Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M EST R I E L D E L A CO M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E ET D E S ES A M I S – N º 4 6 – M A R S / AV R I L 2017
L’épreuve du silence de Dieu A l'écoute du Pape François Le sacerdoce des baptisés
l’air du temps Le célibat, un défi pour la société et pour l’Église Claire Lesegretain chercher et trouver dieu
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-Élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-Élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Marie-Thérèse Michel Comité d'orientation : Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Étienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : David M. Schrader / iStock
Prochain dossier : Se réconcilier : une école de vie Sortie Mai 2017 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
Sommaire
L'épreuve du silence de Dieu Témoignages Le silence de Dieu ? Bertrand Vergely Mort, où est ta victoire ? Valérie Lechevalier Le silence abrite la Parole Pierre Faure s.j. se former Contempler une œuvre d’art Prier avec Abraham, de Jacques Cadet et Corinne Robet Nous prions parce que Dieu nous prie le premier Marie-Claire Berthelin Au service d’étudiants étrangers Claude Sterlin Le sacerdoce des baptisés P. Édouard Cothenet Repères d’avenir du pape François Michel Guillot L’écoute jusqu’au bout ? Paul Claveirole ensemble faire communauté Une parole à méditer Découvrir les Exercices Spirituels 1ère Université des accompagnateurs CVX de retraites Servir à la manière de la Communauté Entretiens fraternels de croissance A la rencontre de la CVX Australie Le premier assistant mondial de la CVX babillard billet J'ai vu Jésus au tribunal Denis Corpet prier dans l'instant En rangeant ma maison Dominique Pollet
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 46
Éditorial
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Montée vers Pâques
® Ryan Tang Photo / iStock
Mars, Avril, voici le temps du Carême et de la montée vers Pâques. Pourtant les mots « jeûne – partage – prière » n’apparaissent pas explicitement au fil de nos pages. Serions-nous à côté de la plaque ? Peut-être pas. En se laissant interpeller par les divers auteurs, chacun ne peut-il pas trouver de quoi avancer sur son chemin et se préparer à accueillir le Christ Ressuscité ? Se désencombrer, comme l’invitation du ‘Prier dans l’instant’ à propos de rangements ! Retrouver son chemin de vie et sa vocation à la sainteté dont parle ‘L’air du temps’ (p. 4), pour les célibataires comme pour tout baptisé. S’ouvrir à la présence de Dieu, plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes, au-delà du silence et du sentiment d’abandon dont parle le dossier. Répondre dans la prière à Celui qui le premier nous prie (p. 20-21).
»
Faire de toutes nos actions des offrandes spirituelles puisque, baptisés, nous appartenons à une Église sacerdotale (p. 24-26).
Rejoindre l’étranger au plus profond de ce qu’il est, en lien avec l’expérience vécue au CISED (p.22-23).
Croire en l’avenir, être au service de la joie, se laisser toucher par les souffrances, servir avec d’autres, autant d’attitudes tirées du discours du pape aux jésuites, à cultiver dans notre rapport aux autres au quotidien (p. 27-28). 40 jours n’y suffiront pas ! A chacun de choisir son ‘pas de plus’ sur la route qui mène à Pâques.
Marie-Élise Courmont redaction@editionsviechretienne.com
mars/avril 2017
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L'air du temps
le célibat, un défi pour la société et pour l’église Très présents dans notre monde et pourtant assez invisibles socialement, les célibataires ne sont pas mieux soutenus par l’Église, s’étonne Claire Lesegretain qui anime régulièrement des sessions pour célibataires. Revenir au sens de la « vocation » peut permettre de trouver pleinement sa place.
Q Claire Lesegretain, journaliste à La Croix et membre de CVX, est l’auteur de « Être ou ne pas être célibataire » (éd. Saint-Paul 1998). Depuis 2000, elle anime des sessions pour célibataires chrétiens dans divers centres spirituels à travers la France, notamment à Saint-Hugues et au Hautmont.
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Qui sont les célibataires aujourd’hui ? Depuis les années 1970, le nombre des célibataires en France a considérablement augmenté : plus de 18 millions aujourd’hui (Insee). Mais ce chiffre ne prend pas en compte les différentes formes de célibat qui se définit toujours comme : « être en âge d’être marié (18 ans), ne pas l’être et ne l’avoir jamais été ». Cette définition administrative n’est donc plus pertinente à une époque où l’on se marie beaucoup moins, et de plus en plus tard. D’autre part, parce que ce terme de célibataire est désormais utilisé à propos de personnes divorcées ou veuves n’ayant pas (encore) « refait leur vie » en couple… Il existe cependant de « vrais célibataires » qui ne sont ni divorcés ni veufs : ils vivent seuls, ne sont pas engagés dans une relation affective durable et n’ont pas d’enfants. C’est principalement à ces vrais célibataires que sont destinées les sessions spirituelles que j’anime depuis 2000, à la suite de mon ouvrage « Être
ou ne pas être célibataire » (éditions Saint-Paul, 1998), ayant pris conscience de leur grand besoin de parler et d’échanger sur leur état de vie. La vision que porte la société sur les célibataires peut être difficile à endosser. Comment réagir ? En effet, le célibat reste socialement vécu comme un échec affectif. Et quand le discours social inconscient (« Si tu es célibataire, c’est que tu n’es pas assez bien pour te marier ») rejoint celui que le célibataire se tient à lui-même (« Si je suis célibataire, c’est que je ne suis pas aimable »), la conjonction de ces deux discours culpabilisants peut devenir douloureusement enfermante. Il n’y a aucun déterminisme dans le fait de rester célibataire : les personnes célibataires n’ont pas plus de défauts ou de problèmes psychologiques que les personnes mariées ! Ce qui ne doit pas empêcher, parfois, de se faire aider pour prendre conscience d’éventuels blocages (image négative du couple parental, éducation
Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 46
rigide, peur de l’autre sexe…) ou blessures (abandon, traumatisme sexuel…). Des blocages et blessures que le célibat, en se prolongeant, risque d’accentuer (isolement affectif, timidité, dévalorisation de soi-même ou de l’autre…). Quel rapport entretient l’Église avec ce célibat non choisi ? Le célibat est dans l’angle mort de l’Église. On ne parle quasiment jamais de cet état de vie : aucune prière universelle à leur intention ; aucune allusion au célibat non choisi et non consacré pendant le Synode sur la famille (2014-2015) ni dans les actes des synodes diocésains ; encore trop peu de temps forts ou de sessions qui leur soient spécifiquement destinés… Sans parler des maladresses de certains prêtres en confession pour aborder cette question… Et ce, alors même que les célibataires chrétiens qui souhaitent ardemment rencontrer un compagnon ou une compagne et qui s’attristent de voir les années passer sans réussir à concrétiser leur désir légitime sont en attente d’un réel soutien spirituel.
® Pixabay
Que répondre à ceux qui s’interrogent sur leur vocation en étant célibataires ? L’habituel discours ecclésial sur les « vocations » semble ne laisser d’autre alternative aux baptisés qui veulent suivre le Christ que le mariage (avec beaucoup d’enfants) et la consécration (dans la vie sacerdotale ou la vie religieuse). Si bien que ceux qui n’ont été choisis, jusqu’à présent, ni par un conjoint ni par Dieu, se sentent doublement oubliés ! Il est donc urgent de rappeler que la personne qui n’est engagée ni dans le mariage ni dans la vie
consacrée a une vocation et que l’état de vie n’est pas une fin mais un moyen pour parvenir à cette vocation. Tous les fils et filles de Dieu sont appelés (« vocare ») à être pleinement heureux avec le Seigneur. D’une part, parce que « la sainteté s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur rang » (Lumen Gentium). D’autre part, parce que l’Église étant fondée sur l’égalité baptismale, tout célibataire doit y trouver pleinement sa place.
sa contribution au Synode pour la famille : « Quel chemin de vie pour qui n’est appelé ni au mariage ni à la vie religieuse ? » 1, en citant Lumen Gentium, « la sainteté s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur rang ». De plus, comme l’Église est fondée sur l’égalité baptismale, « pour que les célibataires y trouvent véritablement leur place, toute distinction entre un ‘normal’ et un ‘a-normal’ devrait être bannie. »
Comme l’a rappelé le théologien jésuite Christoph Théobald dans
Claire Lesegretain
1. « La Vocation et la Mission de la famille dans l’Église et dans le monde contemporain : vingt-six théologiens répondent », ouvrage collectif, Bayard, 2015.
mars/avril 2017
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Chercher et trouver Dieu
l’épreuve du silence de dieu Douleur, abîme, vertige, colère… Nous pouvons être traversés par de si nombreux sentiments lorsque notre prière ne trouve aucun écho. Quel sens à la mort d’un enfant alors que nous avons tellement prié pour lui ? ‘Pourquoi ton Dieu ne fait-il donc rien ?’, sommes-nous parfois interpellés. Le silence de Dieu semblant épouvanter alors notre entourage. Et pourtant, le premier à se tenir silencieux alors qu’il est injustement accusé, n’est-il pas Jésus lui-même ? Pourquoi ne se défend-il pas plus de nos accusations d’aujourd’hui que de celles de Pilate d’hier ? Et si ce silence si douloureux pour nous était présence aimante de Celui qui se fait proche (p.12-13) ? Et s’il était passage vers la vie (p.16-17), un silence source de liberté, le Seigneur nous appelant ainsi à prendre notre place dans ce monde.
© Designs Pics
Marie-Gaëlle Guillet
TÉMOIGNAGES En période de sécheresse. . . . . . . . . . . . . . . 8 Et il est où ton Dieu dans tout ça ?. . . . . . . 9 L’Esprit n’est pas Google. . . . . . . . . . . . . . . 10 Prier pour les vocations ? . . . . . . . . . . . . . . 11
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Mort, où est ta victoire ? . . . . . . . . . . . . . . .. .14
CONTRECHAMP Le Silence de Dieu ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .12
POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . .18
REPÈRES ECCLÉSIAUX Le silence abrite la Parole . . . . . . . . . . . . . .. .16
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mars/avril 2017
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
en période de sécheresse A tout moment peut arriver une période de désert dans notre relation au Seigneur. Tout devient sans goût, incertain et le Seigneur semble ne pas venir nous rassurer. Quelques petites étincelles ont permis à Benoît la traversée du vide.
I © RyanMc Vay / Digital Vision
Il y a quelques années, le service que je rendais dans la Communauté depuis plusieurs années commençait à me peser, et lorsqu’il prit fin, j’ai traversé une période difficile sur le plan personnel, psychologique et spirituel. Une période de désert.
Les choses deviennent sans goût. Dans la prière, j’entends une voix qui me dit de tout laisser tomber. En même temps, je ressens la nécessité de rester fidèle dans la sécheresse. Je note : « je ne repère pas un instant, un acte précis, mais plutôt une absence de Toi, un congé. Là est pour le moment la rupture » ou : « aujourd’hui, je ne t’ai pas laissé entrer » Je note aussi « Jésus, je te vois toujours en relation avec d’autres : tes rencontres dans l’Évangile, les personnes que j’accompagne, mais pas vraiment en relation avec moi-même ! J’aspire à cette rencontre… » De fait, il m’arrive de me sentir jaloux des personnes que j’accompagne, guidées par l’Esprit. En même temps, je me sens comme un peu en dehors de ma vie, pas complètement impliqué… Pendant cette période, je bénéficie d’une accompagnatrice qui va m’aider à sortir de cet abattement spirituel. Elle me dit :
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 46
« repère des signes d’ouverture à des « visitations » de Dieu, reste attentif à des appels d’une forme inhabituelle ». Elle m’aide car elle pointe à travers ce que je dis, comment je le dis, ce qu’il y a de bon, ce qui se transforme, et du même coup crée comme une exigence pour moi de continuer. Mes doutes et questions portent aussi sur la foi, et elle me dit : « Transforme ton « je ne sais pas » en « je crois » ; demande-le. Si on sait, on maîtrise… Notre foi repose sur l’absence ». Mes autres armes dans ce combat : la fidélité d’abord, à une petite oraison et une relecture à peu près quotidiennes, un passage d’Évangile : « Voulez-vous partir, vous aussi ? Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle » (Jean 6, 67-68) et une phrase d’Etty Hillesum : « Je vais t’aider, mon Dieu, à ne t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. ». Benoît
et il est où ton dieu dans tout ça ? Que répondre à cette interpellation que font nombre de personnes ? Comment réagir ? C’est en se retrouvant elle-même face à cette question qu’ Anne-Christelle a trouvé sa propre réponse.
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Après l’incompréhension, une souffrance et une colère m’envahirent. Face à ces sentiments si puissants je me suis confiée à un ami. Il m’écouta tranquillement, m’énerver, crier, pleurer puis quand j’eus fini, il me fit doucement bouger mon regard en me demandant : « Es-tu certaine de te poser la/les bonne (s) question (s) ? » C’est à ce moment précis que ma question est devenue « pourquoi ? ». J’ai essayé de comprendre les raisons de ces souf-
frances, quelles en étaient les causes, comment les combattre… et c’est à ce moment là que j’ai trouvé où était Dieu dans tout cela… à côté de moi.
cette lumière, cette force au fond de moi pour ne pas accepter l’inacceptable et pour combattre les injustices en mettant ma pierre pour un monde plus juste, plus solidaire.
Je l’ai trouvé dans le regard d’un enfant, je l’ai trouvé dans le reflet d’une source d’eau dans le désert, je l’ai trouvé dans la force des médecins, je l’ai trouvé dans les gestes de fraternité envers des personnes exilées de leur pays à cause de la guerre ou de la misère, je l’ai trouvé dans le regard de cette femme… J’ai compris aussi que l’Esprit soufflait et me donnait
Et aujourd’hui, quand parfois, je perds le sens et la force de répondre, je sais aussi qu’il est à travers la voix de la personne qui me pose la question « Et il est où ton Dieu dans tout ça ? » afin de me bousculer à nouveau, de m’ouvrir les yeux sur ce qui m’entoure et de reprendre le chemin.
LIRE AUSSI… Que faire lorsque l’on croise une personne en pleine tourmente et dont la prière semble sans effet ? Touché, Denis prie à son tour et sa demande est transformée. Retrouvez son témoignage sur editionsvie chretienne.com
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Cela m’a toujours interpellée quand on me posait cette question et me bousculait aussi dans mes certitudes. Parfois cela me troublait tellement qu’aucun mot ne sortait de ma bouche. Et puis il y a eu un événement marquant dans ma vie en 2005. Cela fut tellement déstabilisant pour moi que j’ai appelé : « mais où es-tu ? »
© Kieferpix / iStock
C’est vrai, il est où mon Dieu dans tout cela ? Que fait-il devant toutes ces souffrances, devant ces morts dans la Méditerranée, devant ces guerres, devant ces personnes sur la route qui ont tout quitté…
Anne-Christelle mars/avril 2017
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
l’esprit n’est pas google Faire une retraite de discernement n’implique pas automatiquement une réponse de Dieu, c'est ce qu'a vécu Jean-François qui est reparti avec encore plus de questions et sans aucun éclaircissement. Dieu peut aussi se taire dans une retraite.
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La question me taraudait depuis des années. Elle avait trait à mon rapport au travail et à son déroulement futur. En quelque sorte à ma « carrière ». Je ne comprenais pas pourquoi j’étais et réagissais comme cela et cette
incompréhension me dérangeait. Mon questionnement était personnel mais aussi spirituel. Après avoir réfléchi à ce que je ressentais comme une impasse et l’avoir évoqué en communauté locale – sans toutefois lui demander un discernement – j’ai pris quelques jours pour faire une retraite dans un centre spirituel jésuite. L’endroit me semblait propice, choisi. J’avais un rendez-vous avec ce temps de prière et d’exploration. Et un accompagnateur à qui j’avais exposé mon interrogation.
© Eyecandy Images
Le temps a été paisible. Ponctué de prières, d’entretiens, de réflexions. Et… rien. Pas de « ciel qui s’ouvre » bien sûr mais pas même de début de réponse, de déclic, de petit signe. Une impression de vide, de surplace. Un sentiment, aussi, d’inutilité de ma démarche et, sourdement, de culpabilité pour ce temps infertile. Et au retour, la tristesse de rentrer les mains vides. Alors que peu de temps avant, c’était 10 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 46
écrit : j’allais revenir éclairé, édifié. Prêt à continuer plus fort d’une découverte qui allait dans le sens de la vie, de la croissance en moi et autour de moi. Ce que je rapportais, surtout, c’étaient de nouvelles questions. Est-ce que Dieu se « taisait » ? Est-ce ma demande était légitime ? Avais-je su la formuler dans la prière ? Est-ce que je n’avais pas su entendre Sa voix ? L’écouter ? La comprendre ? Avais-je été dans l’introspection plutôt que dans le discernement ? L’utilitarisme ? Et la place des autres dans mon questionnement ? Une réflexion de mon accompagnateur – en forme de réponse mais si frustrante – résonnait : « c’est parce que tu es comme ça ». Peut-on demander à Dieu pourquoi on est « comme ça » ? Est-ce que cela a un sens ? « Le vent souffle où il veut » disait le Christ à Nicodème. Ce que je comprends, moi, c’est qu’il n’est pas un distributeur automatique de réponses ou de lumières. L’Esprit n’est pas Google. Jean-François
prier pour les vocations ? Face à la raréfaction des vocations, pourquoi Dieu ne répond-il pas à cette juste prière, peut-on s’interroger. Ou bien faire comme le maitre des novices jésuites et s’interroger sur notre propre responsabilité et ce qu’il est possible de faire.
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D’un temps de désert à l’autre me reviennent ces questions lancinantes : « ferais-je partie des derniers des Mohicans ? Aurions-nous tant d’ennemis que notre réputation empêcherait un jeune de penser à la vie religieuse jésuite ? » Puis la prière me reprend, prière d’action de grâce pour la Compagnie, pour la famille ignatienne. Oui, je suis fier de la présence des compagnons dans notre monde et l'Église. Que se passe-t-il donc ? Comment endurer et comprendre que si peu nous rejoignent ?
seraient pas leur foi assez franchement, qui ne défendraient pas les « valeurs catholiques ». Oui, en France, nous sommes si forts pour dénoncer les autres manières de procéder. Et les ignatiens n’en sont pas les derniers. Quel gâchis ! Certainement, la raréfaction des jeunes à entrer dans nos noviciats et communautés devrait conduire la Compagnie et ses proches à s’interroger. Écoutons-nous suffisamment ce que les jeunes apprécient, recherchent, témoignent de Dieu ?
Thierry Anne sj
© Droits Réservés
Non, je ne te demande pas de comptes Seigneur. Car je vois combien tu continues de faire advenir dans le cœur d’un bon nombre de jeunes la question fondamentale : « Comment orienter au mieux mes pas : à travers la vie conjugale, le célibat consacré, le sacerdoce diocésain ? » Il est en fait très probable que l’Église ne soit pas à la hauteur de ces cœurs amoureux. Osons-nous provoquer cette question auprès d’un plus grand nombre ? Savons-nous aider les jeunes à mûrir cette interrogation ? En revanche parfois, je le confesse, il m’arrive d’en vouloir à ces hommes et femmes, ces prêtres qui plus est, qui accusent et montrent du doigt les croyants qui ne confes-
Et puis ce soir, j’implore nos amis à prendre la mesure du problème. Oui, la Compagnie et les religieuses ignatiennes sont en difficulté. Chaque jour, un peu plus, l’Église perd de sa capacité à offrir le charisme dont nous avons hérité. Et si nous priions ensemble pour les vocations à la Compagnie, à la vie religieuse ignatienne féminine ? Et si nous cherchions comment offrir aux enfants de quoi se poser un jour vraiment la question vocationnelle ? Et si nous proposions plus largement les Exercices Spirituels ?
▲ Jeunes entrés au noviciat en 2013.
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Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
le silence de dieu ? Le silence est-il autre chose qu’impuissance ou désintérêt ? En partant d’exemples de notre quotidien où le silence est présence, réconfort, Bertrand Vergely nous ouvre à une intimité avec le Seigneur.
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Face aux horreurs de l’histoire, on s’interroge. Que fait Dieu ? Pourquoi se tait-il ? Lui qui peut tout pourquoi ne fait-il rien ? Pourquoi laisse-t-il souffrir ses enfants sans répondre à leur appel angoissé ? Ces interrogations sont légitimes. Comment ne pas les entendre ni les comprendre ? Elles sont humaines, touchantes, émouvantes, bouleversantes. Et pourtant, quand on dit que Dieu se tait et ne fait rien ne fait-on pas une erreur ?
Bertrand Vergely, philosophe et théologien orthodoxe, a publié Le silence de Dieu aux Presses de la Renaissance en 2006.
S’il y a le silence, il y a le mutisme. Ne prenons pas le premier pour le second. Le silence est, selon Heidegger, l’essence du langage. Idée paradoxale. Le silence n’est-il pas le contraire du langage et le langage le contraire du silence ? Et pourtant, il y a là une vérité profonde. Quand on aime, on n’a pas besoin de le dire. Cela se voit. Cela se sent. Inversement, ce n’est pas parce que l’on dit à quelqu’un « Je t’aime » qu’on l’aime. Il arrive que l’on dise « Je t’aime » pour s’emparer du désir de l’autre ou à l’inverse, sur le mode du « mais oui je t’aime » pour avoir la paix. Le silence est d’or. La parole est d’argent. Que de fois on parle
trop au point de regretter d’avoir parlé. La vie est une chose. Ce qu’on en dit une autre. En parlant trop, on parle trop tôt. En parlant trop tôt on se trompe à propos de la vie et on trompe à son sujet. On ne lui laisse pas la parole. On ne l’écoute pas. D’où la sagesse du Tao quand il dit : « Celui qui sait ne parle pas. Et celui qui parle ne sait pas ». Il y a de l’art dans le silence. Il y a aussi de l’éthique.
silence devant l'amour et le malheur Face aux grandes catastrophes de la vie, on évite de parler, parler apparaissant comme déplacé. On a raison. Le silence est digne. Le reste est bavardage. Comme le dit Vigny dans La mort du loup : « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse ». L’amour comme le malheur sont révélateurs. Tous deux se vivent dans le silence. Ce n’est pas un hasard. Tous deux se vivent dans la présence. D a ns le s e nt e r re me nts u ne parole ressort : « Merci d’être là ». Face à la mort qu’est-ce qui réconforte ? Le simple fait d’être là, présent. Cela vaut toutes les
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paroles, tous les discours. Un être cher est parti. Ce n’est pas d’explications dont on a besoin. Ni de justifications. Au contraire. Les discours qui expliquent ou justifient la mort sont toujours choquants. La présence ne l’est pas. En ne disant rien, elle dit tout. Il est immense de vivre. On s’en rend compte lors de deux moments de la vie : l’apparition et la disparition. Un enfant naît. C’est immense. On est émerveillé. Un être aimé meurt. C’est immense. Face à l’abîme de sa disparition, on est bouleversé. L’apparition et la disparition se rejoignent. Dans l’immense. Il n’y a qu’une seule façon d’accueillir ces moments de la vie : la présence. Quand la vie apparaît, celle-ci s’appelle la joie. Quand elle disparaît, elle s’appelle la peine. Dans les deux cas il y a un point commun : on est au-delà du discours. On est. En tâchant d’être à la hauteur de l’immense. Dieu est silence. Parce qu’il est présence. Présence infinie. À tout ce qui apparaît comme à tout ce qui disparaît. Aussi est-il à la fois joie infinie et douleur infinie. Cette présence infinie à tout tient le monde. Elle nous tient. La
© Chaiwatphotos / iStock
preuve : il est frappant de constater qu’il y a en nous un autre qui se réjouit de nous, plus que nous, quand nous agissons bien, et qui s’attriste à propos de nous, plus que nous, quand nous agissons mal. Cette joie et cette peine en nous sont l’indice d’une présence en nous, la présence par excellence. Cela éclaire bien des choses. Ainsi, nous nous demandons où est Dieu quand nous souffrons ? La présence nous apporte la réponse. Dieu est dans notre souffrance. Il est notre souffrance. La preuve : qu’est-ce qui sauve le monde ? Le fait de ne pas être indifférent à la souffrance, de s’en moquer ou d’en rire. D’où vient cette capacité de souffrir ? De la mémoire de la vie. Comme nous avons en nous cette mémoire nous ne supportons pas la tristesse et
la douleur. Comme nous ne supportons pas tristesse et la douleur, nous réagissons contre. En alertant. En portant secours. En soignant. En agissant. En attendant. En étant patient. En supportant. Il faut de la sensibilité pour réagir au mal, à la souffrance et à la mort. C’est parce qu’existe une sensibilité infinie que cette sensibilité est possible. Celle-ci a toujours sauvé le monde. Elle le sauve. Paradoxe de ce fait de la souffrance. Celle-ci est à ellemême son propre remède. C’est parce qu’on rentre dans la souffrance qu’on en sort.
La réponse des psaumes Les Psaumes sont, de ce point de vue, une leçon admirable. Au début d’un psaume le psalmiste se lamente « Seigneur où es-tu ? Je souffre. Pourquoi ne réponds-tu pas
quand je t’appelle ? » Toutefois, à force de se lamenter, soudain, tout change. Le psalmiste cesse de se lamenter. À force de vivre sa tristesse, il est sorti de la tristesse pour rentrer dans la vie. À force de rentrer la vie, il s’est mis à voir la vie qui vit malgré tout, en dépit de tout. Si bien qu’il comprend. Dieu ne l’a jamais abandonné. Au contraire. Comme Dieu l’aime, Dieu le veut vivant. Comme Dieu le veut vivant, il vit et souffre. Comme il souffre, devenant sensible à la vie, il est sorti de la souffrance. D’où l’exclamation de louange du psalmiste : « Que tes œuvres sont grandes Seigneur. Tu as tout fait avec sagesse ! ». On s’interroge sur le silence de Dieu face au mal. Les Psaumes donnent la réponse. Dieu ne se tait pas et n’est pas absent. Il est plus profond que tout mal. Bertrand Vergely mars/avril 2017 13
Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
45 À partir de la sixième heure (c’est-à-dire : midi), l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. 46 Vers la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : « Éli, Éli, lema sabactani ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 47 L’ayant entendu, quelques-uns de ceux qui étaient là disaient : « Le voilà qui appelle le prophète Élie ! » 48 Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il trempa dans une boisson vinaigrée ; il la mit au bout d’un roseau, et il lui donnait à boire. 49 Les autres disaient : « Attends ! Nous verrons bien si Élie vient le sauver. » 50 Mais Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit. 51 Et voici que le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla et les rochers se fendirent. 52 Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, 53 et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens. 54 À la vue du tremblement de terre et de ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu ! »
© Simone Martini, 1342, Koninklijk Museum, Anvers
mort, où est ta victoire ?
matthieu 27, 45-54 Traduction liturgique
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Peut-on contempler l’agonie d’un homme pour y découvrir la Bonne nouvelle et chercher Dieu jusque dans la souffrance ? Pourtant Ignace propose bien au retraitant dans les contemplations de la Passion, de demander « la douleur avec le Christ douloureux, l’accablement avec le Christ accablé, les larmes, la peine intérieure ». Est-ce donc un passage nécessaire pour accéder à la vie, à la joie de la résurrection ? Le récit de Matthieu nous met en face d’un homme défiguré et humilié qui crie son abandon par Dieu, agonise et meurt dans une absolue solitude et sans trace de puissance, de grandeur ni d’héroïsme. C’est bien une mort dans toute sa triste banalité, qu’il n’est pas possible d’assimiler à une victoire. Premièrement parce que de supposé silence de Dieu, il n’y a pas. Où entendons-nous ici du silence dans cette scène éminemment bruyante et agitée ? L’auteur de l’évangile déploie ici tout un arsenal de théophanies qui nous replonge dans ces grands récits bibliques où Dieu s’est manifesté dans la puissance des éléments (v. 45 et 51). Ensuite, parce que le silence de Dieu face à sa créature agonisante qui signerait la destruction définitive du lien de filiation, n’est pas abandon.
d’un psaume que la relation d’amour se dit entre eux deux. Plus rien ne peut les séparer. Le Malin n’est plus et ne sera plus jamais un interlocuteur à hauteur de visage d’homme souffrant, non pas qu’il disparaisse, mais il est réduit à demeurer au pied de la croix, cynique impuissant et dérisoire. Elle est ici la victoire de la vie, c’est-à-dire de la relation entre la créature et son Créateur. Mort, où est ta victoire ? Oui, il y a une bonne nouvelle dans la mort du Christ : rien, pas même la souffrance et la mort physique ne peuvent détruire la liberté d’un homme ni sa dignité. Dans son dernier souffle, Jésus meurt en homme libre. Libre de s’adresser à son Créateur dans le dernier acte le plus fondamental qui soit : celui de ne pas comprendre, de ne pas en avoir honte et d’oser l’exprimer. « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » devient l’ultime parole d’amour qui ouvre définitivement à la possibilité d’une réponse.
Deux signes de cette présence cachée : - Ce récit se clôt par la proclamation de foi inouïe d’un des bourreaux du crucifié : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! » Impossible de ne pas se rappeler ici la voix qui, par deux fois lors du baptême de Jésus puis de la Transfiguration, est descendue du ciel pour dire que Jésus était le fils bien-aimé. Aucune parole supplémentaire ne sera ajoutée à cela, mais uniquement des actes et des gestes attestant la puissance aimante de cette filiation. Depuis, le Père s’est définitivement tu mais c’est pour mieux laisser résonner la voix du centurion romain et de ceux qui sont au pied de la croix. - Cette agonie est le lieu du dernier combat mené par le Malin pour tenter de détruire cette relation filiale : « Si tu es vraiment fils de… ». Nous entendons ses ultimes attaques qui se perdent dans le vide. La créature est toute tournée vers son Créateur, comme le Fils a totalement été tourné vers son Père durant toute sa vie. Et c’est par les simples mots
+ La lecture de quelques passages de l’Ancien Testament (1 Rois 19, 1-13) et de l’Évangile (Mattieu 3, 13-17 et 4, 1-11) peut être un bon préalable à cette contemplation.
Valérie Lechevalier
points pour prier
+ Me présenter devant le Seigneur avec tout le poids du jour et lui demander « peine, larmes et souffrance avec le Christ souffrant » (Exercice Spirituel, annotation 48). + Entendre les mots de Jésus, considérer le sentiment d’abandon qui l’habite. Lui ouvrir mes propres failles pour que son souffle les traverse. + Me laisser toucher par la violence des éléments qui se déchaînent et le cynisme des paroles qui blessent. Mon Dieu, mon Dieu… me tourner vers ce Dieu-Père et lui confier notre monde, mes questions, mes doutes. Et offrir à ce Père aimant la liberté de répondre comme il veut… peut-être en restant silencieux. mars/avril 2017 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ecclésiaux
le silence abrite la parole Le silence marque la liturgie avant Pâques, comme un écho du silence de Jésus avant sa mort. Quel sens pour ce silence de la part de celui qui est le Verbe ? Pierre Faure s.j. invite à faire le tri entre le silence aimant et celui qui masque nos peurs et nos ressentiments.
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On le sait : les célébrations du triduum pascal (jeudi, vendredi, samedi saints) dans le rite catholique romain (comme dans les rituels des autres Églises chrétiennes), sont uniques dans le cycle de l’année liturgique. Et un des éléments uniques (peu remarqué) de ces trois célébrations, est la place que le rituel donne au silence.
Le silence dans la liturgie Pierre Faure s.j., jésuite et diacre permanent, formateur en liturgie, il a été membre du Centre National de Pastorale Liturgique et enseignant de liturgie au Centre Sèvres à Paris.
salutation, aucune parole, mais « le prêtre et les autres ministres s’avancent vers l’autel et, après l’avoir salué, ils se prosternent ou se mettent à genoux. Tous prient en silence pendant quelque temps. » À la fin de la célébration, comme le jeudi saint, il n’y a pas de renvoi des fidèles, mais une seule indication : « Puis tous se retirent en silence. » Silence au début, silence à la fin…
Le jeudi saint, à la fin de la célébration de la Cène du Seigneur où est vécu le lavement des pieds, il n’y a pas de renvoi des fidèles (Allez dans la paix du Christ) comme à toutes les messes, mais « Après un temps d’adoration en silence, le prêtre et les ministres font la génuflexion et retournent à la sacristie… puis les fidèles sont invités à poursuivre l’adoration devant le Saint-Sacrement pendant une partie convenable de la nuit. » comme si la célébration ne se terminait pas…
Le samedi saint, pas d’autre célébration que celle de la Veillée pascale qui se célèbre entièrement de nuit. Toute la journée, l’Église demeure auprès du tombeau de son Seigneur. Elle médite la passion et la mort du Christ. La veillée pascale commence hors de l’Église, et le silence de ce samedi est enfin rompu par les fidèles qui acclament le Christ, à mesure que le cierge pascal entre dans l’église sans lumière. Le Christ Lumière ressurgit (ressuscite) du silence et de la nuit… la Pâque s’accomplit dans la joie.
Le lendemain, vendredi saint, au début de la célébration de la Passion du Seigneur, il n’y a aucune
Pourquoi ce silence ? Comme pour des funérailles, respect du mort, du deuil de la famille ? Pour favo-
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riser l’intériorité et la concentration sur la gravité de ce qui se passe, en aidant la méditation ? Sorte de sidération devant la souffrance qui coupe la parole ? Sûrement un peu de tout cela. D’ailleurs le rituel ne donne pas de raison à ce silence, laissant chaque fidèle libre de faire son chemin de prière entre parole et silence, et de trouver le sens et la juste profondeur de ce silence pour lui…
Le silence du Christ Je suggère une voie complémentaire pour mieux entrer dans ce silence : contempler le silence progressif du Christ. En effet au cours des récits de la Passion dans les Évangiles, si on lit lentement (avec le doigt…), on entend le Christ entrer progressivement dans un silence qu’il choisit, et qui étonne ses juges qui continuent de lui poser des questions. « Pilate dit à Jésus : ‘D’où es-tu ?’ Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : ‘Tu refuses de me parler, à moi ? » (Jean 19, 9)
© Le Christ devant ponce Pilate, Duccio di Buoninsegna (1311), museo dell’Opera del Duomo, Sienne
« Hérode lui posa bon nombre de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. » (Luc 23, 9) « Pilate lui demanda à nouveau : ‘Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu’ils portent contre toi.’ Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate fut étonné. » (Marc 15, 4-5) « Mais, tandis que les grands prêtres et les anciens l’accusaient, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit : ‘Tu n’entends pas tous les témoignages portés contre toi ?’ Mais Jésus ne lui répondit plus un mot, si bien que le gouverneur fut très étonné. » (Matthieu 27, 12-14) On voit que, paradoxalement, c’est Jésus qui mène l’entretien avec Pilate et Hérode, et qui leur impose finalement son silence. Comme s’il mettait à l’abri du silence la Parole qui l’habite et le constitue. Les autorités du peuple pourront bien faire abîmer le corps de Jésus et salir sa réputation, leurs mensonges ne peuvent affecter la Parole. Le silence de Jésus devient la maison de la Parole. Le Fils de Dieu est maître de la Parole comme du silence. Il est le seul qui puisse amener la Parole le plus loin, au bout même du silence de la mort, en ouvrant un passage vers la vie. La Parole, par qui le monde a été créé, est la seule qui puisse venir à bout de la mort qui imposait son silence. « Les morts ne louent pas le Seigneur, ni ceux qui descendent
▲ Jésus reste en silence devant Pilate.
au silence. » (Psaume 113b, 17 ; hébreu 115) Élie avait déjà découvert cela à l’Horeb, car Dieu n’était pas dans l’ouragan, dans le tremblement de terre, ni le feu, mais dans « une voix de fin silence » (1 Rois 19, 12).
Le silence des traîtres Nous ne pouvons pas oublier que durant ces trois jours saints un autre silence crie… celui des disciples de Jésus qui, depuis le silence du sommeil à Gethsémani, jusqu’à la croix, abandonnent la Parole par peur des juifs. Il y a donc silence et… silence. Il en est ainsi dans chacune de nos vies. Le silence nous sert aussi
bien à nous cacher dans le mutisme et à masquer nos paroles de mensonge ou nos ressentiments et jalousies, qu’à aimer, à servir, à contempler et adorer en accomplissant nos paroles de justice et d’humanité vraie. Notre suite du Christ durant ces trois jours saints peut s’appuyer sur le silence proposé par la liturgie pour faire le tri en nous du bon et du mauvais silence. Nous pourrions nous laisser guider pour cela par Jean et Marie qui accompagnent Jésus en silence jusqu’au pied de la croix. Et les dernières paroles de Jésus avant d’entrer dans la mort s’adressent à eux deux. Ils ont trouvé l’abri de la Parole. Pierre Faure s.j. mars/avril 2017 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Ai-je fait l’expérience du silence de Dieu ? En quelle circonstance ? Ai-je le sentiment d’avoir vécu ce temps comme une épreuve ? Est-ce que je peux relire une évolution, un chemin dans les sentiments qui m’ont alors habité ? Qu’est-ce qui m’a aidé à traverser cette épreuve ? La contemplation du Christ en croix a-t-elle pris place dans mon cheminement ? • Pour moi, le silence de Dieu renvoie-t-il à une autre expérience que l’épreuve ? Laquelle ? Qu’est-ce qui a été fécond dont je peux rendre grâce ? Quel enseignement pour ma vie chrétienne ? • Je fais mémoire de rencontres avec des personnes vivant un silence de Dieu comme une épreuve. Quelle a été ma réaction ? Suis-je intervenu ? Par quels gestes, mots ? Ma foi au Christ mort et ressuscité a-t-elle guidé mon attitude ? Qu’est-ce qui m’a aidé (parole d’Évangile, attitude de Marie, liturgie…) ?
À lire : • Je me suis laissé séduire – Le jour où j’ai vraiment rencontré le Christ Véronique Imbert, Parole et Silence – 2016 – 14 euros. Paroissienne engagée, Véronique s’offre une semaine de silence pour ses 50 ans. Elle découvre les Exercices spirituels, mais surtout, elle rencontre le Christ. L’amour dont elle se sent habité change son quotidien. Mais au bout de plusieurs mois, la sécheresse arrive. • Appels au Dieu du silence Karl Rahner, préface de Bernard Sesbouë, Salvator – 2017 – 14,90 euros. Sous forme de dialogue avec le Seigneur, ces 10 méditations, écrites en 1966, n’ont pas pris une ride et interpellent notre monde, confronté au terrorisme et à la misère, où Dieu semble en silence. • La force du silence Cardinal Robert Sarah avec Nicolas Diat, Fayard – 2016 – 21,90 euros. Le cardinal rappelle que la vie est une relation silencieuse entre le plus intime de l’homme et Dieu. Le silence est indispensable pour l’écoute de la musique de Dieu.
À voir : • Silence Martin Scorsese, février 2017 Au 17ème siècle, deux jésuites se rendent au Japon. Ils découvrent un pays où le christianisme est illégal et les fidèles persécutés. Quel est ce silence face aux tortures ? 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 46
Je suis dans la place installé solide et pourtant je vais replonger ... et je vivrai sous la tente de l’incertitude je m’appelle Abram j’ai 75 ans et rien n’est fini
© édition : Mercur@rt – 2016 – 24 euros – www.mercurart.com
contempler une œuvre d'art
« Prier avec Abraham » de Jacques Cadet et texte de Corinne Robet www.mercurart.com
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Se former
École de prière
dieu nous prie le premier Dieu répond-il à nos prières ? Mauvaise question, pointe Marie-Claire Berthelin. Notre prière est une réponse à Dieu qui nous parle par Jésus, et par nos vies. Encore faut-il que notre liberté nous ouvre à lui donner une réponse !
Q
Quand se fait jour en nous l’envie ou la décision de prier, nous parlons peut-être ainsi : il s’agit de « donner une place à Dieu dans notre vie »… il s’agit de « Le rencontrer », voire de « Le rejoindre »… Nous cherchons à aller… au-devant de Dieu pour l’approcher davantage, pour… l’obtenir !
© Samuel called by Lord, Harry Anderson, 1975
Dans quelle direction nous déplaçons-nous ainsi ? Où est ce Dieu que nous serions contraints d’aller chercher ?
Pendant que se manifeste ainsi notre quête d’hommes et de femmes (qu’on appelle « chercheurs » de Dieu…), Dieu EST. Il est… où ? Dieu respire non dans les nuages du ciel, mais dans le souffle humain de la terre. De notre terre. Dieu est tout près de l’humanité : DANS l’humanité. Que fait Dieu ? Dieu « parle ». Son « verbe », sa « Parole » a pris corps en l’homme Jésus. Cette Parole incarnée travaille incessamment notre terreau humain.
▲ Parle Seigneur, ton serviteur écoute.
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Où parle-t-Il ? Dans les innombrables expressions de vie, d’élan, de bonté des êtres qui nous entourent. Dans les multiples démarches de justice, d’accueil des humains entre eux. Là, Dieu PARLE, depuis qu’il a souverainement parlé par, à travers toute la vie humaine du Christ. Les croyants rassemblés en Église se réunissent avant tout pour entendre cela… « Ô Seigneur, je viens vers Toi, je Te cherche, mon Dieu ! » Si ce mouvement d’appel de l’être humain
vers Dieu est mouvement naturel, instinctif (exprimant le « besoin religieux »), il n’est pas pour autant le mouvement d’origine de la prière de foi. Si nous pensons être les premiers à adresser la parole à Dieu (et… Il n’a qu’à répondre !), nous ne sommes pas en fait dans les réalités d’une foi chrétienne, d’une foi en Christ. Ne nous étonnons pas, alors, de cette impression de parler dans le vide : nous avons raison de nous plaindre d’une non réponse… Dieu nous parle… Et quand nous consentons à lui parler, parce que Lui nous y convie, ce que nous disons est toujours une réponse. Le plus violent de nos cris est toujours une réponse à une parole première, venant de notre Engendreur aimant. Dieu a foi en l’homme avant que l’homme se détermine à lui donner sa foi. Quand nous nous adressons au Dieu de Jésus-Christ « Parole faite chair » (Jean 1,24), nous ne lui parlons jamais à partir de rien : mais à partir de Lui, ce Dieu habitant tout ce que nous sommes. Il est le mouvement, le « souffle » de nos paroles vers Lui, même quand nous nous en croyons l’origine ! Il est la possibilité de nos appels et de nos mots…
Dieu appelle Tout, en nous, lui sert de lieu d’appel : - n otre vie de rencontre avec les autres, ses accueils, ses conflits, ses interrogations, ses bonheurs…
- notre vie d’action, et ses lassitudes, et son dynamisme… - notre vie affective personnelle, notre vie intellectuelle, notre vie physiologique, et leurs bouleversements, leurs découvertes… La vie de tous les hommes, femmes, enfants de la terre…
Prier c’est répondre Car Dieu prie l’homme. Avec la ténacité douce d’un amour. Avec la tendresse et l’admirable ajustement à la réalité que seul l’amour vrai connaît et fait connaître. Dieu sans cesse demande : « Veuxtu ? » Notre liberté n’est pas petite ! - I l nous est possible de laisser son appel sans réponse, faute de prendre les moyens suffisants pour écouter… jusqu’à entendre. C’est là qu’effectivement nous risquons de parler dans le vide. - Il nous est possible de nier cet appel parce que secrètement nous lui préférons l’expression de nos mots à nous, qui font les demandes et les réponses. C’est plus rassurant de « maîtriser » ainsi les choses. - I l nous est possible de nous détourner de cet appel ou de retarder le moment de l’écouter, par peur de l’inconnu, de l’inat« Béni soit Dieu, qui entend la voix de ma prière ! » chante spontanément le psaume 27
tendu. Et, en fait, nous nous détournons d’une vraie réalisation profonde de nous-mêmes. - Il nous est possible de nous ouvrir à ce Dieu qui nous prie… De consentir à Le laisser Lui-même nous ouvrir, en optant pour une confiance aimante plus vigoureuse que nos craintes.
Parle Seigneur, ton serviteur écoute (1 Samuel 3,10) Le petit garçon Samuel a su répéter ces mots si ajustés grâce à l’accompagnement reçu du vieil Éli. Alors Dieu lui a « parlé », au cœur du silence nocturne. Et c’est la vie de Samuel qui, à partir de là, s’est « ordonnée » en réponse heureuse. Il a reçu un chemin de liberté pour toute son existence. Il a reçu un sens… Marthe accompagne ainsi le désarroi de sa sœur Marie, au moment de la mort de leur frère : « Le Maître est là : Il t’appelle. » (Jean 11,28). Et Marie répond, quittant son lieu de tristesse… Des anonymes disent à Bartimée : « Confiance ! Lève-toi. Il t’appelle. » (Marc 10,49). Et l’aveugle répond en jetant son manteau protecteur, et en bondissant dans le noir vers… un autre que lui… Marie-Claire Berthelin Sœur de La Retraite
SI ON INVERSAIT ?
« Béni soit l'être humain qui entend la voix de la prière de son Dieu ! »
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Se former
Expérience de Dieu…
au service d'étudiants étrangers Bénévole dans un centre d'aide aux étudiants étrangers, Claude a découvert que la différence peut être lieu de rencontre, de liberté et de quête spirituelle pour tous.
J
Et me voilà au Cised devant le directeur Jean-Noël Gindre dont les premiers mots sont « ici on se tutoie », mots dont je n'entends que la banalité mais dont je comprendrai ensuite qu'ils signent cette relation égalitaire à laquelle Jean-Noël tient tant. Après quelques échanges et un rapide tour de maison, il me confie à une étudiante qui se trouve là et part vaquer à ses affaires. Cette première rencontre n'est pas vraiment une réussite, cette jeune fille ne répond que
© Cised
J'ai rencontré le Cised pour la première fois lors d'un week-end CVX où son président était venu nous le présenter ; je n'en retins ce jour-là que « l'aide aux études » et l'oubliai. Une seconde fois lors d’une autre rencontre, le même président nous dit probablement la même chose mais à la fin de son exposé et j'en fus la première surprise, j'allais le trouver pour lui proposer mes services mue par un désir intérieur au-delà de toute logique explicative.
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du bout des lèvres aux quelques questions à vrai dire assez banales et factuelles que je lui pose sur son pays d’origine, le pourquoi de son séjour en France. Quand je m’en ouvre à Jean-Noël en partant il me répond aussitôt : « Ce sont des questions que je ne pose jamais de prime abord, car ainsi tu enfermes l’autre dans une relation superficielle ». La petite heure de mon retour ne fut pas de trop pour me faire retomber sur mes pieds. Mais ce qui me frappa très vite, ce fut la totale liberté d'action qui m'était donnée ; elle supposait cependant un préalable indispensable, présent dans la Charte donnée aux étudiants comme aux bénévoles dès leur arrivée, qui stipulait que le Cised, un lieu chrétien, accueillait tout étudiant quelle que soit son approche philosophique ou religieuse. Dès lors, une fois posée clairement, cette différence, au lieu d'être un obstacle devenait un lieu de rencontre. Je remarquai bientôt que cet accompagnement psychologique qui avait été ma pratique professionnelle et que je pour-
suivais ici était traversé d'une liberté nouvelle ; en effet ce préalable d'une différence acceptée dans le respect de chacun permettait un dialogue plus vrai. Je me souviens ainsi de cette rencontre avec un syrien ; après quelques échanges sur la situation dramatique et sans issue prévisible de son pays, me monta aux lèvres la phrase bien connue : « Faire comme si tout dépendait de toi et comme si tout dépendait de Dieu » ; son enthousiasme immédiat permit un échange sur sa difficulté à rejoindre le Dieu de sa religion musulmane, si lointain, dans une rencontre uniquement verticale et sans intermédiaire. Je pense aussi à cette jeune marocaine qui prit un rendez-vous pour me confier son angoisse à l'idée que Dieu n'existait pas, puisqu’elle ne l’avait trouvé ni dans le Coran, ni dans la Bible dont le récit inaugural lui donnait à penser qu'Il voulait la perte de l’homme : trouver les mots pour lui dire qu’il n’en est rien. Mais au-delà de ces rencontres autre chose se joue au Cised qui ne cesse de m’interroger. C’est cette bénévole qui ne laisse jamais passer une occasion de dire son incroyance et qui, à chaque fois qu'elle fait visiter les lieux à un étudiant, commence par l'emmener à l'oratoire pour qu'il comprenne qu'ici ce n'est pas un lieu comme les autres. Ce sont encore ces bénévoles, elles aussi incroyantes et qui disent leur bonheur de travailler
Le Cised Le Centre d’Initiative et de Service des Étudiants de Saint-Denis (Cised), d’initiative catholique est ouvert à tous quelle que soit leur appartenance philosophique ou religieuse. Tous ses animateurs (67 aujourd'hui) sont bénévoles. Il propose : - Une aide aux études (expression écrite et orale, méthodologie, maîtrise de l'informatique). - Un lieu de vie convivial (rencontres et échanges entre étudiants, repas, fêtes sorties, soirées culturelles, invitation dans une famille). - Une écoute personnalisée, des conseils pour démarches administratives. La cotisation annuelle demandée aux étudiants est de 30 à 50 euros, selon le niveau d'études. Le Cised est ouvert du lundi au vendredi de 10h à 19h. Dons, subventions et cotisations des étudiants financent ce centre. 5, rue de la Liberté – 93200 Saint-Denis – Cised.fr
dans un lieu où elles se sentent accompagnées par un souffle qu'elles ne comprennent pas ; les mots que nous échangerons pour nous essayer à le dire ne feront qu'épaissir le mystère de ce souffle « dont on ne sait ni d'où il vient ni où il va »… Saint Ignace nous dit que l’homme est fait pour louer. Comment ne pas rendre grâce pour cette quête à laquelle ici, nous nous invitons mutuellement, tant il est vrai que dans la vie spirituelle, bien souvent, le fruit est la quête. Saint Ignace nous dit aussi que l’homme est fait pour respecter, parlant ainsi de ce respect qui sous-tend nos rencontres. Il dit enfin que l’homme est fait pour servir, ce service qui fait partie de notre intitulé. Bien entendu cette louange, ce respect, ce service
s’adressent à Dieu, mais c'est Lui que nous nous efforçons de voir et de rencontrer dans ces étudiants que nous accueillons. Claude Sterlin
Une théologienne relit cette expérience Se mettre à l’écoute de l’Esprit pour annoncer JésusChrist dans un monde fluide et incertain. Imaginer des chemins de rencontre modestes et respectueux de la diversité des personnes et de leurs itinéraires. Par exemple, au Cised, s’appuyer sur la solidité d’un lieu sans arrogance mais clairement identifié comme chrétien. mars/avril 2017 23
Se former
Lire la Bible
le sacerdoce des baptisés Tout chrétien devient prêtre, prophète et roi par son baptême. Si ce fut bien souligné par l’Église des premiers temps à la suite de l’épître de Pierre, elle le mettra aux oubliettes en réaction aux propositions de Luther, note Édouard Cothenet. Il a fallu attendre le XXe siècle, avec le concile Vatican II pour que soit remis en avant le sacerdoce des baptisés. Quel sens dans notre vie courante ?
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Lors du baptême, le célébrant déclare au nouveau baptisé, lors de l’onction avec le saint chrême : « Tu fais partie de son peuple, tu es membre du Corps du Christ et tu participes à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi ».
Édouard Cothenet, est prêtre du diocèse de Bourges et professeur honoraire de l’Institut Catholique de Paris. Il vient d’écrire dans le Cahier Évangile n°47 Les deux épîtres de Pierre.
Avouons-le : ce langage passe au-dessus de la tête de la plupart des assistants. Quelques mots d’explication s’imposent. Pour exprimer la mission du Christ, la théologie recourt à la trilogie suivante : le Christ est
le Prophète par excellence par son enseignement, Prêtre par le sacrifice de sa vie, Roi appelé à réconcilier le monde avec son Père. Le baptême nous greffe sur le Christ pour bénéficier de la sève qui permet aux sarments de porter du fruit. Nous avons ainsi à témoigner de la joie de l’Évangile et à travailler à l’avènement du Royaume. Cependant comment pouvons-nous dire que les baptisés sont prêtres, alors que l’épître aux Hébreux proclame que le Christ est le Prêtre unique de la nouvelle Alliance ?
© Chasuble, paroisse de Thiberville (Normandie)
L’enseignement de la Première épître de Pierre Cette lettre est un message de réconfort, toujours actuel, adressé aux communautés chrétiennes dispersées en Asie Mineure. Elles sont exposées à l’hostilité et inquiètes de leur avenir. Dans un style chaleureux, Pierre invite les fidèles à renouveler leur foi au Christ Serviteur qui a porté nos péchés sur le bois de la croix afin que nous vivions pour la justice (première lettre de Pierre 2, 4). Le baptême est une nou-
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velle naissance qui nous rend participants de la résurrection du Christ (1 P 1,3). Tel est le contexte de l’exposé doctrinal qui est au cœur de l’épître (1 P 2, 4-10). La multiplicité de citations et d’allusions à l’Ancien Testament demande explication. « Approchez-vous de Lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu » (1 P 2, 4). Cette exhortation se fonde sur le Psaume 118, cité au terme de la parabole des vignerons homicides. Le Christ est le fondement du Temple de la nouvelle alliance. A chacun de s’insérer par la foi dans la construction en vue de constituer « une sainte communauté sacerdotale pour offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ ». Pour exprimer la nature de l’Église, Pierre reprend la formule de l’Alliance proposée par Dieu au peuple d’Israël (Exode 19, 3-6) : « Vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est choisi » (1 P 2, 9).
Avec insistance Pierre revient sur les caractéristiques de la vie communautaire : amour fraternel, miséricorde, humilité (1 P 3,8) « Mettez-vous, chacun selon le don qu’il a reçu, au service des autres, comme de bons administrateurs de la grâce de Dieu, variée en ses effets » (1 P 4,10). En finale, Pierre n’oublie pas ceux qui ont la charge de la communauté, les Anciens, lui-même se présentant comme l’un d’entre eux (1 P 5, 1). L’exhortation n’a rien de juridique, elle offre un bel idéal de vie évangélique : « N’exercez pas un pouvoir autoritaire sur ceux qui vous sont confiés, mais devenez les modèles du troupeau » (1 P 5, 1-5)
Chez les Pères de l’Église Dans leurs exhortations les Pères de l’Église se sont très souvent appuyés sur l’épître de Pierre. Ils insistent sur l’onction de l’Esprit Saint qui nous assimile au Christ, l’Oint par excellence. Au milieu du Vème siècle. le pape saint Léon est le plus explicite : « De tous les régénérés dans le Christ, le signe de la croix fait des rois, l’onction du Saint Esprit les
consacre comme prêtres, afin que, mis à part le service particulier de notre ministère, tous les chrétiens spirituels et usant de leur raison se reconnaissent membres de cette race royale et participent de la fonction sacerdotale. Qu’y a-t-il en effet d’aussi royal pour une âme que de gouverner son corps dans la soumission à Dieu ? Et qu’y a-til d’aussi sacerdotal que de vouer au Seigneur une conscience pure et d’offrir sur l’autel de son cœur les victimes sans tache de la piété ? » (4ème sermon sur sa consécration épiscopale)1
© Jan van Eyck, autel de Gand (1432)
Ces titres valent pour toute l’Église, chargée d’offrir des sacrifices spirituels et de proclamer la louange de Celui qui nous a tirés des ténèbres à sa merveilleuse lumière. Les sacrifices spirituels sont les sacrifices offerts sous l’action de l’Esprit Saint.
Une déclaration de saint Augustin est justement célèbre : « Avec vous je suis chrétien ; pour vous je suis évêque ». ‘Avec vous’ : c’est la référence au socle commun, le baptême qui fait de la communauté des croyants un peuple saint. 'Pour vous' : à l’intérieur de la communauté, les services sont variés, celui de l’évêque est de représenter le Christ, Pasteur suprême, et d’agir en son nom pour assurer l’unité du troupeau qui lui est confié.
La crise du XVIe siècle En l’année où nous commémorons le 5ème centenaire de la Réforme, nous ne pouvons oublier la remise en cause du sacrement de l’ordre par les Réformateurs. Au point de départ, Luther voulait obtenir la réforme de l’Église, tant attendue depuis plus d’un
▲ Le Christ est le Prophète par excellence par son enseignement, Prêtre par le sacrifice de sa vie, Roi appelé à réconcilier le monde avec son Père.
siècle. Benoît XVI n’a pas hésité à reconnaître la sincérité de Luther qui voulait donner à la foi au Christ la primauté absolue que voilait la multiplication des pratiques, comme les indulgences. Quand ses thèses furent solennellement condamnées par le Pape Léon X, Luther fut amené à radicaliser ses positions. Au cours de l’été 1520, il lança son Appel à la noblesse chrétienne de la Nation allemande pour opérer la réforme que le pape refusait. Cet Appel constitue un tournant très important dans l’histoire de la Réforme. Rejetant l’autorité du
1. Traduction de R. Dolle, Sources chrétiennes n°200.
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Se former
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Lire la Bible études bibliques et patristiques, remettant en valeur la tradition ancienne de l’Église. Longtemps négligée, la 1ère épître de Pierre a bénéficié d’une attention soutenue au concile Vatican II. La constitution sur l’Église (Lumen Gentium) commence non par un chapitre sur la hiérarchie mais par un exposé sur le mystère de l’Église puis un autre sur le Peuple de Dieu. Dans le décret sur l’Apostolat des laïcs, on peut lire à leur sujet : « s’ils sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte, c’est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre. » (n° 3)
Pape, Luther en venait à refuser le sacrement de l’ordre et proclamait l’égalité de tous les fidèles au nom du sacerdoce universel. Il n’en maintenait pas moins la nécessité de pasteurs, chargés de prêcher l’Évangile du salut par la grâce seule. La proclamation que tous sont prêtres est retenue par les diverses dénominations protestantes et constitue l’un des points d’achoppement majeurs au dialogue œcuménique. En réaction, le concile de Trente a réaffirmé l’existence du sacrement de l’ordre comme habilitant seul à célébrer l’eucharistie. La thèse du sacerdoce baptismal fut alors mise aux oubliettes.
Comment vivre le sacerdoce baptismal ?
Le renouveau théologique du XXe siècle
© Statut du Christ-Roi de Lens, Suisse
Le concile Vatican II n’a été possible que grâce à l’essor des
▲ Si les laïcs sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte, c’est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre.
Tout bonnement, en menant sa vie ordinaire avec simplicité, confiance, courage. Une exhortation de Paul est décisive : « Offrez vos corps en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu » (Romains 12, 1-3). Vos corps, c’est donc la vie concrète qui est en jeu. Il ne s’agit pas d’une spiritualité désincarnée, à mener dans un ermitage, mais bien de la vie de tous les jours, dans la famille, le travail, les responsabilités sociales, les loisirs. « Soit que vous mangiez soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (I Co 10, 31). Paul insiste sur les discernements qui s’imposent dans l’écoute de la Parole, le partage d’expériences, la confiance en l’Esprit Saint.
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L’actualité invite à un prolongement. Dans son encyclique Laudato Si, le Pape François invite à la louange du Dieu créateur, dans l’esprit du Poverello d’Assise, ou encore de Teilhard de Chardin dans son admirable Messe sur le Monde. Face à la tentation de la toute-puissance, il faut retrouver la gratuité de l’émerveillement et de la louange en vue d’agir pour la sauvegarde de la maison commune. Édouard Cothenet
MATIÈRE À EXERCICES Comment exerçons-nous notre sacerdoce baptismal dans la célébration de l’Eucharistie, mémorial de l’unique Sacrifice du Christ ? Dans l’écoute de la Parole, trouvons-nous un éclairage pour notre vie ? Entrons-nous dans le grand mouvement d’amour qui a conduit Jésus jusqu’à la croix, comme prélude à la résurrection ? La réception du Corps du Christ renforce-t-elle notre appartenance à l’Église et nous apporte-t-elle un soutien pour notre vie de la semaine ? Enfin comment pouvons-nous témoigner de la joie intérieure née de la rencontre avec le Christ ?
Spiritualité ignatienne
repères d’avenir du pape françois Le pape s’est adressé aux jésuites lors de leur Congrégation générale pour leur donner des points de vigilance. Et si les laïcs pouvaient tirer profit de ce discours ? C’est ce que propose Michel Guillot en relevant quatre façons d’agir proposées par le pape François.
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Le pape François, en novembre dernier, est venu parler aux 200 jésuites réunis dans leur maison romaine pour réfléchir à l’avenir de la Compagnie de Jésus. Ce discours me parle, comme il peut parler sans doute à ceux qui suivent le Christ à la manière d’Ignace. C’est un propulseur, à condition d’engager nos volontés et de choisir le point qui s’adresse à soi. Il y a un refrain dans ce discours : « Il est toujours possible de faire un pas de plus en faveur des autres » ; et des applications concrètes : quatre domaines où du « progrès serait très profitable ». Je vais essayer de dire comment je les entends, de ma place de laïc.
Voir les choses dans leur avenir Le pape rappelle que, très vite après sa fondation, certains jésuites voulaient que la Compagnie se réforme, selon leurs idées. Ignace leur disait : « vous ne voyez pas que l’état des choses de la Compagnie est en devenir, excepté le nécessaire et substantiel ». Excepté le substantiel (le ‘principe et fondement’), vivre avec Dieu et pour sa gloire, tout le reste est
mobile. François aime cette façon de voir car « elle nous débarrasse de toutes les paralysies ». Dans notre vie : Je m’inquiète d’un ami, de ma communauté, de mon pays,… ne pas m’enfoncer dans la tristesse. Ni mon ami, ni ma communauté, ni aucune autre réalité de ce monde ne sont établies pour toujours dans le point où ils sont aujourd’hui. Voir ainsi, tout en restant moi-même ancré sur ce qui ne bouge pas : la communion promise avec Dieu. Dieu actif en moi, en mon ami, en ce voisin absolument agnostique… (souvent sans que nul ne s’en aperçoive) et en lutte contre le Malin qui nous berne. Cette manière donne de la liberté et des forces pour aider les gens à croire en leur avenir. Les mots qui viendront à mes lèvres pour leur parler ne seront peut être pas ce que disent les clercs ; je ne me sentirai pas non plus devenu un prophète ; mais ça a des chances d’être des mots qui aident. Le service de la joie et l’action du Malin qui nous la vole Que dit François aux jésuites ?
« Votre tâche est de consoler les gens (consolation, est le mot d’Ignace pour dire ‘joie’). Aidez les gens à s’ouvrir à la joie. Nous nous laissons voler la joie par le Malin ; il nous encourage aux lamentations devant les maux du monde et les malentendus entre nous ; il nous remplace la vraie joie par les joies futiles toujours à portée de la main ». Il y a les jours de pleurs : un enfant malade, un vieux père qui déraille, des guerres partout… Heureux alors ceux que des amis « consolent ». Il y a les jours où perce la vraie joie ; ne pas nous laisser déporter hors d’elle. J’ai partagé le pain avec mes amis, ce malade m’a souri, je me suis réconcilié avec ce collègue, des femmes soignent les blessés en Syrie… Louer Dieu pour ces vraies joies ; elles sont la trace de ce que Dieu fait en nous et entre nous. Avec ma communauté y repenser, demander pour nous la joie, voir comment la servir davantage. Si je ne suis-je pas prêt à cela, peut-être accepterais-je du moins d’entendre mes amis en parler.
Retrouvez le discours intégral du Pape sur : editionsvie chretienne.fr
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Spiritualité ignatienne Se laisser émouvoir par les souffrances des autres Souvent nous avons peur. François est venu ensuite sur un sujet qui lui tient à cœur : la pratique de la miséricorde. Je crois que c’est le foyer de son discours. « Pour nous qui faisons les Exercices, la grâce de toucher la chair du prochain avec des gestes concrets commence en nous laissant émouvoir par le Seigneur crucifié à cause de nos péchés ». « C’est seulement si nous faisons l’expérience de cette force qui guérit nos blessures et celles de nos communautés que nous perdrons la peur de nous laisser émouvoir par les souffrances de nos frères ; et qu’est libérée en nous la force vivifiante de la miséricorde. »
Le service du bien en sentant avec l’Église Pour François, impossible de parler du bien sans penser Église ; impossible de parler de l’Église sans penser service du bien. Pourquoi ? « L’Esprit qui agit dans l’Église y distribue la variété de ses charismes pour le service du bien commun ». Est ainsi donné à chacun de servir, avec ses talents et ses faiblesses, de manière unique parmi des milliers d’autres personnes, uniques elles aussi. De servir sans vouloir jamais faire le bien tout seul.
Sentir avec l’Église ce n’est pas seulement écouter ceux qui en portent la charge, dit le pape, c’est « mettre mes talents en commun avec les autres, ne pas perdre ma paix devant les défaillances (les miennes, celles des autres, celles des structures dans lesquelles je sers), endurer aussi paisiblement que possible les humiliations qui viennent quand on sert ». C’est la manière de François de lire les Règles pour sentir avec l’Église inscrites dans le livret des Exercices. « Être ecclésiaux, non cléricaux. Nous incliner totalement du côté de l’Église, non pour justifier une position qui peut être discutable, mais pour ouvrir un espace où l’Esprit pourrait agir en son temps ». Le temps présent, pas un temps imaginaire.
© GC36 Communication
Plusieurs mots sont venus alors dans la bouche de François : les considérer un à un, voir celui qui nous concerne davantage.
« Mettre les gestes avant la parole ». « Ne pas diluer la miséricorde dans des conditions légalistes » « Marcher patiemment avec notre peuple » « Apprendre de nos frères souffrants la meilleure manière de les servir ».
▲ Le pape s'est adressé aux jésuites lors de leur congrégation générale en novembre 2016.
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Michel Guillot Cvx
Question de communauté locale
l’écoute jusqu’au bout ? Dans ma CL, un compagnon parle beaucoup de ses problèmes. J’ai envie de le soutenir en l’écoutant, mais cela commence à affecter ma communauté. Peut-on tout écouter ou tout dire entre compagnons ? Dans quel but ?
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« L’écoute jusqu’au bout » a été reconnue comme une grâce spéciale faite à la CVX lors de la première Assemblée de la Communauté de Vie Chrétienne en 2012, précisant qu’il s’agissait d’une radicalité qui offrait à cette écoute la possibilité de faire naître une parole vive. Qu’attendre d’une telle écoute ? Si les termes de « jusqu’au bout » semblent bien indiquer l’absence de limite précise, cela veut-il dire qu’il faut être « jusqu’au boutiste » (dans l’écoute) au sens où l’expression usuelle l’entend ? Autrement dit, peut-on tout entendre ? Peut-on tout dire, c’està-dire imposer aux autres de tout écouter ? Nos communautés locales ne sont pas des groupes de parole, encore moins des lieux thérapeutiques. Si une parole guérit, c’est celle du Christ, ou celle du frère à qui l’Esprit a donné inspiration mais nous ne sommes, à chaque occasion, que des intermédiaires.
Une parole ajustée par la relecture Quand on parle d’une écoute jusqu’au bout, il faut d’abord que la parole à entendre soit ajustée, c’est-à-dire filtrée par le temps de la relecture, qu’elle soit une
parole issue d’une relecture visitée par le regard du Seigneur et avec sa Grâce. Donc, on ne peut pas dire tout de ce qui occupe nos pensées. Ensuite, nous avons tous fait l’expérience que la parole libère quand il y a un frère pour l’entendre : pouvoir se dire clarifie ce qui est trouble en nous. La parole met de l’ordre, sous le regard du Seigneur par l’écoute respectueuse des frères et sœurs en Christ. Parfois, dans une équipe, des paroles ne peuvent pas être dites du fait de difficultés brûlantes, ou quand l’émotion menace trop. Il arrive alors que certains ne voient pas d’autre solution que de quitter la CL, surtout si leur malaise dure. Pourtant, il pourrait y avoir des alternatives : des entretiens individuels pourraient se révéler préférables pour donner l’espace nécessaire pour se dire. Il est aussi possible de ne pas prendre la parole quand on est trop bousculé par telle ou telle préoccupation. Une communauté arrivée à maturité peut le supporter : il n’y a pas un devoir à prendre la parole et il peut être bon de se le redire. Il y a un risque à en entendre trop quand on est soi-même trop soucieux, un risque que l’on soit alors
assiégé de ruminations, de pensées obsédantes et que naisse le sentiment de se noyer dans l’infini des détails du malheur des autres.
Ne pas s’obliger à tout entendre C’est alors la saturation qui est au rendez-vous. Si l’on prétend s’obliger à trop en entendre, c’est déjà trop vouloir, en quelque sorte, par sa propre volonté. C’est arrivé à Ignace qui voulait absolument faire mieux que les saints pris pour modèle, ce qui le laissait en proie à la culpabilité. Revenir alors à Principe et Fondement, dans de tels cas, serait bénéfique. Écouter ne nous transforme pas non plus en thérapeute de notre compagnon : ce n’est pas le sens d’ « écouter jusqu’au bout ». Il n’y a pas un terme ultime à atteindre, ni un indicible à réduire à son maximum. Peut-être faut-il entendre le « jusqu’au bout », comme une forme de l’amour qu’on appelle la patience. Que de patience le Seigneur fait preuve avec nous ! Avec humour, nous pouvons convenir que ce que nous entendons nous dépasse mais que le Seigneur y retrouvera les siens ! D e s me m b re s q u i , p a r le u r tempérament, recherchent un mars/avril 2017 29
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Question de communauté locale soutien concret, peuvent se sentir frustrés quand l’écoute semble s’en tenir à elle-même et ne déboucher sur rien. Une bonne volonté peut nous pousser à nous mettre à la place du frère : vouloir à sa place, faire à sa place, ressentir comme lui… Nous devrions alors nous demander si nous sommes encore à la bonne place car nous ne pourrons vraiment aider notre prochain que si nous restons à la nôtre, pour ne pas nous perdre. La parabole du Bon Samaritain est assez éloquente : il s’arrête, mû par la compassion, pare au plus urgent, prévoit la suite en donnant quelques subsides à l’aubergiste qui va abriter le
blessé, puis continue sa route. Il ne s’est pas laissé dérouter (aux deux sens du terme) mais il s’est arrêté le temps nécessaire.
Écouter n’est pas une fin en soi Écouter jusqu’au bout est une chose précieuse – dans les limites des précautions précédentes – mais pas une fin en soi, car la deuxième partie de la proposition est essentielle : c’est pour que naisse une parole vive. Une parole où notre Désir puisse être entendu par d’autres qui attesteront l’avoir repéré, surtout quand des paroles se répètent d’une certaine façon au fil des réunions.
Le Christ est ainsi un modèle d’écoute pour nous. Quand il fait cette rencontre improbable avec la Samaritaine, il lui fait cette demande audacieuse : qu’elle lui donne à boire. Il ouvre un échange inédit pour cette femme qu’il va écouter comme elle n’a jamais été écoutée. Il la met en route pour qu’elle trouve en elle la source véritable, dès maintenant. Lors de la résurrection de Lazare, Jésus se fait attendre comme s’il n’entendait pas la demande et la peine de Marthe et Marie. Beaucoup de questions se posent à lui à ce moment crucial de sa mission. Sa préoccupation est que son message soit entendu au bon niveau. Marthe exprime d’abord un reproche, puis une profession de foi théorique mais non encore enracinée dans « l’aujourd’hui » de ce qu’elle vit. Mais Jésus lui dit « Je suis la résurrection et la vie » et lui demande de l’écouter en vérité, ici et maintenant.
© Jésus guérit un sourd-muet, église saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul
Nous avons à écouter jusqu’au bout une parole malgré ses méandres et ses impasses afin qu’elle puisse conduire au Christ, lui qui est le Chemin et la Vie, et seulement à cette fin. On le reconnaît à l’actualité d’une parole, prononcée parfois par nos compagnons, à cette brûlante actualité qui nous dit l’aujourd’hui du Royaume pour chacun. Paul Claveirole
▲ Jésus vient guérir notre écoute.
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Ensemble Lefaire Babillard Communauté
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Une parole à méditer
Assemblée de la Communauté en France du 23 au 28 Mai 2017 "Comme premier moyen de poursuivre notre croissance en tant que personnes et en tant que Communauté de Vie Chrétienne, notre façon habituelle de décider, à tous les niveaux, est une approche par le discernement, voire un discernement communautaire formel pour les décisions communes plus importantes." Normes Générales n°9
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Ensemble faire Communauté
En France
découvrir les exercices spirituels Pourquoi faire une retraite ? Pourquoi les Exercices de saint Ignace ? Est-ce vraiment pour moi ? Qu’est-ce que cela risque de produire dans ma vie ? Face aux nombreuses questions qui habitent ceux qui ne les ont pas encore essayés, Michel Le Poulichet démystifie cette expérience.
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« Durant l’année de découverte, il y a quelques années, j’avais bien aimé cette halte spirituelle sur un week-end. Aller plus loin, ça me tente, d’autant plus que dans ma communauté locale un compagnon vient de revenir transformé après une retraite de 5 jours. Et pourtant, j’hésite. » Ces propos, il nous arrive souvent de les entendre ou bien encore ils nous habitent. Comment faire un pas de plus qui soit à ma portée ? Où trouver une retraite adaptée au point où j’en suis ? Parmi les nombreuses propositions des divers centres spirituels, c’est sûrement une retraite d’initiation aux Exercices qui conviendra le mieux. Dans une telle retraite, on retrouve bien sûr les éléments essentiels d’une retraite ignatienne : silence, prière avec la
Parole de Dieu, accompagnement personnel. Mais il y a plus dans ce type de retraite, de courts enseignements qui aident à entrer dans la façon de prier, à gérer son temps et vivre au mieux chaque journée. Et puis, des temps en petits groupes pour partager ou pour prier ensemble. Au bout du compte, cela permet une expérience en solitude mais également communautaire. Une expérience pour me laisser rencontrer par le Christ dans ma vie concrète, afin de recevoir le don de Dieu et pourquoi pas son pardon. Une expérience pour discerner à quoi il m’appelle et ce que j’ai peut-être à changer. Au t a nt d i re q u e c e c he m i n convient à toute personne qui désire progresser dans la spiritualité ignatienne. Mais particulièrement aussi à tout compagnon en CVX qui vit le parcours d’enracinement dans les années qui suivent son entrée dans la Communauté. Dans ce parcours, il est proposé de vivre une retraite pour diverses raisons. C’est d’abord l’occasion de vivre une expérience spirituelle ignatienne dans un contexte plus large que la communauté locale. Ensuite, c’est la chance de vivre
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une expérience fondatrice de disciple. Et enfin, c’est la possibilité donnée, surtout à ceux qui sont en fin de période d’enracinement, de prendre les moyens de discerner spirituellement ce qui convient pour la suite du chemin. Écoutez, écoutez, le Seigneur ne frappe-t-il pas à votre porte aujourd’hui ? Michel Le Poulichet Formation Saint-Hugues
Découvrir les Exercices spirituels - 3 jours ou 5 jours de retraite à Saint-Hugues Du lundi 17 avril (18h) au vendredi 21 (9h) [ou au dimanche 23 (9h)] - 5 jours de retraite au Hautmont Du lundi 17 juillet (19h) au dimanche 23 (9h) - 5 jours de retraite à Saint-Hugues Du dimanche 23 juillet (18h) au samedi 29 (9h) - 5 jours de retraite à Saint-Hugues Du dimanche 30 juillet (18h) au samedi 5 août (9h) Une entrée dans les Exercices avec le corps - 5 jours de retraite à Saint-Hugues Du dimanche 6 août (18h) au samedi 12 (9h)
1ère université des accompagnateurs CVX de retraites
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Si c’est bien une première, cette rencontre ne vient pas de nulle part mais prend racine dans l’histoire déjà ancienne de la formation interne à la CVX des accompagnateurs pour les retraites selon les Exercices spirituels commencée dans les années 2000. La volonté était et demeure de permettre au plus grand nombre de membres de la Communauté de vivre les Exercices Spirituels comme nous y invite le PG 5 : « Parmi ces sources universelles, nous considérons les Exercices Spirituels de Saint Ignace comme la source spécifique et l’instrument caractéristique de notre spiritualité. » En service depuis deux ans, l’équipe de formation a entendu un appel à développer la dimension fraternelle entre les accompagnateurs de retraite. C’est un vrai défi car le service qu’ils vivent les disperse plutôt dans les différents centres spirituels répartis aux différents coins de l’hexagone, que ce soit dans les centres de la Communauté : Saint-Hugues à Biviers (38)
© Fotog / iStock
Les accompagnateurs CVX de retraite selon les Exercices se connaissent peu. Les faire se rencontrer en mai prochain est un enjeu de formation, de croissance pour tous mais aussi de fraternité. et Le Hautmont à Mouvaux (59) ou d’autres centres animés par nos amis de la famille ignatienne (jésuites ou religieuses). Et voilà qu’un nouveau projet germe : créer un évènement où accompagnateurs débutants et vieux briscards, ceux en formation et ceux très expérimentés pourraient se retrouver, partager leurs expériences et leurs questionnements, s’enrichir mutuellement, se reconnaître au même service et ainsi se former ensemble. Ce n’était qu’un début, il nous a fallu oser nous lancer et surtout nous mettre au travail. Cette université aura lieu du samedi 6 au lundi 8 mai à SaintHugues et a pour titre : « Accompagner les Exercices Spirituels dans le monde d’aujourd’hui ». A travers quelques titres d’interventions, le monde d’aujourd’hui tel que nous avons pensé bon de le visiter : « Quelle liberté intérieure dans un monde aux mul-
tiples pressions ? », « Souffrances au travail : accompagnement et coaching », « A travers les jeunes d’aujourd’hui, quel nouveau monde naît aujourd’hui ? »… Il y aura des grandes conférences et des mini-conférences, des ateliers et des groupes de partage, des temps de pause et des célébrations. 70 accompagnateurs et accompagnatrices de toute la France y sont attendus. Nous espérons que cette 1ère université porte du fruit pour les accompagnateurs et accompagnatrices mais aussi pour l’ensemble de la communauté en faisant grandir la fraternité entre eux, en accompagnant et en donnant une dynamique toujours plus grande envers les Exercices Spirituels. Marie-Laure Richarme et Marie Cécile Verret mars/avril 2017 33
Ensemble faire Communauté
En France
SERVIR À LA MANIÈRE DE LA COMMUNAUTÉ Une session est proposée l’été prochain pour approfondir ce qu’est le service, un élément essentiel pour tout baptisé, mis en valeur dans la CVX.
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l’histoire de notre communauté, quelques éléments d’identité à travers le mouvement « Contempler Discerner Agir », et la richesse du triptyque « Disciple Compagnon Serviteur ».
Y aurait-il plusieurs façons de servir ? C’est bien ce que suggère le titre de cette session qui aura lieu en juillet prochain et c’est ce qu’ont expérimenté des compagnons lors de la dernière session. « Je voulais comprendre ce qu’il y avait derrière le mot servir et si je saurais servir… et j’ai découvert que le service est un processus de compagnonnage solide et discret », explique Brigitte Grosjean de Paris Sud-Ouest. En partant d’une relecture de la manière de chacun de servir, cette session de six jours permet d’éclairer la dynamique de la Communauté et de comprendre comment le service fait partie de son mouvement spécifique. Ainsi Hugues Dollat de Bourgogne FrancheComté précise y avoir découvert l’étendue des missions possibles de la CVX, la force de l’outil « Discerner Envoyer Soutenir Évaluer »,
© Weerapatkiatdumrong / iStock
« Il existe une bonne orchestration entre les topos de fondements, les témoignages, la dynamique de croissance… et les temps de prière et de détente », souligne Brigitte. « En travaillant à la fois les Principes Généraux et des cas concrets nous avons fait le lien entre le global et le particulier, pour un équilibre entre la communauté et la personne », insiste Michel Belaud de Charente-Périgord. C’est bien la visée recherchée, explique Myriam Petit, coorganisatrice. « Nous désirons que les personnes repèrent les moyens à mettre en œuvre pour aider à la croissance personnelle et communautaire et clarifier leur propre manière de collaborer avec les autres ». Car le tout n’est pas de servir, mais de servir avec les autres ! Et ce n’est pas toujours facile.
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Au-delà de la CVX Cette session très concrète a porté du fruit au-delà de la Communauté. « Ce n’est pas uniquement le service dans la Communauté qui s’éclaire, mais notre façon de servir, selon Brigitte : depuis, j’ai pu rester disponible pour un accompagnement post-catéchuménat en même temps que mon service en ESCR ». Pour Michel, ce fut l’occasion de mettre plus d’harmonie dans sa vie professionnelle et d’arrêter certains bénévolats dans lesquels il ne s’y retrouvait plus. Cette expérience, c’est à la fois un « appel à donner plus de sens au service dans la communauté, à se rendre disponible à l’Esprit et se tenir prêt pour un meilleur service », résume Hugues, dans un formidable temps de rencontres, d’écoute et de joies fraternelles. « Si l’on vous y invite, recommande-t-il, laissez-vous tenter, vous ne le regretterez pas ! »
Session Servir à la manière de la Communauté… Du 16 juillet (18 h) au 22 juillet (12 h) au centre spirituel Saint-Hugues (Biviers). Session sur appel ou validation par l’équipe service de la Communauté régionale. Renseignements auprès de : Odile Baron – baron-odile@orange.fr ou Myriam Petit – my.petit@orange.fr
ENTRETIENS FRATERNELS DE CROISSANCE
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Comment prendre soin concrètement des membres de la Communauté de Vie Chrétienne ? Une des pistes creusée est de se mettre à l’écoute, au plus près des questions, des joies et des difficultés de chacun. Cela se vit déjà dans chaque communauté locale ou régionale. Cependant les moments d’écoute individuelle sont rares alors qu’ils ouvrent à d’autres richesses, en aidant la personne à prendre conscience des transformations intérieures vécues. Aussi la CVX France expérimente depuis 2016, une autre forme d’accompagnement des compagnons: l’entretien fraternel de croissance. « Pour l’instant, ces entretiens concernent uniquement les personnes en fin de parcours de découverte, anciennement la période d’accueil, explique Anne Le Nevé, chargée de mission Formation. Au cours de l’entretien avec un compagnon plus avancé en CVX, la personne fait le point sur son année de découverte, ce qui l’a aidée, ce qui a été difficile… Cet échange confidentiel aide la personne à prendre conscience plus profondément de son vécu :
à discerner si elle a le désir de poursuivre en CVX, ou bien si sa croissance spirituelle serait plus profitable sur un autre chemin, et trouver les mots pour le dire au sein de son équipe à la fin du parcours ». Un choix qu’elle doit poser lors de la dernière rencontre avec son équipe découverte. « C’est une très belle expérience. Ce sont deux contemplations qui se croisent », s’émerveille Dominique Garnier, assistante de la Communauté régionale de Basse Normandie où vivent déjà ces entretiens. La personne contemple son chemin personnel et spirituel et celui que propose la CVX. Le frère ou la sœur qui l’aide par son écoute, contemple également ce que la personne a vécu et la rencontre de ce désir avec le chemin offert par la CVX. « Ce sont deux paroles libres qui se rencontrent. Il faut oser dire la CVX et accepter que parfois, ce ne soit pas le meilleur chemin pour la personne », poursuit-elle.
Appelés à ponctuer le chemin Cette première expérience d’entretiens fraternels de croissance est appelée à se répéter au cours
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Pour prendre soin de chaque compagnon, des moments privilégiés d’échanges sont proposés depuis quelques années dans certaines communautés régionales. Les premiers à en bénéficier sont les personnes en fin de parcours découverte. Bientôt chacun pourrait en tirer profit tout au long de son cheminement.
des années en CVX. En effet, ces moments privilégiés d’échange pourraient ponctuer le chemin de chaque compagnon pour l’aider à poser un regard neuf sur son propre parcours. Depuis octobre 2016, une équipe est en cours de réflexion pour organiser ces entretiens au long du chemin des compagnons [vers la fin de l’enracinement, au temps de l’expérimentation du DESE, dans la vie au long cours..]. Ils sont aussi un moyen pour préparer la démarche vers l’engagement: permettre que naisse des paroles de reconnaissance! « C’est un formidable outil de croissance personnelle, mais aussi communautaire », souligne Anne, à l’écoute des fruits qui paraissent déjà. mars/avril 2017 35
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
à la rencontre de la CVX Australie Lors d’un voyage en Australie en juillet 2016, Pascal et Françoise sont allés à la rencontre de la CVX Australie. Une occasion de vivre une expérience fraternelle à 16 000 km d’ici.
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© Droits Réservés
Avant vos départs en vacances ou pour le travail, n’hésitez pas à contacter la communauté nationale. Retrouvez toutes les coordonnées sur : www.cvxclc.net
de la CLC Australia, nous avons été invités à participer à une réunion de communauté locale qui avait lieu le mercredi suivant. Moment simple et fraternel au sein d’une équipe accueillante. Expérience forte d’une parole vraie qui peut se dire même si on ne se connaît pas : une même communauté qui se construit de par le monde en se basant sur les mêmes fondations.
Comme il y a deux ans avant d’aller au Brésil, nous avions pris contact avec la CVX locale (CLC Australia) dans l’espoir de rencontrer des compagnons dans l’une ou l’autre ville que nous souhaitions visiter. A peine arrivés à Sydney, nous avons eu la grande chance de participer à la messe et la soirée de clôture de l’Assemblée Nationale de la CLC Australie pendant laquelle trois membres ont célébré leur engagement. La communauté CLC Australia rassemble environ 300 membres et entretient un lien fort avec les jésuites présents. Cette communauté porte le souci d’être présente dans différents lieux de mission, par exemple auprès des communautés aborigènes et des personnes les plus démunies. Après avoir partagé le gâteau d’anniversaire des 40 ans
Quelques jours plus tard, à Melbourne, nous avons été accueillis avec beaucoup de simplicité par Jeanine, membre de la CVX locale qui était venue participer au congrès de Cergy-Pontoise. C’était le lendemain des attentats de Nice que nous avons découverts en regardant les informations en boucle. Nous avons été frappés par la compassion manifestée par tous les Australiens rencontrés. Le dimanche suivant, en entrant dans l’église paroissiale de notre hôte, nous avons pu contempler le drapeau français, disposé devant l’autel en mémoire des victimes de Nice. Une introduction, prononcée en français, invitait à prier spécialement pour les victimes et leurs familles. Découvrant que nous étions Français, on nous a conviés
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à participer à la procession des offrandes. Cette délicatesse nous a profondément touchés et nous a un peu donné l’impression étrange de représenter la France. Nous avons aussi été impressionnés de l’action missionnaire de cette paroisse dans l’accompagnement de personnes démunies et plus largement, par l’orientation de l’Église australienne d’accueillir les réfugiés : « let’s fully welcome the refugees » pouvait-on lire sur une immense affiche sur la façade de la cathédrale SaintPaul à Melbourne… A noter que le gouvernement australien semble beaucoup moins prêt à ouvrir les portes de ce vaste pays qui pratique une immigration assez sélective… Bien sûr, il n’est pas nécessaire d’aller au bout du monde pour découvrir l’Esprit à l’œuvre, mais le fait d’être un étranger change notre regard et nous rend plus attentifs aux marques de bienveillance. Une belle expérience qui nous invite, dans notre quotidien, à vivre l’accueil et l’ouverture à l’autre, signe de la présence du Tout Autre. Pascal et Françoise Sirand
le premier assistant mondial de la cvx Le Père Peter-Hans Kovenbach, ancien Supérieur général de la Compagnie de Jésus et assistant ecclésiastique de la CVX mondiale est décédé le 26 novembre 2016, quatre jours avant son 88ème anniversaire. L’ancienne présidente mondiale de la CVX trace son portrait.
En 1983, lors de la 33ème Congrégation générale de l’ordre, le P. Kolvenbach a été élu dès le 1er tour à la succession du P. Pedro Arrupe, alors gravement malade. A l’époque où il résidait au Liban, Peter-Hans Kolvenbach s’est lié d’amitié avec Tobie Zakia, alors président de la CVX mondiale. Après son élection comme Supérieur général, ce dernier le pria d’accepter le service d’assistant ecclésial de la Communauté mondiale. Le P. Kolvenbach n’a cessé d’établir des ponts entre la Compagnie de Jésus et la CVX. Pour lui, elles sont intrinsèquement liées, en tant que « Communautés animées d’un
même esprit qui regardent dans la même direction et partagent de temps à autre leurs expériences afin de s’enrichir mutuellement sur leur chemin à la suite du Seigneur »1. Pour cela il a encouragé la CVX à approfondir son identité en tant que Communauté de laïcs de spiritualité ignatienne et s’est efforcé parallèlement de soutenir les partenariats entre Jésuites et CVX – un défi de taille pour chaque partie.
© Dani Villaneuva s.j.
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Entré dans la Compagnie de Jésus en 1948, il fut envoyé en mission au Liban en 1958 avec un groupe de Jésuites néerlandais. Toute sa vie il est resté lié à ce pays : c’est là qu’en 1961 il a été ordonné prêtre dans le rite catholique arménien. Et c’est aussi là qu’il est retourné vivre en 2008, après avoir remis sa démission comme Supérieur général de la Compagnie.
▲ Peter-Hans Kolvenbach (1928-2016).
Au long de ces nombreuses années au service de la CVX, il a toujours été un interlocuteur fidèle et encourageant et l’ardent défenseur de la Communauté auprès de ses frères jésuites comme du Vatican. Ainsi, il s’est avéré bien des fois qu’il croyait davantage dans le potentiel de la CVX que nous-mêmes. Entre l’ExCo2 et lui s’est développée une coopération cordiale et très ouverte, et alors que j’étais présidente mondiale il a été un accompagnateur à la fois critique et bienveillant, auprès duquel j’ai toujours trouvé une oreille attentive, notamment lorsqu’apparaissaient des difficultés. Même après avoir re-
mis sa charge de Supérieur Général et passé le relais au P. Adolfo Nicolas s.j. comme assistant ecclésial de la CVX, le P. Kolvenbach est toujours resté attaché à la CVX. Sans ses encouragements expresses à organiser l’Assemblée mondiale 2013 au Liban en dépit des tensions géopolitiques, la CVX mondiale n’aurait probablement pas osé franchir le pas.
1. Allocution lors de l’Assemblée mondiale à Itaïci, Brésil, le 26 juillet 1998. 2. ExCo : équipe service mondial de la CVX
Daniela Frank Présidente du conseil exécutif mondial de la CVX de 2003 à 2013 Secrétaire générale de la CVX Allemagne depuis 2015 mars/avril 2017 37
À VIVRE
À LIRE Le massacre de l’innocent Éditions Vie Chrétienne, février 2017 – 11,50 e Hélas, de génération en génération, le massacre de l’innocent n’a jamais cessé. Michel Farin s.j. médite, à la lumière des Écritures, sur les origines de la violence qui traverse notre monde. Retrouvez du même auteur aux Éditions Vie chrétienne : En quête d’identité.
À VIVRE Nature et prière Pour prier dans le parc, méditer et partager autour d’un texte de la Parole en lien avec la Nature, prier en faisant un bouquet, participer à des ateliers jardinage et prière, et rendre grâce ensemble. Du 17 au 23 avril. Tél. : 03 20 26 09 61 ou haumont.org
À VIVRE Les Exercices spirituels dans la rue Apprendre à se mettre à l’écoute de l’Esprit au cœur de nos villes. Contempler la vie dans les rues d’une ville pour découvrir et éprouver le travail du Père au plus profond de soi. A Toulouse du 6 au 9 avril – coteaux-pais.net A Marseille du 30 mars au 2 avril – labeaumeaix.com A La Pairelle (Belgique) du 1er au 7 août – lapairelle.be
Retrouvez d'autres suggestions sur : editionviechretienne.com 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 46
Jeûner, une expérience spirituelle Deux sessions sur ce thème sont proposées au centre spirituel de SaintHugues. Du 13 au 22 mars ou du 3 avril (18h30) au 14 avril (9h) Jeûner pour se nourrir davantage de la Parole de Dieu, lors d’une retraite en silence, accompagnée selon les Exercices spirituels de saint Ignace. Elle s’adresse à ceux qui ont déjà vécu une ou des retraites et souhaitent faire l’expérience du jeûne, à ceux qui ont l’habitude du jeûne et qui souhaitent y intégrer une dimension spirituelle. Coût : 628 e Tél. : 04 76 90 35 97 ou sainthugues.fr
À VIVRE Aller du corps au cœur À partir d’exercices de yoga, aller dans les profondeurs de nos cœurs et pensées pour y découvrir comment l’Esprit agit en nous. Du 28 avril (18h) au 30 avril (17h) Centre spirituel ignatien Sophie Barat à Joigny (89).
À VIVRE Entrez dans la joie de Dieu Ouverte à tous les membres de CVX d’Europe, une retraite « priermarcher » est organisée par la CVX des Pays-Bas du 30 juin au 7 juillet au centre de La Pairelle, près de Namur en Belgique. Info : marielle.matthee@orange.fr
Billet
J’AI VU JÉSUS AU TRIBUNAL Moi qui n’y connais rien, me voici Juré d’Assises. Tiré au sort pour juger des crimes commis en Haute-Garonne. Écouter les experts, les témoins et les avocats, pour me faire une opinion et pour voter en mon âme et conscience. Voter si l’accusé est coupable et quelle peine il mérite. C’est passionnant, c’est bouleversant. Et qui ai-je vu dans ce tribunal ? J’y ai vu … le Christ ! Je ne trahis aucun secret car les audiences étaient publiques, alors j’ai laissé les vrais noms. - J’ai vu le Christ dans la victime, bien sûr : Noël, 40 ans, laissé pour mort après avoir été buté à la tête… le Christ qui accepte d’être torturé et battu à mort, pour nous révéler qui est Dieu. Et à l’hôpital en émergeant du coma, Noël disait son amitié pour celui qui l’avait frappé : bienveillance et pardon, malgré tout. - J’ai vu Jésus aussi en Christian, l’accusé. Jésus, l’accusé du tribunal… Christian, je le vois pleurer à chaudes larmes devant l’état de sa victime ! Il a pitié, trop tard hélas, mais sa compassion n’est pas feinte, et nous fend le cœur. Son histoire personnelle aussi nous fend le cœur, battu par ses beaux-pères toute son enfance. Accusé, battu, touché par la pitié… - Et Thierry, demi-frère de la victime. Noël, il ne le voyait guère, avant. Maintenant, il l’a pris chez lui, et s’en occupe avec dévouement, à vie. « Personne n’en voulait, alors fallait bien que je le prenne ». La charité, la fraternité… - Et Géraldine, capitaine de police, d’astreinte cette nuit-là. Réveillée à une heure du matin, elle est restée enquêter sur place et interroger les témoins jusqu’au jour. Pas génial comme nuit ! Mais c’est son boulot, elle le fait avec conscience et rigueur, pour le bien commun. Christ gardien de la paix. - Et Emmanuelle, l’avocate de la défense, commise d’office. Pas facile à plaider, ce cas. Comment défendre Christian, qui clame qu’il est responsable « de tout ». Mais en chaque homme, il y a quelque chose à sauver, c’est ce qu’elle nous dit. Emmanuelle se bat pour qu’on voit l’homme derrière la bête, pour qu’on apprécie son humanité : c’est l’espérance qui parle. Le Christ, défenseur. - Enfin le procès lui-même. Œuvre collective, bien orchestrée, organisée pour dire le droit, pour maintenir la justice. L’état de droit contre la loi du plus fort, qui empêche l’arbitraire des puissants. Et ça, Seigneur, c’est bien Ta manière de faire : inspirer aux hommes d’agir ensemble vers le bien et la justice. Justice pas parfaite, mais en construction, grâce à Toi.
© Bernard Debelle
Denis Corpet
mars/avril 2017 39
Prier dans l’instant en rangeant ma maison
Donc je lis ce livre, un peu intriguée. Voici ce que l’auteur nous propose : être plus heureux, parce que nous nous serons désencombrés et que nous aurons opté strictement pour ce que nous aimons. Cela nous permettra d’établir un ordre durable, d’être plus reposés et plus libres. Pour cela nous sommes invités à faire sortir de chez nous tout ce que nous n’aimons pas, de manière assez impitoyable. Luxe de riche ? En commençant l’exercice, je me rends vite compte que ce que je n’aime pas ne sort jamais du placard. Tout ce qui « pourrait servir un jour », ou qu’on se sent « obligé de garder parce que c’est un cadeau », ou encore me relie à un passé que je crains de trahir en m’en séparant… Ces objets, présents physiquement et en fond de tableau intérieur, alourdissent ma vie d’aujourd’hui. Invitation à un examen : de quoi ai-je à me désencombrer ? Invitation à choisir : choix petits, ou moins anodins. Oser me dire ce que je veux vraiment et ce que je ne veux pas. Reconnaître que tel objet du passé a fait son travail en moi, que je peux le laisser et aller vers d’autres rives. L’auteur témoigne que s’exercer ainsi à choisir nous forme pour bien d’autres choix dans nos vies. Seigneur je te rends grâce pour l’auteur de ce livre qui me met en mouvement. Je crois que tu m’invites à une aventure, un passage : travailler à ce que mon environnement quotidien soit plus joyeux ; accepter d’avancer vers une vie plus sobre, plus légère, plus libre, disponible pour l’action. Vers du neuf. Dominique Pollet
Nouvelle revue Vie Chrétienne – mars/avril 2017
© Ryan Mc Vay/Digital Vision
Un proche me parle d’un livre sur la joie que peut apporter une certaine manière de ranger. Je suis touchée par l’effet produit sur cette personne, et le dynamisme nouveau que je perçois.