Vie chrétienne Nouvelle revue
C h e r c h e u r s
d e
D i e u
•
P r é s e n t s
a u
M o n d e
B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 1 2 – j uillet 2 0 1 1
Se décider en politique Quand je n'ai pas le temps
L'aventure conjugale
Sommaire
éditorial l'air du temps ~ Paul Valadier
3 4
chercher et trouver dieu
L'aventure conjugale
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Dominique Léonard Rédactrice en chef : Florence Leroy Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Marie Emmanuel Crahay Yves de Gentil-Baichis Dominique Hiesse Paul Legavre sj Barbara Strobel Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Marie-Denise Cuny Noëlle Hiesse Catherine Mercadier Béatrice Mercier Armelle Moulin Administration : Martine Louf Conception graphique : Raphaël Cuvelier Un coin de ciel bleu Photo de couverture : © Jean-Michel Mazerolle / CIRIC Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
Témoignages Le défi de la durée Yves de Gentil-Baichis Une parole de bénédiction et de vie Paul Legavre L’accompagnement de l’Église Claire Le Poulichet Le babillard se former La méditation Claude Flipo Jeune Volontaire International Les Actes des Apôtres. 2 Envoyer - être envoyé Odile Flichy La tentation sous couleur de bien Jacques Fédry Accueillir un accompagnateur… Marie-Élise Courmont ensemble faire communauté Un trésor à partager Alain Thomasset, Catherine Dorlacq Pentecôte à Biviers Adieu à Pierre de Vogüé La CVX au Liban Claire Lesegretain Billet Pourquoi j’y crois encore… Pascal Gauderon prier dans l'instant Quand je n’ai pas de temps Charles Mercier
ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette 75011 Paris 2 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
6
8 12 14 16 19 20 22 24 27 30 32 34 35 36 39 40
Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l'objet d'un droit d'accès ou de rectification dans le cadre légal.
Éditorial
© iStock
Mystère joyeux
Le choix de la couverture de ce numéro n’a pas été facile : les uns trouvaient les sélections « trop ceci » ou « pas assez cela », témoignant ainsi de la complexité de notre monde. Aucun mot, aucune photo ne rendra complètement compte de ce que nous vivons ou de ce que nous sommes. L’autre est un mystère à mes yeux, non pas une image opaque à tout jamais inaccessible, ou au contraire transparente, totalement prévisible. L’autre est un mystère, et ce mystère est synonyme de liberté, d’espace, de mouvement. « Vous voyez quoi sur la couverture ? » Vous pouvez jouer au jeu du qui-voit-quoi, en famille, sur la route des vacances. Bonne route et belle aventure ! Florence LEROY
Juillet 2011
3
L'air du temps
Se décider en politique Les élections présidentielle et législatives de 2012 approchent. Sommes-nous conscients de la chance que nous avons de pouvoir voter librement ? Sur quels critères allons-nous fonder nos choix ?
L
La responsabilité des citoyens dans une démocratie est essentielle. Bien sûr on dit volontiers que le fait de jeter un bulletin dans l'urne à intervalles espacés ne constitue pas un engagement bien fort. Et pourtant ce geste décide de la nomination de nos responsables politiques à tous les niveaux ; il implique d'ailleurs qu'ensuite le citoyen reste vigilant.
L’absention, maladie de nos démocraties C'est d'ailleurs en vertu de cette responsabilité que la plus grande tentation tient dans l'abstentionnisme, véritable maladie de nos démocraties, malheureusement largement répandue, comme ne le cessent de le montrer les résultats des suffrages dans la plupart des pays démocratiques. Estimant son geste vain, l'abstentionniste est en réalité un déserteur, qui s'exile volontairement de la scène publique en se détournant de ses responsabilités. Or si la chose politique le laisse indifférent, la politique, elle, ne cessera pas de s'intéresser à lui, par le biais de la législation votée ou par le sort
fait au pays par le personnel politique. Il est trop facile de s'indigner de la lâcheté ou de l'incapacité du personnel politique quand on manifeste soi-même manque de courage et irresponsabilité. En ce sens personne, et un chrétien moins qu'un autre, ne peut se détourner de son rôle d'électeur à tous les niveaux de la vie sociale et politique (commune, département, région, Europe, Parlement, présidence de la République…). Voter certes, mais comment se repérer dans le maquis de la scène politique, nationale, européenne ou internationale ? Le simple citoyen peut légitimement s'avouer perdu sous le flot d'informations contradictoires, agressives, orientées, dont la masse, loin d'éclairer le jugement, égare sous une avalanche de données difficiles à hiérarchiser. De plus la polémique, l'agressivité, voire la haine dont font preuve nombre d'acteurs de cette scène n'encouragent pas non plus un discernement éclairé et pourraient même contribuer à alimenter la méfiance par rapport à un univers où les « ego » des uns et des autres semblent l'emporter
4 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
sur le souci de la chose publique et de l'avenir de la cité. Or derrière la corrida de ces polémiques, se joue le sort de tous. Si l'on perd la conscience de ces enjeux, alors la tentation est grande de déserter ce spectacle affligeant. Le citoyen doit pourtant éviter le purisme. Il doit savoir qu'aucun candidat ne sera parfaitement conforme à ses convictions personnelles, qu'aucun programme politique ne correspondra à ce qu'il souhaite. Le domaine du politique n'est pas le domaine de l'idéal, mais du possible. Il convient donc de rechercher toujours, sinon le moindre mal, du moins le meilleur possible. Ainsi parmi les choix proposés, il faut admettre qu'aucun ne sera sans doute pleinement satisfaisant, à moins de voter par idéologie, donc systématiquement pour un parti sans même réfléchir ou s'interroger. Même si se présentait un parti « catholique » ou « chrétien », il faudrait être en garde, car il proposera un programme précis qui ne sera certainement pas et ne pourra pas être un « décalque » de l'Évangile. Les propositions pourraient être bonnes, mais elles procéderont toujours de choix
L’homme idéal n’existe pas Il faut par conséquent choisir la personne ou le parti qui semble, tout bien jugé, apporter les meilleures chances pour l'avenir, pas le candidat idéal qui n'existe nulle part. Certes d'autres critères s'imposent au jugement. Un politique doit être capable de prendre des décisions devant les événements pas toujours prévus et prévisibles. En un sens s'il se fixe bien un programme d'action, il doit aussi et surtout savoir faire face à l'imprévu (crise financière, conflits internes, accidents naturels ou industriels, tentatives d'attaques terroristes, tensions internationales…). Celui pour qui je pense voter, en est-il capable, et l'un des signes de son aptitude tient dans le fait qu'il sait anticiper les choses, voir loin, se donner des objectifs viables pour la commune, la nation, l'Europe… Est-il un technocrate noyé dans ses chiffres, avec une solution adéquate pour tout, ou est-il une personne apte à voir la complexité des choses sans unilatéralisme ? Car l'homme politique est en charge aussi de l'avenir de notre société : ses discours sont-ils démagogiques, flatteurs envers une opinion à la vue basse, ou sont-ils porteurs de perspectives et d'anticipation, capables éventuellement d'aller à contre-courant ? Nulle part aujourd'hui un bon décideur ne peut s'abstenir de travailler avec d'autres, donc de consulter, de faire équipe, d'entendre les propo-
sitions de ses collaborateurs. Et ce principe est également vrai dans les responsabilités politiques. Tel candidat est-il personne à dynamiser une équipe ou se présentet-il comme celui qui domine tout et n'a besoin de personne ? Car s'il sait écouter, il saura aussi expliquer à ses mandants les raisons de ses décisions, en cas d'élection. Il suscitera ainsi la confiance dont l'absence est sans doute une des © Fred de Noyelle/Godong
qui seront discutables, donc relevant d'options diverses.
clés de la crise actuelle du politique. Il appellera la confiance de l'équipe qui l'aide ; il aidera ses mandants à lui faire confiance s'il est capable d'informer, d'éclairer, de rendre compte de ses actes, y compris de l'impossibilité où il est d'engager telle action qu'il avait pourtant promis de faire. En ce sens un candidat doit être crédible, car finalement qu'est-ce que voter sinon faire confiance à un élu pour prendre en charge une collectivité ?
Entendre et peser À ces critères de jugement très généraux peuvent s'en ajouter
de plus conjoncturels. Par exemple on peut estimer nécessaire le renouvellement d'élus déjà en place, ou trop longtemps installés aux mêmes postes ; même s'ils n'ont pas entièrement démérité, ne convient-il pas d'introduire un sang neuf, des personnes d'une autre génération avec des idées et des projets nouveaux ? Ici l'appréciation circonstanciée importe au plus haut point, car on peut aussi estimer que l'expérience acquise compte plus que des idées neuves, et l'on reconduira alors l'ancien élu. Tout dépend des lieux, des personnes, des problèmes à résoudre, de la conjoncture. En outre, il est des questions qui se posent à tous et sur lesquelles il faut entendre et peser les propositions des candidats ; en cette période de repli identitaire, comment le candidat voit-il l'avenir de l'Europe, de la France dans cette vaste construction ? quelle est sa position à l'égard de l'immigration et d'une politique d'intégration des étrangers, ou des personnes récemment arrivées sur le territoire ? par rapport à la pluralité de nos sociétés, quelle forme de laïcité revendique-t-il : une laïcité de peur et d'ignorance, de mépris des religions, ou une laïcité d'ouverture et d'accueil capable de ne pas minimiser l'apport des Églises et des religions ?
Paul Valadier, jésuite, est philosophe. La démocratie appelle des citoyens Il enseigne la philosophie responsables et conscients. Les morale et politique élections sont un de ces moments aux Facultés jésuites de Paris depuis 1970. où chacun est appelé à l'engage- Il est l’auteur entre autres ment, à un engagement qui va de Détresse du politique, force du religieux (Seuil) bien au-delà de nos personnes. et Du spirituel en politique Paul VALADIER sj (collection Christus – Bayard).
6
Juillet 2011
5
6 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
Chercher et trouver et trouver Dieu Dieu
L’aventure conjugale L’aventure, à la fois fait peur et attire. Celui qui ose partir à l’aventure a un vif désir et l’espérance que l’expérience apportera joies et découvertes. Il sait bien que tout n’est pas balisé et qu’il y a une part d’inconnu. Il s’attend à des surprises et des imprévus, mais il pense que cela vaut le coup. En cela, se lancer dans une vie à deux est une aventure. Faire alliance avec quelqu’un, pour avancer ensemble sur un chemin, inconnu, qui sera parsemé de joies et de difficultés est un peu fou. Qu’est-ce qui peut fonder cette alliance ? Quels écueils à éviter dans la durée ? Comment s’accompagner les uns les autres ? aider ceux qui sont meurtris par l’expérience ? Beaucoup de questions. C’est que l’enjeu est de taille. « Faire alliance » renvoie à l’histoire d’amour de Dieu avec l’humanité ; nous parle de son alliance inconditionnelle avec chacun, de son désir d’union intime avec nous et d’invitation à des noces éternelles.
© P. Deliss / Godong
Témoignages Une alliance, pas un contrat . . . . . . . . 8 Lorsque l’enfant paraît . . . . . . . . . . . . 9 Une crise dépassée . . . . . . . . . . . . . . 10 Quand l’autre me surprend encore . . 11 Contrechamp Le défi de la durée . . . . . . . . . . . . . 12
Marie-Élise COURMONT
Éclairage biblique Une parole de bénédiction et de vie . 14 Repères pastoraux L’accompagnement de l’Église . . . . . 16 Pour continuer la réflexion . 18
, Juillet 2011
7
Chercher et trouver Dieu
Une alliance, pas un contrat Mehdi est fils d’immigré, de mère française, non pratiquante. Il n’a jamais été touché par la religion de son père, musulman. Ses parents ont divorcé. Ève-Marie vient d’une famille catholique assez peu pratiquante, même si la foi était importante pour ses parents. Après un parcours ordinaire de catéchèse, elle s’est éloignée de la foi catholique.
N
© Patrice Thebault /CIRIC
Nous nous sommes rencontrés il y a sept ans, et nous avons vécu tout de suite ensemble. Nous vivions un amour très fort, avec le désir de tout partager. Nous nous sommes mariés six ans après. Nous avions déjà l’un et l’autre vécu avec d’autres ; nous étions sûrs de notre amour, mais désireux de prendre le temps nécessaire, nous voulions un cheminement minimum avant de nous engager et de nous unir totalement, devenir un, avec un noyau, un projet de vie. Le désir d’avoir ensemble un enfant a grandi comme une forme très importante d’engage-
ment l’un envers l’autre. Or nous avons rencontré des difficultés à avoir un enfant, et nous voulions pourtant nous engager, et ne pas vivre seulement une quotidienneté pas ancrée. Nous avons pensé au mariage civil, mais cela manquait de profondeur et de sens. Ce que nous voulions, ce n’était pas un contrat, mais une alliance. Que rien ne puisse nous séparer sur cette terre. Passer un contrat entre nous n’aurait pas été si loin de ce que nous vivions déjà. Cela n’avait pas la couleur et la profondeur d’un autre rapport au temps, quelque chose qui nous engage, comme dans une alliance. Mehdi voulait vivre une alliance éternelle. La préparation a été d’autant plus importante pour nous que Mehdi n’était pas catholique. Nous voulions nous marier devant Dieu, cela demandait de pouvoir en discuter avec d’autres, d'être rassurés. Le week-end de préparation a été très important, une superbe aventure avec, dans notre groupe de partage, quatre autres couples tous différents, très solides. Nous avons vraiment profité des rencontres avec le prêtre pour
8 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
échanger, nous projeter. Cela a été un temps de réflexion afin de nous accorder pour la suite. Nous avions beau vivre ensemble, cela nous a fait du bien de nous poser, de nous interroger ensemble avec une dimension spirituelle sur laquelle nous échangions assez peu au quotidien. Nous nous sommes mariés quelques mois après la naissance de Jules, qui a pu crier sa joie pendant toute la célébration… Pour Mehdi, ça a été un moment étrange, tant il se sentait à l’aise - sans doute parce qu’il avait toujours cru et qu’il était conforté dans son choix. Ève-Marie a repris pied dans l’Église catholique, même si elle a toujours des réticences à nommer Dieu. Nous sommes ressortis clarifiés, renforcés de la célébration, et de l’échange des consentements. Le mariage a été pour nous un moment de vérité, même si nous ne sommes pas retournés à l’église, sauf une fois, quatre ou cinq mois après, dans la petite église où nous nous étions mariés. Nous avions besoin de nous arrêter dans ce lieu mythique pour nous.
6
MEHDI et ÈVE-MARIE
Lorsque l’enfant paraît
© iStock
Pour un couple, l’arrivée d’un enfant vient changer la vie. Souvent au-delà de la fatigue et des tensions que cela occasionne, il y a la joie et cette responsabilité partagée qui renforce l’amour.
M
Magdalena et moi venons de fêter nos quatre ans de mariage dont presque trois passés avec un enfant ; le second est avec nous depuis un an et demi. Malgré l’immense bonheur et les joies partagées tous les quatre, nous sommes d’accord pour dire que nous avons bien fait de profiter ensemble de moments d’insouciance et de liberté.
ce socle, certaines épreuves, qui auraient pu altérer notre relation, paraissent finalement renforcer et solidifier notre union. La fatigue physique ou nerveuse (liée au fait que notre aîné ne fait ses nuits que depuis peu) crée des tensions au sein du couple que nous savons accepter et mieux appréhender au fil du temps.
Si l’arrivée d’un enfant est, pour la vie du couple, une révolution, à laquelle nous n’étions pas forcément préparés, notre chance est d’avoir pris le temps de nous connaître et de bâtir une véritable relation à deux avant d’accueillir cet enfant. Forts de
Mais l’arrivée d’un enfant, c’est aussi l’occasion pour chacun de découvrir de nouvelles facettes de l’autre, de nouvelles qualités telles que la tendresse, la patience, le service… On est ainsi encore un peu plus émerveillé par son conjoint quand il dévoile
ses talents de père ou de mère. Un enfant, c’est un nouveau projet commun qui anime et responsabilise le couple, qui donne l’occasion de donner de l’amour à deux en gardant à l’esprit que « l'amour est la seule chose que le partage grandit » comme l’a dit un écrivain africain. En écoutant la radio un matin, le journaliste commentait les résultats d’une étude selon laquelle le bonheur familial était le plus souvent atteint avec deux filles. En ce qui nous concerne, ce sont nos deux charmants garçons qui nous donnent ce bonheur !
6
MICHEL
Juillet 2011
9
Chercher et trouver Dieu
Une crise dépassée
Des événements peuvent venir bousculer l’équilibre du couple. Il a fallu du temps à Caroline, ainsi qu’un vif désir et une recherche dans la foi, pour que la vie ensemble puisse se reconstruire autrement.
J
J’ai été totalement délogée de cette place si naturelle, mère de ses enfants. La question du pardon est venue rapidement, comme une bouée à laquelle me raccrocher. Mais quel pardon ? Il me fallait entrer dans l’inconnu d’un pardon à demander, dont seul Dieu a le secret. C’était croire que dans le sacrement du mariage, un Autre était engagé, et que nous pouvions compter sur lui. Ce qui est né entre nous alors, c’est le désir que cet enfant ait un père qui l’aide à devenir un homme. Pour moi, ce désir a trouvé sa place dans la blessure causée dans mon enfance par la mort de mon père. La force m’a été donnée là et elle ne m’a pas manqué. Nous n’avions pas de modèle. Au long des années, en tâtonnant, nous avons cherché un mode de relations familiales adapté à chacun.
© Barbara Strobel
Je suis mariée et mère de quatre enfants. Il m’a fallu du temps pour trouver une certaine stabilité dans notre vie de couple. Après quinze ans de mariage, les choses me semblaient en place. Pourtant, la communication dans le couple n’était pas facile. Un jour, Stéphane m’a annoncé qu’il allait être père, un enfant allait naître d’une relation avec une autre femme.
Maxime avait cinq ans quand il est venu en vacances avec nous pour la première fois. J’avais très peur, peur de le rejeter physiquement. Il est arrivé, les yeux pleins des larmes d’avoir quitté sa maman, et du désir de la rencontre. La relation s’est tout de suite établie dans la douceur. Il a partagé la chambre de Michel qui avait neuf ans. Dans la pénombre de la chambre d’enfants, nous les avons entendus s’accorder sur ce nom de papa qu’ils partageaient. Par la suite, il y a eu des bagarres et des jalousies entre eux, et des réconciliations, ce qui fait la vie des enfants. Stéphane a versé une pension pour l’éducation de Maxime. La somme en a été établie avec un
10 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
juriste et cela n’a jamais mis en péril le budget familial. Pourtant, jusqu’aux dix-huit ans de Maxime, cela a été difficile pour moi et j’ai eu besoin de l’argent que je gagnais par mon travail pour mon propre équilibre. Nos enfants sont tous adultes maintenant. La relation entre eux cinq est vivante et j’en suis heureuse. Nous nous sommes retrouvés pour la fête de Pâques. Élisabeth, notre petite fille de sept ans, m’a dit : « Maxime, c’est pas ton fils ? Alors là, il y a quelque chose qui cloche ! »
6
Elle nous invite à dire à nouveau les mots du pardon reçu et de la vie donnée en abondance. CAROLINE
Quand l’autre me surprend encore
Au bout d’un certain nombre d’années ensemble, peut-on échapper à la routine ? Agnès et Luc sont mariés depuis bientôt vingt-cinq ans ; ils ont quatre enfants de onze à vingt ans. Ils parlent de changements, de vie à inventer, de complicité et d’étonnement.
Comme dans toute vie de couple, de famille, il y a déjà eu plusieurs étapes. À chaque fois, elles créent du neuf, obligent à s’adapter, à inventer. En ce moment, avec nos ados, il faut faire preuve d’imagination et nous nous surprenons mutuellement dans les moyens utilisés pour communiquer avec eux !
Dieu nous parle, à quoi nous nous sentons respectivement appelés par Dieu, quel est notre propre cheminement spirituel, etc. Quand nous préparons les rencontres CVX, nous n’abordons pas les grilles de relecture de la même façon ; c’est une source d’étonnement et de joie toujours renouvelée.
La connaissance de l’autre qui nous est si proche, renforce le désir de continuer la création d’une relation, non parfaite mais partagée, dans laquelle ce qui pourrait être jugement devient tendre indulgence. Percevoir chez l’autre le désir renouvelé de poursuivre le chemin ensemble continue de nous surprendre. AGNÈS et LUC
6 © iStock
T
Toutes ces années sont comme un livre dont nous écrivons sans cesse de nouvelles pages.
Il y a le quotidien avec ses sources d’agacements respectifs, mais où les qualités de l’autre restent une source de joie : humour de l’un, patience de l’autre, capacité d’accueil de l’un, capacité d’organisation de l’autre, confiance de l’un, curiosité de l’autre. La complicité créée par toutes ces années communes rend attentif à l’autre de façon différente par rapport aux premières années de mariage. Au milieu de tout cela, la CVX est un lieu de découverte mutuelle avec toutes ces paroles partagées avec d’autres et que l’on n’aurait jamais échangées tous les deux seuls. Nous ne nous serions probablement jamais dits comment Juillet 2011 11
Chercher et trouver Dieu
Le défi de la durée Souvent aujourd’hui « amour » ne rime plus avec « toujours ». Pourtant le désir de réussir sa vie amoureuse est toujours là. Analyse de la situation.
Q
1 Il y a aujourd’hui en France un divorce pour deux mariages, sans compter les nombreuses ruptures entre partenaires « pacsés ».
2 La révolution de l’amour, Plon, p. 326
3 Ibidem, p. 266
Que se passe-t-il aujourd’hui dans les couples où l’amour rime de plus en plus difficilement avec toujours ? 1 En fait nous vivons une situation paradoxale car réussir sa vie amoureuse (dans le cadre du mariage ou du pacs) est l’une des grandes aspirations de nos contemporains, cette réussite étant perçue comme la voie royale vers le bonheur. Et cependant les ruptures n’ont jamais été aussi nombreuses dans les couples !
Un fait indéniable cependant, l’amour lui-même n’est pas dévalorisé. Aimer et être aimé reste l’expérience la plus merveilleuse qui soit, souligne le philosophe Luc Ferry. L’amour, dit-il, est « un sentiment d’une force incomparable qui donne du sens et de la valeur à nos existences 2 ». Il révèle un « irrépressible sentiment de transcendance […] car celui ou celle que j’aime m’apparaît comme « plus important que moi », il m’oblige […] à sortir de moi, à me dépasser, à me détourner de mon ego pour regarder ailleurs 3 ». En réalité le sentiment amoureux renforce l’être de celui qui est aimé : « son amour me fait exister, dit l’un », « elle m’aime, je me sens plus fort et je crois en moi », confie un autre. L’amour a donc ce pouvoir extraordinaire de conforter celui qui vit cette expérience tout en l’aidant à sortir de
lui-même. On ne comprend donc pas pourquoi une aventure aussi merveilleuse s’inscrit si difficilement dans la durée. Interviennent d’abord des mécanismes psychologiques. La relation amoureuse est parfois imprégnée d’illusions dans la mesure où l’être aimé est idéalisé. On risque alors d’aimer le partenaire, non pas tel qu’il est, mais tel que nous le rêvons. Et au fil des années, celui-ci se révèle sous son vrai jour, mélangé, limité, imparfait. La déception peut alors miner l’enthousiasme amoureux.
Savoir passer de la fusion à l’autonomie Autre risque redoutable : quand il est fort, l’amour a la tentation d’être possessif et captatif. Or, s’ils apprécient d’être valorisés par l’amour de l’autre, les partenaires veulent aussi exister par eux-mêmes et ne pas être absorbés par une passion dévorante. Avec les années de vie commune, le besoin d’indépendance grandit et, pour durer, chaque couple doit négocier au mieux le passage de la fusion à l’autonomie. Les évolutions de la société jouent aussi un rôle dans la mesure où la relation homme-femme se transforme. Pendant des siècles, l’homme était valorisé par
12 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
des fonctions nobles : il faisait la guerre, assurait des responsabilités sociales et son éducation lui donnait le pouvoir culturel : il savait… Aujourd’hui les femmes font des études, rivalisent avec les hommes dans la vie professionnelle et prennent des responsabilités. Mais il y a plus : en prenant conscience des ruptures qui se produisent dans les couples de la génération de leurs parents, de nombreuses jeunes femmes ont le sentiment qu’il est risqué de dépendre totalement d’un homme. Aussi préfèrent-elles assurer d’abord leur avenir et avoir des enfants seulement quand leur insertion dans la société paraît moins aléatoire. Dans ce contexte, certains hommes ont l’impression de perdre leur pouvoir familial et d’être réduits à un rôle subalterne. Or l’amour s’accommode mal de ce bouleversement des rôles. Certaines évolutions culturelles contribuent aussi à affaiblir les liens amoureux. La culture moderne vulgarise un certain langage « psy » qui permet d’explorer le monde des sentiments. Les femmes l’utilisent souvent pour parler de leur « ressenti affectif » alors que les hommes sont mal à l’aise pour évoquer leurs états d’âme personnels. « Nous
n’arrivons pas à avoir de vrais échanges avec mon mari, dit une femme, car il n’aime pas parler de lui. Aussi nous n’avons plus rien à nous dire. » Dans ce climat, l’envie de rester ensemble s’affadit.
L’amour a besoin d’inventions Peut-on inverser la tendance actuelle qui conçoit le lien amoureux comme une expérience forte, mais à durée limitée ? Il n’existe pas de solution miracle mais deux précautions peuvent aider.
Mais pour s’inscrire dans la durée, la vie amoureuse doit aussi être stimulée par une exigence éthique : le respect profond du partenaire. Celui-ci doit à la fois se sentir réellement valorisé par l’amour tout en ayant la liberté de rester profondément lui-même. Un seul passage incontournable pour y parvenir : l’acceptation des différences. S’aimer ce n’est pas réduire l’autre à soi pour qu’il finisse par penser, réagir, sentir comme nous. C’est, au contraire,
accepter l’originalité de l’autre, dont les émotions, les enthousiasmes et les blocages peuvent surprendre. À ce niveau, le langage joue un rôle essentiel car échanger aide ceux qui s’aiment à comprendre pourquoi ils ne réagissent pas toujours de la même manière. Si elle est vraie et respectueuse, la parole ouvre des espaces de liberté où chacun peut se sentir profondément valorisé par l’estime de l’autre sans être emprisonné par un désir maladroit d’abolir les différences. Ceux qui se sentent réellement acceptés tels qu’ils sont par leur partenaire et profondément respectés dans leur dignité d’homme et de femme, voient sensiblement augmenter les chances d’un amour appelé à durer.
6
Yves de GENTIL-BAICHIS
© Mario Ponta / CIRIC
Un sain réalisme d’abord. Les couples ne doivent pas rester bloqués sur le souvenir euphorique des périodes fusionnelles initiales. L’amour n’est pas un sentiment immobile, figé une fois pour toutes. Il évolue, se transforme et peut s’enrichir des
événements (heureux et moins heureux) de l’existence commune. Comme tout organisme vivant, l’amour a besoin d’être nourri d’inventions, de surprises agréables, de projets élaborés ensemble. S’il reste enfermé dans la routine, il perd toute saveur et se dissout dans l’ennui.
Le langage joue un rôle essentiel.
Juillet 2011 13
Chercher et trouver Dieu
Une parole de bénédiction et de vie 1 Jésus arrive en Judée et en Transjordanie. De nouveau, la foule s'assemble près de lui, et de nouveau, il les instruisait comme d'habitude. 2 Des pharisiens l'abordèrent et pour le mettre à l'épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » 3 Jésus dit : « Que vous a prescrit Moïse ? » 4 Ils lui répondirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d'établir un acte de répudiation. » 5 Jésus répliqua : « C'est en raison de votre endurcissement qu'il a formulé cette loi. 6 Mais, au commencement de la création, il les fit homme et femme. 7 À cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, 8 il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu'un. 9 Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas ! » , 10 De retour à la maison, les disciples l'interrogeaient de nouveau sur cette question. 11 Il leur répond : « Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d'adultère envers elle. 12 Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d'adultère. »
''
Qui sont les personnes que Jésus rencontre, au milieu des foules qui font route avec lui, aux frontières de la Judée et au-delà du Jourdain ? Tout au long du chapitre 10 de Marc, le Maître parle avec des hommes et femmes en situation difficile, avec des enfants qui viennent à lui, également avec un homme qui voudrait le suivre. À la première lecture, cette page de l’Évangile est déconcertante, et même dérangeante. En effet, nous voilà renvoyés à la liberté de ces hommes et femmes, à ce qu’ils vivent ou n’arrivent pas à vivre. Seuls les enfants trouvent grâce, malgré les adultes qui voudraient les empêcher d’aller à Jésus. Ce qui est dérangeant, éprouvant, est que Jésus radicalise la loi de Moïse, en nommant l’adultère. Or, en ce qui concerne le remariage, nous serions en effet aujourd’hui plutôt accordés à Moïse et
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
MARC 10, 1-12 (Traduction AELF)
à la lecture que font les pharisiens : ne convient-il pas de donner une chance à un nouvel amour, après un premier échec ? Souvent, aujourd’hui, les gens opposent l’accueil de Jésus à l’intransigeance de son Église. Dans cette page, c’est Jésus luimême qui se montre intransigeant. « C’est en raison de votre endurcissement » (en grec « votre sclérose de cœur »), dit Jésus, que la loi de Moïse a proposé des aménagements. « Au commencement, il n’en était pas ainsi. » Mais quand, autour de nous, tant de couples se séparent, comment ne pas en prendre acte ? La tentation, insidieuse, est alors de ne plus croire au jaillissement de l’amour, dans son élan initial, puisque tout amour serait, avec le temps, voué à l’échec, et aux accommodements. Jésus refuse cette tentation et il veut nous en délivrer. À deux reprises, il met l’accent sur « ne faire qu’un »,
Le Christ a connu la malédiction – sans connaître le péché. Notre Maître a été condamné et exécuté pour blasphème contre Dieu. Et nous confessons que Dieu a retourné en bénédiction pour tous, la malédiction d’un seul. Le chemin de souffrance accepté par le Christ s’est révélé au matin de Pâques chemin de salut. Il est à l’origine du salut de tous, dit l’Épître aux Hébreux (2, 9-11). C’est vrai aussi et d’abord en toutes nos expériences de mort et d’échec. Comment, dans l’expérience de souffrance et de mort qu’est toute séparation entre un homme et une femme unis par les liens du mariage, accueillir, continuer de recevoir la parole de bénédiction de Dieu qui dit depuis le commencement la vérité de nos vies et sa bonté ? Comment accueillir la vérité bonne dont Jésus témoigne jusqu’au bout ? Sans doute en nous laissant embrasser comme les petits enfants, dans le récit suivant. En laissant le Christ nous prendre dans ses bras et nous bénir. Jusque dans toute épreuve. Souvent, nous préférons être dans la justification. Or nous n’avons jamais fini d’accueillir la parole de vie et de bénédiction, qui fait la vérité, même si cette vérité est douloureuse. Elle n’indique pas ce que l’Église doit faire, les solutions qui conviennent, pour aider tant de couples. La proposition évangélique est d’un autre ordre : chercher à accueillir le royaume de Dieu comme un petit enfant. La parole de Jésus nous invite à ne pas nous laisser détourner de ce chemin de vérité et de bénédiction, par ce qui, en nous, refuse de suivre le Christ – comme l’homme qui veut hériter d’une vie éternelle et repart tout triste. Pourtant, son heure à lui aussi viendra. Paul LEGAVRE sj
© Pascal Deloche / Godong
en renvoyant à l’acte créateur. Nous voici invités à reconnaître la vérité et la bonté de l’alliance conjugale, malgré tout ce qui peut l’obscurcir. À accueillir la parole inaugurale du livre de la Genèse comme une parole de bénédiction et non comme une parole de condamnation ou de malédiction. Comment en effet la parole de Jésus pourrait-elle être désespérante ?
Pour prier… ✚ Se représenter la scène : Jésus, ses disciples, la foule et les pharisiens qui l’abordent pour le mettre à l’épreuve, une fois de plus. ✚ Demander la grâce d’entendre avec une oreille neuve la réponse de Jésus, « non pas pour faire peser sur nous d’autres obligations que celles qui s’imposent », mais comme une invitation à vivre pleinement de l’Alliance que le Créateur nous propose dès l’origine. ✚ Entendre Jésus corriger le discours des doctes qui utilisent la permissivité inscrite dans la lettre de la Loi pour en fausser l’esprit. Jésus nous rappelle le désir du Père qui nous donne sa Loi, dont visée et projet dépassent les procédures. ✚ Entendre Jésus condamner les mauvaises intentions, poursuites égoïstes et ruptures d’alliance qui précarisent et excluent socialement. C’est le cas des femmes répudiées, comme celui des plus faibles dont Jésus nous invite à rester toujours proche. ✚ Considérer les disciples qui après coup reviennent sur la question. Pour eux aussi, il est difficile de saisir toutes les dimensions de l’Amour. Juillet 2011 15
Chercher et trouver Dieu
L’accompagnement de l’Église Quand les époux échangent leur « oui » devant Dieu, ils inscrivent et incarnent leur alliance dans la suite du lien indéfectible de Dieu avec l’homme. L’Église accorde une grande importance à l’accompagnement des couples.
C
1 Catéchisme de l’Église catholique – 1131. 2 Maurice Bellet « Injustifiables sans culpabilité » dans Christus, n° 226 HS, mai 2010.
C’est depuis le XIIIe siècle que l’Église reconnaît aux oui des époux un caractère sacramentel, signe sensible et réel de la vie divine dispensée, acceptation pour ceux qui la reçoivent dans la foi au Christ que cette vie porte fruit (grâces) en eux.1 Faire mémoire vivante de cette parole tout au long de sa vie, c’est consentir à ce que Dieu et la communauté des croyants accompagnent les époux et veillent au respect de leur engagement.
Ce que l’Église fait Avant de recevoir le sacrement, l’Église aide les futurs conjoints à se préparer. Le plus souvent, en groupe, aussi bien en paroisse avec les Centres de Préparation au Mariage (CPM) que dans des centres spirituels ; sinon, individuellement avec des accompagnateurs recommandés. Les modalités sont variables : soit un ou deux jours dans un lieu isolé, soit des rencontres d’une à deux heures espacées dans le temps. Dans tous les cas, il s’agit d’approfondir les dimensions du mariage chrétien, tant anthropologiques que spirituelles, dans une expérience de
dialogue entre les futurs conjoints à la lumière de l’Évangile. Ensuite, tout au long de la vie, car l’amour évolue et surprend. Des propositions variées sont offertes pour faire le point et redynamiser la relation conjugale. Soit dans des partages réguliers au sein d’équipes spécialisées (Équipes Notre Dame, Cler), soit dans des sessions de deux et cinq jours tels que les proposent les centres spirituels ignatiens et d’autres institutions chrétiennes (Cana, Fondacio, Vivre et aimer, Amour et Vérité…), soit encore dans une série de soirées dîners tels que « Elle et Lui ». Enfin, avec ceux qui ont rencontré l’échec, de nombreux chrétiens, laïcs et clercs, n’ont pas attendu que l’institution ecclésiale mette plus de cohérence évidente entre ses pratiques pastorales et la bonne nouvelle de l’Évangile pour marcher avec eux. Ils les accompagnent pour qu’ils retrouvent vie et espérance. Parfois, l’échec est occasion d’un nouveau regard sur l’existence, source de conversion et début d’une vraie vitalité spirituelle. Mais la présence féconde
16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
de ces chrétiens auprès des divorcés devrait être mieux connue, car elle aide vraiment les personnes qui en ont besoin : « continuer à être encouragé dans la foi sans être accablé ; […] Vivre une situation limite par l’aspect insoluble qu’elle a pour ceux qui s’y trouvent… sans s’en accommoder, puisque ce serait humilier l’Évangile 2 » ; ne pas rester seul avec une certaine culpabilité, mais retrouver une vraie communauté d’écoute et de partage. Il existe pour cela divers lieux (Chrétiens divorcés, chemins d’espérance, Réseau Séparés, Divorcés et Divorcés remariés de la Mission de France, Cana, Centres spirituels ignatiens).
Des questions qui se posent : comment avancer ? Aujourd’hui, le couple est confronté à des défis nouveaux et complexes : celui de sa durée, avec l’allongement de la vie et sa fin, mais également celui de la procréation assistée, du diagnostic anténatal, de l’homosexualité… des questions existentielles et éthiques. L’Église a le souci de
© Electa/Leemage
Le mariage de la Vierge, Raphaël (détail), huile sur bois, Pinacoteca di Brera, Milan.
proposer des pastorales appropriées à ces situations nouvelles ; mais son discours, fondé sur des bases théologiques et spirituelles devrait mieux prendre en compte l’apport des sciences humaines. Car chaque personne est en devenir ; maturation humaine et spirituelle sont complémentaires. Parmi les questions posées à l’Église, celle récurrente dans tous les synodes diocésains et toujours dans l’impasse : les divorcés remariés. Refusant tout laxisme, l’Église rappelle que le mariage entraîne un devoir de fidélité au regard d’un engagement indissoluble et soutient tout ce qui peut sauver la communauté conjugale. Mais ne pourrait-elle pas pourtant reconnaître l’inévitabilité de certains échecs comme la réflexion morale contemporaine en a pris
acte ? Certains mariages meurent de fait. Cela ne permettrait-il pas de reconsidérer certains aspects de la doctrine catholique sur l’indissolubilité du mariage qui interdit l’accès des divorcés remariés aux sacrements, provoquant parfois l’éloignement définitif de la communauté ecclésiale ? Le malaise touche des personnes exclues et isolées, privées des signes effectifs de la grâce divine (pain de vie et pardon), mais aussi tous les pasteurs écartelés entre les directives qu’ils doivent respecter et les situations dramatiques qu’ils rencontrent. Quelle ouverture trouver pour plus de cohérence ? Pour réintégrer les divorcés remariés, certains préconisent d’assouplir la reconnaissance en nullité du mariage en par-
ticulier pour les couples avec enfants. D’autres y sont opposés, percevant cette démarche trop juridique et trop étrangère à leur vécu. Des travaux de recherche sont menés sans relâche avec des conclusions parfois aux antipodes. Comment favoriser une confrontation constructrice de ces différentes positions ? À l’intérieur de l’Église catholique ? Mais ne pourrait-on pas initier aussi une recherche théologique, scripturaire, anthropologique avec protestants et orthodoxes ? Le partage et la confrontation des pratiques et des points de vue associés à la prière ne permettrait-elle pas de recevoir de l’Esprit des ouvertures inattendues ? Ne serait-ce pas alors une vraie avancée œcuménique d’ouvrir ensemble ce chantier à la fois pastoral et théologique ? Claire LE POULICHET
,
Claire Le Poulichet est assistante CVX de la région lyonnaise.
Juillet 2011 17
Chercher et trouver Dieu
!
Des sites pour trouver sessions et retraites selon ce qui est à vivre • www.jesuites.com/actu/retraites/9-couples.htm • www.croire.com/article/index.jsp?docId=93200&rubId=223 Des livres • Xavier Lacroix, La traversée de l’impossible, Le couple dans la durée, Éditions Vie chrétienne • Guy de Lachaux, Accueillir les divorcés, l’Évangile nous presse, Éditions de l’Atelier • Mgr A. Le Bourgeois, Divorcés remariés mes frères, DDB Des revues • Alliance • Chrétiens divorcés, chemins d’espérance
Du PACS au sacrement de mariage en France aujourd’hui… des étapes d’alliance pour un chemin humain et spirituel de plus en plus engageant
PACS (Pacte Civil de Solidarité)
Mariage chrétien
Mariage civil
possible qu’après mariage civil
Nature du lien
Limité aux seuls biens
Entre personnes créant une famille, pris devant la société
Entre personnes créant une famille, pris devant Dieu et l’Église
Acte
Notarié ou Convention libre
Civil
Sacramentel
251 478 en France en 2009 Baisse de 12% depuis 1990
77 664 en France en 2009, soit 31% des mariages civils Baisse de 47% depuis 1990
Enregistrement Notaire ou Greffe
État-civil en mairie
Registre paroissial
Engagement et Gestion des biens. de succession responsabilité Pas (sauf logement principal)
Assistance mutuelle Assistance mutuelle et éducation des enfants et éducation chrétienne Succession organisée des enfants
Témoins Durée Rupture
Non
Oui
Oui
Indéterminée
Indéterminée
Indissoluble
195 000 en France en 2010, soit 3 pacs pour 4 mariages
du tribunal d’instance
Par déclaration commune Par jugement au tribunal ou de divorce signification unilatérale 127 578 divorces en 2009, dont 60% par consentement, par huissier
Impossible, sauf jugement de nullité du sacrement rendu par tribunal ecclésiastique diocésain
26 000 pacs rompus pour 195 000 signés en 2010 Un tiers des pacs rompus se transforme en mariage
606 en France en 2008
37% pour faute Hausse de 9,2% en 10 ans
Progression constante des naissances hors mariage : En 2009, 53 % des bébés sont nés hors mariage, contre 37 % en 1994. Sources des chiffres : INSEE et Église de France
Pour continuer la réflexion…
Le soutien des couples au sein de la CVX est une question qui travaille la Communauté : Comment prendre en compte ce que vivent tant de couples de la Communauté, dans ce qui est heureux, comme dans ce qui est plus difficile ? À partir des données du tableau, comment réagissons-nous ? à quoi cela nous invite-t-il ?
• •
18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
Le babillard
Pour tous les jeunes
de la Communauté,
des dates à retenir !
À la suite d'Ignace, pèlerin à Jérusalem
el © Barbara Strob
Pour les jeunes adult es de la Communau té de Vie Chrétienne de moins de 40 ans et leurs amis du M ouvement Eucharist ique des Jeunes et du Réseau Jeuness e Ignatien,
un pèlerinage en Te rre sainte qui croise la démarche « Bible sur le terrain » et la dimension ignatie nne du lundi 27 février au ve ndredi 9 mars 2012 (9 jours sur place) 8 pass-ignigo.blogs pot.com esj.cvx @gmail.com
Petite sélection de livres pour l’été fera aussi rire les adultes ! Un roman jeunesse – qui
ures L’A rc he pacertJeuàneshuse,it88 he pages, 8 € Ulrich Hub, Ali
pour l’Arche ! ». barquement immédiat « Dernier message : em n’a pas été de e : installer les animaux La colombe est épuisé s sont les deruin go rouvable. Les pin int est é No et os rep t tou . Trop tard pour tirant une lourde valise niers à embarquer en à tomber. Un car la pluie commence en vérifier le contenu, strations très illu s De ! é avec humour épisode biblique revisit de 9 ans. texte. Pour tous à partir drôles accompagnent le Véronique Romieu
Un récit autobiog raphique
Et la
lu m ière fu t Jacques Lusseyra n, Éditions du Fé lin, 282 pages, 11 « Je bénis chaq ,90 € ue jour
le ciel de m’avo que je n’avais pa ir rendu aveugle s encore tout à alors fait huit ans. M y a là toutes les ais comme il apparences d’un défi, il va aussitô je m’explique. » t falloir que . L’auteur nous fa it découvrir la lu vie intérieure et mière d’une spirituelle except ionnelle où la fo tion et de l’engag rce de l’acem d’un important ré ent le conduisent à devenir à 17 seau de résistanc ans chef e contre le nazism qui donne des re e. Un livre ssources pour m ieux vivre. Dominique H iesse
Un essai
Peu t-o n don ner san s con dition ? Genviève Comeau, Bayard Christus, 116 pages, 16 €
Une réflexion spirituelle sur le don, au carrefour de la Bible, de la philosophie et de la théologie, qui éclaire et questi onne nos manières de faire et d’être dans le quotidien. À partir du don, ce livre nous entraîne dans le domaine des relatio ns aux autres et à Dieu ; il parle d’amitié, de pardon, d’env ie et de jalousie, et aussi du don de Dieu au cœur de la foi chrétie nne et de l’accueil de la vie. Une invitation à entrer dans la danse du don, pour plus de liens, pour plus de vie ! Marie-Élise Courmont
Et aussi :
ditio n n els ? C on ci lia ires ou tra s fu tu rs p rêtres En q uête su r le Gentil-Baichis, DDB d’Yves de
ie Le so u ffle prd'ésiudennteduvCC FD
de Guy Aurenche, Michel Terre solidaire, Albin
Juillet 2011 19
Se former
De la méditation à la contemplation Dans le dernier numéro, nous avons vu comment la méditation « casse l’écorce des mots » pour que nous y trouvions matière à réfléchir. Nous sommes alors dans une attitude active et nous cherchons à rencontrer Dieu en partant de ce que nous sommes, de ce que nous connaissons. Et puis c’est la rencontre…
C
Mettre de l'ordre dans sa vie
recevrez le don du Saint-Esprit ». Les convertis nous disent leur quête insatiable de la Parole. À travers la lecture méditée des paroles du Christ, - le discours sur la montagne ou les paraboles du Royaume…-, ils cherchent à connaître le Dieu et Père de Jésus, et comment il les a accompagnés jusqu’alors avec tant de miséricorde : « Toi aussi, tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus ! »
Un jour, en effet, le cœur touché par la Parole, on se met à réfléchir et à désirer mettre de l’ordre dans sa vie. Ainsi, François Xavier, jeune étudiant ambitieux, fut retourné par la question évangélique que lui répétait son ami Ignace : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » La méditation, c’est cette écoute intérieure, jour après jour, d’une parole que l’on accueille comme nous étant adressée par le Seigneur, un appel à changer de vie pour s’ouvrir à une promesse : « Vous
C’est ainsi que commencent ceux qui se tournent vers lui. Ils se préoccupent des lumières et des sentiments intérieurs que la méditation leur inspire, et qui peuvent être interprétés comme le signe qu’ils sont aimés de Dieu. Mais à un moment donné de leur progrès, il leur est donné de se soucier non pas tant d’être aimés de lui que de l’aimer lui-même, non pas tant de chercher ce qu’il est envers eux que ce qu’il est en lui-même et pour le monde. « D’abord, nous tirons Dieu à nous, ensuite nous sommes nous-
C’est ordinairement par la méditation que commence une vie de prière, comme il arriva aux premiers auditeurs de Pierre le jour de la Pentecôte : en l’entendant annoncer la passion et la résurrection du Christ, « ils eurent le cœur transpercé et ils dirent à Pierre et aux apôtres : Frères, que devons-nous faire ? »
20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
mêmes tirés à Dieu. D’abord ce que nous cherchons, c’est qu’il se souvienne et se préoccupe tout entier de nous. Ensuite, c’est que nous nous souvenions de lui et que nous nous préoccupions tout entier de ce qui lui plaît » (Bx Pierre Favre).
Mieux suivre notre Seigneur La vie de prière se transforme alors. De méditation de la Parole, elle devient contemplation de la vie du Christ, dans le désir de mieux le connaître intérieurement afin de mieux l’aimer et de le suivre en cherchant sa volonté. Tel et le but de la contemplation évangélique : voir, écouter, sentir intérieurement quels sont les sentiments, les dispositions du Christ au long des « mystères » de sa vie, afin de demander la grâce de lui ressembler et d’être conformés à lui par son Esprit. La manière de faire est simple : après avoir lu et imaginé la scène évangélique, on demande la grâce.
© P. Razzo / Ciric
Puis on s’applique à regarder les personnes, à écouter ce qu’elles disent, à considérer ce qu’elles font, pour en tirer profit en se situant soi-même dans la scène. Par exemple, pour la Nativité, écrit Ignace, « me faisant, moi, comme un petit serviteur indigne qui les regarde, les contemple et les sert dans leurs besoins, comme si je me trouvais présent… » Et on termine par un colloque, en pensant à ce que l’on doit dire au Verbe incarné ou à sa Mère, et en demandant selon ce que l’on sent en soi pour mieux suivre et imiter notre Seigneur.
Du visible à l'invisible Voir le lieu par les yeux de l’imagination, dit Ignace. Par exemple, la grotte de la Nativité, si elle est grande ou petite, comment elle était arrangée, ou de même pour le lieu de la Cène ou pour la maison de Zachée. Puis les personnes, regarder, observer, considérer… Il ne s’agit pas seulement d’éviter les distractions, mais de passer du visible à l’invisible, puisque par l’Incarnation Dieu s’est rendu visible en son Fils pour que nous puissions contempler les réalités invisibles, selon ce que dit saint Jean : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie… nous vous l’annonçons afin que vous soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ » (1 Jn 1,1). Voir le lieu, c’est aussi trouver son pro-
Moment de prière à la Basilique de la Nativité à Bethléem.
pre lieu, sa propre place dans le Mystère du Christ, « comme si je me trouvais présent ». L’important est d’entrer dedans et d’y apporter des dispositions telles que l’on se laisse pénétrer de l’esprit du Seigneur. Car c’est lui, et non notre seul effort, qui transforme du dedans notre intelligence et notre sensibilité afin de mouvoir notre volonté à s’unir à la sienne. Il en va de ce regard, toutes proportions gardées, comme de la contemplation d’une œuvre d’art : « Il dépend de celui qui passe que
je sois tombe ou trésor. Que je parle ou me taise, ceci ne tient qu’à toi. Ami, n’entre pas sans désir » (Paul Valéry). Le cycle liturgique nous invite à adopter cette manière de prier au long de l’année. Des chrétiens de plus en plus nombreux choisissent ainsi l’évangile du jour comme objet de leur oraison. Et il faut s’en réjouir, car cette intériorisation personnelle de la vie du Christ fait de nous ses disciples et des membres vivants de son Église.
Jésuite, ancien rédacteur en chef de la revue Christus, Claude Flipo est l’auteur entre autres d’Invitation à la prière 68 pages – 10,00€
6
Claude FLIPO sj
En vente sur le site viechretienne.fr.
Juillet 2011 21
Se former
Jeune Volontaire International Denis, 28 ans, est éducateur spécialisé. Il est parti il y a plus d’un an à Tacna, au sud du Pérou, sous l’égide conjointe du service jésuite des JVI (Jeunes Volontaires Internationaux) et de la DCC (Délégation Catholique pour la Coopération).
A
(soutien scolaire, centre d’éducation basique alternative, réfectoire, soin de santé, aide juridique, catéchisme et autres activités). Ma fonction m’amène à réaliser un suivi éducatif d’un certain nombre d’enfants présentant de grandes difficultés scolaires, sociales, familiales ou éducatives.
Après quelques changements dans mes fonctions au fur et à mesure des découvertes de la culture, des enfants, du centre, de la communauté jésuite, j’assure actuellement diverses tâches ; principalement : • Coordinateur du foyer « La Casita » qui accueille une douzaine d’enfants du centre Cristo Rey, en internat du lundi au samedi. © JVI
• Catéchiste pour les enfants du secondaire.
• Responsable du département de psychopédagogie du centre Cristo Rey del Niño y Adolescente qui lui accueille entre 150 et 200 enfants à la journée
Lors de mon départ en mai 2010, en plus de la boule au ventre à l’aéroport, j’étais atteint par l’ivresse de l’inconnu, ce sentiment qui donne le courage de quitter un passé connu pour un futur totalement fantasmé et idéalisé. À mon arrivée sur le continent sud-américain, j’étais rempli d’une force et d’une foi dans ce qui allait suivre, malgré la difficulté de la langue, le soleil, la poussière, le bruit, les odeurs. Dans les tout premiers jours, je me suis dit : « maintenant que tu y es, il va falloir t’intégrer ». Est donc venu le temps de la découverte et des efforts pour comprendre, se faire comprendre, rencontrer, apprécier,
22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
estimer sans juger, se laisser habiter par un esprit d’accueil, se laisser bousculer dans ce que l’on avait imaginé, s’émerveiller de cette nouveauté. Le début n’a pas été toujours très simple, ma foi me paraissait lointaine, les différentes responsabilités que l’on m’avait confiées très rapidement me paniquaient, je me sentais impuissant, incapable, mais je faisais ce qui m’était demandé. Ces efforts pour me rendre disponible aux besoins de ces enfants et aux désirs de mon responsable ont été l’occasion de réaffirmer le sens même de mon volontariat. Que suis-je venu faire ici ? Jusqu’où dois-je m’engager ? Des questions auxquelles je répondais facilement avant le départ mais qui devenaient, sur place et loin des miens, bien plus inquiétantes et floues. Une vie remplie de désolations et de consolations, de bons jours et de mauvais jours, de très grands moments d’émotion et de longues heures à lutter contre le désespoir de ne pas y arriver ; une messe durant laquelle le jeune Roberto a joué le thème du film Mission à la quena (flûte andine) sentant
Mais tout cela était avant, avant les vacances, avant la retraite selon les Exercices. Dieu seul sait ce qui va advenir, mais cette année passée m’a permis de me recentrer sur l’essentiel de ce que je cherche, de ce que je veux, de ce que l’on me demande. La maturité de la première année, qu’elle soit professionnelle, personnelle ou spirituelle, me permet d’entamer cette nouvelle année avec un regard tout tourné vers Dieu, une mission toute offerte à lui. « Amar y servir », voilà ce à quoi je suis appelé, et à quoi je réponds avec joie, confiance et envie en cette rentrée scolaire.
aussi bancale, les jeunes doivent toujours travailler dur pour s’extraire d’un avenir difficile ; mais il est une chose qui a changé, c’est mon regard – une grâce donnée par Dieu pour se donner avec plus de foi et d’espérance, avec toujours plus d’admiration et de louange. Et ce nouveau regard me permet de rire face au petit Dannex qui essaye de m’arnaquer avec le rangement de sa chambre, de sortir heureux, bien qu’épuisé, d’une partie de foot endiablée
où nous avons misé le lavage de notre vaisselle, de me soucier de José qui pense que tout conflit se règle dans la violence, de m’émerveiller quand Porfirio joue de la sampoña (flûte andine), de couper les cheveux de Royer en cherchant la coupe péruvienne la plus fashion – et entre nous, c’est pas si simple. L’expérience n’est pas terminée et elle chemine bien, rarement comme je l’avais imaginé, mais toujours dans la bonne direction.
6 © JVI
mon corps, mon cœur et mon âme se remplir d’une joie profonde, et les heures de solitude, face à 40 enfants surexcités durant le soutien scolaire sans parler leur langue et ne comprenant rien à ce qu’ils me demandaient. Ma première année a donc été remplie de cette alternance entre joie et tristesse, confiance et désespoir.
Non, tout n’est pas devenu plus simple ou plus rose, je ne parle toujours pas un espagnol exceptionnel, je suis toujours en manque de soirées tranquilles avec famille et amis, le climat breton me paraît de plus en plus un lointain souvenir, le désert reste poussiéreux et rempli de chiens errants, les difficultés d’une partie de la population péruvienne restent toujours très préoccupantes et difficilement surmontables, les enfants abandonnés restent abandonnés, l’échec scolaire est aussi violent qu’hier, l’organisation du pays me paraît toujours Juillet 2011 23
Se former
Les Actes des Apôtres
2.Envoyer - être envoyé Deuxième partie de notre lecture des Actes des Apôtres. Après avoir discerné ce à quoi chacun est appelé, la communauté envoie ses membres en mission.
V
de Dieu. Envoyés et guidés par l’Esprit, les Apôtres, à leur tour, décideront, lors de l’Assemblée de Jérusalem, de « choisir dans leurs rangs des délégués qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabas » (Actes 15,22). En plaçant l’épisode de l’événement de la Pentecôte en tête de son histoire de l’Église et en soulignant, dans la suite de son récit, le rôle de protagoniste joué par l’Esprit Saint, Luc enracine l’engagement missionnaire des chrétiens dans le don de l’Esprit avant de raconter comment
l’Esprit Saint continue d’agir, par l’Église, pour susciter de nouveaux serviteurs de la Parole. Telle est la dynamique qui, depuis l’origine, structure l’Église : une communauté qui envoie est une communauté qui a elle-même fait l’expérience d’être « envoyée ».
Une Église « envoyée » par le don de l’Esprit L'événement de la Pentecôte (Actes 2) Parce que la fête des semaines (Shavouot en hébreu et Pentecôte Droits réservés
« Vous recevrez une puissance, celle du Saint-Esprit venant sur vous et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’à l’extrémité de la terre » (Actes 1,8). Cette promesse de Jésus à ses apôtres, au moment de son Ascension, associe étroitement l’effusion de l’Esprit qu’ils vont recevoir, lors de la fête de la Pentecôte, et leur mission d’être les témoins du Ressuscité. L’Église qui naît du don de l’Esprit est, constitutivement, une Église missionnaire, au service de la proclamation de la Parole
24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
L’itinéraire missionnaire de Paul Premier voyage : départ d'Antioche (13, 4) et retour à Antioche (14, 26-28) :
13, 4-12 Annonce de la parole de Dieu dans les synagogues des Juifs à Salamine (Chypre) ; rencontre avec le magicien Elymas et le proconsul romain Sergius Paulus à Paphos. 13, 14-52 Discours de Paul à des Juifs et des craignant-Dieu dans la synagogue d'Antioche de Pisidie. 14, 1-7 Prédication à Iconium dans la synagogue des Juifs, touchant des Juifs et des Grecs. 14, 8-20 Annonce de la Bonne Nouvelle à des païens lycaoniens, à Lystre.
Deuxième voyage : A/ Visite des villes où a été précédemment annoncée la parole du Seigneur et prédication en Grèce (15,36–16, 10). 16, 1-8 En Cilicie et en Syrie, à Derbé et à Lystre, Paul prend comme collaborateur Timothée, fils d'une mère juive et d'un père grec. 16, 9-10 À Troas, Paul reçoit, dans une vision, l'appel à aller en Grèce annoncer la Bonne Nouvelle aux Macédoniens. B/ Évangélisation de la Macédoine et de la Grèce (16, 11–18, 18). 16, 11-40 À Philippes, rencontre de Lydie, adoratrice de Dieu ; conversion du gardien de la prison. 17, 1-15 À Thessalonique et Bérée, prédication dans la synagogue à des Juifs et des Grecs adorateurs de Dieu. 17, 16-34 À Athènes, discours devant l'Aréopage 18, 1-18 À Corinthe, prédication dans la synagogue aux Juifs et aux Grecs, puis dans la maison de Titius Justus, adorateur de Dieu. C/ Séjour à Éphèse et retour à Jérusalem via la Grèce, la Macédoine, Troas, Milet (18, 19–21, 16). 18, 19-23a Premier passage à Éphèse : Paul s'adresse aux Juifs dans la synagogue, avant de revenir à Antioche et de parcourir la région galate, la Phrygie. La césure marquée par les versets 22-23 n'a pas la portée de la délimitation apportée au précédent voyage par le départ et le retour à Antioche. Il est donc légitime de considérer que ces versets introduisent simplement une nouvelle étape de ce deuxième voyage. 18, 23b–19, 20 Pendant trois mois, Paul parle du règne de Dieu à la synagogue d'Éphèse puis chaque jour, s'adresse aux disciples dans l'école de Tyrannos. Pendant deux ans, Juifs et Grecs d'Asie entendent la parole du Seigneur. 19, 21–20, 14 Paul décide de se rendre à Jérusalem Séjour de trois mois en Grèce et retour à Troas, en passant par la Macédoine. 20, 15-38 À Milet, discours de Paul aux anciens d'Éphèse. 21, 1-16 De Milet à Jérusalem : rencontre de disciples avant le retour à Jérusalem et l'arrestation au Temple.
Si son arrestation à Jérusalem met un terme aux voyages de Paul (à partir de 21,17 et jusqu’en 26,32, le récit s’attache aux différents moments du procès qui lui est intenté), l’activité missionnaire de l’apôtre n’en est pas pour autant interrompue. Les deux discours de défense qu’il prononce dans le cadre de son procès (en Ac 22 et 26) lui donnent encore l’occasion de témoigner de sa foi et de tenter de convaincre ses auditeurs de recevoir son témoignage. Sur le bateau qui le conduit à Rome, au plus fort de la tempête, Paul témoigne de sa confiance dans le salut venu de Dieu (27,13-44), avant d’avoir l’occasion d’exercer à nouveau son ministère de guérison auprès de Publius, magistrat de l’île de Malte (28,1-10). Enfin, trois jours après son arrivée à Rome, Paul invite les notables juifs à venir le retrouver et, à leur demande, leur parle de sa foi (28,17-23). Le récit des Actes se termine sur l’évocation de la prédication de Paul à Rome auprès de « tous ceux qui venaient le trouver » (28,30).
,
Juillet 2011 25
Se former
en grec) est l’une des trois « fêtes de pèlerinage » du judaïsme, une foule immense de juifs originaires de « toutes les nations qui sont sous le ciel » se trouve rassemblée à Jérusalem à cette occasion. Les apôtres, quant à eux, sont « réunis tous ensemble », probablement entourés de quelques autres disciples (dont la mère de Jésus et quelques femmes). Le phénomène miraculeux qui se produit alors nous est décrit avec les éléments caractéristiques des « théophanies » (manifestations de Dieu) de l’Ancien Testament : le premier, d’ordre auditif (« un bruit qui venait du ciel »), le second, d’ordre visuel (« des langues de feu qui se partageaient »). Mais, comme pour en préciser la radicale nouveauté, cette description se fait sur le registre de la comparaison : « comme le souffle d’un violent coup de vent », « comme des langues de feu ». L’accomplissement de la « promesse du Père » annoncée aux siens par le Ressuscité relève, en effet, à la fois de la continuité de l’histoire d’Israël et de l’inattendu de Dieu.
L’Esprit Saint dont « tous furent remplis » se manifeste comme une « puissance », celle de pouvoir témoigner des « merveilles de Dieu ». Pour cela, ils sont dotés d’une langue qu’ils ne connaissaient pas jusqu’alors, celle qui leur permet de se faire comprendre de tous, par-delà la pluralité des langages et des cultures. Il ne s’agit pas d’un retour à la situation d’avant l’épisode de la tour de Babel par la restauration d’un langage unique, mais, au contraire, d’une ouverture de la mis-
sion chrétienne à l’universalité. L’Église est ainsi fondée comme un groupe, par définition, missionnaire et appelé à une mission universelle.
nier se tourne vers Paul pour qu’il vienne l’assister dans sa tâche.
© Philippe Lissac / Godong
!
Une Église qui « envoie » Le premier voyage de Paul et Barnabé (Actes 13 – 14) C’est à Antioche sur Oronte, la troisième ville de l’Empire après Rome et Alexandrie, que pour la première fois, les missionnaires chrétiens annoncent la parole non seulement aux Juifs mais aussi à des non-juifs (appelés « Grecs » ou « Hellénistes » parce que de langue grecque). À la nouvelle qu’un grand nombre d’entre eux a accueilli leur témoignage et les a rejoints, « l’Église qui était à Jérusalem » décide d’y envoyer Barnabé, « un homme droit, rempli d’Esprit Saint et de foi » (Actes 11,24). Constatant le dynamisme de cette nouvelle communauté de « chrétiens », ce der-
26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
Les circonstances du premier voyage missionnaire que Paul fera en compagnie de Barnabé sont mises, précisément, sous le signe de l’inattendu des voies de Dieu. En effet, intervenant soudainement alors que la communauté est réunie pour l’assemblée liturgique, l’Esprit Saint lui demande, en termes mystérieux, de lui « réserver » Barnabé et Paul pour « l’œuvre » à laquelle il les a « appelés ». Ainsi, avant même qu’il ne soit raconté et que l’on sache que cette « œuvre » consistera à « ouvrir la porte de la foi » aux nations païennes, le voyage qui va suivre s’annonce comme la réalisation de cette mission spécifiquement demandée à la communauté par l’Esprit. Dans cet envoi en mission, la communauté joue un rôle essentiel. C’est au cœur de la prière et du jeûne communautaires qu’elle reconnaît le travail de l’Esprit en son sein et c’est après avoir à nouveau jeûné et prié qu’elle y répond. En imposant les mains sur Paul et Barnabé, elle les investit officiellement de la tâche qui leur est confiée. En leur « donnant congé » (littéralement en les « déliant »), elle leur « ouvre la route » pour cette nouvelle étape dans leur vie de missionnaires. Elle est également celle devant qui, dès leur retour, Paul et Barnabé rendent compte de ce qu’ils ont vécu : « Ils réunirent l’Église et racontaient tout ce que Dieu avait réalisé avec eux… ». Odile FLICHY Prochain article : « Soutenir »
6
La tentation sous couleur de bien
I
Ignace a bien connu cette tentation dans les premiers temps de sa conversion ; c’est pourquoi il a pu montrer comment s'en garder dans les Règles du discernement des esprits de deuxième semaine, au moment où le retraitant peut être « attaqué et tenté sous apparence de bien » (Exercices spirituels 10).
© Alain Pinoges / CIRIC
L’un des pièges les plus dangereux sur la route de qui veut généreusement se mettre au service de Dieu, c’est la tentation « sous l’apparence du bien », car elle peut complètement pervertir notre décision. Elle menace plus particulièrement ceux qui ont déjà fait le pas d’une conversion et orienté leur vie vers Dieu.
Des exploits pour Dieu Relisant à trente ans de distance les débuts de sa conversion et « les exploits qu’il avait à faire pour l’amour de Dieu » (Récit 11 1), Ignace y reconnaît la générosité d’un cœur désireux de se consacrer entièrement à Dieu, mais une générosité mal éclairée, manquant du discernement qui doit la régler (Récit 14). Il va découvrir progressivement, « guidé par Dieu comme par un maître d’école », que son désir d’en faire toujours plus, dans le domaine des oraisons et des pénitences, ne vient pas forcément de Dieu, mais plutôt du « mauvais esprit » qui cherche à nous détourner subtilement de faire sa volonté.
La confiance en Dieu ne doit pas nous empêcher de prendre les moyens qu'il met à notre disposition.
Ainsi, à Manrèse, au moment d’aller dormir, il se met à éprouver de « grandes consolations spirituelles », qui mordent sérieusement sur le temps, déjà réduit, qu’il s’était fixé pour le sommeil. Il réalise que ces « élans de piété » ne venaient pas du bon esprit, et « il conclut qu’il était mieux de les laisser et de dormir pendant
le temps destiné au sommeil » (Récit 26). Cette tentation de piété inopportune est revenue quand il s’est mis aux études : à Barcelone, il éprouve de grands élans d’amour de Dieu au moment où il veut étudier, ce qui l’empêche de progresser ; plus tard, à Paris, quand cette tentation reviendra,
1 On retrouvera le Récit du pèlerin illustré par Charles Henin sous le titre Ignace de Loyola par lui-même (en vente sur viechretienne.fr).
,
Juillet 2011 27
Se former
!
il la surmontera de la même manière, par une démarche déterminée d’ouverture à ses maîtres et d’engagement à suivre leurs cours sans en manquer un seul. Pendant la période des études à Paris, Ignace sera également amené à laisser les austérités des premiers temps, ce qu’il avait déjà commencé à faire à Manrèse. Il remet aussi à plus tard les prédications, pour se consacrer entièrement aux études. Plus tard, à Rome, supérieur général de la Compagnie de Jésus naissante, Ignace devra mettre en garde ses frères contre la tendance, développée surtout au Portugal et en Espagne, sous l’influence de certains courants mystiques, à vouloir consacrer un temps démesuré à la prière. Pour la mortification, Ignace a dû se rendre compte que les mortifications auxquelles il avait soumis son propre corps lui avaient amené de sérieux ennuis de santé. Il conseille à Borgia, l'un de ses premiers compagnons, de diminuer de moitié les pénitences corporelles qu’il pratique, et revient sans cesse dans les Constitutions sur la modération et le soin de la santé à garder pour le service apostolique.
La générosité éprouvée par le discernement dans les Exercices Dans la dynamique des Exercices, une forte articulation relie la générosité au discernement. La contemplation du Roi éternel cherche à susciter dans le retraitant la générosité sans réserve à
son service ; la contemplation des Deux Étendards qui suit vise à lui faire obtenir la grâce du discernement : « demander la connaissance des tromperies du mauvais chef pour m'en garder, ainsi que la connaissance de la vraie vie qu'enseigne le souverain et vrai capitaine et la grâce pour l'imiter » (Exercices 139). En effet, à quoi bon une générosité mal éclairée ? Elle ne peut que nous fourvoyer, comme nous l'apprend notre expérience. C'est à cette étape des Exercices que sont utiles les règles du discernement des esprits de deuxième semaine, en particulier la quatrième, lue au début sur l’ange mauvais transformé en ange de lumière pour mieux nous tromper. Un exemple frappant de cette tactique du Malin nous est donné dans la tentation de Jésus au désert : par deux fois, l'Esprit du mal va tenter de faire dévier Jésus de sa mission, en prenant justement appui sur la parole entendue du Père lors du baptême, qui constitue la source de joie du Christ et le cœur de son existence : « Si tu es le Fils de Dieu », insinue le Tentateur voulant dire : « Puisque tu es le Fils de Dieu » (Matthieu 4,3 et la note de la TOB), selon la voix que tu as entendue, utilise donc ton pouvoir à ton profit. Radicale perversion du don reçu, comme dans le discours du Serpent au jardin de la Genèse, poison inoculé au cœur même de l'être…
28 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
Comment puis-je être trompé sous couleur de bien ? Quelles sont les formes les plus fréquentes de cette tentation sous apparence de bien ? Une des formes de cette tentation est celle de la fausse confiance en Dieu « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas… car il est écrit : il donnera ordre à ses anges de te porter… » Après celle des pierres à transformer en pains, Satan utilise une seconde fois la Parole de Dieu pour la déformer… Tentation de la fausse confiance en Dieu : sous prétexte de confiance, il pousse à mettre Dieu à l’épreuve de ma volonté et de mes caprices. Il incite Jésus à refuser sa condition d’homme, au nom de son être de fils de Dieu. Tentation qui nous menace aussi certains groupes religieux qui au nom de la confiance en Dieu refusent de prendre les moyens que Dieu met à notre disposition pour nous débrouiller par nous-mêmes. Ainsi, telle secte qui refuse de faire prendre des médicaments à un malade sous prétexte que ce serait manquer de confiance en Dieu. Non, nous sommes là en plein mensonge, en pleine illusion : faire confiance en Dieu ne te dispense pas de faire confiance en toi, dans les moyens que Dieu t’a donnés. Faire confiance en Dieu, c’est lui demander de nous donner sa force pour agir, et non d’agir à notre place. L’élève ou l’étudiant qui ne travaille pas pendant l’année et qui va faire dire une messe pour réussir à son concours, pour qui prend-il Dieu ?
Il ne fait pas confiance en Dieu, il tente Dieu, il le met à l’épreuve. Un autre signe du mauvais esprit, c'est de pousser à « en rajouter » indéfiniment… Obsession inquiète d'un « toujours plus » dans l'ordre du faire, qui est une perversion de l'authentique « davantage » situé, lui, dans l'ordre de la qualité de l'être et de l'amour. Satan présente les choses comme une bonne action à réaliser, puis il détourne, tente tout pour faire déraper. L'une des manières dont nous sommes tentés d'échapper à ce que Dieu nous demande, c'est de multiplier les « choses » qu'il ne nous demande pas. Pour les uns, ce sera dans l'ordre des « pratiques » de piété, des réunions continuelles de mouvements chrétiens, pour d'autres la dispersion dans une foule d'activités, au bord du surmenage. Cette dernière est celle qui menace sans doute le plus les agents pastoraux, souvent tentés de compenser par la quantité des activités dans l’ordre du faire le manque dans l’ordre de l’être. Une autre tentation sous apparence de bien, c’est l’évasion dans le « religieux » ou la piété : - Une jeune fille, ayant subi une grave opération, suit avec grande difficulté ses cours de 4e. Un groupe de prière l’amène à faire des veillées de prière toute la nuit deux fois par semaine… Je lui demande comment elle peut étudier le lendemain, et si c’est bien cela que Dieu lui demande… - Un élève très pieux a déjà fait
une retraite de huit jours et une récollection de trois jours. Il me dit son désir de faire encore une retraite de cinq jours avec des jeunes pendant les vacances de Noël. Comme il a besoin d’étudier et de lire, je lui demande si c’est bien cela qu’il doit faire. L'origine de toutes ces tentations ? Peut-être une culpabilité diffuse, alimentant en moi la peur de n'en faire jamais assez ; ou l'incapacité à savoir dire non, à refuser la moindre demande qui m'est adressée, par crainte de décevoir ; peut-être encore la tendance à s'immiscer dans ce que font les autres ou, pour celui qui est en poste de responsabilité, à vouloir tout faire par soi-même, sans vraiment savoir déléguer ni laisser le subordonné remplir la tâche confiée sans chercher à la lui reprendre… De toutes les manières, « en rajouter » pour me cacher le fait que je ne suis pas là où Dieu m'attend. « Devrai-je offrir au Seigneur des milliers de béliers, des libations d'huile par torrents ? - On t'a fait savoir, homme, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d'autre que d'accomplir la justice, d'aimer la bonté, et de marcher humblement avec ton Dieu » (Michée 6, 8). Déjouer ce piège n'est pas facile. Ignace recommande pour cela d'être vigilants sur le déroulement de nos pensées. Car un projet bon au départ peut insensiblement déraper… « Nous devons être très attentifs au déroulement de nos pensées. Si le commencement, le milieu et la fin sont entièrement bons et en-
tièrement orientés vers le bien, c'est le signe du bon ange. Mais si le déroulement des pensées qui nous est présenté aboutit à quelque chose de mauvais, ou qui détourne du bien, ou qui est moins bon que ce que l'âme s'était auparavant proposé de faire, ou s'il affaiblit ou inquiète ou trouble l'âme en lui enlevant sa paix, sa tranquillité et sa quiétude où elle était auparavant, c'est un signe que cela vient du mauvais esprit, ennemi de notre progrès et de notre salut éternel. » (Exercices 333) En outre, comme nous l'avons vu chez Ignace, c'est en s'ouvrant à un autre que l'on aura le plus de chances d'être éclairé et de reconnaître les ruses du Trompeur. Jacques FÉDRY sj Ouagadougou
6
« C’est
le propre de l’ange mauvais qui se transforme en ange de lumière, d’aller d’abord dans le sens de l’âme fidèle, et de l’amener finalement dans le sien. C’est-à-dire qu’il propose d’abord des pensées bonnes et saintes, en accord avec l’âme juste, et ensuite, peu à peu, il tâche de l’amener à ses fins en entraînant l’âme dans ses tromperies secrètes et ses intentions perverses. » (Exercices spirituels 332) Juillet 2011 29
Se former
Accueillir un accompagnateur que je connais par ailleurs Notre équipe vient de changer d’accompagnateur. Or il se trouve que je connais ce nouvel accompagnateur par ailleurs et c’est pour moi difficile de l’accueillir comme tel. Que faut-il que je fasse ?
L'
1 L’assistant pour une région CVX est celui qui est nommé par l’assistant national pour être le garant ecclésial auprès de l’équipe service régionale, qui elle est élue.
2 Indifférence : dans le sens que donnent les Exercices Spirituels dans Principe et Fondement. ES 23, 5-7
L’accompagnateur n’est pas choisi par les membres ; il est donné à l’équipe. À CVX c’est l’assistant régional 1 qui nomme les accompagnateurs de communauté locale. Néanmoins il est des cas où il peut y avoir une incompatibilité. Certaines situations peuvent en effet entraver la liberté de parole dans le groupe ; par exemple lorsqu’il y a entre un membre et l’accompagnateur des liens affectifs trop forts, ou des relations hiérarchiques vécues dans la vie professionnelle ou associative, ou toute autre relation qui empêche de pouvoir s’exprimer en vérité. Aussi cet envoi se fait dans le dialogue et le discernement, après s’être informé de l’histoire de l’équipe, des liens entre les personnes, dans un échange avec le responsable. Connaître l’accompagnateur par ailleurs n’est pas une raison suffisante pour refuser de l’accueillir comme tel. Si cela est perçu comme une difficulté, peut-être y a-t-il à changer son regard. Ce-
lui que nous connaissons avec ses qualités et ses défauts, nous sommes invités à ne pas l’enfermer dans ce que nous savons de lui. Quelqu’un d’autre, après discernement, lui a confié cette mission. Alors entrons dans la confiance qu’il peut faire du neuf en réponse à cet appel ; que l’Esprit Saint peut travailler à travers lui. Peut-être la difficulté nous renvoie-t-elle aussi à l’image idéale que nous avons de l’accompagnateur ? De quel accompagnateur rêvons-nous ?… Et pourquoi ? Peut-être pensons-nous que notre croissance personnelle et communautaire dépend de lui ? C’est vrai que l’accompagnateur a une parole à dire, qu’il a des propositions à faire ; mais ne nous y trompons pas, la croissance Dieu seul peut la donner, en réponse à notre désir, à notre investissement. L’accompagnateur est comme le jardinier, il prépare la terre mais ce n’est pas lui qui fait pousser ; il peut guider, proposer des moyens qui vont aider, être témoin et garant
30 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
du chemin, mais il ne maîtrise pas l’allure de l’avancée. Enfin derrière le fait de « recevoir » un accompagnateur se cache un enjeu spirituel important : il s’agit de ne pas vouloir tout décider mais de se tenir dans « l’indifférence » 2, de ne pas vouloir tel ou tel accompagnateur, mais seulement ce qui conduira davantage à « louer, respecter et servir notre Seigneur ». Il s’agit de se laisser dérouter, d’entrer dans la confiance, de s’en remettre à un autre et à la Communauté dont nous recevons le projet, la spiritualité, la manière de vivre, mais aussi les manières de faire qu’elle s’est données. Ainsi quand il y a difficulté, demandons-nous d’où elle vient. Cette clarification fera entrer dans une plus grande liberté et permettra éventuellement d’alerter sur un réel problème dont l’assistant n’aurait pas eu connaissance.
6
Marie-Élise COURMONT
© iStock
Juillet 2011 31
Ensemble faire Communauté
Un trésor à partager Dans beaucoup de régions, des CVX se mettent au service de la famille ignatienne et des paroisses pour une semaine de prière accompagnée ou pour une retraite dans la vie. C’est ainsi que fin 2010 la région Paris-Sud-Ouest a participé à l’organisation et à l’accompagnement d’une retraite dans la vie.
E
En 2006 et 2007, Élisabeth Courouble (CVX) avait organisé deux retraites dans la vie (l’une d’une semaine, l’autre sur 5 semaines) dans la paroisse St Lambert dans le 15e arrondissement de Paris. Ayant participé à la deuxième, j’avais trouvé l’expérience très heureuse et j’ai eu envie de renouveler cette initiative qu’Élisabeth ne pouvait pas reprendre. Grâce à elle, deux personnes de la paroisse et membres de CVX (Annie Vigoureux et Joseph Sow) ont accepté de former équipe avec moi et Daniel Régent, supérieur de la communauté jésuite de Blomet, pour organiser la retraite. Le Père Caveau, curé de la paroisse, qui avait vu les fruits des retraites précédentes a accueilli très favorablement notre proposition d’une retraite étalée sur la période de l’Avent et nous a beaucoup soutenus et encouragés. Le principe était d’organiser une réunion tous les mardis soir avec un temps de prière en petits groupes, et des indications pour prier pendant la semaine (des livrets ont
été constitués avec des propositions pour chaque jour et quelques gloses). Chaque retraitant était accompagné individuellement chaque semaine. Cette retraite fut rendue possible grâce à la collaboration heureuse entre la communauté jésuite de la rue Blomet (St Lambert est notre paroisse) (5 étudiants et 4 pères s’y sont engagés), la paroisse St Lambert et la Communauté de Vie Chrétienne, en particulier la région Paris-SudOuest qui a fourni nombre d’accompagnateurs (environ une douzaine). En tout 30 personnes ont été mobilisées pour l’animation (dont 24 accompagnateurs). C’était nécessaire puisqu’en fin de compte nous avons eu 55 inscrits, de 23 à 91 ans ! Parmi les fruits recueillis, il est à noter que cette expérience a permis à une dizaine de personnes de se former et de commencer une expérience d’accompagnement, grâce aux réunions d’animateurs et aux supervisions proposées. Mais c’est bien sûr le fait de rendre accessible une initiation aux Exercices
32 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
pour un public paroissial ordinaire qui fut notre plus grande joie. Beaucoup témoignent avoir découvert une « nouvelle forme de prière », une autre « manière d’entrer en relation avec Dieu » (plus contemplative, plus « goûteuse »), d’avoir trouvé « une spiritualité qui [leur] parle », découvert une méthode « très construite, dynamique, où la parole de Dieu mène à la prière », ou avoir appris à relire la présence de Dieu dans leur vie. Les moments de relecture et de prière en petits groupes ont été très appréciés car fournissant un appui fraternel et communautaire. Dans les témoignages les mots « sérénité », « paix » ou « joie » reçues reviennent beaucoup. De même l’impression d’avoir vécu « une plus grande proximité avec le Seigneur ». Un des participants déclare : « La retraite m’a beaucoup apporté, en étant plus serein, j’ai été plus accueillant à l’égard des autres, cela m’a aidé à pouvoir faire face dans un moment difficile dans mon travail ». Une autre insiste sur
l’expérience de fraternité nouée avec les paroissiens : « j’ai été heureuse de sentir, de renforcer des liens d’amitié avec d’autres paroissiens, et d’expérimenter une fraternité amicale avec différents participants ». Les retraitants ont ainsi éprouvé le soutien d’une communauté priante, à la fois bienveillante et discrète, où « chacun dans la simplicité et la pauvreté de notre humanité pouvait exprimer sa soif de Dieu, son désir de rencontrer le Christ ». Enfin il faut ajouter que ce fut pour les accompagnateurs un moment important de convivialité et de partage qui a permis à chacun de s’enrichir de l’expérience et du discernement des autres. Une expérience à renouveler et comme disait une participante à « proposer sans modération ».
L
Alain THOMASSET sj
La paroisse St Lambert compte un bon nombre de membres CVX. Cette situation a conduit l’Équipe service régionale (ESR) de Paris-Sud-Ouest à se demander comment, à l’occasion de la retraite dans la vie proposée aux paroissiens, « mettre dans le coup » toute la région. Nous avons insisté sur le fait que c’est la famille ignatienne qui offre les Exercices à des chrétiens comme un trésor à partager, pour que tous se réjouissent de cette collaboration entre jésuites, religieuses ignatiennes et laïcs CVX. J’y ai puisé force et courage pour appeler et mobiliser des accompagnateurs laïcs déjà formés ou en formation.
Par ailleurs la région a été informée que deux membres CVX étaient plus particulièrement investis dans les tâches d’organisation. S’ils avaient besoin d’aide, ils savaient que la région s’engageait à les soutenir et qu’ils pouvaient demander du renfort. L’ESR a également demandé à toute la région de prier pour les retraitants et de prier pour que l’Esprit fasse son œuvre à travers tous les accompagnateurs engagés. Par cet intérêt porté à la retraite de St Lambert, nous avons essayé de mettre en œuvre quelques caractéristiques de ce que nous appelons mission communautaire. Nous nous sommes ainsi approchés en tâtonnant de ce qu’est notre vocation de devenir un corps apostolique. Catherine DORLACQ Ancienne assistante de la région Paris-Sud-Ouest Le Père Caveau, curé de St Lambert note les relations fraternelles qui existent entre les prêtres de la paroisse et la communauté jésuite de la rue Blomet. Les temps forts précédemment animés par la famille ignatienne avaient été bien appréciés par les personnes qui fréquentent la paroisse. La proposition d’une retraite « clés en main » était donc la bienvenue. Il souligne combien l’exercice de la relecture est essentiel dans la vie d’un chrétien. Or faire une retraite permet de découvrir cette forme de prière, mais pour certains, partir plusieurs jours à l’écart n’est pas possible avant longtemps ; d’autres ont peur de
se lancer. La retraite dans la vie offre donc un moyen de se poser et de relire sa vie : relire sa vie comme le sage qui perçoit le ferment du Royaume à l’œuvre dans son quotidien ; relire sa vie comme le prophète qui devient témoin de la Bonne nouvelle de l’Évangile. Des paroissiens ont pu s’initier à la relecture à l’école d’Ignace de Loyola. L’année prochaine, ceux qui le souhaitent seront invités à entrer dans la prière à la suite des saints du Carmel. La paroisse répond ainsi à sa mission en permettant à ceux qui y passent de trouver des moyens pour que la Parole de Dieu fasse irruption dans leur vie.
6
Cette expérience de retraite dans la vie à St Lambert rappelle ce que nous disait le Père Kolvenbach en 2006, dans son discours de clôture du Congrès de Lourdes (qui prenait place au sein du rassemblement de la famille ignatienne) : « Intervenant au terme de votre Congrès – un congrès différent des autres, dont je vous remercie d’avoir avancé la date pour permettre aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne de vivre le rassemblement de Lourdes avec « la famille ignatienne » – je bornerai mon propos à quatre réflexions : • les liens entre la Communauté Vie Chrétienne et la Compagnie de Jésus sont précieux ; • nous avons un trésor en partage ; • notre monde a besoin de nous ; • au cœur de l’Église. » Texte intégral disponible sur www.viechretienne.fr Juillet 2011 33
Ensemble faire Communauté
Le grand forum de pentecôte « Beauté, Rencontres et Liberté » À l’occasion de la Pentecôte, le centre Saint Hugues de Biviers a organisé un grand forum : causeries, exposition d’œuvres inédites d’Arcabas, hommage au P. Ganne, etc. Petit aperçu à voir plus en détail sur le site www.st-hugues-de-biviers.org.
P 1 Jésuite présent au centre Saint Hugues de 1962 jusqu'à sa mort le 15 août 1979
Paul Legavre, assistant national de la CVX, a introduit son homélie de Pentecôte par cette phrase de Pierre Ganne1 : « La signature de Dieu, c’est la joie, et personne ne peut la contrefaire. »
Droits réservés
Pentecôte 2011 : 1 an après Nevers… c’est dans la même atmosphère simple et joyeuse et dans le même élan communautaire que nous nous sommes retrouvés au centre Saint Hugues pour vivre en actes un « OUI à partager pour la mission ».
6
Et cette joie fut bien palpable durant ces trois jours. Nathalie ARRIGHI Directrice du Centre
Quelques chiffres
sait résonner ces expériences avec celles des générations précédentes. Et la théologie poétique des hymnes de Didier Rimaud faisait monter les notes d’un chant de communion.
Aux tableaux d’Arcabas répondait l’ample quête du Saint-Esprit dans l’œuvre du théologien Yves Congar. L’expérience intime du Saint-Esprit de Pierre Ganne entrait en résonance avec la matière rayonnante des toiles d’Arcabas. L’histoire des représentations du Saint-Esprit dans l’art sacré fai-
Exposition, conférences et célébrations liturgiques donnaient à chacun de voir, entendre, goûter la diversité des dons dans l’unique don de Dieu, source de toute liberté. Et dans les échanges auxquels se livraient les participants au gré des découvertes, se tissaient ces liens qui font vivre. » Droits réservés
• 100 personnes inscrites à la session « L’Esprit Saint à l’œuvre dans nos vies » • 1 600 visiteurs de l’exposition GanneArcabas • 60 bénévoles au service, venus de toute la France (dont la majorité de la CVX)
Ingmar Granstedt, écrivain, l’un des intervenants de la session, livre ses impressions. « Personnellement j’ai perçu une mise en résonance entre des expériences très fortes de la foi chrétienne.
34 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
Adieu à Pierre de Vogüé Responsable national de 1972 à 1974
Pierre de Vogüe, responsable national de 1972 à 1974 est décédé le 29 mars dernier à l'âge de 89 ans. Madeleine Terrasson, secrétaire nationale lorsqu'il était responsable et Dominique Laplane, membre de sa communauté locale lui rendent hommage, ainsi qu'à son épouse Geneviève.
L
Lors de la messe d'adieu à Pierre, nous avons chanté « Joyeuse lumière, Splendeur éternelle du Père… » et prié avec le Cantique de Syméon : « Maintenant Seigneur, tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix, selon ta parole… » Cela le définissait parfaitement. Trois mots le caractérisaient : l'intelligence, la patience et la douceur. Ses petits enfants ont aimé rappeler son sourire.
Il a été responsable national de notre Communauté de Vie Chrétienne dans les années qui suivaient mai 1968 et il a su faire face à de rudes tensions qu'il canalisait par la douceur. Par sa patience et son discernement dans des tournants difficiles, il sut tenir ensemble l'inspiration spirituelle et le sens de l'Église, en gardant la CVX de la tentation de l'élitisme. Il savait rappeler avec conviction les véritables fondements de notre raison d'être : laïcs partageant leur foi à la lumière des Exercices spirituels pour témoigner dans le monde. J'ai trois souvenirs forts de lui : Au Congrès de novembre 1968, de la tribune avec Georges Bermond,
alors responsable, il était capable de refaire les statuts de l'association de manière vivante et simple. Il était alors Directeur au Ministère des Finances. Avant les élections présidentielles de 1974 (Giscard/ Mitterrand), il a donné son accord pour que nous fassions, lors d'une rencontre spéciale, un véritable discernement communautaire sur nos intentions de vote et luimême nous a fait part des raisons « pour » et « contre » lui permettant de choisir son candidat. Il aimait la musique. Avec Geneviève son épouse, ils n’hésitaient pas à me faire partager leur abonnement aux concerts du Théâtre des Champs-Élysées pour écouter du Mozart… C'était une joie de retrouver son sourire lors des rencontres annuelles des 25 mars ou 31 juillet, tant que cela lui a été possible. Madeleine TERRASSON Madeleine Terrasson a rappelé l’essentiel de ce que l’on peut dire sur Pierre de Vogüé dans ses rapports avec Vie Chrétienne. En tant que membre du groupe qu’il a animé pendant tant d’années et qui ne s’est dissous que du fait de son vieillissement et des maux qui vont avec lui, je tiens à ap-
porter la marque de l’affection que nous lui portions et à associer dans notre mémoire le souvenir de son épouse Geneviève dont l’énergie et la parfaite communauté de vision lui ont fourni un indispensable soutien. Je voudrais simplement souligner à quel point ils étaient attachés à la Communauté de Vie Chrétienne et à travers elle à l’Église en général. Je ne pense pas exagérer en disant que cette appartenance avec les moyens qu’elle impliquait était le pivot de leur vie, ce qui leur a permis d’endurer les très grandes souffrances que lui a procurées sa présidence du mouvement dans une période si mouvementée de notre histoire, une souffrance qui ne transpirait que dans l’intimité et d’ailleurs avec la plus grande sobriété. Ils réussissaient à maintenir une grande sérénité. C’est dans le même esprit d’acceptation positive qu’ils ont accueilli la longue maladie terminale de Pierre. Ils nous ont aussi montré, surtout par l’exemple, à quel point l’engagement dans la vie sociale et la vie de l’Église faisaient partie de l’engagement dans Vie Chrétienne et ce qu’était la contemplation dans l’action. Dominique LAPLANE
6 Juillet 2011 35
Ensemble faire Communauté
Au Liban,
la CVX veut aider à l’engagement politique des chrétiens
© Droits réservés
En reportage à Beyrouth en décembre 2008, j’avais rencontré l’équipe nationale (5 membres) de la CVX Liban dans ses locaux, au-dessus de l’église Saint-Joseph des pères jésuites. Cette équipe nationale était alors coordonnée par Najat Sayegh, éducatrice dans le collège des jésuites et célibataire. Deux ans et demi plus tard, j’ai repris contact avec elle par téléphone.
Claire Lesegretain est assise sur le banc entourée de Mariam Younès (à gauche) et Najet Sayegh (à droite). Rita Ramy, membre de l'ExCo, est debout, 3e à partir de la gauche.
36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
A
Il faut dire que la CVX accueille une dizaine de nouveaux membres chaque année. « Certains Libanais qui étaient partis travailler à l’étranger à cause des difficultés économiques au Liban, sont en train de revenir au pays car la situation est un peu meilleure ici actuellement », poursuit Najat. Toutefois, les effectifs de la CVX Liban n’augmentent guère car, en même temps que de nouveaux membres adhèrent, d’autres s'en vont. D'ailleurs, l’équipe nationale veut soutenir l’engagement social et civique des chrétiens afin qu’ils restent au Liban. En 2008, pendant la période où le Liban se trouvait sans président, la CVX Liban avait organisé deux journées de formation sur le thème « Témoignage et espérance », inspirées par la fameuse phrase de Jean-Paul II : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un
© Laurent Larcher/CIRIC
Aujourd’hui, Najat Sayegh n’est plus responsable de la CVX Liban mais elle est secrétaire de l’équipe nationale. Au téléphone, elle évoque avec enthousiasme plusieurs temps forts vécus par la CVX Liban ces derniers mois. À commencer par la visite du supérieur général des jésuites le P. Adolfo Nicolás, venu en mars en tournée dans tout le ProcheOrient, et resté quelques jours à Beyrouth : ce fut l’occasion d’une rencontre avec lui (en tant qu’assistant ecclésiastique mondial de la CVX) coïncidant avec la messe mondiale du 25 mars, au cours de laquelle 16 membres ont prononcé leur engagement (permanent ou renouvelable) au sein de la communauté.
Notre-Dame du Liban (à Harissa, à 25 km de Beyrouth).
message. » Des extraits de son exhortation apostolique « Une espérance nouvelle pour le Liban » (1997) avaient été lus à la cinquantaine de participants puis chacun avait exprimé ses soucis et ses peurs, mais aussi sa foi et sa fierté d’être libanais. C’était le cas d’Élie Khater, rencontré en 2008. Cet ingénieur en bâtiment d’une trentaine d’années, à
l’époque tout jeune marié, avait décidé, au cours d’une retraite de discernement et après plus de trois années en région parisienne, de revenir travailler au Liban. Engagé à CVX depuis 2000, il parlait avec conviction de son « rôle de témoignage » dans un contexte multiconfessionnel et de sa « chance de vivre sur une terre où, depuis des siècles, différentes
,
Juillet 2011 37
Ensemble faire Communauté
!
religions coexistent ». « En tant que CVX, nous avons beaucoup à donner pour que les chrétiens du Liban s’engagent davantage dans la vie politique », expliquait de son côté Rita Ramy en 2008.
Claire Lesegretain, membre de la CVX depuis 1994, est grand reporter du service Religion de La Croix. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Être ou ne pas être célibataire, Saint-Paul, 1998.
Depuis un an, après la journée mondiale dédiée au « choix préférentiel pour les pauvres », la CVX Liban s’engage auprès des plus démunis dans un quartier chrétien de Beyrouth. Depuis peu, elle se mobilise aussi auprès des chrétiens d’Irak qui, fuyant les violences dans leur pays, arrivent ici en situation irrégulière et ne trouvent à se loger que dans des caves ou des appartements insalubres qu’ils louent très cher, en attendant leur émigration définitive vers les États-Unis ou autre. « Nous commençons par leur assurer un soutien humain et spirituel, en les visitant régulièrement, en étant à leur écoute ; nous leur procurons aussi certains produits de nécessité et nous organisons des activités pour les enfants et bientôt pour les grands », poursuit Najat. Autre engagement fort de la CVX Liban : le dialogue avec les musulmans. En 2008, j’avais ainsi longuement parlé avec Mariam AbouYounès (membre de la CVX Liban depuis ses débuts) et enseignante
dans un collège-lycée à 100 % musulman, dans la banlieue sudouest de Beyrouth, fief du Hezbollah. Après avoir discerné, elle avait compris que sa « mission » était d’être avec les musulmans. Comme Mariam, Zella Kadouzian, assistante administrative à l’Université Saint-Joseph et membre de CVX depuis 1997, était également impliquée dans des rencontres régulières entre musulmans et chrétiens et des prières communes pour la paix chaque année. En septembre 2008, une marche de trois jours a été organisée dans la Békaa, pour rencontrer et loger chez les musulmans de la région : « ce fut une expérience d’ouverture et de respect mutuel des différences ; nous devons dépasser nos peurs les uns des autres, nous connaître mieux », insiste Najat qui s’est rendu compte pendant ces trois jours que « beaucoup de musulmans aiment les chrétiens et veulent le dialogue ». Enfin, la CVX Liban a accueilli un groupe de 16 personnes de Biviers l’été dernier avec marche-retraite d’une semaine dans la vallée sainte de la Qadisha, au Nord du Liban. Une expérience formidable qui devrait être renouvelée en 2012 en France. Avis aux amateurs ! Claire LESEGRETAIN
38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - Nº 12
6
La CVX Liban a plus de vingt ans Fondée en 1990, après la guerre civile, la CVX Liban n’a été affiliée à la CVX mondiale qu’en 1998. « Il fallait réécrire les statuts car les Congrégations mariales (ancêtres de la CVX) étaient alors numériquement importantes et restaient rattachées aux paroisses », explique Tobie Zakia (médecin franco-libanais) qui contribua, avec les jésuites français Louis Boisset et Bruno Sion, au développement de la CVX Liban. Tobie Zakia fut le premier président de la CVX mondiale (1979-1986), puis le président de la CVX France (1987-1991). Il reste un membre actif de la CVX Liban, en tant que formateur à la spiritualité ignatienne, assistant spirituel d’un « groupe de couples » (une spécificité libanaise) et accompagnateur individuel. Avec 170 membres, répartis en 22 équipes (dont deux en phase d’accueil), la CVX Liban peut actuellement compter sur 9 jésuites (surchargés) et 5 laïcs formés pour assurer l’accompagnement des équipes. Afin de former d’autres accompagnateurs, la commission de formation a donné deux sessions depuis quelques années, et quelques membres se forment à l’accompagnement des Exercices à la faculté des Sciences religieuses de l’Université SaintJoseph. De leur côté, les scolastiques jésuites peuvent rejoindre une équipe en accueil et vivre ce parcours, en vue d’accompagner des groupes dans le futur.
Billet
Pourquoi j’y crois encore…
''
Droits réservés
Oui, pourquoi y croire encore, lorsque tout semble montrer la vanité d’espérer, lorsque les nouvelles du monde ont cet air de déjà-vu, de trop souvent entendu, et ne font que répéter sans fin le vieux péché des hommes, déclinant de mille façons le même drame d’une humanité qui au fond tourne en rond, rabâche les mêmes folies, les mêmes erreurs, prise en boucle dans les mêmes ornières. La convoitise avec son cortège de corruptions et de violences en tous genres ravage les sociétés ; les injustices se répètent et s’amplifient même ; les pauvres s’appauvrissent toujours davantage et les petits sont toujours plus écrasés et bafoués ; alors retentit avec force un cri légitime, ancestral, question demeurant lancinante et troublante : « où est-il ton Dieu ? » Si du moins je pouvais opposer à cette dégradation du monde la splendeur manifeste de mon Église, il me serait facile d’y croire, et le contraste entre un monde déchu et la société des sauvés ne soulignerait que mieux la puissance de la foi. Mais voilà, des lourdeurs, des tares, et jusqu’aux mêmes scandales, frappent mon Église, et je ne peux que constater avec stupeur et tristesse les inerties, les inepties, les écroulements, de ma communauté de foi. Alors, pourquoi y croire encore ? Eh bien, j’y crois encore, parce que ce monde gangrené de mille morts est traversé par des myriades de signes de résurrection, et qu’un seul sourire d’enfant porte plus de promesses que tous nos rictus de douleur ou nos grimaces désabusées ; parce que l’arbre tordu sous le soleil, accroché sur son rocher, plongeant ses racines dans des failles improbables pour y puiser quelque eau lointaine, me parle intensément du miracle de la vie, qui jamais ne renonce, résiste et persévère, croît et fructifie même en plein désert… Parce que les peaux mortes en train de tomber ne sont pas à pleurer, dans des regrets stériles, mais qu’il s’agit au cours de la mue de voir émerger la créature revêtue de sa peau neuve ; ainsi de notre Église qui laisse tomber quelques peaux mortes, pour mieux rajeunir et se laisser régénérer, mue par un Esprit toujours à l’œuvre, Créateur surprenant nos attentes et déroutant jusqu’à nos désespoirs. Parce qu’un homme il y a 2000 ans, un certain Jésus de Nazareth, a manifesté jusqu’au bout – et jusqu’à l’extrême – sa confiance en Dieu ; et parce qu’Il nous a révélé à quel point Dieu croyait en l’homme. Finalement, j’y crois encore parce qu’Il y croit encore. Pascal GAUDERON sj
Juillet 2011 39
Prier dans l'instant Quand je n’ai pas de temps Seigneur, cette semaine, je bâcle ma prière. Tout en assurant un service minimum, le cœur et la tête ne sont pas vraiment là, absorbés par les multiples urgences d’une journée qui semble bourrée à craquer. Je me dis que tu ne m’en veux pas et que tu dois être heureux de me voir me dépenser pour mes proches et pour des projets qui me dynamisent. Et en même temps, me revient cette parole que tu as adressée à Marthe, après l’avoir appelée deux fois par son prénom : « tu t’inquiètes et t’agites pour bien des choses. »
© Bridgeman
Dans cette montagne d’occupations, lesquelles sont vraiment nécessaires ? La pression que je me mets est-elle justifiée ? N’altère-t-elle pas la qualité de mes relations avec mes prochains ? Est-ce que je choisis vraiment la meilleure part ? Seigneur, chaque fois que je fais l’expérience de ta présence dans la prière, j’en ressors pacifié, heureux, le cœur dilaté. Mais comme il m’est difficile de persévérer ! Insensiblement, l’urgent grignote progressivement l’essentiel et m’éloigne de toi. Je suis comme le fils prodigue, qui comprenant qu’il s’est égaré, revient régulièrement me jeter dans tes bras.
Le retour du fils prodigue, Rembrandt, huile sur toile, Musée de l'Ermitage, St Petersbourg.
Accueille-moi dans ton amour et donne-moi de demeurer en ta maison. Charles MERCIER
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Juillet 2011