N° 9 • mars-avril 2018 • Bureau de dépôt : Namur 1 • N° d’agr. : P 301046
SENS & SPIRITUALITÉS
ivages BIMESTRIEL
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Grandir
Le portique du pur amour 18
Diminuer pour croître 22
Grandir en communication 20
Simplicité volontaire 4
Grandir, mais comment ? 29
Découvrir un artiste contemporain 14
ivages | n° 9 | mars-avril 2018 Éditeur responsable : Xavier Cornet d’Elzius, 7 rue Blondeau, 5000 Namur • Rédactrice en chef : Pascale Otten • Comité de rédaction : Alain Arnould, Christian Deduytschaever, Charles Delhez, André Füzfa, José Gérard, Vanessa Greindl, Jean-François Grégoire, Marie-Raphaël de Hemptinne, Armel Job, Hugues d’Oroc, Simon Malotaux, Samira Mhanzez Serghini, Constance Proux, Guy Ruelle, Jacques Scheuer, Luc Templier, Myriam Tonus, André Wénin • Maquette et mise en page : Véronique Lux • Abonnements : 7, rue Blondeau, 5000 Namur, info@editionsjesuites.com, 081 22 15 51 • Prix abonnement Belgique 1 an, 6 numéros : 24,50 EUR (36,00 EUR pour l’étranger) ; abonnement 2 ans, 12 numéros : 45,00 EUR (68,00 EUR pour l’étranger) ; abonnement de soutien : 40,00 EUR ; à partir de 10 abonnements groupés à la même adresse : 21,50 EUR par abonnement (33,00 EUR pour l’étranger) • Prix au numéro : 5,00 EUR • BE64 0688 9989 0952, IBAN GKCCBEBB – Paraît tous les deux mois • ISSN 2506-9829 • Rivages est une publication des Éditions jésuites • www.rivages.be Crédits photographiques : © Philippe Abril : couverture, © flickr pages 2, 5, 6, © Simon Malotaux pages 2, 14 et 15.
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Éditorial Est-il naturel de grandir ? Cela peut sembler inscrit dans la na- Pascale Otten ture, mais « ce n’est pas du tout quelque chose de naturel » dit Claude Halmos en citant Françoise Dolto1. « Cela se fait étape par étape, mais le passage d’une étape à l’autre n’est pas automatique. Il se fait à l’aide d’un parent ou d’un adulte. » Même dans l’observation de la nature cela ne va pas de soi : « Que serait notre rose sans taille ni engrais ? » Quand la rose est fleur, mais aussi métaphore de l’amitié ou de l’amour, la sagesse du Petit Prince2 nous rappelle que c’est aussi le temps que nous passons pour elle qui lui donne son importance. Ainsi, le petit d’homme ne survit que grâce à son entourage. Il est d’abord nourri, pris en charge, puis un cadre lui sera posé. De l’état de nature où il était à sa naissance, il est passé à celui d’un être culturel. Des rites de passage ont même été organisés pour les grandes étapes de sa vie. Ainsi notre vie « réelle », naturelle, physique devient presque « vie symbolique ». Une fois devenu grand, et en repensant à tous ses apprentissages, il se demandera : grandir, estce acquérir de la maitrise ou bien lâcher prise ? Une voix intérieure lui chuchote qu’il faudrait les deux. Sans cesse, il sera en tension, entre désir de s’agrandir et apaisement du dépouillement. Si l’économie proclame qu’il nous faut de la croissance, par contre, un petit colibri nous dit que « la croissance est un problème et pas une solution3 ». Mais vers où aller ? Il y a 250 ans, le philosophe nous disait déjà : « Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer. Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède4. » Alors comment grandir si ce n’est plus en taille ou en largeur ?, se demande l’homme adulte. Et si il se décidait à ouvrir son cœur et son esprit au renouveau ?
Sommaire Rencontrer • Vivre la simplicité volontaire ................................... 4 Propos d’Alain Adriaens recueillis par Pascale Otten
• Grandir en communication . ...................................... 20 Propos de Christian Bokiau recueillis par Pascale Otten
• Grandir ............................................................................................ 29 Regards croisés entre Jean-François Grégoire et Vanessa Greindl
Vivre • La Bulle d’Air ............................................................................ 8 Marie-Raphaël de Hemptine • Au Patro, on grandit ensemble ! .......................... 10 Propos de Sébastien recueillis par Myriam Tonus
• Le scoutisme. Devenir de magnifiques personnes .................................................................................... 11 Propos de Christelle Alexandre, Présidente des scouts, recueillis par Charles Delhez
• Ibn Paqûda : le portique du pur amour . ....... 18 Jacques Scheuer • Diminuer pour croître ..................................................... 22 Myriam Tonus • Enseigner la religion : entre infliger la vérité et grandir ensemble ................................. 24 Hicham Abdel Gawad • L’homme : un loup pour la femme ? ................. 26 José Gérard • Nostalgie de l’idéal ............................................................ 28 Armel Job
Contempler • Charles Van Lerberghe . ................................................ 7 Guy Ruelle
• Un passage par le désert ............................................ 12 1 Claude Halmos sur Psychologie.com, interview d’AnneLaure Vaineau. 2 Antoine de Saint Exupéry, Le Petit Prince, Paris, Gallimard, 1945. 3 Pierre Rabhi, fondateur du mouvement Colibri, YouTube, Actuwiki, 2012. 4 Jean-Jacques Rousseau, La nouvelle Héloïse, 1761.
Marie-Raphaël de Hemptine
• À la découverte d’un artiste contemporain : Lawrence Malstaff ................... 14 Simon Malotaux
• Grandir – S’élever ............................................................... 16 Luc Templier
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Vivre la simplicité volontaire Alain Adriaens Propos recueillis par Pascale Otten
Alain Adriaens est aujourd’hui « objecteur de croissance » après avoir été actif à en politique pendant 40 ans, dont député ECOLO. Il nous livre sa réflexion sur le monde d’aujourd’hui. Je constate que notre société est en difficulté : les gens sont mal dans leur peau et de plus l’équilibre des écosystèmes est menacé. La réponse des « objecteurs de croissance » à cette « obsession de croissance », qui devient dangereuse, est notamment la recherche d’une vie plus simple, plus frugale. Cela se marque par des actions politiques mais aussi des attitudes personnelles. La prise de conscience des dangers de la croissance à tout prix n’est pas généralisée : seuls 15 à 30 % de la population sont sensiblisés. « Malgré tout », comme dit Miguel Benasayag1, on agit. Cela ne va peut-être pas tout changer, mais « au moins moi » je ne participerai pas à cette croissance effrénée et je m’en sens mieux. Dans votre livre, « Un millénaire de simplicité volontaire », vous montrez que par le passé et dans les communautés, notamment religieuses, certains ont déjà choisi de vivre plus simplement. J’ai voulu rechercher, en Occident, les endroits, lieux, groupes, qui ont choisi la simplicité volon-
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taire durant le dernier millénaire. Je me suis limité, car, j’aurais pu aussi parler de l’Orient où les philosophies bouddhistes et autres en ont fait le centre de leur pensée. Certains lecteurs ont découvert que dans l’histoire d’Occident, il n’y avait donc pas que les rois, les guerres ! Suite à cette recherche, diriez-vous que cela correspond à une tendance naturelle de l’humain ? Il y a dans l’être humain, la quête de l’avoir, qui est nécessaire dans des temps de pauvreté subie, de manque : il est normal d’aspirer à une vie digne ! Une autre aspiration humaine est effectivement de se détacher de ce qui est matériel et rechercher un sens, une spiritualité que l’on ne trouve pas quand on est à la recherche de l’avoir. Ces deux tendances existent dans l’homme. En général, une minorité se tourne vers la recherche de sens, la majorité cherche à posséder. Ces deux manières de vivre sont parfois en conflit et cela peut créer de la violence, des massacres. Être centré sur l’« avoir » pourrait-il développer la dominance, la violence ? Si on parle du minimum pour avoir une vie digne, en effet, certains ne peuvent pas l’obtenir, car d’autres confisquent tous les biens. Gandhi disait : « Je vis simplement pour que les autres puissent simplement vivre. » Or, depuis quelques décennies, on constate que les richesses sont à nouveau concentrées chez quelques-uns. Une recherche d’Oxfam a montré que 8 personnes possédaient aujourd’hui autant que la moitié de l’humanité ! Tant de personnes qui vivent avec moins d’un dol-
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lar par mois c’est alors la misère absolue. C’est un déséquilibre inacceptable sur le plan de l’éthique sociale.
vivent en récupérant les déchets de la société de consommation, comme La Poudrière2 le fait, par exemple.
Quelles seraient des pistes d’évolution pour rétablir une éthique sociale ?
Certaines de ces idées passent dans la société.
À cause des mécanismes économiques, notamment celui du prêt à intérêt, la richesse se concentre peu à peu en quelques mains et la dette grandit chez les autres. En regardant les époques passées, on constate que les dettes étaient annulées à un certain moment pour éviter les conflits, du malheur pour tous.
Oui, le recyclage par exemple. En soi c’est une bonne chose. Quand les expériences alternatives sont bonnes, elles sont reprises par l’économie dominante, tant mieux ! Mais parfois la manière de le faire est l’accaparement par quelques-uns.
Comment améliorer les choses ? L’action politique est importante, mais semble aujourd’hui inefficace. Ce que l’on voit en conséquence, ce sont des attitudes de « retrait » de la société : vivre autrement en retrait. Les monastères avaient parfois ce style de vie, vivant en autonomie. Actuellement, on voit ce mouvement de la transition qui touche beaucoup de jeunes. C’est un mouvement divers, peu structuré, mais cela se multiplie. Cela montre un désaccord avec ce qui se passe. Historiquement on voit que cela va de pair avec une autonomie alimentaire. Certains
Votre formation de chimiste a-t-elle été importante dans votre cheminement ? J’ai travaillé comme biochimiste, mais la logique qui anime les entreprises ne m’a pas plu. J’ai découvert en Algérie l’écologie végétale, comme étudiant et enseignant et cela m’a amené au mouvement ECOLO pendant 40 ans. Actuellement, je retourne vers « la racine » que sont ces mouvements parallèles à la société, comme ces mouvements de transition. Mais je reste en contact avec la société, la politique. Depuis peu, je m’engage dans « les dialogues en humanité », commencés à Lyon, il y a une dizaine
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pour que la connaissance advienne — ou celle qui consiste à la considérer comme un disque dur sur lequel tout reste d’emblée à imprimer.
P Actuellement n’est-on pas dans une optique proche de la vision de Socrate ? Dans l’enseignement, des méthodes de pédagogie active ou « ateliers philo » partent un peu de ce principe. L’enseignant, un peu à l’image du philosophe, aide l’élève à « accoucher » de ce qu’il sait peut-être déjà au plus profond de lui. J.-F. : Ce qui ferait peut-être le trait d’union, c’est le questionnement. Questionner comme font les enfants, continuer d’être un questionneur permettra de grandir. Ce qui empêche de grandir, à mon sens, c’est la conviction qu’on est grand, une fois pour toutes. Alors que la définition de grandir, c’est « devenir grand ». Peut-être n’arrête-t-on jamais de grandir ? On évolue, on se perfectionne parce qu’on est perfectible, qu’on n’a pas fini de grandir. V. : Évoluer, un autre mot pour grandir ?
Grandir en être… J.-F. : C’est croître, et pas accroître. C’est prendre de la hauteur et pas augmenter son territoire. C’est en tout cas ainsi que je lis les paraboles du royaume dans l’évangile. Le royaume y est comparé à une plante qui croît plutôt qu’à un pays qui ferait la guerre à un autre pour augmenter sa surface, accroître son pouvoir ou son empire. Grandir, ce n’est pas tant agrandir ! V. : Cette remarque m’évoque l’épisode du riche à qui Jésus répond qu’il est plus facile pour un chameau de passer par le chat d’une aiguille que pour un riche d’entrer au Royaume de Dieu. Estce parce que le riche est installé, et qu’il a tout ? Du moins, il le croit et risque donc d’avoir du mal à évoluer. Peut-être est-ce celui pour qui le manque manque comme dirait Lacan ? Et pourtant, il doit bien ressentir en lui un tout petit bout de décomplétude puisqu’il s’adresse à Jésus. Demande-t-il de l’aide pour grandir, au joli sens du terme ? J.-F. : Pour moi, le riche, c’est celui qui a des réponses, comme tant de « grands » aux yeux des
enfants. Il a des certitudes qu’il ne veut pas remettre en jeu, en question. Par peur, peut-être… L’enfant invite à aller voir ailleurs, à prendre des risques qu’il ne calcule pas, à se montrer généreux. Au fond, c’est peut-être cela, « l’esprit d’enfance ».
P Trop de certitudes, d’acquis, vouloir que rien ne bouge serait alors contraire à la croissance, à la vie ? L’Immobilité serait plutôt du côté de la mort et le mouvement de la vie. J.-F. : En revanche, « grandir », c’est : questionner, réfléchir, chercher, chercher à comprendre, se libérer des peurs qui nous courbent, évoluer, transmettre. Et aussi se mettre ensemble pour réaliser cette tâche, car il ne faudrait pas que MA croissance se paie au prix de TON abaissement, ou de ton humiliation ou encore de ton écrasement ! Comment grandir sans faire de l’ombre à l’autre ?.. Si je lis bien les évangiles, les lettres de Paul, du point de vue de Jésus, ce qui est petit au regard des hommes est grand aux yeux de Dieu et vice versa. La grandeur est une question de point de vue. Si ce qui est considéré comme grand, par exemple, c’est le sens du service, c’est le serviteur qu’on considérera comme grand, et pas tant le maître. La vraie grandeur est partie prenante d’une échelle des valeurs. À mon avis, Jésus n’a pas cessé de le vivre.
P Cela me fait penser à la question de la croissance sur le plan économique. Certains peuvent prendre toute la lumière, toutes les richesses. Il y a des mouvements, notamment en Europe, qui prônent plus de sobriété. J.-F. : Veut-on croitre en richesse ou en justice ? On peut alors envisager les choses autrement. V. : Grandir en avoir, en faire, en être ? En dedans ou en dehors ? J.-F. : Le pape Paul VI, dans l’encyclique « Popularum Progressio » dont on a fêté les cinquante ans l’an passé, parlait d’une justice et d’une paix qui ne pouvaient avoir à faire qu’avec le développement de tout humain et de tout l’homme. La formule est d’une portée fabuleuse… ♦
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« Avec l’avènement de l’homme nait un autre type de beauté qu’on peut qualifier de beauté du cœur ou de l’âme. » (François Cheng, Œil ouvert et cœur battant, 2016)
Prix TTC : 5,00 €
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