capables d’actes proprement incroyables, que l’on ne peut croire, littéralement inouïs, dont on n’avait jamais entendu parler. Alors le droit, qui est parole, devient aphasique. Le mal est si profond qu’on ne peut rien en dire de vrai. Il ne reste que la question. Elle concerne non seulement les victimes directes, mais l’humanité tout entière. Elle essaie de s’en tirer en disant que les auteurs sont des monstres, alors que le problème est justement que ce sont des humains comme nous. Le droit se casse la figure face aux génocides et aux crimes contre l’humanité. Reste le pardon ? Nous avons discuté de pardon aussi avec les étudiants rwandais et je vous jure qu’on était loin d’un exercice de séminaire de philo. Je n’ai jamais autant surveillé mes mots. Le pardon est le contraire du droit, il n'est jamais juste, il n'est jamais proportionnel, il est toujours un excès. Rendre à chacun son dû ? Mais comment oser dire que le pardon est dû après ce qu’il s’est passé ? Le pardon est, tout au contraire, renoncer à ce qui est dû, renoncer à la justice et renoncer au droit. Tout pardon est irrationnel, donc un scandale, une folie. Devant tant de limitation et de maladresses du droit face au silence des crimes contre l’humanité et des génocides, parler de réconciliation et de pardon est désespéré. Alors vous avez parlé ensemble de Dieu-père ? Non, avec les étudiants, nous ne sommes pas allés plus loin. Je ne donnais pas cours de religion, et je devais respecter ceux qui n’étaient pas chrétiens. Mais depuis vingt ans, chaque fois que je médite sur le droit comme source de justice, je me souviens des visages fermés de mes apprentis philosophes-juristes. J’ai acquis une conviction : la parole de Dieu, depuis Jésus de Nazareth, n’est plus « du droit ». Le péché n’est pas le non-respect du précepte légal, mais distanciation, rupture de la relation. Le pardon devient inversement la volonté éventuelle de se rapprocher, de renouer le lien après les errements de la liberté. C’est ce qui apparaît dans la parabole si mal nommée de cet enfant prodigue qui était parfaitement dans son droit au regard de la loi juive, lorsqu’il a demandé

Dépression de Pierre Defoux

sa part d’héritage et qu’il est parti. La parabole nous donne la clé de compréhension d’une relation qui n’est pas celle du juge ou du tribunal avec le délinquant, qui est même tout le contraire. Cette clé est la figure du père. Le Père n’a pas protégé les victimes des génocides… La paternité renvoie bien sûr à la sollicitude, à la tendresse qu'un père éprouve et qu'il manifeste à l’égard de ses enfants. Elle rappelle le père nourricier qui pourvoit au pain de chaque jour. Elle évoque aussi la force du chef de famille et la protection qu'il doit aux siens. Elle renvoie à l'autorité de celui qui éduque, punit et récompense le cas échéant. Elle évoque la responsabilité de décider pour ceux qui sont trop faibles ou encore trop jeunes pour choisir seuls leurs orientations de vie. Mais la bonté venue d'en haut, la force, l'instance nourricière et économique, l'autorité et la tutelle risquent d'être encore trop proches de la relation légale et juridique. Je cherche à deviner l'intime de la relation de paternité et de filiation, donc de l’amour et du pardon, non dans la force du père, mais dans sa faiblesse, dans son impuissance

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RENCONTRER | regards croisés

(qui elle aussi est au service d’une juste et bonne distance, encore elle) s’accompagne d’une tristesse, d’un deuil pour l’enfant et souvent aussi pour les parents. Chacun perd quelque chose. C’est la perte de la relation fusionnelle, qui aura à être traversée à un moment ou à un autre. Si l’adulte dispose d’une parole face à ce qui se franchit là, si l’un et l’autre parviennent à « penser la petit mort », l’on peut rêver que l’un et l’autre pourront aussi gagner dans leur existence en autonomie, en vivacité. J.-F. G. : Ce que tu dis là, Vanessa, me fait penser à l’épisode de l’évangile où, après avoir été pris pour un jardinier, Jésus intime à Marie-Madeleine de ne pas le toucher, autrement dit : de ne pas le retenir… On voudrait tant garder pour soi celui qui part, en faire une relique… En faire son deuil, ne serait-ce pas une expression fabuleuse de la foi ? Le laisser aller, même si l’on ne sait ni où, ni comment. Mais supposer ou suggérer une suite. V. G. : Actuellement, les moyens de communication maintiennent parfois un lien au-delà de la distance physique, ce qui peut freiner voire enrayer le processus en permettant, par la technique de retenir l’autre, précisément ! J.-F. G. : Le deuil, ça demande du temps. Si le deuil est une douleur, une blessure, il faut du temps pour que « ça » cicatrise – un temps pour se retaper en quelque sorte. Jadis, la société aidait les personnes endeuillées à trouver la sérénité nécessaire pour opérer ce travail : on arborait un brassard, on revêtait des vêtements sombres. Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour exprimer sa vulnérabilité. Il faut se remettre dans le coup tout de suite. Comment ne pas être rattrapé un jour ou l’autre par la tristesse qu’on a niée ?...

Sculpture La Vague de Camille Claudel, 1897.

V. G. : Accepter que cela se passe, accepter de traverser une période difficile, demande aussi de supporter le chagrin, la peine, plutôt que de la qualifier de maladie… J.-F. G. : De ce point de vue, l’expression « travail du deuil » est intéressante. Elle fait penser au « travail de l’accouchement » qui renvoie à l’idée d’un douloureux processus de perte à l’issue duquel quelque chose de neuf va naître. Comment faire pour, dans l’absence, ressusciter de la présence ? Comment parvenir à ne pas devoir me contenter de vivre à côté du vide, d’un gouffre ? V. G. : peut-être opérer ce travail qui consiste à border le vide précisément, on le sait là, mais notre tâche de symbolisation, de création, de parole permet de faire avec un certain vide, sans ni s’y fondre, ni s’en couper. Serait-ce alors que ce vide devient aussi créateur ?

Jean-François Grégoire : docteur en théologie et en philosophie et lettres, aumônier de prison et prêtre en paroisse, accompagnateur théologique de la pastorale scolaire et d'Entraide et Fraternité/Vivre Ensemble. Vanessa Greindl est psychanalyste, psychothérapeute ; elle reçoit enfants et adultes en consultation, donne de nombreuses formations et conférences et collabore depuis quelques années au Psychologie magazine dans lequel elle rédige le courrier des lecteurs. Elle est également cofondatrice d’Espace analytique de Belgique.

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Détail des Nymphéas de Claude Monet, 1915-1926

« Alors selon ses dires , tout devenait musique, un arbre, un tas de cailloux, les prairies de la plaine et surtout les couchers de soleil. » (André Dhôtel, Des trottoirs et des fleurs)

Prix TTC : 5,00 €


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