Les Différents publics de Paris par Gustave Doré

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Philippe Kaenel

GUSTAVE DORÉ : POINT DE VUE SUR L’URBANITÉ PARISIENNE DANS LES ANNÉES 1850

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fig. 2 Gilbert Randon, Les Sophistications parisiennes dans Ces Chinois de Parisiens, Paris, Au bureau du Journal amusant, 1851, Bibliothèque des Musées de Strasbourg.

fig. 1 Gustave Doré, 1840 – Règne de la grande Chaumière, de Mogador et de Pomaré dans Folies gauloises depuis les Romains jusqu’à nos jours, album de mœurs et de costumes, 1852, Bibliothèque des Musées de Strasbourg.


Dans le même esprit, abandonnant les scènes multiples organisant les récits graphiques, Doré vient d’exécuter un album de vingt pages intitulé Folies gauloises depuis les Romains jusqu’à nos jours, album de mœurs et de costumes (1852) (fig. 1).

Les Différents Publics de Paris

En parallèle, il a dessiné environ deux cent trente sujets à l’attention du Journal pour rire qui, à partir de 1851, porte comme sous-titre : Journal d’images, journal comique, critique, satirique et moqueur — toujours dirigé par Philipon et édité par la Maison Aubert, et vendu 45 centimes. Les illustrations de Doré et de dessinateurs du journal comme Charles Vernier ou Edmond Morin sont également réunies dans d’autres supports. Ainsi, en 1851, Aubert publie-t-il Ces Chinois de Parisiens, un grand album in-folio oblong formé de cinquante-six planches et deux cent vingt-deux gravures sur bois, dont quarante-six de Doré. Il s’agit en fait du premier rouleau des papiers peints comiques, disponibles sur fond bleu, vert, rose, jaune et blanc, dont le numéro du 29 août 1851 fait la publicité : « Ces papiers contiennent un nombre infini de dessins non politiques par les dessinateurs du Journal pour rire (et plus tard du Journal amusant) ». Ils étaient encore proposés en 1862, preuve de leur succès. Rares sont toutefois ceux qui ont survécu2 (fig. 2).

Gustave Doré

Lorsque Gustave Doré (1832-1883) publie Les Différents Publics de Paris pour le compte du Journal amusant en 18561, sa carrière est en passe de vivre l’un de ses nombreux tournants. Installé dans la capitale avec sa mère depuis quelques années, il est aux yeux des Parisiens le jeune et prolifique artiste qui a fait ses débuts chez Charles Philipon (1800-1862) et son beau-frère, Gabriel Aubert, les cofondateurs en 1829 de « La Maison Aubert », galerie Véro-Dodat. Entre-temps, leur Maison est devenue un haut lieu de l’édition de lithographies et de journaux illustrés célèbres comme La Caricature, Le Charivari, puis Le Journal pour rire, un hebdomadaire lancé en 1848 auquel Doré contribue aussitôt. C’est pour ce tandem que le dessinateur strasbourgeois a lithographié à seize ans son premier album (Les Travaux d’Hercule) et dessiné nombre de vignettes et de pages illustrées dans Le Journal pour rire. Doré est également l’auteur de deux autres albums inspirés par le modèle des « histoires en estampes » du Genevois Rodolphe Töpffer (1799-1846), relayé dans la capitale française par Cham, alias le vicomte Amédée de Noé. Tandis que Les Travaux d’Hercule (1847) proposait dans un format oblong, dit « à l’italienne », une suite de planches parodiant les hauts faits du héros mythologique, les Des-agréments d’un voyage d’agrément (vingt-quatre pages) et Trois artistes incompris et mécontens (vingt-cinq pages) font en 1851 l’un le récit graphique des aventures d’un bourgeois dans les Alpes, et l’autre de l’itinérance d’un peintre, d’un musicien et d’un dramaturge, trois bohémiens en vadrouille, puis installés dans une ville de province. Entre-temps, en 1848, il a publié, toujours chez Aubert, sept planches intitulées L’Homéo-pathos et les homéopathes.

1 La plupart des ouvrages consacrés à Gustave Doré datent l’album de 1854. Or, il a été publié au « bureau du Journal amusant », créé en 1856. Il est inscrit à cette date dans la Bibliographie de la France. Des extraits sont ensuite publiés dans le Journal amusant d’avril 1857, puis dans Musée français-anglais de juin 1857. Je remercie Dan Malan pour cette confirmation. 2 Ils étaient notamment présentés dans la rétrospective du musée d’Orsay à Paris et du musée des Beaux-Arts d’Ottawa : Gustave Doré (1832-1883). L’Imaginaire au pouvoir, sous la direction de Philippe Kaenel, Paris, Flammarion, 2014. Sur l’œuvre graphique, voir Henri Leblanc, Catalogue de l’œuvre complet de Gustave Doré. Illustrations, peintures, dessins, sculptures, eaux-fortes, lithographies ; avec un portrait et 29 illustrations documentaires, Paris, Bosse, 1931, p. 350-351. Sur Doré : Blanchard Jerrold, Life of Gustave Doré, Londres, Allen, 1891 ; Blanche Roosevelt, La Vie et les œuvres de Gustave Doré, d’après les souvenirs de sa famille, de ses amis et de l’auteur, Blanche Roosevelt, Paris, Librairie illustrée, 1887 [traduction de Life and Reminiscences of Gustave Doré [...], New York, Cassel and Co, 1885] ; Gustave Doré 18321883, catalogue d’exposition, Strasbourg, musée d’Art moderne et Cabinet des estampes, 1983 ; Annie Renonciat, La Vie et l’œuvre de Gustave Doré, Paris, ACR Édition, Bibliothèque des arts, 1983 ; Philippe Kaenel, Le Métier d’illustrateur 18301880. Rodolphe Töpffer, J.-J. Grandville, Gustave Doré, Genève, Droz, 2005. Sur le dessinateur de presse, voir  Gustave Doré: Twelve Comic Strips, introduced and translated by David Kunzle, University Press of Mississippi, 2015.

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Le peuple parisien du milieu du xixe siècle est avide de divertissement : spectacle en plein air, cirque, opéra, amphithéâtre, bibliothèque ou défilé rassemblent des foules disparates de flâneurs et de curieux. On verra dans ce panorama des différents lieux de sociabilité de la capitale, que Gustave Doré croque avec délice, que c’est le public lui-même qui constitue le plus amusant des spectacles.

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