Vie chrétienne Nouvelle revue
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Au service des migrants Crois en Dieu et tu croiras en toi !
D’une même humanité
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Secrétaire de rédaction : Marie Benêteau Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie Benêteau Marie-Elise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Yves de Gentil-Baichis Marie-Gaëlle Guillet Dominique Hiesse Anne Missoffe Barbara Strobel Comité d'orientation : Alice Bertrand-Hardy Marie-Agnès Bourdeau Nicolas Joanne Anne Lemant Claire Sébastien Béatrice Mercier Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : ©iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
Sommaire éditorial l’air du temps La violence des jeunes par Jean-Marie Petitclerc chercher et trouver dieu
D’une même humanité
Témoignages Vers une Église à partir des pauvres Jean-Claude Caillaux Jésus restaure l’humanité de tout homme Hélène Castaing Paroles du pape, paroles d’autorité ? Jean-Luc Fabre s.j.
babillard se former Trois, quatre, cinq… manières de prier Michel Le Poulichet Au service des migrants Annette Godard Le discours de Paul à Athènes Edouard Cothenet Crois en Dieu et tu croiras en toi ! Jacques Fédry s.j. Lire ensemble le Récit du pèlerin Alain Chausson ensemble faire communauté Au service des familles Lancer l’année pour les jeunes Formation : un nouveau chantier Vacances européennes en Roumanie La Communauté mondiale, un corps en marche La joie de la Lituanie billet La mauvaise herbe et la blanchisseuse Cora Doulay prier dans l’instant En aidant un proche à déménager Dominique Pollet
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à ser – vie chrétienne – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr
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Éditorial
continuer sur la lancée
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Une année se termine, une autre commence… occasion de faire du neuf à partir de ce qui a été reçu. Des évènements importants ont marqué l’année 2013 et nous n’avons pas fini d’avancer sur les chemins qu’ils ont ouverts. Ainsi, il nous a paru pertinent de reprendre, dans le dossier de ce numéro, la réflexion sur la relation avec les plus pauvres, initiée par Diaconia et reprise à l’Université d’été de la CVX1. De même, nous avons laissé une large place aux orientations de l’Assemblée de la Communauté mondiale, qui ouvrent des perspectives pour une communauté de laïcs. Pour les éditions Vie Chrétienne, il s’agit de tenir le cap, dans une période de changements. Le comité de rédaction doit faire face à des départs et se renouveler. Marie Benêteau, secrétaire de rédaction, dont beaucoup ont apprécié la vitalité, change de travail. Sa collaboration efficace et amicale se termine et c’est maintenant Marie-Gaëlle Guillet qui occupera ce poste.
»
Quant à Dominique Hiesse, il quitte la direction des éditions. C’est en grande partie à lui, que nous devons la nouvelle formule de la revue, qui entre dans sa cinquième année ; et c’est lui qui a mis toute son énergie pour redynamiser l’édition des livres. Bravo pour tout ce qui a été réalisé ! Et un grand merci ! Bénéficiant de l’impulsion donnée, que cette mission de partager le trésor ignatien au plus grand nombre continue avec des forces renouvelées !
L’équipe de rédaction souhaite à tous une bonne nouvelle année !
Marie-élise Courmont 1. L’Université d'été de la CVX a eu lieu du 22 au 25 août 2013 sur le thème « Travailler pour la justice par une option préférentielle pour les pauvres et un style de vie simple ». Voir la revue Vie Chrétienne n°26 p. 34-35.
Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr
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L'air du temps
La violence des jeunes Depuis des années, on explique la violence des jeunes en invoquant l’enfance difficile, l’échec scolaire, le chômage. Mais aujourd’hui s’y ajoutent des éléments nouveaux que pointe avec beaucoup de lucidité Jean-Marie Petitclerc.
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Les images d’actualité nous saturent avec les règlements de compte entre jeunes dans les quartiers sensibles de Marseille ou d’ailleurs. Cependant n’avezvous pas l’impression que les actes de violence physique, et surtout verbale, sont en augmentation chez les jeunes de tous les milieux ?
d’autres modes de résolution des conflits que la parole ou l’action violente en leur apprenant la négociation, l’arbitrage, la médiation. Certes, mais les parents trouvent cette éducation de plus en plus difficile aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé en une vingtaine d’années ?
La violence à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est un problème d’adultes. Ceuxci doivent apprendre à l’enfant qui grandit à gérer ses frustrations et à maîtriser ses pulsions agressives car la violence est le moyen naturel premier de régler les conflits. Il revient donc à l’adulte d’initier les jeunes à
© Corinne Simon / CIRIC
Jean-Marie Petitclerc est prêtre salésien, polytechnicien, éducateur spécialisé et a dirigé à Argenteuil puis à Lyon l’association le Valdocco. Il a publié, entre autres, Mon combat contre la violence, entretiens avec Yves de Gentil-Baichis, Bayard, 2005.
D’abord le processus éducatif est difficile à mettre en œuvre dans une société moins sûre d’ellemême, incertaine sur son avenir et qui vit de profondes mutations. Ce qui a changé c’est la grande prégnance de ce que j’appelle la culture entre pairs, la culture entre jeunes qui s’est développée avec internet et les réseaux sociaux. Elle a forgé ses propres codes et envahi l’espace de l’école et de la famille. Ainsi de nombreux jeunes, physiquement présents le soir chez leurs parents, continuent de vivre affectivement et culturellement dans la sphère de l’entre-jeunes. Dans ce contexte, les repères donnés autrefois en famille et qui souvent permettaient de réguler la violence, sont de plus en plus difficilement transmissibles.
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Mais qu’est-ce qui provoque la sortie de route ? Quand je communique par Facebook ou Twitter, l’autre n’est pas en face de moi et l’empathie ne peut pas fonctionner. Or c’est la proximité concrète de l’autre et l’empathie ainsi engendrée qui peuvent imposer une certaine limite aux paroles et aux actes violents. Quand l’autre n’est pas présent devant moi, les barrières disparaissent et la violence non canalisée peut se donner libre cours pour ironiser sur les défauts de l’un, se venger d’un autre ou accuser sans preuve. Ce harcèlement fonctionne et fait des victimes même dans les quartiers huppés. Je pense en particulier à ce lycéen qui mettait sur Facebook tout ce qu’il reprochait à un autre élève, ne craignant pas que le texte soit lu par soixantedix personnes. Et quand je lui ai demandé s’il serait capable de dire tout haut ce qu’il écrivait si son camarade était en face de lui, il a tout de suite répondu : « Non c’est impossible ». Les nouveaux outils de communication peuvent donc être générateurs de violence dans la mesure où ils ne permettent pas de percevoir la peine et l’humiliation de l’autre.
N’est-ce pas aussi le danger de certains jeux vidéo et de certains films où la violence se déploie sans barrières ? La consommation de jeux et de spectacles violents a pour effet direct d’abolir la frontière entre le réel et le virtuel. Je pense à ces pratiques de jeunes qui filment avec leurs portables une scène où leur copain prend des coups. Ceux qui filment sont dans le virtuel et s’y maintiennent en ne revenant pas dans le réel pour défendre leur camarade. Or c’est la perception de la souffrance de l’autre qui permet d’établir des barrières entre le réel et le virtuel. Si celles-ci sont abolies, plus rien ne fait obstacle à l’expression de la violence.
Au début, le bébé n’est attentif qu’à lui-même et on doit apprendre progressivement aux enfants à se mettre à la place de l’autre. La règle fondamentale de toute morale n’est-elle pas d’abord « Ne fais pas à l’autre ce que tu n’as pas envie qu’on te fasse » ? Or, cette capacité à se mettre à la place de l’autre est ce qui manque terriblement à beaucoup de jeunes que je rencontre. Il faut donc aider l’enfant à se structurer pour différencier le réel du virtuel. Le christianisme peut-il aider les familles dans leur tâche éducative ? Certainement, mais à condition
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Que peuvent faire les parents dans ce contexte ? de ne pas vouloir ignorer l’existence de l’agressivité. Dans certains milieux cathos, où l’on veut éviter à tout prix la violence, on ne permet pas à l’enfant de prendre en compte son agressivité, qui est une réaction naturelle. Quand quelqu’un vient contrecarrer notre projet, nous pouvons être agressifs mais nous devons absolument respecter la personne à laquelle nous nous opposons. Or le contraire de la violence c’est le respect. Jésus manifeste un grand respect pour les personnes montrées du doigt, exclues, marginalisées. Il n’a jamais identifié ceux qu’il rencontre à leurs actes si répréhensibles soient-ils.
Et quand Jésus nous dit « Aimez vos ennemis », je traduis sa formule en « Respectez vos ennemis » car ce sont des personnes qui ont la même valeur que moi et la même dignité d’enfant de Dieu que moi. Le respect est le meilleur antidote contre la violence qui pénètre en force dans l’espace d’intimité d’autrui. S’il est habité par le respect de l’autre, un jeune trouvera, quels que soient ses griefs, les mots pour parler à son camarade sans le démolir. Propos recueillis par Yves de Gentil Baichis janvier / février 2014
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Chercher et trouver Dieu
d’une même humanité La rencontre des autres nous permet-elle de reconnaître que nous sommes liés par une même humanité ? Pas toujours. Suzanne note que l'on peut avoir une vie relationnelle creuse et superficielle. Germaine se méfie de la toute-puissance de l'aidant. Monique redoutait beaucoup de s'occuper de personnes profondément handicapées. Jacques se souvient de rencontres conflictuelles qui l'ont agressé. Et pourtant, ils ont fait la riche expérience de rejoindre leurs frères en humanité. Encore fallait-il dépasser les « mascarades relationnelles » et accepter d'être sans armes parmi les écorchés de la vie, les handicapés profonds et les parents durement éprouvés. Quand les défenses tombent et que l'on accepte d'être soi-même vulnérable, aux côtés des plus démunis et les plus fragiles, on fait une découverte bouleversante : nous sommes vraiment de la même chair et du même sang. Jean-Claude Caillaux nous entraîne plus loin quand il nous invite à penser à partir du plus exclu car c'est le plus pauvre, le plus ignoré et le plus ignorant qui doit inspirer nos attitudes. Pour des chrétiens cela ne veut pas seulement dire « être attentif aux pauvres » mais se laisser façonner, transformer, évangéliser par eux.
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Yves de Gentil Baichis
Témoignages « Même chair, même sang ». . . . . . . . . 8 Un regard qui rend vivant. . . . . . . . . . . 9 Une fragilité partagée. . . . . . . . . . . . . 10 Au-delà des mots. . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Contrechamp Vers une église à partir des pauvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
éclairage biblique Jésus restaure l’humanité de tout homme. . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Repères ignatiens Paroles du pape, paroles d’autorité ?. . . . . . . . . . . . . . . . 16 Pour continuer en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
« même chair, même sang » Alors que tout les séparait, Suzanne découvre à travers les SDF qu'elle côtoie des frères en humanité, lui redonnant le goût de la relation véritable.
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J'avais « tout », me disait-on, et c'était vrai : confort matériel depuis toujours, métier, revenus, logement, famille (mes parents et mes sœurs)… Mais ma vie relationnelle était creuse et superficielle, sans parler de mes relations commerciales au sein desquelles je m'efforçais de préserver un peu d'honnêteté et d'authenticité, à contre-courant. J'avais besoin d'un appel d'air, et je l'ai trouvé.
Loin des mascarades relationnelles dont j'étais fatiguée, je découvrais à leur contact les émotions à l'état brut, joies, colères, désespoir, amours et haines exacerbées, et nous tentions de composer ensemble une nouvelle partition à partir de tout cela, dans laquelle chaque mesure marquait une victoire sur le néant et la désespérance.
Tout semblait nous séparer, de nos origines à nos préjugés réciproques les uns sur les autres, et pourtant, dans nos échanges, nos préparations de repas en commun nos éclats de rires, nos veillées de chants, le même refrain montait en moi comme un leitmotiv : « Même chair, même sang ». Pétris de la même humanité, des mêmes fragilités, du désir de les dépasser et de célébrer un moment de bonheur, nous devenions très proches.
Dans nos différences, nous avions trouvé une complémentarité et nous écrivions une page d'espoir et de revanche sur l'obscurité et parfois sur l'absurdité. Bien sûr, il y a eu durant ces sept années, des temps de crise, de violence, de tentatives de suicide, de révolte, que nous avons collectivement dépassés du mieux que nous pouvions. La charge émotionnelle était intense au quotidien, et la juste distance relationnelle se cherchait entre nous en permanence.
© Corinne Simon / CIRIC
Pourtant, mon air bourgeois faisait sourire nos accueillis au début, avant que mon vernis, devenu inutile, tombe de lui-même. Eux, écorchés de la vie, qu'on appelait SDF (sans domicile fixe) à l'époque, avaient manqué de tout, depuis toujours. Au quotidien, ils
luttaient pour leur survie psychologique en tout premier lieu mais aussi pour retrouver une identité personnelle, familiale, professionnelle, et ne serait-ce qu'une adresse autre qu'une domiciliation administrative impersonnelle.
▲ Un bénévole et un accueilli dans une paroisse à Paris.
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Mais ce qui demeure gravé en moi de cette période essentielle de ma vie est une belle solidarité réciproque. La vie prenait enfin sens, en profondeur. J'ai beaucoup grandi intérieurement, mûri dans mon approche du monde et de la foi, du message de Jésus, et suis bien sûr encore en chemin. Suzanne
un regard qui rend vivant Aide-soignante à la retraite, Germaine découvre, par la fragilité des personnes âgées ou des migrants, un lieu où Dieu peut rayonner.
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À travers mon métier d'aide-soignante, j'étais sans cesse confrontée à des personnes « amoindries », qui avaient perdu leurs facultés physiques et intellectuelles. Parfois, je me disais « À quoi bon ». Mais, en creusant la relation, je pouvais parfois être surprise. Je me souviens d'un ancien professeur qui avait perdu la tête. En jouant au scrabble avec lui, j'étais frappée de voir qu'il retrouvait certaines capacités intellectuelles. Il me raconta des souvenirs : je découvrais une autre personne. Le fait de prendre du temps pour être avec lui l'avait autorisé à revivre ce qu'il était en profondeur. Avec mes patients, j'étais sans cesse déplacée dans mes préjugés. Au-delà de l'aspect technique du soignant, j'aimais aller ainsi à la rencontre de l'autre. Ce qui n'était pas d'emblée naturel et demandait de me faire violence car tous ces gens étaient dépendants de moi et je pouvais en faire ce que je voulais : décider du moment de leur toilette, etc. La toute-puissance du soignant renvoie au désir de toute-puissance que nous portons tous en nous, qui est renforcé quand on n'a pas le temps, quand on est agacé, etc. (et les conditions de travail n'étaient pas franchement favorables au recul). Cela m'a permis de sans cesse me remettre en cause pour
que mon humanité grandisse et que j'apprenne à respecter chacun, quelle que soit la condition apparemment amoindrie dans laquelle il se trouve. Une fois à la retraite, j'ai poursuivi ce chemin en accompagnant des migrants. En grande précarité, ils sont dépendants pour tout : se nourrir, se loger, s'exprimer… Qu'ils aient été importants ou 'bien placés' dans leur pays, en arrivant ici, ils ne sont plus rien, ils ont tout perdu. Quelles que soient leur histoire, ou leur culture, que je ne comprends pas toujours très bien, ce qui compte, c'est la réciprocité dans la relation. Je ne viens pas leur apporter quelque chose – je ne les sauverai pas – mais je peux juste être là, gratuitement, dans la confiance. Dans
nos différences, je découvre que nous avons tous les mêmes besoins fondamentaux : aimer, être aimé. Sur ce chemin d'humilité où je dois faire le deuil de ma toutepuissance, j'apprends à accepter l'autre tel qu'il est, à toujours aller plus loin dans l'écoute et la rencontre. Moi, je ne peux pas gérer seule cette différence. J'ai besoin de me mettre devant la croix du Christ. Dieu vient naître sur la paille de nos fragilités. Il se donne dans cette fragilité ouverte. À la manière dont il vient lui-même nous rencontrer, il nous montre comment rejoindre l'autre dans son humanité, avec un regard qui ne gomme pas les différences, les respecte, et 're-suscite' l'autre dans son être profond. Germaine
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
une fragilité partagée Au creux de nos conversations, la parole donnée en vérité, notamment sur nos faiblesses, nous rapproche en humanité.
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En rencontrant « les autres », aije l’impression que nous faisons partie de la même humanité ? Parfois, mais pas toujours, si j’en crois les rencontres de mes dernières vacances.
dernier roman à la mode et le parcours scolaire de leurs enfants. Et puis on se quitte, en ayant l’impression d’avoir passé un moment plutôt agréable. Sans avoir vraiment avancé en humanité.
Certaines, heureusement rares, ont été conflictuelles et ont creusé un fossé entre moi et cette personne qui n’hésitait pas à m’agresser dans mon espace privé. Sur le moment, je n’ai pas du tout perçu un frère en humanité…
On ne fait cette expérience que si les gens osent aborder un sujet qui leur tient vraiment à cœur et dont ils parlent sans masque. Je pense à ce couple dont l’enfant a des grosses difficultés en classe et qui se pose mille questions : que faire ? Comment le prendre ? A qui s’adresser pour l’aider ? Notre amour pour lui est-il maladroit ? Trop envahissant ?
C’est en acceptant de laisser tomber l’armure qui cache mes limites et mes failles que peut s’établir une vraie communication avec ceux que je rencontre. Même si nos soucis sont différents, on se sent alors tissés de la même étoffe, celle d’une fraternelle humanité. On y parvient, sans forcement beaucoup parler. Je pense à ces amis qui m’avouent leur détresse en apprenant que leur fille est plaquée par son mari qui la laisse seule avec deux jeunes enfants.
Ce jour-là, j’aurais pu rester à distance et ne rien dire mais j’ai pensé à l’itinéraire très chaotique
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J’ai eu aussi des rencontres sans problèmes avec des amis et des cousins éloignés. Les hommes parlent du boulot, de voiture, commentent les résultats sportifs et les femmes échangent des recettes de cuisine, évoquent le
de mon fils qui voulait lâcher l’école en quatrième. On a pu alors échanger en vérité en évoquant nos erreurs et nos propres maladresses. Nos réussites aussi qui ont permis de redonner à notre fils une confiance qui l’a aidé à refaire surface.
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A ce niveau, pas de recettes, ni conseils car les mots sont souvent inappropriés et maladroits. Mais une écoute chaleureuse manifeste que je suis proche, même si je n'ai aucune potion magique à proposer car nous sommes aussi désarmés que ceux qui souffrent. C’est en acceptant de partager une fragilité commune que la communication parvient à rejoindre notre humanité la plus profonde. Jacques
au-delà des mots Comment aller à la rencontre d'un autre que l'on perçoit très différent ? Monique a dû surmonter ses craintes dans la catéchèse d'adolescents handicapés. Cela lui a permis d'être touchée par leur joie et de vivre de vraies rencontres.
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J'ai suivi une formation par le diocèse et me voilà lancée avec un groupe de huit jeunes de treize à vingt ans souffrants de handicaps profonds. Nous commençons par goûter ensemble, ils arrivent avec le sourire et m'embrassent. C'est un moment de bonheur. La plupart ne parlent pas, n'écrivent pas. Qu'inventer pour les intéresser ? Chacun a un cahier à lui, je photocopie de petits textes, des images sur la vie de Jésus et ils les collent sur leur cahier, je sens qu'ils s'y mettent. Que comprennent-ils ? Je n'en sais rien. Mais ils sont heureux et tiennent beaucoup à leur cahier même s'ils ne peuvent y écrire, et c'est un vrai bonheur pour moi. On les croit absents, alors qu'ils ne perdent rien. Leurs réactions « nature » me touchent toujours.
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Arrivant dans une nouvelle paroisse, un prêtre me propose de prendre en catéchèse un groupe d'adolescents handicapés. J'ai d'abord eu peur : j'avais bien une expérience en catéchèse avec des ados, mais c'était par un groupe de théâtre où nous avions monté des pièces à partir de la vie de saints. J'y avais appris que l'amour et la mise en action valent mieux que l'apprentissage mot-à-mot. Mais là, que leur proposer ?
Faire le catéchisme à ces jeunes m'apporte une véritable joie. En les côtoyant je perçois leurs réactions spontanées, leur ouverture à l'autre. Caroline ne parle pas, je propose à sa mère de venir à Lourdes avec le pèlerinage diocésain. Au retour, sa mère me présente à une amie devant Caroline, elle s'écrie alors « Lourdes ! ». C'était la première fois que j'entendais un mot sortir de sa bouche. C'était sa façon de raconter sa joie de ce que nous avions vécu ensemble au pèlerinage. Au départ, j'avais tendance à croire qu'ils étaient chacun dans
leur bulle, indifférents à ce qui les entourait. J'ai compris que c'est tout le contraire. Ils sont extrêmement sensibles à l'affection qu'on leur porte. C'est en partageant ces moments avec eux que j'ai découvert que nous sommes, les uns comme les autres, avec nos différences, de même sensibilité et ouverts aux autres. Par eux, j'ai reçu bien du bonheur. Je les confie à Dieu et je Le remercie de m’avoir permis cette expérience car ces rencontres étaient un véritable bonheur. « Mon Dieu, vous m'avez beaucoup donné grâce à eux, je fais ce que je peux, à vous de faire le reste ! » Monique janvier / février 2014 11
Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
Vers une Église à partir des pauvres Sommes-nous assez ouverts pour nous laisser évangéliser par les plus pauvres, demande Jean-Claude Caillaux, théologien, permanent d’ATD Quart-monde.
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En ce qui regarde les personnes qui ont la vie la plus dure, la plus précaire, la plus pauvre 1, on a compris, peu à peu et à bon escient, qu’il ne fallait pas faire pour, mais avec. Est-ce si sûr pourtant que l’avec engendre une relation de moindre surplomb que le pour : le prince qui donne au manant ? Car on peut fort bien agir avec des personnes en situation de précarité tout en gardant dans le poing les rênes fermement serrées et conduire l’attelage à leur place !
1. Attention à ne pas rabattre la précarité sociale (être exclu de la vie ordinaire, et le cumul des handicaps sociaux) sur la précarité anthropologique (vulnérabilité de la naissance et de la mort, la maladie, la fragilité inhérente à tout être humain). Ce serait en obscurcir le scandale en la banalisant. Contrairement à ce que l’on ne cesse de répéter (par quelle crainte ?), nous ne sommes pas tous pauvres, - ou bien dit autrement et ainsi être vraiment compris : nous ne sommes pas tous misérables.
Le plus pauvre, une source Il convient d’aller beaucoup plus loin et de laisser s’opérer un réel retournement : être et faire à partir des plus pauvres. Ce qui n’est bien sûr pas s’évader de ce qu’il est encore et toujours nécessaire de faire pour et avec tous ceux qui sont abandonnés sur le bord du chemin. Mais cet être et faire à partir de, attitude réellement nouvelle dans la pratique habituelle, engendre un recadrage : fonder ce que nous faisons, les uns et les autres, à partir de l’expérience de vie des plus pauvres, de leurs désirs et de leur pensée,
et non plus à partir de nos seuls projets et bienveillances. Il s’agit là de « la présence devenue féconde du plus pauvre 2 ». Une vraie conversion. C’est-àdire un changement de manière de penser et d’agir. Une autre manière d’être. Un autrement, sans aucun verbe qui le précède : non pas aider autrement (avec plus de respect, d’invention, d’efficacité…), mais autrement qu’aider qui conduit à donner la priorité au plus pauvre, le mettre au centre, être à partir de lui. Un tel retournement engendre autre chose : c’est lui, le plus ignoré et le plus ignorant, qui doit devenir « notre source de pensée 3 ». Il s’agit alors d’un changement où c’est la référence qui change : si quelqu’un d’autre devient le centre ou le cœur, c’est le tout qui en sera modifié. À la vérité, la seule garantie épistémologique pour penser le monde de la façon la plus exacte (c’est-à-dire la plus exhaustive) réside dans le fait de le penser à partir du plus exclu, - sinon celuici restera à jamais en dehors de la construction de l’avenir. Comme
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le résume le père Joseph Wresinski : « Savoir ce que pensent les plus pauvres est l’expertise essentielle, car c’est aussi l’expertise de ce qu’attend de nous Jésus Christ.4 »
L’Église à partir des pauvres De la même manière, affirmer que l’Église doit être une Église pauvre pour les pauvres est encore se mettre dans une démarche de haut en bas, de celui qui a à celui qui n’a pas. En effet une telle perspective suppose que l’Église est déjà constituée, avec une logique autonome par rapport aux pauvres, et qu’ultérieurement seulement elle se demande ce qu’elle doit faire pour eux. Mais qu’est-ce au juste, ou que serait, une Église à partir des plus pauvres ? Ce n’est pas seulement une Église dont les portes sont largement ouvertes et où tous peuvent venir. C’est une Église où les premiers invités sont les plus pauvres et où, à partir d’eux, tout le peuple de Dieu peut se rassembler. Une Église pour tous sans exception n’est possible en effet
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Jean-Claude Caillaux, est membre fondateur de la « Fraternité de la Pierre d’angle ». Il a animé le groupe « Place et Parole des Pauvres » au sein de Diaconia 2013. Il a notamment écrit Petite vie de Joseph Wresinski, Ed. DDB, 2007.
que si la priorité est donnée sans condition au plus pauvre, lui le garant de l’exhaustivité. Cela ne signifie pas seulement, non plus, une Église préoccupée par les pauvres et qui les aide : elle est alors une Église pour les pauvres, qui représente une mise en œuvre éthique qui, pour urgente et nécessaire qu’elle puisse être, n’est pas nécessairement ecclésiologique. L’Église pourrait devenir une simple ONG humanitaire, dont parlait le pape François au tout début de son pontificat. À l’inverse, une Église à partir des pauvres pose un problème strictement ecclésiologique : il s’agit de l’être même de l’Église. Vivre l’Église à partir des plus pauvres, ce pourrait être laisser résonner l’appel à renaître d’en
bas : le « naître d’en haut ou de nouveau » (Jean 3, 3 et 5) est un « naître d’en bas », depuis les indésirables et les insignifiants. La démarche à laquelle nous sommes alors invités n’est pas du tout seulement de ne pas oublier les pauvres ou de leur donner une place (ce qui serait déjà bien, mais resterait au début du chemin, nous laissant croire avoir parcouru toute la route). L’enjeu est de leur donner la préséance, la priorité, de les mettre au centre ; et de penser nos pastorales et l’organisation de l’Église avec et à partir d’eux. Ce qui n’est bien sûr pas dire qu’ils sont le tout de l’Église, mais qu’ils en sont le moteur, ceux à partir desquels l’unité de tous peut prendre corps et effectivité en dehors de l’illusion.
On dira : c’est impossible ! Mais, le savons-nous ? rien n’est impossible à Dieu, - et cette parole du Christ vient juste après l’épisode de l’homme riche qui ne peut suivre Jésus car il avait de grands biens… Mais ce n’est pas si simple… Les Églises sont-elles prêtes aujourd’hui à écouter ceux qu’elles n’ont le plus souvent perçus que comme les bénéficiaires de ses services ? Et à apprendre d’eux, dans et à partir de la situation qui est la leur aujourd’hui.
2. René Macaire, La mutance, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 108. 3. Joseph Wresinski, Les pauvres sont l’Église, Paris, Le Centurion, 1983, p. 211. 4. Joseph Wresinski, op. cit., p. 217.
Ce qui, pour chacun de nous, signifie : sommes-nous ouverts assez pour nous laisser évangéliser par les plus pauvres ? Jean-Claude Caillaux
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Chercher et trouver Dieu
éclairage biblique
Jésus restaure l’humanité de tout homme 01 Ils arrivèrent sur l’autre rive du lac, dans le pays
des Géraséniens.
possédé d’un esprit mauvais sortit du cimetière à sa rencontre ; 03 il habitait dans les tombeaux et personne ne pouvait plus l’attacher, même avec une chaîne ; 04 en effet on l’avait souvent attaché avec des fers aux pieds et des chaînes, mais il avait rompu les chaînes, brisé les fers, et personne ne pouvait le maîtriser. 05 Sans arrêt, nuit et jour, il était parmi les tombeaux et sur les collines, à crier, et à se blesser avec des pierres. 06 Voyant Jésus de loin, il accourut, se prosterna devant lui et cria de toutes ses forces : 07 « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? Je t’adjure par Dieu, ne me fais pas souffrir ! » 08 Jésus lui disait en effet : « Esprit mauvais, sors de cet homme ! » 09 Et il lui demandait : « Quel est ton nom ? » L’homme lui répond : « Je m’appelle Légion, car nous sommes beaucoup. » 10 Et ils suppliaient Jésus avec insistance de ne pas les chasser en dehors du pays. 11 Or, il y avait là, du côté de la colline, un grand troupeau de porcs qui cherchait sa nourriture. 12 Alors, les esprits mauvais supplièrent Jésus : « Envoie-nous vers ces porcs, et nous entrerons en eux. » 13 Il le leur permit. Alors ils sortirent de l’homme et entrèrent dans les porcs. Du haut de la falaise, le troupeau se précipita dans la mer : il y avait environ deux mille porcs, et ils s’étouffaient dans la mer. 14 Ceux qui les gardaient prirent la fuite, ils annoncèrent la nouvelle dans la ville et dans la campagne, et les gens vinrent voir ce qui s’était passé. 15 Arrivés auprès de Jésus, ils voient le possédé assis, habillé, et devenu raisonnable, lui qui avait eu la légion de démons, et ils furent saisis de crainte. 16 Les témoins leur racontèrent l’aventure du possédé et l’affaire des porcs. 17 Alors ils se mirent à supplier Jésus de partir de leur région. 18 Comme Jésus remontait dans la barque, le possédé le suppliait de pouvoir être avec lui. 19 Il n’y consentit pas, mais il lui dit : « Rentre chez toi, auprès des tiens, annonce-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde. » 20 Alors cet homme s’en alla, il se mit à proclamer dans la région de la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui, et tout le monde était dans l’admiration.
Marc 5, 1-20 (trad. Bible Jérusalem)
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 27
© Berna / www.evangile-et-peinture.org
02 Comme Jésus descendait de la barque, aussitôt un homme
Dans ce texte, deux camps sont opposés qui sont pourtant d’une même humanité : un « homme possédé d’un esprit impur », face à des gens qui ont cherché en vain à le « maîtriser ». Les liens sont rompus entre lui et eux. Nous sommes invités à contempler Jésus qui restaure le lien : qui recrée l’humanité. Regardons ce possédé « avec la vue de l’imagination », comme dit saint Ignace. Il n’est pas présenté comme humain : nu, « il pousse des cris, et se taillade avec des pierres » ! Appelons « blessure », « déchirure », « exclusion », « pauvreté », « handicap », « malheur »… la légion qui le possède. Chacun trouvera le mot qui lui convient. Qu’est-ce qui hurle en moi ? Cet homme, à cause de ‘ce qui hurle en lui’, n’a plus figure humaine. Non pas qu’il ne soit plus humain, mais ce qui fait de lui un homme est caché aux yeux du monde qui ne le reconnaît plus comme tel. La foule a cherché à le « dompter », le « lier », car elle est prise (possédée ?) par la peur ! Elle est effrayée comme je peux l’être par la souffrance, la pauvreté, l’exclusion. Peur de l’impuissance ? De toutes façons, qu’y puis-je ? Peur de la contagion ? Peur de me reconnaître d’une même humanité ? Quelles sont mes propres peurs devant la détresse de mon prochain ? « On » n’a su l’approcher que pour le lier, lié qu’on est, soi-même, peut-être, par ses propres limites. On regarde à distance. Est-il besoin, pour s’approcher de l’exclu, de mettre au clair ses propres ténèbres ? D’avoir pu nommer ce qui m’habite ? De voir à partir de quelle réalité je peux avancer ? Jésus se laisse rejoindre sans peur : « Aussitôt (qu’il) eut débarqué, vint à sa rencontre le possédé ». Aussi loin que soit enfouie sa part d’humanité, c’est elle que Jésus désire rejoindre, car « le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Luc 19,10). Avec l’autorité du créateur qui « sépara la lumière des ténèbres » (Genèse 1,4), Jésus met de l’ordre dans sa création. Il envoie les démons dans les porcs qui sont, dans cette culture, ce qu’il y a de plus contraire à l’être humain : aussi dissemblables de l’homme que l’homme est à la ressemblance de Dieu. Il recréé le lien entre les Géraséniens : à l’un Il redonne son statut d’homme (« assis, vêtu, et dans son bon sens »). Aux autres, Il ne fait pas la morale, ne les pousse pas hors de leurs limites (ils ont peur)
mais avec soin et douceur, se plie à leur rythme : « Ils se mirent à le prier de s’éloigner : il monte dans la barque ». Maintenant, c’est de Jésus qu’on a peur, et c’est Lui qu’on exclut. Vivant de l’amour du Père, Il prend sur Lui cette peur et cette exclusion qu’il portera avec sa croix et s’en va : Lui qui a vaincu Légion s’incline devant la volonté des hommes. Il ne s’impose pas à eux mais leur laisse un messager : « Va chez toi, auprès des tiens, et rapporte-leur… » Le verbe grec dit presque « fais surgir la vérité ». (Fais vivre le lien que j’ai recréé entre vous ?) « …Tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde. » Jésus conclut avec la miséricorde de Dieu comme pour insister sur le fait que l’essentiel est là. Et on entend saint Paul nous dire comme en écho : « Accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu ! » (Romains 15, 7) Hélène Castaing CVX
Points pour prier Demander la grâce d’apprendre à reconnaître l’humanité en tout frère. Composition de lieu : par exemple une image de création : ténèbres et lumière se séparant sous l’action de Dieu. (Genèse 1,4)
+ Chercher deux regards sur le possédé. Le sien propre, se tailladant (s’auto-jugeant sévèrement et s’auto-punissant). Celui de Jésus, qui le regarde venir à sa rencontre. (« Moi non plus je ne te condamne pas », Jean 8,11)
+ Regarder la puissance de Jésus donnant vie, créant du lien, soumettant la mort… Et son effacement quand on le prie de s’éloigner.
+ Entendre pour soi-même : « Va chez toi, auprès des tiens, et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde. »
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Chercher et trouver Dieu
Repères ecclésiaux
Paroles du pape, paroles d’autorité ? Les prises de parole du pape François donnent un nouveau style à la papauté. Considéré comme ‘infaillible’ pour le magistère, le pontife n’hésite pourtant pas à se montrer avec ses faiblesses. Paroles de vérité, qui, avec autorité, nous ouvrent ainsi au mystère de l’humanité.
L
1. Nous ferons abondamment référence à l’interview du pape François aux revues culturelles jésuites, réalisée par le P. Antonio Spadaro, s.j. A lire sur www. revue-etudes.com 2. « Il y a toujours en embuscade le danger de vivre dans un laboratoire. Notre foi n’est pas une foi-laboratoire mais une foi-chemin, une foi historique. Dieu s’est révélé comme histoire, non pas comme une collection de vérités abstraites. Je crains le laboratoire car on y prend les problèmes et on les transporte chez soi pour les domestiquer et les vernir, en dehors de leur contexte. Il ne faut pas transporter chez soi la frontière mais vivre sur la frontière et être audacieux. »
Le thème de ce dossier, « La rencontre de l’autre et la découverte de nos fragilités nous permettent de reconnaître que nous sommes d’une même humanité », interroge la manière dont peuvent prendre la parole, au sein de l’Église, les personnes en responsabilité de la régulation de la foi. Ce sont des paroles fraternelles adressées à notre liberté.
Une parole personnelle Force nous est de constater que, depuis Jean-Paul Ier au moins, les papes ont tous parlé d’eux, de leur cheminement humain, de leur évolution dans la foi, souvent à l’occasion de livres d’entretiens. Cette manière n’est pas du nombrilisme mais une prise en compte authentique du statut ecclésial de leurs paroles. Personne dans l’Église ne peut parler vraiment, en étant bardé de certitudes apprises, il ne le peut que dans une reconnaissance de sa propre fragilité confessée, du don qui lui est fait de la foi en la promesse.
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Dans cet article, nous cernons la manière dont le pape François se situe 1 lui-même. Il se présente d’abord comme faillible, ayant même failli. De ce lieu du pardon reçu, une parole d’un certain style surgit envers les autres, chaque personne humaine, les autres chrétiens. Cette manière du pape François peut déplacer notre manière de concevoir la parole d’autorité. C’est bien d’un autre savoir que celui de la démarche scientifique qu’il s’agit. La vie véritable n’est pas une affaire de laboratoire2 mais un appel incontournable à la foi de chacun, portée par celle de tous. A la question « Qui est Jorge Mario Bergoglio ? », le pape François répond « Je ne sais pas quelle est la définition la plus juste. Je suis un pécheur. C’est la définition la plus juste. […] Un pécheur sur lequel le Seigneur a posé son regard ». Et de fait, Jorge Mario Bergoglio dit les difficultés profondes dans lesquelles l’a plongé son tempérament, notamment lorsqu’il était provincial jésuite d’Argentine : « Je ne me suis pas
toujours comporté ainsi. Je n’ai pas toujours fait les consultations nécessaires. Et cela n’a pas été une bonne chose. Au départ, ma manière de gouverner comme jésuite comportait beaucoup de défauts… Je prenais mes décisions de manière brusque et individuelle… Avec le temps, j’ai appris beaucoup de choses. Le Seigneur m’a enseigné à gouverner aussi à travers mes défauts et mes péchés. » C’est de ce lieu existentiel du pardon reçu que s’origine son attitude profonde d’ouverture, de confiance offerte, de dialogue, de sa nécessité de vivre avec d’autres, qu’il maintient en devenant pape.
Dieu, proche de tout homme À travers tout cela, le pape François reçoit les moyens d’adresser à tout homme, à tout chrétien, le message en paroles et en actes : que nous avons tous à être pleinement nous-mêmes et pour cela en communion profonde avec les autres, de la même humanité, travaillée par le Seigneur et son don, en recherche de conversion.
Cette prise en compte radicale de sa propre identité amène le pape François à redire d’une manière très personnelle et communicative, d’attester : le mystère de l’Église comme mystère de communication, le mystère aussi de tout homme comme être singulier. Cela lui donne une capacité renouvelée d’interpellation d’autrui.
« Pour ma part, j’ai une certitude dogmatique : Dieu est dans la vie de chaque personne. Dieu est dans la vie de chacun. Même si la vie d’une personne a été un désastre, détruite par les vices, la drogue ou autre chose, Dieu est dans sa vie. On peut et on doit Le chercher dans toute vie humaine. » Cela rejoint l’intuition fondatrice d’Ignace, dont l’action d’accompagnement présuppose l’action première et intime de l’Esprit dans le cœur de son interlocuteur quel qu’il soit. Cela trouve son application pratique dans le dialogue pastoral selon François. « Nous entrons ici dans le mystère de l’homme. Dans la vie de tous les jours, Dieu accompagne les personnes et nous devons les accompagner à partir de leur condition. Il faut accompagner avec miséricorde. Quand cela arrive, l’Esprit Saint inspire
© Alessia Giuliani / CIRIC
Voilà quelques expressions clefs du pape François. Laissons-nous toucher par ces quelques phrases, qui reprennent à frais nouveaux ce que jadis proclamait JeanPaul II : « L’homme est le premier chemin de l’Église, et un chemin fondamental » mais avec François dans un style plus concret, plus existentiel. le prêtre afin qu’il dise la chose la plus juste ».
L’ouverture aux frontières Cela oriente une compréhension de l’Église avant tout comme tissu de relations. La transmission se produit alors par la rencontre, rencontre entre deux personnes, qui donne à l’autre et aussi à soi de percevoir l’œuvre de l’hôte intérieur dans la rencontre. « L’image de l’Église qui me plaît est celle du peuple de Dieu, saint et fidèle. […] L’appartenance à un peuple a une forte valeur théologique : Dieu dans l’histoire du salut a sauvé un peuple. Il n’y a pas d’identité pleine et entière sans appartenance à un peuple. Personne ne se sauve tout seul, en individu isolé, mais Dieu nous
attire en considérant la trame complexe des relations interpersonnelles qui se réalisent dans la communauté humaine. Dieu entre dans cette dynamique populaire. Le peuple est sujet. » Pour nous qui cherchons à être aux « frontières », cet appel qui suscite aussi une parole chrétienne renouvelée : « Quand j’insiste sur la frontière, je me réfère à la nécessité pour l’homme de culture d’être inséré dans le contexte dans lequel il travaille et sur lequel il réfléchit ». « Pour développer et approfondir son enseignement, la pensée de l’Église doit retrouver son génie et comprendre toujours mieux comment l’homme s’appréhende aujourd’hui. » Jean-Luc Fabre s.j. Assistant national de la CVX janvier / février 2014 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Relire les moments où je me suis senti appartenir à la même humanité avec quelqu’un, alors que tout semblait nous séparer. Qu’est-ce qui a permis cette rencontre ? Quel temps, quel changement de regard cela a-t-il demandé ? Quelles conséquences pour la suite ? - Suis-je en contact avec des hommes et des femmes aux périphéries de l’Eglise ou de la société ? Qu’est-ce qui est difficile ? Qu’est-ce qui est heureux ? Comment cela me transforme et m’instruit ? - « Etre et faire à partir des plus pauvres », comment je reçois et comprends cette invitation ? pour moi ? pour notre groupe ? en Communauté ?
A lire : « J'ai besoin de toi pour découvrir que Dieu, c'est vrai » étienne GRIEU s.j. – éditions Salvator, octobre 2013 127 pages – 12,90 € À travers ce petit livre facile d’accès, étienne Grieu invite les chrétiens à découvrir de l’intérieur la dynamique de Diaconia : vivre une authentique expérience spirituelle dans la rencontre des hommes et des femmes qui, selon l’expression du pape François, restent aux « périphéries » de la société et de l’église. L’homme humilié, la hauteur cachée Christus n°208 octobre 2005 – 10 € Qu’est-ce qui nous rend humains ? Jean-Louis Lamboray – éditions de l’Atelier, avril 2013 – 160 pages 18,00 € L'auteur raconte dans ce livre comment en Thaïlande, en Ouganda, au Congo, aux Philippines, en Inde, au Brésil, en Belgique et ailleurs plus d’un million de personnes reprennent leur propre destin en main et parviennent à faire face à des enjeux majeurs de société. Ce récit invite à dépasser les frontières qui séparent experts et présumés ignorants, dirigeants et présumés dirigés et propose à tous de cheminer ensemble. Un site internet existe également : questcequinousrendhumains.com
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Les pauvres sont l’église Joseph Wresinski – éditions du Cerf, réédition d’avril 2011 304 pages – 20,00 € Depuis son enfance au milieu des pauvres, une conviction habite le père Joseph Wresinski : l’église, communion des fidèles autour du Christ est, par nature, axée sur les plus misérables. Quand l’homme le plus méprisé est oublié, l’humanité est cassée, l’Église est absente et le Christ bafoué. Dans tes pas Guillaume de Fonclare – éditions Stock, février 2013 – 96 pages – 12,50 € "Un matin, mon meilleur ami s’est donné la mort, sans s’expliquer ni s’être lamenté. Et comme c’était un garçon solide, il n’est pas mort tout de suite, il nous a laissé croire quelques heures qu’il allait se remettre, et qu’il pourrait nous expliquer ce que nous avions raté". À travers ce livre se dévoile le mystère d’une amitié improbable. Le monde commence aujourd’hui Jacques Lusseyran – éditions Silène, octobre 2012 – 128 pages – 16,00 € Résistant aveugle, déporté au camp de Buchenwald entre janvier 1944 et mai 1945 puis professeur de littérature dans une université américaine, Jacques Lusseyran fait le récit de son existence et l’élargit à une pensée qui aborde la poésie, le silence, l’enseignement, la cécité et quantité d’autres thèmes.
Babillard © B. Strobel
La création dans la tourmente financière Rencontre nationale de l’Atelier CVX Chrétiens Co-responsables de la Création (CCC) avec étienne Perrot s.j. Les 25-26 janvier 2014 Au centre de pastorale de Clermont-Ferrand
Quelle posture personnelle promouvoir pour honorer cette vocation chrétien ne « cultiver et garder la Création » en intégran t la dimension financière ? Dans notre rapport à la Cré ation, comment passer de la complexité de la fina nce mondiale à une action personnelle ?
Pour plus de renseignements : cvxatelierccc@gmail.com cvxccc.free.fr
Ignace de Loyola, une pensée par jour Textes recueillis par Dominique Salin s.j. Médiaspaul – Octobre 2013 – 6,00 € En 1705, un jésuite hongrois publia un almanach ignatien (une pensée par jour), qui eut un immense succès. La présente publication s’inscrit dans ce courant : offrir une maxime par jour empruntée aux diverses œuvres d’Ignace, en s’adaptant autant que possible aux cycles de l’année liturgique. À travers cette anthologie le lecteur trouvera une méthode de vie spirituelle basée sur l’adoration et l’accomplissement de la volonté divine qui l’aidera à découvrir le Christ, à l’aimer, à marcher à sa suite.
Animation et éveil spirituel des enfants per Vous avez du goût à vous occu les oir pouv riez aime vous s, fant d’en leur lité, itua éveiller à notre spir ns en faire découvrir ce que nous vivo (e) seul e indr rejo z vene , auté mun com le les équipes d’animation enfants.
ou en coup » : Pour l’une des « Retraites Familles 2014 et juill 26 au 20 du : ’h boc • Pen 4 • Biviers : du 10 au 16 août 201 en communauté » ou pour la session « Six jours 2014 et juill • Penboc’h : du 13 au 19 che parcours adapté à chaque tran En faisant vivre aux enfants un joie la t c’es , ans) 3 – tout-petits (0 d’âge (3-12 ans), ou en gardant les expérience communautaire et une pe équi en et e mêm de vivre soits. spirituelle au service des plus peti
n@cvxfrance.com
Contact et renseignements : formatio
« Personne n’est trop pauvre pour n’avoir rien à dire » Le DVD n° 2 de Diaconia est désormais disponible. A partir de vidéos du rassemblement, il donne des éléments sur la mise en place des forums et l’animation participative, permettant la parole de tous. Il explique aussi le travail du groupe Place et parole des pauvres.
Ce DVD est à commander à l’adresse : commande@diaconia2013.fr, au prix de 15 €
« Place et parole des migrants » Texte issu d’un échange de groupe d’une quinzaine de personnes, migrantes et non migrantes organisé par le Réseau Chrétien-Immigrés (RCI), avec notamment des membres de l’atelier CVX étranger.
A retrouver sur www.cvxfrance.com, onglet La communauté, Les ateliers, L’atelier CVX étranger janvier / février 2014 19
Se former
école de prière
Trois, quatre, cinq… manières de prier En relisant les trois manières de prier qu’évoque saint Ignace dans les Exercices spirituels1, Michel Le Poulichet nous permet de les redécouvrir pour mieux les utiliser dans la vie quotidienne.
L 1. Voir Exercices spirituels de saint Ignace, de 238 à 260.
2. Jalons pour prier – n°380 Bethy Oudot 12,90 € Sur www.editionsvie chretienne.com
L’éventail des manières de prier est très large. Certains, ayant goûté une certaine façon de faire, par exemple en retraite, tentent de la reproduire à l’identique. D’autres se méfient de toute méthode et valorisent la créativité. Entre les deux, beaucoup tâtonnent et aimeraient bien de l’aide.
Première manière : à partir d’une liste
demander : comment progresser demain ?
Ignace indique qu’on peut prier avec les dix commandements en les considérant un par un. Ou bien avec les sept péchés capitaux et leurs contraires : orgueilhumilité, avarice-générosité…
Conclure par une courte prière : Notre Père, prière du cœur « Jésus, fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ». Puis passer à la suite : « l’amour rend service » et continuer de même…
Ne perdons pas de vue qu’une méthode est toujours un moyen en vue d’un objectif : celui de rencontrer Dieu, de se laisser modeler par sa Parole au point de changer intérieurement et dans son agir. Fort de cette visée, il y a à expérimenter une manière de faire, à relire ce qui s’est passé pour retenir finalement ce qui semble profitable.
Bethy Oudot dans Jalons pour prier 2 détaille d’autres pistes : prier avec les cinq sens, sur les personnes de sa famille, avec les parties de son corps… Je vous propose deux nouvelles pistes.
Terminer la prière par un dialogue en vérité avec le Seigneur.
Saint Ignace, dans ses Exercices, nous propose volontiers des méditations et des contemplations et il accorde aussi de l’importance à ce que nous nommons la prière d’alliance. Et nous trouvons, à la fin du livret, trois manières de prier, trois manières simples destinées à préparer aux Exercices1. Nous allons nous en inspirer pour une pratique dans le quotidien, chez soi, en marchant, dans le métro…
La première en prenant l’hymne à la charité en 1 Corinthiens 13,4-8a : « L’amour prend patience, l’amour rend service,… l’amour ne passera jamais ». On procède alors comme Ignace le recommande : trouver le calme intérieur, considérer ce qu’on va faire, entrer en prière, demander une grâce pour tout le temps de la prière. Puis considérer les premiers mots « L’amour prend patience ». M’interroger : comment ai-je vécu cela aujourd’hui ? De quoi puis-je rendre grâce à ce sujet ? De quoi ai-je à demander pardon ? Et me
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Une autre piste : prier sur les compagnons de ma communauté locale ou de tout autre groupe. Pour chacun, en voyant par exemple son visage, me demander : En quoi puis-je rendre grâce pour ce compagnon ? De quoi puis-je lui demander pardon ? Que demander au Seigneur pour lui, pour notre relation ? Conclure par une courte prière. Puis passer à un autre.
Deuxième manière : en contemplant le sens des mots Cette deuxième manière consiste à choisir une prière connue et à progresser lentement dans cette prière en considérant la signification de chaque mot. Ignace nous donne un exemple : le Notre Père, mais il indique aussi qu’on pour-
Pourquoi ne pas essayer la prière d’Ignace que l’on trouve dans la « Contemplation pour obtenir l’amour »�. Si elle n’est pas encore bien connue, c’est l’occasion de l’apprendre par cœur, par le cœur. En s’aidant du chant « Donnemoi seulement de t’aimer » qui reprend cette prière. Rappelezvous le début et la fin : « Prends Seigneur et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence, toute ma volonté… elle, seule, me suffit ». Comment m’y prendre ? Comme d’habitude pour ce qui est de l’entrée en prière, de la demande de grâce initiale et du colloque à la fin. Puis prononcer le ou les premiers mots « Prends Seigneur », m’y arrêter et, nous dit Ignace, « les considérer aussi longtemps qu’on trouvera des significations, des comparaisons, du goût et de la consolation ». En somme, laisser ces mots nous habiter, laisser retentir en soi la richesse de leur contenu, laisser advenir une saveur, une lumière. Puis, passer au mot suivant « Reçois » et procéder de même. Vous l’avez compris, il importe d’avancer très lentement sans surtout se fixer d’aller jusqu’au bout. À la fin du temps qu’on s’est fixé, terminer en disant ou en chantant cette prière. Le lendemain, on peut y revenir, dire ou chanter le début déjà prié et reprendre lentement, mot à mot, là où on en était resté.
Troisième manière : au rythme de la respiration Il s’agit de choisir une prière que l’on récite habituellement par cœur, par exemple le Notre Père. Ici, il importe avant tout de commencer par « faire reposer son esprit, en s’asseyant ou en se promenant » comme le dit Ignace, d’entrer dans le calme extérieur et intérieur. Puis, réciter le Notre Père en s’appuyant sur le rythme de la respiration, très lentement. Inspiration, expiration. Sur le temps de l’expiration, ne dire qu’un mot « Notre ». Dans ce souffle, laisser venir une image ou une signification toute simple si cela se présente. Puis, continuer dans la respiration qui suit « Père », et ainsi de suite. Cette manière de faire peut bien aider les personnes qui se parlent beaucoup à elles-mêmes dans la prière au point d’en être gênées, qui sont agitées ou fatiguées. Elle tient compte du corps, elle est simple et même elle simplifie !
Quatrième manière : en répétant une prière brève Prolongeant ces trois manières d’Ignace, d’autres sont possibles et profitables. C’est par exemple la prière du cœur inlassablement reprise : « Ô, Seigneur Jésus, fils du Dieu vivant, prends pitié de moi pécheur ».
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rait prier le Je vous salue Marie ou le Credo. En somme, une prière bien connue.
Les refrains de Taizé correspondent bien à cette manière de faire. Par exemple : « Dans nos obscurités, allume le feu qui ne s’éteint jamais… » ou bien : « Rien ne te trouble, rien ne t’effraie, qui a Dieu ne manque de rien… ». Cette façon de prier centre, apaise, aide à faire descendre dans le cœur les mots prononcés.
Cinquième manière C’est la vôtre, celle que l’Esprit vous donnera d’inventer… ! Bonne prière. Michel Le Poulichet, CVX Responsable du pôle Exercices de l’équipe service Formation janvier / février 2014 21
Se former
Expérience de Dieu
Au service des migrants Depuis le bidonville de la Courneuve jusque dans une association de soutien aux sans-papiers de Creil, en passant par plusieurs années au Burundi, Annette Godart suit un chemin où Dieu se révèle dans l'en-bas.
M
le cœur mais aussi l'intelligence pour essayer de comprendre un peuple dans son histoire, ses blessures, ses richesses. Rencontrer des personnes « passeurs », d'une culture à l'autre m'a beaucoup aidée. Tout ce qui déroute dans le quotidien m'a rendue plus sensible au mystère des personnes. Désappropriation fondamentale dans la rencontre de l'autre, qui est 'frère', mais autre que moi.
présent là. Dieu qui se révèle dans l'en-bas. Tu m'as saisie là… et je me suis difficilement laissée saisir. Cette expérience fondatrice ouvre en moi une triple recherche : le désir du 'vivre avec', la recherche de la réponse à donner à l'appel de Dieu et le désir de m'ouvrir à d'autres cultures. Je pars pour plusieurs temps au Sénégal, suivis de trois ans d'enseignement au Burundi. J'y vis la joie de la découverte d'autres cultures et des amitiés fortes. La rencontre de l'autre ne remue pas seulement
© P. Franck / CIRIC
Mon chemin avec des migrants commence par une expérience bouleversante : dans les années 60-70, le parc départemental de la Courneuve est un vaste bidonville. Une équipe d'ATD Quartmonde y vit. Je participe, grâce à un aumônier de lycée, à un petit groupe de soutien scolaire pour les enfants du bidonville. Rencontre décapante de la misère, rencontre mystérieuse de Dieu : s'impose à moi la conviction que dans ce lieu où des familles étrangères pataugent dans la boue et cherchent à survivre, Dieu est
▲ Famille de migrants iraniens – Shno, 22 ans, avec son bébé de 17 mois, camp de Téteghem (59), France, 2010
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Au cœur de ce vécu, la réponse à l'appel de Dieu trouve sa forme. Après avoir été marquée par le « oui » de Marie, un « oui » dans un peuple, mon « oui » à Dieu me fait rejoindre un groupe de laïques consacrées de l'institut séculier Notre-Dame du Travail, de spiritualité ignatienne (voir encadré ci-contre). Cet institut devient le lieu où, pour moi, se construit une unité intérieure et où grandit la foi que Dieu travaille au cœur de l'humanité. J'y découvre davantage que c'est à ce travail de Dieu au cœur du monde que je suis appelée à collaborer à travers la rencontre des migrants, pour que ce soit son œuvre à Lui qui se réalise et non mes projets. Depuis trente ans, mon chemin avec des migrants se poursuit à Creil. Désindustrialisation, pauvreté, grande diversité culturelle,
richesse de la vie associative marquent la ville. Beaucoup de non-migrants et migrants me font bénéficier de leurs compétences mises au service de l'humain. Dans cette ville, j'ai souvent réentendu la phrase de Dieu à Moïse : « La terre que tu foules est une terre sacrée ». Elle m'a soutenue dans mon travail de professeur de français au collège avec des jeunes non-francophones, dans divers lieux d'engagement au service du « vivre et agir ensemble » et dans le dialogue islamo-chrétien. Elle me relance dans l'attention aux personnes, histoires sacrées dans de sacrées histoires de vie ! Plus se creusent en moi la relation à Jésus Christ et le travail de la Parole, plus je me sens appelée, malgré mes infidélités, à être à l'écoute des souffrances et à rejoindre les dynamismes des personnes et des groupes pour y chercher « les semences du Verbe ». Appel intérieur à contempler la Vie de Dieu qui se donne à la Croix pour toute l'Humanité et appel à y porter toute réalité humaine côtoyée. « Tout homme est uni au mystère pascal d'une manière que Dieu seul connaît », rappelle Gaudium et spes. C’est pour moi une balise importante. « J'ai entendu la misère de mon peuple ». Dieu Miséricordieux, Dieu qui a la misère de l'homme dans le cœur. La miséricorde de Dieu est pour moi la source de compassion à laisser vivre en moi. Elle est d'autant plus importante lorsque le chemin se fait rude. Je suis habitée par les situations inhumaines que vivent
des personnes sans-papiers que je rencontre dans une association. Plus elles se multiplient, plus grandit en moi le sentiment d'impuissance. Pourtant c'est à laisser convertir, car ce sentiment porte aussi en lui la tentation de toutepuissance qui guette chaque relation d'aide. Je me redis alors la phrase de cet ami prêtre : « Ils
n'ont pas besoin de ta puissance, ils ont besoin de ta présence ». Devant tant de gâchis humain, je crie vers Dieu. Et devant les germes de vie au cœur des difficultés, je redis ma foi en Celui qui fait toutes choses nouvelles. Annette Godart
Un institut séculier ignatien : Notre-Dame du travail L'institut Notre-Dame du travail (N.D.T.) est né au début du XXe siècle dans le courant du christianisme social marqué par Rerum Novarum. Ses premiers membres sentent l'appel conjoint à se consacrer à Dieu et à vivre un apostolat social orienté vers la recherche de la justice et la promotion des personnes. D'abord congrégation religieuse, NDT devient institut séculier en 1949. La constitution apostolique Provida mater ouvre alors la voie à une nouvelle forme de vie consacrée, au sein du laïcat. Aujourd'hui, ses membres sont des laïques, qui sans quitter leur vie ordinaire, sans communauté de vie, mais avec le soutien d'une vie fraternelle forte, répondent à l'Amour de Dieu par un engagement temporaire puis définitif dans le célibat, par amour préférentiel. Le charisme de NDT rend particulièrement attentif à tout ce qui déshumanise et détourne l'homme de sa finalité voulue par Dieu. Le Mystère d'Amour du Christ vivant, présent et agissant dans le monde fonde notre vision de l'homme et notre Espérance.
▲ L'église Notre-Dame du Travail dans le 14e arrondissement à Paris
Pour plus d’information : bit.ly/institut-seculier-nd-travail
janvier / février 2014 23
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Lire la Bible
Le discours de Paul à Athènes Saint Paul, « l’Apôtre des Gentils » (des non-juifs) a joué un rôle capital dans la propagation du christianisme dans le monde gréco-romain, portant la Bonne Nouvelle du salut en Asie mineure, en Grèce et jusqu’à Rome. Le père Edouard Cothenet nous éclaire sur les enjeux d’alors et actuels du discours de Paul à Athènes (Actes des Apôtres, chapitre 17).
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Prêtre du diocèse de Bourges, Edouard Cothenet, a enseigné l’écriture Sainte à l’Institut Catholique de Paris, a fondé l’Association Foi et Culture et a travaillé à la pastorale des étrangers dans son diocèse. Il est notamment l’auteur de Paul, serviteur de la nouvelle alliance, selon la seconde épître aux Corinthiens, Cerf, 2013.
Pour le visiteur, quelle émotion quand il découvre, face au Parthénon, au pied de la colline de l’Aréopage, une grande plaque de bronze où est gravé le célèbre discours de Paul ! Le lieu lui donne toute son importance.
Le contexte Bien que déchue de tout rôle politique, Athènes demeurait la ville des arts et de la philosophie. Au début de son récit, Luc nous montre Paul attentif aux temples et aux statues si nombreuses (Actes 17, 16s.). Ici, l’auditoire n’est plus formé seulement du petit monde qui fréquente la synagogue ; sur l’agora, l’Apôtre se mêle à ceux qui passent leur temps « à raconter ou à écouter les dernières nouveautés » (Actes 17, 21). Dans ce public bariolé, on reconnaît même des philosophes, épicuriens et stoïciens, se rattachant aux deux écoles les plus influentes de l’époque. Les noms de Jésus et d’Anastasis (résurrection) intriguent (17,v18). Paul est donc invité à s’expliquer sur le culte de ces divinités étrangères qu’il
voudrait introduire dans la cité. L’histoire de Socrate, condamné à mort pour ce motif, ne serait-elle pas sous jacente ? Pour apprécier l’originalité du discours d’Athènes, il faut le mettre en rapport avec les deux autres discours missionnaires que Luc place dans le cadre des voyages apostoliques de Paul (Actes 1320). Rappelons que, à la manière des historiens antiques, Luc utilise la forme du discours pour éclairer le sens des événements et présenter la doctrine en cause. Le premier discours type se situe dans la synagogue d’Antioche de Pisidie (Actes 13,16-41), où se trouvent rassemblés des Juifs et des sympathisants (les craignant-Dieu). Lors de l’homélie du sabbat, Paul s’inspire des thèmes de la prédication juive. Après le rappel des grands événements de l’histoire du salut, il annonce que les promesses de Dieu sont accomplies en Jésus. Dans le discours d’adieu adressé aux anciens de l’Église d’Ephèse convoqués à Milet (20, v17-35), l’Apôtre invite à la vigilance doctrinale et au désintéressement évangélique. C’est ainsi
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que les trois discours d’Antioche, d’Athènes et de Milet forment un tout doctrinal. Ils montrent l’enracinement de l’évangile dans les Écritures, invitent au dialogue avec le monde de la culture, et fournissent des directives pour l’avenir des communautés.
Au cœur du discours Paul commence à la manière des orateurs : « Ô hommes Athéniens ! » Il cherche à se concilier la faveur (captatio benevolentiae) en évoquant l’extrême religiosité de ses auditeurs. Le mot est bien choisi, comportant derrière l’éloge une nuance de blâme. Alors que, dans sa visite, Paul ressentait une vive indignation contre tant d’idoles, ici il va chercher un point d’appui pour son argumentation dans une inscription au Dieu inconnu. On ne l’a pas retrouvée, mais on sait qu’il y avait des inscriptions « aux dieux inconnus d’Asie, d’Europe, d’Afrique… » Qu’importe le texte exact ? Paul va s’appuyer sur l’inquiétude religieuse de son temps et y répondre.
Faisant un pas de plus, Paul évoque alors l’action de Dieu dans l’histoire. En affirmant l’unité du genre humain, Paul rejoint un enseignement fondamental du stoïcisme, selon lequel tout homme est citoyen du monde. Dans une formule magnifique, Paul évoque alors la destinée de l’homme appelé à chercher Dieu, comme à tâtons. Bien choisie, l’expression apporte une sourdine aux prétentions de la seule raison. Pourtant l’Apôtre va chercher une illustration de sa pensée par la citation de deux poètes se rattachant au stoïcisme : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (...), car « nous sommes de sa race ». Paul est allé ainsi jusqu’au bout dans sa recherche d’un terrain d’entente. Maintenant, il lui faut passer à l’exposé spécifique de la foi chrétienne, et c’est alors que
© Jacques Cousin / CIRIC
Avec maestria, Luc donne au discours une double coloration, philosophique et biblique. Attachons-nous à relever les contacts avec la philosophie religieuse du temps. C’est ainsi qu’en déclarant que la divinité n’habite pas dans des temples faits de main d’homme, Paul ne pouvait que recevoir l’approbation de l’auditoire. Selon Zénon, fondateur du stoïcisme , il ne faut pas bâtir de temples, « car aucun temple n’est chose précieuse ou sainte. » Que la divinité n’ait pas besoin de nos prestations, c’est un enseignement biblique qui rejoint celui des philosophes. Dieu est la source de tout bien, Lui qui donne à tous « la vie, le souffle et tout le reste ».
▲ Colline de l'aéropage, où saint Paul convertit Denis l'Aéropagite, premier chrétien d'Athènes, en l'an 51, Athènes, Grèce
les choses se gâtent. Comment un auditoire chargé de veiller à la conservation des traditions de la cité pourrait-il admettre que son époque soit un « temps d’ignorance » ? De quelle conversion cet étranger peut-il bien parler ? La résurrection, c’est un non-sens ! Paul n’a pas le temps d’achever son discours. Déjà les auditeurs s’en vont en ricanant. Seules quelques personnes, dont une femme, Damaris, et Denys l’Aréopagite, formeront la première communauté de la ville.
La portée du discours Cet échec signifie-t-il que Paul a fait fausse route, en engageant le dialogue avec le public cultivé de son temps ? Est-ce la raison pour laquelle, à Corinthe, Paul condamnera la sagesse du monde et exal-
tera la croix, « scandale pour les Juifs et folie pour les païens. » (1 Corinthiens 1, 23) Cette interprétation négative va à l’encontre du projet de Luc, soucieux de l’insertion du christianisme naissant dans le monde de son temps. Ne présente-t-il pas sous un jour relativement favorable la justice romaine ? En écrivant à la manière des historiens de son temps, Luc ne cherche-t-il pas l’audience de gens instruits, comme Théophile à qui il dédie son œuvre ? Certes, l’Évangile est et sera toujours signe de contradiction, néanmoins, à la manière de Paul, le prédicateur doit se faire « tout à tous » (1 Corinthiens 9, 19-23).
1. Saint Justin (100 – 165) était un apologiste chrétien de langue grecque. Après avoir pratiqué la philosophie païenne (Stoïque, Aristote, Pythagore, Platon), il se convertit et mourut martyr (décapité) sous le règne de Marcus Aurelius. L'apologie consiste à éclairer l'intelligence pour aider la foi : c'est-à-dire répondre aux fausses raisons qui empêchent de croire et énoncer les bonnes raisons qui poussent à croire en Dieu.
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Au milieu du IIe siècle de notre ère, Justin 1 s’est délibérément situé dans cette perspective. Dans sa Première Apologie adressée à
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Lire la Bible l’empereur Antonin-le-Pieux en faveur des chrétiens, il recueille les « semences de vérité qui se trouvent chez les philosophes. » Pour lui en effet, le logos de Dieu est à l’œuvre dès l’origine et chez tous les hommes : « Le Christ est le premier-né de Dieu, son Verbe (logos), auquel tous les hommes participent (...) Ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, eussent-ils passés pour athées, comme chez les Grecs, Socrate, Héraclite et leurs semblables, et chez les barbares, Abraham, Ananias (...) Elie, et tant d’’autres. » (1 Apol. 46)
Pour nous aujourd’hui
Le concile Vatican II, dans la constitution sur l’Église (Lumen gentium), envisage le cas des non-chrétiens qui suivent le témoignage de leur conscience. « Tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie. » (n° 16) C’est pourquoi, dans le Décret sur l’action missionnaire, le Concile invite « à découvrir avec joie et respect les semences du Verbe » présentes dans chaque culture (n°11). Telle est la volonté de « l’Esprit Saint qui appelle tous les hommes au salut par les semences du Verbe et l’annonce de l’Évangile. » (n°15). Les laïcs sont chargés spécialement de mieux
connaître la culture de la société dans laquelle ils vivent afin de la purifier au souffle de l’Évangile (n°21) . Selon la première encyclique de Paul VI, Ecclesiam suam, il ne peut y avoir d’évangélisation sans dialogue. L’inculturation est ainsi une tâche toujours à poursuivre. A la manière de Paul, allons sur l’agora pour prendre part aux débats de notre temps, et cela dans cet esprit d’ouverture qui animait le cardinal Martini en fondant à Milan la Chaire des non-croyants. Paul cherchait un point d’appui dans la religiosité de son époque. Malgré la sécularisation de la société, beaucoup de nos contemporains sont en recherche d’un sens à leur vie. Les recettes de spiritualité font florès. Les monastères du bouddhisme tibétain connaissent un succès étonnant. N’avons-nous pas à répondre à cette attente diffuse ?
© Jean-Matthieu Gautier / CIRIC
Telle est aussi la perspective dans laquelle il faut apprécier l’œuvre missionnaire d’un Matteo Ricci qui apprit la doctrine de Confucius et s’habilla à la manière des
mandarins afin de pouvoir être admis à la cour impériale.
▲ Le "Parvis des gentils", voulu par Benoit XVI pour promouvoir le dialogue avec les non-croyants a été inauguré le 24 et 25 mars 2011 à Paris, sous l'égide du Conseil pontifical de la Culture. Parvis des gentils, Paris, 2011.
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Paul s’inspirait de la doctrine stoïcienne sur l’unité et la cohérence du kosmos. Aujourd’hui, nous prenons conscience de la précarité des ressources de la planète. La foi en la création qui implique la responsabilité de l’homme peut être un bon point d’accrochage pour présenter la foi chrétienne. A chacun de poursuivre cette réflexion en vue d’une évangélisation à la manière de l’Apôtre des nations. Edouard Cothenet
Spiritualité ignatienne
Crois en Dieu, et tu croiras en toi ! Jacques Fédry, jésuite, nous partage sa réflexion sur une célèbre maxime ignatienne :
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“Que telle soit la règle première de toutes tes entreprises : Aie foi en Dieu comme si le succès dépendait tout entier de toi, en rien de Dieu ; ainsi, cependant, mets en œuvre tous les moyens comme si tu n’avais rien à faire, et Dieu, tout.”
Voilà une formule souvent citée, où les jésuites reconnaissent comme exprimant de manière particulièrement heureuse un point essentiel de la spiritualité et de la manière d’agir de leur fondateur. Elle vient d’un jésuite hongrois du 18 e siècle, Gabor Hevenesi, dans un ouvrage paru en 1705.
Le sens de la maxime L’enjeu, c’est le rapport entre la grâce de Dieu et la liberté de l’homme, une question difficile sur laquelle les théologiens ont beaucoup réfléchi, se sont souvent affrontés, cherchant le juste chemin en évitant deux écueils : d’un côté de penser que l’homme ne trouve son salut que par la force de son effort et de sa volonté (pélagianisme), de l’autre côté de s’en remettre totalement à Dieu sans coopérer,
puisque c’est lui qui doit tout faire (quiétisme). L’originalité de la maxime d’Hevenesi, c’est de faire le lien, disons mieux, de marquer l’unité, entre la confiance en Dieu et la confiance en l’homme : avoir foi en Dieu, c’est se mettre au travail sans attendre son intervention, mais pleinement confiant dans les moyens, ressources et talents dont je dispose et qui sont un don de lui : je lui fais assez confiance pour croire qu’il m’a donné le nécessaire pour me débrouiller par moi-même. Voilà donc le cœur du paradoxe : fais assez confiance en Dieu pour te lancer dans l’action sans compter sur son intervention, puisque c’est Lui qui te donne d’agir ! “Avec la force qui est en toi, dit Dieu à Gédéon, tu sauveras Israël de la main des Madianites”. Ce qu’il fit (Juges 6-8). Je refuse la tentation de demander à Dieu
d’agir à ma place, ce qui reviendrait à douter de ses dons. Une fois cette confiance active en Dieu mise en œuvre sans avoir rien attendu de son intervention, j’ai la conviction que le résultat ne viendra que de sa grâce. Et je suis en paix, quoi qu’il arrive. Une autre manière de comprendre (même si ce n’est sans doute pas la première) le mot de Jésus : “Une fois que vous aurez tout fait, dites-vous bien que vous êtes des serviteurs inutiles” (Luc, 17, 10).
Éclairage de l’Écriture La parabole des talents met en lumière le lien étroit entre la confiance en Dieu et la confiance en soi, en ses moyens d’action. Il s’agit essentiellement d’une affaire de confiance dans cette parabole. Le Maître fait confiance à ses serviteurs, en leur remettant une partie de ses biens à faire
Jacques Fédry jésuite, a passé près de 25 ans au Tchad où il a été directeur du Grand Séminaire de N’Djamena. Il a ensuite enseigné l’anthropologie linguistique à l’Université de Yaoundé au Cameroun pendant onze ans. Il fut ensuite à partir de 2008 supérieur de la communauté jésuite de Ouagadougou au Burkina Faso, se consacrant à diverses activités de formation et d’accompagnement. Il vit actuellement au Cameroun et est l’auteur de L’homme, c’est la parole, Anthropologie de la parole en Afrique, Karthala.
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Spiritualité ignatienne fructifier. Les deux premiers serviteurs font à leur tour confiance à leur maître. Ils pensent qu’il ne les a pas trompés et qu’il ne s’est pas trompé sur leur capacité : s’il leur a confié cet argent à faire fructifier, c’est qu’ils en sont capables. Et, de fait, ils y réussissent. Le troisième serviteur enfouit en terre le talent reçu, et refuse de le faire fructifier. “J’ai eu peur”, expliquera-t-il après coup, en mettant bien le doigt sur le fond de son attitude : la méfiance à l’égard de son maître l’a entraîné dans une méfiance à l’égard de lui-même, de ses capacités. Et il ne peut que restituer au maître le bien tel qu’il l’a reçu, sans l’avoir développé (Matthieu 25, 14-30). A l’opposé, la deuxième tentation de Jésus au désert (“Jette-toi du haut du temple, Dieu enverra ses anges pour te porter”, cf. Mt 4,
5-6) apparaît comme celle d’une fausse confiance en Dieu : Jésus la rejette avec vigueur comme une manière de faire du chantage avec Dieu, de le soumettre à son caprice, ce qu’il appelle “tenter Dieu”. Cette tentation apparaît parfois dans certains groupes religieux, dont les adeptes refusent de prendre les moyens humains au nom de leur confiance en Dieu : la prière dispense alors d’aller à l’hôpital, au lieu de pousser à y aller avec pleine confiance en Dieu…
Éclairage avec Ignace “Dans les choses du service de Notre Seigneur qu’Ignace entreprenait, écrit Pierre Ribadeneira, l’un des compagnons d’Ignace de Loyola et son premier biographe, il utilisait tous les moyens humains pour réussir, avec autant de
▲ “Notre confiance doit s’appuyer sur Dieu si solidement qu’au besoin, à défaut d’un navire, nous n’hésitions pas à nous croire en état de passer même l’océan sur une simple planche”. (Récit du pélerin n°42-48) Extrait du livre 23 paroles d’Ignace de Loyola illustrées à la manière de Georges Rouault, éd. Fidélité, 2006, p. 21
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soin et d’efficacité que si le succès en dépendait ; et il se confiait de telle manière en Dieu et dépendait de sa divine Providence, comme si tous les autres moyens humains qu’il prenait n’avaient aucune efficacité” (cité par Candido de Dalmases, Ignace de Loyola, fondateur des jésuites, p. 286, d’après Fontes narrativi, N., III, p. 631). Nous avons sans doute ici la source de Hevenesi. Plus éclairante et explicite encore, cette lettre de Polanco dictée par Ignace au Père Alvarez. Un dominicain espagnol, Melchior Cano, attaquait violemment la Compagnie de Jésus. Ignace avait demandé à trois pères de Salamanque de se présenter devant les tribunaux pour faire réhabiliter l’honneur de la Compagnie, et de recourir à l’appui de certaines personnes influentes pour la laver publiquement de calomnies pouvant nuire à son apostolat. Le père Alvarez, l’un des trois pères de Salamanque, avait fait valoir ses réticences devant cette démarche qui lui paraissait revenir à “fléchir le genou devant Baal” (c’est-à-dire à un acte d’idolâtrie : cf. 1 R 19, 18). Ignace remet les choses au point par son secrétaire Polanco : “Si l’on considère votre philosophie spirituelle en soi, elle n’a l’air ni très solide ni très vraie. Utiliser des moyens humains ou des industries humaines, mettre à profit les faveurs des hommes ou s’en servir pour des fins bonnes et agréables à notre Seigneur, serait fléchir le genou devant Baal. Au contraire, celui qui ne croit pas bon de se servir de ces moyens ni de dépenser entre autres le talent que Dieu lui donne,
Libre pour se décider La manière d’Ignace de Loyola Jacques Fédry s.j. éditions Vie Chrétienne, juin 2010 12 e + 2,40 e de frais de port sous prétexte que c’est faire un alliage impur et corrompu entre ces moyens et les moyens supérieurs de la grâce, celui-là n’a pas bien appris à ordonner toutes les choses à la gloire de Dieu et ne sait pas tirer parti de tout en toutes choses pour la fin dernière de l’honneur et de la gloire de Dieu. Celui-là fléchit le genou devant Baal, pourraiton dire, qui userait des moyens humains en faisant plus fonds sur eux et qui mettrait en eux plus d’espérance qu’en Dieu et en son aide gratuite et surnaturelle. Mais celui qui met en Dieu tout le fondement de son espérance, qui pour son service se soucie de mettre en valeur tous les dons qu’il donne, intérieurs ou extérieurs, spirituels ou corporels, dans la pensée que sa puissance infinie exécutera, avec ou sans eux, tout ce qui lui plaira, et qu’un tel souci plaît à Dieu quand il est assumé purement pour son amour, celui-là ne fléchit pas le genou devant Baal, mais bien devant Dieu, qu’il reconnaît pour l’auteur non seulement de la grâce mais aussi de la nature…” Puis Ignace conclut : “Utiliser quand il faut les moyens humains en les dirigeant purement vers son saint service n’est pas chose mauvaise, quand c’est en Dieu et en sa grâce qu’est fermement ancrée notre espérance”. Ignace, à Jean Alvarez, le 18 juillet 1549 (Ecrits, p. 743).
Unité de la maxime ignatienne La référence à Ignace nous a permis de vérifier le caractère “ignatien” de la maxime d’Hevenesi, et son enjeu dans la pratique : un
Les décisions, petites ou grandes, sont le tissu de chacune de nos journées. Ces décisions, la spiritualité ignatienne nous permet de les fonder sur une expérience éprouvée de discernement spirituel. Ignace de Loyola nous invite, à travers les Exercices spirituels, à faire nos choix en nous libérant de tout attachement désordonné. De façon pédagogique, Jacques Fédry dégage dans ce livre douze points de repère pour une décision libre. Ces repères, à confronter à son expérience personnelle, condensent l’essentiel de la dynamique des Exercices et de la tradition ignatienne. juste emploi des moyens humains dans la confiance totale en Dieu. Ta première règle dans l’action : de même que tu fais confiance à Dieu qui t’a donné de quoi réussir par toi-même, ainsi, de l’autre côté, déploie toute ton énergie sans oublier que c’est de Dieu seul que viendra la réussite, et non de toi. Les deux parties de la maxime sont articulées par une comparaison (sic “de même que” / ita “ainsi”) : la première nous prémunit contre le découragement, la seconde contre l’orgueil. Confiance et humilité vont de pair. Paul Valadier a bien exprimé l’articulation signifiante des deux parties de cette maxime, fondant la liberté de l’homme sur la confiance en Dieu : “L’homme chrétien est au plus près de Dieu quand il décide par luimême en toute liberté d’homme ; ou Dieu est le plus interne à cette liberté quand celle-ci cherche à se prendre en main ou à ordonner sa vie en vérité… En même temps “la mobilisation de toutes les énergies humaines que présuppose et appelle la foi en Dieu passe par un lâcher-prise, un renoncement, une
négation, une mort à soi-même et à ses initiatives, qui consistent toutes en une confiance totale au seul Dieu. Mais c’est lorsque la liberté a pleinement exercé ses pouvoirs, pour autant qu’elle le peut, qu’il lui est possible de se déprendre de soi et de s’abandonner sans que cet abandon soit une démission ou une lâcheté. Seul peut vraiment se confier à Dieu celui qui a mobilisé toutes ses énergies, seul celui-là sait de quoi il retourne de s’en remettre à plus grand que soi quand il a fait tout ce qui relevait de lui”. La grâce divine n’est pas juxtaposée à liberté de l’homme et à son agir, elle lui est intérieure. Jacques Fédry s.j.
Pour continuer Quand m’est-il arrivé d’éprouver fortement que la confiance en Dieu libérait la confiance en moi ? Ai-je conscience, en déployant les ressources de mon intelligence et les moyens nécessaires à l’aboutissement d’un projet que, finalement, c’est Dieu seul qui sera la source de son succès ? janvier / février 2014 29
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Question de communauté locale
Lire ensemble le Récit du pèlerin En communauté locale, nous évoquons souvent des points de la spiritualité ignatienne ; mais connaissons-nous son fondateur, Ignace de Loyola ? N’y aurait-il pas profit à découvrir ensemble son expérience ? Pour répondre à cette question, voici l’expérience d’une communauté locale à Lyon.
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Ignace de Loyola par lui-même – 14 € Texte intégral du Récit illustré par les dessins de Charles Henin, qui aident le lecteur à entrer dans l’intelligence spirituelle du Récit. Vous aussi faites-vous pèlerin, le temps de cette lecture, à l’école d’Ignace de Loyola ! En vente sur www.editions viechretienne.fr
1. www.reseaucep. net/pedagogie/ ignace
La communauté locale que j'accompagne est une toute jeune communauté, dans sa troisième année après l'accueil. Pour nos réunions, nous nous appuyons sur la revue, sur le livret Pour un rendez-vous, et bien sûr, nous avons travaillé la prière d'alliance et les Principes Généraux. Un membre de la communauté a investi dans la lecture de plusieurs livres des Éditions Vie Chrétienne et nous a parlé avec enthousiasme de ceux de Jean-Claude Dhôtel. C'est ainsi que j'ai été amené à parler du Récit du pèlerin et que nous nous sommes posés la question de notre connaissance d'Ignace de Loyola, de sa vie et de son itinéraire. Qu'est-il arrivé à cet homme, qui l'a conduit à inventer les Exercices spirituels et à fonder la Compagnie de Jésus, avec la fécondité que l'on voit aujourd'hui dans ce que nous appelons la famille ignatienne ? La CVX repose sur ses propres textes de référence et sur leur reconnaissance par l'Église, mais ne se fonde-t-elle pas plus encore sur le fondateur lui-même et son expérience ? Ignace a accepté, sous l'insistante et amicale pression de ses compagnons, de racon-
ter les dix-huit années de son parcours de conversion, de 1521 à 1538, nous livrant son testament spirituel et la manière dont Dieu s'est comporté avec lui. Nous avons décidé l'an dernier d'y consacrer deux réunions consécutives. Chacun s'est procuré un exemplaire du récit du pèlerin des Éditions Vie Chrétienne, Ignace de Loyola par lui-même, heureusement enrichi des dessins de Charles Hénin. La convocation à la première réunion proposait simplement une lecture préalable de deux pages sur la vie d'Ignace, trouvée sur le site du Centre d'études pédagogiques ignatien (CEP)1.
de grands bouleversements dans la vie d'Ignace, « où Dieu se comportait avec lui de la même manière qu'un maître d'école se comporte avec un enfant : il l'enseignait » (§27). Par la suite, l'animateur peut utilement suggérer de sauter quelques paragraphes en les renvoyant à une lecture personnelle ultérieure. La césure entre les deux réunions prend place naturellement après le chapitre 4, au retour de Jérusalem, en insistant sur la perplexité du pèlerin (§50 « quid agendum ? »). Il est recommandé de relire les quatre premiers chapitres entre les deux réunions.
Après l'accueil et le temps de prière, j'ai présenté en dix minutes le contexte géopolitique de l'époque et le Récit lui-même. Puis nous avons procédé à une lecture continue, à voix haute, alternant les lecteurs au fil des paragraphes. En fin de chapitre, un échange de quelques minutes permettait à chacun de partager ce qu'il avait retenu, ses découvertes et ses questions.
Nous avons consacré chaque fois 1h à 1h15 à la lecture et au partage, orienté sur ce que le texte nous révélait d'Ignace, sur ce que nous découvrions de lui. La connaissance de son parcours de conversion nous a rendus plus proches de lui, et mieux à même de comprendre les repères que nous propose la spiritualité ignatienne.
Il est bon de lire en totalité les trois premiers chapitres, période
Alain Chausson CVX
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© 23 paroles d'Ignace de Loyola illustrées à la manière de Georges Rouault, éd. Fidélité, 2006, p. 57
Ensemble faire Communauté
En France
Au service des familles Pour répondre aux besoins spirituels des jeunes parents d’aujourd’hui, la CVX propose des retraites Familles.
L Dates à retenir Retraites Familles Été 2014 Au Centre spirituel de Penboc’h (56) : 20 – 26 juillet Au Centre spirituel de Biviers (38) : 10 – 16 août
La retraite Famille proposée par CVX est le fruit d’une expérience qui s’est approfondie depuis douze ans pour répondre aux attentes multiples des familles d’aujourd’hui : – le besoin de faire une pause dans sa vie quotidienne tout en restant avec ses enfants, - l’envie de faire découvrir à ses enfants ce qui est vécu tout au long de l’année en CVX, - le besoin de trouver un lieu accueillant quand on est un parent isolé ou seul croyant dans le couple, ou le besoin tout simplement de rencontrer d’autres familles chrétiennes.
Une proposition « sur-mesure » Il s’agit d’une retraite de six jours selon les Exercices de saint Ignace. Chaque adulte retraitant vit en silence entre 9h et 17h une retraite ignatienne « classique » où se succèdent conseils
Une mission communautaire
pour prier et célébrations avec les autres retraitants, prière personnelle à l’écoute de la Parole, accompagnement personnel quotidien, promenades, et le soir, veillée de prière. Les enfants (0 - 12 ans) de leur côté vivent avec leurs animateurs des propositions adaptées à leur âge. Il s’agit d’un parcours spirituel imaginé pour les plus de 3 ans à partir d’une grande variété de propositions, faisant écho à la retraite que vivent les parents (même progression de la semaine ; mêmes passages bibliques), empruntant le plus possible à la pédagogie ignatienne (importance de la Parole, de la relecture, de la place du corps), et faisant place aux sacrements (célébration du pardon, de l’eucharistie). De 17h à 21h, les parents retraitants retrouvent leurs enfants et passent ensemble de bons moments de détente.
Une retraite Familles s’appuie sur cinq ou six accompagnateurs spirituels, une dizaine d’animateurs pour les enfants et les bébés, un prêtre ignatien et bien sûr toute la logistique du centre spirituel qui l’accueille. C’est un service qui est assuré presque exclusivement par des membres de CVX. Côté animateurs, il est bon que se côtoient grandsparents retraités, jeunes parents ayant bénéficié d’une retraite Familles et jeunes venant du scoutisme ou du Mej, dans une belle complémentarité de talents au service des familles. C’est une façon d’incarner cette attention aux familles qui figure parmi l’une des priorités apostoliques mises en avant par l’Assemblée de Communauté CVX (Ascension 2012) et par l’Assemblée mondiale CVX au Liban (juillet 2013). Et vous, pourquoi ne pas partager cette mission communautaire le temps d’un été ?
Voir dans le babillard p. 19 l'annonce pour l'animation et l'éveil spirituel des enfants
© CVX
Monique du Crest, membre de l’Equipe Service Formation
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Pourquoi pas vous ? Retrouvez sur www.editionsviechretienne.fr le témoignage de participants et d’animateurs enfants
© CVX
Lancer l'année pour les jeunes
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Avec des membres de l'équipe service grande région, des "délégués jeunes" des régions parisiennes et quelques volontaires, la réflexion couve déjà depuis quelques mois. Notre idée : proposer quelque chose de dynamique, de souple… et qui reste dans la lignée de la CVX. Avec plusieurs longs temps consacrés à la discussion libre autour d'un buffet, nous avons essayé de faciliter la rencontre entre les jeunes potentiellement intéressés et ceux déjà engagés dans une équipe. Le challenge de présenter la spiritualité ignatienne, les premières impressions en CVX, le déroulement d'une réunion, les étapes d'une vie en CVX et les dimensions régionales, nationales et mondiales de la CVX en seulement trente minutes ont effrayé plus d'un intervenant. Mais l'Esprit Saint aidant, nous avons eu un très beau moment de présentation et de témoignage qui a su rester vivant et profond. Pour une première rencontre, on ne pouvait pas se contenter de raconter ; il fallait aussi donner aux participants de 'goûter'. Un temps
en groupe, accompagné par des membres de la CVX, a permis aux participants de partager autour d'un texte d'Évangile, d'expérimenter la parole chacun à son tour, le mode d'expression en « je », l'évaluation… Pour s'adapter au mieux à tous les rythmes de décision, nous avions prévu la possibilité de s'inscrire sur place (prise des coordonnées sur un fichier). Pour ceux qui avaient besoin de plus de réflexion, une petite carte de visite permettait de retrouver un formulaire d'inscription en ligne dans un délai de trois semaines ! A Paris, plus de 70 personnes ont demandé à intégrer une équipe en
© CVX
Les premières éditions des soirées « Open CVX » ont eu lieu à Paris, Toulouse, Lille et Lyon en septembre 2013 pour faire connaître la Communauté aux moins de 35 ans et lancer des équipes Jeunes. Retour sur l'expérience à Paris.
région parisienne, ce qui a permis la création de huit équipes jeunes sur l'Île de France. Ces équipes de jeunes, de 24 à 38 ans1, vivront leur accueil en tant qu'équipes interrégionales. Reste à inventer comment leur donner l'occasion de se retrouver entre jeunes et d'entrer petit à petit dans des communautés régionales où ils pourront rejoindre des moins jeunes. Meige Corpet, CVX Paris Étoiles
Vers des équipes jeunes
La CVX a affirmé son désir de s'ouvrir davantage aux jeunes lors du congrès de Nevers en 2010. Le travail conjoint avec le MEJ et le RJI et la création des équipes Magis ont permis de faire mûrir le projet des Open CVX. Lancé en septembre dernier dans quatre villes, ce projet favorise l'accueil des jeunes par la création d'équipes au parcours spécifique. D'autres villes ont ensuite suivi le mouvement (Rouen, Toulon).
1. 74 % de femmes et 26 % d'hommes !
Le programme de la soirée • 19h30-20h : Accueil autour d'un apéro • 20h-20h30 : Présentation de la spiritualité ignatienne, témoignages de membres plus ou moins anciens de la CVX, présentation de la communauté régionale, nationale et mondiale • 20h30-21h15 : Prière et partage par équipes de 8 personnes, accompagnées • 21h15-21h30 : Présentation du parcours d'accueil, conclusion de la soirée • 21h30-22h30 : Temps convivial pour partager avec des jeunes déjà en CVX ou des chargés d'accueil. Possibilité de s'inscrire sur place.
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Ensemble faire Communauté
En France
enracinement : un nouveau chantier Le parcours d’accueil permet de goûter ce que la CVX propose de vivre, mais après ? C’est pour permettre de s’enraciner davantage dans cette manière de vivre, que la CVX France réfléchit à de nouvelles propositions pour la période suivant l’accueil.
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L’Assemblée mondiale au Liban a confirmé l’identité de la CVX comme corps apostolique laïc. La Communauté France a choisi d’exprimer cette identité et sa manière d’agir par le « trépied » 1 : être disciple, être compagnon, être serviteur. C’est bien en vivant davantage en profondeur et en harmonie ces trois attitudes spirituelles que nous avançons sur ce chemin apostolique. Le parcours d’accueil actuel permet de percevoir la richesse de cette vocation de corps apostolique laïc nourri de spiritualité ignatienne. Mais pour en éprouver toute la profondeur, il faut du temps, du temps pour expérimenter suffisamment, du temps pour que les expériences « descendent » dans le quotidien.
Après l’accueil, l’enracinement2 L’Assemblée de la Communauté (mai 2012 en France) a invité à prendre soin des compagnons les plus récents, en leur donnant ce temps à vivre. L’ESCN a entendu et reconnu cette invitation comme une priorité pour notre Communauté aujourd’hui. Le chantier « enracinement » a été lancé en
juin dernier. Concrètement sera élaborée une palette de propositions approfondissant les formations existantes pour plus de vitalité du trépied de ‘l’être en CVX’, dans cette période de formation. Elles seront proposées avec discernement, patience et stimulation. Des entretiens seront offerts à chaque compagnon ; ils l’aideront à dire son cheminement, à se situer par rapport à la Communauté comme un lieu à choisir. Ce qui tout naturellement l’amènera à dire « Je m’engage dans cette communauté » ou bien « Je choisis une autre voie ».
Une nouvelle manière de travailler Soucieuse d’une élaboration communautaire, l’ESCN a appelé plusieurs pôles de travail, dans des lieux de diverses régions où une richesse d’expériences avait été repérée. Chacun de ces pôles développe une partie du projet : l’axe « être compagnon » à Strasbourg - l’axe « être serviteur » à Rennes - l’axe « être disciple » à Toulouse - l’axe « entretiens » à Lyon/Grenoble - la formation des
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personnes au service de la période d’enracinement en Provence – les modalités spécifiques à mettre en place pour les jeunes à Lille. Une équipe coordinatrice assure le service de l’unité. Cette année 2013-2014 sera consacrée à la conception, et dès l’an prochain, en 2014-2015, s’ouvrira une période de tests. Le lancement de la mise en œuvre pour toutes les communautés locales concernées se fera en septembre 2015. Une fois ce chantier terminé, l'équipe Service Formation poursuivra son évolution vers un mode de travail collaboratif, en continuant de fonctionner avec des pôles de formation régionaux et une équipe coordinatrice au service de la communion. Béatrice Piganeau Responsable Équipe Service Formation
1. Voir p. 36-37 l’article sur l’Assemblée mondiale. 2. Voir le document « Le chemin de la CVX » sur www.cvxfrance.com, dans l’onglet « Documents » puis « Formation ».
Dans le monde
Vacances européennes en Roumanie Du 11 au 18 août 2013 était proposée aux membres de la CVX une semaine de vacances européennes en Roumanie à laquelle Benoît et Isabelle Mauduit se sont rendus avec leurs cinq enfants, de 10 à 21 ans. Ils racontent.
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Le programme alternait temps d'enseignements et temps de jeux, visites culturelles, échanges, temps libre, veillées. Nous étions cent dix participants, de neuf nationalités européennes, majoritairement des Hongrois de Hongrie, de Roumanie et de Serbie (car une partie de chacun de ces deux pays est de culture hongroise), des Polonais et des Allemands, mais aussi une Luxembourgeoise, des Belges, des Anglaises avec pour communiquer cinq « langues officielles » dans lesquelles annonces, enseignements, prières étaient traduites : hongrois, polonais, allemand, anglais et français ! Quel bonheur d'entendre échanger dans toutes ces langues, de passer nous-mêmes de l'anglais à l'allemand ou au français. Quelle richesse, que de découvertes dans cette diversité !
a été offerte de créer de véritables liens fraternels, tant entre les jeunes qu'entre les parents, liens qui nous ont donné de l'assurance et déjà « mis dans l'ambiance », de sorte que nous avons pu être pour notre part, « levain dans la pâte » de la communauté plus large que nous avons ensuite formée en Roumanie. La manière dont « nos jeunes » ont su joyeusement organiser des jeux et y associer les autres nous a particulièrement réjouis. Ce séjour plein de belles choses a vu également la mise en œuvre improvisée et fructueuse d'une collaboration MEJ – CVX. Un programme d'activités était prévu pour les enfants, mais pas de véritable programme spirituel et les animateurs eux-mêmes en ont vite été insatisfaits. Nos grands enfants, mettant en œuvre les
outils du MEJ qu'ils connaissent bien, ont pu proposer des temps de relecture par tranches d'âge, qui ont été fortement appréciés et suivis par tous les jeunes. Ces semaines sont des occasions d'apprendre à se connaître et de créer des liens entre membres des CVX de différentes nationalités, de contribuer à faire vivre notre « famille internationale CVX » et d'une certaine manière à « faire vivre » l'Europe. Une large part étant laissée à la détente et aux loisirs, elles créent de la convivialité, de la familiarité. Elles sont encore peu connues en France. La prochaine semaine de vacances CVX aura probablement lieu en Pologne. Entende qui voudra… Benoit et Isabelle Mauduit CVX Région Touraine
Nous avons assisté à nos premières vacances CVX européennes lors de la précédente édition, il y a trois ans en Bavière. Nous avions gardé depuis le séjour en Allemagne une sympathie réciproque pour une famille hongroise qui nous a invités, ainsi qu'une famille allemande, à venir chez eux quelques jours avant la semaine en Roumanie. C'est une belle occasion qui nous janvier / février 2014 35
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Dans le monde
La Communauté mondiale, un corps en marche Lors de l’Assemblée mondiale (Liban, 29 juillet - 8 août 2013), les réflexions des délégués des 64 pays de la CVX ont conduit à creuser les caractéristiques de notre Communauté. Quatre adjectifs viennent maintenant enrichir notre « Corps ». Jean Fumex, responsable national de la CVX France, nous les partage.
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Un temps extraordinaire dans tous les sens du mot ! L’Assemblée mondiale est la rencontre avec l’universalité de la Communauté, l’expérience spirituelle d’une Communauté unifiée dans sa grande diversité, la révélation d’un corps apostolique, laïc, ignatien et prophétique. « Je me suis trouvée submergée par la grande diversité des langues, des nations et des mentalités que nous respirions en permanence. A voir des gens des cinq continents partager et discuter, s’affronter et rire, manger et prier ensemble, j’eus un aperçu de ce que pouvait être une communauté mondiale : à couper le souffle, magnifique et parfois pesante… » Ces mots d’Igebord v. Grafenstein qui témoigne de l’Assemblée mondiale de Rome en 1967, je les fais miens quarante-six ans plus tard pour l’Assemblée de Beyrouth 2013. Le corps apostolique, c’est un corps « apôtre » ! L’apôtre se vit comme disciple, compagnon et
serviteur. Le disciple, celui qui désire suivre et imiter le Christ, celui qui vit cette relation au Christ « comme un ami parle à un ami », celui qui s’abandonne à la volonté de Dieu. Le compagnon, celui qui entre en compagnie du Christ et qui fait l’expérience d’être à la suite du Christ avec d’autres et d’une manière particulière dans notre Communauté. Le serviteur, celui qui, nourrit par ses deux façons d’être, entend les appels de Dieu et oriente sa vie comme envoyé au service du monde, en Église, pour la plus grande gloire de Dieu.
la Communauté, au travail, en famille, avec les proches se savent envoyés là où ils sont, comme chrétien au service du monde : prendre soin des enfants, être attentif aux voisins, être à l’écoute des collègues. Le porter dans la prière du matin et le relire avec le Christ le soir, tenir le fil avec son accompagnateur personnel… cet apostolat est 100 % « invisible ». Cette présence apostolique de chaque membre dans l’ordinaire des jours ne donne aucune visibilité à la Communauté en tant que Communauté. Pourtant, c’est cela qui fonde notre « laïcité » !
Le corps communautaire nourri de ces trois « êtres » (disciple, compagnon, serviteur) se vit comme apôtre, c’est un corps apostolique. Cela se conjugue comme les trois personnes de la Trinité !
Le corps ignatien : notre époque est caractérisée par une superficialité. à Beyrouth, le père Adolfo Nicolas, père général de la Compagnie de Jésus, assistant mondial de la Communauté, nous a invités, face à la mondialisation de la superficialité (consommer donnerait le sens de la vie, on ne sait plus ce qui est vérité, l’information supplante la réflexion…), à aller en profondeur dans toutes nos actions. Cette descente en
Franklin Ibanez, secrétaire exécutif de l'Ex-Co, nous a exposé le corps laïc : « 100 % des membres sont apostoliques au sein de leur quotidien ». Tous les membres de
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profondeur dans l’ordinaire de nos jours, nous ouvre à une parole de sagesse pour le monde, pas une parole compliquée. Nous savons ce qui est de l’ordre de la vérité, de la justice, c’est faire, la volonté de Dieu (Principe et fondement1). Notre spiritualité nous exerce à être dans l’ordinaire de nos jours, parole de sagesse, c’est cela un corps ignatien. Pour entendre la sagesse et le prophétique, écoutons encore Adolfo Nicolas sur les trois langages qui ont traversé Israël (et structurent l’Ancien Testament) :
sial hiérarchique), nous sommes invités à avoir une parole prophétique pour la Communauté de foi qu’est l’Église. Jean Fumex, Responsable national CVX France
Les témoignages et les documents de l’Assemblée mondiale Liban 2013, dont les exposés de Franklin Ibanez et Adolfo Nicolas, sont disponibles sur le site cvxfrance.com
La Communauté est un corps de 24 000 membres, présents dans 64 pays, regroupés en 6 régions (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe, Moyen-Orient, Afrique, AsieAustralie). CVX France représente 25 % de l’effectif mondial et 38 % de la participation financière au budget de l’Ex-Co (équipe service Communauté mondiale). Une Communauté régionale française est de la taille d’une Communauté nationale (la majorité d’entre elles a de 20 à 300 membres).
1. Retrouvez « Principe et fondement » dans les Exercices spirituels de saint Ignace n°23. 2. Voir le supplément 69 de la revue Progressio et la revue Vie Chrétienne n°22 et n°25 p. 27 à 29.
• Le langage prophétique : les prophètes viennent parler à la Communauté de foi pour lui rappeler son histoire avec Dieu et lui donner l’aujourd’hui de Dieu. • Le langage de Sagesse apparaît au temps de l’exil, il n’y a plus de prophète… le monde est aujourd’hui dans un temps d’exil ! Exil du sens et de la vérité ! Ainsi, le caractère prophétique de la Communauté se perçoit d’abord dans une parole au sein de l’Église. En 1990, les fédérations de CVX deviennent une communauté mondiale, les Principes Généraux sont approuvés par le Vatican et nous devenons une association de fidèles laïcs de droit pontifical. Dans cette identité de corps ecclésial associatif (par différence au corps ecclé-
▲ Les six régions de la CVX mondiale
Extrait n° 9 du document final de la 16e Assemblée mondiale de la Communauté Vie Chrétienne La spiritualité ignatienne est centrée sur l’incarnation de Dieu dans notre réalité par Jésus Christ – au travers de sa vie, de sa mort et de sa résurrection. Dès lors, nous nous sentons préparés à nous engager dans la réalité du monde contemporain, à nous laisser transformer par cette réalité et à contribuer à la transformer. Nous le faisons en apportant à la fois nos compétences professionnelles et nos outils spécifiquement ignatiens, aiguisés en fonction des besoins actuels. Ces outils comprennent les Exercices spirituels, l’examen de conscience, le processus du DESE (Discerner, Envoyer, Soutenir, Évaluer), le discernement analytique, ainsi qu’une certaine capacité d’écouter, de parler et d’agir avec simplicité et profondeur. Enracinés dans ces grâces de notre vocation, nous sommes invités à explorer et à nous sentir à l’aise aux frontières, avec respect, ouverture et sens de l’accueil. janvier / février 2014 37
www.CVX-CLC.net
• Le langage de l’histoire, celui qui constitue l’identité du peuple élu et raconte les hauts faits de cette alliance de Dieu avec son peuple. CVX a une histoire de 450 ans2.
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Dans le monde
La joie de la Lituanie Trois nouvelles Communautés nationales ont officiellement rejoint la CVX lors de l’Assemblée mondiale au Liban en été 2013 : le Botswana, le Guatemala et la Lituanie, qui est parrainée par la CVX France depuis 2003. Retour sur cette longue relation d’amitié.
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Retrouvez le témoignage de Claudine et Christophe Drochon sur www.editionsvie chretienne.fr
En 2003, la CVX Lituanie comptait environ quarante membres répartis en quatre équipes, dans quatre villes de Lituanie. Ils cheminaient ensemble selon le projet de vie de la Communauté Vie Chrétienne depuis l’an 2000, à la suite d’un parcours d’un an selon les Exercices spirituels. Désireux d’avancer dans le projet de vie communautaire, ils demandèrent à être parrainés, mission que la CVX France reçut de la Communauté mondiale en 2003 au congrès de Nairobi. Depuis, une relation forte de compagnonnage unit la France à la Lituanie. Chaque année, des membres de la CVX France se rendaient en Lituanie pour des formations (l’organisation de sessions « Expérimenter la communauté », « Servir », « Un pas de plus en compagnonnage », etc.),
pendant des camps que la Communauté organise l’été pour ses membres. Des formations ont également été données auprès des responsables et accompagnateurs de communautés locales. Des Lituaniens ont souvent participé à la vie de la CVX France, au Congrès national pour le jubilé ignatien à Lourdes en 2006 ou au Congrès de Nevers en 2010. Les Lituaniens de plus de quarante ans sont encore profondément marqués par l’histoire récente de leur pays indépendant seulement depuis 1991, dans leur rapport à l’institution, au pouvoir, à l’argent et par la méfiance ambiante durant l’ère communiste. Le long chemin de confiance parcouru dans la CVX est en ce sens d’autant plus impressionnant. Après avoir participé à l’Assemblée
▲ La CVX Lituanie du camp d'été 2013
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mo nd i a le de 2 0 0 8 à Fa t i m a comme observateurs, la CVX Lituanie est enfin devenue officiellement membre de la Communauté mondiale lors de l’Assemblée mondiale cet été au Liban. Ce fut pour les Lituaniens une immense joie qu’ils ont pu partager lors de leur camp d’été à l’est de la Lituanie du 15 au 18 août, auquel Claudine et Christophe Drochon ont pu participer. Actuellement la CVX Lituanie regroupe 208 membres qui forment vingt-cinq communautés locales répandues sur six villes de Lituanie. La reconnaissance de la CVX par l’Église institutionnelle de Lituanie a été longue et difficile mais en mai 2013, l’Archevêque de Kaunas a appelé la CVX à jouer un rôle dans le développement de l’Église en Lituanie. « Nous voulons vivre de l’héritage de saint Ignace : chercher et trouver Dieu en toutes choses, aimer et servir en tout, vivre le magis et ad majorem Dei gloriam. Nous voulons discerner et accueillir notre mission dans l’Église et dans le monde. Nous voulons envoyer et être envoyés, soutenir et être soutenus. Nous voulons être une partie de grand corps qui est la CVX dans le monde entier. » Kristina Rankelyt, responsable de la CVX Lituanie.
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Billet
La mauvaise herbe et la blanchisseuse Deux trouées de lumière dans une journée grisâtre, reconnues liées à la faveur d'une insomnie. Cette mauvaise herbe poussée dans le ciment, profitant d'une faille à peine repérable à nos yeux. Je suis passée devant elle cinq fois, dix fois dans la journée. À chaque passage, je me sens attirée par son incongruité dans cet environnement de ciment et de métal : ses couleurs, le vert de la tige et le jaune des fleurs en grappe, lumineuses, denses, presque fluorescentes Comme m'interpelant, me désignant comme témoin d'une vitalité forte, presque indécente. Signe de vie. Et puis la visite de cette collègue, blanchisseuse dans le service d'à côté. J'avais appris son cancer foudroyant, deux mois auparavant, et la savais en chimiothérapie. Ce jour-là, elle est passée dire bonjour et parler un moment. Mes collègues présents et moi-même sommes alors fascinés par l'énergie et la paix qui se dégagent d'elle : elle est lumineuse, posée, simple, décentrée. Vivant ce qui se présente, s'offre dans son quotidien. Bien plus, nous la voyons renouvelée dans son allure, transfigurée. Elle n'a plus son air d'enfant perdue quêtant l'attention, elle est devenue amazone. Devant nous, elle se présente en femme debout : élégante, elle parait dix ans de moins avec ses cheveux courts, son joli chemisier blanc, son petit boléro et son pantalon noir bien coupé ! Elle affronte avec calme et détermination son combat pour la vie, dégage une espérance vitale, qu'elle ne surjoue pas. Cela vient du fond de son être, de sa nature profonde qui se révèle alors à nous. Après son départ, la parole circule. Cette rencontre nous illumine, nous énergise : c'est elle qui nous invite à vivre pleinement tous ces moments du quotidien qui pourraient être perdus. Non, ils ne sont ni perdus, ni volés – au « patron », à la vie « libre » – mais reçus, et donnés. Signe de vie en abondance, là justement où la faiblesse saisit et dépouille. « Le salut d'un roi n'est pas dans son armée, Ni la victoire d'un guerrier, dans sa force » (Psaume 32) Cora Doulay
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Prier dans l’instant
En aidant un proche à déménager
Au fil des heures qui passent, et des découvertes sans fin au fond de placards dont nous ignorions l'existence, je prends conscience que nous exhumons deux sortes d’objets. Ceux qui me réjouissent, qui me relient à notre histoire, ou qui sont beaux, ou intéressants. Ils sont comme un trésor enfoui. Je sens le désir de les soigner, de bien les emballer pour qu'ils trouvent une place de choix dans leur nouvelle demeure, ou qu'ils soient attribués à la personne qui saura les apprécier ou les transmettre. Et ceux dont la rencontre me déprime. Ils sont là parce qu'on ne sait jamais, ou parce qu'on triera plus tard, ou parce qu'il faudrait les réparer. Inutilité, laideur parfois, tri non fait, encombrement. Je suis étonnée que cela me soit aussi pesant. Cela m'invite à ne pas sous-estimer l'importance de ma relation aux choses. Il y a des objets qui ne sont pas nos amis. Même cachés derrière une porte d'armoire, ils sont là. Soit parce que nous ne les aimons pas, soit parce qu'ils nous renvoient à un travail non fait. Seigneur, aide-moi, en rentrant chez moi, à distinguer parmi les choses qui m'entourent celles qui m'accompagnent et celles qui m'encombrent. Pour un bon nombre d'entre elles, je peux déjà répondre ! Tu me montres là un chemin pour être plus unifiée et plus présente aujourd'hui. Dominique Pollet
Nouvelle revue Vie Chrétienne – janvier / février 2014
© Nicolas Messyasz / CIRIC
Je suis amenée à me rendre auprès d'un parent âgé pour l'aider à faire ses cartons de déménagement. Enfin je croyais qu'il s'agissait de faire des cartons ; en fait, il s'agit de trier ce qu'il y a à mettre dans les cartons. Et de trier beaucoup de choses. Heureusement, ma sœur est avec moi et nous travaillons harmonieusement.