Vie chrétienne Nouvelle revue
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Le poids de l’argent
L’église et la Guerre de 14 Le testament de saint Paul
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Anne Missoffe Laetitia Pichon Barbara Strobel Comité d'orientation : Alice Bertrand-Hardy Marie-Agnès Bourdeau Nicolas Joanne Anne Lemant Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : BananaStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
Sommaire éditorial l’air du temps L'église et la grande guerre par Xavier Boniface chercher et trouver dieu
Le poids de l'argent
Témoignages L'argent dans la décision Etienne Perrot s.j. Un geste révélateur Marie-Elise Courmont Trois groupes d’hommes : "la minute de vérité" Jeanne Thouvard babillard se former "Vers dimanche" Marie-Bernadette Caro …en côtoyant les plus pauvres Françoise Cautain Le testament pastoral de Paul édouard Cothenet Discerner avec saint Pierre Favre Dominique Bertrand s.j. Est-ce opportun d'accueillir ? Marie-Gaëlle Guillet ensemble faire communauté Enracinement : chemins de progression Diverses propositions pour la vie familiale L'Assemblée de la Communauté de mai 2014 Vingt ans de CVX à Biviers Pourquoi une assemblée européenne ? Une équipe service pour l’Europe La CVX France est-elle "mondialisable ?" billet Une amitié sans condition Jean François prier dans l'instant Devant un cadre numérique Catherine Raphalen
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne. fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à ser – vie chrétienne – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr
2 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 31
Éditorial
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cinq ans déjà !
La Nouvelle Revue a pris la suite de l’ancienne, née en 1957, et vous pouvez encore accéder à ce trésor en consultant les archives en ligne sur le site editionsviechretienne.fr. Vous y trouverez aussi toute une collection de livres. Depuis cinq ans certains ont été réédités ; des nouveautés sont parues.
© Simon Ingate / iStock
La revue, dans sa nouvelle formule, a cinq ans ! A l’occasion de cet anniversaire, la rédaction est heureuse de vous offrir un index de tous les articles parus. Cet outil vous permettra de retrouver facilement tel ou tel article sur lequel vous aimeriez revenir. Avec cet index, c’est la diversité des thèmes traités qui apparaît, ainsi que la diversité des auteurs. Que ceuxci soient vivement remerciés de mettre ainsi leur expérience et leur compétence à notre service !
»
Livres et revue cherchent à rendre le trésor de la spiritualité ignatienne accessible au plus grand nombre, en particulier aux proches de la famille ignatienne. Si nous pensons que cette spiritualité peut aider nos contemporains à s’attacher au Christ, à s’orienter et à prendre des décisions selon Dieu, n’hésitons pas à faire connaître ces supports ! N’hésitons pas à partager nos livres, à parrainer quelqu’un pour recevoir la revue…
Du haut de ses cinq ans, la revue rêve de grandir. Rêve d’être davantage un lieu de dialogue [votre expérience peut enrichir la réflexion] ; de rejoindre un lectorat plus jeune et de s’ouvrir à l’international… Ce rêve peut devenir réalité… avec l’aide de tous. Marie-élise Courmont
Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr
Septembre / Octobre 2014
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L'air du temps
l’Église et la grande Guerre Prêtres et religieux vont participer à la guerre de 14-18. En côtoyant plus largement les hommes sur le front, l’Église va acquérir un nouveau regard sur la société et inversement, analyse l'historien Xavier Boniface. Action catholique, prémices de l’œcuménisme et condamnation de la guerre vont sortir des tranchées.
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Le centenaire de la Grande Guerre que l’Europe commémore cette année insiste, de manière originale, sur l’entrée en guerre, alors qu’on célébrait surtout jusqu’à présent le souvenir de l’armistice de 1918. Cette manière de voir est révélatrice du bouleversement profond et durable que le conflit a entraîné, et dont on prend peut-être plus encore la mesure aujourd’hui. Pour l’Église aussi, cette guerre a représenté, sinon un tournant, du moins des manières autres de regarder le monde.
Xavier Boniface a enseigné pendant 20 ans à l’université du Littoral Côte d’Opale à Calais, il est l’auteur de « L’Histoire religieuse de la Grande Guerre » éd. Fayard, 2014.
En France, comme en Italie, le clergé est mobilisé : 32 000 prêtres, religieux – dont 800 jésuites – et séminaristes sont appelés sous l’uniforme, comme tous les hommes de leur génération. Les plus âgés, environ la moitié, servent dans des formations sanitaires, ce qui leur permet de ne pas faire verser le sang d’autrui, comme le demande le droit canonique. Les plus jeunes sont affectés dans les troupes combattantes. Un millier de prêtres sont plus classiquement aumôniers militaires. Cette présence des hommes de Dieu
parmi les hommes de guerre, confrontés aux mêmes épreuves et aux mêmes souffrances, est porteuse de changements. Cette proximité vécue au front fait naître des solidarités et tomber des préjugés : après la guerre, l’anticléricalisme ne fera plus recette. En même temps, le prêtre découvre toute une frange de la société, jeune et masculine, qui fréquentait peu les églises avant 1914. En partageant sa vie quotidienne, il expérimente, ou tout au moins conforte, des intuitions pastorales nouvelles. Il s’agit désormais d’« aller au peuple », d’évangéliser, et non plus seulement d’être un ministre du culte. La guerre entraîne de nouvelles perspectives d’apostolat qui se retrouveront par exemple dans l’action catholique spécialisée. C’est aussi dans les tranchées que s’élaborent les prémices de l’œcuménisme.
union sacrée : relations améliorées entre l’Église et la République L’Église catholique soutient l’union sacrée, à laquelle le pré-
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sident de la République, Raymond Poincaré, appelle les Français dès le 4 août 1914 : il s’agit de taire les divisions internes de la nation pour s’unir contre l’adversaire. Une décennie après les lois contre les congrégations (1901 et 1904) et la séparation des Églises et de l’État (1905), les relations s’améliorent entre les catholiques et la République. Le gouvernement suspend l’application des mesures visant les congrégations et sollicite le soutien des forces religieuses. En 1915, le ministère des Affaires étrangères charge le recteur de l’Institut catholique de Paris, Mgr Baudrillart, de former un Comité catholique de propagande française à l’étranger : il a pour mission de montrer aux catholiques des pays neutres, c o m me c e u x d ’ E s p a g ne, q u i pourraient être séduits par les Empires centraux, que la France, loin d’être athée, respecte la religion. En Belgique, c’est au nom de la foi que le cardinal Mercier, archevêque de Malines-Bruxelles, appelle les fidèles à la résistance spirituelle dans sa lettre pastorale de Noël 1914, Patriotisme et endurance.
© US war dept
© Association des amis de Teilhard
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Pierre Teilhard de Chardin, brancardier pendant la guerre de 14-18
▲ Des soldats français dans les ruines d'une église de la Marne en 1918
foi en Dieu et foi en la patrie se rejoignent Les croyants s’engagent sur le terrain des œuvres, au profit des soldats, des prisonniers, des blessés et des réfugiés. Mais cette charité ne s’exerce qu’à l’égard des compatriotes ou des alliés, presque jamais au profit de l’adversaire. Les catholiques, comme l’ensemble de la société française d’ailleurs, font valoir la primauté de la patrie. Défendre celle-ci par les armes ou par les œuvres, c’est en effet servir Dieu. La foi en Dieu et la foi en la patrie tendent à se rejoindre et à se superposer. Le conflit devient alors guerre sainte, croisade, mais aussi châtiment divin en vue de la rédemption du pays. Un tel dis-
cours fait barrage aux appels du pape Benoît XV à la paix. Sa note du 1er août 1917 en faveur d’une paix blanche, sans vainqueurs, ni vaincus, est très mal accueillie par des catholiques français qui rappellent que leur pays a été agressé et que le droit est dans leur camp. La ligne de neutralité et d’impartialité suivie par le pape n’est pas comprise dans le contexte de la guerre totale, alors que les catholiques sont présents par millions dans les deux camps. Enfin, l’Église offre sa consolation aux populations endeuillées par la mort de masse (la guerre a fait près d’un million et demi de morts en France). La foi apparaît comme un refuge pour ceux qui recherchent une protection, une espérance et
des soutiens spirituels. Les fidèles se tournent vers la Vierge, vers Jeanne d’Arc aussi, la future sainte qui associe le patriotisme et la foi, et vers Thérèse de Lisieux, que la guerre contribue à populariser.
"écrits du temps de la guerre (1916-1919)" Pierre Teilhard de Chardin, éd. Grasset.
L’histoire de la Grande Guerre témoigne donc des ambivalences de l’Église dans les pays belligérants à l’égard du conflit : porteuse de la foi et des espérances des peuples, elle s’associe également à leur patriotisme exacerbé. Ce n’est finalement pas si nouveau, sauf que, désormais, le pape condamne la guerre. Mais malgré ces compromissions, les catholiques s’ouvrent à de nouvelles voies d’apostolat et à un regard différent sur le monde. Xavier Boniface Septembre / Octobre 2014
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Chercher et trouver Dieu
Le poids de l'argent L’argent, la rationalité économique, l’efficacité utilitaire ne seraient ils pas des arbres qui cachent la forêt ? Fixer d’abord nos regards sur eux ne nous empêcherait-il pas de voir les conséquences négatives de nos actes ? Dans le choix d’un métier (p. 8), la manière « généreuse » d’échapper à l’impôt (p. 9), d’être désarmé par les achats d’un demandeur d’asile (p. 11), d’investir pour retrouver le temps de vivre (p. 10), les témoins de ce dossier nous invitent à prendre conscience de la manière dont nous pouvons être fascinés par l'argent, souvent de façon subtile ou insidieuse, mais aussi comment nous pouvons y échapper. Le contrechamp invite à « regarder la tête (sociale), puis la queue (individuelle), de ce serpent trompeur ». L’Évangile invite à être attentif à son poids dans nos décisions et nos réactions : c’est déjà un pas vers plus de liberté. Ignace propose de regarder s’il y a de secrètes attaches qui font obstacle à l’adhésion claire, limpide à ce que je veux en vérité : suivre le Christ et voir comment Il appelle à son service.
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Dominique HIESSE
Témoignages Changer de travail, que choisir ?. . . . . . . Sous l’apparence du bien. . . . . . . . . . . . Investir pour plus de temps. . . . . . . . . . Avec les plus démunis . . . . . . . . . . . . . .
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Contrechamp L’argent dans la décision . . . . . . . . . . . . 13
éclairage biblique Un geste révélateur . . . . . . . . . . . . . . 14 Repères ignatiens Les trois groupes d’hommes : "la minute de vérité". . . . . . . . . . . . . . 16
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Pour continuer en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
changer de travail, que choisir ? En décidant d’abandonner une carrière en entreprise pour l’enseignement, Emmanuelle a donné la préférence à sa recherche de sens plutôt qu'au confort que peut donner l’argent. Sans regret.
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Que faire après le bac ?…
ait du sens pour moi, au service des autres. Souhait de travailler soit dans le milieu médical soit dans celui de l’enseignement.
Incertitudes, manque de confiance dans mes désirs, bons résultats scolaires, « on » m’incite à faire une prépa HEC, école de commerce en vue… J’aurai au moins une bonne formation, un bon travail et de bons revenus, une forme de sécurité, ce qui est vrai…
Je ne parviens pas, à ce momentlà, à trouver du sens dans l’activité de l’entreprise. Et, même lorsque l’activité me semble en avoir – conseil en organisation, conseil en rémunération –, il est, dans mes expériences, biaisé par la recherche du profit maximal, parfois au détriment du client.
Oui « sauf que »… Cela ne correspond pas à ma culture, à ce que j’ai profondément envie de faire, à ma personnalité.
Le désir d’être, de travailler dans un métier au cœur de la relation ne me quitte pas. Oui, mais… pas si facile de se reconvertir, de lâcher une sécurité, un revenu, une carrière possible. Il me faudra du temps pour que la décision mûrisse. Du temps et des questionnements pour accepter de lâcher prise, de faire confiance dans mes désirs, dans l’avenir. Lors d’une retraite, j’ai la confirmation que tout cela est mûr.
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Après quelques années à essayer de trouver ma voie dans le milieu de l’entreprise, je reste habitée par le désir d’avoir un métier qui
Je choisis alors de passer le concours de professeur des écoles. Cette reconversion m’apporte toujours beaucoup de joie. Joie d’avoir un métier qui ait du sens pour moi : celui d’accompagner les enfants dans leurs apprentis-
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sages, leur découverte de la vie. Joie d’être moi-même dans ma vie professionnelle. Après quelques années de recul, je me dis que j’aurais peut-être pu trouver ma place dans le monde de l’entreprise. Celui de l’enseignement a aussi ses contraintes. Les possibilités de carrière, d’évolution et de revenus sont notamment plus étriquées… Mais je ne regrette rien, je suis heureuse de cette liberté choisie en dépassant mes peurs face au changement, en faisant confiance, en laissant une forme de confort. De plus, des possibles se sont ouverts valorisant ma formation initiale et mes différentes expériences professionnelles à travers un poste de chef d’établissement. Certes, mes amis issus de l’école de commerce ont aujourd’hui des revenus plus élevés mais cela ne me manque pas. La question financière à travers ce parcours est finalement restée assez secondaire car l’essentiel se jouait ailleurs dans le sens de mon travail et l’exercice de ma liberté. Emmanuelle
sous l’apparence du bien Verser des dons pour ne pas payer d’impôts. Est-ce si généreux ? Est-ce participer au bien commun de la société ? Jean-Pierre découvre que derrière sa générosité aux associations bien d’autres éléments peuvent se cacher. Quel équilibre trouver ?
Mais, cette conversation m’a poursuivi : pourquoi en étais-
je arrivé à privilégier de façon aussi radicale le don au détriment de l’impôt ? Qu’est-ce que j’occultais ? N’est-ce pas l’excès de souci d’une bonne utilisation de l’argent donné ? Je connais les organismes auxquels je donne, je sais ce qu’ils font et leurs actions rejoignent mes préoccupations et mon analyse des besoins les plus urgents, les plus universels et que personne d’autres qu’eux ne prend en compte. Critère bien ignatien. Mais, n’y a-t-il pas d’autres motivations plus cachées ? Besoin de reconnaissance satisfait par la lettre de remerciement et le récépissé fiscal envoyés sans délai par l’organisme bénéficiaire du don ? Je n’ai pas souvenir de tel courrier de l’administration fiscale. Volonté de garder la maîtrise de mon argent, même donné ? Avec les dons, je contrôle mes affectations et les montants distribués ; avec l’impôt, j’ai le sentiment de verser dans un fonds commun « sans fond », qui m’échappe. Et me vient alors la problématique du bien
commun : revient-il à l’initiative privée de chacun ou au collectif au travers du politique ? Quel équilibre entre les deux ? Question du prochain et d’autrui4, du rapport entre charité et justice5… Défiance vis-à-vis du politique et de la démocratie ? Sentiment trop répandu pour avoir besoin d’en dire davantage. N’est-il pas plus disculpant et valorisant de pratiquer la générosité que la simple justice du contribuable ? Désormais, je continue à verser des dons… mais je paie aussi des impôts. Merci Marc ! Jean-Pierre
1. Et même de 75 % si c’est pour une aide alimentaire. 2. Le tiers de ce que je donne 3. C’est d’ailleurs cet argument fiscal qu’assènent les associations pour nous convaincre de leur verser un don. 4. Paul Ricoeur chapitre « le socius et le prochain » dans Histoire et Vérité – Essais Points n° 468 pp 113 à 127. 5. Christian Mellon : "clarifier la relation charité justice" dans Nouvelle Revue Vie Chrétienne n°29-mai 2014 - p16.
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« Je viens de recevoir mon avis d’imposition sur le revenu. Cette année, quelle augmentation alors que mes revenus n’ont pas augmenté ! Pareil pour toi sans doute ? ». C’est mon ami Marc qui m’interpelle ainsi, sachant que nous partageons le même niveau de vie. Et moi de lui répondre, fringuant : « Moi, je ne paie pas d’impôt ; depuis longtemps je donne à différents organismes à vocation sociale ou confessionnelle, qui me permettent de bénéficier de la déduction fiscale de 66 % 1 et je m’arrange pour que le montant de mes dons annule tout impôt. Bien sûr, la déduction n’est pas totale, seulement des deux tiers, et cela me coûte un peu plus cher, mais si peu 2 que je fais du bien pour pas trop cher3. Pas bête non ? » Et Marc de me répliquer de façon cinglante : « Bravo pour ta générosité, mais si tout le monde fait comme toi, qui paiera les routes sur lesquelles tu roules ? Qui paiera la police qui assure ta sécurité et l’ordre public ? Les pompiers quand tu seras en danger ? Et le bien commun, qu’en fais-tu ? » Je lui marmonne que je n’avais pas vu les choses sous cet angle, et nous avons vite changé de sujet.
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
investir pour plus de temps Philippe et Séverine sont éleveurs caprins dans le Berry. Un métier exigeant et chronophage. Ils ont mené une vraie réflexion sur le temps. Comment dégager du temps pour leur famille, comment améliorer les conditions de travail ? Cela passe nécessairement par des choix financiers forts.
A
L’organisation des bâtiments de notre ferme s’est avérée obsolète. Nous avons visité des exploitations, rencontré des experts de la chambre d’agriculture et décidé d’investir dans des aménagements ciblés. Après un temps consacré au montage financier et administratif du projet, nous avons entamé les travaux. Ils ont duré trois ans, avec des animaux dans le bâtiment. Nous avons amélioré l’accès aux bâtiments ainsi que la circulation des chèvres, remplacé les couloirs
d’alimentation par des tapis roulants, automatisé la distribution de l’alimentation et amélioré la traite, par l’achat d’une nouvelle salle de traite rotative. C’est plus de 200 000 euros d’investissement, pour partie financés grâce à un prêt Jeunes Agriculteurs. Pour nous, il s’agit moins d’améliorer la rentabilité que de réduire le temps et la pénibilité du travail.
© Laurence Mouton / Photick
Avant notre installation à la Boutarderie, Philippe était éleveur de vaches laitières dans le Jura ; lever 4h, coucher 23h… et pas de dimanche bien sûr ! Fils d’agriculteur, il voit l’épuisement de ses parents, causé par ce métier, passionnant certes, mais éreintant ! Notre installation dans le Berry a donc été le point de départ d’une réflexion sur la charge de travail, sur sa pénibilité… puis l’arrivée des enfants a confirmé notre réflexion sur ce point.
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Chaque jour, c’est 12h30 de travail gagnées ! Avant ces investissements, nous cumulions plus de 18 heures de travail uniquement pour l’alimentation et la traite des 400 chèvres. Aujourd’hui le même travail est réalisé en 5h45… et permet surtout d’accomplir certaines tâches seul, ce qui permet à l’un de nous deux de se consacrer notamment aux enfants ! Certes, nous dégageons un salaire proche du SMIC et notre retraite en est impactée… pour un travail qui reste très prenant. Mais j’ai précisément choisi ce métier pour sa flexibilité, et la possibilité de travailler avec Philippe tout en m'occupant de ma famille… alors tout compte fait, au sens littéral des mots, je m’estime gagnante ! Séverine
avec les plus démunis Le critère de première nécessité n’est pas forcément le premier critère pour décider d’un achat, découvre Martine qui loge des demandeurs d’asile très démunis. L'utilité nous conduit-elle forcément vers plus de vie ? pas par quel bout décider – raisonnablement, selon moi – de ce dont il a le plus besoin. La raison économique, dans ces conditions, n’est pas prioritaire. Et j’entrevois un peu mieux comment le surendettement des plus démunis est une manière pour eux de nier la précarité qui les accable et leur permet, le temps d’un achat, d’avoir la dignité de pouvoir encore décider de ce qu’ils désirent. Tous n’obéissent pas à cette logique. La très petite retraite de mon amie Simone l’a habituée à vivre chichement. Pour préserver son autonomie, chaque décision d’achat est « comptée ». C’est devenu un réflexe : nourriture, habillement, déplacements. Un peu agaçant pour moi. Mais, très attentive aux autres, elle ne manque pas une occasion pour faire un cadeau : pas un cadeau acheté vite dont le coût la valoriserait, mais un cadeau personnalisé qu’elle a pris grand soin de confectionner elle-même : un gâteau, une aquarelle, un beau caillou ramassé sur un chemin… Je suis très sensible à ces gestes. Geneviève, elle aussi, a une petite retraite, mais elle accepte mal les restrictions que cela lui impose et que Simone accepte. D’emblée, tout est trop cher. Elle ne compte pas, elle semble
ne pouvoir avoir de liens qu'au travers de ce qui coûte. Et les prix lui paraissent interdire la gratuité des relations. C’est ce qu’elle met en avant pour expliquer pourquoi elle ne peut pas faire ceci ou cela quand je le lui propose. Et je suis mal à l’aise, culpabilisée… N’est-ce pas parce que je privilégie l’utile ?
1. Welcome : accueil de demandeurs d’asile du Service Jésuite des Réfugiés (JRS–France) voir Nouvelle Revue Vie Chrétienne n°8 novembre 2010 pp 4-5 et n°9 janvier 2011. pp 24- 25.
Avec eux, la pertinence des critères dont je pare mes décisions est remise en cause. Martine
© Ger4a / iStock
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ça m’a rendu folle quand j’ai vu rentrer Sydney avec son ordinateur portable flambant neuf. Il l’avait acheté avec sa première allocation de demandeur d’asile encaissée la veille. Sydney est un Libérien dans la trentaine qui a atterri en France je ne sais comment. Avec le réseau Welcome1, je l’héberge depuis huit jours. Très vite, j’ai dû lui récupérer de quoi affronter l’hiver : pulls, chemises, anorak… ; il n’avait que quelques vêtements légers adaptés à l’Afrique. Quant à ses chaussures, je découvre que les semelles sont trouées, il marche ‘en chaussettes’ évitant les flaques d’eau. Impossible de trouver des tailles 48 adaptées à sa taille, j’ai dû lui en acheter. Et le voilà rentrant triomphant avec son premier achat : un ordinateur qu’il ne sait pas utiliser ! Je contiens ma colère. Il me faudra parler avec des amis du réseau d’hébergeurs pour comprendre que son ordinateur lui permet de faire bonne figure dans notre univers technologique de gadgets ; que cet achat est essentiel pour lui pour s’intégrer, avant même les chaussures dont le manque de semelle ne se voit pas, lui. Le critère de première nécessité n’est pas le premier critère pour décider d’un achat, surtout pour celui qui 'manquant de tout' ne sait
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Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
L’ARGENT DANS LA DÉCISION
© Droits Réservés
Plaisir, pouvoir, liberté… l’argent peut donner bien des avantages et fasciner pour cela. Être libre vis-à-vis de l’argent pour prendre une décision ? Pas si simple, explique étienne Perrot s.j., économiste, car ce n’est pas un moyen neutre.
S
Étienne Perrot s.j. économiste travaillant à Genève, spécialiste des phénomènes de rente et de l’économie de la corruption. Il enseigne aussi à l’Institut catholique de Paris et à l’université de Fribourg (Suisse). Ses publications portent sur le discernement dans la vie professionnelle, l’éthique des affaires et les fonctions sociales et anthropologiques de l’argent. Derniers ouvrages publiés : La séduction de l’argent (Desclée de Brouwer 1996), L’argent (Salvator 2001), Refus du risque et catastrophe financière (Salvator 2008), Le discernement managérial, (Desclée de Brouwer 2012), Exercices spirituels pour managers (Desclée de Brouwer 2014).
Selon Ignace, accepter un bénéfice (ecclésiastique), puis demander à Dieu de s’y manifester, voilà qui relève d’une passion désordonnée : c’est mettre le moyen (le bénéfice) à la place de la finalité (l’expérience de Dieu). Sans que nous en ayons bien conscience, dès que l’argent intervient, beaucoup de nos décisions procèdent ainsi : l’argent (le moyen) prend la place de la fin. Pour déjouer ce piège du Malin, rien de tel que de regarder la tête (sociale), puis la queue (individuelle), de ce serpent trompeur, avant d’introduire l’argent dans le discernement.
La tête sociale du serpent Les psychanalystes se sont amusés à comparer le plaisir que donne l’argent avec le plaisir anal des petits enfants : plaisir de retenir, plaisir de relâcher. Mais ce plaisir d’argent ne peut naître que dans des civilisations où l’argent est nécessaire, les civilisations urbaines, qui favorisent l’accumulation au profit de quelques-uns, la plus grande masse s’épuisant à chercher de l’argent. En sont témoins les prophètes de la Bible, notamment Amos. Notre civilisation baigne dans le même liquide, au point
que certains économistes ont détourné la fameuse formule « à qui a on donnera, à qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a » pour en faire une loi économique qualifiée de « loi Matthieu » (de Mt 25, 27). Pour contrer cette puissance de l’argent, certains ont imaginé de recréer des communautés sans argent – ou presque – sous formes d’associations dont les membres pratiquent le troc entre eux ; ce sont les SEL (Services d’échange locaux) qui ne fonctionnent bien que dans des groupes restreints où la confiance mutuelle se maintient, où, selon la logique des civilisations rurales, la solidarité est davantage celle du voisinage que celle des échanges commerciaux.
absolu, ce que le poète Charles Péguy a traduit dans le vers célèbre « Tout s’achète et se vend et se pèse et s’emporte. » Tout ? Sans doute pas. Mais du moins nous en avons l’impression. Que ne ferions-nous pas (pour nousmêmes, pour les pauvres, pour les chômeurs, pour les enfants, pour les Églises, pour les associations humanitaires, pour les pays en développement…) avec quelques euros de plus !
La queue individuelle du serpent
Le plaisir d’accumuler l’argent ne contredit pas le plaisir inverse, celui de le relâcher, ne serait-ce que pour montrer qu’on en a : si parfois les impôts semblent nous arracher le cœur, il n’en va pas de même lorsque nous faisons de grosses dépenses pour celles et ceux que nous aimons.
Au plaisir et au pouvoir que l’argent procure s’ajoute la liberté individuelle, celle de l’anonymat des villes : qu’importe qui je suis pourvu que je puisse payer. Le mendiant de la rue de Sèvres le sait d’instinct : plutôt qu’un sandwich à cinq euros, il préfère les cinq euros, qui lui procurent la liberté d’acheter le sandwich… ou autre chose. Certes, cette liberté est très relative (à la quantité d’argent, à ce qu’offre le marché) mais c’est une liberté fortement ressentie.
À ce plaisir d’accumuler et de dépenser s’ajoute la passion du pouvoir. L’argent est devenu la finalité absolue parce qu’il donne l’impression d’être le moyen
Remettre l’argent à sa place, ce n’est pas le faire disparaître, comme si l’argent n’était que plaisir personnel, pouvoir de contraindre et liberté indivi-
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duelle, alors qu’il est aussi vecteur d’une solidarité élargie et responsable. Il ne convient pas non plus de s’en débarrasser pour être « libre » vis-à-vis de l’argent, à la manière dont les mauvais joueurs de football se débarrassent du ballon. Car le but n’est pas de cultiver notre propre satisfaction.
discernement Pour intégrer l’argent dans la démarche de discernement, il faut tordre le cou à l’idée que l’argent n’est qu’un moyen neutre, à la manière d’un marteau qui peut servir aussi bien à planter un clou qu’à tuer son voisin ; car l’argent est d’emblée social ; c’est une créance à vue sur une communauté de paiements. (Cette communauté rassemble tous ceux qui acceptent mon argent en échange de leurs services.) De plus, l’argent est le révélateur des valeurs qui sont réellement les nôtres. Nous prétendons être efficaces, habiles, francs, justes, généreux, charitables, solidaires, fraternels ; et nous nous satisfaisons aisément des quelques gestes qui traduisent ces bons penchants. Or l’argent est un bon critère pour éprouver la réalité de ces valeurs affichées. Car, comme a fini par le comprendre l’anthropologie économique, la valeur n’est jamais que ce qui donne sens à un coût. Est-ce que ce que je cherche « vaut » le coût ? C’est la première question à se poser ; et l’argent permet de mesurer ce coût. Mesure imparfaite, certes (car il y a des coûts psychologiques, et sociaux qui ne
se mesurent pas en argent) mais mesure nécessaire. La mesure de ce coût ouvre la carrière du seul discernement qui, au sens propre, ne se paie pas de mots. Mais le discernement implique une seconde question : non pas simplement « est-ce que ça vaut le coût ? » mais aussi « l’argent que j’utilise pour acheter ça, à quoi, ou à qui, va-t-il manquer ; qui va finalement en payer le prix ? » Devant cette question, l’argent perd sa fascination trompeuse.
discerner le bon et les conséquences Le discernement dans l’usage de l’argent ne consiste pas simplement à regarder si la caisse a de quoi payer ce qui nous semble bon ; il conduit à s’interroger sur qui, ou quoi, en subira les conséquences négatives. Car l’argent ne fait pas le bonheur… de ceux qui en manquent. étienne Perrot s.j. Septembre / Octobre 2014 13
Chercher et trouver Dieu
éclairage biblique
© Onction de Béthanie / Redemptoris Mater
Un geste révélateur
01 Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie où habitait Lazare, qu’il avait réveillé d’entre les morts. 02 On donna un repas en l’honneur de Jésus. Marthe faisait le service, Lazare était parmi les convives avec Jésus. 03 Or, Marie avait pris une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur ; elle versa le parfum sur les pieds
de Jésus, qu’elle essuya avec ses cheveux ; la maison fut remplie de l’odeur du parfum.
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Judas Iscariote, l’un de ses disciples, celui qui allait le livrer, dit alors :
05
« Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum pour trois cents pièces d’argent, que l’on aurait données à des pauvres ? »
06 Il parla ainsi, non par souci des pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse commune,
il prenait ce que l’on y mettait.
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Jésus lui dit : « Laisse-la observer cet usage en vue du jour de mon ensevelissement !
08 Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. » 09 Or, une grande foule de Juifs apprit que Jésus était là, et ils arrivèrent, non seulement à cause de Jésus,
mais aussi pour voir ce Lazare qu’il avait réveillé d’entre les morts.
10 Les grands prêtres décidèrent alors de tuer aussi Lazare, 11 parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient, et croyaient en Jésus.
Jean 12,1-11 Traduction AELF (Association épiscopale liturgique pour les pays francophones)
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V
Voilà une femme qui n'hésite pas à dépenser une somme considérable pour honorer son hôte de passage ! C'est vrai qu'en Israël on fait grand usage des parfums et que verser de l'huile parfumée sur la tête de celui que l'on accueille est une marque d'honneur. Mais quand même, cette fois le nard est « de très grande valeur » ; ne pourraiton pas le vendre pour trois cent pièces d'argent ? L'équivalent de trois cent journées de travail ; il y a de quoi scandaliser certains ! Pourtant Jésus approuve Marie. À travers son geste, ne voit-il pas son attachement et sa haute considération ? Elle, ne sert pas deux maîtres ; elle a choisi son camp. Celle qui, au moment de la mort de son frère Lazare, est tombée aux pieds de Jésus, se prosterne à nouveau devant son Seigneur et Maître, lui essuyant les pieds de ses cheveux. Son geste révèle son amour ; pour elle Jésus vaut mieux que tout l'or du monde. A la remarque de Judas s'offusquant du gaspillage, Jésus ne répond pas directement. Son propos n'est pas de comparer deux manières d'utiliser l'argent ; en donnant raison à Marie, il ne met pas une hiérarchie entre le culte de sa personne et le souci des pauvres. Aimer le Seigneur et aimer son prochain, c'est pour lui tout un. Son propos est ailleurs car l'heure est particulière. Il parle clairement de son départ et de son ensevelissement. On est « six jours avant la Pâque » ; la résurrection de Lazare a définitivement cristallisé les oppositions. Le sort de Jésus est scellé. Et Marie ne s'y est pas trompée, elle qui n'a pas versé le parfum sur la tête de Jésus, mais sur ses pieds comme on le faisait non pour un vivant mais pour un mort. En répandant ainsi le parfum, elle communique à tous la bonne odeur du Seigneur, qui imprègne la maison au-delà de sa présence. En ce moment où Jésus termine sa vie publique pour marcher vers son Heure et sa Gloire, il accepte que soit révélée par ce geste, dans sa démesure même, sa dignité exceptionnelle. Judas n'est pas sur le même registre ; sa question montre qu'il est moins attentif à la personne de Jésus qu'à cet argent dépensé et ce à quoi il aurait pu servir. En d'autres circonstances sa remarque aurait pu être judicieuse. Mais l'Évangile de Jean interprète cette réaction en lien avec la trahison
qui va suivre. Le narrateur, faisant allusion à cet évènement ultérieur (Judas est « celui qui allait le livrer »), dévoile ce qui habite son cœur : l'appât du gain. Ainsi le geste de l'onction de Béthanie met à la fois en lumière le regard porté sur Jésus et celui accordé à l'argent. Nul ne peut servir deux maîtres. Le Christ nous attire mais force est de constater aussi, à travers l'histoire, le pouvoir attractif de l'argent. Faire la vérité sur la fascination qu'il exerce sur nous, quelque fois de façon subtile ou insidieuse ; être attentif à son poids dans nos décisions et nos réactions est déjà un pas vers plus de liberté. Marie-Elise Courmont
Points pour prier + J’imagine le repas dans la maison de Marthe, Marie et Lazare à Béthanie ; j'en ressens l'atmosphère et je prends place à mon tour. + Je demande la grâce d'une connaissance intérieure du Christ pour mieux l'aimer et le suivre. + Je contemple la scène : je regarde les personnages, j'entends leurs paroles, je vois leurs gestes ; je peux aussi sentir, toucher, goûter. Je regarde le Christ ce qu'il dit, ce qu'il fait. + Je demeure dans cette scène, là tout simplement. + Puis je tire profit : qu'est-ce que cette scène produit en moi ? qu'est-ce qui m'est révélé ? + J’en parle au Seigneur et laisse venir le geste qui convient pour terminer ma prière. Septembre / Octobre 2014 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
Les trois groupes d’hommes : « La minute de Vérité »1 Une méditation dans les Exercices spirituels propose une sorte de parabole sur notre lien à l’argent. À travers notre attachement à l’aspect pécunier et aux avantages qui y sont liés, Ignace nous propose de faire la vérité sur notre liberté intérieure. Dans toutes nos décisions, qu’est-ce qui nous retient de le suivre ?
D
1. éd. Poussset. "Foi et Liberté. Une présentation des Exercices Spirituels de St Ignace de Loyola". Supplément à Vie Chrétienne, Novembre 1973, N° 161.
Retrouvez la méditation « des trois hommes » sur notre site internet : editionsvie chretienne. fr
Dans les Exercices, cette méditation est proposée au soir de la journée consacrée aux Deux Étendards. Après ce laborieux exercice où le retraitant a demandé « la grâce de la connaissance des tromperies du mauvais chef… ainsi que la connaissance de la vraie vie qu’enseigne le souverain et vrai capitaine » (ES N° 139), le fruit de la journée est de l’ordre de la connaissance. Les images qui servent de support à la méditation, mettent en évidence un combat où s’affrontent deux « camps » ; d’un côté, le chef des ennemis, de l’autre, le Christ Cette mise en scène guerrière veut faire connaître au retraitant le combat spirituel dans lequel sa foi au Christ l’engage. Cette journée doit lui permettre de repérer de façon plus précise la forme du combat qui est le sien pour se mettre davantage à la suite du Christ et pour ajuster son cœur à son Esprit ; Ignace lui propose alors une journée de recul par rapport à la contemplation de l’humanité du Christ, pour que,
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s’appuyant sur son expérience, il repère plus précisément comment l’esprit du mal agit en lui et comment, de son côté, le Seigneur de tout l’univers appelle à son service. Cette méditation fait surtout appel à l’intelligence : il s’agit d’apprendre, de connaître. En fin de journée le retraitant peut avoir acquis cette connaissance ; il comprend. Mais est-ce suffisant pour se livrer entièrement à ce combat ? Le cœur de la personne a-t-il été touché par cette méditation : en effet, on peut être intellectuellement d’accord avec des convictions, des idées, sans pour autant se sentir engagé. Pour avancer vers la décision, c’est l’être tout entier qui doit être impliqué, ses facultés de mémoire et d’intelligence, certes, mais aussi, son cœur, ce registre de la personnalité où se situe la capacité de décider. Bien souvent, notre affectivité oriente nos choix dans une direction contradictoire par rapport à ce que nous savons
intellectuellement. Tel chef d’entreprise peut faire de beaux discours sur la participation de tous à la marche de l’entreprise sans se rendre compte qu’il prend les décisions importantes sans de vraies consultations et échanges avec son personnel. Tel père de famille explique avec conviction à son fils que le partage de l’argent est fondamental, qu’il est un moyen de communication avec les autres, sans se rendre compte que son rapport à l’argent manifeste une vraie raideur. C’est dans cette contradiction entre la parole, et l’action que la méditation des trois groupes d’hommes se présente dans les Exercices. Elle se situe en fin de journée, à l’heure de l’application des sens, en seconde semaine. Cet exercice n’est pas de l’ordre de la contemplation, mais l’enjeu est bien de s’adresser à l’affectivité, en faisant jouer les alternances de consolation et désolation. Le support de cet exercice est u ne p a ra b o le, e m p r u nt é e à
Trois sortes de réponses sont déclinées à travers lesquelles le retraitant peut s’identifier : - Le premier groupe d’hommes voit bien ce qu’il a à faire, mais il semble ne pas voir l’attache qui le retient au bien acquis ; il ne voit la solution que dans le fait de se débarrasser du bien. Cela lui est insupportable, il n’en prend pas les moyens « jusqu’à l’heure de sa mort ». C’est elle qui tranchera définitivement, à moins qu’en se préparant à mourir, il prenne la décision de se détacher de ses biens en faveur des autres. Une note d’espérance reste… - Le deuxième groupe semble percevoir l’attachement qu’il a au bien, mais il met Dieu et l’objet sur le même plan ; « il veut le beurre et l’argent du beurre », comme on dit dans la vie courante ; il identifie l’objet au
2. Adrien Demoustier. Les Exercices Spirituels de St Ignace. Lecture et pratique d’un texte. éd. facultés jésuites de Paris, 2006.
© Pixland / Pixland
des usages de prêts d’argent de l ’ é p o q u e d ’ Ig n ac e 2 : de s hommes ont acquis de l’argent et avec cet argent, plus ou moins consciemment, une certaine position sociale, un certain pouvoir… Il s’agit donc pour eux qui « veulent se sauver et trouver dans la paix Dieu N.S. » d’« écarter d’eux le fardeau et l’obstacle qu’est, pour cela leur affection pour la chose acquise », non pas refuser le bien acquis, mais trouver leur liberté par rapport à ce bien auquel ils sont attachés parce qu’il leur confère des avantages personnels évidents, mais peu avoués. L’obstacle n’est pas dans le fait de posséder ce bien, mais dans l’attachement au bien.
Seigneur. Alors faire la volonté de Dieu, c’est tenir à l’objet, convaincu que c’est bien cela que Dieu veut. - Quant au troisième, il est celui qui se prête à la prise de distance de l’objet, grâce à quoi, il peut mesurer affectivement ce que représente le fait de se séparer de l’objet ou de le garder. Exercice de pesée où les hommes laissent apparaître leurs affects, accueillent les prises de conscience qui en découlent, les conséquences du fait de garder ou de ne pas garder ; dans ce jeu des affects, ils perçoivent ce qui correspond davantage à la volonté de Dieu, au service et à la louange de sa divine majesté. Dans ce moment central de la démarche où l’horizon de l’élection se profile, cet exercice interroge de façon nouvelle le retraitant sur sa liberté intérieure, sa disponibilité, sa préférence du Seigneur à toutes choses : veut-il vraiment et avant tout « louer et respecter et servir Dieu, son Seigneur » ? Voit-il « les autres choses », – l’argent, le pouvoir, ses talents, ses biens… – comme « des aides
pour sa fin » ? Est-il prêt à « s’en dégager… si elles sont pour lui un obstacle à cette fin » (E.S. 23) ? Cet exercice est réellement une « minute de Vérité » dans laquelle celui qui s’y livre, est mis au cœur de ses contradictions. Minute qui peut être celle de l’« agonie du disciple » insiste le P. Pousset. Accueillir la prise de conscience de l’inadéquation de ses idées et de sa manière de vivre peut bouleverser une existence ! Mais aussi, avec saint Jean nous savons que « celui qui fait la vérité vient à la Lumière » et que « la Vérité nous rend libres ». Quand, dans nos vies quotidiennes, des décisions se profilent, il peut être bon de revenir doucement sur ce texte et de descendre, sous le regard de Dieu, à cette profondeur de notre cœur humain : y a-t-il de secrètes attaches qui font obstacle à l’adhésion claire, limpide à ce que je veux en vérité : suivre le Christ humble et pauvre au service de ceux vers qui Il m’envoie ? Jeanne Thouvard, sœur auxiliatrice Septembre / Octobre 2014 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Je choisis une décision prise récemment. Les aspects économiques de la question à trancher ont-ils été présents aux côtés d'autres critères (disponibilité aux proches, sens, goût,…) ? Comment les ai-je évalués, pesés, pondérés ? • J e regarde ma manière de consommer, de garder, de donner… ? Qu’est-ce qui est important pour moi ? La rationalité matérielle, l'argent avec ce qu'il offre comme possibilités de possession, de pouvoir ou de reconnaissance ? Ou d’autres valeurs ? • C omment mon attachement au Christ, mon désir de Le suivre questionnent-ils mon rapport à la « raison économique », à l’argent ? • J e regarde le monde autour de moi, en considérant la place accordée à l’argent. Qu’est-ce qui me réjouit ? Qu’est-ce qui m’apparaît intolérable ? Comment je résiste ? Voir aussi le document « Pour un rendez-vous » : « L’argent et mon histoire » – p. 9 – « L’argent et mon regard » – p. 10 – « L’argent et mes choix » – p. 11 – disponible sur demande au Secrétariat CVX France : guadeloupe@cvxfrance.com
À lire : • Qui décide de ce qui compte ? Revue Projet : n° 331 – décembre 2012 – 12,00 e. • La Joie de l’évangile – Pape François – Quelques défis du monde actuel n° 50 à 60 –
Bayard – 7,00 e.
• Les Feux de l’automne – Irène Némirovsky – 280 p. – Le Livre de poche n° 30885 –
6,60 e. Entre les deux guerres, la folle course à l’argent d’un rescapé des tranchées au détriment de la vie privée et affective, de la vie des autres.
• De beaux lendemains – Russel Banks – 336 p. – Poche Babel n° 294 – 9,70 e –
Après un accident de car scolaire qui a endeuillé un village paisible, un avocat propose une procédure judiciaire d’indemnisation. L’argent qu’il fait miroiter divise la population dans ce qu’elle a de solidaire et d’intime (également en DVD, film de Atom Egoyan – 2003 – 14,99 e). • L’argent, Dieu et le Diable – Jacques Julliard – 230 p. – Flammarion
2008 –19,00 e. Essai : quand le monde paraît s’affaisser et que l’on se sent gagné par la lâche tentation de composer, alors Péguy, Bernanos et Claudel sont des recours…
Voir sur www.editionsviechretienne.fr d’autres propositions
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Babillard © B. Strobel
Artiste et Apôtre évangéliser par la création
Le week-end national de l’atelier Art se tiendra à Versailles du vendredi 5 au 7 décembre 2014. Chacun est invité à partir d’un par tage d’œuvre plastique (peinture, sculpture, des sin,...) ou “animée” (clown, conte, danse,.. .) à relire sa vie et sa pratique en lien avec le thè me. Cette année : évangéliser par la création
Contact : Nicole Chesny : claude.chesn y@wanadoo.fr
Promouvoir la justice Le combat nécessaire du chrétien pour la justice est le fil conducteur des trois écrits de Pedro Arrupe s.j. repris dans cette réédition du livre paru en 1977. Près de quarante ans plus tard, ses appels à lutter contre les inégalités au nom de notre foi demeurent – hélas – toujours d’actualité. Les convictions du P. Arrupe s’ancrent dans la doctrine sociale de l’Église, mais surtout dans la prise au sérieux des implications du sacrement de l’Eucharistie. Participer à la mission de justice de l’Église ne se conçoit pas sans une conversion personnelle radicale de notre façon de surconsommer ou de regarder le SDF dans la rue.
Réédition juillet 2014 – 10,90 euros – A commander sur : editionsviechretienne.fr ou dans toute librairie.
6e rencontre européenne CVXmigration forcée La CVX-Luxembourg et les membres du groupe ignatien des migrations (GIM) ont le plaisir de vous accueillir pour la prochaine étape sur la route avec les personnes forcées à quitter leur pays. Tous les membres CVX sont invités, particulièrement ceux et celles qui vivent un engagement communautaire auprès des migrants forcés. La rencontre européenne aura lieu au Luxembourg, du 14 au 16 novembre 2014.
Info et inscription : bernadette.grosch@education.lu Les personnes arrivant plus tôt ou repartant plus tard seront accueillis par des membres de la CVX Luxembourg.
Semaines sociales de France
es : le défi » « L’homme et les technoscienc elles technologies Les progrès fulgurants des nouv science-fiction la où ir aven nous promettent un quotidienne. Quel vie e notr de ité réal rejoindra la mme ? A quel l'ho lle place pour impact sur nos modes de vie ? Que ouveront les retr se ants icip les part prix ? Autour de ces questions, Lille pour de ue oliq cath sité iver 21-22-23 novembre 2014 à l’Un ux à enta et voyages expérim différents débats, conférences travers la ville.
Programme et inscription en ligne :
technosciencesledefi. org
Lâcher prise ? Entre volonté et abandon, y aurait-il contradiction ? Robert Scholtus s’empare avec délectation de cette expression galvaudée du développement personnel pour la situer dans le Christ. Nous sommes appelés au plongeon dans la confiance en Dieu. Un beau programme pour cet été ! Paru en 2008 aux éditions Bayard, et rapidement épuisé, ce livre est réédité par les éditions Vie Chrétienne depuis juin 2014.
10 euros – A commander sur : editionsviechretienne.fr ou dans toute librairie.
questions autour de l’homosexualité
Pour ceux qui vivent l’homosexualité et ceux qui leur sont proches, il est proposé un week-end de partage. Soit au Hautmont (59) du 14 au 16 novembre 2014. Soit à Saint-Hugues de Biviers (38) du 13 au 15 mars 2015.
Info : contact@cvxfrance.com
Inigo Lib : 30 ans de RJI
Il y a 30 ans débutait la session Penboc’h JP, qui allait donner naissance au Réseau Jeunesse Ignatien (RJI). Cet anniversaire sera célébré les 25-26 octobre 2014 à Paris autour de l’église Saint-Ignace. Retrouvailles festives entre jeunes et « anciens » : des activités et des parcours dans la ville sont prévus. Et même pour les familles !
Pour vous pré-inscrire : contact@rji.fr Septembre / Octobre 2014 19
Se former
école de prière
"VERS DIMANCHE" pour prier chaque jour l’évangile de dimanche prochain Drôle d’idée de vouloir prier chaque jour avec l’Évangile du dimanche suivant, comme si les textes du jour ne suffisaient pas à notre bonheur ! C’est ce que propose « Vers Dimanche », afin de goûter les différentes facettes d’un texte et de célébrer le dimanche éclairé par notre prière de toute la semaine.
C
C’est une autre façon de prier que propose ‘Vers Dimanche’, une autre façon de vivre sa semaine. S’imprégner quotidiennement de la Parole de Dieu mais à partir de celle qui rassemblera les chrétiens dans un même lieu. La proposition de 'Vers Dimanche' permet ainsi d’assister différemment à la messe dominicale, de lui donner un autre relief, un autre goût. Quand une petite équipe de la famille ignatienne a inventé cette formule, ils ont eu le souci premier de permettre au plus grand nombre de personnes de faire cette expérience. Pour cela, pas de problème d’accès. Les indications de prière sont brèves et très concrètes, sans vocabulaire compliqué. La formule est avant tout pratique : un format papier, petit livret que l’on glisse dans sa poche, son sac ou son agenda ou un format électronique qui s’applique à tous les supports. Où que l’on soit, la prière du jour est possible. Alors, comment ça marche ? Chaque jour nous sommes invités à entrer dans l’Évangile du
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dimanche suivant et, pour le comprendre et le savourer davantage, des points simples, de la vie de tous les jours sont proposés à notre intelligence et notre cœur. Un édito donne l’éclairage d’un point précis du texte et des manières de prier différentes sont proposées au fil des semaines. Enfin la rubrique « à la maison » permet grâce à une activité pratique d’entrer dans une dynamique pour la semaine. C’est tout simple. Je lis la Parole du dimanche, je me dispose pour la journée avec l’indication proposée, et je mets en pratique ce que me suggère 'à la maison'. Par exemple le dimanche 22 juin, Fête du Saint Sacrement, l’Évangile est dans saint Jean au chapitre 6 versets 51 à 58. L’édito est le suivant : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement »… 6,58 Combien de fois faudra-t-il nous le répéter à nous-mêmes ou l’annoncer sans relâche à ceux qui restent sur le seuil de la foi ou lui tourne le dos ? La foi n’est pas une affaire
de concept ou une construction intellectuelle difficile à comprendre, loin de toute réalité terrestre ! La foi est d’abord relation. Relation à tisser entre nous, notamment avec les plus fragiles, pour un monde plus juste et fraternel (ce que l’évangile appelle le Royaume de Dieu). Relation à nouer avec cet homme Jésus qui, aujourd’hui encore, cherche à entrer en conversation avec chacun de nous. Cette relation n’est pas abstraite. Elle passe par du pain partagé que ce soit en famille, avec des amis ou pour nourrir ceux qui n’ont plus de quoi manger, que ce soit en Église pour faire mémoire du don d’une vie livrée pour nous et pour la multitude. Cette relation fait entrer dans une vie éternelle, qui ne connaîtra pas de fin, ou bien faut-il écrire dans une vie qui ne connaîtra pas de faim ? L’éternité, elle aussi, n’est pas un concept abstrait. Elle est vie dès maintenant et passe par du pain partagé. Alors, qu’attendent nos mains ? La rubrique « A la maison » propose : Fêter le Saint-Sacrement est l’occasion rêvée de revisiter notre manière de manger à la maison. Com-
ment ? Par exemple en prenant le temps de bénir le pain avant de le rompre avec les mains et de le faire passer aux convives, ou encore en traçant une croix avec le couteau avant de couper la baguette. Autre manière de faire pour vivre un repas à la manière de Jésus : manger en réalisant que Jésus a fait de même avec ses disciples ! Que de repas ordinaires ont-ils dû partager soit en chemin, soit à la maison, chez Pierre, soit à Jérusalem en pèlerinage ou encore au bord de lac avec un peu de pain et du poisson grillé. De même, à table à la maison, ou avec un sandwich pendant une pause déjeuner, s’imaginer manger en étant invité avec Jésus, en toute simplicité. L’ordinaire du repas fait alors entrer dans une sacrée simplicité !
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Et pour le lundi l’indication de prière nous dit :
gile qui a été choisi, Jésus a rassasié les foules avec cinq pains et deux poissons. Aujourd’hui je peux commencer par regarder les gestes de Jésus qui nourrit, son attitude et aussi la foule. Je peux ensuite me demander ce qui me nourrit affectivement, matériellement et spirituellement. Sans porter de jugement, je liste ces différentes nourritures, je les considère et me demande si elles me nourrissent vraiment. Priant ainsi, je peux demander à Jésus de m’éclairer.
Cette semaine, nous nous préparons à fêter le Saint-Sacrement. Juste avant le passage de l’évan-
Certes, cette forme de prière concrète et en plusieurs étapes ne conviendra pas à tous mais pour-
quoi ne pas la tenter et accepter de vivre différemment, en toute simplicité, la rencontre avec notre Seigneur, se laisser déplacer et redonner toute sa valeur à nos simples gestes quotidiens. Bonne découverte ! Marie-Bernadette Caro cvx
Un « Vers dimanche plus » Un abonnement (24 € par an) est possible pour tous ceux qui désirent avoir le mois en entier. La revue « Vers Dimanche plus » propose un cahier détachable et pliable semaine après semaine et des rubriques supplémentaires : • Un guide de pratique spirituelle • Une rubrique pour comprendre le mystère de la messe • Un billet au « souffle de l’Esprit » Deux guides pratiques Pour 8 € seulement : • Pour développer sa vie spirituelle : 36 conseils pour aller vers Dieu • Pour mieux vivre la messe : 36 gestes & paroles à comprendre guides. versdimanche. com Trois adresses : • Vers Dimanche : 14, rue d’Assas – 75006 Paris • Mel : versdimanche@ndweb.com • Sites : www.versdimanche.com Septembre / Octobre 2014 21
Se former
Expérience de Dieu…
…en côtoyant les plus pauvres D’une vie attentive aux plus petits, aux exclus, dans le quotidien comme au Secours Catholique, Françoise a goûté les fruits de la bienveillance inconditionnelle, découverts aussi en CVX. Avec son époux, elle ressent maintenant un appel à vivre cette présence aux plus pauvres en communauté.
D
Dès ma plus petite enfance, Dieu m’a saisie par la main pour me mener sur des chemins qui m’ont ouvert en grand des portes vers Lui, franchies avec Lui.
Mon activité familiale, avec cinq enfants, professionnelle et sociale fut privilégiée. Et pourtant cet amour particulier pour les exclus, grâce à leur présence « naturelle », ne s’est pas éteint : Nicole très méprisée dans mon équipe de recherche, Elsa de famille pauvre arrivée dans notre groupe de caté,
Suzy sans famille hébergée à la demande de notre paroisse, Francis de notre famille, démuni de tout, qui partagera notre vie. Dans l’ordinaire, leur simple présence me garde attentive à eux, sans prétention. En 1996, j’entre davantage au contact des précaires. C’est cette même année que j’entre en CVX. Je relis combien l’un a nourri
© Droits Réservés
Les enfants pauvres que j’ai côtoyés à l’école m’ont révélé la vétusté de certains logements, les manques vitaux et d’instruction. Des portes sur un ailleurs où il m’a été donné de voir que j’y
avais une place sans tricher et j’y ai vu la Vie.
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l’autre, tous deux nécessaires pour plus grand, plus profond. En osant le bénévolat parmi les très cassés, j’ai goûté la grâce de la bienveillance inconditionnelle. Un soir très difficile, je sens que Malika va me frapper, je ne faisais pas le poids, je choisis de ne pas bouger. Plus tard, c’est de la confiance qu’elle me manifestera. J’ai découvert la grâce de l’écoute jusqu’au bout, l’écoute avec les yeux, avec tous mes sens. Nous sommes en silence côte à côte et tout à coup, dans les larmes, il parle d’un meurtre ; quelque chose se libérait. Les confidences reçues m’ont bouleversée, façonnée. Le jugement n’a plus place : nous ne sommes pas tous nés dans le même berceau. Me sentant toute petite, je sollicitais la grâce du Seigneur, lui seul pouvait me rendre présence de Sa présence. Jamais je ne parlais de Dieu et pourtant, des personnes venaient vers moi pour « plus que moi ». J’ai reçu d’elles d’être pardonnée de posséder ce qu’elles n’ont pas : des ressources financières, sociales, culturelles, une grande liberté intérieure et extérieure, ma foi en la Vie. J’ai pris la mesure du côté injuste de ces richesses, mais par leur affection, j’ai reçu la grâce d’en être déculpabilisée. Quand il m’a été demandé d’être l’aumônier du Secours Catholique à Toulouse, pour servir l’Essentiel, j’ai davantage mesuré qu’on ne triche ni avec les pauvres, ni avec Dieu. Ils ont été mes maîtres. J’ai vu comment dans une équipe où ils sont présents, s’estompent les différends, s’unifie le travail du groupe pour aller à l’essen-
Une piste pour vivre l’option préférentielle pour les pauvres Réunir des compagnons pour vivre concrètement la proximité avec les pauvres dans l’esprit communautaire et apostolique de la CVX • Avec 7/8 compagnons ancrés dans la spiritualité de la CVX et qui ont une expérience concrète avec des personnes précaires. • En vue de vivre parmi des exclus à la manière d’être de la CVX : vie simple et fraternelle, délibération et relecture communautaires, confiance en Dieu… • Une proximité qui peut porter du fruit pour tous et donner à mieux saisir où est Dieu dans l’humanité blessée afin de mieux Le servir. Pour en savoir plus : http://www.cvxfrance.com/news/option-preferentiellepour-les-pauvres tiel. Dans les temps de réflexion en équipe, la présence des précaires conduit à des remises en question collectives et des solutions inattendues arrivent. La réunion se déroule sans surprise et voilà que Patrick SDF, dans une longue tirade hors sujet, exprime son inquiétude. Un silence se fait. Chacun se sent concerné. Une demande de pardon monte et rapidement se dégage une nouvelle manière d’être. Une présence qui unifie les personnes, fait grandir l’harmonie du service et ouvre à la Parole. Dans ces expériences, j’ai vérifié combien la CVX, corps et manière ignatienne d’être, était source pour vivre une proximité authentique avec les pauvres, j’ai découvert combien celle-ci conduit à devenir davantage corps.
Les pauvres et Dieu m’ont mise en mouvement, m’ont appelée à aller plus loin, dans un ailleurs. Alors, quand ma mission a pris fin, avec mon mari qui de son côté avait fait les mêmes découvertes, s’est ouverte à nous une nouvelle porte : réunir des compagnons CVX pour vivre avec eux, de façon communautaire, cette altérité avec les pauvres. Ce désir nous a mis en route sans naïveté, ni utopie, ni toute-puissance. Nous le portons dans la prière, l’écoute de ce qui se vit et le discernement. Des compagnons, dont l’un nous a rejoints, y voient une belle ouverture pour tous. Notre désir rejoint-il le vôtre ? Partons ensemble au large. Françoise Cautain Septembre / Octobre 2014 23
Se former
Lire la Bible
Le testament pastoral de Paul (Actes 20) Dans son dernier voyage vers Jérusalem, saint Paul donne ses dernières recommandations aux responsables de l'église d'Ephèse réunis à Milet. Des orientations, qui ont toute leur actualité aujourd'hui et qui trouvent écho dans l'exhortation du Pape François "La joie de l'évangile".
A © Domenico Beccafumi / Museo dell'opera della metropolitana, Sienne, Italie
Au terme de la troisième campagne missionnaire de Paul, saint Luc relate son ultime voyage vers Jérusalem, marqué par plusieurs escales. A Milet, l’apôtre convoque les responsables de l’église d’Ephèse et leur tient un discours dont la forme rappelle les adieux des héros bibliques, comme Jacob (Genèse 49), Moïse
(Deutéronome), Mattathias (I Maccabées 2, 49-68). De plus, à cette époque, les Testaments des XII Patriarches, à savoir les douze fils de Jacob, connaissaient une large diffusion. Selon la loi du genre, le mourant convoque ses fils ou ses disciples pour leur donner ses ultimes recommandations. Il évoque quelques épisodes de sa vie, met en garde contre les périls du temps et invite à la fidélité à la Loi de Moïse. L'intérêt de ce discours est d’établir une charnière entre le temps des apôtres et le temps ultérieur où les églises doivent s'organiser pour durer dans la fidélité à la tradition reçue. Composé à partir de données traditionnelles, le texte met en valeur les caractéristiques de l'apostolat paulinien avec une note apologétique, en réponse aux critiques des judéo-chrétiens. Lisons d'abord le texte d'affilée, sans trop regarder les notes de nos bibles. Pour ma part, je regrouperai par thèmes les orientations de ce testament pastoral, et, pour illustrer leur actualité, j'évoquerai l'Exhortation du Pape François La joie de l’évangile.
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Le ministère de Paul « J'ai servi le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et au milieu des épreuves ». Les premiers mots donnent le ton : comme serviteur du Christ, Paul s’est engagé corps et âme pour sa tâche. A la différence des stoïciens, il ne cachait pas ses larmes, dans ses multiples épreuves (2 Corinthiens 11, 2233). La plus douloureuse venait de l’opposition des Juifs, ses frères. « J'ai prêché en public comme en privé », dans les synagogues comme sur l’agora d’Athènes (Actes 17). Homme de contact, sachant se faire tout à tous, Paul joignait à la proclamation publique de l’Évangile le souci de former les consciences, d’éduquer à la liberté chrétienne, par fidélité à l’Esprit Saint. Paul précise qu'il a annoncé le plan de Dieu en son intégralité (v.27). Il n'y a donc pas à rechercher d'autre révélation. Une belle formule doit retenir l'attention : « rendre témoignage à l’Évangile de la grâce de Dieu (v.24) ».
© James Steidl / Hemera
A la gratuité du message doit répondre le style de vie du prédicateur. C’est pourquoi Paul insiste sur son travail manuel, malgré les critiques des riches de Corinthe (I Corinthiens 9). Certes Jésus avait autorisé ses envoyés à vivre de l’Évangile (1 Corinthiens 9, 14), mais Paul tenait à travailler de ses mains pour sauvegarder son indépendance par rapport à des protecteurs fortunés. Au soir de sa vie, Paul déclare qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir la conversion de ses auditeurs : « Je suis pur du sang de tous » (v.26) La formule évoque la responsabilité du guetteur : s’il donne l’alerte sans être entendu, il n’est point responsable du désastre (Ezéchiel 3, 16-21).
La situation présente « Prisonnier de l'Esprit », Paul ne fixe pas lui-même sa route, mais se laisse conduire dans une complète disponibilité. Comme il l’avait écrit aux Philippiens, ce qui compte, c’est que le Christ soit exalté dans son corps, soit par sa vie soit par sa mort (Philippiens 1,20). De même que la marche de Jésus vers Jérusalem était ponctuée par les annonces de sa passion et de sa résurrection, Paul apprend de ville en ville que des chaînes l’attendent. Sa vie se conforme ainsi à celle du Christ.
Le ministère des épiscopes « Prenez soin de vous-mêmes et de tout le troupeau dont l'Esprit Saint vous a établis les gardiens (épiskopoi) ; paissez l'Église de Dieu qu'il s'est acquis par son propre sang. » (v.28) Alors que Paul avait convoqué les anciens (presbytéroi), il leur donne ici le titre d’épiskopoi. Comment comprendre ? A la manière des communautés juives, les églises locales étaient dirigées par un collège d’anciens (presbytéroi). Dans les églises du monde hellé-
© Eustache Le Sueur, Louvre. La prédication de saint Paul à éphèse
Oui, la prédication de la grâce en tant que don gratuit, immérité, accordé au pécheur (Romains 54, 5), est bien une caractéristique du message de Paul.
nistique, le terme d’épiskopos a été préféré, correspondant aux fonctions d’inspecteur, de surveillant, de gardien. À l’époque où Luc écrit, la distinction entre les ministères reste floue. Au début du second siècle, par contre, Ignace d'Antioche témoigne que dans chaque communauté il y a un seul épiskopos, assisté d'un collège de presbytres et de quelques diacres.
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L'investiture des responsables relève de l'Esprit Saint au cours d'une solennelle imposition des mains (I Timothée 4, 14 ; 5, 22). Marquant la personne à vie, la
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Lire la Bible grâce reçue n'en demande pas moins à être ravivée (2 Timothée 1, 6). Accordée au profit d'une communauté particulière, elle concerne aussi toute l'Église de Dieu, rachetée par le sang du Christ. Aucun groupe ne peut donc vivre replié sur lui-même.
Mise en garde « Veillez donc », car viendront des loups féroces qui n’épargneront pas le troupeau. Sous cette image sont visés des enseignants propageant des spéculations pernicieuses, comme Jésus l’avait annoncé (Matthieu 24,11). Selon les épîtres Pastorales on devine des spéculations d’origine juive et une prétendue connaissance (gnôsis), source du salut. Au second siècle, se développeront les divers systèmes gnostiques que saint Irénée combattra vigoureusement. En réplique, il faut s’en tenir fidèlement à la tradition reçue : « O Timothée, garde le dépôt, évite les bavardages impies et les objec-
tions d’une gnose menteuse (pseudognôsis). » (I Timothée 6, 23). Malgré les dangers, la confiance domine : « Et maintenant je vous remets à Dieu et à sa parole de grâce ». Comment ne pas penser au cantique de Syméon : « Maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur partir en paix. » (Luc 2, 29). Quant à Paul, il s’en remet à la puissance de la Parole, qui poursuit sa course dans le monde (2 Thessaloniciens 3,1) pour manifester la Grâce de Dieu (Actes 20, 25). Les dernières recommandations invitent à la générosité envers les malheureux. L'Apôtre ose se donner en exemple, ayant écrit aux Corinthiens : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ » (I Corinthiens 11,1). L'évangile n'est pas une simple doctrine, c'est un style de vie. Comme le relevait Paul VI, dans son Exhortation sur l'Évangélisation, « l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres. » (n°41)
▲ Victoire de Gedeon par Poussin.
© St Paul / Andrea di Bartolo
« Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir. » Venant de Jésus, cette parole, absente de nos évangiles canoniques, appartient au trésor de la tradition orale. Elle termine admirablement le discours sur la Grâce de Dieu. L’Exhortation du pape François sur La joie de l’évangile frappe par son ton personnel. L’ancien archevêque de Buenos Aires n’hésite pas à faire part de son expérience pastorale. Il s’engage luimême selon une spiritualité qui repose sur la lecture des écritures
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(n°174s). À plusieurs reprises est rappelée l’option préférentielle pour les pauvres (n°48 – 198). La catéchèse ne peut faire abstraction des problèmes sociaux. On comparera ces prises de position à l’attitude de Paul tenant à travailler de ses mains. « Rendre témoignage à l'Évangile de la grâce de Dieu » : y fait écho l'insistance sur la miséricorde et la rencontre personnelle avec Dieu. « Dans son incarnation, le Fils de Dieu nous a invités à la révolution de la tendresse. » (n°88) Sans minimiser l’importance du dogme, il convient de se concentrer d’abord sur l’essentiel (n°35), en respectant la hiérarchie des vérités (n°36). Cette position vient heureusement corriger l’impression de fixisme qui ressort des épîtres Pastorales et a trop longtemps régné dans l’Église. La confiance en l’Esprit Saint justifie une rénovation prudente dans l’expression de la foi et la célébration des rites. En convoquant les anciens d'Ephèse, Paul les encourageait à exercer collégialement leur ministère. Maintes fois le pape François a déclaré qu'il voulait restaurer une authentique collégialité dans l'Église pour le bien de la mission (n°32). Paul poursuivait sa route, sans tenir compte du danger. Le Pape secoue les ministres plus soucieux de leur petit confort que de l'évangélisation (n°81). Celleci est la tâche de tous, chacun selon ses possibilités particulières. « Ne nous laissons pas voler la joie de l'évangélisation ! (n°83) » Ajoutons : à l'exemple de Paul. édouard Cothenet
Spiritualité ignatienne
Discerner avec saint Pierre Favre Canonisé en décembre 2013 par le pape François, saint Pierre Favre a laissé une sorte d’autobiographie spirituelle, le Mémorial, où il fait relecture de ses prières. Celui qui a été considéré par Ignace comme donnant admirablement les Exercices peut nous guider pour mieux discerner nos mouvements intérieurs.
Que s’est-il donc passé, dans la prière, ce 15 juin 1543 ? Rien de
plus ni de moins que ceci : 34. Au jour octave du Corps du Christ, je désirais entrer en conversation avec le doyen de Spire, afin de lui être utile par les Exercices spirituels ; cherchant dans la prière ce que je ne pouvais pas encore obtenir dans la réalité, il me vint une dévotion que je n’avais pas encore éprouvée et qui consistait à prier d’abord son Père céleste, qui était le premier à l’attirer ; 2. sa Mère et sa souveraine, la mère de Jésus ; 3. son maître et comme son précepteur, l’ange gardien ; 4. Les saints et les saintes qui, tels des frères et des sœurs, ont pour lui une affection spirituelle spéciale. Il me sembla que c’était un bon procédé pour devenir l’ami de quelqu’un. J’eus donc l’idée de m’adresser au premier en disant le Pater noster ; à la seconde, l’Ave Maria ; à la troisième, Deus qui miro ordine angelorum ; aux quatrièmes, Omnes sancti tui, quaesumus, Domine, etc. 35. Il me parut aussi très nécessaire, pour mettre quelqu’un en de bonnes dispositions (et sans parler de ce qu’on peut faire pour lui), d’avoir une grande dévotion à tous les anges gardiens, car ils ont mille
façons de nous ouvrir les cœurs et de repousser la violence et les tentations des ennemis. Note ici, mon âme, et rappelle-toi que dans le passé notre Seigneur te donna une grande connaissance des tentations et des méfaits des démons. Cela t’amenait parfois à prier et à méditer à la suite sur les saints, sur les mystères du Christ, sur la Doctrine chrétienne ou sur les membres du Corps, etc. ; pour demander grâce contre ces ennemis, et surtout contre l’esprit fornicateur, afin que sa puissance n’habite plus dans tes reins mais soit
1. Belle citation de Pierre Favre dans La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique 171 du pape François, Bayard, Cerf, Fleurus-Mame, Paris 203, p. 157 : « Le temps est le messager de Dieu. ». © Br Podsiadty s.j. / sjweb
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Plus est fréquenté, comme par notre pape François1, saint Pierre Favre dans cette liasse qui assez vite prend le titre de Mémorial des désirs et des bonnes pensées du Père Maître Pierre Favre, plus est ressenti et même reconnu que, dans la grande dispersion qui la caractérise de toute manière – périodes de rédaction, composition, style, doctrine –, son unité est d’être comme un catalogue de discernements. Et un catalogue personnellement vécu qui se rend ainsi profitable et même imitable. Il est bienfaisant de s’exercer à lire et relire dans leur mouvement et, comme tels, ces événements de discernement. En voici un, le premier de ce qui appartient proprement au Mémorial, c’est-àdire au « souvenir des grâces que le Seigneur m’auraient donné de sa main dans la prière », comme le prévoit l’avant-propos de l’ouvrage. Rappelons que, entre cet avant-propos et les paragraphes 34-35, est développé la relecture par Pierre de son histoire jusqu'à ce jour. Le saut, abrupt, marque le début de ce qui n'aura son point final que quatre ans plus tard.
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Spiritualité ignatienne Bénis donc le Seigneur, mon âme, de t’avoir fait de tels dons pour rendre efficace le désir de cette sainteté du corps et de cette pureté de l’esprit, et de t’avoir accordé de garder, en éprouvant pendant si longtemps ces aiguillons nécessaires à la vertu de chasteté, l’espérance d’y parvenir.
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De la part de mon ange personnel, pour lequel j’ai une dévotion spéciale, je sentis aussi beaucoup d’aide quand je lui demandais de me défendre contre mon esprit mauvais et particulièrement contre l’esprit fornicateur2.
2. Bienheureux Pierre Favre, op. cit. note précédente, p. 137-13. Les « esprits animaux », terme de la psychologie médiévale, pour noter que, dans l’homme, le spirituel peut atteindre même le corporel, voir D. Bertrand, « Quatre discours cisterciens du xiie siècle sur l’âme », Cîteaux. Commentarii cistercienses, t. 63, 1-4, (2012), p. 179-191. 3. On a reconnu là des dispositions prévues par les Exercices spirituels. 4. Appelé par le mot « motion », cet aristotélisme n’est nullement hors de propos, étant donné la formation des compagnons à l’école de saint Thomas.
repoussé loin des lieux où tu es. Tu le demandais avec une grande dévotion spirituelle et une grande espérance de le voir se réaliser avant ta mort. L’Esprit saint te suggérait de faire appel instamment à sa bonté et à sa pureté, pour qu’il habite en ton corps comme en son temple, et dans ton esprit ; et aussi pour que les anges trouvent une demeure corporelle dans les esprits de ton corps, après en avoir chassé les ennemis. Cette limpidité éveillait en toi une grande espérance, et tu résolus, comme tu l’avais déjà fait depuis longtemps, de garder beaucoup de retenue dans le boire et le manger et dans toute ton activité extérieure, restant modeste, et voyant bien que c’était là une chose très nécessaire pour que les esprits mauvais perdent de leur pouvoir d’habiter ton corps et de mouvoir ton esprit, faute de trouver un cœur appesanti par la nourriture et la boisson.
Suivons les motions Que de choses en cette oraison, qui, normalement, n’a pas dû dépasser une heure 3 ! Suivons les motions tout d’abord en leur contenu de pensée. Surgit tout d’abord un projet apostolique. S’y greffe un aperçu nouveau sur la bonne façon d’intercéder apostoliquement, qui s‘élargit, au paragraphe 35, en une réflexion sur le combat des esprits, terrain de choix du discernement. Nouvel élargissement dans la mémoire de ce qui vient d’être cerné par l’intelligence dans la mémoire personnelle, tout éclairée au sujet de ses combats de l’âme en son corps, avec en conclusion une résolution de tempérance comme rempart de la chasteté dans le corps. Suit une bénédiction et une demande qui manifeste que toute cette ascèse retrouvée est divinement bienfaisante. Mais, toujours porteuses d’intelligences, les motions ont toujours une charge affective. Tout en
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pensant, Pierre passe d’un sentiment de distance par rapport à la réalité, mais ce qui pourrait être un début de désolation est balayé par une « dévotion », ellemême soulevée par le souvenir de « grandes dévotions » passées. La réflexion de bonne doctrine spirituelle est à son tour toujours animée d’une « grande dévotion » puis d’une « grande espérance », qui retire aux considérations sur la chasteté et la tempérance toute valence moralisante : Pierre entre par elles dans la bénédiction actuelle qui assure que la victoire n’est pas seulement à attendre « avec la mort », mais peut être effective aujourd’hui.
Le premier moteur est Dieu Tout se produit par les « motions », ce terme choisi par Ignace dans les Exercices, notamment dans les « Règles du discernement », pour désigner les atomes de la vie spirituelle. Ces motions apportent ou « consolation » ou « désolation ». En même temps elles sont toujours un mixte de cognitif et d’affectif. Selon cette dualité et cette complexité, les « motions » bougent et font bouger. L’orant en perçoit de lui-même le moteur ou doit être aidé à n’être pas dupe de quoi que ce soit ni craintif non plus. Le premier moteur est Dieu4, maître de tous les autres moteurs au profit de celui qui, à la fin de l’événement, ne peut s’empêcher de s’écrier : « Bénis donc [oui DONC, il y a un raisonnement] – le Seigneur, mon âme, de t’avoir fait de tels dons… »
En simple opposition pédagogique, nous trouvons éclairant de citer ici le dernier paragraphe du Mémorial, nous sommes en janvier 1546. Pierre n’a plus que six, sept mois à vivre. « Aux premiers jours de cette nouvelle année, je sentis se renouveler mes déficiences : l’expérience nouvelle que j’en avais me conduisait à une reprise nouvelle. Je sentis surtout que j’avais besoin d’une nouvelle sorte de recueillement intérieur ; je devais changer d’attitude au dehors et devenir plus recueilli, plus unifié, si je voulais trouver et retenir l’Esprit du Seigneur, qui sanctifie, redresse et consacre. Avant tout, c’était plus de silence et plus de solitude qu’il me fallait. Je sentis durant ces jours, par l’expérience des tentations, que j’avais besoin d’une grâce plus abondante pour résister au sentiment de ma pauvreté et aux diverses tentations nées de mes craintes, de mon indigence et de ma pénurie5. » Ramassée, cette « revue » d’oraison est pleinement une unité de discernement. Les motions y sont fortes jusqu’au bout, les moteurs travaillent dans la lumière de la reprise nouvelle et dans le mensonge de la pauvreté qui désole. Cette strophe est merveilleusement construite : aux extrémités, les ténèbres, autour du centre, la décision victorieuse, au centre « l’Esprit du Seigneur qui sanctifie, redresse et consacre ». Et l’orant produit cette formule saisissante de liberté cocréatrice : « L’expérience nouvelle que j’avais de mes
Qui est saint Pierre Favre ? Né en 1506 dans le Duché de Savoie, et décédé le 1er août 1546 à Rome, il est béatifié en 1872 par Pie IX, puis canonisé par le Pape François le 17 décembre 2013. Il est commémoré le 1er août, jour anniversaire de sa mort. D’une famille pauvre de bergers, ses parents acceptent son grand désir d’étudier. En 1525, il part étudier à Paris où il a François Xavier comme camarade de chambre. Peu après un autre les rejoint : Ignace de Loyola. Une profonde amitié se lie entre Pierre et Ignace. Lorsque, le 15 août 1534, le groupe des sept « Amis dans le Seigneur » rassemblés par Ignace monte à la chapelle de Saint-Denis à Montmartre pour se consacrer à Dieu par les vœux de pauvreté et chasteté, c’est Pierre Favre, récemment ordonné prêtre le 30 mai 1534, qui célèbre la messe et reçoit leur engagement religieux et apostolique. (voir Revue n°28 – mars 2014 – p. 27) Fin 1540, Pierre Favre commence une vie itinérante missionnaire en Europe, envoyé par le Pape, pour travailler au renouvellement spirituel et à la réforme du catholicisme. Il meut d’épuisement à 40 ans, dans les bras d’Ignace.
5. Op. cité note 2, p. 428-429
déficiences me conduisait à une reprise nouvelle. » L’accompagnement hautement apprécié de Pierre Favre n’a pas consisté à produire des sosies. Pierre Canisius n'est pas un sosie de Pierre Favre. De même on ne refait pas le Mémorial. Mais lire et travailler les traces écrites de ses discernements sont une incomparable école pour progresser dans l’efficacité réaliste de la voie ignatienne de spiritualité. Dominique Bertrand, s.j. Sources Chrétiennes, Lyon
Dominique Bertrand s.j. directeur de l’institut des Sources chrétiennes à Lyon de 1984 à 1999, membre de l’académie de Lyon, il est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Pierre Favre, un portrait », éd Lessius, mars 2007.
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Dernière revue d'oraison
▲ Les trois premiers compagnons
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Question de communauté locale
est-ce opportun d'Accueillir ?
La communauté régionale nous propose d'accueillir de nouveaux compagnons dans notre communauté locale. Sur quels critères pouvons-nous accepter ou refuser d’agrandir le cercle ? Des aspects concrets sont à prendre en compte, mais sont-ils les seuls ?
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Pour certaines communautés locales c’est évident : « Pourquoi on nous demande ? Ils savent bien qu’on va dire ‘oui’! » Pour d’autres l’évidence est inverse : « Nous sommes déjà neuf à partager, c’est bien trop lourd. Pourquoi perdre du temps ! ». Parfois, c’est au sein d’une même communauté locale que ces phrases peuvent résonner. La demande de l’équipe service d’accueillir de nouveaux compagnons dans une communauté locale vient toujours déranger. Elle dérange car la réponse semble évidente, du moins avant de la partager en communauté. Elle dérange car l’équipe était sur sa lancée, et il faut « utiliser » une réunion pour ce genre de détails. Elle dérange, car dans une certaine routine, il faut prendre du temps pour au moins s’interroger sur la place de l’autre, d’un autre dans la CL. Bref, il faut faire de la place, au moins à la question posée. Pour cela, prendre d’abord le temps de considérer sa propre situation. Un temps où chacun pourra dire ce qu’il ressent face à cet accueil possible, exprimer comment lui-même a été accueilli dans les diverses communautés. Il
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y a toujours la joie d’une nouvelle rencontre mêlée à la peur d’être bousculé. L’entendre chez les compagnons et le dire soi-même, afin du partir du réel de chacun. S’interroger également sur les capacités du groupe à accueillir. Où en est la communauté de sa croissance ? Y a-t-il des questions particulières à creuser, des discernements communautaires en cours ou demandés pour prochainement ? Si c’est le cas, accueillir une personne dans ces moments particuliers peut être gênant, à la fois pour l’accueilli qui se trouvera propulsé dans une rencontre à fort enjeu sans connaître les personnes et les situations, et pour le groupe qui voudra à la fois accueillir dans de bonnes conditions, faire connaissance et discerner ensemble. Les aspects matériels doivent apparaître au début de la rencontre, afin que chacun puisse exprimer ses réticences ou sa joie : la personne habite-t-elle loin ? Les déplacements chez elle sont-ils faisables par tous ? Du covoiturage est-il possible ? Est-ce un homme ou une femme ? Une personne seule ou un couple ? En début de carrière ou à la
retraite ? Sera-t-elle seule dans sa situation ? Cela va-t-il créer un déséquilibre ? Est-ce surmontable ? Est-ce un problème ou une chance ? Fait-on confiance à l’équipe service qui a déjà pesé de nombreuses possibilités avant d’adresser cette demande ? Les points de blocage ou de réticence révèlent quelque chose de nos peurs. Mais une trop grande générosité qui ne se teinterait pas de quelques réticences est également à interroger ! Une parole contradictoire est-elle possible, entendue, acceptée ? Au second tour, tout peut se passer : basculer vers des crispations comme vers plus de vie… Un temps à privilégier. Finalement les critères objectifs de temps, de distance, d’homogénéité… aussi importants soientils permettent souvent de mettre à jour d’autres enjeux plus enfouis : que souhaite vivre la communauté locale pour les mois, les années suivantes. N’hésitez pas à vous laisser déranger par l’équipe service régionale. De surprenants fruits peuvent apparaître derrière cette question anodine. Marie-Gaëlle Guillet
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Ensemble faire Communauté
En France
Enracinement : chemins de progression La période d’enracinement se tisse dans la vie ordinaire de la CL. C’est dans la trame de cette vie que différents points de progrès pourront être repérés et proposés pour plus de fruits. Le Pôle disciple à Toulouse nous expose l’outil aidant pour cette période.
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Parmi les outils mis à la disposition d’une CL en période d’enracinement, vous évoquez des « kits de progression » (RVX n° 29 p. 32). Pouvez vous préciser ? Après réflexion, les équipes du chantier se disent que l’expression « chemins de progression » serait plus appropriée : le mot kit fait référence à des outils « clef en main », tandis que le mot chemin indique une démarche, une proposition CVX pour ce temps d’enracinement. Repartons d’une Communauté locale : il se vit des choses entre compagnons. Le binôme Responsable/Accompagnateur qui a le souci de la progression des compagnons et de la communauté fait une relecture de ce qui se vit en CL grâce au « tableau 9 » (voir RVX n°30 p. 32). Il repère sur quel point la
CL pourrait s’enraciner davantage et par là recueillir plus de fruits. Il sait que pendant cette période, la communauté a des enjeux spirituels à vivre en expérimentant davantage le mouvement caractéristique de notre Communauté : « contempler, discerner, agir ». Pour chacun de ces trois temps du mouvement, le binôme pourra trouver plusieurs propositions pour favoriser la croissance de la CL. Le « kit de progression » sera le chemin que le binôme proposera de vivre à la CL à partir de ces propositions. Vous prévoyez donc un listing de propositions de réunions ? Ce n’est pas à proprement parler une liste de fiches de réunions. On trouvera aussi des propositions d’exercices à faire par les compagnons, ou des points d’attention à suivre ou une session ou une halte spirituelle à vivre… Le matériel n’est pas forcément donné tout fait, il peut se présenter sous la forme d’indications pour construire une réunion, une prière, un exercice. Il sert à soutenir la créativité de chaque CL. A terme, le binôme pourrait même construire des propositions en pleine autonomie. C’est donc le couple Respon-
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sable/Accompagnateur qui va faire des propositions de réunions en vue d’atteindre un fruit recherché ? Sans doute la première année, mais peu à peu, la CL entière pourra se mobiliser en vue de la croissance. Le binôme R/A va faire part aux compagnons d’un fruit qu’il serait bon d’atteindre dans cette étape de la période d’enracinement. Tous les compagnons de la CL vont alors pouvoir mettre en œuvre leur désir pour que ce fruit advienne. C’est le temps du discernement en CL. Ils vont ensemble demander au Seigneur une grâce en vue du fruit. Ils vont alors décider de choisir une démarche particulière à vivre à l’aide du matériel proposé. C’est le temps de l’envoi vers ce que la CL a à vivre. Pour le vivre ils vont se soutenir, s’entre-aider. Après avoir vécu ces propositions, ce sera le temps de recueillir, évaluer si le fruit désiré a été atteint. Cela ressemble au DESE ! Tout à fait, nous retrouvons bien Discerner, envoyer, soutenir, évaluer, notre moyen privilégié pour vivre le compagnonnage ignatien. Pôle disciple à Toulouse
diverses propositions pour la vie familiale Le Synode sur la famille d’octobre 2014, les orientations apostoliques données par la communauté mondiale à Beyrouth 2013, confirmées par l’assemblée de la communauté nationale à l’Ascension 2014, désignent la famille dans ses différentes configurations comme une frontière vers laquelle le Christ nous envoie. Depuis le congrès de Nevers 2010, une équipe réfléchit à diverses propositions pour les multiples situations familiales.
En 2013/2014 nous avons proposé deux week-ends pour expérimenter en famille les outils de notre spiritualité. Cet été 2014, une session d’une semaine a été proposée à Nevers (voir prochaine Revue de novembre 2014). D’autres vont venir. En 2014 nous avons pris le temps
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En 2012/2013 nous avons proposé deux week-ends pour oser la parole en communauté qui nous ont permis de rencontrer des membres divorcés, divorcés remariés ou qui vivent en concubinage. Ils furent l’occasion de découvrir que ces situations touchent un grand nombre d’entre nous et bien que la communication ne soit pas toujours très libre sur ces sujets, les membres qui vivent ces situations se sentent bien en communauté où ils sont reconnus pour leur foi et non pas jugés. L’épreuve pour beaucoup d’entre eux a été l’occasion d’un chemin spirituel remarquable grâce aux outils de notre spiritualité (Exercices Spirituels, accompagnement, prière personnelle) et la découverte du Christ qu’ils ont faite. Elle les invite à être témoins de la miséricorde auprès des plus petits.
de rencontrer quelques compagnons homosexuels ainsi que des compagnons parents d’une personne homosexuelle afin d’ajuster la proposition de deux week-ends. Ils s’adresseront aux membres qui vivent l’homosexualité et à ceux et celles qui leur sont proches. Un mail qui en précisera le contenu et permettra de s’y inscrire vous parviendra prochainement. Ces trois types de week-ends sont des expérimentations. Compte tenu de leur richesse pour les participants et pour la Communauté, nous envisageons à partir de 2015, avec l’aide des Grandes Régions, de multiplier ces propositions en France. Nous souhaitons aussi aborder ces questions dans des formations pour les accompa-
gnateurs de communautés locales. Avec l’espoir que ces expériences spirituelles, vécues en communauté, nous aident à faire des propositions originales dans le cadre de la pastorale familiale de nos diocèses. Nous confions ces projets à votre prière « Seigneur donne-nous la Sagesse assise auprès de toi ! ». Monique Sauvaige avec l’équipe famille Week-ends pour ceux qui vivent l’homosexualité et leurs proches • 14, 15 et 16 Novembre 2014 au Centre du Hautmont • 13, 14, 15 Mars 2015 au Centre Saint-Hugues de Biviers Septembre / Octobre 2014 33
Ensemble faire Communauté
En France
L’assemblée de la communauté de mai 2014 ESDAC : Kesako ? Exercices spirituels pour un discernement communautaire : est une démarche de communion et de discernement pour les groupes désireux de répondre à l’appel de Dieu. Elle s’inspire des Exercices Spirituels de saint Ignace, d’apports de la psychologie et de la sociologie. Elle s’adresse aux équipes, communautés, couples et collectivités en tout genre. www.esdac.net
Pour aider l’Assemblée de la Communauté à discerner sur plus de trois jours, une personne avec un regard extérieur a été appelée. Elle nous rapporte ce qu'elle a perçu des mouvements intérieurs de la foule lors de ces jours fin mai 2014 : fort attachement aux Exercices spirituels et présence au monde dans une radicalité.
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L’Assemblée de la communauté, qui est le lieu des grandes orientations de la CVX en France, s’est réunie avec pour but principal de discerner comment les orientations de l’Assemblée mondiale 2013 au Liban venaient impacter les orientations de la Communauté en France, telles qu’elles avaient été définies à l’Ascension 2012. J’y ai été appelé comme « témoin » de ce qui s’y passait et pour aider ponctuellement au discernement de l’assemblée. Un discernement en commun obéit à des règles analogues à celles du discernement person-
nel : les motions (ou mouvements intérieurs) qui affectent une personne se produisent aussi dans un groupe, surtout si ce groupe vit une « écoute jusqu’au bout » et une parole issue de la prière ; en prenant conscience de ces motions, on peut se rendre compte c o m me nt D i e u ag i t d a ns le groupe, quel appel il lui adresse… L’enjeu, pour chaque participant, était d’avoir constamment comme objectifs le bien commun et la croissance de la Communauté (où est-ce que je sens qu’il y a le plus de vie pour elle ?), sans accorder trop d’importance à ses idées personnelles. Il s’agissait de « tisser » les orientations que s’était fixées l’assemblée de 2012 avec celles résultant de la rencontre du Liban.
© Alain Ultré
Il faut bien comprendre qu’une « orientation » n’est pas une norme, mais une direction dans laquelle la Communauté est incitée à marcher et à faire preuve de créativité.
▲ Ami dans le Seigneur
J’ai constaté une grande maturité des personnes présentes et leur attachement à la Communauté, aux Exercices spirituels et à la
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présence quotidienne au monde dans une certaine radicalité. De beaux moments ont été vécus, montrant que le Seigneur était à l’œuvre. Il est toujours difficile de transmettre ce qui est de l’ordre d’une expérience ; le texte issu de l’assemblée donnera l’essentiel des fruits qui en résultent ; mais une rencontre avec l’un ou l’autre participant sera plus à même de rendre compte du vécu. J’ai compris que les orientations mondiales étaient perçues comme venant confirmer en grande partie celles de 2012 en donnant une perception plus vive que la communauté est une et mondiale. Il a été dit qu’il ne fallait pas parler de la CVX française ou de la CVX de France, mais qu’il était plus juste de parler de « la CVX en France ». Pour moi qui n’appartiens pas à la CVX, cette assemblée me l’a mieux fait connaître et j’ai senti une grande familiarité avec ce que je vis. Jacques Fremiot ESDAC
En France
20 ans de CVX à Biviers Il y a 20 ans, la Communauté était appelée à prendre la tutelle spirituelle du centre spirituel de Saint-Hugues de Biviers (Isère). Après un discernement, elle s’est lancée dans l’aventure sans trop savoir où elle allait. Nicolas Joanne fut le premier directeur de ce centre ; aujourd’hui il relit pour nous le chemin parcouru.
La maison, tenue par des jésuites portait la vocation d’être une maison d’Exercices Spirituels. A mon arrivée en 1994, quatre pères jésuites sont encore présents et entendent bien continuer à porter la dimension spirituelle et la conception du programme. Les membres de CVX, peut-être soulagés de voir un directeur nommé, attendent de voir ce qui va se passer. Ils essayent de se persuader qu’une ‘‘gestion laïque’’ permettra d’équilibrer les comptes. Ils ne mesurent pas encore l’implication communautaire que nécessite cette responsabilité nouvelle. Je ne suis pas beaucoup plus clairvoyant. Vous évoquez trois enjeux d’un centre spirituel : un programme d’activités, une présence communautaire, une gestion économique. Qu’est-ce qui a le plus évolué ? Probablement la clarification de la responsabilité de la Communauté dans l’appel à l’accompagnement. Depuis 20 ans que de progrès ont été faits ! De même, la réflexion autour d’une pédagogie spirituelle qui renouvelle la manière d’entrer dans l’expérience des Exercices, effort partagé par beaucoup dans la Communauté, ont trouvé ins-
piration et expérimentation à Saint-Hugues. Si nous sommes aujourd’hui reconnus comme partenaires par la famille ignatienne, comme dignes de confiance par des évêques, c’est en partie grâce à l’expérience vécue à Saint-Hugues. La reprise du centre a favorisé le sens d’une responsabilité collective. L’implication communautaire a-t-elle grandi ? Certes et la présence communautaire prend corps peu à peu. Au début de notre expérience, c’était un critère sensible : nous ne souhaitions pas vivre selon le modèle de la vie religieuse ou des communautés dites nouvelles. Mais il est vite apparu qu’un service spécifique, de l’accueil et de la prière, était à rendre dans une telle maison. Il passait par une présence communautaire visible. Mais quel modèle, quel rythme, de quel objet, qui doit en faire partie ? L’expérience relue a permis d’avancer, un peu ! Et il est clair pour ceux qui la fréquentent que la maison est ‘‘habitée’’. Si la forme se cherche encore, la CVX a mieux pris conscience qu’une manière de faire communauté originale est possible. Reste la question économique ? Le modèle économique du centre
© Biviers
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Que diriez-vous des commencements ?
Saint-Hugues n’est pas adapté. Les tarifs ne permettent pas l’équilibre, et encore moins le financement des investissements. Les charges sont appelées à augmenter ; le bâti est vieillissant, pas toujours aux normes, et le fonctionnement salarié de plus en plus coûteux. Cette réalité de la gestion économique doit être prise au sérieux. Elle est aussi un critère de discernement, dont on mesure l’urgence. Elle nous oblige à clarifier notre projet, à vérifier ce qui est essentiel. Elle nous incarne, ce qui pour des ignatiens est à vivre comme une grâce. Septembre / Octobre 2014 35
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
pourquoi Une Assemblée Européenne ? Comme tous les cinq ans, des délégués des CVX des différents pays d’Europe se sont retrouvés en juin 2014. Que peuvent-ils apporter de plus à la CVX, à chacun de ses membres ? Voir les différences et les points communs est un des premiers pas de ce travail qui ouvrira sur d’autres chantiers.
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Dans l’année qui suit l’Assemblée mondiale, les communautés CVX de chaque continent se retrouvent pour en approfondir le message, à la lumière de ce que vit chacun dans sa communauté nationale. En général, trois délégués par pays : le Président, l’Assistant national et l’Eurolink (qui porte plus particulièrement le service de ce lien européen). Vingt communautés nationales : du Portugal à la Lituanie, de l’Irlande à Malte, deux observateurs (la Suède et la Roumanie/Transylvanie) et trois invités du Moyen Orient se sont retrouvés pendant les fêtes de Pentecôte 2014. Des communautés « confirmées » ou nouvelles, renaissantes ou en déclin apparent…
frontières » évoquée par le père Adolfo Nicolas sj, à Beyrouth ? « Simplement » (sic) en suivant l’exemple de Pierre Favre, nous dit le Pape François : s’engager activement aux bornes de notre société, en restant relié à notre centre (formation solide, soutien de nos compagnons), en acceptant que tout ne dépende pas de nous mais de Dieu,… et en priant d’abord pour aimer ceux que nous rencontrerons ! Des expériences « transfrontalières » ont transformé les communautés qui les ont vécues et les ont partagé à cette occasion : un weekend commun Alsace/ Lorraine/Luxembourg (voir Revue n°30 p. 33), comme un lien régulier entre la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche, comme celles évoquées lors de la journée internationale du 26/04 dernier à Paris (voir p. 38)…
© Nasa
Pour prier, réfléchir, partager : comment vivre cette sagesse « aux
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Pour repartir. En amis dans le Seigneur, il est bon de repartir après avoir partagé ce que nous souhaitions rapporter chez nous : un désir de collaboration pour les Lettons, les Lituaniens, les Portugais ; une ouverture active aux jeunes pour les Slovaques, les Luxembourgeois, les Anglais, les Lituaniens ; une coopération dans
la formation des accompagnateurs de Communauté locale pour les Autrichiens, les Hongrois… La Communauté France avec le Luxembourg, l’Italie, l’Espagne, a suggéré que la question des migrations soit considérée comme une priorité commune. Elle s’est sentie également touchée par le sujet de la transmission : jeunesse, formation, coopération… Mais Denis Dobelstein de l’Exco monde (équipe service mondial) a rappelé qu’élire une nouvelle équipe de coordination comme l’Euroteam (un des objectifs de cette Assemblée) c’était aussi s’engager avec elle… De quoi réfléchir avant de voter… et se réjouir de l’élection d’une Française (lire ci-contre) ! Anne Lémant déléguée Europe, Eurolink Que faire pour la CVX en Europe ? • Me réjouir que des fiches de formation « CVX France » soient utilisées en Belgique et aux Pays Bas. • Aller voir le site d’une autre communauté nationale et en tirer profit. • Prier pour les communautés en construction ou en reconstruction • Accueillir dans nos formations CVX France.
Une équipe service pour l’Europe élue en juin 2014 lors de l’assemblée européenne, l’Euroteam est l’équipe en charge d’animer les différentes communautés d’Europe. Une française fait partie de cette nouvelle Euroteam. Comment Claudine Drochon est-elle arrivée là, qu’attend-elle de ce service ? ont réjouis et peut-être transformés aussi.
Claudine Drochon : Cela commence par un appel pour ce service. Je ne m’y attendais pas du tout. Avec la joie, me sont venues aussi des résistances : je voyais bien toutes les raisons de dire ‘non’ : manque de temps, une pratique de l’anglais plutôt rudimentaire et des questions sur le sens de cette structure… Pourtant, malgré mes doutes, cet appel me revenait sans cesse en tête. Ce fut lent, mais j’ai compris que je ne pouvais pas mettre un couvercle sur mes expériences passées qui me conduisaient là, ni sur ce goût pour la communauté internationale qui montait en moi. Tout avait commencé en Inde, lorsque j’y ai découvert la CVX, en préparant une rencontre de Taizé. Dans les années 90, je fus Eurolink puis déléguée à l’Assemblée mondiale d’Itaïci (1998). Je l’ai vécu comme une petite expérience de l’Église universelle.
Enfin, j’ai eu la chance de participer à la commission, préparant en France l’Assemblée mondiale du Liban. Je m’en suis sentie très proche, très concernée et profondément touchée par le document final.
Ces dernières années, nos vacances se sont enrichies des rencontres avec des membres de la CVX au Portugal, en Croatie, en Slovénie, en Lituanie, au Luxembourg… des rencontres toutes simples qui nous
Quel rôle peut jouer l’Euroteam ? C . D . : N o u s s o m m e s q u a t r e membres élus pour cinq ans : Luisa Bonetti d’Italie, Ann Sieuw de Belgique flamande, Bianka Speidl de Hongrie et moi. Nous nous réunirons au moins trois fois par an. Nous aurons à inventer des façons de travailler à distance mais en communion. Pendant notre mandat, nous proposerons deux rencontres spécifiques pour les Eurolinks et deux autres pour les assistants. Il s’agit de favoriser le lien entre communautés nationales, d’améliorer la communication entre elles, comme par exemple la proposition de vacances européennes pour permettre la rencontre. Enfin, en lien avec l’équipe service mondiale (ExCo), à partir du document final du Liban et surtout des priorités nommées par les dif-
© Droits Réservés
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Comment devient-on membre de l’Euroteam ?
férentes communautés nationales lors de l’assemblée européenne de Regensburg (voir ci-contre), nous essaierons de favoriser la mise en œuvre d’un de ces projets qui peuvent concerner plusieurs communautés européennes : une meilleure communication sur les formations d’accompagnateurs, les initiatives avec les jeunes, une priorité autour des migrants réfléchie à différents niveaux avec pourquoi pas (mais là, je rêve un peu…) la possibilité de vivre une expérience de solidarité dans des camps de réfugiés et de la relire… Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet Septembre / Octobre 2014 37
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
La CVX France est-elle « mondialisable » ? Avec 25 000 compagnons sur les cinq continents, la CVX rassemble plus de 3 000 équipes. Mais cette réalité, si belle soit-elle, a-t-elle une consistance ? Que représente le fait d’appartenir à une communauté mondiale, se sont demandé des membres lors d’une journée dite « internationale ».
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sagesse compréhensible par nos contemporains, croyants ou non croyants ? Deuxième constat : la réalité mondiale est déjà expérimentée en France. La région Loire-Océan parraine la jeune communauté de l’île Maurice. Cinq compagnons français rejoindront le Zimbabwe cet été lors du rassemblement « Magis Africa ». Des membres de SaintHugues de Biviers se retrouvent avec des compagnons libanais pour une marche commune chaque été. La CVX Gironde a initié des « télé-rencontres » par skype. Nécessaires à l’édification d’une conscience communautaire, ces échanges ouvrent aussi à d’autres façons de faire comme en témoigne la CVX des Pays de l’Adour : à Bilbao, les compagnons se retrouvent tous les 15 jours et choisissent ensemble les actions
© CVX – CLC
Voir sur editionsvie chretienne.fr des initiatives concrètes que chacun peut faire, même sans quitter sa chambre.
Pour approfondir la question d’une communauté mondiale, 40 membres venus de 26 communautés régionales françaises sur les 46 actuelles se sont réunis en avril 2014. Premier constat : les travaux de l’Assemblée mondiale réunie au Liban l’été dernier, ont trouvé écho dans plusieurs communautés régionales. Les interventions de Franklin Ibanez, secrétaire exécutif et d’Adolfo Nicolàs, assistant de la Communauté, ont servi à l’organisation de week-ends et de recollections. Fait d’autant moins anodin qu’elles renvoient aux questions les plus fondamentales : à quelle(s) mission(s) les laïcs sont-ils appelés ? Quelle place la CVX peut-elle tenir dans les évolutions actuelles de l’Église ? Sommes-nous capables d’inventer un nouveau langage de
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collectives auxquelles ils se consacreront au cours des trois prochaines années. CVX est ainsi passée du désir de « devenir un corps apostolique de laïcs dans l’Église » (Nairobi, 2003) au constat que « nous sommes une Communauté mondiale ». A titre personnel, en communauté locale ou régionale, emparons-nous de cette grâce ! Thierry Pichon Do you speak CLC ? L’anglais, l’espagnol et le français sont les langues officielles de CVX ou CLC (Christian Life Community). Le siège international est à Rome dans les locaux de la curie générale des jésuites. Un secrétaire exécutif mondial est chargé de son administration en lien avec le jésuite vice-assistant mondial, Luke Rodriguez. Le Conseil Exécutif (« l’Exco ») est élu pour 5 ans. Son Président actuel est Mauricio Lopez (Mexique), l’Europe est représentée par Denis Dobblestein (Belgique). La CVX compte 63 communautés nationales. Avec 6 200 membres, la France est la plus grande communauté, la plus petite est Salvador (16).
Billet
Une amitié sans condition
Aujourd’hui, Valérie n’abandonne pas son amie très diminuée qui vit dans un établissement de soins. Marie ne parle plus et semble ne plus rien ressentir lui disent ceux qui s’occupent d’elle. Valérie n’en croit rien. Elle s’insurge contre cette résignation qui lui semble une démission, parfois une maltraitance. Se bat pour qu’elle soit davantage entourée, stimulée, aimée - « sa dignité ne peut lui être enlevée ». Qu’elle ait part à l’eucharistie. L’an dernier, elle l’a emmenée nager. Marie, au début apathique, a retrouvé des mouvements de poisson. Elle riait, battait des mains. A Noël, elle l’a emmenée dans le Sud. « Alternance de bonheurs et d’aridités ». Depuis, la dégradation physique rend difficiles ces déplacements. Valérie n’abdique pas. Elle lui parle, d’elle, de Dieu, de ce mystère qui fait basculer sa vie. Elle partage des moments avec des « frères » de Marie qui vivent dans une proche condition.
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« J’ai pensé à Marie et me suis dit : ‘c’était ma meilleure amie.’ » Était ? En évoquant cette réflexion, Valérie se révolte, me raconte-t-elle, à l’idée de l’imparfait qui s’est imposé à elle. Marie est pourtant vivante. Toutes deux ont une longue histoire commune : des voyages, des dîners, des promenades, des prières, des moments intenses de partage. Un jour, Marie a appris le nom de cette maladie qui transformait ses pensées, ses souvenirs, son harmonie intérieure : Alzheimer. La vie et l’amitié ont continué. Marie sentait grandir le mal et Valérie l’accompagnait, écoutant son désarroi. Elle était là pour lui rappeler que Marie n’était pas seulement une malade mais une sœur. Une somme de joies, de souffrances, de vie, une « histoire sacrée ».
Son amitié, sans condition, ne demande rien. Sa joie comme ses tourments pour Marie se nourrissent de riens et d’espérances infimes ou infinies. Le Royaume est fait de ces espoirs et de ces riens. Jean François
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Prier dans l’instant
Devant un cadre numérique Accueillir des membres de la famille, recevoir un cadre numérique. Surprise de ce cadeau inattendu. Lui trouver une place est chose facile. Il y a une place sur une étagère et une prise toute proche ! Et voici que défilent déjà quelques photos glissées dans la clé USB, délicate attention de ces proches qui m’offrent ce présent.
© Armel G.
Une parole me revient quelques jours plus tard : « Tu verras, cela anime une pièce » Alors, je me pose et regarde les photos défiler de manière aléatoire. Elles vont et viennent sans ordre établi, tranquillement, certaines repassent deux trois fois de suite, puis laissent la place à d’autres. Tout à coup, je réalise qu’une prière monte de mon cœur. Te louer Seigneur pour ce paysage, cette fleur, cette marmotte, ces visages familiers et souriants. Faire mémoire aussi d’événements vécus avec ce groupe de personnes, Intercéder pour telle autre… Oui, aujourd’hui, devant ces photos, je me tourne vers toi, Seigneur… Je sais que ce cadre numérique anime la pièce, qu’il devient aussi un des lieux possibles de ma rencontre avec toi pour contempler une parcelle de ce monde… Merci Seigneur et louange à toi ! Catherine Raphalen
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Septembre / Octobre 2014