Vie chrétienne Nouvelle revue
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Ce qui m’empêche de prier De l’Éden au Royaume de Dieu
Exister au travail
Sommaire
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable des éditions : Dominique Hiesse Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Secrétaire de rédaction : Marie Benêteau Comité de rédaction : Marie Benêteau Marie-Elise Courmont Marie Emmanuel Crahay Jean-Luc Fabre s.j. Yves de Gentil-Baichis Marie-Gaëlle Guillet Dominique Hiesse Barbara Strobel Comité d'orientation : Alice Bertrand-Hardy Marie-Agnès Bourdeau Nicolas Joanne Anne Lemant Claire Sébastien Béatrice Mercier Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : ©iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
éditorial l’air du temps Espérer une ère nouvelle en égypte par Jean-Jacques Pérennès
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chercher et trouver dieu
Exister au travail
Témoignages La finance change le travail étienne Perrot s.j. La parabole des talents Christophe Duval-Arnould La contemplation pour parvenir à l’amour Marie Emmanuel Crahay a.s.
babillard se former Ce qui empêche de prier Catherine Dorlacq Clown, au-delà du nez
Agnès Penet
De l’Éden au Royaume de Dieu Martin Pochon s.j. La fin et les moyens selon saint Ignace Sylvie Robert Accueillir de nouveaux membres Marie-Agnès Bourdeau ensemble faire communauté Le charisme CVX au service des camps MEJ Halte spirituelle en famille lors du Festival JMJ Lalouvesc 2013 Retour sur l’Université d’été CVX 2013 L’Assemblée mondiale, une communauté à vocation laïque En communion avec la CVX Syrie Au service de l’Assemblée mondiale billet L’énigme du joug Philippe Robert s.j. prier dans l’instant Avec mon côté rationaliste Charles Mercier
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
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Éditorial
sur le chemin de l’avent
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© Corinne Simon / CIRIC
Bientôt ce sera le temps de l’Avent. À nouveau, l’Église, par sa liturgie, invite à l’espérance. N’avons-nous pas besoin, dans un contexte de tensions internationales, d’inégalités et de crise économique, d’entendre que vient le Royaume de justice et de paix ? L’Avent, c’est aussi une invitation à entrer dans une attente active : deux mots qui suggèrent une tension ; il s’agit de grandir à la fois en confiance et en responsabilité. Plusieurs articles de ce numéro, prenant appui sur l’Écriture ou sur des textes des Exercices Spirituels de saint Ignace, incitent à avancer sur ce même chemin. À la fois ils rappellent que Dieu, Créateur et Sauveur, n’a de cesse de partager sa vie et n’a qu’un désir, celui que nous participions à son Royaume où l’amour est vainqueur. À la fois ils insistent sur notre responsabilité : crées à l’image de Dieu, nous sommes appelés à exister et à travailler en tous lieux, à choisir et prendre des initiatives pour faire advenir cette vie fraternelle.
»
Nous voici associés au travail d’enfantement de la création, où le Seigneur le premier travaille et peine. Et c’est la joie qui est promise. « Heureux les pauvres de cœur… Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux. » (Matthieu 5,3.10).
Marie-élise Courmont
Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr
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L'air du temps
Espérer une ère nouvelle en Égypte Jean-Jacques Pérennès est religieux dominicain, français et vit au Caire depuis 2000. Actuel directeur de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, ses champs d’étude ont porté successivement sur l’économie du développement, le dialogue interreligieux et l’histoire de l’Ordre dominicain dans le monde musulman.
Depuis la destitution du président Mohamed Morsi le 3 juillet 2013 et la dispersion violente des sit-in de manifestants pro-Morsi le 14 août par l’armée égyptienne, les attaques interconfessionnelles visant les coptes ont fortement augmenté, inquiétant les organisations internationales des droits de l’homme. Jean-Jacques Pérennès, directeur de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, nous éclaire sur la situation des chrétiens coptes en égypte.
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1. Le mot « copte » viendrait du grec Aegyptos, c’est pourquoi ils se considèrent généralement comme les « égyptiens originels ». Figurant parmi les toutes premières communautés chrétiennes, les coptes font remonter leur tradition à la fondation de l’église d’Alexandrie par l’apôtre Marc en 42 après Jésus-Christ. À la suite de la conquête musulmane au VIIe siècle, le mot « copte » n’a plus désigné qu’une appartenance religieuse : les coptes étant les égyptiens qui ne se sont pas convertis à l’islam.
Qui sont les chrétiens d’Égypte ? Les coptes d’Égypte constituent de loin le groupe de chrétiens le plus nombreux du Moyen-Orient : environ 8 millions. Ils sont les héritiers d’une longue histoire et en sont légitimement fiers. L’Église copte, majoritairement orthodoxe depuis le concile de Chalcédoine, a été le berceau du monachisme et constitue une des richesses du christianisme oriental1. Comme les autres Églises chrétiennes du Moyen-Orient, elle a beaucoup contribué à la renaissance culturelle nationale, grâce au très gros travail d’éducation fait dans les écoles chrétiennes depuis le xixe siècle, et dont beaucoup de musulmans bénéficient également. Jean Paul II aimait souligner à juste titre que ce poumon oriental du monde chrétien est un trésor qu’il faut chérir et préserver. Qui sont les Frères musulmans et quelle est leur influence aujourd’hui dans les pays du Moyen-Orient ? Les Frères musulmans sont un mouvement politique, né en 1928
en Égypte à l’instigation d’un instituteur, Gamal-al-Banna, qui voulait contribuer à redonner au monde musulman un lustre et une influence qu’il avait perdus depuis la Renaissance en Occident. À ses yeux, l’abolition du califat par Ataturk en 1924 signait le déclin de la communauté musulmane, l’oumma, et devait être combattu par un engagement militant de tous les musulmans. Gamal-al-Banna a réussi à créer une confrérie qui s’est peu à peu implantée dans tous les milieux sociaux mais aussi tous les pays de la région. L’épisode que vient de vivre l’Égypte n’est pas leur premier essai pour prendre le pouvoir. Pourquoi n’ont-ils pas trouvé leur place dans le jeu politique du pouvoir intermédiaire en Égypte ? Les Frères musulmans ont obtenu une nette victoire électorale au cours des premières élections libres de l’histoire moderne de l’Égypte, mais, marqués par quatre-vingts ans de clandestinité et de répression, ils se sont
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comportés de manière sectaire, cherchant surtout à garantir leur place au pouvoir, et sont restés sourds aux appels de la société civile et de l’armée à faire une place à tous dans le jeu politique. En destituant le président Mohamed Morsi le 3 juillet 2013, les militaires n’ont fait qu’exécuter la volonté d’une grande majorité d’Égyptiens. Comment décririez-vous les relations, historiquement, entre chrétiens et musulmans dans cette région du monde ? Chrétiens et musulmans dans cette partie du monde ont beaucoup de choses en commun : la langue arabe, l’attachement à une terre, une même culture en partage, un profond sens religieux. Hélas, au fil de l’histoire, en devenant majoritaire, l’islam a eu tendance à imposer sa vision du monde et de la société, ses mœurs, sa culture aux chrétiens locaux, de plus en plus minoritaires au fil du temps. Des périodes de réelles persécutions ont eu lieu, qui ont marqué douloureusement la mémoire
© Nabil Boutros / CIRIC
▲ Visite des morts le Vendredi Saint : tradition copte issue de l'antiquité pharaonique à laquelle participent les musulmans. Cimetière du village El Balassya, égypte, 2003.
des chrétiens. Trente ans d’islam politique (depuis la fin des années 1970) ont contribué à durcir les relations, à accroître les peurs. Les courants radicaux, encouragés par les salafistes et les wahabbites des pays du Golfe, ont beaucoup contribué à durcir les relations. De l’autre côté, certaines décisions politiques et militaires de pays occidentaux comme la guerre du Golfe, l’invasion de l’Irak puis celle de l’Afghanistan, ont contribué à durcir le regard des musulmans sur un Occident qu’ils considèrent – à tort – comme chrétien. Quel est le rôle des puissances internationales dans ce contexte ? Les puissances occidentales restent trop commandées par le souci de leurs intérêts : sauvegarder l’accès aux hydrocarbures, préserver ou améliorer des positions commerciales, vendre de l’armement. Le souci du développement est largement passé au second plan. Le monde musulman est aujourd’hui souvent accusé pour sa complaisance envers des idéologies totalitaires, voire même le terrorisme, mais l’Occident s’interroge fort peu sur ses choix géopolitiques
et leurs fruits amers : inégalités accrues, amertume vis-à-vis d’une culture mondiale dominante plus subie que choisie. Quelles sont aujourd’hui les possibilités pour l’avenir, un dialogue est-il possible ? Avant de pouvoir parler à nouveau de dialogue, il faut commencer par restaurer le goût et, parfois même, la possibilité de vivre ensemble. Malgré les drames de l’histoire, chrétiens et musulmans du Moyen-Orient gardent encore bien des choses en commun ; leurs défis culturels et sociaux sont les mêmes : l’éducation, la promotion de la femme, la préservation ou la sauvegarde de l’environnement, la lutte contre la corruption et les inégalités sociales, etc. Affronter ensemble ces défis communs peut beaucoup contribuer à rapprocher les communautés. Le pire serait de s’enfoncer dans le communautarisme qui semble
prévaloir un peu partout depuis la guerre du Liban et la guerre du Golfe. Le conflit dramatique en Syrie montre à quelles horreurs cela peut conduire. Il faut souhaiter que le printemps arabe réussisse et ouvre aux sociétés du monde arabe une ère nouvelle, où chaque citoyen verrait respecter ses droits. On pourra alors se situer comme citoyen, non plus d’abord comme chrétien ou musulman, et s’engager comme citoyen dans le changement social. C’est à cela que Benoit XVI a invité les chrétiens d’Orient au terme du synode spécial des Églises du Moyen-Orient, réuni à Rome en octobre 2010. Une fois encore, on mesure à quel point vouloir vivre ensemble, malgré les drames et les malheurs de l’histoire, est le seul chemin qui vaille. Propos recueillis par Marie Benêteau
« Y a-t-il un islam autre que politique ? » Retrouvez sur notre site www.editionsviechretienne.com l’intégralité de l’interview de Jean-Jacques Pérennès novembre / décembre 2013
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Chercher et trouver Dieu
EXISTER AU TRAVAIL Réinventer le travail pour l’adapter au changement de nos sociétés, c’est une nécessité, une urgence1. Mais se réinventer soi-même au travail, c’est en amont de toute évolution, c’est vouloir exister : en risquant une nouvelle orientation professionnelle, en mutualisant ses pratiques de métier, en osant une parole vraie, en faisant dialoguer les cultures… Réentendre Jésus parler en parabole avec une écoute neuve change des discours sur le « développement des talents » souvent entendus dans le monde du travail. Se battre pour exister au travail reste d’autant plus difficile que le contexte économique et les enjeux financiers génèrent de façon plus fréquente et insidieuse des modes brutaux de management. Mais de plus en plus y résistent. Ceux-là gardent le courage et la joie d’exister en lien réel avec d’autres, sans être fascinés par des peurs incontrôlées. Dominique Hiesse
© iStock
1. C’est le thème des Semaines Sociales de France qui se tiennent à Lyon, Paris et Strasbourg du 22 au 24 novembre 2013.
Témoignages Trouver sa place. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 « L’union fait la force » . . . . . . . . . . . . . 9 Oser une parole. . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Créer du lien au cœur de la mondialisation. . . . . . . . . . . . . . 11
éclairage biblique
Contrechamp La finance change le travail. . . . . . . . 13
Pour continuer
La parabole des talents. . . . . . . . . . . . 14 Repères ignatiens La contemplation pour parvenir à l’amour. . . . . . . . . . . 16
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en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
trouver sa place S'épanouir dans son travail, évoluer en adaptant au mieux ce qui correspond à ses aspirations est souvent synonyme d'un chemin sinueux et exigeant.
1. Mon premier métier m’avait comblée : consultante formatrice en management dans un grand cabinet qui embauchait les « juniors », les formait, leur permettait d’évoluer.
2. Il s’agit d’un groupe de relecture et de réflexion sur les pratiques professionnelles, l’atelier CVX Management et Ressources Humaines auquel je suis fidèle depuis près de dix ans.
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À peine trente ans et déjà responsable des ressources humaines d'une grosse ONG située dans la province où j'avais choisi de m'établir : c'était rêvé ! Au quotidien, c'était un poste exigeant, voire épuisant, car l'organisation multipliait les évolutions structurelles. Au bout de six ans, je commence à penser à la suite : mais que faire ? Un bilan de compétences m'aide à sortir du vertige de la liberté de choix que me permet mon statut de célibataire et à décider de poursuivre tout en triant mes idées pour la suite.
Mais au retour, les mêmes questions. Rester en ONG ? Aller en entreprise, avec le risque d’y trouver une culture beaucoup moins humaniste et plus de frustrations ? Refaire du conseil1 avec la nécessaire chasse aux contrats ? Avec profit, je me fais accompagner dans cette réflexion, de manière plus approfondie et durable qu'un bilan de compétences. Alors qu'au fur et à mesure se dessine le désir de refaire du conseil, consciente de mes faiblesses commerciales et ne souhaitant pas travailler seule, une nouvelle opportunité surgit d'un groupe auquel je participe2 : m'associer à une équipe pluridisciplinaire cherchant à offrir ses conseils sur la nouvelle problématique des risques psychosociaux au travail. Un projet en accord avec mes aspirations. Rien de « cer© iStock
Alors que l’usure professionnelle me guette, soudain une amie m’offre une opportunité : une mission en ressources humaines
de six mois pour une autre ONG comme volontaire « sur le terrain », en Asie. Deux heures d'insomnie confirment mes intuitions de bol d'air salutaire : opérer un vrai déplacement, quitter les contraintes et les engagements, me donner du temps.
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tain », mais les pièces du puzzle s'assemblent assez bien dans un ensemble cohérent et mes motions intérieures� le confirment. Quelques mois plus tard, nous gagnons un appel d'offre et démarrons à deux une première mission, suffisamment grosse pour quitter le portage salarial et créer notre propre société de conseil. Par rapport au statut de salarié, lancer son activité n'est pas sans risque. Il s'agit d'oser investir son temps et son argent, de lâcher prise par rapport au besoin de sécurité financière. Ne pas s'éparpiller dans la panique quand la visibilité se limite à moins d'un mois, de maintenir la confiance en soi, en ses choix, et de rester serein alors que ce n'est jamais gagné. Enfin, tenir en gardant en tête que le doute fait partie de la foi en l'avenir ! Et surtout faire confiance à Dieu pour nous conduire là où nous devons aller, pour peu qu'on prenne le temps de s'écouter soi-même et de L'écouter. Un an plus tard, mon enthousiasme intérieur répond à l'appel pour créer une autre structure, avec quatre personnes cette fois. L'aventure continue ! Isabelle
« l'union fait la force » Jean-Michel, président d'une coopérative agricole dans le Nord-Pas-de-Calais et président d'une démarche de certification pour une « alimentation durable », est convaincu de la nécessité de mettre l'homme au cœur des démarches commerciales.
J'ai compris que ce sont les liens entre les hommes qui sont les plus importants. Lorsqu'autour de projets économiques, les liens sont réels, que les gens sont capables de se faire confiance, alors sont créés des produits de qualité qui satisfont les consommateurs et tout le monde y est gagnant. Pourtant, se regrouper avec d'autres en coopérative, suivre une démarche respectueuse de l'envi-
ronnement ne sont pas faciles car cela demande un effort supplémentaire, coûte et provoque même parfois au départ une baisse de rendement, quand on doit par exemple arrêter l'utilisation de pesticides, etc. Mais on s'aperçoit au bout de quelques années que tout le monde y trouve son compte, et surtout, réapparaît la fierté de ce que nous produisons, vers plus d'excellence, de qualité et de satisfaction pour le consommateur. Quel bonheur lorsque cette dignité est redonnée au travailleur ! Ce qui m'émerveille, c'est de rencontrer des hommes et des femmes qui pétillent d'idées et qui réussissent à les transformer en projets coopératifs. L'union fait la force et face aux aléas économiques, c'est une force positive, créative. Je pense récemment à une coopérative de production de mirabelles. Avec la météo cette année, la récolte a été accélérée et moins étalée dans le temps. Pour éviter le gaspillage, ils ont réussi à mettre en place des outils pour surgeler une partie qui pourra être commercialisée pendant toute l'année, le profit étant équita-
blement réparti entre investissements et exploitants. La mutualisation est un cadre qui permet la confiance, et la confiance entre acheteurs et producteurs, ça change tout. Ce n'est pas du « business » qui appauvrit tout le monde, mais plutôt ce que j’appelle le vrai commerce, où paradoxalement le partage entre tous enrichit. Il m'arrive aussi de croiser des obstacles mais ce qui me fait tenir, c'est que le meilleur l'a toujours emporté sur le pire, le beau sur le laid et la vie sur la mort. Jean-Michel
© CIRIC
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Dans un contexte fortement marqué par la volatilité des prix des matières premières, les fluctuations météorologiques et la question de la répercussion des hausses de prix aux consommateurs, en tant qu'agriculteur, je pourrais aujourd'hui difficilement tenir seul. Les coopératives agricoles, à mon sens, permettent non seulement une mutualisation des moyens, mais aussi la construction de relations équitables et durables entre exploitants, voire avec la distribution. Il en va de la survie de certaines filières agricoles à fort besoin de main-d’œuvre, celle-ci étant peu compétitive aujourd'hui en France face à d'autres pays européens où l'on n'hésite plus à parler d'esclavage moderne.
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
oser une parole Résister à une situation difficile au travail et la traverser n’est pas toujours facile. Il faut parfois oser une parole ou tenter une démarche.
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Septembre 2012. Quelques heures seulement après mon retour de vacances, je sens vite, avec les nombreux mails dont mon responsable hiérarchique me bombarde, beaucoup d’agitation et d’angoisse, sans rapport avec le climat serein de l’été. Il faut rattraper le temps perdu (sur des plannings non établis), anticiper la fin d’année et planifier déjà l’année suivante ! Tout et tout de suite.
pour m’aider à prendre du recul, voir la juste attitude à adopter au quotidien et affiner le contenu de l’entretien avec mon N+2 : ne pas évoquer la personne qui me stressait (nous n’en étions pas encore à parler de harcèlement), mais rester centré sur une approche objective de la réalité de mon travail et sur la manière dont je le vivais.
J’ai ainsi pris l’initiative d’ouvrir la porte de l’infirmière du travail et de parler de façon générale sur le « choc de la reprise » et l’essoufflement au travail. Lors d’un second entretien, j’ai pu mieux nommer ce que je vivais et avoir son avis médical. Elle m’a vite dit que d’autres vivaient la même chose et m’a étonné en me suggérant un entretien avec mon N+ 2 (sans passer par ni en parler à mon N+1). Mon action se raccorderait à d’autres messages que la médecine du travail avait déjà fait remonter.
Dans la rencontre avec mon N+2, j’ai exprimé d’emblée que je voulais lui partager ce que je vivais personnellement ; mes premières paroles ont fait place alors à un silence, puis suscité une véritable écoute et une compréhension qui m’ont conforté dans ma démarche. Dans un second temps, nous avons pu aborder de façon globale et positive mes projets et souhaits professionnels.
J’ai sollicité alors un ami ancien directeur des ressources humaines
De cette expérience, je retire les bienfaits qu’apporte d’avoir osé et co-construit avec différentes personnes une action inédite et engageante. J’en retire également une vigilance sur des « indicateurs clés » de ma vie professionnelle actuelle : fiabilité de ma relation hiérarchique, clarté des contraintes, temps consacré à mon organisation personnelle, appuis sur lesquels je peux compter. © iStock
Octobre 2012. Mon manque d’entrain et d’énergie est si profond que je ne me vois pas tenir le choc longtemps si je ne fais rien. « Écrasé », en dépit de mon ancienneté, je réalise posément que le mode de fonctionnement et le style de relation de mon responsable hiérarchique, mon N+1, m’empêchent d’avancer alors que j’y faisais face avant les vacances.
Un peu perdu, il faut que j’en parle. à cette période, les relations avec mon épouse sont un peu chahutées. Alors, à qui ?
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Jean
créer du lien au cœur de la mondialisation
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8h30, mardi, je suis à mon bureau, un plateau ouvert de près de 350 positions de travail. Dans une demi-heure s'ouvre la conférence téléphonique hebdomadaire qui va regrouper mes collaborateurs. Ils seront une vingtaine, de quatorze nationalités, dans quelques grandes villes d'Europe, Moyen-Orient et Afrique. Pour la moitié d'entre eux, nous nous rencontrons au mieux une fois par an. Où vais-je arriver à glisser de l'humanité dans cette équipe multi-culturelle dans tous les sens du terme (langue, religion, civilisation) ? Comment vais-je défendre la qualité des résultats de l'équipe quand la pression des coûts tombe sur moi pour me faire adopter un plan de migration de certains services dans un pays d’Europe où le taux horaire - dans notre secteur de la haute technologie - est près de huit fois inférieur à celui de l'hexagone ?
Quelques pistes : je crois que la première attitude est de garder un lien régulier avec chacun par téléphone ou mail, car « chacun a du prix à mes yeux », pas seulement en terme de valeur ajoutée ; difficile à distance d'évaluer un
résultat sans tenir compte des contraintes spécifiques de la personne. Tenir ce lien régulier n'est pas si facile, au gré des urgences et des priorités. D'autre part, j'essaie chaque trimestre de proposer que l'un d'entre nous, à tour de rôle, valorise son travail (son résultat) en expliquant le contexte de son pays, sa clientèle de revendeurs de PC et imprimantes, les contraintes administratives locales, etc. C'est aussi une manière de faire vivre la diversité culturelle. L'anglais est naturellement notre langue partagée, mais moi, en bon gaulois, je ne maîtrise pas toutes les nuances, alors je dois redoubler de prudence quand les choses se corsent, c'est un vrai point de vigilance dans la relation humaine et managériale. Dans ce monde de compétition, peu de place à la fantaisie, les financiers veillent au grain. Le résultat prime, si possible sur le court terme. Il m’a semblé que ma marge de manœuvre, au-delà du respect des objectifs strictement business, est de chercher à apporter à chacun un espace d'accomplissement personnel qui le fasse
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La mondialisation, l'interculturalité, les délocalisations… ne sont pas sans impacts sur le monde du travail. Manager une équipe dans ce contexte fait apparaître de nouveaux challenges.
vivre, grandir, dans la richesse de la diversité culturelle. Un seul exemple : joie de toute l'équipe quand Sarah de Tel Aviv nous a dit avoir obtenu les documents obligatoires pour l’adoption d’une petite soudanaise, projet porté par toute l'équipe car nous avions rassemblé quelques fonds pour payer le voyage de reconnaissance. Que l’espérance que nous portons dans notre foi comme vecteur de croissance de l’autre devienne terrain de fertilité et de vie, en particulier pour ceux qui sont abîmés par nos appétits économiques. Benoît novembre / décembre 2013 11
Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
lA FINANCE CHANGE LE TRAVAIL étienne Perrot est jésuite et économiste français. Il enseigne depuis 1988 l’économie et l’éthique sociale à l’Institut catholique de Paris et est auteur notamment de Refus du risque et catastrophes financiè-res, Salvator, 2011 et Le discernement managérial, entre contraintes et conscience, D. de Brouwer, 2012.
Étienne Perrot, jésuite, analyse les mutations que subit le monde du travail aujourd'hui et invite à l'espérance.
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1. Le stock picking est une technique de sélection de ses investissements en fonction uniquement de caractères liés à l’entreprise et non au marché boursier. Ainsi on peut acheter des titres (actions, obligations…) pour leur valeur intrinsèque (part de marché, chiffre d’affaires), sans tenir compte du marché boursier. Le gestionnaire mise sur la performance propre d’une entreprise face à son marché. C’est un peu la recherche de la “perle prometteuse” dans un environnement sans relief.
Sous le règne de Sa Majesté Financière, le travail change constamment. La mondialisation, en poussant chaque entreprise vers son « cœur de métier » pour mieux valoriser ses avantages relatifs, accroît le risque des affaires : chacun maîtrise mieux ce qu’il sait faire, et moins bien son environnement C’est économiquement plus efficace, mais aussi plus risqué, car l’entreprise dépend davantage de spécialités autres que la sienne propre. Ainsi, ceux qui gèrent les risques commerciaux ou financiers deviennent les « hommesclés » au travail et voient leurs rémunérations privilégiées par rapport aux autres salariés, l’écart ne cessant de croître. Pour limiter les risques et accroître la rentabilité, les entreprises s’organisent en flux tendus, diminuent le nombre d’échelons hiérarchiques et multiplient les procédures (corollaires inévitables des risques et de la versatilité des partenaires), déclassent les personnels d’exécution, dévalorisent les classes moyennes et reconfigurent la fonction d’encadrement. D’où la compétition vive à l’intérieur des entreprises et l’augmentation de la charge mentale du travail (stress).
TOUT TRAVAIL EST GÉRÉ COMME UN CAPITAL Les courants financiers président à ces transformations du travail ; ils formatent la production, la commercialisation et la distribution des richesses. Car la finance devient prépondérante pour se protéger sur le long et moyen terme des risques qui envahissent toute la vie professionnelle. La finance s’est rendue incontournable. Or, la peur que peut générer le risque renforce l’individualisme, parfois la solitude, d’autant plus que la part grandissante des services dans la production accroît l’interdépendance. Chacun essaie de sauvegarder son autonomie en neutralisant tout partenaire qui tendrait à se rendre indispensable. En même temps, il faut chercher à récupérer, par tous les moyens possibles, le capital de compétence déposé chez les autres. Les rémunérations traduisent alors non le mérite mais le souci de retenir dans l’entreprise une compétence ou une équipe. Ce jeu d’in(ter)dépendances engendre une méfiance mutuelle qui renforce la stratégie visant
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à s’implanter dans une « chasse gardée ». Préférence est donc donnée aux positions que l’on peut aisément liquider. Pour ne pas se faire bloquer dans une situation sans avenir, il faut pouvoir se dégager au moment le plus propice, c’est-à-dire n’importe quand. En font les frais la stabilité des entreprises et de leurs employés. Alors que, naguère, le rapport au monde s’apparentait au travail du jardinier ancré dans un territoire, et qui obéit aux lois de la physique et de la biologie, il relève plutôt aujourd’hui de l’activité du braconnier : se brancher sur le bon tuyau, prélever au moment opportun à la manière du stock picking1 des traders, puis se retirer avant d’être coincé !
DOMPTER LA LOGIQUE FINANCIÈRE Dans cet esprit financier, le travail se cultive aujourd’hui à la manière d’un capital. Mais, plutôt que d’avoir peur, il est préférable, comme dans les arts martiaux, d’utiliser la force de l’adversaire pour le vaincre, en anticipant – tel est le secret de la finance tout ce qui détermine le devenir du travail : l’environnement, en
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favorisant le renouvelable (type hydraulique) plutôt que ce qui s’épuise (l’exploitation de type minier) ; l’humain, en développant les capacités d’adaptation et de créativité dans le travail plutôt que les gestes routiniers ; la société, en mettant en place des institutions où chacun puisse participer en y trouvant du sens, où la gouvernance favorise, plutôt que le dictat majoritaire, la recherche d’un consensus loin des affrontements idéologiques d’hier. Le discernement, si on veut y voir clair, va au-delà de la posture personnelle dans le travail ; il interdit de s’évader dans un futur rêvé, carotte pendue au bout du bâton tenu par le cocher (que nous sommes) qui veut tromper son âne (notre corps au travail). Discerner, c’est vivre un présent qui prépare un futur qui ne nous appartient pas, c’est, notamment, peser sur les structures économiques et institutionnelles, assumer les risques propres au travail et à la politique dans les conditions d’aujourd’hui.
La recherche de plus en plus de sécurité donne mauvaise presse au risque. On en confie la gestion aux organismes financiers privés ou publics, aux assurances… qui l’assument avec prudence. Le risque peut être vécu comme un défi qui nous enferme dans une suffisance mortifère (l’attitude stoïque est la grande tentation chrétienne). En revanche, dans la logique chrétienne, affronter le risque économique peut être reçu comme une mission. Il y faut plusieurs conditions : sauvegarder le droit à l’erreur, ce que permet un patrimoine conséquent, disposer d’un filet social adapté en cas de crise, mettre en place une organisation hiérarchique pétrie d’intelligence où se conjuguent deux principes chers aux chrétiens : la subsidiarité, avec son corollaire indispensable, la solidarité. Qu’il soit économique ou politique, le risque est aussi une affaire de culture. La langue des Aymara au Pérou le rappelle, qui utilise le même mot pour initiative, choix,
risque et danger. Toutes ces conditions n’empêchent pas que, sans risque, la vie humaine se dissout, privée de sens. Pour un chrétien, c’est bien le fruit du travail qui devient le corps du Christ, comme le rappelle l’offertoire de la messe.
VERS LA GRATUITé Il y a ceux qui s’épuisent à chercher du travail et ceux qui s’épuisent au travail. Tels sont les deux fruits déshumanisants des changements actuels du travail. Mais là n’est pas le dernier mot, car la finance devrait incarner la durée et inscrire le travail dans le temps du projet, dimension sans laquelle le travail est aliénant. Le projet peut certes s’enfermer dans l’idéologie, qui est une idée fixe : l’effort se bloque alors dans la peine et le risque dans la peur. L’idéologie, la peine et la peur… la troisième semaine des Exercices nous apprend à les surmonter en compagnie du Christ, pour déboucher sur le monde de la gratuité. étienne Perrot s.j. novembre / décembre 2013 13
Chercher et trouver Dieu
éclairage biblique
la parabole des talents 14 « C’est comme un homme qui partait en voyage :
il appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
15 A l’un il donna une somme de cinq talents,
à un autre deux talents, au troisième un seul, à chacun selon ses capacités. Puis il partit.
16 Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents s’occupa
de les faire valoir et en gagna cinq autres.
17 De même, celui qui avait reçu deux talents
en gagna deux autres.
18 Mais celui qui n’en avait reçu qu’un creusa
la terre et enfouit l’argent de son maître.
19 Longtemps après, leur maître revient et
il leur demande des comptes.
© Wikimédia Commons
20 Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança
en apportant cinq autres talents et dit : ‘’Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.
21 Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle
pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.’’
22 Celui qui avait reçu deux talents s’avança ensuite et dit : ‘’Seigneur, tu m’as confié deux talents ;
voilà, j’en ai gagné deux autres.
23 Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ;
entre dans la joie de ton maître.’’
24 Celui qui avait reçu un seul talent s’avança ensuite et dit : ‘’Seigneur, je savais que tu es un homme dur :
tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain.
25 J’ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.’’ 26 Son maître lui répliqua : ‘‘Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé,
que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu.
27 Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. 28
Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix.
29 Car celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. 30 Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements
de dents !’’ »
Matthieu 25, 14 – 30
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 26
Les deux premiers serviteurs se sont appropriés le trésor laissé (un talent équivaut au salaire de dix-sept années de travail) et les ont « fait valoir ». Ils ont compris que ce trésor avait été donné, et non prêté. Quand le maître revient, ils ne ressemblent pas à des comptables anxieux de quelque reporting à fort enjeu : non, ce sont des hommes fiers qui montrent d' « autres » talents, qu'ils ont gagnés. Ces talents leur appartiennent, tout comme ceux que le maître leur avait confiés et donnés. On aimerait savoir comment ils s'y sont pris, chacun, selon son désir, sa manière de faire, son humanité. On aimerait percevoir les chemins empruntés, les risques pris, les hommes qu'ils sont devenus. Mais l'évangile reste silencieux sur cet itinéraire qui leur appartient. La parole du maître : « Très bien », « Entre dans la joie de ton maître », les confirme dans leur consolation et leur donne accès à la plénitude de leur joie, puisqu'elle est partagée avec leur maître. Pris par la peur, le troisième serviteur est resté dans la confusion. Il croit toujours que le talent confié appartient au maître. En enfouissant la pièce, il s'est déresponsabilisé de ce qui lui a été confié. Il n'est entré en relation avec personne, pas même avec un banquier. En ignorant le trésor confié, il s'est absenté de sa responsabilité dans l'histoire. Quel est pour nous le trésor reçu ? à chacun d'y répondre. Mais, disciples et cohéritiers du Christ, nous ne pouvons oublier celui qu'il partage avec nous depuis le matin de Pâques : le pouvoir de chasser les esprits mauvais, parler un langage nouveau, guérir les malades (voir Marc 16). Ces talents prennent vie en nous quand nous écoutons l'Esprit et osons prendre les risques. Emmenés par sa Résurrection, avec audace, nous émergeons comme sujets et allons vers une plénitude d'existence, puisque l'Esprit nous rend capables de vie fraternelle. Nous sommes ici loin des discours de « développement des talents » souvent entendus dans le monde du travail. Ici, le trésor est la puissance d'engendrer une vie libre et fraternelle, et non le
développement personnel (et souvent narcissique) de l'individu. Dans le monde du travail, le talent est défini comme « une compétence utile à l'entreprise ». Il est évalué par l'entreprise. Mais que valent des talents, s'ils ne savent générer de la fraternité ? Que vaut-il mieux : avoir reçu cinq ou deux talents ? Jusqu'à la fin, la parabole taquine notre jalousie c'est en effet le plus doté qui reçoit de surcroît le talent du troisième serviteur. La comparaison est parfois utile. Y rester fixé rend absent de soi-même et empêche une relation apaisée à autrui. Le trésor dont parle l'évangile désigne la valeur immense que chacun de nous est pour le Seigneur. Chacun est aimé et béni en ce qu'il est d'unique, de façon inconditionnelle. S'il consent simplement à cet amour, il devient porteur de vie fraternelle. Même nos fragilités, nos limites peuvent devenir talents de vie. Il s'agit d'oser être entièrement soi : c'est le lieu de la bénédiction, le lieu des enfants du Père. Christophe Duval-Arnould, CVX Accompagnateur de l'atelier CVX "évolutions du travail"
POUR PRIER… + Me rendre présent au Seigneur, et lui
demander la grâce de le rencontrer sans crainte et d'oser lui dire le fond de mon cœur.
+ Me rendre présent à l'histoire, à la confiance
du maître à son départ et à son retour, et écouter les récits des serviteurs.
+ Raconter au Seigneur les trésors qu'il a mis en moi au long de mon histoire. Sontils aujourd'hui porteurs de vie ?
+ Au point où j'en suis, lui dire les questions et les mouvements qui habitent mon cœur.
novembre / décembre 2013 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
la contemplation pour parvenir à l'amour Comment rencontrer Dieu au travail ? Comment trouver Dieu quand on est absorbé du matin au soir par des questions urgentes, des efforts à faire, des solutions à trouver ? La foi peut-elle agir quand elle doit être tue, quand le respect des convictions de chacun est de règle ? Ces questions accompagnent les chrétiens plongés dans le monde professionnel d'une société sécularisée. à l'école de saint Ignace, ces questions vont être déplacées sans perdre de leur acuité. Il propose une forme de prière qui conduit à reconnaître que Dieu ne cesse de se donner au cœur de la vie du monde.
L
La contemplation pour parvenir à l'amour appelée couramment l'« Ad amorem » clôt l'itinéraire des exercices Spirituels de saint Ignace. Le retraitant va retrouver son rythme de vie, il s'agira maintenant d'intégrer le quotidien à sa prière. Mon propos est de relever dans le texte quelques formules susceptibles d'aider chacun dans ce qui lui tient le plus à cœur : parvenir à l'amour à partir de la situation complexe et souvent tiraillée qui est la sienne.
Le texte (Exercices 230 à 237) dé-bute par deux remarques qui concernent notre propos : « L'amour doit se mettre dans les œuvres plus que dans les paroles ». Voilà qui conforte l'importance de l'agir. Et la deuxième la complète : « L'amour consiste en une communication réciproque ». Ignace fait allusion ici à la relation amoureuse. Celui qui aime, dit-il, communique ce qu'il a : science, riches16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 26
ses, honneur… Quand la réciprocité fait défaut, la communication souffre. Au travail comme dans la société, les relations sont d'autant plus fécondes qu'elles ne sont pas à sens unique. De même dans la prière, Dieu communique ce qu'il a, ses dons, sa parole, et nous lui parlons de ce qui fait notre vie.
Reconnaître les dons reçus La demande de grâce nous met en route. En deuxième semaine, nous demandons la connaissance intérieure du Seigneur qui pour moi s'est fait homme ; ici, dans la quatrième semaine, c'est la même demande avec un objet différent. Ignace nous fait demander une connaissance intérieure de tout le bien reçu. Poser ce qui a été vécu en demandant l'Esprit pour que la vérité se fasse, que l'adhésion se confirme et que naisse l'action de grâce.
Les bienfaits reçus, ce sont ceux de la création, de la rédemption et les dons particuliers à chacun. La journée avec ses démarches, ses tensions, les mails, etc., est-ce tout cela dons reçus ? Aimer son travail ne rend même pas la chose plus aisée. Car il s'agit en fait d'inverser la perspective. Le but n'est pas de réussir mon action, mais de collaborer dorénavant à l'œuvre de Dieu, de servir sa création. Me remettre en mémoire ses dons, les peser avec amour, autrement dit : sentir et goûter intérieurement ce qui m'est donné. Ce premier point nous invite à vivre en partenaires, en bénéficiaires de l'extrême générosité du Créateur, à croire à la
bonté de ses créatures. Nous pourrons alors nous offrir avec les mots d'une prière connue et chantée : « Prends Seigneur et reçois… »
Voir la présence active de Dieu Le cadeau reçu maintient la présence du donateur. à travers le don, voir comment Dieu habite dans les créatures. Dieu activement présent dans les personnes et les événements du jour, ce n'est pas une perception spontanée, il faudra durer dans la prière, chercher et retrouver les traits de Dieu en ses créatures comme l'on retrouve chez un enfant les traits de son père ou de sa mère. Et si par grâce cela nous est donné nous reprendrons avec action de grâces le Suscipe1.
© Sylvie Duverneuil/CIRIC
Un travail pénible, des difficultés de relation, une société qui refuse tout signe ostensible de la présence divine, la question surgit : Dieu se serait-il absenté ? Ignace n'est pas de cet avis, il préfère dire que Dieu peine et travaille. La peine de l'homme participe de son immense peine de donner l'être, la croissance, d'enfanter et de maintenir en vie. Associée à la Croix du Christ, cette peine est celle de « la création qui gémit en travail d'enfantement » comme le dit Paul aux Romains. L'épreuve devient peu à peu la face perceptible du règne de Dieu en gestation. Alors, dernier point qui est comme une conclusion, la résurrection est présente : le monde et le travail sont d'en bas, mais tout descend d'en haut. Des signes en sont donnés, des gestes humains parlent de Dieu : « La justice, la bonté, la
compassion, la miséricorde descendent d'en haut comme du soleil descendent les rayons ». La prière devient chant de louange, elle fait remonter au Créateur tout ce qui parle de lui. Il n'y a plus dualité, mais Dieu est contemplé dans ses créatures. Le fruit en est la joie.
Travailler avec Lui Car les exercices ne sont pas une leçon de théologie, mais un art de vivre qui s'expérimente dans la durée, ils ouvrent l'accès à Dieu à partir des choses de ce monde, ils apprennent à se rendre attentif à sa présence quels que soient le lieu, la tâche ou les relations dans lesquels nous sommes engagés. Cette forme de prière enracinée dans les situations existentielles nous dispose à œuvrer en symbiose avec l'œuvre divine, à se laisser déterminer et guider par la consolation que Dieu donne. À la fin de sa vie Ignace pouvait trouver Dieu en toutes choses. En lui l'amour était sans cesse à l'œuvre. à nous de désirer la même grâce. Marie Emmanuel Crahay as 1. Le Suscipe fait référence à la prière suggérée par Ignace dans les Exercices Spirituels au n°234.
“
Prenez, Seigneur, et recevez toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté, tout ce que j’ai et tout ce que je possède. Vous me l’avez donné ; à Vous, Seigneur, je le rends. Tout est vôtre, disposez-en selon votre entière volonté. Donnez-moi de vous aimer ; donnez-moi cette grâce, voilà qui me suffit.
”
novembre / décembre 2013 17
Chercher et trouver Dieu
,
Repères ignatiens pour aller plus loin
Des pistes pour un partage : • L’évolution de notre environnement entraîne des changements au travail ; l’influence croissante des contraintes financières a durci le management… - à la place qui est la mienne, comment je vis ces changements ? Fatalisme, scepticisme, acceptation, collaboration, prise d’initiatives, résistance, refus… ? - S uis-je seul ou ai-je des lieux pour en parler ? Lesquels ? - Q u’est-ce qui nourrit ma réflexion (colloques, congrès, ateliers, publications…) ? •
Comment je cherche à sauvegarder l’unité de ma vie professionnelle avec ma vie chrétienne ? - Comment l’Évangile inspire-t-il mes attitudes au travail ? -Q uelle est ma connaissance de la Doctrine Sociale de l’Église ? - L e partage en communauté locale est-il une aide ?
• Dans mon lieu de travail, quelle espérance garder et quels combats mener pour la sauvegarde des valeurs humaines ? Qu’est-ce qui me fait tenir dans cette espérance, dans ces combats ?
À lire • éthique et entreprise, Pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire Cécile Renouard, éditions de l’Atelier, octobre 2013, 17 e. • Revue Christus – Management et spiritualité, « L’épreuve de la responsabilité » – mai 2013, n°238, hors-série. • Revue Projet – « Quel travail sans croissance ? » – octobre-décembre 2013, n° 236-337. • Discerner et agir dans la vie professionnelle, étienne Perrot, septembre 1992, Assas éditions n°106, hors-série. • Manifeste pour sortir du mal-être au travail, Vincent de Gaulejac et Antoine Mercier, DDB éditions, 2012, 186 p., 15 e.
À faire • Participer aux Semaines Sociales de France du vendredi 22 au dimanche 24 novembre 2013 à Lyon, Paris, Strasbourg – 3 jours pour « Réinventer le travail ». • Participer aux ateliers CVX ouverts à tous : à Lyon, CVX Management et Ressources humaines et à Paris, CVX Évolutions du travail. Échanges et temps de relecture professionnelle. Voir sur le site www.cvxfrance.com, l’onglet « La Communauté » puis « Les ateliers »
18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 26
Babillard © B. Strobel
La joie : un outil de management ?
S’informer, échanger, réfléchir, ouvrir des pistes, sourire, rire et prier sur le thème de la joie au travail. Pour mettre plus de plaisir dans sa vie quotidienne et moins de morosité dans le travail. Vers une vie à la fois joyeuse et sérieuse. Du samedi 11 janvier, 9h au dimanche 12 janvier, 16h30 Avec Paul-Hervé Vintrou, auteur de Manager dans la joie au service de la performance , éd. Vuibert, 2012.
Manager à l’école de Saint Ignace
Saint Ignace nous laisse à la fois une spiritualité centrée sur la décision et une visio n du fonctionnement collectif. Nous verrons, en partant des problématiques des participants, com ment s’inspirer de son héritage pour vivre de faço n spirituelle sa responsabilité de manager. Du vendredi 4 avril, 18h30 au dimanche 6 avril, 17h Avec Rémi de Maindreville s.j. et Dominique Arrighi, CVX.
Au centre spirituel Saint-Hugues de Biviers www.st-hugues-de-biviers.org – 04 76 90 35 97 accueil@st-hugues-de-biviers.org
20 ANS DE CVX à BIVIERS ! Pentecôte 2014 Du samedi 7 au lundi 9 juin 2014 La Communauté fêtera 20 ans de présence au Centre spirituel Saint-Hugues de Biviers. Elle a choisi de vivre ce temps fort sous l’angle d’un thème cher à Ignace : « En todo, amar y servir » (En toute chose, aimer et servir). Interventions, partage d’expériences, temps festifs rythmeront le WE. Comme le centre est un lien privilégié de la Communauté avec l’église et le monde, ce temps fort s’adresse à tous ceux qui se sentent proches de Saint-Hugues ou interpellés par ce qui s’y vit.
Contact : accueil@st-hugues-de-biviers.org
Travail : retrouver des énergies nouvelles
ouver la sérénité Relire sa vie professionnelle, retr es d’évolution. pist et du mieux-être, dégager des edi 1er février, 18h sam au 9h Du vendredi 31 janvier, ateur. Avec Michel Bernard, coach et form
Travail, famille, engagements : faire les bons choix de Laurent Falque et Bernard
décision A partir du livre Pratiques de la mpagnement personnel. acco et pe grou en Bougon. Travail e de Laurent Falque, cofondateur Conférence le mardi 26 novembr essionnel (IDP) de l’Institut du discernement prof décembre, 9 janvier, 23 janvier, 19 re, emb déc Atelier – 5 jeudis : 5 6 février (19h30-21h30) e, mobilité professionnelle, Anne Rich Avec Philippe Bracq, conseiller en IDP et Vincent Carpentier, IDP.
w.hautmont.org – 03 20 26 09 61 Au centre spirituel du Hautmont – ww ugues-de-biviers.org st-h contact@hautmont.org – accueil@
Simplicité et justice Paroles de chrétiens sur l’écologie Septembre 2013 – 250 pages - 8 € en librairie, 13 € par correspondance Le groupe « Ecologie, paroles de chrétiens » s’est réuni entre 2010 et 2013 à l’initiative du diocèse de Nantes. En croisant des compétences diverses (scientifiques, économiques, juridiques, philosophiques et théologiques), il a eu pour mission de travailler sur les enjeux de l’écologie à la lumière de la tradition chrétienne. Cet ouvrage est le fruit de sa réflexion.
édité par le Service diocésain de formation : 20, rue de la Gourmette – BP 31917 – 44319 Nantes cedex 3 formdioc44@free.fr – Tél. : 02 40 16 07 80
UNE RETRAITE à PRIX-MINI Entre le 2 février (19h) et le 7 février (18h) 2014
« Voici que je me tiens à la porte...» Retraite à la carte selon les Exercices spirituels à l’Espace Bernadette, 34 rue Saint-Gildard – 58000 Nevers. Grâce à une offre particulière de l’Espace Bernadette : 30 e par jour pour que l’aspect financier ne soit un obstacle pour personne.
Contact : C. Sébastien – Tél. : 06 34 21 12 39 – clairesebastien@orange.fr novembre / décembre 2013 19
Se former
école de prière
Ce qui m'empêche de prier Parfois, il est difficile de prier parce que diverses pensées nous agitent. Et si ce qui nous empêche de prier devenait l'objet de notre dialogue avec le Seigneur !
H
Hier soir, en vue de ma prière de ce matin, j'ai prévu le cadre, l'horaire, la durée, le texte, le lieu et je me suis préparé le cœur. Et ce matin, impossible de me rendre disponible pour ce rendezvous : je suis troublé, encombré et empêché, envahi par le souci. Contre mon gré, ma tête est ailleurs, mon cœur est trop inquiet, mon corps est agité. J'ai beau demander que mes actions et mes opérations soient orientées vers le Seigneur, je n'y parviens pas. Impossible de chasser le souci, de prier ici et maintenant. Que faire ? La tentation est si forte de renoncer et de faire autre chose. Et si je faisais mien le conseil qu'Ignace donne en pareille circonstance ? Ignace conseille en effet de s'en tenir à la décision prise : je fais donc mémoire de ce que j'avais prévu la veille, quant aux conditions très concrètes que j'avais envisagées. Voici ce que je peux re-décider en signe modeste mais précieux de mon désir d'être partenaire de l'Alliance que Dieu me propose au long de mes jours : je ne déserte pas, je me tiens « ici et mainte-
nant » conformément à ce que j'ai décidé hier. Mais cette fidélité au cadre ne fait pas disparaître comme par enchantement le souci, voire l'obsession qui m'assaille. Comment tenir compte de mon état intérieur si pesant ? Et si je choisissais de faire de mon souci la matière de ma prière ? Ne serait-il pas aujourd'hui préférable de faire de mon état intérieur - y compris dans ses aspects affectifs et psychologiques - le support et la matière de ma prière et de renoncer au texte de l'Écriture que j'avais prévu ? Il s'agit de considérer ma vie comme une page de l'écriture, qui se prête à la Lectio Divina. Rappelons-nous comment commence le dialogue des deux pèlerins qui fuient Jérusalem avec Jésus qui les a rattrapés et qui les encourage à dire en toute franchise leur grand espoir déçu. Je demanderai alors la grâce de me remémorer telle ou telle parole consolante : « Vous tous qui ployez sous le fardeau » « Oui, j'ai du prix aux yeux du Seigneur » Comme à Paul, le Seigneur me dit
20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 26
« Ma grâce te suffit » Je ne peux pas m'en convaincre par ma seule force, ma seule volonté. Mais je peux le demander : ce sera ma demande de grâce pour ce temps d'examen de ma situation. Je peux maintenant mettre des mots sur la situation et sur l’objet de mon trouble. Il m'appartient de décrire les faits aussi objectivement que possible. Mais je sais aussi que je ne peux échapper à mes « constructions mentales ». Je dois donc porter une grande attention au mode sur lequel est construit mon récit et à la diversité de mes pensées. En voici quelques-unes auxquelles il est bon que je me rende attentif quand les choses ne vont pas très bien. Ce seront des repères éclairants : L'hypothèse, la supposition : - Et si je perdais mon emploi - Et si j'étais vraiment malade - Et si mon enfant était handicapé Le pronostic - La réconciliation est impossible, après ce qui s'est passé - Ça ne pourra aller que de mal en pis
La généralisation - Cela ne finira jamais - Elle sera toujours en colère - Je ne vaux rien… Je peux ainsi prendre conscience que les faits sont chargés de pensées et que celles-ci sont en partie tordues et biaisées.
Je prends ainsi conscience que je suis engagé dans le combat spirituel. Je sais bien que ce n'est pas la première fois. J'ai par le passé déjà vécu de telles situations dans lesquelles le Seigneur ne m'a pas délaissé. Cette pensée peut me redonner l'espoir qu'aujourd'hui encore, Dieu ne m'abandonnera pas. Alors j'oserai lui demander la grâce de vivre sans être séparé de lui. « Rends-moi la joie d'être sauvé » « Ne me retire pas ton Esprit Saint » Après le temps de prière, je ne négligerai pas de chercher moyens et aides qui me permettront de trouver les solutions à mes difficultés. Catherine Dorlacq, CVX
© Marie Accomiato / CIRIC
C'est maintenant le moment de chercher l'origine de ces pensées qui entravent mon désir de vivre. D'où viennent-elles ? De qui viennent-elles ? Puis-je identifier celui qui me fait douter de moi, de mon créateur et de sa bonté, celui qui veut m'éloigner de l'Alliance et qui ne néglige rien de ce qui fait ma vie pour obtenir ce résultat ?
Le combat spirituel « Choisis la vie » Léo Scherer s.j. 2013 (publié pour la première fois en 2005 comme supplément à la revue Vie Chrétienne n°511) 12,70 e + 2,40 e de frais de port Dans la tradition, le combat spirituel est un passage obligé dans l’aventure de la vie du baptisé. En effet, l’appel à suivre le Christ en vérité et liberté conduit nécessairement au discernement des esprits et au combat spirituel. En écoutant au plus proche de l'humain, il nous est donné de mieux percevoir que le désir de vivre, le désir d'être aimé et le désir de créer sont au cœur du combat humain et spirituel. En scrutant deux grandes figures de la Bible, celles de Jacob et de Moïse, mais plus encore en contemplant la Parole de Dieu qui est venue planter sa tente parmi nous, nous pouvons découvrir que ce combat vient nous rejoindre à la fois dans notre humanité mais aussi dans la filiation divine inscrite en nous et révélée en Christ. Pour nous enfin qui poursuivons notre marche et notre combat, des témoins qui ont fait la traversée nous interrogent et sont également des intercesseurs : Antoine de son désert intérieur, Ignace en pleine Renaissance, Silouane de la sainte montagne et Madeleine Delbrêl de la ville d'Ivry. Ces figures se détachent dans des contextes et des situations historiques précises. Il peut nous être donné, avec eux, de relire notre propre histoire, en nous émerveillant de ce que d'autres, comme des frères aînés, ont pu dire ou écrire de leur expérience.
novembre / décembre 2013 21
Se former
Expérience de Dieu
Clown, au-delà du nez Devenir clown ça s’apprend. C’est un chemin vers soi-même où l’on fait l’expérience de son être en vérité. Explications d’Agnès Penet, alias Cracotte.
L
L’habit ne fait pas le moine, diton. Il en va de même du clown. Il ne suffit pas de chausser le nez rouge, de mettre un chapeau et de se déguiser pour être un clown. C’est au fil de stages plus ou moins longs et d’ateliers réguliers que j’ai appris à faire confiance à l’imprévu, à laisser s’exprimer le ressenti, à oser jouer dans tous les registres. Je pratique le « clown-théâtre » basé sur l’expression du vécu intérieur, des émotions et de l’imaginaire, dans l’instant. Cela demande d’habiter son corps en étant davantage dans ses pieds que dans sa tête, mais je ne pratique ni
acrobatie ni jonglage comme les clowns de cirque.
conscience d’adulte qui lui permet de respecter des règles de base, à commencer par le respect du matériel et des personnes.
Les enfants disent souvent que le clown fait n’importe quoi, loin s’en faut. Ce qui leur donne cette impression, c’est que le clown (en général adulte) s’autorise à transgresser les règles et interdits que leurs parents tentent de leur inculquer. Le clown apprend à être libre face aux conventions sociales habituelles. Parce qu’il est clown, il a le droit de retrouver la spontanéité, la naïveté et l’émerveillement de l’enfant. « Si vous ne redevenez comme de petits enfants… » (Matthieu 18, 3). Mais derrière le clown, l’acteur garde sa
Retrouver sa liberté d’expression peut prendre du temps. Le travail de clown est un redoutable outil de développement personnel qui a vite fait de nous révéler nos failles, nos limites, notre petitesse mais aussi notre grandeur, le meilleur de nous-même. C’est un révélateur en particulier de notre relation à l’autre qui se joue avec l’autre-public et l’autre-partenaire. Comme pour les enfants qui apprivoisent la réalité à travers leurs jeux, le clown apprivoise ses émotions, ses limites, ses désirs dans un cadre protecteur aux règles du jeu précises.
© DyamG
Au festival de clowns de Vannes, 2012
22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 26
Être vrai est ce que cherche la personne derrière le masque, tant dans les exercices d’approche que dans les improvisations en clown devant public. C’est cette authenticité qui touche le public. On n’y arrive pas toujours, souvent par peur de montrer ce qu’on vit intérieurement dans l’instant (peur, vide, tristesse, sentiment inavouable…). On essaie alors vainement de briller, de faire drôle et cela sonne horriblement faux. Le public sent bien que la totalité de la personne n’est pas en relation avec lui, qu’il y a un décalage entre le discours par exemple et
ce que le corps et la voix manifestent. « Adam, où es-tu ? - Je me suis caché car je suis nu. » (Genèse 3, 9-10) Le clown n’a que son nez pour se cacher. C’est quand il accepte d’être à nu devant le public, qu’il se donne vraiment. Oser être soi devant les autres suppose déjà de s’accepter soi-même tel que l’on est, non pas tel qu’on voudrait être. C’est une école d’humilité. Dans les ateliers et stages, on est tour à tour public et clown, aussi le « public » avec lequel on apprend est a priori bienveillant et soutenant. On me demande parfois s’il y a des clowns ignatiens. Demande-t-on à sa dentiste ou son boulanger s’ils sont ignatiens ? Le travail de clown amène à développer des qualités humaines que la spiritualité ignatienne valorise mais qui ne lui sont pas réservées. Je dirais même que s’exercer au clown constitue d’excellents travaux pratiques de cette spiritualité. Apprendre à écouter ses émotions aide à reconnaître ses motions. Je pense aussi à l’écoute et le soutien de la proposition de l’autre dans un a priori positif. Dans l’improvisation en duo par exemple, le premier commence à raconter une aventure, qui est censée être arrivée aux deux, et le deuxième renchérit. Il accepte la proposition de l’autre, y adhère généreusement et y contribue par ce qu’il apporte ensuite de lui-même. C’est pour moi un apprentissage du « Fiat » à la manière de Marie (Luc 1, 38), qui accepte la proposition de Dieu et y adhère de tout son être. Le clown cherche à avoir le
cœur ouvert, disponible à l’imprévu. C’est avec ce cœur ouvert qu’il découvre ce qui l’entoure avec un regard neuf, décalé, quine-sait-pas. Que ce soit à l’hôpital ou ailleurs, si l’autre accepte cette rencontre à cœur ouvert alors le clown a le privilège de croiser le regard d’enfant de la personne, quel que soit son âge.
Voilà en quelques mots comment je vois l’art du clown-théâtre. Un art où nous pouvons expérimenter la joie simple d’être dans notre humble vérité. Une voie d’enfance où (ré) apprendre, parfois non sans peine, à avoir le cœur ouvert et confiant. Agnès Penet, alias Cracotte
S’exercer au clown Il existe de multiples propositions de « découverte (ou recherche) de son propre clown ». Agnès co-anime des sessions en centre spirituel où les participants s'exercent au clown dans un travail d'écoute de soi et des autres, d'accueil et d'expression des émotions, dans un climat de confiance et de jeu. Après avoir ainsi fait un pas de plus dans l'ouverture du cœur, ils sont invités à entrer dans la prière et dans la Parole de diverses manières. - 29 et 30 mars 2014 « Entrer dans la prière aidés par le clown », Agnès Penet et Simon Hanrot, s.j. Au centre spirituel de La Baume à Aix-en-Provence Tél. : 04 42 16 10 30 - 14 et 15 juin 2014 « Le clown au service de la spiritualité », Agnès Penet et Claude Broche Au centre spirituel du Hautmont (région lilloise) Tél. : 03 20 26 09 61 Elle anime aussi depuis quelque temps un atelier dans un accueil de jour pour personnes en situation de fragilité psychique et/ou sociale, à Boulogne-Billancourt (92). Avis aux amateurs : cet accueil recherche des bénévoles, en particulier pour sa gestion (tél. : 01 46 84 01 37, site : www. lesinvitesaufestin.fr). Pour plus d'infos : agnes.poo.free.fr novembre / décembre 2013 23
Se former
Lire la Bible
De l’éden au Royaume de Dieu Depuis saint Paul, la théologie de la Rédemption s’est développée en lien étroit avec la théologie du “péché” et plus précisément en contrepoint du péché d’Adam. Mais, pour comprendre en quoi consiste notre délivrance, notre libération, il ne s’agit pas de retrouver l’éden mais d’entrer dans le Royaume.
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1. Genèse 2-3.
Martin Pochon, jésuite, a travaillé dans le monde de l’enseignement, aujourd’hui formateur du Centre d’études Pédagogiques Ignatien (CEP-I). Il anime par ailleurs des groupes de réflexion biblique et théologique. Il a publié aux éditions Vie Chrétienne L’offrande de Dieu n° 552, 2009 et Les Promesses de l’Éden n°558, 2013.
Ce qui est intéressant dans la mise en scène du péché d’Adam et ève1, ce n‘est pas seulement la désobéissance et la liberté de l’homme face à Dieu, mais “les raisons” de cette désobéissance provoquée par le “serpent”. La transgression n’est que le point d’orgue du discours du tentateur ; celui-ci s’appuie sur les limites qui conditionnent
notre existence, signifiées dans le commandement divin : « Vous ne pouvez manger de tout sans en mourir ! » Et quelle interprétation donne le tentateur de ces limites ? Qu’elles résultent de la méchanceté de Dieu qui ne voudrait pas qu’on lui ressemble : « Pas du tout, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mange-
Limites de l‘homme qui ouvrent à Dieu Son discours s’appuie donc sur deux points essentiels : nos limites sont là pour nous empêcher d’être comme Dieu ; et Dieu, lui, ferait tout et n’importe quoi sans en être altéré. Si l’on admet que le récit de la Genèse nous présente ici la racine du tout péché, on peut comprendre alors comment Jésus nous délivre du péché : il est venu pour nous sortir de ce qui induit le péché.
© Photo : Didier Gracz
"Adam et Eve ont ils encore quelque chose à nous dire ?" Retrouvez Martin Pochon dans l'émission de Béatrice Soltner, "Halte Spirituelle" sur RCF. Du 11 au 15 novembre, tous les jours à 15h15 et 20h45. Rediffusion de l'intégrale le vendredi 15 à 23h et le dimanche 17 à 21h. Et en podcast sur www.rcf.fr à la page Halte spirituelle.
rez vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». Car selon lui, les dieux, eux, peuvent tout faire. Et le serpent fait de Dieu un menteur.
▲ Adam et Ève, chapiteau de la basilique Notre-Dame du Port, à Clermont-Ferrand.
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Jésus nous montre que les limites nous ouvrent à Dieu. Par exemple, quand il nourrit la foule, chacun de ses gestes est marqué d’une qualité divine : il est touché par la foule à la limite de l’épuisement, il accueille le peu de pain et de poisson apporté par un enfant et remercie le Père pour cela, il donne aux disciples pour qu’ils offrent à la foule, et c’est la surabondance. Jésus a besoin des hommes et de
Par nos limites, nous sommes invités, comme le Christ, à entrer dans des relations aimantes de qualité divine. Grâce à nos limites, nous pouvons apprendre à aimer comme Dieu aime, nous pouvons entrer dans la ressemblance, nous pouvons répondre au projet de Dieu « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance. »2 Le Christ nous montre aussi que l’on peut être Dieu et connaître la mort, alors que le serpent promettait l’immortalité. Jésus accepte la mort, mais il la transfigure en en faisant une Pâque (passage), une entrée en Dieu. L’amour est plus fort que la mort. Le mal devient le lieu de la manifestation de Dieu. La résurrection de Jésus atteste que le Père, loin de l’abandonner, l’a associé à sa propre vie : « Désormais il siège à la droite du Père. »
Le sens de la croix Si nous croyons que Jésus est vrai Dieu et vrai homme, alors la croix du Christ nous guérit d’une autre facette du discours du serpent : la mort n’est un châtiment que dans la perception que nous lui donnons3, mais la Sagesse de Salomon ne manquera pas de souligner que Dieu protège l’homme avant de le renvoyer du jardin4, il lui façonne des vêtements pour le rendre à sa dignité (et peut-être pour qu’il ne prenne pas froid en sortant !). Cependant la croix va bien au-delà que ce que nous donne à penser la Genèse : avec elle, le souci de Dieu n’est pas de nous châtier,
© Wikimédia Commons
son Père. C’est dans l’acceptation de ses limites qu’il nous révèle le véritable divin.
▲ "Faisons l'homme à notre image" (Genèse 1, 26). La création d'Adam, Michel-Ange, 1500-1512, chapelle Sixtine, Rome, Italie.
mais de nous faire entrer dans son amour. La croix n’est pas ce qui nous obtient le pardon de Dieu, elle est ce qui exprime l’amour inconditionnel de Dieu à l’égard de tout homme, fût-ce ses ennemis. Jésus est l’expression parfaite du Père, il meurt au nom du Père. La croix est l’accomplissement du don, le pardon définitif : « C’était Dieu qui en Christ, réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes. »5 Ou encore, Dieu « a annulé le document accusateur que les commandements retournaient contre nous, il l’a fait disparaître, il l’a cloué à la croix »6. Sur la croix, Jésus ne règle pas nos dettes, il nous montre que nos dettes sont effacées, annulées. Lorsque Paul nous dit : « Le Christ est mort pour nos péchés »7, nous pouvons être tentés de comprendre son propos comme : le Christ accepte de subir à notre place un châtiment que nous mériterions pour nos péchés ou pour laver l’offense faite à Dieu par nos péchés. Comme si les morts et les souffrances vécues depuis le commencement n’étaient pas des châtiments suffisants, ou comme si le premier souci de Dieu était son honneur et non notre vie. Cette théologie de l’expiation et de la réparation ne peut rendre compte
de la profondeur de l’expression de St Paul. Ce qui blesse et offense un père c’est de voir ses enfants gâcher leur vie. Ce qui peut le satisfaire c’est de voir ses enfants ne plus la gâcher en les voyant retrouver le chemin du respect mutuel, du service mutuel, de la miséricorde, de la paix, de la vérité et de l’amour : « Ton frère était mort et il est revenu à la vie »8 ; le Christ est venu “ôter” le péché du monde comme on “ôte” la pierre qui enferme le cadavre de Lazare. Le Christ vient donc anéantir le discours du serpent, il coupe en nous les racines du péché. Et la croix nous sort de l’idolâtrie qui consiste à adorer des dieux qui n’existent pas. Dieu veut que nous participions à sa propre vie et que nous lui ressemblions, que nous participions à son royaume et pour cela il est prêt à nous donner sa vie. Il nous aime à en mourir. Il meurt pour purifier notre cœur de ce qui engendre le péché. S’il avait été question de la peste et si le découvreur du sérum contre la peste en était mort, une formulation du genre : « il est mort pour la peste » aurait été comprise spontanément comme : « il a risqué sa vie pour trouver le remède et il en est mort ». Mais lorsqu’il s’agit de la relation à notre Père, nos réflexions s’embrouillent dans la
2. Genèse 1,26. 3. Sagesse 10,1. 4. Le texte de la Genèse ne pouvait l’affirmer car à l’époque de son élaboration, l’espérance d’une vie au-delà de la mort physique ne pouvait être portée que par la naissance des enfants. 5. Deuxième épître aux Corinthiens 5,19. 6. Épître aux Colossiens 2,14. 7. Première épître aux Corinthiens 15, 3-4. 8. Luc 15, 11-32.
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Lire la Bible culpabilité. Pourtant ne convientil pas de comprendre l’expression : « Christ est mort pour nos péchés » sur le même registre que « un tel est mort pour nous délivrer de la peste » ?
9. Luc 15,20
Si le Christ était venu payer le prix de nos fautes, son martyre n’aurait pu satisfaire le Père. Il aurait payé le prix pour une justice imaginaire, mais nous continuerions à pécher. Or, la seule chose qui intéresse le père du prodigue est que son fils soit en vie alors qu’« il était mort”, c’est que la relation de confiance soit renouée. C’est pourquoi, avant toute chose, « il lui saute au coup et le couvre de baisers »9� ; ce n’est qu’après que le fils commence à balbutier une confession aussitôt interrompue. La croix, don que le Père nous fait de sa propre vie, nous guérit de cette maladie qui consiste à croire que Dieu ne voudrait pas qu’on lui ressemble ou qu’il nous en veut à cause de nos péchés. Il est blessé par nos péchés, et ce n’est pas pareil.
nous paraître violents, voire brutaux, et pourtant nous ne nous serions pas développés en âge et en sagesse sans ces ruptures et ouvertures successives. Lorsque nous les avons vécues, nous avons pu croire que quelqu’un nous en voulait, ou que la vie était insupportable, ou que sais-je encore… Les chapitres 2 et 3 de la Genèse ne nous disent-ils pas quelque chose de cet ordre ? Adam et Ève viennent d’être mis au monde, ils découvrent qu’ils ne sont pas tout puissants, l’arbre de vie finit par leur être interdit ; ils perçoivent cela violemment, mais avant de les mettre dehors, Dieu leur donne une petite laine pour qu’ils ne prennent pas froid. Et puis surtout, l’eau de la source vive les
La nouvelle alliance Cet itinéraire nous est confirmé par une lecture plus anthropologique. Tous, nous avons la nostalgie du paradis perdu, notamment celle du sein maternel. Mais nous n’aurions jamais pu grandir si nous n’en étions pas sortis en criant, ou si plus tard nous n’avions pas été sevrés, plus ou moins contraints et forcés. Et que dire de cette bataille perdue contre le père pour la mère ou encore de la première rentrée des classes ? Ces temps de croissance ont pu 26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 26
accompagne à travers des pays qui recèlent mille et une richesses. Sur le coup, ils ont pu vivre cela comme un châtiment cruel et tout ce qui, dans leur vie, était douloureux a pu leur apparaître comme la conséquence de leur désobéissance. Mais la tendresse de Dieu n’a de cesse de les appeler à la vie, de les choisir comme interlocuteurs et comme partenaires. Sans jamais se résigner, Dieu a noué des alliances avec eux jusqu’à celle nouvelle, inconditionnelle et définitive réalisée en son Fils. Jardin perdu contre Royaume présent aujourd’hui. Martin Pochon s.j.
Les promesses de l'éden Adam et Ève, la mémoire d’un avenir Martin Pochon s.j. éditions Vie Chrétienne, juin 2013 296 pages – 19,90 e U n parcours passionnant que nous fait accomplir l’auteur pour entrer dans la compréhension du péché originel et du désir de Dieu pour l’Homme. Grâce à un sens pédagogique inné et développé auprès des plus jeunes de culture technique ou en rupture scolaire, grâce aussi à sa précision et son souci du détail qu’exige toute démarche scientifique acquise par sa formation initiale d’ingénieur, grâce enfin à son long travail spirituel sur les textes de la Bible, Martin Pochon réussit à nous tenir en haleine du début à la fin de son propos. Les anecdotes, les comparaisons, les images rendent simples et évidentes des idées ou formulations jusque-là restées obscures ou complexes… sans être par nous véritablement acceptées ou comprises. Avec lui, l’intelligence ouvre au mystère de la Foi.
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Spiritualité ignatienne
La fin et les moyens selon Saint Ignace « Quelle que soit la chose que je choisisse, elle doit être de nature à m’aider en vue de la fin pour laquelle je suis créé, sans ordonner ni soumettre la fin au moyen, mais le moyen à la fin » (Exercices Spirituels, n° 169) : Ignace énonce ainsi une règle fondamentale, qui doit présider à toute décision et en vérifier la justesse, lorsque la référence à la Loi de Dieu et aux repères donnés par l'Église laissent ouvert le choix. Comment comprendre cette distinction entre fin et moyen et en saisir l'enjeu ? Comment nous est-elle utile pour prendre nos décisions ?
Signification des termes Commençons donc par clarifier comment Ignace emploie ces termes. Dans le passage cité ici comme dans le Principe et Fondement, le terme « fin » est précisé : « la fin pour laquelle je suis créé ». Il prend ainsi le sens de finalité et désigne une orientation, mais au sein d'une relation : il n'y a de fin que parce qu'il y a un Créateur, dont le don originaire est porteur d'un désir et ouvre à l'homme un avenir. Cet objectif est le nôtre, mais nous le recevons du désir du Créateur.
La « fin » peut aussi s'employer dans le sens du terme d'un parcours : à la fin d'un exercice, vient le moment de parler au Seigneur (n°109) ; dans le discernement, il peut être utile de regarder le déroulement des pensées : si le début était bon, le milieu et la fin sontils de la même qualité ? (n°333) La fin, c'est encore le résultat que visent le bon ou le mauvais ange, leur intention (n°331). La fin désigne ainsi toujours l'aboutissement d'un mouvement. Le « moyen » prend place aussi sur une trajectoire. Dans l'espagnol d'Ignace, le même mot, medio, signifie à la fois le milieu, au sens propre, qu'il soit temporel ou local (le milieu de la nuit, ce qui se place entre le début et la fin) ou au sens figuré (le milieu entre deux extrêmes), et le moyen que l'on va prendre. Dans le Principe et Fondement, Ignace ne parle pas de moyen, mais de ce qui aide ou fait obstacle « dans la poursuite de la
Extrait du Principe et Fondement, Exercices Spirituels n°23. Vitrail de la chapelle du centre spirituel de Manrèse, Clamart (92).
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Le couple fin et moyen évoque sans doute pour nous deux proverbes : « Qui veut la fin veut les moyens » et « La fin justifie les moyens », deux règles de conduite qui peuvent donner lieu à bien des abus, en faisant passer pour acceptable voire nécessaire ce qui est en réalité injustifiable !
Sylvie Robert est religieuse auxiliatrice, spécialiste de la spiritualité ignatienne, enseigne au Centre SèvresFacultés jésuites de Paris et est membre de l’équipe du centre spirituel de Manrèse (92). Auteur de Les chemins de Dieu avec Ignace de Loyola, A la découverte d’une voix spirituelle, 2009.
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fin », ou de ce qui y « conduit davantage » (n°23) : l'accent est mis sur une trajectoire et sa réussite. Cette distinction entre fin et moyen est donc à comprendre comme une dynamique relationnelle et ordonnée. Quel en est l'enjeu ?
L’amour de Dieu, source de toute chose à cette lumière, le choix juste est celui dans lequel nous exerçons notre liberté en accord avec notre vocation de créature. En effet, « la fin pour laquelle je suis créé » est la vocation fondamentale de l’homme, « créé pour louer, respecter, servir Dieu son Créateur et par là sauver son âme. » Notre horizon vital, c'est Dieu, non pas par quelque exigence tyrannique, mais parce que si la source de notre existence est en Lui, le fleuve de notre vie reçoit de Lui son mouvement et s'alimente en Lui. « Qui regarde vers Lui resplendira » dit le psaume 33. Et nous aimons chanter « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne demeure en toi ». Mais Dieu ne confisque pas l'homme. Il le met au monde, Il lui fait don d'autre chose que Lui-même : un temps, c'est-à-dire une vie, une histoire, une possibilité de croissance ; une liberté et des limites qui lui permettent d'exister ; une terre, vivante, peuplée d'êtres vivants et de semblables ; des capacités, des biens, des tâches, des relations : « les autres choses sur la face de la terre sont
créées pour l'homme ». La distinction entre fin et moyen traduit cette double réalité : Dieu seul nous fait vivre, mais Il ne nous enferme pas dans un face à face avec Lui qui nous priverait de tout ce qui n'est pas Lui. Notre liberté se déploie en s'orientant radicalement vers Lui, mais à travers des choix précis, limités, relatifs, à hauteur d'homme, qui ne portent pas sur Lui. Distinguer la fin et les moyens est un rempart contre la confusion et l'idolâtrie : Dieu seul est le Créateur, tout ce qui n'est pas Lui est à remettre à sa place de créature ; Il est premier et unique, les créatures sont secondes et multiples. Parler de fin et de moyen, c'est retrouver un ordre qui fait la seule différence décisive, entre Dieu et tout le reste, et donne la première place à la relation à Lui.
Reconnaître l'origine et la fin Mais cet ordre vit d'une dynamique. Comment y aurait-il choix sans le mouvement du désir ? Le langage courant le dit bien : mon choix se porte sur une personne, un objet, une hypothèse, une possibilité, une solution. Ignace rend attentif à ce mouvement : d'où vient-il et où va-t-il ? Et il donne une autre règle : « Que cet amour qui me meut et me fait choisir telle chose descende d’en haut, de l’amour de Dieu, de sorte que celui qui choisit sente d’abord, en lui, que l’amour plus ou moins grand qu’il a pour la chose qu’il choisit est uniquement à cause de son Créateur et Seigneur. »
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© Vitrail de la chapelle du centre spirituel de Manrèse, Clamart (92)
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Spiritualité ignatienne
(n° 184). C'est bien moi qui choisis. Mais la règle inscrit ce mouvement de mon désir dans une dynamique plus grande qui va de l'origine : l'amour Créateur, à la fin : aimer Dieu. L'amour pour ce que je choisis ne s'en trouve pas pour autant diminué. Mais il respecte la différence et l'ordre entre le Créateur et les créatures. C'est l'amour reçu de Dieu qui dynamise mon désir, et le choix que je fais ainsi renforce l'orientation de ma vie vers Dieu pour le louer, le respecter, le servir. Pour prendre une image optique, sur la ligne du dynamisme qui me vient de Dieu et m'oriente vers lui comme ma fin, l'objet choisi ne fait pas écran, ne me cache pas le Dieu qui m'appelle à aller vers Lui ; il ne me fait pas loucher, un œil attiré par Dieu, un œil retenu par l'objet de mon choix, sans que le strabisme se corrige en une vision unifiée ; au contraire, ce que je choisis devient un « moyen », prend place entre mon regard et Dieu, au milieu, et, comme une lentille, accroît l'acuité de mon regard sur Dieu et l'intensité de ma focalisation sur Lui. Bien plus, le mouvement de mon désir est traversé, porté, dynamisé, orienté par le mouvement de l'amour du Créateur qui a suscité le monde et désire faire partager sa vie : je choisis poussé par l'amour que je reçois de Dieu et qui passe à travers moi vers les créatures, pour nous tourner davantage, elles et moi, vers Dieu et nous ouvrir davantage à la vie qu'Il désire donner.
Des attitudes à cultiver Devant un choix à faire, notre regard est facilement myope : il se place face à l'objet du choix, oubliant la trajectoire bien plus vaste que dessine l'amour de Dieu. Le mouvement de notre désir risque de se rabougrir à l'attrait ou à la répulsion qu'exerce sur nous l'objet en question : nous ne prendrions alors en compte qu'un tout petit segment de la trajectoire d'ensemble ; notre désir perdrait le grand souffle de l'amour de Dieu qui lui donne son ampleur et son assurance. Ou bien il se stériliserait, atrophié par l'idée de ce qui serait mieux en soi, et nous choisirions en fonction d'un idéal de nous-mêmes ou d'une image faussée de Dieu, ou sous influence d'autrui. Bien sûr, une vue précise de l'objet de la décision nous est nécessaire. Mais ce n'est pas cet objet qui est notre vis-à-vis, pas plus que ceux et celles qui nous donnent des conseils, même les meilleurs ! Nous n'avons qu'un seul vis-à-vis : le Seigneur, vers lequel marcher et qui seul nous donne la vie. C'est
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sur Lui qu'il s'agit de régler notre objectif. Notre regard ainsi ajusté, l'objet du choix devient relatif et ne prend plus tout le champ ; nous pourrons vérifier si, placé sur cet horizon, il brouille notre regard ou l'aiguise. Comment choisir, sinon appuyés sur l'expérience que Dieu est la source de notre existence, que nous orienter vers Lui nous fait vivre et nous libère ? Il ne suffit pas pour cela de savoir par cœur le texte du Principe et Fondement, au risque d'en faire un slogan ! C'est cette expérience qui est à retrouver et à revivre, avant tout. L'urgence est de travailler à accueillir l'amour du Seigneur comme fin de toutes choses et moteur de chacune de nos actions. Alors cet amour nous atteindra, passera par nous vers d'autres et orientera chacune de nos décisions. Seules ces attitudes fondamentales nous permettront de choisir et décider de façon libre, juste et efficace. Sylvie Robert
Principe et fondement (Exercices n°23)
L'homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là, sauver son âme ; les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l'homme, pour l'aider à poursuivre la fin pour laquelle il a été créé.
Il s'ensuit que l'homme doit en user dans la mesure où elles lui sont une aide pour sa fin, et s'en dégager dans la mesure où elles lui sont un obstacle. Pour cela, il faut nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est permis à la liberté de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, quant à nous, santé plus que maladie, richesse plus que pauvreté, honneur plus que déshonneur, vie longue plus que vie courte, et ainsi de tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés.
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Question de communauté locale
Accueillir de nouveaux membres L’équipe service de la communauté régionale (ESCR) demande à notre communauté locale d’accueillir de nouvelles personnes. Une nouvelle communauté locale va naître : tous ensemble, nous allons lui donner un nouveau visage. Comment les accueillir, quelles attentions avoir ?
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Ceux qui accueillent se connaissent, savent l’histoire de leurs compagnons, ils ont leurs habitudes (horaires, le mode de convivialité, la façon de concevoir le partage des nouvelles, etc.). Ceux qui arrivent, seul ou à plusieurs, sont plus ou moins anciens dans la Communauté, se connaissent entre eux ou non… Pour ces « accueillis », la première rencontre est le temps d’échange avec le responsable, un temps qui se vit souvent par téléphone. Chaque membre de la communauté locale peut soutenir ce temps par la prière. Pour le responsable, ce temps est à vivre comme une conversation spirituelle : il y a le responsable, l’accueilli et le Seigneur. Comment faire pour que, dès la première rencontre, ces nouvelles personnes se sentent « chez elles » ? Soigner la convocation, le temps de convivialité lors de la première rencontre est essentiel : rien ne doit être sous-entendu. Que chacun soigne sa préparation sera aussi essentiel. Dans sa prière préparatoire pour préparer « la première rencontre »,
chacun pourra prendre le temps de voir les compagnons en marche, acteurs dans notre monde en création. Chacun peut alors considérer son désir de participer à cette création, de répondre à l’Amour de Dieu. Comme tout acte de création, cela prend du temps. Lors de la première rencontre de cette nouvelle communauté, il s’agit de se présenter. Il sera impossible que chacun retrace toute son histoire à la suite du Christ, mais le temps de prière aura permis de faire surgir des points de notre histoire, des événements proches, des engagements actuels, nos joies, nos souffrances… C’est en les partageant que nous pourrons nous aider à suivre le Christ durant l’année qui s’ouvre pour nous. Ce temps est aussi l’occasion pour « les anciens » de nuancer le regard porté sur chaque compagnon, car la présentation que chacun fait conduit à réactualiser ce qui fait sens pour l’autre ce jour-là. Après le premier tour, nous pouvons prendre ensemble quelques minutes de silence pour contempler la nouvelle communauté que le Seigneur nous donne. Le
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second tour devra surtout permettre de donner pleinement sa place aux nouveaux : qu’ils puissent demander ce qui n’est pas clair pour eux, que l’on puisse leur demander ce qui n’a pas été clair pour nous. Il va certainement falloir garder du temps pour fixer ensemble l’agenda pour l’année, les semaines à venir. Celui qui anime la rencontre devra en avoir le souci pour bien veiller sur le temps. Dans l’évaluation, il faudra être particulièrement attentif pour que les nouveaux puissent exprimer ce qui les a déroutés, dans le mode de fonctionnement, dans le vocabulaire, dans les éventuels non-dits, parce que connus de tous les autres mais pas d’eux. Mais, même si cette première rencontre a été bien préparée et s’est bien déroulée, il faudra encore du temps pour que « les nouveaux » intègrent l’histoire des uns et des autres, les codes du « groupe » qu’ils ont rejoint ; cela exige simplicité et patience de leur côté, vigilance pour les « anciens ». Marie-Agnès Bourdeau, CVX
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En France
Le charisme CVX au service des camps MEJ L’été dernier, une trentaine de membres de la CVX se sont mis au service d’un camp MEJ (Mouvement Eucharistique des Jeunes), comme animateur spirituel, directeur, cuisinier ou intendant. Une occasion unique pour la CVX de découvrir d’autres façons de chercher Dieu à l’école d’Ignace. Et de prendre conscience, au sein de la famille ignatienne, de son charisme particulier d’écoute et d’accompagnement spirituel. Témoignage de Jean-Louis Piette, CVX Nord, animateur spirituel sur un camp itinérant, « le Tour du Mont Blanc » pour des 15-18 ans.
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ment du pardon. Je propose donc des temps spirituels en commençant par une prise de conscience du don de Dieu, dans la contemplation de la nature et dans la relecture de vie. Puis vient la réflexion sur les réponses inadaptées à ce don, par manque d’amour. La plupart des jeunes s'approchent alors de l'un des trois prêtres qui ont répondu à ma sollicitation, et je prie au milieu d'eux.
Après un travail de préparation, en m'inspirant de la progression proposée par saint Ignace dans les Exercices spirituels, je suis parti, conscient de n'être que l'outil dont Dieu se servirait pour travailler au cœur ceux que je rencontrerais. Chaque jour, quand c'est possible, j'invite les jeunes, mais aussi l'équipe d'animation, à trente minutes de méditation à partir de l'une des propositions préparées à cet effet. Ces temps sont pour moi occasion d'appel à l'Esprit Saint pour qu'il accompagne chacun sur son chemin de foi. Occasion aussi de louange, pour le bonheur de les voir tous, disséminés dans un espace, méditant le carnet à la main, dans un silence absolu.
Dans les premiers jours du camp, un accompagnement est proposé aux jeunes. Beaucoup le souhaitent, à cet âge où leur avenir commence à se construire. C'est l'occasion pour moi, pendant la marche, ou assis à l'écart, d'écouter quelques jeunes, d'accueillir leurs questions sur la foi, sur leurs choix. Ils expriment leur manière d'être disciples du Christ et d'en témoigner.
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L'une des constantes des camps MEJ est la proposition du sacre-
Dans un camp MEJ comme ailleurs, l'Ennemi est à l’affût. La fatigue accumulée est pour lui une circonstance de choix. L'équipe d'animation est confrontée à ses attaques destinées à miner la belle œuvre de Dieu. Sa cohésion se dégrade parfois. Mais le « Bon Esprit » est le plus fort, qui vient
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suggérer une prise de conscience, une réunion pour se parler, un temps pour une prière partagée, voire un appel à la prière lancé par SMS à ma communauté locale. C'est alors la volonté partagée de tout faire pour la réussite du camp qui fait trouver le moyen de rectifier la trajectoire et nous rassemble à nouveau pour être totalement au service des jeunes. Au retour je me suis demandé si j'aurai dû faire davantage dans mes propositions. Réaction que je crois inappropriée : ne suffisaitil pas pour moi d’être le disciple envoyé en mission, témoignant de sa foi, et confiant dans l'efficacité de l'œuvre de Dieu dans les cœurs. Jean-Louis Piette, CVX Nord Le MEJ organise chaque été dans toute la France (et à l’étranger) 35 camps, de 8 à 21 jours, pour des jeunes de 8 à 18 ans. Infos sur www.mej.fr, onglet Camps. Inscriptions dès le mois de janvier. 01 40 71 70 00 Retour des camps de l’été 2013 : retrouvez les coordonnées de l'Équipe relais CVXcamps MEJ et les témoignages des membres de la CVX sur le site de CVX France : www.cvx france.com, onglet Jeunes/MEJ.
Halte spirituelle en famille lors du Festival JMJ LaLouvesc 2013 Le « Festival JMJ Lalouvesc » a réuni, du 23 au 28 juillet dernier, 280 personnes de la famille ignatienne. En plus du festival pour les 18-35 ans en résonance avec les JMJ de Rio, avait lieu un camp pour les 15-17 ans avec le MEJ et une halte spirituelle pour 18 jeunes familles avec enfants de moins de 10 ans, proposition pour laquelle le Réseau Jeunesse Ignatien (RJI) avait proposé à la CVX de s'associer.
Prenez quarante-sept enfants de 4 mois à 10 ans, treize couples, des religieuses de Saint-Joseph, un séminariste, des jésuites (dont un novice), des laïcs. Imaginez un lieu aussi exotique que le petit village de Lalouvesc en Ardèche revisité aux couleurs et aux musiques du Brésil, JMJ de Rio oblige ! Et vous avez la toile de fonds de la Halte Spirituelle Familles Lalouvesc 2013, première proposition par le Réseau Jeunesse Ignatien (RJI) avec la CVX. L'objectif était de proposer une halte spirituelle à des familles CVX ou non -, à un moment de leur vie où elles sont souvent débordées entre des enfants en bas âge et des carrières professionnelles accaparantes. Chaque jour, un temps de retraite était proposé. à la carte, il était possible de s'initier à la lectio divina, au dialogue contemplatif ou bien encore à la prière guidée. Puis suivait un temps pour les couples.
Les enfants n'étaient pas oubliés : tout a été mis en œuvre pour qu'ils puissent vivre également un vrai parcours spirituel. Les passages bibliques qu'ils ont travaillés en rythmo-catéchèse nous ont surpris et certains textes pourtant vus et revus ont pris une saveur nouvelle ! J'ai vécu cette session avec comme seul désir d'être facilitatrice afin permettre aux participants de disposer de temps de prière personnels et de profiter de moments pour leur couple. Je retiens la joie de tous, petits et grands, d'être ensemble, de découvrir ou redécouvrir la Parole de Dieu. C'est aussi l'impression de vivre une expérience de communauté et de fraternité : la présence de jeunes enfants (plus de trente enfants avaient moins de sept ans) oblige à faire attention les uns aux autres. Être témoin chaque jour des retrouvailles parents enfants, au milieu du jardin des sœurs du Cénacle qui avaient laissé leur maison à disposition : à ce moment-là, « trouver Dieu en toutes choses » semblait évident pour
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Les différentes générations de la Halte Spirituelle Familles avec Jeunes enfants ont pu « trouver Dieu en toutes choses », chacun à sa mesure.
les parents comme pour les enfants ! Nous avons aussi bénéficié de la présence du Festival Jeunes des JMJ. Pas besoin de long discours : autant la veillée finale que l'Eucharistie de clôture ainsi que l'aide des festivaliers et des équipes MEJ comme renfort de baby-sitters ont fait toucher du doigt la réalité de la famille ignatienne, dans une ouverture et un décloisonnement totals ! Nelly de Féligonde, CVX Yvelines Nord de l'équipe d'organisation de la Halte Spirituelle Famille Lalouvesc 2013 novembre / décembre 2013 33
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En France
Retour sur l'Université d'été CVX 2013 L'Université d'été de la CVX a eu lieu pour sa deuxième édition, du 22 au 28 août 2013, rassemblant 200 personnes au centre spirituel du Hautmont dans la région lilloise, autour du thème « Travailler pour la justice par une option préférentielle pour les pauvres et un style de vie simple » (Principe Général 4 de la CVX). Pour Marie-Antoinette Jamin, membre de l’équipe de service national, cette Université d'été se décrit en trois temps : un désir, une conversion et une mise en mouvement. Des témoignages de participants illustrent son propos. Un désir
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es membres de la Communauté ont eu le désir de reprendre le PG4 : travailler pour la justice avec une option préférentielle pour les plus pauvres et un style de vie simple.
ls ne restent pas à une lecture rapide, superficielle et découragée de notre monde et s’exercent ensemble à lire « les signes des temps », c’est-à-dire cherchent à comprendre les mécanismes, évolutions et enjeux de ce qui se vit dans notre société actuelle à la lumière de la vie de Jésus, pour, dans ces réalités, mieux entendre où Dieu nous appelle.
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Nous venons de vivre un nouveau tournant dans la vie de la Communauté. Je pense que nous ne pourrons désormais plus faire comme si l’option préférentielle pour les pauvres était facultative. Aller à la rencontre de différents acteurs locaux était très complémentaire des paroles entendues lors des interventions, qui nous ont permis de bien comprendre les enjeux de cette question. Je suis heureuse que le thème de Diaconia ait imprégné la réflexion de la Communauté. Les choses bougent, et souvent pas où et quand on les attend. Je me sens appelée à prier davantage pour que le Seigneur vienne à notre secours et qu’il convertisse nos cœurs pour que nous soyons des présences agissantes de son amour dans le monde.
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© CVX
Marie Poline
J’ai découvert à travers cette passionnante Université d’été la très grande diversité des engagements des membres de CVX, citoyens et chrétiens déjà actifs pour un monde plus juste, et ouverts à un discernement pour vérifier la pertinence de ces engagements et de nouvelles orientations à leur donner, en particulier en référence aux plus pauvres et à la vie simple. J’ai aussi été marqué par la manière dont certains membres de ma communauté d’Université se sont laissés toucher par les rencontres qu’ils ont réalisées. J’ai beaucoup aimé l’unité que nous a donné la construction de cette UE sur le thème de la vie simple en liant deux approches : celle d’Hervé Kempf et celle de Jean-Claude Caillaux. Il y a une unité qui se crée entre choisir la simplification de vie en solidarité avec les très pauvres, pour réduire autant que possible le fossé très grand qui nous sépare et la nécessité macroscopique d’une simplification de vie sans laquelle la planète et l’humanité vont dans le mur. La clarté d’une pensée exprimée en quelques mots qui vont droit au cœur et à l’esprit, par les personnes en situation de précarité m’a aussi beaucoup touché.
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© CVX
Paul Maréchal, membre de l’équipe de préparation, volontaire permanent d’ATD
Plusieurs conférences ont eu lieu pendant l'Université d'été :
Une mise en mouvement
hacun a pu identifier ce qui dans sa propre vie,
Ipauvres, de se laisser toucher et de reconsidérer ls ont accepté d’aller à la rencontre de ces plus
leur propre vie à partir de ce plus pauvre.
Pour rendre concrète la présence des pauvres et nourrir l’Université d’été, une soixantaine de participants sont allés à la rencontre d’associations caritatives de la région de Lille. Ce fut une grande chance pour moi de rendre visite à Terre d’Errance à Steenvoorde. À huit, nous sommes allés, guidés par le père Lener et plusieurs membres de l’association, rencontrer des migrants érythréens souhaitant passer en Angleterre. Ces migrants trouvent durant cette étape d’un voyage éprouvant, une aide alimentaire, l’accès à des soins, des douches, des vêtements mais surtout un certain répit et une présence fraternelle. Après le démantèlement du Centre de Sangatte, une « jungle » (camp de fortune) est née près d’une aire de l’A25, et le bourg de Steenvoorde situé à proximité a vu ses environs se peupler d’érythréens en errance. Quelques habitants ont été émus par la situation de ces personnes et sont allés trouver leur curé puis leur maire avec l’idée qu’« on ne peut pas rester là à ne rien faire ! ». Osant placer leur action aux limites de la loi interdisant l’aide au séjour irrégulier, ce groupe, soutenu par la population, s’est lancé avec peu de moyens dans l’aventure de l’accueil. Sans idéaliser la réalité quotidienne de chacun, nous avons pu constater que cette fraternité vécue procurait une belle joie aux habitants impliqués et aux migrants de passage. Je suis reparti de ces rencontres interpellé par ceux qui se sont laissés toucher par la misère dans leur quotidien, près de chez eux, qui se sont mis en danger pour agir, et sont passés à l’acte sans se laisser bloquer par les difficultés à venir.
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Boris Dusaussoy
Certains décideront de vivre davantage avec les pauvres ou de s’engager pour lutter contre les mécanismes de paupérisation. Et qui sait, un petit nombre pourrait décider de vivre comme les pauvres.
Ce qui s’est vécu très fortement, intérieurement dans cette Université est que notre Communauté se réenracine et s’engage à partir du plus pauvre, cherche à vivre en vérité l’Évangile, la Bonne Nouvelle, dans la fidélité à sa vocation telle qu’elle s’exprime dans le PG4. Une invitation pour tous.
Marie-Antoinette Jamin, membre de l’équipe de service national Nous retenons de cette Université d’été la confirmation d’un appel à un don total de notre vie à la suite de l’autre et du tout Autre. C’est en partant du pauvre, que nous vivrons au mieux l’Évangile et que nous gagnerons en liberté. Choix de vie radical ou mise en pratique au quotidien d’un état d’esprit dans un travail ordinaire, cela reste à mûrir dans la joie et la foi. Nous gardons en mémoire que la rencontre doit être première et gratuite. C’est la rencontre qui permet d’enlever nos peurs de l’autre et en particulier du pauvre. Les pauvres sont comme nous, ils ont des idées, à nous d’oser ce pas : non pas faire pour eux, mais à partir et avec eux. Chacun est concerné par la vie simple : notre niveau de vie et surtout de consommation d’énergie doit et va baisser. Ainsi à l’échelle planétaire, le niveau de vie moyen pourra augmenter : une bonne nouvelle ! Cette Université d’été a aussi été l’occasion de s’enthousiasmer de la vitalité de la COMMUNAUTE Vie Chrétienne.
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Marie-Pierre et Jean Cantin
Ajeunes, une trentaine d'enfants ont pu vivre leur
ccompagnés par Annick Doisy et une équipe de
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Cson propre quotidien, a besoin de se réajuster.
- Jean-Luc FABRE, assistant national, a expliqué l’enjeu, pour la CVX, du combat pour la justice et de l’option préférentielle pour les pauvres. - Hervé KEMPF, essayiste, auteur de « Fin de l’Occident – naissance du monde » (Seuil) est intervenu sur les questions socioéconomiques au niveau macro, les mécanismes d’inégalités et de la pauvreté dans le monde, les injustices. - Erwan LE MENEUR, sociologue, a relu pour nous son expérience d’enquête sur la grande précarité en partenariat avec le Samu Social ; il est venu avec deux migrants dont le témoignage fut bref, mais percutant. - Jean-Claude CAILLAUX, théologien et bibliste, permanent du Mouvement ATD Quart Monde et fondateur de « La Pierre d’Angle », a souligné l’importance de parler et d’agir à partir du plus pauvre et nous a donné des jalons pour une Église des pauvres Retrouvez tout le programme et les interventions sur www. cvxfrance.com, onglet « Événements » et « Université d’été 2013 »
propre Université d'été.
Nous avons réfléchi, à travers des jeux, sur la paix et le handicap. Nous avons joué en équipe à des jeux coopératifs et appris à nous entraider au lieu de nous opposer. Les plus grands, nous avons aussi eu des moments pour réfléchir ensemble. Un veilleur (un grand) devait être attentif à son veillé (un petit) et le veillé pouvait demander de l’aide à son veilleur. J’avais pas du tout envie de partir !
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Rectificatif : Veuillez nous excuser pour l’erreur dans la revue n°26 à la p. 35. Nous précisons que Lucien Descoffres s.j. est le directeur du CISED et Bruno Sterlin le président.
Suzanne, 9 ans
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Ensemble faire Communauté
Dans le monde
L’Assemblée mondiale,
une communauté à vocation laïque Du 29 juillet au 8 août 2013 a eu lieu au Liban l'Assemblée mondiale de la CVX, autour du thème « De nos racines vers les frontières ». Jean Fumex, responsable national, Alice Bertrand-Hardy, déléguée au mondial et Jean-Luc Fabre s.j., assistant national, y ont représenté la CVX France. Ils nous partagent leur expérience.
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Dès les premiers moments, la joie de la rencontre est là, qui s’impose : les visages souriants, les mains tendues, le prénom et le pays qui sont donnés… Nous commençons tous par nous accueillir les uns les autres, tous à peu près aussi perdus parmi tous ces nouveaux visages. Mais le plus frappant, c’est de voir que chacun cherche à aller vers l’autre, avec le sourire.
Tous au Liban : « Opération cartes postales » Près de 150 cartes postales sont parvenues à l’Assemblée Mondiale et ont été données aux délégués pour qu’ils les transmettent dans leur pays. Ils ont été très touchés de ce geste et du soutien ainsi manifesté à la communauté mondiale. Un grand bravo et merci à tous ceux qui se sont mobilisés !
Une joie d’être ensemble qui nous a accompagnés tout au long des dix jours partagés. La rencontre c’est aussi ce long temps pris en assemblée pour que chaque pays se présente, dise ce qu’il vit d’important : l’occasion de découvrir une variété de façons de vivre le charisme de la CVX et de nous laisser déplacer par ces différences pour mieux trouver ce qui nous unit. La rencontre c’est aussi, lors de la journée des visiteurs (le 3 août), retrouver les Français qui sont venus pour quelques jours rencontrer la communauté libanaise et son pays. Enfin, au-delà de tous ces visages, c’est Dieu que nous sommes venus
rencontrer ensemble : une assemblée de communauté, ce sont des personnes qui se réunissent pour se laisser guider par l’Esprit jusqu’à accueillir la grâce qui nous est nécessaire pour avancer aujourd’hui en communauté. Accueillir l’Esprit pour nous laisser déplacer, ensemble. Ce qui a le plus résonné, cela a été l’invitation à nous saisir pleinement de la spécificité de notre vocation de laïcs : nous sommes une communauté apostolique, ensemble envoyés par Dieu dans le monde, mais en tant que laïcs. Cela se joue donc d’abord et avant tout dans notre vie quotidienne, ordinaire : c’est là que nous sommes envoyés et invités à suivre le Christ radicalement, grâce aux outils spirituels ignatiens. Nous sommes tous concernés, ce n’est pas visible et pourtant, c’est là que l’essentiel se vit. C’est de vivre une conversion à Dieu dans le lieu même de notre vie ordinaire qui nous permettra d’aller vers le monde avec un langage de sagesse, simple et profondément inspiré par l’Amour. Nos engagements personnels et
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communautaires seront alors porteurs de fruits plus nombreux, plus durables et profonds. Nous nous sommes laissés rejoindre et rencontrer par ces deux « perles », le fondement dans la vie ordinaire invisible et le langage de la sagesse, qui nous invitent à un déplacement qui reste à inventer au sein de nos communautés nationales, régionales et dans les échanges entre les pays aussi. L’Assemblée mondiale, c’est le début d’une aventure qui continue avec chacun d’entre nous. Alice Bertrand-Hardy, déléguée CVX au mondial Retrouvez les photos, interventions et témoignages de l'Assemblée mondiale sur
www.cvxfrance.com
En communion avec la CVX Syrie Du premier au dernier jour de l’Assemblé Mondiale, la souffrance vécue par le peuple syrien a été très présente. Pour Alice Bertrand-Hardy, déléguée au mondiale, partager les témoignages entendus lors de l'Assemblée mondiale est important pour que chacun puisse porter les membres de la CVX Syrie dans ses pensées et prières.
Au cœur même de notre assemblée, nous avons pu recueillir le témoignage de compagnons de la CVX Syrie, touchés très concrètement par la guerre. Antoine Taoutel, coordinateur de la CVX Syrie, a tout quitté il y a un an et a perdu ses deux usines, son hôtel qu’il venait de rénover. Il nous a parlé des médailles fabriquées à Alep2 pour célébrer le 450 e anniversaire de la CVX dans la région du Moyen-Orient en Syrie, Liban et Égypte. Opération qu'il a dû arrêter à cause des bombardements, puis qu'il a pu continuer en étant réfugié au Liban, grâce à un producteur qui s'est attelé à la tâche entre les coupures de courant liés aux bombardements et aux combats. Faez, Manal, Abed sont aussi venus parler de leur histoire et de
la manière dont ils cherchent à trouver Dieu en toutes choses, dans leur quotidien dévasté. Faez d’Alep a lui aussi perdu sa maison, sa plantation d’oliviers et son usine d’huile d’olive, situés dans une région proche de la frontière avec la Turquie. Restés aussi longtemps que possible, les dangers et la nécessité de permettre à leurs enfants d’aller à l’école les ont amenés à partir à Homs. Ils ont rendu grâce d’être bien arrivés, malgré les risques sur la route. Au fil des mois, ils ont appris que leur maison avait été réquisitionnée et leur usine pillée : c’est très douloureux d’être ainsi dépouillé et pourtant, à Homs, après avoir été accueillis, ils sont, à leur tour, attentifs à ce qu’ils peuvent faire pour d’autres. Manal de Damas vient de rejoindre le Liban avec son mari et ses enfants. Les menaces d’enlèvement prononcées contre lui les ont convaincus de laisser leur logement et leur usine. Pendant plus d’un an, ils ont vécu sur place subissant les rigueurs de la
guerre. Manal s’est investie avec d’autres personnes de la paroisse pour apporter des vêtements et des repas à des personnes qui n’avaient plus rien pour vivre ou presque : pour elle, continuer à chercher et servir Dieu était cela. Abed, lui, vit encore en Syrie, il a quitté sa maison du centre de Homs pour habiter la banlieue. Il n’a pas encore « tout » perdu mais chaque jour, sa femme et lui vont travailler dans un quartier où la guerre est présente. Chaque jour, pour aller travailler ils risquent leur vie, ils ne sont pas sûrs de se retrouver le soir.
1. Paolo Dall’Oglio a disparu le 29 juillet 2013 dans la région de Raqqa, au nord de la Syrie. Lire son livre La rage et la lumière, un prêtre dans la révolution syrienne, Paolo Dall’Oglio, Éditions de l’Atelier, mai 2013.
Alice Bertrand-Hardy, déléguée CVX au mondial
2. Pour plus d'informations sur l'histoire de ces médailles, voir sur le site www.cvxfrance.com onglet « Événements », puis « Assemblée mondiale Beyrouth 2013 »
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A la nouvelle de l’enlèvement du père jésuite Paolo Dall’Oglio s.j.1, qui travaille depuis de nombreuses années au dialogue entre chrétiens et musulmans, nous avons prié, notamment pour la fête de l'Aïd (la fin du Ramadan) le 8 août, nous joignant à la chaîne de prière initiée par ses amis musulmans et chrétiens.
▲ Médaille syrienne des 450 ans de CVX
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Ensemble faire Communauté
Dans le monde
Au service de l’Assemblée mondiale L’Assemblée mondiale a besoin de traducteurs : chaque intervention est diffusée simultanément en anglais, espagnol et français. Dans l’enquête Semailles et Moissons1, j’avais indiqué qu’ayant séjourné plusieurs années en Australie, j’étais bilingue : j’ai été appelée... et me voici à Beyrouth, embarquée dans l’aventure.
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1. Enquête lancée par l’équipe nationale de la CVX en novembre 2012 pour mieux connaître les « talents » de chacun.
tienne : densité du programme, intensité des rencontres, qualité des intervenants, chaleur des différents membres CVX et de la communauté, énergie qui foisonne grâce entre autres aux petits détails bien pensés.
D’abord, je suis saisie de l’effort fait pour rendre disponibles, en trois langues, toutes les interventions à l’oral et à l’écrit. Ensuite, je réalise les grandes possibilités de malentendus possibles soit du fait de nos traductions, soit parce que les délégués maîtrisent plus ou moins bien l’une des trois langues officielles. Je ne me sens pas toujours à la hauteur, mais nous, les cinq traducteurs, sommes choyés par le père Olivier qui pallie au pied levé à chaque détresse.
Je suis très touchée par le père Adolfo Nicolas, notre assistant mondial. Cet homme est à tel point pétri d’amour et de bienveillance qu’il semble n’avoir pas besoin de traducteurs : ce qu’il dit vient directement de son cœur pour toucher le nôtre. Il nous parle du discours de sagesse qu’il montre dans la simplicité de son langage même.
Voici quelques impressions en vrac, « depuis ma cabine » :
© CVX
J’ai le sentiment de participer à une rencontre régionale puissance 1000. Je retrouve en partie mes repères et l’organisation igna-
Je me sens bénie de pouvoir échanger avec les uns et les autres du contexte de leur équipe locale et je découvre des pratiques variées dans les pays : ceux qui se retrouvent chaque semaine, ceux qui peinent à faire vivre des rencontres à quatre, sans accompagnateur, les communautés qui pressent leurs nouveaux membres à prononcer un engagement, ou encore, le témoignage douloureux des membres de Syrie qui ont dû fuir leur pays.
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Je repars avec quelques expressions : « la mondialisation de la superficialité », ou bien l’annotation n° 22 des Exercices, de toujours « chercher à sauver la proposition de l’autre ». J’ai aussi découvert que nos représentants CVX aux Nations Unies ont besoin des remontées de nos communautés nationales pour mieux défendre les propositions par la force des exemples : toute situation – vécue dans notre quotidien et nos engagements – qui illustre une des injustices/oppressions de notre temps, ou une idée novatrice qui semble fonctionner, les intéressent. Enfin, sur une note plus personnelle, j’aime dans ma vie toutes les formes de ponts, de passerelles, pour tisser des liens avec l’autre. Alors, entendre l’Assemblée Mondiale s’interroger sur le fait de faire découvrir les outils ignatiens à d’autres chrétiens, et aussi des non-croyants, m’a littéralement réchauffé le cœur. Cela me rejoint dans ma conviction profonde que le message de saint Ignace a du sens pour tous. Arielle Campin, CVX Paris Bonne Nouvelle
© Anne Fioc
Billet
L’énigme du joug « Change les noms, brouille les pistes, m’a dit le père Luc, et raconte ce qui s’est passé aux noces d’or des Pitard1 ». Fin septembre donc, dans – brouillons les pistes – une de ces haciendas au bord de la mer, cernées par les lavandes, qui font tout le charme du Limousin, Luc retrouvait un couple dont il avait jadis béni le mariage. Messe, fête, grands soleils. Bouquets et banderoles foisonnaient aux couleurs de la mémoire et de la tendresse. Quant à Paul et Mijo, ils voguaient de table à table, recueillant souvenirs et vœux de prospérité comme autant de friandises à grignoter à deux, sans modération. Vieux mariés, tu parles, personne n’y croyait, leurs regards étaient trop doucement complices, leurs mains trop souvent unies.
1. Il ne s’agit donc pas des Pitard. Mais les Pitard rêvent tellement qu’on parle d’eux dans la nouvelle revue Vie Chrétienne… Contente, Simone ?
Vint le moment des cadeaux, inventif et sobre, sans billets d’avion pour Venise, sans piluliers en cloisonné chinois 17e. Parut Léa, la cadette des petits-enfants. On ne l’avait pas vue de toute la matinée. Vêtue de noir, le crâne plus ou moins rasé, une mèche verte enroulée autour de l’oreille gauche, exclusivement nourrie de légumineuses répertoriées par Hildegarde de Bingen, Léa est khâgneuse, tendance punk écolo pré-gothique. Son cadeau ? Un joug pour bœufs, en érable, qu’elle a traîné par ses sangles de cuir jusqu’aux pieds des grands-parents. Sans sourire, à mots sentencieux, terriblement audibles dans le silence qui s’était fait quand elle avait surgi comme de nulle part, Léa a proféré : « D’année en année, les animaux attelés au même joug, traçant les mêmes sillons, forment un couple tellement uni, qu’à la mort de l’un, l’autre ne survivra guère… » Sortie de Léa. Silence de plus en plus opaque. Chacun pensait au cancer de Mijo, à peine stabilisé. Et voici que l’Esprit Saint se met à souffler. Les mariés, la noce restent sans voix, mais Luc lance : « Bravo, Léa, oui, ConJUGal vient de joug. Paul, Mijo, si vous déposiez ce joug en ex-voto dans votre chapelle ? En route, on s’y rend avec vous ! » Un cortège se forma vers la chapelle du parc, les deux fils Pitard portant le joug à bout de bras, trophée pacifique. Luc, lui, avait au cœur sa petite idée, sa petite musique : « Mt 11,29-30 ! Mt 11,29-30 ! » 2 Il la scandait comme une litanie que la procession reprenait en chœur. Il donna, ce jour-là, une deuxième homélie : suivre Jésus, prendre son joug, c’est s’atteler avec lui pour aller d’un même pas, tracer le même sillon. Comment mieux suggérer les épreuves partagées, le compagnonnage, la fraternité au long des jours ? Il se murmure qu’à la nuit, Léa s’est rendue à la chapelle. - Ça, c’est plutôt le verset 283, dit Luc.
2. « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » Mt 11, 29-30. 3. « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. ». Mt 11, 28
Philippe Robert s.j.
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Prier dans l’instant
avec mon côté rationaliste Quand on y pense… croire que le Fils de Dieu s’est fait chair, qu’il est mort pour nos péchés et qu’il est ressuscité… C’est beau mais est-ce vraiment vrai ? Est-ce bien sérieux de croire en cela ?
Le vieux rationaliste qui sommeille en moi se défend : il aborde le texte comme un objet extérieur qu’il décompose et qu’il dissèque.
© Jérémie Jung / CIRIC
En lisant l’Évangile de Jean, je comprends avec mon intelligence le message que l’au-teur souhaite nous faire passer, et les moyens qu’il utilise pour nous convaincre, mais avec la tête seulement.
▲ La révélation révélée aux simples et aux petits plutôt qu'aux savants… (voir Matthieu 11, 25)
** Seigneur, je ne peux pas croire tout seul. Mon orgueil m’empêche d’accueillir et de me laisser faire par ta Parole. Ma raison raisonnante réclame le monopole du vrai. « Seigneur, je crois, viens au secours de mon incroyance ! » ** Tu réponds à mon appel. Ta grâce est là, qui permet à mon cœur de riche d’entrer dans ton royaume, grâce aux frères et aux sœurs que tu places sur mon chemin. J’accepte de laisser ma suffisance, j’accepte que tu viennes au secours de ma faiblesse. Je t’ouvre la porte : entre et viens. Charles Mercier
Nouvelle revue Vie Chrétienne – novembre / décembre 2013