Revue Vie chretienne 29

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Vie chrétienne Nouvelle revue

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Relire son année Mission en Amazonie

La politique, y croire encore ?


NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Dominique Hiesse Anne Missoffe Laetitia Pichon Barbara Strobel Comité d'orientation : Alice Bertrand-Hardy Marie-Agnès Bourdeau Nicolas Joanne Anne Lemant Claire Sébastien Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER, 14 rue d’Assas, 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Assemblée Nationale Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

Sommaire éditorial l’air du temps Le cinéma : miroir du monde par Geneviève Roux chercher et trouver dieu

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La politique, y croire encore ? Témoignages Renouveler la politique Jean-Baptiste de Foucauld Quand l’Église parle de la politique Christian Mellon s.j.

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babillard

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se former Examen particulier : se laisser instruire par le quotidien Jean-Luc Fabre s.j. … à Lourdes avec l’Hospitalité diocésaine Elisabeth Asseline Opération Gédéon Claude Flipo s.j. Pour chercher la volonté de Dieu Adrien Demoustier s.j. Relire son année ? Nadine Croizier

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ensemble faire communauté Quelles formations pour un meilleur enracinement ?  à l'écoute des tempéraments difficiles Béa, la voix de la communauté Prendre soin des CVX âgés Mission en Amazonie Volontaires en Algérie

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billet Un tram nommé désir Rachel Tsehaye

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prier dans l'instant … en écoutant l’exhortation papale

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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».

Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne. fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à ser – vie chrétienne – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr

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Éditorial

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au cœur des réalités

« Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Ac 1, 11). Cette phrase, entendue à l’Ascension, résonne comme une invitation à rejoindre les réalités de notre monde et à se retrousser les manches. Une interpellation, lorsque surgit la tentation du repli sur soi ou de la fuite. « Chercheurs de Dieu – présents au monde », le soustitre de la Revue peut être entendu comme en écho à cette interpellation. Et c’est bien dans cette ligne que se situe ce numéro. Il propose de regarder les activités humaines que sont la politique (le dossier p. 6), le cinéma (l’air du temps p. 4)… et de chercher et trouver Dieu au cœur même de ces réalités.

» © Wasja / iStock

L’exercice n’est pas aisé et demande un changement de regard. La prière de relecture peut nous aider à lire les signes des temps, à voir ce qui prend place dans l’histoire du salut. Elle permet aussi de regarder notre participation personnelle pour ajuster notre réponse.

Relecture de nos journées ou sur un point de vigilance particulier (p 20-21), relecture dans des groupes de partage, relecture du chemin parcouru dans ces groupes (p 30), autant d’occasions d’être attentif à la manière de répondre à l’appel du Seigneur dans le concret de nos vies… et de rendre grâces pour Sa présence à nos côtés. Christ nous précède en Galilée !

Marie-élise Courmont

Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr

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L'air du temps

Le Cinéma : miroir du monde Pour découvrir des mondes différents, visiter des périphéries, connaître et aimer notre réalité dans sa complexité, sa dureté comme son espérance, le cinéma a toute sa place dans les outils du croyant curieux. Geneviève Roux, xavière spécialiste du cinéma pointe pour nous l’apport du cinéma pour notre foi.

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Cannes, pour le plus grand nombre, est synonyme de paillettes et de montée des marches, que peut-on bien y trouver ?

Geneviève Roux a travaillé pendant trente ans pour l’Audiovisuel et la communication au service de l’annonce de l’évangile ; ACNAV (Association catéchétique nationale pour l’audiovisuel) puis à Chrétiens Médias Fédération nationale. Elle anime à Nice avec des amies depuis six ans 2 séances de cinéclub par mois dans un cinéma de la ville. Elle propose des haltes spirituelles ou des « retraites-cinéma ».

Thierry Frémeaux, le commissaire du Festival de Cannes disait que lors de cette manifestation, le monde entier est dans les salles de projection et sur les écrans. Oui ! Chaque année, j’ai la chance d’avoir une accréditation pour participer au Festival de Cannes et je suis plongée dans les files d’attente où se côtoient quelque cinq mille journalistes et cinéphiles venus de tous les continents. Au « Marché du film », qui se tient en même temps que le Festival dans les sous-sols du palais, tous les pays producteurs de films sont représentés. Et, sur les écrans, longs et courts métrages sélectionnés déclinent de multiples manières les façons de vivre, « les espérances et les angoisses des hommes et des femmes de ce temps ». Ces films ont été choisis pour leurs qualités esthétiques mais aussi pour les sujets qu’ils traitent. Il y a plusieurs sélections pendant le festival : la Sélection officielle dans laquelle est choisie la Palme d’or ;

« Un certain regard » qui donne une Camera d’or pour récompenser un premier film choisi dans toutes les sélections ; « La quinzaine des réalisateurs » organisée comme le nom l’indique par les réalisateurs et qui ne donne pas de prix sinon par l’intermédiaire d’autres groupes ; et la « Semaine de la critique » due à l’initiative des journalistes et critiques de cinéma et qui est souvent très innovante.

ans, avec découverte, passion, déchirements. Un film qui dure trois heures, mais sans un instant de ralenti. C’est une histoire d’amour, « les histoires d’amour finissent mal en général ». Ce film parle bien de l’incertitude des sentiments dans la société française d’aujourd’hui, du fait que les jeunes ont à trouver le chemin de leur vie affective dans un monde avare de repères.

La centaine de films projetés pendant le festival est comme un miroir du monde contemporain, un sismographe des courants de pensée et des sensibilités qui le traversent.

« Le Passé », du cinéaste iranien Ashgar Fahradi, film réalisé en France, est lui aussi évocateur du monde actuel par la diversité des relations qu’il présente : une femme qui a eu trois hommes dans sa vie, les relations parents-enfants dans des familles recomposées, une tentative de suicide, l’impact d’internet sur la vie des personnes et des familles. Même regard acéré sur les relations familiales, sur ce que les parents font vivre à leurs enfants par leurs choix affectifs.

Qu’est-ce que les films d’aujourd’hui disent du monde ? Pour être concrète je vous propose de partir du Festival de Cannes 2013. Trois grands films ont dominé la Sélection Officielle. Le Jury a attribué la Palme d’Or à « La vie d’Adèle, chapitres 1 et 2 ». C’est un film très intense du point de vue des sentiments : une histoire d’amour entre une jeune fille de 17 ans et une jeune femme de 24

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Deux films portent un regard plus optimiste sur les relations familiales : « Tel père, tel fils », du cinéaste japonais Hirokazu KoréEda. Il pose la question : « qu’estce qui crée la relation père/fils ? ».


Est-ce le sang ou la responsabilité assumée ? Le film « Nebraska », d’Alexander Payne, porte lui aussi sur la relation père-fils, mais entre un vieil homme et son deuxième fils ; un film plein d’humour et d’une grande finesse qui crée l’émotion et le bonheur sur sa fin.

Quels problèmes de nos sociétés, quelles approches du cœur de l’homme ne sont pas abordés un jour ou l’autre par les réalisateurs ? Aller au cinéma c’est souvent nous rendre sensibles à des mondes qui nous sont étrangers, c’est aussi voir comme en un miroir les problèmes qui sont les nôtres. Vous proposez une retraitecinéma sur l’espérance, trouvezvous matière à espérer avec tant de films qui montrent le mal de vivre ? Les films expriment bien des questions, mais ils montrent la complexité des situations et, le plus souvent, l’extraordinaire désir de vivre chevillé au corps de tant de personnes. Ainsi le documentaire « Benda Bilili » de Florent de la Tullaye qui nous fait rencontrer un orchestre de paraplégiques dans les rues de Kinshasa et les conduit jusqu’en Europe. Ainsi « Brodeuses » d’Eléonore Faucher

© Sean Gallup / Getty images

Le cinéma miroir de nos sociétés, c’est aussi l’admirable « Au bord du monde » de Claus Drexer qui nous donne à entendre ceux qui sont pour nous des ombres : les SDF de Paris la nuit. Il faudrait voir aussi « Gare du Nord » de Claire Simon qui parle des errances de tant de personnes dans ce lieu ouvert à tout vent.

qui nous conte comment deux femmes de deux générations différentes se redonnent vie l’une à l’autre. Le cinéma est aussi l’un des lieux où s’exprime la réflexion philosophique de notre temps. Il n’est pas rare que des réalisateurs soient diplômés en philosophie, comme l’un des frères Dardenne. Le cinéma enfin nous permet de visiter des « périphéries » que nous ne découvririons pas sans lui. Il nous permet de connaître et aimer ce monde dans sa complexité, dans sa dureté mais aussi dans son espérance. Auriez-vous un conseil à donner ? Suscitez des débats après le visionnage d’un film. Les échanges nous permettent d’en découvrir toute la richesse. Dans mon cinéclub niçois qui propose une séance le lundi matin et une autre le mar-

di soir pour le même film, il n’est pas rare que certains spectateurs du lundi reviennent le lendemain en disant : « le débat m’a fait découvrir des éléments que je n’avais pas vus à la première projection, je reviens pour en avoir le cœur net. » Pour des ignatiens, la répétition fait partie des exercices recommandés. Ce n’est pas pour tuer le temps, c’est pour donner tout leur poids aux histoires qui nous sont contées et qui nous parlent de nous-mêmes. Geneviève Roux, xavière Prochaine retraite-cinéma du lundi 20 au dimanche 26 octobre au Foyer de charité Maria Mater à Roquefort-les-Pins (06). www.mariamater.org Tél. : 04 92 60 30 00 mai / juin 2014

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Chercher et trouver Dieu

la politique, y croire encore ? De nombreux Français sont déçus par la politique et les raisons ne manquent pas. Sentiment d’impuissance devant la complexité des problèmes à résoudre ; impression que les responsables, souvent dépassés, sont plus doués pour les grandes déclarations que pour les actions efficaces ; méfiance à l’égard des idéologies qui proposent des solutions radicales simplistes. Ce scepticisme ne doit pas devenir contagieux car se désintéresser du « vivre ensemble » d’une communauté nationale engendre l’anarchie. Heureusement certains se battent pour la recherche du bien commun dans leur association, leur ville, leur région. Et même au Parlement Européen, nombre de décisions sont prises au cours de vrais débats démocratiques. La démocratie est le centre vital du « vivre ensemble ». Les solutions ne viendront pas d’un chef providentiel mais de notre manière d’habiter et de vivre la démocratie. Cette valeur essentielle, qui ose donner la parole aux adversaires et accepte les différences, ne va pas de soi. Aussi faut-il la défendre fermement car elle est incapable de surmonter les obstacles si elle n’est pas soutenue par la force d’une authentique fraternité spirituelle, soucieuse de respecter la liberté et la dignité de tous les concitoyens.

© Philippe Lissac / Godong

Yves de Gentil-Baichis

Témoignages Un goût pour le plus universel. . . . . . . . Renoncer à temps au pouvoir . . . . . . . . Europe : un Parlement qui discerne. . . . Participer au changement . . . . . . . . . . .

éclairage biblique 8 9 10 11

Contrechamp Renouveler la politique  . . . . . . . . . . . . . 13

Jésus donne corps au peuple . . . . . . 14 Repères écclésiaux

,

Quand l’Église parle de la politique. . 16 Pour continuer

en réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

un goût pour le plus universel Travaillant au sein d’un Conseil général depuis une dizaine d’années, Thierry s’interroge sur son goût du politique malgré ce qu’il y voit parfois et qui lui pèse.

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Accompagné de mes neveux et nièce, je visitais récemment une exposition intitulée « vérité ou mensonge ? ». Sans surprise, le politicien y figurait en bonne place aux côtés du vendeur, du journaliste et du manipulateur !

© P. Deliss / Godong

Je me consolais en pensant que la démocratie et la liberté d’expression devaient être de solides conquêtes pour que nous puissions porter sur elles un regard si critique. Je me demandais surtout, un brin coupable, pourquoi j’aimais la politique au point d’y

consacrer ma vie professionnelle depuis plus de 10 ans. Je sais ce qui me pèse : le sentiment de dépenser mon énergie à des problèmes « de boutique » au détriment d’enjeux plus urgents. La prédominance des personnalités extraverties plus promptes aux « coups de gueule » qu’aux « coups de génie ». Surtout la politique se jouant dans la sphère publique, dans ce qui est « visible à tous », le souci de plaire y occupe une place importante. On y est vite tenté de faire adhérer à des idées comme on donne envie d’acheter un produit. On identifie les besoins du « consommateur » et on créé les messages adéquats. Mais les envies passent vite alors que le propre de la politique n’est-il pas de construire dans la durée ? J’en arrivais ainsi à ce qui m’a transmis cette passion coupable. Ce fut d’abord pour moi la figure exemplaire d’un oncle Maire réélu dans sa commune pendant plus de 30 ans. Je ne l’ai jamais vu en tirer orgueil. Je garde le souvenir de ses récits de nuits écourtées et le plaisir évident qu’il ressentait à rencontrer chaque jour ses « administrés ». Sa seule fierté

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était d’avoir été jugé digne de porter l’écharpe tricolore et de représenter quelque chose de plus grand que lui et qui continuerait après lui. En accompagnant, ces derniers jours, une délégation de Maires, je pensais, en les voyant ceints de l’écharpe de l’épaule au côté, à cette autre étole, symbole du service et de la diaconie. Le goût de la politique m’est donc venu par l’exemple d’un proche mais un facétieux hasard a voulu qu’il ait épousé les idées « de gauche » alors que j’ai choisi celles « de droite » héritées de mon grand père maternel. C’est aussi cela que j’aime dans la politique et que j’ai reçu des miens : il appartient à chacun d’exercer son libre arbitre tout en gardant un profond respect pour l’autre. J’ai reçu d’eux une aversion viscérale pour les anathèmes simplistes et les cloisonnements identitaires. Enfin j’aime la politique parce qu’elle permet d’exercer son discernement, de déterminer, pour aujourd’hui, le bien le plus urgent et le plus universel, de « chercher avec soin ce que nous désirons tant » et de faire élection… Cela ne vous rappelle rien ? Thierry


renoncer à temps au pouvoir Pourquoi s’arrêter après deux mandats de maire ? Pas par épuisement ou manque de goût, mais par la prise de conscience d’un pouvoir personnel remplaçant le dynamisme d’une équipe qui débat. Guy relit son parcours de dix-huit années au service des habitants de sa commune.

Pour la deuxième fois, le maire de mon village (une localité semi-rurale de 3500 âmes) se représente et cherche des jeunes qui renouvellent son équipe. Il m’appelle sur sa liste d’intérêt local. Je ne vois pas de raison de dire non et ma femme me soutient 1 . C’est comme cela que je suis devenu conseiller municipal. Six ans plus tard, le successeur pressenti du maire se récuse à la dernière minute et notre équipe se retrouve sans tête de liste. Avec les élus au bistrot un samedi matin, je me propose, et à 36 ans, me voilà élu maire. Mon employeur m’aide en me libérant une journée par semaine pour assurer mon mandat. Ma perte de salaire est compensée par mon indemnité d’élu. Je veux être proche des gens et leur rendre service, cela me ‘bouffe jour et nuit’. Après mon travail, chaque soir, je passe à la mairie et je

règle les questions en suspens. Pas de demande des habitants qui ne soit traitée dans les 24 heures, ou le samedi matin. Très vite, ma façon de mener l’équipe municipale se démarque du maire précédent ‘régnant’ quasiment seul, avec une gestion trop prudente pour lancer des projets. J’installe des commissions avec de vrais responsables et les investissements s’enchaînent pour répondre aux besoins : salle de sports, maison des jeunes, lotissements communaux permettant aux jeunes familles de construire à des prix convenables et de rester sur la commune, centre de secours… Mes enfants me voient moins, mais ils m’accompagnent dans le suivi des nombreux chantiers (ça les intéresse) et mon épouse organise un service gratuit d’aideménagères. Après 18 ans au conseil, je décide de ne pas me représenter. De plus en plus, avec mon expérience, les décisions s’imposent à moi comme pour des bricoles, j’anticipe les délibérations du conseil et celui-ci, confiant, avalise mes décisions sans problème. Il y a moins de débat et le processus démocratique qui fait la réussite

de l’équipe est en danger. Je sens que j’exerce davantage un pouvoir personnel avec risque pour le dynamisme de l’équipe et le service auprès des habitants. Je réfléchis : il me faut partir. J’informe tous les élus de ma décision et la leur commente, cela assez tôt pour assurer la suite. Et tout se passe bien. J’avais 48 ans. J’ai créé mon entreprise et retrouvé le monde associatif. Et avec le recul, pas de regrets ni d'opposition à limiter à deux mandats la fonction de maire. Guy

1. Dans ce genre de situation, il est nécessaire que l’épouse soit partie prenante.

© Joegend / iStock

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J’ai 30 ans, une famille de quatre enfants, et je travaille à une heure de chez moi comme serrurier dans une petite entreprise. Jouant de la trompette, je suis aussi président de l’école de musique. J’aime cette vie remplie.

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

europe : un parlement qui discerne Loin de la grosse structure pesante et immobile, pour Anne-Laure qui y travaille, le parlement européen ouvre sur du sens avec de vrais débats démocratiques. Les prochaines élections sont vitales pour cette fervente européenne.

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1. Harmonisation maximale : va plus loin que l’harmonisation dite minimale. 2. harmonisation minimale : permet aux États d’adopter des dispositions nationales plus protectrices.

Un exemple vécu : La Commission européenne propose fin 2008 d’harmoniser les règles relatives aux droits des consommateurs, en procédant selon une harmonisation dite maximale1, interdi-

sant aux États membres d’adopter d’autres dispositions, même plus protectrices du consommateur. L’objectif est de faciliter le commerce transfrontalier, en particulier les achats par Internet : ce commerce représente une forte opportunité de croissance, mais il se heurte souvent à des règles fragmentées et différentes dans chaque État. J’ai vu le Parlement européen peser de façon décisive pour adopter l’équilibre suivant. Autant il était utile d’harmoniser totalement les règles applicables aux achats par Internet (cases pré-cochées interdites sur les sites Internet, exigence du double-clic par le consommateur avant de confirmer son achat…), autant une harmonisation minimale2 suffisait ailleurs, afin de laisser aux pouvoirs publics nationaux des marges de manœuvre pour protéger leurs consommateurs de certaines pratiques de marché. La France tient par exemple à conserver son régime de garantie légale des vices cachés, issue du Code Civil, à ne pas figer la liste des clauses abusives…

© Rvbox / iStock

CVX fait partie de "Ensemble pour l'Europe", rassemblant 240 mouvements chrétiens pour plus de solidarité, de justice et de paix : ensemblepour leurope.fr

Je travaille depuis 13 ans à l’élaboration des politiques européennes, à Paris, Bruxelles ou Berlin, et je suis témoin du travail du Parlement européen et de son influence déterminante sur le contenu des textes européens. Le Parlement européen est en effet co-législateur, à égalité avec le Conseil des ministres de l’Union qui réunit les 28 États membres : toute proposition de la Commission doit faire l’objet d’un accord entre Conseil et Parlement, sans prééminence de l’un sur l’autre.

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J’ai été frappée par la façon dont les parlementaires euro-

péens n’ont pas cherché à soutenir le projet pour le seul motif qu’il unifiait des règles fragmentées, mais au contraire à discerner les cas où cette unification faisait sens, et ceux où elle n’était pas nécessaire, ou pas encore mûre. Autre exemple : les négociations de 2008 pour lutter contre le changement climatique et promouvoir les énergies renouvelables ; face à la tentation des États membres de réduire la contrainte, j’ai vu le Parlement maintenir un niveau d’ambition écologique élevé. Contrairement aux idées avancées par certains, l’Europe résulte bien de décisions prises après de vrais débats démocratiques. C’est cette culture du débat, portée par le Parlement européen, qui nous permet de vivre en paix et de construire pas à pas des projets qui ont du sens. Pour moi, l’enjeu des prochaines élections est vital : c’est choisir des représentants capables de discernement pour décider des avancées utiles à nos citoyens et à nos économies, tout en préservant la place de l’Europe dans le monde et les spécificités nationales. Anne- Laure


participer au changement Désireuse d’agir sur le Politique, mais ne se retrouvant pas dans les partis politiques actuels, Clémence s’est engagée avec Le Pacte Civique1 promouvant des comportements personnels porteurs de sens, le dialogue démocratique, le vivre ensemble et visant à mettre la politique et l’économie au service de la personne.

Mais j’ai du mal à placer ma confiance dans les partis politiques actuels, qui me semblent trop habités par des habitudes de pouvoir et de champ de vue limité pour être un tant soit peu représentatifs des citoyens. J’ai alors découvert le Pacte Civique (1), qui m’a semblé incarner les solutions face aux dérives des partis actuels. L’articulation entre les trois changements – aux niveaux personnel, des organisations et puis

politique – est une excellente réponse à la facilité du « Tous pourris » que les citoyens jettent trop facilement aux politiques, sans pour autant proposer de solutions concrètes. De même que l’on a les politiques que l’on mérite, de même il faut avoir le courage de s’engager personnellement, de se retrousser les manches et de changer sa manière de se comporter et d’agir si l’on souhaite que les politiques changent aussi. Les valeurs de sobriété, fraternité, créativité, et justice que met en avant le Pacte civique, malgré les limites que je leur trouve, sont des références qui devraient animer tant le chrétien que le citoyen (et le politique). Si seulement les politiques étaient plus créatifs, et pouvaient analyser la crise actuelle comme une mutation, moment idéal de multiples créations ! Si seulement la sobriété habitait nos actes de consommation, et que l’on acceptait de s’inscrire dans une économie circulaire ! Si seulement la fraternité était ressentie et vécue par tous, électeurs de partis différents, débatteurs autour d’une même table ronde, aidants et aidés, exclus et victimes de la

violence ! Si seulement un peu plus de justice –aristotélicienne, comme je l’entends- pouvait réellement inspirer les décisions politiques ! Pouvoir analyser la démocratie sous cet angle, et échanger avec des personnes incarnant au quotidien ces valeurs, dans leurs relations aux contradicteurs, dans leurs pratiques politiques… est très enrichissant pour moi. Clémence

© Valeriya / iStock

I

Il me paraît indispensable de m’engager pour les autres. Je me suis souvent demandé quelle était la meilleure manière de le faire. Évidemment, il y a le fait de témoigner l’Évangile à travers sa vie, d’être présent pour ses proches, à l’écoute. Évidemment, il y a le fait de s’engager dans des associations « humanitaires » ou « sociales », pour l’aide concrète et psychologique dont tant de personnes ont besoin. Mais pour toucher un plus grand niveau (plus de personnes, et dans l’ensemble de leur vie), l’engagement dans la vie de la Cité, dans la politique, me semble essentiel, si on en a le temps, les capacités, l’enthousiasme.

1. www.pacte-civique.org

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Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

Renouveler la politique Comment donner sa juste place à la politique ? quelles causes au discrédit de la politique ? Quelles vigilances devraient avoir chaque homme politique et chaque citoyen ? C’est en répondant à ces questions que Jean-Baptiste de Foucauld dégage des pistes pour raviver la politique et notre engagement.

© Droits Réservés

R Jean-Baptiste de Foucauld ancien commissaire au plan, il est fondateur et président de nombreuses associations, dont « Solidarités nouvelles face au chômage », « Démocratie et spiritualité » et un des principaux inspirateurs et porte-parole du « Pacte civique » www.pacte-civique.org

Rien n’est plus difficile que de donner sa juste place à la politique. Tantôt, elle soulève des espoirs démesurés, tantôt elle déçoit et l’on s’en détourne, laissant ainsi le champ libre aux extrémistes, aux démagogues et aux opportunistes. Un juste discernement s’impose : la politique, en tant que déterminante des règles de fonctionnement de la collectivité, en tant qu’organisatrice des projets collectifs, est une dimension importante de la vie en société. Cela doit être reconnu. Mais la politique ne doit pas tout accaparer, elle doit laisser vivre les corps intermédiaires et respecter les personnes. Tout, d’une certaine façon, est politique, mais la politique n’est pas tout. Il faut donc s’intéresser à la politique, comme lieu de détermination du bien commun. Mais l’intérêt pour la politique a du mal à être désintéressé. Le désir de pouvoir s’y glisse facilement, et pourrait-on dire nécessairement, bien que subtilement, là où le désir de service devrait prévaloir. La bataille pour le pouvoir, les compromis inévitables, les alliances nécessaires, la difficulté à faire valoir ses convictions et l’obligation d’une éthique de res-

ponsabilité obligent souvent à des reculs, à des compromissions, qui sont sources de déceptions.

Pas de fatalité de la médiocrité La politique peut apparaître ainsi comme le lieu du machiavélisme ordinaire, avec ses règles propres, où la conquête et l’exercice du pouvoir deviennent des buts en soi, de plus en plus détachés de son contenu. Cette tendance à la médiocrité de la politique, qui contraste violemment avec les espoirs qu’elle suscite n’a pourtant rien de fatal : le « grand homme », selon Max Weber y échappe, car il est au service d’une grande cause, il dispose du « coup d’œil et de la distance », et il sait équilibrer éthique de conviction et éthique de responsabilité ; « l’honnête homme » peut aussi accéder aux responsabilités en raison de sa compétence, parce qu’il est appelé par le prince qui a besoin de lui, ou dans situations de crise où le personnel politique en place est balayé (le cas Vaclav Havel1). Quoi qu’il en soit, l’intérêt pour la politique, l’engagement politique, impliquent une vigilance spirituelle particulière. Celle-ci devrait être soigneusement organisée et

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reposer tant sur un travail intérieur personnel que sur l’aide désintéressé d’un groupe de pairs et d’amis. Pour parer aux risques propres à l’action politique, il faut s’armer intérieurement, on ne peut s’en tenir aux contrepouvoirs extérieurs, aux « check and balance » comme le proclame la théorie standard.

les causes du discrédit Ces précautions affirmées, le discrédit dont souffre la politique aujourd’hui tient à plusieurs causes : la fin des idéologies, qui, certes, ont déçu, mais mobilisaient efficacement avec des repères et des mots d’ordre simples ; la difficulté des différents gouvernements à résoudre les problèmes les plus urgents de nos sociétés, comme le chômage, et à faire face à l’accumulation probablement exagérée des multiples demandes sociales ; le manque de leadership des élites, peut-être leur désintérêt de fait pour les problèmes réels des gens ; la multiplicité des niveaux d’intervention du politique (local, national, européen, mondial) qui, ajoutés à la complexité intrinsèque des sujets, peut donner un sentiment d’impuissance.


En second lieu, nos sociétés sont confrontées à des questions considérables qui peuvent les mettre en échec. Pour faire bref, comment allons-nous résorber simultanément ce que Patrick Viveret appelle les trois dettes : la dette financière, la dette sociale, celle du chômage et du déficit des régimes sociaux, et la dette écologique qui est reportée sur les générations futures ? Et saurons-nous faire émerger l’Union européenne pour en faire un acteur efficace et responsable, capable de contribuer à une régulation de la mondialisation moins soumise au pouvoir de l’argent ?

nouvelles formes d’engagement Ce cahier des charges requiert à l’évidence de nouvelles formes d’engagement, car ces questions sont difficilement solubles sans un changement de posture vis-

© Jupiterimages / BananaStock

Pourtant, ce sont ces raisons mêmes qui rendent nécessaire une réhabilitation du politique. En premier lieu, chaque génération doit revisiter son rapport avec la démocratie, la comprendre en profondeur. Il ne faut pas s’habituer à la démocratie. La croire bien installée, c’est l’affaiblir. La démocratie est un référendum permanent, car c’est un régime fragile, qui donne la parole à ses ennemis. C’est sa valeur, sa grandeur et sa force, mais c’est aussi sa faiblesse. Elle a besoin d’être soutenue, revisitée en permanence, réactivée en fonction des problèmes de l’heure. Aujourd’hui, nos démocraties sont en risque, plus qu’elles ne le croient. Ce n’est donc pas le moment de les déserter.

à-vis de la politique. Celle-ci ne peut se contenter d’agir d’en haut, mais doit pratiquer l’éthique de la discussion pour co-construire avec les citoyens. Le changement doit se faire simultanément à trois niveaux, celui des comportements personnels, celui des fonctionnements de toutes les organisations qui structurent la vie économique, sociale et politique, celui des institutions et politiques publiques enfin. C’est ce que nous essayons d’articuler dans les engagements du Pacte civique1. Une sobriété créative, juste, et fraternelle doit se substituer au « toujours plus » et doit constituer l’objectif. Tout cela suppose un fort renouvellement de la classe politique, qui a besoin de forces nouvelles et doit

être aidée en cela par la limitation du cumul des mandats et, enfin, l’adoption d’un véritable statut de l’élu. Voilà des tâches passionnantes, politiques, mais pas nécessairement partisanes, qui méritent notre intérêt et nous obligent en quelque sorte à croire encore à la politique, mais en une politique elle-même à renouveler de manière assez profonde. Jean-Baptiste de Foucauld 1/ Vaclav Havel : une des figures de proue de la révolution de velours, qui met un terme au régime communiste de Tchécoslovaquie. Il est ensuite président de la République fédérale tchèque et slovaque de 1989 à 1992, puis président de la République tchèque de 1993 à 2003. Politicien atypique, souvent appelé le « président-philosophe ».

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Chercher et trouver Dieu

éclairage biblique

© James Tissot – Brooklin Museum / Wikicommons

Jesus donne corps au peuple

34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des

brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement.

35 Déjà l’heure était avancée ; s’étant approchés de lui, ses disciples disaient : « L’endroit est désert et déjà l’heure est

tardive.

36 Renvoie-les : qu’ils aillent dans les campagnes et les villages des environs s’acheter de quoi manger. » 37 Il leur répondit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répliquent : « Irons-nous dépenser le salaire de deux

cents journées pour acheter des pains et leur donner à manger ? »

38 Il leur ordonna de les faire tous asseoir par groupes sur l’herbe verte. 39 Car ils le virent tous et ils furent affolés. Mais lui aussitôt leur parla ; il leur dit : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur. » 40 Ils se disposèrent par carrés de cent et de cinquante. 41 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction et rompit les

pains ; il les donnait aux disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Il partagea aussi les deux poissons entre eux tous.

42 Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés.

Marc 6, 34 – 42 Traduction TOB

14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 29


L

Lors de la multiplication des pains, Jésus assume une figure royale et d’ailleurs, dans l’évangile de Jean (6, 15), il doit même se dérober à ceux qui veulent le faire roi. Que nous dit donc cet évangile de la politique ? Ce n’est sans doute pas sa portée ultime, mais c’est bien cette réalité du politique qu’il éclaire pour nous. Tout commence avec cette foule qui se présente à Jésus dans toute la pesanteur du réel. Il n’y a pas là de place pour une construction a priori, c’est l’événement qui surgit et interpelle ! C’est lui qui suscite une réponse en retour et Jésus est saisi de compassion. C’est bien souvent cette même interpellation qui fonde pour nous la question politique. Mais Jésus, comment répond-il à ce saisissement ? Son premier mouvement est d’enseigner ! Ils sont sans berger, mais Jésus ne cherche pas à leur donner un berger pour qu’ils restent troupeau bêlant ! Non, c’est en leur parlant qu’il commence à faire de cette foule un peuple, possiblement uni dans une langue commune, celle de l’Évangile. La politique est donc parole, parole à prendre et à donner, à recevoir et partager. Qu’elle circule ! Mais Jésus ne se contente pas d’enseigner, il organise aussi, il institue pour que la parole se réalise. Et la foule informe devient peuple. Comment s’y prend-il ? Il se saisit de ce qu’on lui rapporte. Il part de ce qui lui est dit et suscite même des informations complémentaires. La question de la nourriture, ce n’est pas Jésus qui la pose, ce sont les disciples. Et comme ils l’apportent, ils s’en trouvent chargés ! Jésus instaure ainsi une forme de hiérarchie : les disciples mesurent les ressources et organisent le peuple en subdivisions fonctionnelles. Et voici qu’une foule au désert devient un peuple qui habite sa terre : carrés de cent et de cinquante assis sur l’herbe verte. On découvre là que c’est l’action politique qui crée le peuple en le servant. Quelle espérance pour tous ceux qui s’engagent ! Ayez confiance, vous allez donner corps à un peuple nouveau ! Enfin Jésus satisfait le besoin vital, basique, fondamental : être nourri. Il en finit par là !

Pourquoi ne pas avoir commencé par là  ? Le besoin le plus pressant n’était-ce pas de trouver une place d’être humain au sein d’un peuple en marche, de ne plus être cette brebis sans berger ? Le sens nous manque bien plus que le pain. Et c’est seulement quand ils sont partagés au sein d’un peuple que pains et poissons peuvent vraiment nous rassasier. Là tous sont rassasiés : tous ont eu leur part et tous y ont pris part. Nous ne savons pas de qui venaient ces pains et ces poissons, ils sont devenus bien communs. Mais nous ne savons pas non plus comment ils se sont multipliés ! Il y a fallu la bénédiction et la fraction par le Christ, mais aussi la distribution par les disciples et finalement le partage par les groupes de cent et de cinquante. À quel moment se produit le miracle de la multiplication ? Non n’en savons rien, nous savons seulement que chacun y a eu sa part et que c’est un peuple qui l’a permis. Xavier Lavignotte CVX

Points pour prier + Je demande la grâce d’être davantage, en

communion avec le Christ, envoyé dans le monde pour sauver et servir tous les hommes.

+ Je garde le point de vue des disciples, comme si j’étais l’un ou l’une d’entre eux.

+ Nous voyons comment Jésus rencontre

la foule, comment il réagit à sa vue, comment il répond. Les disciples se tiennent à distance et observent…

+ Nous approchons de Jésus avec notre

objection. Nous entendons la discussion qui s’élève entre lui et nous, les tensions qu’elle révèle, l’autre chemin qu’elle dessine…

+ Nous participons à l’œuvre commune : pains, poissons et paniers passent de main en main…

+ Je tire profit de tout cela et me tourne vers le Christ pour lui ouvrir mon cœur.

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Chercher et trouver Dieu

Repères ecclésiaux

Quand l’Église parle de la politique L’Église voit dans la politique une des façons de servir le prochain, de toucher de façon large le bien commun. Or le but de cette action politique n’est pas la charité mais la justice, rappelle Christian Mellon s.j. co-fondateur de « La politique, une Bonne Nouvelle ». Et si l’ouverture à la transcendance renouvelait les mentalités politiques et économiques…

S Christian Mellon sj Responsable du pôle formation du Ceras, spécialiste en éthique des relations internationales, Paix et Conflits, des rapports entre foi, éthique et politique. Co-fondateur de l’association « Politique, une Bonne Nouvelle », il intervient au Cised. www.ceras-projet.com www.politique bonnenouvelle.eu

Si l’Église ose parler de politique, c’est parce que cette activité humaine est à ses yeux une des manières de mettre en œuvre la ‘charité‘, une façon de ‘servir le prochain‘. Ce lien entre ‘charité‘ et ‘politique‘ est souligné dans la célèbre formule du pape Pie XI, parlant en 1927 du « champ de la plus vaste charité : la charité politique ».

rapports sociaux, économiques, politiques » (Caritas in Veritate, 2). Le pape François, dans Evangelii Gaudium (205), cite cette phrase de son prédécesseur pour affirmer à son tour que « la politique, tant dénigrée, est une vocation très noble ; elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun ».

Tout chrétien est invité à servir le prochain ; mais ici il s’agit moins de se porter à son secours au cas par cas que de travailler à améliorer les ‘institutions‘ qui déterminent les conditions de sa vie ; de son épanouissement, de ses relations, de sa créativité. Benoit XVI, pour inviter le chrétien à suivre ce qu’il appelle « la voie institutionnelle – politique aussi pourrait-on dire - de la charité », rappelle qu’aucun domaine de l'existence humaine n’est étranger à l'exigence de charité, et surtout pas celui des « institutions » de la société. En effet, l’amour « est le principe non seulement des micro-relations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations :

Clarifier la relation charité-justice

16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 29

Si le chrétien, inspiré par la charité, s’implique dans l’action politique – au sens large : tout ce qui concerne le ‘bien commun‘ - il sait cependant que celle-ci n’a pas pour objet de faire régner la charité entre les hommes ! Son objet propre, c’est la ‘justice‘. Il faut donc clarifier les relations entre ‘charité‘ et ‘justice‘ d’une part, entre Église et politique d’autre part. C’est ce que fait Benoît XVI dans la deuxième partie de Deus caritas est (2005). Après avoir rappelé qu’on ne doit ni opposer ni confondre charité et justice (« L’amour – caritas – sera toujours

nécessaire, même dans la société la plus juste »), il précise que la justice est la tâche propre du politique, la charité celle de l’Église. Mais l’Église ne se désintéresse pas de la politique, puisqu’« Elle ne peut ni ne doit rester à l’écart dans la lutte pour la justice ». Le chrétien est donc invité à s’engager dans la tâche politique – qui a pour objet la justice - en conjuguant ses efforts avec ceux de bien d’autres, croyants ou non. « La société juste ne peut être l’œuvre de l’Église, écrit Benoît XVI, mais elle doit être réalisée par le politique ». Une clarification opportune dans une société sécularisée, où les chrétiens ont à mener avec d’autres, animés par d’autres motivations que les leurs, le combat politique pour la justice. C'est aux laïcs qu'il incombe d’« agir pour un ordre juste dans la société… en coopérant avec les autres citoyens ». Évêques et prêtres n’ont pas à leur dire comment faire. Leur rôle est de « former leurs consciences » (notamment par la Doctrine sociale de l’Église) et de réveiller leurs « forces spirituelles »


Ce devoir de s'engager dans le service du frère par l’action politique pour rendre la société plus juste a fait l’objet, en 1987, d’un vibrant appel de Jean Paul II, dans l’exhortation apostolique sur « Les laïcs fidèles du Christ » : « Pour une animation chrétienne de l'ordre temporel (...), pour servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la politique, à savoir l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir le bien commun. Les Pères du Synode l'ont affirmé à plusieurs reprises : tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique (...). Les accusations d'arrivisme, d'idolâtrie du pouvoir, d'égoïsme et de corruption qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l'opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le scepticisme ni l'absentéisme des chrétiens pour la chose publique. » La définition donnée ici de l’action politique est suffisamment large pour que chacun puisse trouver la voie qui corresponde à ses goûts, ses compétences, ses disponibilités. La politique stricto sensu (militer dans un parti, briguer et

© Archives Ciric / Ciric International

pour affronter les luttes et les pousser aux renoncements parfois nécessaires, du fait que leur action devra toujours viser les véritables exigences de la justice, « même si cela est en opposition avec des situations d’intérêt personnel ».

exercer un mandat électif) n’est qu’une des manières de servir le bien commun par « la voie institutionnelle de la charité ».

Légitimité et limites du pluralisme politique Si tous les chrétiens sont invités à agir en vue du bien commun, de la justice pour tous, ils peuvent légitimement diverger quant aux moyens d’atteindre ces objectifs. Le pluralisme politique des disciples du Christ est légitime. Ce pluralisme est une réalité ancienne, mais sa légitimité n’a été reconnue qu’avec le Concile. « Fréquemment, c’est leur vision chrétienne des choses qui les inclinera à telle ou telle solution, selon les circonstances. Mais d’autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en juger autrement, comme il advient souvent et à bon droit ». (GS 43) Une des conséquences de ce pluralisme, c'est qu'il n’y a pas de ‘politique chrétienne‘. Il y a en revanche une « pratique chrétienne de la politique », pour reprendre l’expression popularisée par un célèbre texte de l'épiscopat français, en 1972. Ce pluralisme n’est pas sans limites : à l’occasion de chaque grande échéance électo-

rale, l’épiscopat français rappelle – sans donner d’indication de vote – les points sur lesquels tout fidèle du Christ est invité à peser les enjeux de son choix pour ne pas soutenir des mesures ou des idéologies contraires à l’Esprit de l’Évangile. Si nous sommes en proie au scepticisme ou au découragement vis-à-vis de la politique, que ces quelques lignes du pape François nous aident à y résister : « Je prie le Seigneur qu’il nous offre davantage d’hommes politiques qui aient vraiment à cœur la société, le peuple, la vie des pauvres ! Il est indispensable que les gouvernants et le pouvoir financier lèvent les yeux et élargissent leurs perspectives, qu’ils fassent en sorte que tous les citoyens aient un travail digne, une instruction et une assistance sanitaire. Et pourquoi ne pas recourir à Dieu afin qu’il inspire leurs plans ? Je suis convaincu qu’à partir d’une ouverture à la transcendance pourrait naître une nouvelle mentalité politique et économique, qui aiderait à dépasser la dichotomie absolue entre économie et bien commun social. » (Evangelii Gaudium, 205) Christian Mellon s.j. mai / juin 2014 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Le climat dans le groupe permet-il de parler de politique ou est-ce un sujet tabou ? Que pourrions-nous libérer pour oser aborder ce sujet ? Nous pourrions nous saisir de l’occasion donnée par les élections européennes de juin pour se lancer. - Quelles est aujourd’hui ma posture vis-à-vis de la politique ? Qu’entraîne-t-elle dans mes paroles et dans mes actes ? - De quelle manière pouvons-nous nous aider à dégager la portée de nos actes et l’incidence de nos décisions personnelles dans le champ politique ? • Mes relations centrées sur mes proches (micro-relations) sont-elles exclusives ou me conduisent-elles à des macro-relations : rapports sociaux, économiques et politiques, telles qu’évoquées dans « caritas in veritate » ? (voir p. 17) • Mon rapport à la politique, mes actions dans ce domaine sont-ils éclairés par l’Évangile de Jésus-Christ ? Comment ?

À lire : • Comment se réapproprier l'Europe ? – Revue Projet – avril 2014 – 62 pages –12 €. • La joie de l’Évangile, exhortation apostolique – Pape François – Bayard – 2013 – 7 € – Voir p. 17 et p. 40. • Pourquoi vote-t-on encore ? – Revue Projet – avril 2012  – 58 pages –11 €. • Une autre vie est possible – Jean Claude Guillebaud – Ed. l’Iconoclaste – 2012 – 214 p – 14.00 €. • Du spirituel en politique – Paul Valadier sj. Éditions Bayard – Christus – 2008 –123 p. – 13,50 €. • A écouter "Politique : peut-on y croire encore ?" sur centresevres.com Pub revue 29 15-04-14 10h43 Page1

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18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 29


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« Ils m’ont révélé ton visage » De Blandine Dahéron, préface d’Etienne Grieu s.j. éd. Salvatore – Mars 2014 – 15,90 e Ce témoignage de foi est fondé sur le visage du Christ présenté en couvertu re. Blandine Dahéron, journaliste et membre de la CVX, nous montre comment le Seigneur se révèle au cœur de la relation et comment nous devenons visages du Christ les uns pour les autres. Après une enquête sur les aute urs de ce visage, une méditation et réflexion thé ologique donnent du poids à ce livre qui s’achève par des pistes de prière.

Session-retraite Jeunes Professionnels

ituel Jésuite Pour les 25/35 ans au Centre Spir (11h30) au août de Penboc’h (56) du jeudi 14 4. 201 dimanche 24 août (9h) is e à l’écoute de la Parole. Tro Avec d’autres, avancer au larg pour ce silen en jours de retraite jours pour relire sa vie, cinq les foi, une journée pour recueillir sa r cine enra et r apprendre à prie avec se, Égli en e vécu e arch dém Une fruits et s’orienter vers l’avenir. accompagnement personnel.

w.penbochjp.wordpress.com Renseignements et inscription : ww m penbochjp.sessionretraite@gmail.co

Formation à l’écoute

De Socrate à saint Paul Sur les pas de Socrate et de l’apôtre Paul en Grèce, une semaine de : Réflexion et échanges, aux sources du christianisme. Partage autour de grands textes de la Grèce Antique et du message de Saint Paul, Résonnances dans le monde contemporain : les chrétiens et la mondialisation, le sel de la Terre ? Prières et célébrations, dans l’esprit de la spiritualité ignatienne, Détente et ressourcement, du temps libre, de la baignade sous le soleil grec. De 1 an à 99 ans. Prix : 550 € pour adultes 260 € pour étudiants et jeunes 190 € enfants moins de 15 ans Info : mauricejoyeux@hotmail.fr Deux sessions au choix : • du samedi 12 au dimanche 20 juillet 2014 • du samedi 2 au dimanche 10 août 2014

Vous êtes en situation d’écoute et vous désirez approfondir cette démarche, l’Association M. Giuliani offre une formation annuelle à l’accompagnement spirituel ignatien dans la vie et aux Exercices spirituels dans la vie. Réunions mensuelles à Paris de 9 h 30 à 17 h les samedis 4 oct., 8 nov., 13 déc. 2014, et 10 janv., 7 fév, 14 mars, 11 avril, 30 mai, 27 juin 2015. Tél : 01 39 43 67 64 – www.mauricegiuliani.fr

Assemblée européenne CVX L’Assemblée européenne se tiendra à Regensburg (Ratisbonne en français !) en Allemagne à la Pentecôte (7 et 8 juin 2014). Elle réunira les personnes chargées des liens avec les autres CVX d’Europe, les Eurolinks des différentes communautés européennes (18 à ce jour), les assistants nationaux, les présidents nationaux et les membres de l’Euroteam. Ils travailleront à partir de l’Assemblée mondiale de Beyrouth 2013, afin de déterminer des orientations communes, des priorités pour les prochaines années. Le thème est : “Venez et voyez”. Ils éliront également l’Euroteam, l’équipe en charge de la coordination européenne. Que nos prières les accompagnent pour ce temps fort.

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Se former

école de prière

« Examen particulier » : se laisser instruire par son quotidien Bien qu’étant au début du livre des Exercices d’Ignace, l’examen particulier et quotidien est peu connu. Nécessitant du temps pour donner son fruit, il est idéal pour être pratiqué en communauté locale ou dans un accompagnement dans la vie. Un bon moyen pour vivre l’Alliance dans l’instant.

«

« Il comprend trois temps et deux examens de conscience chaque jour. 24 Le premier temps est le matin. Aussitôt qu’on se lève, on doit se proposer de se tenir soigneusement en garde contre le péché ou défaut particulier dont on veut se corriger et se défaire. 25 Le second temps est après le dîner. On commencera par demander à Dieu, notre Seigneur, ce que l’on désire, c’est-à-dire la grâce de se souvenir combien de fois on est tombé dans ce péché ou défaut particulier, et celle de s’en corriger à l’avenir ; puis on fera le premier examen, en se demandant à soimême un compte exact de ce point spécial, sur lequel on a résolu de se corriger et de se réformer. On parcourra donc chacune des heures de la matinée, que l’on peut aussi diviser en certains espaces de temps, selon l’ordre des actions, en commençant depuis le moment du lever jusqu’à celui de l’examen

20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 29

présent ; puis on marquera sur la première ligne de la lettre J 8 autant de points que l’on est tombé de fois dans ce péché ou défaut particulier. Enfin, on prendra de nouveau la résolution de s’amender du premier au second examen. 26 Le troisième temps est après le souper. On fera le second examen, aussi d’heure en heure, en commençant depuis le premier, puis on marquera sur la seconde ligne de la même lettre J autant de points qu’on est tombé de fois dans le péché ou défaut particulier dont on travaille à se corriger. » Exercices spirituels de saint Ignace, annotations 24-26. Entrer dans les Exercices par la reconnaissance de l’objectivité du réel. Entrer dans la proposition des Exercices demande d’en éprouver d’une manière vitale le besoin, celui d’ordonner, d’unifier sa vie. C’est la perception d’un grave déséquilibre en soi qui en

est la cause. Deux voies principales s’offrent à nous, celle de la considération générale, celle du Principe et Fondement, celle dont Ignace a usé envers Xavier : « A quoi sert à l’homme de gagner le monde s’il vient à en perdre son âme », ou celle de la considération particulière, celle de Pierre Favre, celle de l’examen [la prière d’Alliance]. Dans cette seconde voie, il y a l’examen particulier. Une manière qui convertit dans la douceur notre rapport au réel, en nous donnant d’en avoir une perception plus objective des choses. Une mise en œuvre de toutes nos facultés. À la lecture du texte, nous découvrons l’attitude que promeut Ignace. Il s’agit de vouloir un progrès dans le comportement [sans peur d’un certain volontarisme, « se proposer de se tenir soigneusement… »], mais de demander [« la grâce de se souvenir »], de constater. Puis il y aura la possibilité dans la durée, si cela convient


Un fruit : le réel ressenti devient mon ami Ainsi un étudiant ingénieur que j’accompagnais avait repéré qu’il souffrait d’un grave défaut en examen, défaut qui mettait en jeu son diplôme. En examen, il ne savait pas quitter une question qu’il ne savait pas résoudre pour aller grappiller des points ailleurs en répondant aux questions dont il connaissait la réponse… Nous avons passé contrat. Pour ses séances quotidiennes de révision, il établirait un programme avec une matière à réviser par heure. L’enjeu pour lui : s’habituer au passage. Il noterait comment cela se déroulait. Chaque semaine, nous ferions un point. Il est entré généreusement dans la démarche. Au bout de trois semaines, sans trop savoir comment, mais en rendant compte fidèlement de sa démarche, il avait appris à tenir son timing, en sachant renoncer à aller plus avant sur un point pour honorer son prévisionnel. Il a parfaitement réussi sa période intensive et a été diplômé.

© Creative Nature-mi / iStock

[les additions] de comparer, de regretter… C’est un chemin d’une connaissance de soi, factuelle, expérimentale, qui aide à sortir à la fois de la culpabilité [comme Pierre Favre] ou de l’évitement. C’est un exercice qui met en œuvre nos diverses facultés : il s’agit d’être volontaire, de se souvenir, puis d’user de son intelligence dans les comparaisons. C’est une démarche qui peut être mise en œuvre loin de toute foi explicite. Mais c’est une démarche qui porte du fruit.

De la même manière, cet exercice a été pratiqué par chacun dans une communauté locale, durant un mois. Chacun a choisi un point de vigilance. L’aide communautaire a permis de durer et a rendu chacun de ses membres bien plus conscient et reconnaissant de la présence bienveillante de Dieu en chacun de leurs quotidiens. Voilà le fruit principal : l’occasion, dans le même souffle, de retrouver cette grâce d’offrir la journée

au lever, parfois seulement dans sa voiture avant de la quitter sur le parking de l’entreprise… de s’éveiller en Dieu, de s’ouvrir à sa présence quotidienne. L’examen particulier est bien cette aide puissante pour se rendre présent à notre quotidien tel qu’il est constatable, y vivre l’alliance dans l’instant. Jean-Luc Fabre s.j. Assistant national CVX

Pour aller plus loin

Les additions Ignace propose quatre aides supplémentaires à ces trois temps de la journée, ce sont les « additions » L’addition est là pour aider le retraitant à mieux trouver ce qu’il cherche lorsqu’il a déjà commencé. Cette attitude est pleine de vie, il s’agit de commencer, d’éprouver et dans la situation, il sera donné de s’ajuster, d’avancer plus avant. L’addition signe la recherche d’un progrès réaliste et non un perfectionnisme. Voir sur la site www.editionsviechretienne.fr

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Se former

Expérience de Dieu…

… à Lourdes avec l’Hospitalité diocésaine Aider les personnes malades ou handicapées pendant une semaine à Lourdes chaque année, ne s’arrête pas une fois rentré chez soi. L’appel de Notre Dame à la prière et la conversion, l’amitié vécue avec les accompagnateurs, les malades, la joie du partage peuvent se vivre tout au long d’une vie, témoigne Élisabeth, hospitalière de Charente Maritime.

C

C’est à l’âge de dix-sept ans que j’ai participé à mon premier pèlerinage à Lourdes, à l’occasion du pèlerinage diocésain de la Charente. C’est l’âge de la générosité et du don de soi et cette expérience a certainement participé à ma décision de me mettre au

Pendant de nombreuses années, mon mari médecin et moi-même infirmière, sommes allés chaque année au pèlerinage à Lourdes avec cette Hospitalité diocésaine de Charente Maritime. Personnellement je désirais surtout me mettre au service de nos amis malades pendant ces quelques jours car j’avais arrêté mon activité professionnelle pour élever nos enfants.

service des malades dans mon futur métier. Puis la vie professionnelle et la vie de famille ont imposé leurs exigences et c’est en 1978 que j’ai repris contact avec l’Hospitalité Diocésaine de Charente-Maritime.

© P. Razzo / Ciric

Nos trois garçons ont participé avec bonheur à cette parenthèse annuelle accompagnés de beaucoup de leurs camarades. Partir à Lourdes en famille, pouvoir ensuite partager nos sentiments et se dire que toutes ces petites graines semées pourraient peut-être germer un jour était une vraie joie ! D’ailleurs deux de nos enfants ont marché dans nos pas et viennent eux-mêmes aujourd’hui avec leurs enfants au pèlerinage.

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Après plusieurs années d’interruption et après avoir eu une fille, celle-ci nous a demandé de revivre ce service auprès des personnes malades et handicapées. Elle voulait vivre ce que nous avions vécu


avec ses frères, une expérience spirituelle en famille, un service auprès de nos frères souffrants. Nous avons accueilli cette demande avec joie. Ce retour à Lourdes a alors pris une autre dimension. Au cours de la procession eucharistique (temps fort de notre pèlerinage) alors que notre aumônier m’avait demandé de porter le dais, j’ai senti un appel de Dieu : appel à faire quelque chose de « grand » ou appel à bien faire les petites choses quotidiennes ? La réponse m’a été donnée lorsque, plusieurs semaines après notre retour du pèlerinage, le président de l’Hospitalité m’a proposé sa succession : organiser le pèlerinage, être au plus près de nos amis malades toute l’année, rencontrer des hospitaliers, être à leur écoute et susciter de nouvelles vocations, créer des liens entre tous les membres de notre mouvement… tout cela était exaltant mais la charge me semblait bien lourde ! J’ai accepté non sans une certaine appréhension face à la tâche. « Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25,40). L’attention aux malades est une longue tradition dans l’histoire de l’Église et je souhaitais marcher sur la route tracée par Jésus. Cette parole de Jésus prenait un nouveau sens, et elle m’a souvent aidée auprès de nos amis malades, je me sentais plus proche d’eux. En ce début de mandat je m’étais fixé un double objectif : permettre

L’Hospitalité diocésaine Lourdes, son message, ses sanctuaires demeurent un appel à la prière et à la conversion. Sainte Bernadette nous a révélé l’amour d’intercession de la Vierge Marie, Mère de Jésus et Mère de tous les hommes. Ce message est à vivre avec tous et surtout avec nos frères souffrants ; il est reçu tout spécialement par des chrétiens qui veulent en faire un souci permanent sous le signe d’une Hospitalité. Ce sont des hommes, des femmes et des jeunes de l’Église catholique, tournés vers les personnes atteintes dans leur santé par la maladie, le handicap ou l’âge, en réponse à l’invitation de Notre Dame. L’Hospitalité fait siennes les orientations diocésaines. Elle est placée sous la responsabilité de l’Évêque et constitue un élément actif de la Pastorale de la Santé. L’Hospitalité croit à l’importance de la prière, la prière des hospitaliers trouve son inspiration dans le message de Lourdes et dans l’Évangile. à chaque hospitalier, quel que soit son âge ou sa sensibilité, de réaliser ce désir d’accompagner, d’écouter, de soulager nos frères malades et handicapés à Lourdes et pendant toute l’année. L’autre but aussi essentiel : permettre à nos frères malades, pour qui Lourdes est le lieu où peuvent s’exprimer leurs aspirations religieuses, leur vie intérieure et s’affirmer leur dignité, de faire une expérience religieuse communautaire avec l’aide de notre aumônier et de l’équipe soignante. En cette année 2003 j’ai donc préparé mon premier pèlerinage en tant que présidente avec l’appréhension de l’inconnu et la joie de la découverte. J’ai parcouru notre diocèse et ses petits villages, participé aux rencontres des différents secteurs, écrit et téléphoné aux hospitaliers et aux personnes malades, bref, organisé avec entrain ce pèlerinage com-

posé de 130 personnes malades ou handicapées et d’environ 250 hospitaliers, jeunes et enfants. Très vite des liens fraternels se sont tissés et je me suis sentie « embarquée » dans une grande famille où chaque rencontre était un moment de joie ! J’ai alors réalisé que Lourdes c’était toute l’année… Les cinq jours passés à Lourdes sont extrêmement denses en émotions, en partage, en amitié et… en fatigue. Nous en revenons heureux et transformés car riches de tout ce que nos amis malades nous ont apporté (nous avons l’habitude de dire qu’ils nous apportent beaucoup plus que ce que nous leur donnons) avec l’espoir de repartir l’année suivante. Élisabeth Asseline Hospitalière Charente-Maritime mai / juin 2014 23


Se former

Lire la Bible

L’opération Gédéon Peut-on combattre lorsqu'on est sûr de gagner ? Gédéon va-t-il partir au combat avec 30 000 hommes ou bien avec 300 ? Et nous ? Avec quelle force, quelle confiance dans le Seigneur allons-nous ? Claude Flipo s.j. relit ce texte tiré du chapitre 7 du livre des Juges où la tradition y voit une image de notre combat spirituel.

G © Providence Lithograph Company / Wikicommons

Gédéon réunit ses trois cents hommes, leur mit en mains des cors et des cruches vides cachant des torches allumées, et leur dit : « Vous ferez comme moi quand nous serons aux abords du camp des Madianites. » Arrivés aux abords du camp au milieu de la nuit, alors qu’on venait de relever les sentinelles, ils se tinrent debout autour du camp, chacun à sa place, sonnèrent du cor et brisèrent les cruches, saisissant de la main gauche les torches et de la droite les cors, et criant tous

▲ Debout autour du camp ils sonnèrent du cor.

ensemble : « Épée pour le Seigneur et pour Gédéon ! » Et le camp tout entier se mit à pousser des cris de frayeur et à prendre la fuite. C’est ainsi qu’ils remportèrent la victoire sur Madian et tous les ennemis d’Israël qui s’étalaient dans la plaine aussi nombreux que des sauterelles.

Quand le peuple relit son histoire Le récit, tiré du livre des Juges au chapitre 7, se situe dans l’histoire d’Israël après la conquête de la terre de Canaan par Josué. Son intention manifeste est de souligner que ce n’est pas le nombre de ses chars, mais le bras de Yahvé qui les délivra. Les auteurs du livre, sans doute à l’époque des Rois, méditent sur le passé de leur peuple et en tirent une leçon religieuse : le peuple qui avait fait alliance avec son Dieu au désert reçoit maintenant sa terre promise des mains de celui qui a combattu pour lui. Assailli par les peuples voisins – les Madianites au sud qui vivent de razzias redoutables, les Philistins à l’intérieur qui veulent imposer le culte de Baal – Israël, petit peuple de douze tribus mal organisées devait confier son destin à des leaders charismatiques, les

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Douze juges, héros libérateurs dont nous connaissons quelques noms, Barak et Débora, Jephté, Samson, Gédéon… Les écrivains sacrés, au temps des Rois et de leurs infidélités, font une relecture religieuse de cette histoire tourmentée. Quand le peuple se montre fidèle à l’Alliance, le pays est en repos et jouit des bénédictions divines. Mais bien vite le peuple oublie son Bienfaiteur et l’histoire se répète : « Les fils d’Israël firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur et se mirent à servir Baal. » Alors le Seigneur les livre aux mains de leurs ennemis. Puis vient le repentir et la supplication : dans leur détresse, les fils d’Israël crient vers le Seigneur, et le Seigneur répond en suscitant un sauveur, un « juge » qui prend la tête du combat de libération. À travers ces récits, s’ébauche une théologie de l’histoire : le péché entraîne le châtiment, et le repentir suscite un sauveur.

La vocation de Gédéon Revenons au point de départ de notre récit. Gédéon, fils de Yoash, propriétaire du térébinthe d’Ofra – arbre sacré d’un sanctuaire cananéen situé dans le territoire de


Tout Madian, alerté, se rassembla sous la conduite d’Amaleq dans la plaine d’Izréel. Mais l’Esprit du Seigneur revêtit Gédéon qui sonna du cor pour convoquer sa tribu : trente mille hommes montèrent et dressèrent le camp face à Madian. Mais le Seigneur dit à Gédéon : « Trop nombreux est le peuple qui est avec toi pour que je livre Madian entre ses mains : Israël pourrait s’en glorifier et dire : c’est ma main qui m’a sauvé ! Proclame donc ceci : Quiconque a peur et tremble, qu’il s’en retourne et déguerpisse. » Vingt deux mille

© James Steidl / Hemera

Manassé – était en train de battre le blé pour le soustraire aux razzias de Madian, quand l’ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Le Seigneur est avec toi, vaillant guerrier ! » Gédéon lui dit : « Pardon, mon Seigneur. Si le Seigneur est avec nous, pourquoi tout cela nous est-il arrivé ? Où sont les merveilles que nous racontaient nos pères quand le Seigneur nous a fait monter d’Egypte ? Et maintenant il nous a délaissés et nous livrant à Madian. » Mais le Seigneur lui dit : « Va, avec cette force que tu as et sauve Israël de Madian. Oui, c’est moi qui t’envoie. » Mais Gédéon lui répondit : « Pardon, mon Seigneur, comment sauverai-je Israël ? Mon clan est le plus faible en Manassé, et moi, je suis le plus jeune dans la maison de mon père. » Le Seigneur lui répondit : « Je serai avec toi et tu battras Madian comme un seul homme. » Et le Seigneur lui donna un signe : il consuma l’offrande que Gédéon lui offrit sous le térébinthe. Et Gédéon, après avoir détruit l’autel de Baal, bâtit là un autel au Dieu de ses pères.

▲ "L'amour de soi croissant jusqu'au mépris de Dieu bâtit Babylone".

hommes s’en retournèrent et il en resta dix mille.

Le combat Comment ce récit peut-il encore nous parler aujourd’hui ? C’est à Origène que nous devons l’interprétation chrétienne des combats d’Israël, et c’est à lui le premier que le thème traditionnel dans le monde chrétien doit son nom et sa symbolique biblique : « le combat spirituel ». Toute l’Écriture est pour lui le livre des combats du Seigneur qui vient libérer l’humanité de la servitude du péché, comme l’a souligné le Père de Lubac dans son magistral ouvrage Histoire et esprit : « Josué est le premier chef d’armée qui porte le nom de Jésus. Il promet une victoire glorieuse à ceux qui voudront le suivre pour exterminer les puissances adverses au Règne de

Dieu. Et pourtant, la lutte sera tout intime : c’est au cœur de chaque soldat qu’il faut vaincre l’ennemi. Et Gédéon, qui poursuivra la campagne, parlera le même langage à ses compagnons : « Par sa voix, notre Seigneur Jésus Christ semble nous dire : si quelqu’un est timide et de cœur craintif, qu’il ne s’enrôle pas pour ma guerre ! Car celui qui voudra me suivre devra porter sa croix à mon exemple. » » Le combat figure la lutte implacable entre deux cités, Jérusalem et Babylone, opposition non pas entre deux peuples, mais tout intérieure à l’âme et à l’Église, comme l’expliquera saint Augustin : « Deux cités sont construites par deux amours, l’amour de Dieu croissant jusqu’à l’oubli de soi bâtit Jérusalem. L’amour de soi croissant jusqu’au mépris de Dieu bâtit Babylone. » En chacun, elles se

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Lire la Bible combattent, et Jésus est le véritable chef qui mène ce combat et appelle à le suivre : « Ma volonté est de conquérir le monde entier et tous les ennemis et d’entrer ainsi dans la gloire de mon Père ; c’est pourquoi quiconque voudra venir avec moi doit peiner avec moi pour que, me suivant dans la peine, il me suive aussi dans la gloire » (Ex. Sp. n°95). Chaque victoire que le chrétien remporte à l’intime de son cœur est un coup porté à l’ennemi commun, pour que s’affermisse le Règne du Christ.

© Poussin victoire de Gedeon / Pinacoteca Vaticana

« C’est donc principalement à Origène, conclut le P. de Lubac, que remonte, dans sa formulation explicite, l’idée de l’ascèse individuelle comme continuation du Combat rédempteur, l’idée de la lutte intime aux dimensions du monde. Et c’est à lui qu’en remonte aussi l’expression dans les

images bibliques de la campagne militaire du Christ et des deux cités adverses. On sait quelle devait être la fortune et l’un et de l’autre symbole, jusqu’au jour où saint Ignace de Loyola, les ayant recueillis dans sa lecture du Flos sanctorum (Vie des Saints ou Légende Dorée de Jacques de Voragine), s’en inspirerait pour les deux méditations fondamentales de ses Exercices spirituels : le Règne et les Deux Étendards » (passim p. 187-191).

Tirer profit Il restait donc dix mille hommes résolus avec Gédéon, dont la foi dans le Seigneur avait chassé la peur. Mais c’était encore trop : ce n’était plus la crainte et le tremblement qui étaient à redouter, mais la vaine gloire d’une armée victorieuse et sûre d’elle-même. « Le peuple est encore trop nombreux, dit le Seigneur à Gédéon.

▲ Victoire de Gedeon par Poussin.

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Fais-le descendre au bord de l’eau et là, pour toi, je les éprouverai. Quiconque lapera l’eau comme fait le chien avec la langue, tu le mettras à part. Et quiconque se mettra à genoux pour boire, le gros de la troupe, rentrera chacun chez soi. » Il en resta trois cents, qui gardèrent les provisions et les cors. Et Gédéon renvoya le gros des hommes d’Israël chacun sous sa tente. Et c’est ainsi que Gédéon, avec ses trois cents hommes, leurs cors et leurs torches, mirent en fuite les armées de Madian et leurs chameaux étalés dans la plaine, aussi nombreux que des sauterelles. « Ni par puissance ni par force, mais par l’Esprit du Seigneur » (Zacharie 4,6). Ils veulent un sauveur. Mais pourquoi le veulent-ils ? Pour la gloire de Dieu ou pour la leur ? Le Seigneur Yahvé, voulant épargner à son peuple la tentation de vanité, le soumet à l’épreuve d’une drastique diminution. Faire la volonté de Dieu, vaincre le mal par le bien, mais en ne s’appuyant que sur son Esprit, telle est la leçon de l’« opération Gédéon ». Une leçon qui pourrait nous inspirer lorsque le découragement nous prend devant les diminutions du nombre des pratiquants, des vocations, des ressources humaines de l’Église. Le Seigneur Dieu ne serait-il pas en train de nous faire vivre une sorte d’opération Gédéon pour que, dépouillés de toute prétention, nous mettions en lui seul et en son Esprit notre force et notre espérance : « Va, avec la force qui est en toi ! » Claude Flipo s.j.


Spiritualité ignatienne

Pour chercher la volonté de Dieu Après avoir décrit dans son livre « Vers le bonheur durable », les premières règles de discernement selon saint Ignace, Adrien Demoustier s.j. en vient à la conclusion que la présence de la consolation est l’indice fondamental qui oriente la recherche de la volonté de Dieu. Chercher ce qui unifie et donne la paix, rejeter ce qui trouble fait avancer sur le juste chemin.

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« C’est le propre de Dieu… de donner… la véritable allégresse et joie spirituelle » (Ex. sp. N°329) Dieu veut le bonheur de l’homme. Tel est le présupposé de base du discernement. Par son acte créateur il a suscité et il suscite tous les jours l’homme, chacun et tous, comme un être différent de lui pour pouvoir lui communiquer sa propre béatitude. L’homme est donc, en sa racine, capacité d’être heureux, possédé du désir d’un bonheur qu’il ne peut se donner, mais qui lui est réellement communiqué. Il lui faut donc faire sien ce bonheur reçu. À lui de s’engager dans l’accueil de la béatitude pour la laisser naître et s’épanouir. Le point de départ [de l’accueil de la béatitude] se présente comme un combat, l’affrontement de difficultés et d’obstacles à traverser dès lors que des moyens spirituels précis sont à mettre en œuvre pour chercher et trouver la volonté de Dieu, c’est-à-dire sa consolation.

[…] Celui qui persévère dans ce combat apprendra à reconnaître comment le Seigneur le rend heureux. Il recevra d’éprouver la consolation et de la nommer dans l’action de grâce. Elle apparaît alors comme une réalité qui était déjà là, enfouie à la racine de l’être, jusqu’alors inaccessible à cause des obstacles et des refus, le plus souvent inconscients, qui l’empêchaient de se manifester. […]

la consolation donne la grâce d’agir Ainsi expérimentée et reconnue, la consolation introduit celui qui en bénéficie dans l’action de grâce. Il la reconnaît comme un don de dieu qui appelle le risque d’agir en retour. L’action de grâce est la reconnaissance d’un don dont l’accueil donne la grâce d’agir. […]

La consolation devient la lumière qui guide sur la route et autorise à prendre des risques. L’avancée vers une décision devient possible. Un choix peut se faire entre les divers projets dont on ne pouvait savoir celui qui était à la fois désirable et possible. Là où l’accord entre le projet et la possibilité de réalisation est confirmée par la consolation, là est la volonté de Dieu, puisque la consolation est le signe d’une unification. Elle signe l’accord de l’homme avec Dieu et avec lui-même. L’homme peut désormais compter sur la consolation pour s’orienter, même si elle est encore contestée par le doute. Celui qu’elle guide, se laissera tromper par les ruses du tentateur. À la condition de ne prêter foi qu’à la seule consolation, il recevra le moyen de se laisser détromper. Telle est la perspective qui préside aux règles de discernement qui concernent l’étape suivante de l’avancée dans la vie spirituelle et que l’on appelle couramment règles de seconde semaine.

Extraits de : Vers le bonheur durable Consolation-désolation selon saint Ignace. Règle du discernement des esprits de première semaine des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola.

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Spiritualité ignatienne

La première règle : « c’est le propre de Dieu et de ses anges de donner, dans leurs motions, la véritable allégresse et joie spirituelle, en supprimant toute tristesse et trouble que suscite l’ennemi. Le propre de celui-ci est de lutter contre cette allégresse et cette consolation spirituelle, en présentant des raisons apparentes, des subtilités et de continuels sophismes1 » (Ex sp n°329) Qu’elle soit directe ou passe par l’intermédiaire de messagers, l’action de Dieu est caractérisée par la joie et l’allégresse. Une véritable consolation vient toujours de Dieu, directement ou indirectement. Cette action divine est dynamique, elle agit par des « motions », c’est-à-dire d’une manière qui met en mouvement l’homme tout entier. Cette mise en route est ressentie, expérimentée, mais aussi reconnue, identifiée. Elle concerne l’homme tout entier corps et âme unifiés. Cette action dynamique de Dieu

attrister, alors que Dieu et ses messagers donneront de vivre la douleur avec force et courage en l’exprimant. Il en naîtra peu à peu le cheminement d’une certaine allégresse et d’une forme de joie infiniment discrète.

Inquiétude et trouble

L’ennemi transforme la prévision légitime du lendemain en préoccupation excessive. C’est son mode d’attaque le plus ordinaire. Cette tentation traverse toute la vie du chrétien. Elle cherche à le détourner du simple bonheur d’aujourd’hui et finalement le paralyse dans sa mission de témoigner autour de lui de la force vivante et de la joie discrète que communique le Christ ressuscité vivant dans le cœur.

À cette action divine s’oppose celle de l’ennemi qui, sur la défensive, contre-attaque. Il cherche à lutter contre la paix en semant l’inquiétude. Ce qui augmente la tristesse et le trouble vient de l’ennemi. C’est une règle absolue. Toutes les fois que nous faisons l’expérience que la tristesse ou le trouble tendent à chasser l’allégresse et la joie, c’est que nous commençons à laisser prise à l’ennemi. Il s’agit bien alors de trouble et de tristesse, non pas de douleur ou de difficulté à affronter. Face à une épreuve douloureuse, l’ennemi tirera prétexte de la difficulté pour décourager, troubler et

Tel se sent proche de la décision qu’il doit prendre. Il a réfléchi et prié. Des lumières lui sont données. Il se sent simplement heureux, conscient qu’il faut laisser vivre un certain temps encore pour qu’une pleine clarté se fasse. Mais, il ne peut s’empêcher de s’inquiéter. « Est-ce que j’ai bien fait ce qu’il fallait faire ? Estce que je serai confirmé à temps ? Et si je n’y arrive pas, qu’est-ce que je ferai ? » S’il laisse faire, l’obscurité grandira qui l’empêchera d’accueillir la confirmation qu’il attend et qui se présentera dans la simplicité et la paix.

© Taitai6769 / iStock

1. Un sophisme est un raisonnement qui, en lui-même est juste, mais qui a le tort de ne pas s’appliquer dans la circonstance concrète. S’il est vrai qu’il pleuvra demain, ce n’est pas une raison pour ne pas se réjouir de la présence du soleil aujourd’hui. Qui laisse la perspective des ennuis futurs envahir son champ de pensée, s’empêche de jouir du bonheur d’aujourd’hui alors que les difficultés ne sont pas encore là[…].

a un effet : elle supprime toute tristesse et trouble. Elle fait sortir du malheur. Cet effet n’est pas statique : il remplace le malheur et l’obscurité par le bonheur et la clarté.

▲ Il remplace le malheur et l'obscurité par la bonheur et la clarté.

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Il est donc très utile d’exercer une certaine surveillance sur la manière dont se déroulent nos pensées. Si elles conduisent au trouble, elles ne sont pas de Dieu, quoi qu’il en soit des apparences.


Quand Dieu parle pour nous faire savoir des vérités dures à entendre, son intervention peut faire mal, très mal. Mais elle porte toujours avec elle la force nécessaire. Elle ne trouble pas ni n’attriste. Si ce que nous attribuons à Dieu nous enlève la paix et la joie, c’est que nous nous trompons. Reste alors à se détourner de ces pensées et de faire foi en ce Dieu qui console pour que la paix et la joie puissent revenir.

Une ultime source d’inquiétude sera la conscience lucide que nous risquons de nous tromper et d’accorder foi à la crainte que suscite cette vérité incontestable. Avancer dans la vérité consiste d’abord à reconnaître que nous nous trompons toujours plus ou moins, et à faire confiance : si nous avançons en écoutant la voix du seigneur qui nous ouvre le chemin et nous donne par sa consolation de traverser la désolation, nous serons toujours détrompés et reconduits sur le juste chemin. La perfection de la vie chrétienne n’est pas une marche d’équilibriste sur une ligne de crête dont on ne doit en aucun cas dévier. Une telle perspective conduit à la paralysie et finalement à la chute verticale. Vivre à la suite du Christ permet d’avancer en s’écartant plus ou moins de la ligne droite, trop à gauche ou trop à droite. À regarder le Maître et non pas ses propres pieds, il sera donné de faire le pas sui-

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le risque de se tromper

▲ La marche à la suite du Christ a la simplicité du pas du patineur.

vant dans la juste direction. La marche à la suite du Christ n’est pas la prouesse acrobatique d’une traversée sur un fil tendu dans le vide. Elle a plutôt la simplicité du pas de danse du patineur. Son aisance dépasse peu à peu l’effort des exercices de l’entraînement. Elle lui vient de ce qu’il se laisse guider par la musique intérieure qui naît en lui d’un accord profond dont le signe est la consolation divine. Adrien Demoustier s.j.

Décédé en février 2014, Adrien Demoustier s.j. a contribué à mettre en œuvre les retraites d’orientation de vie. Historien de formation, il fut rédacteur de la revue Christus et professeur de spiritualité au Centre Sèvres (Paris). Outre son livre "Vers le bonheur durable" paru aux Éditions Vie chrétienne, son livre : "Les Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola". "Lecture et pratique d’un texte". éd. Facultés jésuites de Paris a contribué à renouveler l’approche des Exercices.

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Se former

Question de communauté locale

Relire son année ? La Communauté de Vie Chrétienne nous invite à une relecture chaque année avant l’été. Cela peut parfois nous sembler fastidieux et nous n’en comprenons pas toujours le sens. Et pourtant c’est une étape fondamentale. Que devons-nous relire ? Et qu’en faire ?

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1. Parvenir à l’amour de Sylvie Robert, auxiliatrice – Christus N°199 « Le progrès spirituel, pèlerinage du cœur. »

Certains moyens nous ont aidés au cours de cette année, ils nous ont rendus plus disponibles au travail de Dieu en nous. D’autres, nous ont détournés de notre désir commun : aimer en actes1, comme Dieu nous aime. Dans la prière, nous reconnaissons sa présence agissante dans notre vie. Encore faut-il s’arrêter pour en prendre conscience et ainsi repartir en choisissant ce qui nous aidera davantage, au point où nous en sommes. Vécue en communauté locale, la relecture d’année est un pas de plus significatif en compagnonnage. Nous pouvons la faire en trois temps.

Cueillir les fruits… Merci Seigneur pour ce qui a été bon. Qu’avons-nous vécu entre compagnons, de quoi pouvonsnous rendre grâce ? Qu’est-ce qui a été source de progrès, écoute de l’Esprit ?

(*) Fiche pour préparer une relecture d’année : « relire notre année » du fascicule « pour un rendez-vous » sur le site cvxfrance.com

Avec Toi, accueillir les moyens qui ont été aidants, pour nous-mêmes et pour la communauté locale : notre manière de préparer les réunions ? Les formes des courriers ? Un horaire plus adapté ? Notre manière de prier en début de rencontre ? Notre vigilance dans l’écoute bienveillante ? Des sujets

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nouveaux abordés ? Notre silence pour nous laisser déplacer ? Nos participations aux Week-end régionaux, à une formation ? Une retraite ? Un accompagnement personnel ?

… pour décider… Ce qui est bon, je le désire, et choisis de le vivre davantage. Par exemple, j’ai fait l’expérience dans l’année du bienfait d’une halte spirituelle, alors pourquoi pas une retraite de cinq jours l’an prochain ? Une réunion m’a surprise : j’ai été déplacé là où je ne l’attendais pas ? Je repère ce qui m’a aidé à être plus disponible intérieurement et décide de le cultiver. Ce qui nourrit l’ennui, ce qui laisse prisonnier des agitations de surface, je m’en détache. Par exemple, nous avons peu à peu pris l’habitude de ne plus prendre un temps de silence entre les deux tours, et partons dans des débats. Ou bien les préparations sont bâclées et le premier tour devient bavard, ne laissant plus place au discernement. Ensemble, nous décidons d’un point de vigilance particulier pour notre vie communautaire.

… et avancer solidairement Ayant perçu ce qui me sera une aide pour le point où j’en suis,

j’en fais part aux compagnons : ainsi mon choix devient plus réel et je ne serai pas seul pour le mettre en pratique, les autres m’encourageront. Dans quelques mois, dans une attitude respectueuse et fraternelle, nous oserons nous interroger mutuellement : « tu avais décidé de solliciter un accompagnement personnel pour t’aider dans la relecture de vie, as-tu trouvé cette aide ? » « Et ce week-end « un pas de plus en compagnonnage », si nous y allions ensemble ? ». Ensemble, nous nous appliquerons particulièrement sur le point de vigilance que nous avons repéré le plus profitable pour notre petite communauté. Par exemple, pour réveiller notre écoute nous pouvons décider de soigner le temps de prière, sans l’allonger, avec une demande de grâce formulée par un membre. Ou bien, nous pourrons peut-être décider de soigner les courriers pour nous entraider dans l’expérience de relecture. Ayant ainsi accueilli comment Dieu nous conduit puis décidé ensemble de ce qui nous aidera le mieux, nous vivrons le soutien d’un véritable compagnonnage, don de Dieu. Nadine Croizier – CVX


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Ensemble faire Communauté

En France

Quelles formations pour un meilleur enracinement ? Depuis le numéro de janvier de la Revue, différents aspects du chantier « enracinement » sont présentés. Après le groupe de travail sur « être serviteur », voici le groupe de réflexion sur la formation des acteurs au service de la période d’enracinement. Anne Giraud nous explique leur travail.

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ce qu’est la CVX. Aussi, il nous a été demandé de revoir les formations existantes des personnes en service (assistants, chargés d’accueil, responsables de communauté locale, délégué jeune…) pour harmoniser l’ensemble et que tous soient bien au service des personnes vivant ce temps particulier des premières années en CVX.

Votre groupe de travail réfléchit à la formation des personnes au service de nos compagnons en période d’enracinement. Y a-t-il donc une formation spécifique pour cette période ? Il n’y a pas de formation particulière ni supplémentaire pour les membres en période d’enracinement (les quatre à cinq premières années en CVX). Mais la Communauté a le désir de prendre soin de ces compagnons afin qu’ils puissent expérimenter pleinement

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Le parcours d’accueil a été modifié il y a peu. Pourquoi vouloir le changer déjà ? Nous ne voulons pas le changer pour le changer, nous désirons lui donner un nouvel accent. À la fin de ce parcours, un « oui » était demandé aux personnes, qui souvent ne comprenaient pas pourquoi en redire un autre quelques années plus tard pour un engagement initial. C’est bien la preuve qu’une distorsion existe. Le parcours d’accueil donne un aperçu de ce qu’est la CVX, une communauté locale, les moyens ignatiens, une Communauté mondiale… Mais ce n’est qu’en l’expérimentant quelques années que l’on peut voir si c’est un bon chemin pour soi. Donc c'est seulement au bout d’un certain temps

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que l’on peut dire ce « oui, la CVX est le lieu où je peux davantage suivre le Christ ». Peut-être à la fin du parcours d’accueil le « oui » demandé se rapprochera-t-il d’un « oui j’accepte d’expérimenter ce que je viens de découvrir ». Vaste chantier ! Quelles formations allez-vous d’abord revisiter ? Pour septembre 2014, nous proposerons le nouveau parcours pour les personnes désireuses de connaître la CVX : le parcours de découverte. Et sans doute également un kit pour les binômes responsable-accompagnateur d’une communauté locale sortant juste d’accueil. Comment vivre au mieux les premières rencontres afin d’expérimenter toute la palette d’une vie communautaire entre compagnons. Personnellement, que tirez-vous de cette expérience ? Je suis heureuse de voir que nous sommes une Communauté qui bouge, capable de remettre à plat nos façons de faire. C’est la preuve que nous sommes en recherche. Comme toute vie de foi. Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet


À l’écoute des tempéraments difficiles Une formation pour les accompagnateurs et les responsables sur l’écoute avec une approche psychologique a été proposée dans la région Ile-de-France. Réguler l’implication affective et trouver une juste place sont des pistes à creuser. Et si d’autres Grandes Régions proposaient cette formation ?

Dans la suite de cette visée de la CVX, l’objectif de la formation devait répondre à la question : l’accompagnateur et le responsable d’une communauté locale ont-ils une écoute suffisamment attentive pour prendre en compte non seulement les motions spirituelles, mais aussi les histoires et les tem-

péraments des personnes avec leur part de difficultés ? En effet ces situations peuvent créer des problèmes qui empêchent la communauté locale de croître spirituellement. La formation à l’écoute des tempéraments difficiles avait pour but d’éviter les blocages et les blessures consécutifs au comportement irritant d’un membre. La journée de formation a eu lieu le samedi 30 novembre 2013. Les participants venaient de plusieurs régions d’Île-de-France, ils étaient accompagnateurs ou responsables d’une communauté locale, et ce mélange a été relu comme positif car la responsabilité est commune. La pédagogie choisie consistait dans la relecture de deux cas concrets de personnes en situation dans des communautés locales, suivie de groupes de réaction. Le point de départ était l’expérience relue mais aussi formalisée au niveau psychologique, avec l’aide de madame Anne Chevalier, psychanalyste, extérieure au groupe, connaissant le monde religieux et ayant des responsabilités ecclésiales. Les fruits de cette journée, appréciée par tous les participants, ont été de l’ordre de la régulation de

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Que faire face à une personne en colère, une personne ne parlant pas ou au contraire prise de logorrhée ? Dans ces situations, l’accompagnement spirituel et l’animation du responsable ne suffisent plus à résoudre la difficulté. Et c’est toute la communauté locale qui souffre. Face à ce constat lors des relectures de missions des assistants d’Île-de-France en 2012, est venue l’idée d’une formation psychologique. Celle-ci portée par deux assistantes d’Île-de-France s’inscrivait dans la visée de la CVX, c’est-à-dire de permettre à ses membres de suivre le Christ davantage, par un partage autour de la Parole de Dieu et un partage de vie, au service de la construction du Royaume. On peut mesurer cette croissance en répondant à la question : comment la communauté locale progresse-t-elle dans la croissance spirituelle et le dynamisme apostolique ?

l’implication affective dans les relations de groupe : de la distance pour prendre une juste place. Tels étaient les points de travail choisis à la fin de la journée. Tous demandent une suite. On pourrait envisager une session par an par Grande Région. N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus. Marie-Paule Declerck declerckmpm@gmail.com

Marie-Thérèse Desouche marie-therese.desouche@xavieres.org

Assistantes régionales IDF mai / juin 2014 33


Ensemble faire Communauté

En France

Béa, la voix de la CVX Tous ceux qui, un jour, ont téléphoné à la Communauté connaissent sa voix. Béatrice Mercier a répondu à bien des appels téléphoniques et bien des demandes pendant ses dix ans au secrétariat de CVX France. Achevant sa mission, elle change de travail pour La Mission de France. Moment propice pour revoir avec elle les mouvements de fond dans la Communauté.

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Le travail a-t-il évolué en dix ans ?

© Droits Réservés

J’ai été recrutée en 2004 pour travailler à mi-temps au service de la formation et mi-temps à coordonner le secrétariat. J’ai donc beaucoup travaillé avec les équipes services nationales (ESN) qui se sont succédées. À chaque changement d’ESN, le travail évoluait, car chaque équipe a une

approche différente, pourtant les priorités restent les mêmes : l’engagement, la gouvernance, la formation… Ainsi, la première ESN avec laquelle j’ai travaillé a eu l’idée de la gouvernance, le système ne pouvait plus continuer de la sorte, il était arrivé au bout de ce qu’il pouvait donner ; la seconde l’a élaborée et la troisième la fait vivre. L’engagement a également été repris par les différentes ESN : il a d’abord fallu reconstituer les archives, repérer qui étaient engagés dans chaque Région, puis rénover le parcours et la célébration de l’engagement, enfin aujourd’hui le replacer dans l’ensemble de la démarche, selon les Principes Généraux. Chacune des ESN, avec leur mode d’action différente, ont finalement travaillé dans une même fidélité, une même continuité. C’est beau de relire ce chemin.

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Mon travail du côté des demandes des membres n’a pas changé : il s’agit surtout d’un premier contact avec la communauté, de les orienter vers des responsables d’accueil selon leur région, ou de transmettre des documents. L’im-

pact de la nouvelle gouvernance est surtout pour les personnes au service. La décentralisation des formations change totalement l’approche qu’elles en avaient. Quelles fragilités, quels points forts avez-vous perçu ? M’occupant du fichier national, je constate que le nombre de moins de trente ans est en diminution. En travaillant avec l’Équipe service Formation, je vois qu’il semble difficile de renouveler les personnes animant les sessions formation. Le secrétariat sera sans doute repensé. C’est un point stratégique pour que tous les autres aspects de la Communauté « roulent » bien. En points forts, je citerai d’abord les communautés locales, ce sont nos points d’ancrage et notre spiritualité. Ensuite, je reconnais la réforme de la gouvernance comme une force pour la CVX, malgré ses petits défauts à corriger. Réactiver l’engagement pour être davantage corps apostolique et accentuer notre relation au mondial sont très prometteurs pour la suite. Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet


En France

Prendre soin des CVX âgés Nos communautés locales n’échappent pas au vieillissement. Faut-il alors proposer quelque chose de spécifique ? Quelles richesses pouvons-nous nous offrir mutuellement ? Des réflexions sont en cours dans différentes régions. À suivre.

Petit à petit, sans faire de bruit, certains compagnons plus âgés quittent cette Communauté qui leur a tant apporté. Face à cette situation de plus en plus fréquente, des initiatives locales voient le jour un peu partout en France. À Lyon une équipe est en train de se monter pour réfléchir à des propositions concrètes. « Avec un médecin gérontologue et plusieurs personnes soucieuses que la CVX soit attentive à cette question de société nous montons un groupe de réflexion, explique Hélène Bonicel. Que faire pour ceux qui ne peuvent plus se déplacer ? et comment aider nos compagnons à consentir au vieillissement » ?

Sur Paris, Monique se souvient d'une communauté heureuse de recevoir des visites de l'équipe régionale pour garder le contact. À Angers, cette question est présente depuis longtemps. « J’ai accompagné pendant dix à quinze ans une équipe appelée affectueusement ‘les vieilles Dames’. Ce fut une belle mission. Elles avaient toutes plus de 80 ans. En fait, je les ai accompagnées jusqu’à leur mort. Il n’en reste plus qu’une seule en maison pour personnes dépendantes. Souvent désorientée, lorsqu’elle me voit, elle me demande dans un grand sourire quand a lieu la prochaine rencontre », s'émeut Marie-Annick Calmet. Les réunions étaient un peu différentes. Aucune n’avait plus la force d’être responsable de leur communauté, ni de se réunir le soir. Elles faisaient cela sur une après-midi, l’accompagnatrice passant chercher chacune d’entre elles. Parfois elles venaient aux rencontres régionales, mais seulement le temps de la messe. Car n’entendant plus très bien, ces grandes rencontres étaient trop

© Ketih Levit / Photgraphy

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Depuis plus de 40 ans Germaine fait partie de la CVX France. Elle a connu bien des compagnons, des Congrès, des week-ends régionaux… Après toutes ces belles années, elle vient de signifier à l’équipe service de la communauté régionale qu’elle quitte la CVX. À regret. Elle ne peut plus se rendre aux rencontres de sa communauté locale. Trop tard, trop fatiguant… et puis elle commence à ne plus bien entendre ce qui se partage lors des tours de table.

fatigantes pour elles. La relecture étant plus difficile pour cause de mémoire, leurs vies spirituelles étaient surtout autour de la prière. Leur regard était très positif et questionnant sur le monde. « Je leur confiais des intentions pour la CVX, et la communauté priait pour elles », se souvient Marie-Annick Calmet, leur accompagnatrice, qui ne se fait pas d’illusion : « Une personne âgée isolée dans une équipe, peut être difficile à vivre pour tous ». De nouvelles formules sont à inventer. Marie-Gaëlle Guillet mai / juin 2014 35


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

Mission en Amazonie Depuis fin avril 2014, trois membres de la CVX d’Amérique Latine sont arrivés au cœur de la forêt amazonienne. Une nouvelle façon de faire vivre la CVX comme Corps apostolique. Mais pour quelles missions ?

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Connaissez-vous Fernando Pino ? Il vient d’être envoyé en mission au nom de la CVX mondiale dans la forêt amazonienne au plus près des plus exclus, pour au moins deux années.

qui s’y vit », explique Mauricio Lopez le nouveau président mondial CVX, élu à l’Assemblée du Liban. Pour vivre cela, Fernando Pino ne part pas à l’aveugle, mais rejoint les Équipes Itinérantes d’Amazonie (EIA). Fondées en 1996 par les jésuites du Brésil, ces équipes s’enracinent en Jésus et dans son mode de vie, allant de village en village pour annoncer le Royaume et sa Justice. Ce projet s’inspire également de la vie des premiers jésuites qui parcouraient le monde comme une « cavalerie légère » et comme « pèlerins », au service de l’Église et de la vie en abondance.

© Droits Réservés

Mais que va bien pouvoir faire ce Chilien au cœur de la forêt ? Très simplement connaître la vie concrète des indigènes et des marginaux des villes amazoniennes, apprendre d’eux la meilleure façon de les servir. « Cette façon de faire se base sur la théologie de l’incarnation : contempler la réalité du monde, se laisser toucher par elle et peut-être donner à connaître ce

▲ Maurice Lopez, président mondial CVX

L’objectif général est d’écouter, réveiller, initier et appuyer les personnes, projets et initiatives des riverains de l’Amazone, indigènes et marginaux des villes, à travers l’itinérance. Pour que les pauvres, les exclus et ceux culturellement différents se voient sujets de leur libération et de leur histoire et se reconnaissent comme enfants préférés de Dieu. Le but des Équipes Itinérantes d’Amazonie est « d’évangéliser, d’humaniser les milieux les plus agressifs, injustes et oppresseurs où la vie humaine continue d’être menacée, les cultures dépréciées et les droits humains ignorés. » Au moment de partir, Fernando confie ce qu’il ressent : « Je pars avec

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beaucoup de peurs, mais envoyé pour chercher et servir le Seigneur qui a planté sa tente en Amazonie et qui désire réconcilier la créature avec la création, l’homme avec la planète, œuvres de ses mains. »

Environnement et migration Ce projet de la CVX ne vient pas de surgir de la nouvelle équipe service mondiale (ExCo), mais il est une réponse concrète aux priorités discernées depuis les Assemblées d’Itaïci et de Nairobi : l’écologie et les migrations forcées. Ces thèmes confirmés à Fatima et inscrits de nouveau dans le document final de l’Assemblée du Liban, se rejoignent en Amazonie. Environnement et migration des plus faibles sont étroitement liés dans cette partie du monde. En effet, la présence de gisement de pétrole et de gaz sur le territoire de l’Amazonie a transformé ces zones vierges en des sites stratégiques pour les financiers. Ces zones au riche sous-sol avaient été sanctuarisées comme réserves écologiques, parcs naturels, où vivent de nombreuses communautés indigènes, de villages isolés ou de groupes refusant les contacts avec la « civilisation ». Face à une forte pression économique, des gisements sont exploités depuis


© Micky Wiswedel / iStock

Jusqu’à présent, ces thèmes où la CVX se sent particulièrement appelée à répondre, se confirmaient bien dans les documents mondiaux mais avaient des difficultés pour se concrétiser. « La CVX participait bien à des groupes de travail à l’ONU sur l’eau. Mais les décisions prises avaient du mal à toucher les personnes dans chaque communauté locale », constate Mauricio Lopez. Les décisions avaient du mal à circuler du « haut vers le bas ». Aussi, une nouvelle expérience va être tentée : « partir du bas pour aller vers le haut. C’està-dire partir de l’expérience vécue par exemple en Amazonie pour la convertir en un mécanisme de réflexion autour des Principes Généraux 4, notre style de vie simple, et repenser nos façons de consommer », explique Mauricio. À partir de cette réalité amazonienne, la CVX proposera des réponses de

plus en plus larges et jusqu’à un « plaidoyer international » plus efficace encore. « L’Amazonie n’est pas une priorité de la CVX, avertit-il. Bien d’autres pas vers les frontières discernées au Liban sont en cours de travail et c’est l’ensemble de ces pas qui nous constituera un peu plus Corps apostolique ». Fernando n’était pas le seul à se proposer comme volontaire pour ce projet. Deux autres personnes avaient été retenues : Carmen Alicia Amaya et Jairo Forero de la CVX de Colombie.

Mais les finances n’avaient permis d’envoyer qu’un seul volontaire. Cependant, l’élan généreux de Carmen et Jairo n’a pas été perdu. Les jésuites d’Amazonie leur ont proposé de les rejoindre dans un projet similaire. La CVX de leur pays finance leur voyage et surtout les soutient spirituellement dans ce projet. Finalement, il s’agit bien de trois compagnons envoyés en mission en Amazonie ! Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet

Pour suivre Fernando : caminantey peregrino. wordpress.com/ (blog en espagnol) © CVX Colombia

une dizaine d’années avec un impact négatif sur l’environnement et sur les identités culturelles locales. En créant des dépendances financières, l’autosuffisance des familles existant jusque-là devient impossible.

▲ Envoi de Carmen et Jaire par la CVX Coombie.

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Ensemble faire Communauté

Dans le monde

Volontaires en Algérie Un jeune couple de spiritualité ignatienne parti en coopération à Constantine (Algérie), heureux d’avoir suscité une équipe de vie chrétienne, partage sa plongée en monde musulman avec leurs joies et étonnements.

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Notre projet avait longuement mûri par plusieurs discernements. Nous partions avec le désir de vivre une expérience de couple fondatrice, de découvrir une autre culture, de nourrir un éven-

tuel futur engagement à notre retour en France (d’où le choix d’un pays d’immigration et musulman), d’expérimenter un style de vie plus simple et de nous laisser transformer par l’ « autre ». Après une année et demie de volontariat, nous nous rendons compte que la plupart des objectifs a été atteint, même si souvent, cela n’a pas été comme nous l’avions imaginé. Le plus visible est sûrement notre vie de couple. Par rapport à notre vie française, nous avons beaucoup plus de temps ensemble et d’activités communes, et ça, c’est inestimable ! Mais nous avons aussi découvert des réalités auxquelles nous ne nous attendions pas, comme l’Église d’Algérie, petite, pauvre, fragile, internationale, et nourrie des forts caractères qui la composent ! Les difficultés non plus, nous ne les avions pas tellement prévues : la place de la femme dans la société algérienne, la difficulté à rencontrer les Constantinois en profondeur (les relations sociales étant principalement intrafamiliales), le pessimisme © Droits Réservés

Nos contrats prenant fin cet été, nous sommes à la recherche de successeurs ! Plus d’info, sur editionsvie chrétienne.fr et sur notre blog : vsiaconstantine@canalblog. com

Le 15 septembre 2012, après une année de mariage, et une année d’accueil CVX, nous décollions pour Constantine, capitale de l’Est algérien, envoyés pour deux ans par Jeunes Volontaires Internationaux (JVI, organisme jésuite) et la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC). Laure pour aider à lancer une formation pour les jardinières d’enfants et Benoît, pour rénover les bâtiments du diocèse.

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des algériens sur leur société. Finalement, nous nous rendons compte que notre utilité est dans les petites tâches que nous faisons, et dans le simple fait d’être là (pour l’Église et pour les Algériens). Le retour approche à petit pas, et nous savons déjà que nous repartirons avec toutes les petites choses qui nous nourrissent au quotidien : le sourire des hommes, la débrouillardise des artisans, la générosité des inconnus, la soif d’apprendre des femmes… Une des joies de ce volontariat est le lancement d’une « Équipe Vie Chrétienne », black blanc beur, à l’image de l’Église d’Algérie : un chrétien algérien et des étudiants sub sahariens avec nous. La diversité de nos cultures et nos spiritualités d’origine, qui peuvent là se dire et se frotter avec une grande confiance, nous ouvre des horizons insoupçonnés. Nous pourrions comparer ce volontariat à une retraite spirituelle. Le quotidien est parfois aride, mais nous avançons, conscients que cette expérience nous rend plus libres. D’une certaine manière, nous sommes portés par l’Invincible Espérance dont parle Christian de Chergé. Laure et Benoit d’Ussel


Billet

Un tram nommé désir Profitant des beaux jours précoces, je retrouve à une terrasse ensoleillée une amie pour déjeuner. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas vue. Florence vient de changer de travail et il nous est plus facile de nous retrouver maintenant le midi. Que de nouvelles à échanger : son nouveau poste, la famille, les amis en commun… Une fois le tour fait des infos factuelles, la conversation s’engage doucement sur du plus intime. Et là son regard brille d’une découverte qu’elle a hâte de me partager. Avec son nouveau travail, elle doit maintenant prendre chaque jour les transports en commun. Mais pour elle impossible de lire dans le tram. Trop de secousses, elle devient vite nauséeuse. Il lui faut pourtant bien remplir ce temps. Ce grand espace de temps lui semble si vide. Un temps entre le départ de chez elle où il a fallu préparer les enfants, faire en sorte qu’aucun n'oublie ses affaires. Entre les lunettes de l’une et la carte de cantine de l’autre, le matin est une course. Puis ce nouveau travail où il faut s’adapter aux collègues, comprendre les nondits pour trouver sa place, être efficace dès les premiers mois. Alors ce temps de transport lui parait si vide à côté du reste de sa journée. Vite, vite, le remplir. Mais comment ?

Notre Père qui es… Ses mots deviennent autres. « Notre » avec tous ceux du Tram. Pour eux, qui ne Te connaissent pas. Mais comme il est lourd de porter autant de personnes scotchées à leur écran ou à leurs écouteurs !

©ChamilleWhite / iStock

Elle se rappelle alors, me confie-t-elle, qu’elle se plaint souvent de ne pas avoir le temps de prier. Et si c’était l’occasion ? Elle est quand même un peu gênée. Ne serait-ce pas ‘utiliser’ la prière pour combler ce vide ? Elle se lance…

Un murmure derrière elle transperce dans le crissement du wagon. Un murmure qui se répète. Qui donc marmonne, me dit-elle s’interroger alors ? Dans une tentative d’être discrète, elle se tourne lentement. Et découvre un homme qui lit sur son téléphone. Ou plutôt qui prie avec le Coran sur son écran. Florence ne se sent plus seule à porter les voyageurs, à se tourner vers le « Tout-Autre ». Ils sont au moins deux ce matin-là dans ce tram. Rachel Tsehaye mai / juin 2014 39


Prier dans l’instant

… en lisant l’exhortation apostolique du pape À quoi bon prier les uns pour les autres alors que Dieu est amour et veut le bonheur de chacun de ceux qu’il a créé ? Un passage d’Evangelii Gaudium déplace mes représentations sur cette question :

© Anastasiya Maksymenke / iStock

« L’intercession est comme ‘‘du levain’’ au sein de la Trinité. C’est pénétrer dans le Père et y découvrir de nouvelles dimensions qui illuminent les situations concrètes et les changent. Nous pouvons dire que l’intercession émeut le cœur de Dieu, mais, en réalité, c’est lui qui nous précède toujours, et ce que nous sommes capables d’obtenir par notre intercession, c’est la manifestation, avec une plus grande clarté, de sa puissance, de son amour et de sa loyauté au sein de son peuple1. » Les mots de François, avec leur part de mystère, me permettent d’envisager autrement l’intercession : prier pour ses frères, ce ne serait pas essayer de convaincre un père tout puissant de faire du bien à ses fils. Ce serait mettre son cœur à l’unisson de celui du Seigneur et laisser convertir son regard sur ses prochains. Ce serait devenir co-participant du projet de Dieu, dans lequel il laisse de la place. Ce serait être associé à son dessein d’amour pour chaque être humain. Le salut ne procéderait pas seulement d’un face à face entre la créature et son créateur. Il s’opèrerait aussi au sein du peuple, dans la multiplicité des relations nouées et dans la solidarité fraternelle. Seigneur, je te demande d’entrer davantage dans le regard que tu portes sur tes enfants. Avec une ardeur renouvelée, je veux te prier pour tous ceux qui m’entourent. Avec reconnaissance, je te rends grâce pour tous ceux qui, en te priant pour moi, m’aident dans mon chemin de vie. Donne-moi de devenir de plus en plus membre de ton Peuple. Charles Mercier 1. Pape François, Evangelii Gaudium, 2013, Paragraphe 283.

Nouvelle revue Vie Chrétienne – mai / juin 2014


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