Première manifestation du style gothique en terre germanique, le chantier du bras sud du transept de la cathédrale de Strasbourg occasionne des travaux de sculpture remarquables dont témoignent les statues de l’Église, de la Synagogue et du Pilier des Anges. Strasbourg se trouve alors projeté au devant de la scène artistique à la fois par les commandes à ses ateliers et par l’influence des œuvres qui y sont produites. Le présent catalogue réunit les œuvres dispersées témoignant de cette révolution artistique et évoque les sources ainsi que le rayonnement de cet atelier exceptionnel. Il constitue ainsi la première étude d’ensemble sur l’art à Strasbourg dans les premières décennies du XIIIe siècle.
39 euros 9782351251379
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Strasbourg est au début du xiiie siècle le lieu d’une production artistique remarquable. Orfèvrerie, vitrail, sculpture et enluminure témoignent de la capacité et de la singularité des ateliers strasbourgeois, mais aussi de leur aptitude à accueillir les formes nouvelles. La construction du bras sud du transept de la cathédrale instaure le style gothique en terre germanique. Les sculptures produites à Strasbourg à l’occasion de ce chantier rivalisent avec celles des plus belles cathédrales françaises et constituent l’un des grands moments de l’histoire de l’art. L’architecte-sculpteur, probablement venu de Chartres avec quelques compagnons, change les plans des portails du transept sud en y introduisant un programme sculpté de grande ampleur. Le style des sculptures, marqué par l’influence antiquisante, est radicalement neuf.
La Synagogue et l’Église placées de part et d’autre des portails personnifient l’ancienne et la nouvelle Loi. À gauche, l’Église victorieuse et couronnée, tenant dans ses mains le calice et la bannière que surmonte la croix, considère avec assurance la Synagogue. Celle-ci, qui tient une lance brisée, détourne sa tête aux yeux bandés, expression de son incapacité à reconnaître le Christ dans la personne de Jésus. Elle paraît laisser tomber les tables de la Loi de Moïse, symbole de l’Ancien Testament dépassé. Mais l’extrême humanité et la beauté des traits de la jeune femme évoquent plutôt l’attente d’un dévoilement que la stigmatisation d’un aveuglement.
Cet ouvrage a été édité sous la direction de Jean Wirth et Cécile Dupeux, avec la collaboration scientifique de Sabine Bengel et les contributions de : S. B. : Sabine Bengel Da. B. : Damien Berné De. B. : Denise Borlée E. M. B. : Eva Maria Breisig J. D. : Jean Delivré C. D. : Cécile Dupeux B. G. : Barbara Gatineau D. G. : Daniel Grütter J. L. : Julien Louis B. M. : Bernhard Metz J.-Ph. M. : Jean-Philippe Meyer D. P. : Daniel Parello M. C. S. : Marc Carel Schurr L. T. A. : Laurence Terrier Aliferis J. W. : Jean Wirth A. W. : Andrea Worm Traductions de l’allemand par : J.-L. M. : Jean-Léon Muller A. V.-W. : Aude Virey-Wallon
eSSaiS 34 � CataLogue 168 � bibLiograPhie 310
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Ci-contre
Christ du tympan du Couronnement de la Vierge (détail), portail du bras sud du transept, vers 1220, Strasbourg, cathédrale. Photographie, première moitié du xxe siècle page 37
Jeune homme au cadran solaire et chien, contrefort ouest de la façade sud du transept, vers 1225-1230, Strasbourg, cathédrale. Photographie, années 1970
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Une révolution artistique Jean Wirth
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Strasbourg dans la première moitié du xiiie siècle Bernhard Metz
68
Nouvelles données sur le transept de la cathédrale de Strasbourg et sa datation Jean-Philippe Meyer
82
Le décor sculpté des parties orientales de la cathédrale de Strasbourg. Du roman rhénan au gothique français Sabine Bengel
102
Une rencontre interculturelle : les vitraux du transept de la cathédrale de Strasbourg, entre continuité et mutation Daniel Parello
112
Le style 1200 et ses sources antiques Laurence Terrier Aliferis
126
La question des liens entre Strasbourg et la Bourgogne dans la statuaire des débuts du xiiie siècle Denise Borlée
136
La reconstruction de l’église Saint-Thomas dans la première moitié du xiiie siècle Marc Carel Schurr
146
Les sculptures du transept sud de la cathédrale de Strasbourg : une étude matérielle de l’Église, de la Synagogue et du pilier des Anges Jean Delivré
160
Observations sur les marques de tailleurs de pierre Sabine Bengel, Jean Delivré et Jean Wirth
37
54
Grâce à son enceinte romaine, Strasbourg est devenu, au plus tard au vie siècle, siège épiscopal, ce qui lui a permis, au haut Moyen Âge, de ne pas perdre entièrement son caractère urbain. Jusque dans la seconde moitié du e siècle, Strasbourg était même la seule ville d’Alsace — une ville assez modeste, cependant, si on la compare par exemple à Metz ou à Mayence. Ce n’était ni une commune, ni une grande place commerciale. Son enceinte romaine était toujours entretenue, mais, si une nouvelle fortification lui fut ajoutée au viiie ou au xie siècle, celle-ci n’était sans doute pas en maçonnerie. La ville était dotée d’une très grande cathédrale, mais pas d’un groupe cathédral ; elle avait trois chapitres séculiers, mais aucune abbaye bénédictine. Dans la seconde moitié du e siècle, on croit percevoir un frémissement, dont témoigne notamment le début de la reconstruction de la cathédrale. Mais c’est après 1200 que Strasbourg prend vraiment son essor, acquérant son autonomie communale, s’entourant d’une enceinte de cent hectares, accueillant une multitude de nouveaux couvents, multipliant les grands chantiers. C’est de cet essor qu’il va être question ici.
Strasbourg dans la première moitié du xiiie siècle Bernhard Metz
Fig. 1
Porte dite « de Spire », reconstitution de l’état du xviie siècle par Emile Schweitzer, dessin à l’encre et à la gouache, vers 1893, Strasbourg, cabinet des Estampes et des Dessins, inv. 77.985.0.24
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55
fig. 1
64
En dehors de cette nouvelle muraille subsistent des faubourgs, habités notamment par les maraîchers, et en partie entourés d’enceintes de bois et de terre. Le faubourg SainteAurélie en avait une avant 1261, le faubourg de Pierre sans doute aussi avant 1278, et la Krutenau peut-être à la même époque 70. Les couvents de Sainte-Élisabeth, Saint-Marc et Sainte-Agnès, en avant de l’enceinte de la rive droite, et celui des Pénitentes, au Waseneck (vers l’actuelle place de la République), étaient sans doute environnés de maisons plus ou moins éparses 71. La cathédrale, chantier de l’évêque auquel s’identifient aussi les bourgeois, et l’enceinte, chantier commun de l’évêque et des bourgeois, sont les plus grands de la ville. Qu’en est-il de la Pfalz, siège du pouvoir épiscopal, mais où se réunit aussi le Conseil des bourgeois 72 ? Ce très ancien palais, avec ses annexes — cuisines, écuries, chapelle Saint-Ulrich, cour domaniale de l’évêque —, occupe tout le côté sud de l’actuelle place du Château. L’évêque y réside effectivement, y rend la justice, y émet des chartes, y accueille parfois le souverain 73. D’après le premier statut municipal, c’est aussi là que l’avoué doit rendre la haute justice et que le Burggraf juge les manquements des artisans 74. Et après 1200, c’est là que se réunit le Conseil, jusqu’à la construction en 1321 d’un hôtel de ville, qui portera longtemps le nom singulier de Pfalz (« palais »), en souvenir du lieu où le Conseil siégeait auparavant. Toutefois, on n’a pas connaissance de travaux effectués à l’époque qui nous intéresse au palais épiscopal. Le haut lieu du commerce strasbourgeois est l’axe allant du pont du Corbeau à la porte des Bœufs 75 (Rintbùrgetor, plus tard Pfennigturm, à l’angle des rues des Grandes-Arcades et de la Mésange). Il faut se le représenter beaucoup plus large qu’aujourd’hui. En effet, les maisons comprises entre les rues du Vieux-Marché-aux-Poissons d’une part, de l’Écurie et de l’Épine d’autre part, et entre celles des Grandes-Arcades et du Vieux-Marché-aux-Grains, occupent sans doute l’emplacement d’anciens étals peu à peu devenus boutiques, puis habitations. Il est difficile de dire à quel point de cette évolution on en était au xiiie siècle, mais la large rue ou la longue place des marchés, juste en avant du front ouest de
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l’enceinte romaine, étaient sûrement encore reconnaissable. Du sud au nord, on y trouvait d’abord la boucherie et les étals des bouchers 76, puis ceux des pêcheurs et — entre les deux — les marchands de fourrage et l’atelier monétaire 77. Puis venaient, sur l’actuelle place Gutenberg, l’église Saint-Martin et son cimetière ; c’est en raison de son site en plein marché qu’elle est considérée comme l’église des marchands 78. Plus loin, le marché aux grains attesté au xive siècle existe sûrement déjà, non loin de la halle des pelletiers, citée avant 1228 79. C’est au milieu de tout cela qu’il faut imaginer les étals où se vendent toutes les autres marchandises, si ce n’est que les plus encombrantes ont des emplacements à part : le vin en tonneaux, on l’a vu, sur les bateaux qui l’ont amené, ou devant la cathédrale ; le bois sur la rive de l’Ill, près de l’actuelle Grande Boucherie ; le bétail au « marché aux chevaux 80 » (place Broglie). Une ville médiévale a besoin d’hôpitaux, moins pour soigner les malades que pour accueillir ceux qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins et n’ont pas de famille sur place pour les prendre en charge : vieillards, infirmes, accidentés, malades, orphelins, etc. L’hôpital de Strasbourg a été construit au début du xiie siècle contre l’enceinte romaine 81 ; la rue du Vieil-Hôpital en garde le souvenir. Il avait dès le xiie siècle une chapelle Saint-Léonard et un cimetière 82. Dès 1225, ses responsables étaient des membres du Conseil et ses occupants (parmi lesquels déjà des prébendiers sains ?) formaient une confrérie 83. Un hôpital bien plus modeste a été fondé en 1182 près du pont de Saint-Arbogast 84. Une léproserie est attestée depuis 1234, voire 1225, sans doute dès cette époque à Rotenkirche 85 (actuel cimetière Sainte-Hélène). Un autre hôpital spécialisé est peutêtre aussi ancien, celui des Antonins dans la rue de l’Arc-enCiel, réservé aux ergotiques et aux gangréneux 86.
Conclusion Dans la première moitié du xiii e siècle, les sources sont encore très clairsemées ; de ce fait, bien des aspects de l’histoire de Strasbourg nous échappent — notamment le chiffre de sa population et les données de base de son éco-
Strasbourg dans la première moitié du xiii e siècle
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Bischof Bis (Porte (P
Saint-Pierre-le-Vie Saint-PierreBischofsbürgetor (Porte de Spire)
Zolltor Zolltor
Couvent Sainte-Madeleine
Saint-Michel Saint-Michel
Cimetière Juif Poterne de Schiltigheim
Bischofsbürgetor (Porte de Spire) Saint-Pierre-le-Vieux
Sainte-Aurélie Sainte-Aurélie
Burgtor (Porte Saint-Pierre-le-Jeune)
Porte des Juifs
Saint-Pierre-le-Jeune
Zolltor Couvent de lade Trinité Couvent la Trinité
Saint-Michel Poterne de Saint-André Saint-André Bischofsbürgetor (Porte de Spire)
Steinbürgetor
(Porte de Pierre) Sainte-Aurélie
Saint-Barthélémy Saint-Pierre-le-Vieux Franciscains Zolltor
Obers
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e ass ) erg me nst Dô Mü e du (ru
Rintburgetor (Porte des Boeufs)
Saint-Michel
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Saint-Georges et Sainte-Madeleine
Zolltor
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stras se (G Moulin dit r
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Porte Saint-Étienne
Couvent de la Trinité Couvent Saint-Nicolas-aux-Ondes
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Sainte-Aurélie
Sainte-Aurélie
PontsPonts Couverts Couverts
Poterne des Pierres
Ponts Couverts
Cathédrale Hôpital Saint-Léonard
Saint-Martin Moulin dit Spitzmühle
Couvent de la Trinité
Pfalz (Palais épiscopal)
Moulin dit Spitzmühle
Saint-Ulrich Monnaie épiscopale
Ponts Couverts
Porte de Vellemann
Couvent de la Trinité
Saint-Thomas
Saint-Nicolas im Giessen
Ponts Couverts
ILL
Pont du Corbeau
Couvent Sainte-Catherine
ILL
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Porte des Bouchers
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Poterne de
Porte dite Bündetor
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fig. 5
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Sainte-Aurélie
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Couvent de la Trinité
FIG. 5
Plan de la ville de Strasbourg dans le premier tiers du xiiie siècle (conception et graphisme : Bernhard Metz et Romuald Maurel)
S
S
(Porte de Pierre)
Rintburgetor (Porte des Boeufs)
Couvent Saint-Marc
Saint-Georges Porte et Sainte-Madeleine
Pfalz (Palais épiscopa
Saint-Ulrich Monnaie épiscopale
Ponts Couverts
1re et 2e enceinte 3e enceinte du XIIIe siècle
Saint-Thomas
Chapelle
Pont du Corbeau
Voirie
Couvent Saint-Nicolas im Giessen
Fossé Marché Tours, portes et poternes présumées Édifice civil Dominicains
Saint-Nicolas
Poterne de Saint-Marc
Porte Sainte-Élisabeth Porte dite Bündetor
Place Marais
Porte de Vellemann
Église
Pont ILL
Hôpital Saint-Léonard
Porte des Boucher
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traces de couleur trouvées dans la moulure principale du socle — rouge sur blanc —, sous le départ des colonnes et des colonnettes, laissent à penser que tout ou partie de l’architecture du pilier a été peinte, sans que nous puissions déterminer à quelle époque. Le travail de finition de la pierre révèle une volonté d’élaboration de la forme sculptée, mais en rien une préparation en vue de la pose ultérieure d’une couche picturale qui révélerait une éventuelle coordination entre les différents corps de métier. La couleur a été posée sur toutes sortes de surfaces, des plus simplement ébauchées comme les cercueils des élus ou l’architecture du dais surmontant le Christ, aux plus finies comme les visages. Il serait surprenant que la première couche de polychromie ait été posée directement sur la pierre brute, non préparée par un produit quelconque. L’analyse n’a pas révélé de couche préparatoire possédant une épaisseur, de type bouche-pores. Nous avons par contre observé une différence d’aspect très nette à la frontière des zones peintes et non peintes, comme sur la bordure des ailes. La pierre brute est mate et claire, celle qui aurait été préparée est plus foncée et moins mate, ce qui pourrait correspondre à l’application d’un produit liquide consolidant, non chargé en pigment. Les couleurs auraient alors été appliquées sur une surface irrégulière à l’échelle macroscopique mais uniformément préparée pour empêcher la pénétration des couches colorées dans la pierre et améliorer leur adhérence. Nous pouvons nous référer aux couches huileuses d’imperméabilisation que l’on observe sur des panneaux peints. En revanche, sous les zones de dorure, nous avons trouvé une couche relativement sombre, qui doit correspondre à des restes de mixtion. Interprétée par l’analyste comme faisant partie de la deuxième polychromie, la dorure du groupe du Christ et des nimbes nous paraît plutôt faire partie de la première, donc de l’originale 18.
Une petite partie des surfaces est recouverte par une dorure, vraisemblablement à l’huile — elle est en tout cas insensible à l’eau : la feuille d’or est posée sur une mixtion ocre à base de plomb et de cuivre siccatifs, très fine, à peine décelable à l’observation sous loupe binoculaire. Les surfaces concernées sont très localisées : le groupe du Christ, quelques plats des dais qui le surmontent, le disque central des nimbes. Il n’est plus possible de repérer le format des feuilles d’or, ni leur recouvrement. De même, nous ne pouvons dire s’il était nuancé par des glacis. Enfin, l’analyse nous a appris la présence de feuilles d’argent invisibles à la loupe sur les rémiges des ailes des anges. La gamme chromatique est très réduite. Hormis les carnations et l’aspect multicolore du Christ (fig. 8) et de son dais, où l’or et le rouge dominent, les couleurs importantes sont le blanc sur les vêtements des anges, et celles des vêtements des évangélistes : bleu-vert pour Luc, blanc pour Jean. D’autres couleurs sont utilisées localement : noir, brun, vert, rouge vermillon, mais uniquement sur les décors des ailes et des nimbes, ainsi que sur le dais surmontant le Christ. Le seul bleu certain est l’iris des yeux des anges, de saint Jean et de saint Matthieu (fig. 1, 4 et 5), visible à la loupe, proche visuellement du bleu de l’iris de l’Église. Formé d’assez gros grains, il fait songer à de l’outremer. Un bleu différent a servi à former une ligne horizontale de 4 cm de large, à la frontière entre le dais du premier niveau et les bases du deuxième niveau. Appliqué en une seule couche, il apparaît directement sur la pierre. De grains assez fins, très homogène, il tire légèrement sur le vert — couleur qui ne semble pas être le résultat d’une altération. Le rouge est très présent sur le groupe du Christ et sur certaines zones d’architecture. De grains moyennement grossiers, il semble avoir été appliqué directement sur la pierre (fig. 6 et 7). Le gris-vert des cheveux de Luc appartiendrait à la deuxième polychromie — la première étant de couleur beige —, ce qui serait très surprenant pour un apôtre. Il est assez épais ; sa couleur est en deux couches, avec une sous-couche rouge.
Fig. 4
Visage de l’ange de la console de l’évangéliste saint Matthieu, Pilier des Anges de la cathédrale de Strasbourg
fig. 4
155
fig. 5
Fig. 5
Œil senestre de l’ange de la console de l’évangéliste saint Matthieu, Pilier des Anges de la cathédrale de Strasbourg
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Les sculptures du transept sud de la cathédrale de Strasbourg
170
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Une ville en expansion
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La cathédrale en chantier
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Les arts en Alsace
208
Le changement stylistique
222
Le rôle des sceaux
230
L’arrivée du maître du transept sud
242
la Statuaire du croisillon sud
280
Autres travaux à Strasbourg
282
La question bourguignonne
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le Rayonnement régional
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La fin de l’atelier et les nouveaux courants
308
Les suites dans l’empire germanique
Ci-contre
Tympan de la Dormition, détail : femme accroupie devant le lit de la Vierge (Marie-Madeleine ?), portail gauche du bras sud du transept, vers 1220, Strasbourg, cathédrale
171
230
Portail sud du transept de la cathédrale de Strasbourg Strasbourg, 1617 Gravure sur cuivre d’Isaac Brunn H. 22,7 cm ; L. 27,7 cm Strasbourg, musée de l’Œuvre Notre-Dame, inv. D.22.995.0.5
Cette gravure d’Isaac Brunn fut publiée en 1617 dans le Summum Argentoratensium Templum d’Oseas Schadeus, premier guide de la cathédrale de Strasbourg. Il s’agit du plus ancien et précieux document qui témoigne du décor original du double portail du transept sud. En effet, une importante partie de la statuaire médiévale ornant ce portail a disparu à la Révolution. Seules l’Église et la Synagogue ont pu être déposées et mises à l’abri des actes de vandalisme par le maire Jean Hermann parce qu’elles étaient des statues rapportées et non intégrées à l’architecture. Les deux tympans de la Dormition de la Vierge et de son Couronnement auraient été recouverts de planches de bois. Les deux linteaux en dessous des tympans ayant été martelés, ils ont été reconstitués par le sculpteur Étienne Malade en 1811. Sur le trumeau central, le buste du Christ et le Salomon trônant ont été refaits par le sculpteur Jean Vallastre en 1828. Enfin, les douze apôtres – statues-colonnes qui ornaient les ébrasements des portails – ont été décapités et certainement bûchés, ce qui explique qu’ils aient été remplacés par de simples colonnes au début du xixe siècle. On explique difficilement pourquoi les statues en pied des apôtres ont été alors détruites – statues dont seules six têtes ont été retrouvées. Elles avaient encore été conçues sous forme de statues-colonnes reposant sur un double chapiteau en calice. Placés à la hauteur de l’Église et de la Synagogue, les douze apôtres étaient légèrement plus petits que celles-ci. Même si chacun d’entre eux tient un attribut différent, seuls deux
1 — Stuttgart, Graphische Sammlung,
inv. C 119 et C 120. 2 — Voir traduction p. 256 du présent catalogue.
catalogue
sont clairement identifiables : saint Jacques, première statue à l’extérieur de l’ébrasement droit du portail de droite, et saint Pierre, première statue à l’intérieur de l’ébrasement gauche du portail de droite, tenant la clé. Sur le portail de gauche, deux apôtres sont imberbes, alors que seul saint Jean l’est, selon la tradition. La tête juvénile retrouvée dans une collection privée (cat. 43) correspondrait à l’un de ces deux apôtres. Cinquante ans plus tard, Jean-Jacques Arhardt a, à son tour, dessiné les portails et la façade du transept sud 1, et les a fait graver (cat. 34). Mais ces œuvres sont bien moins précises que la gravure de Brunn, sur laquelle sont également reportées des inscriptions. Sur le portail de droite, on peut lire l’inscription du phylactère de l’apôtre au centre de l’ébrasement gauche : « GRATIA DIVINAE PIETATIS ADESTO SAVINAE DE PETRA DURA PER QUAM SUM FACTA FIGURA » (« Que la grâce de la miséricorde divine assiste Sabine qui, de roche dure, m’a transformé en statue »). Cette inscription, aujourd’hui perdue, serait la preuve de l’aide financière apportée à la construction de la nouvelle cathédrale par une donatrice. À l’intérieur des baldaquins surmontant l’Église et la Synagogue sont respectivement déchiffrables les phrases suivantes : « mit xus [Christus] blut uberwind ich dich » et « dasselbig blut erblendet mich » 2. Ces dernières datent vraisemblablement de l’époque de la Réforme. Elles nous renseignent sur la signification des deux statues, symboles de la Nouvelle et de l’Ancienne Alliance. B. G.
Cat. exp., Berne-Strasbourg, 2000-2001, p. 393, nº 220 ; Meyer, 2010, p. 136 et ss. ; Bengel, 2011, p. 86-91, 199-202.
L’arrivée du maître du transept sud
Cat.  33
Cat. 50
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Figures du Pilier des Anges Strasbourg, cathédrale, bras sud du transept, vers 1225 Statues-colonnes (évangélistes et sculptures du 3E niveau) et ronde-bosse (anges du 2E niveau) ; grès, importantes traces de polychromie H. du pilier jusqu’au niveau des chapiteaux : 18,80 m Douze moulages en plâtre présentés dans l’exposition, Strasbourg, Fondation de l’Œuvre Notre-Dame, inv. 7260D, 7261D, 7263D, 7259A (anges du 2E niveau) ; 602, 603, 604, 605C (évangélistes) ; 7258C, 7262A, 7265, 7264 (Christ et anges du 3E niveau)
Le pilier situé au milieu du bras sud du transept montre, contrairement à la colonne massive du bras nord (érigée quelques années auparavant), un important programme sculpté, qui lui vaut son nom de « pilier du Jugement dernier », ou « Pilier des Anges ». Le pilier (y compris ses sculptures) a été exécuté par l’atelier extrêmement novateur qui achève vers 1230 le bras sud du transept et le décor sculpté du portail sud du transept. On lui doit aussi le décor sculpté du portail sud ainsi que la chapelle Saint-Jean avec la salle capitulaire.
1 — L’effet de perspective du pilier a été pris
en compte. La hauteur des consoles augmente en fonction du niveau : de 35 cm au premier niveau, on passe à 50 cm au 2e niveau, puis à 75 cm au dernier niveau. Ainsi, depuis le sol, elles paraissent toutes avoir la même taille. Sur la technique de construction, voir Meyer, 2010, p. 158 ; Bengel, 2011, p. 77. 2 — Voir Bengel, 2011, p. 107-110 ; Meyer, 2010, p. 153-162. 3 — Voir la contribution de Jean Delivré, p. 146 du présent catalogue. 4 — Ce geste peut sembler un peu maladroit mais les dimensions du bloc de grès ont sans doute été une contrainte pour le sculpteur. 5 — Le Jugement dernier est l’un des thèmes principaux des portails : ainsi à Saint-Denis (avant 1140), à Chartres, au portail central sud (vers 1210), à Reims, au portail nord (vers 1220), ou à Amiens, au portail central (vers 1220-1230).
catalogue
Le pilier est composé d’un noyau octogonal, entouré de quatre colonnettes de grand diamètre et de quatre colonnettes plus légères. Dans le prolongement des colonnettes, douze grandes sculptures se dressent sur trois niveaux, soutenues par des consoles et couronnées de dais 1. Malgré la perte de plusieurs éléments, le pilier est dans un bon état de conservation 2. Il n’a pas subi de grandes restaurations mais sa polychromie d’origine a été ravivée au cours du Moyen Âge 3. L’iconographie du pilier est celle du Jugement dernier selon saint Matthieu (Mt 24, 30-31) : « Alors paraîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; alors aussi toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel avec puissance et beaucoup de gloire. Il enverra ses anges avec la grande trompette, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, d’un bout à l’autre des cieux. » Les quatre évangélistes (H. 2,00 m) sont des statues-colonnes, taillées dans le même bloc de pierre que la colonne où ils s’adossent. En entrant par le portail, on aperçoit saint Matthieu et saint Luc, de l’autre côté, saint Jean et saint Marc, identifiables grâce à leurs attributs, l’ange (Matthieu), le taureau (Luc), l’aigle (Jean) et le lion (Marc), visibles sur les consoles. Ils tiennent tous des phylactères dont les textes ne sont plus lisibles. Pieds nus, ils portent des vêtements à l’antique (robe et manteau) aux plis fins et souples, et sont nimbés. Au deuxième niveau, quatre anges ailés aux pieds nus (H. 1,90 m) s’apprêtent à sonner les trompettes du Jugement dernier. Ils sont vêtus du costume liturgique des diacres : l’aube, une tunique longue de couleur blanche, avec par-dessus la dalmatique et autour du cou l’amicte.
la Statuaire du croisillon sud
Au sommet, au troisième niveau, apparaît le Christ-Juge sur son trône, accompagné de trois anges portant les instruments de la Passion : l’ange à la gauche du Christ tenait la sainte lance (manquante) et probablement la fiole de vinaigre (également disparue). L’ange présentant la couronne d’épines est situé au revers du Christ. Il tient la couronne avec une main partiellement voilée en signe de respect pour l’objet sacré qui était hautement vénéré au Moyen Âge. Ces anges sont plus monumentaux (H. 2,20 m) et plus figés que les anges aux trompettes ; leur allure est plus majestueuse. Ils portent également le costume des diacres. La figure du Christ, seule sculpture du pilier entièrement peinte, regarde vers le chœur liturgique. Il est vêtu d’un manteau qui laisse apparaître sa poitrine et la plaie du côté, laquelle est accentuée par des couleurs vives imitant des traces de sang. Avec un regard doux et miséricordieux, il présente les stigmates sur ses mains 4. À ses pieds, un groupe de trois ressuscités sortent de leurs tombeaux. L’impressionnante articulation des éléments porteurs de l’architecture et des figures fait du Pilier des Anges un des exemples les plus remarquables d’une architecture de sculpteur, qui, venant ici de Chartres, s’est diffusée vers l’est au xiiie siècle sous l’influence prédominante de Reims. La composition d’un Jugement dernier autour d’une colonne est unique en son genre. On n’en trouve pas d’équivalent, ni avant, ni après. Traditionnellement, il figure sur les tympans des cathédrales romanes ou gothiques 5. À Strasbourg, certains éléments de l’iconographie du Jugement dernier n’ont pas été retenus (la séparation des élus et des damnés par
Première manifestation du style gothique en terre germanique, le chantier du bras sud du transept de la cathédrale de Strasbourg occasionne des travaux de sculpture remarquables dont témoignent les statues de l’Église, de la Synagogue et du Pilier des Anges. Strasbourg se trouve alors projeté au devant de la scène artistique à la fois par les commandes à ses ateliers et par l’influence des œuvres qui y sont produites. Le présent catalogue réunit les œuvres dispersées témoignant de cette révolution artistique et évoque les sources ainsi que le rayonnement de cet atelier exceptionnel. Il constitue ainsi la première étude d’ensemble sur l’art à Strasbourg dans les premières décennies du XIIIe siècle.
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