Vie chrétienne Nouvelle revue
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Vivre en pèlerin
Sarah qui nous enfante Demeurer compagnons pendant l'été
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Dominique Hiesse Anne Missoffe Laetitia Pichon Barbara Strobel Comité d'orientation : Alice Bertrand-Hardy Marie-Agnès Bourdeau Nicolas Joanne Anne Lemant Claire Sébastien Trésorière : Martine Louf Fabrication : SER – 14 rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Ioxa www / iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47 rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
Sommaire éditorial 3 l’air du temps Les vacances, moment pour retrouver le « Ah ! » des choses ? par Jean-Philippe Pierron 4 chercher et trouver dieu
Vivre en pèlerin Témoignages Les paradoxes du pèlerinage Mgr Albert Rouet Du désir du cœur à la marche avec Dieu Marie-Emmanuel Crahay Ignace, pauvre pèlerin Paul Legavre s.j. A lire cet été se former Sentir et goûter Noëlle Hiesse …En pratiquant l'hospitalité Cécile Mignot Sarah qui vous a enfantés Marie-Amélie Le Bourgeois Mille façons d’être « apostolique » Isabelle Lagneau Demeurer compagnons pendant l’été Marie-Agnès Bourdeau ensemble faire communauté Enracinement : le tableau 9 Franchir les frontières avec ses ailes et ses racines Former aux Exercices : des bienfaits pour tous Pour une CVX plus féconde Contempler la CVX en Égypte billet à la petite cuiller Philippe Robert s.j. prier dans l'instant …En apprenant une nouvelle bouleversante Dominique Pollet
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
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Éditorial
«
des biscuits pour la route
Qui dit marche dit biscuits pour la route… Notre foi a besoin d’être nourrie. L’été peut être un moment favorable, pour reprendre des forces. Pour cela, dans ce numéro, vous trouverez plusieurs invitations : invitation à vous rendre « présent au présent du monde » (p. 4-5), à expérimenter le pèlerinage (p. 18), à lire (p. 19) et à "sentir et goûter" (p. 20).
© Thomas Northout / Digital vision
« On ne naît pas chrétien, on le devient » disait Tertullien au IIIe siècle. Effectivement, nous sommes tous en devenir et nous n’avons jamais fini d’avancer sur le chemin de la foi. S’appuyant sur l’expérience du pèlerinage, le dossier invite à rester en mouvement, à « vivre en pèlerin », chaque jour, différemment selon les étapes, les périodes, les circonstances…
»
La partie ‘Se former’ de la revue (p. 20 à 31) propose aussi cinq moyens pour grandir dans la vie chrétienne. En avez-vous remarqué les titres ? Les articles de cette rubrique voudraient donner le goût d’entrer davantage dans la prière – le service des autres – la fréquentation de l’écriture – la connaissance de la spiritualité de saint Ignace – le compagnonnage. Ce ne sont ni les vivres qui manquent, ni les points de ravitaillement ! Saurons-nous trouver, dans cette période estivale, de quoi nous nourrir et nous ressourcer ?
Marie-élise Courmont
Pour écrire à la rédaction : redaction@viechretienne.fr
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L'air du temps
Les vacances, moment pour retrouver le « Ah ! » des choses ? Que ce soit en savourant la fraîcheur d’une fontaine, en improvisant un piquenique ou en découvrant la beauté d’un arbre, les vacances peuvent nous offrir un moment de décalage où s’intensifie le sentiment d’exister. De nouvelles façons de goûter les choses intérieurement pour être présent au monde et à soi.
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Vive les vacances oui mais des vacances vives ! Les vacances offrent l’occasion de se rendre plus proche de la nature. Mais de quelle proximité est-il question si elle n’a pas qu’une signification spatiale ? Audelà d’un rapprochement de l’urbain et de la campagne, cette proximité a-t-elle le sens d’une expérience : celle d’une appartenance qui lie l’homme à la Terre ?
Jean-Philippe Pierron philosophe, maître de conférence à la faculté de philosophie de l’université Jean Moulin, Lyon. Il travaille sur les questions d’éthique médicale et environnementale. Dernier ouvrage : « Où va la famille ? », mai 2014, éd. Les liens qui libèrent.
Une première réponse à ces questions est possible. Le décalage spatial est alors la métaphore d’un décalage mental. On peut être proche de la nature en nous par une attention à nos rythmes personnels et à notre soif de plénitude donnée dans la simplicité d’être, épreuve sentie. Se préparer à savourer une première gorgée de bière ou goûter la fraîcheur de l’eau d’une claire fontaine sous le soleil doucement brûlant d’une fin d’après-midi en sont des expériences. On peut également être proche de la nature entre nous, en se délestant de toutes ces médiations techniques, institutionnelles, ad-
ministratives qui structurent notre monde fonctionnel. Se laisser aller à des rencontres qui ne soient pas des rendez-vous planifiés ; improviser un pique-nique où il faudra penser à ne pas oublier le pain redevenu soudain rare et précieux ; vivre la festivité sans grandiloquence d’un ludisme aqueux pour lequel l’eau d’une piscine, d’une rivière, d’un canal devient le centre d’un univers éveillant et stimulant des relations plus fluides en sont des épreuves. On peut enfin se rendre proche de la nature en dehors de nous par le détour vers des milieux de villégiatures ou des pratiques alternées. Il laisse à la nature la possibilité d’émerger dans la course d’un ruisseau, la force tranquille de la mer, la surprise d’un sommet ou d’un arbre. Ceci à la manière d’un fond, d’ordinaire silencieux, qui monterait à la surface. Le décalage spatial prépare ici un décalage mental. Cette proximité avec la nature n’est donc pas d’ordre spatial ou
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géométrique. Elle n’est pas non plus intellectuelle. Elle est une disponibilité sensible. Un sentir qui prépare à goûter les choses intérieurement.
Se libérer pour être au monde En effet, les vacances libèrent de la cadence qui uniformise nos rythmes de vie dans le prétendu temps réel. Elles s’affranchissent pour un moment d’une relation fonctionnelle ou utilitaire à soi, aux autres et au monde. Elles permettent souvent, l’épreuve d’un petit nomadisme (pique-nique) ou d’une grande transhumance (maison de campagne ou de vacances) qui toujours nous livrent à l’impression d’une insécurité. L’exacerbent souvent le départ en vacances et la crainte sourde que, dans les préparatifs, on ait oublié sinon l’essentiel, du moins ce qu’on juge être l’indispensable. L’épreuve d’être démuni, éloigné de nos organisations journalières sécurisées, ouvre aussi à la pos-
Faire le vide pour laisser poindre la vie Les vacances font donc le vide pour faire le plein. Faire le vide dans la vacance n’est ni la vacuité ni le désœuvrement. La vacuité est l’effroi psychologique et anxieux que procure le vide d’une sortie du champ des valeurs. Elle est anesthésie de l’expérience du monde. Le désœuvrement est le sentiment
© Pedra Sala / iStock
sibilité d’un temps dilaté et d’une nouvelle disponibilité. Notre entourage n’est plus un ensemble d’éléments à disposition pour nos projets et nos stratégies mais retrouve son émergence native. Nous avions confondu l’emprise sur les choses avec le fait d’être en prise avec elles. Soudain, ce dernier nous est redonné. Les vacances poussent en son retranchement l’épreuve de l’expérience d’être au monde qui sous-tend l’ordinaire de nos univers, en lui laissant la possibilité d’un surgissement. Ces images d’eau s’écoulant, de vent dans les arbres, de minéraux brillants au soleil sur un sentier de promenade offrent, par leur immédiateté, d’entrer dans une plus grande familiarité avec l’être-là du monde. En elles émerge ce fond d’appartenance avec le monde, d’ordinaire tu ou écrasé par nos agitations. Est-ce pour cela d’ailleurs que les rêveries des fontaines, des sources, des eaux jaillissantes s’accompagnent d’un bien-être et d’une plénitude proche de celle du cerf altéré qui cherche l’eau vive (Psaume 41) ? « Quel grand maître que le ruisseau ! » disait Bachelard.
d’une errance subie, d’un n’avoir pas droit, jusque dans l’injustice, aux occupations dont jouissent les autres. Ceci dit, il est un contresens possible. Le faire le vide (« ne rien faire », farniente) peut être rempli par de multiples occupations. Il est des organisations sociales des vacances et du divertissement qui sont des détournements. Certes, les vacances font l’objet d’attention d’une industrie des loisirs. Elles sont convoitées comme plages de temps offertes aux stratégies d’une offre touristique stimulante et parfois captatrice. Mais « faire le vide » s’apprend, se cultive, et avant tout se décide. Il s’agit d’une disposition fragile à laisser poindre le mouvement de la vie qui s’ouvre, tentant d’habiter l’émergence de l’ici et du mainte-
nant donnés. Les vacances nous donnent donc, paradoxalement, l’occasion de ne pas passer dans le monde en touriste. Sans donner de leçon, elles intensifient pleinement le sentiment d’exister. En elles peuvent s’inventer un geste, une parole, des pratiques capables de le dire, de le capter sans le capturer. Ramasser un bois flotté, se laisser arrêter par la forme d’un galet, garder comme précieux un coquillage ou se constituer un trésor fait de feuilles ou de pétales remarquables, est-ce une capture dérisoire ou un captage cherchant à communier avec ce que donne le monde ? Ne s’y manifeste-t-il pas le « ah des choses », cette expression qu’utilisent les Japonais, pour exprimer une présence au présent du monde ? Jean-Philippe Pierron CVX juillet / août 2014
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Chercher et trouver Dieu
vivre en pèlerin Partir en pèlerinage, au contraire d’errer, c’est aller vers un lieu choisi, que notre cœur a préparé. C’est aussi mettre ses pas dans ceux d’un autre. Ceux du marcheur de Palestine « Je suis le chemin… ». Ceux de son disciple, Ignace, qui guide la CVX, (il a même inspiré son logo). Il nous rappelle que toute mise en mouvement procède d’un désir, vise un objectif. Et doit se préparer avec discernement. Solitaire, en couple ou en groupe, le pèlerinage est avant tout une aventure personnelle. Certains partent pour « se retrouver ». D’autres pour mieux voir Celui qui a fait sa demeure en nous. Ils évoquent un dépouillement, la simplification de leur relation à Dieu, désencombrée des objets, des lieux et des obligations de la vie courante. Nous avons tous une vocation de pèlerin, quels que soient notre âge et nos forces. Quand je passais mes examens, ma grand-mère, septuagénaire, se faisait déposer à quelques hectomètres d’une petite chapelle du Jura. En haut de quelques durs lacets, elle allait prier pour mon succès. Que les témoignages et les réflexions de ce dossier nous donnent envie de prendre notre bâton, et comme Abraham, de « quitter notre pays » (au moins un temps) pour aller chacun vers nos horizons, nos oraisons… Jean François
© Bepsimages / iStock
Témoignages Se décider à partir. . . . . . . . . . . . . . . . . . Vers Compostelle en six ans. . . . . . . . . . élaguer l’arbre de ma vie . . . . . . . . . . . . Mieux ancrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Contrechamp Les paradoxes du pèlerinage . . . . . . . . . 12
éclairage biblique Du désir du cœur à la marche avec Dieu . . . . . . . . . . . . 14
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Repères ignatiens Ignace, pauvre pèlerin. . . . . . . . . . . . . 16 Pour continuer cet été . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
SE DéCIDER à PARTIR Ayant besoin d’un break pour passer de sa vie professionnelle à sa vie de retraitée, Marie-Laure tente d’aller d’une traite du Puy à Compostelle. Mais son véritable départ se fera après dix jours de marche, découvre-t-elle.
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Alors je suis partie seule, reculant devant la difficulté de me mettre au pas d’un compagnon avec le risque d’avoir à le soutenir.
cherchais et je n’avais rien trouvé. « Continue, alors » me dit-elle. Le déclic. Sa parole m’a vraiment décidée à continuer, sans plus aucune remise en cause de ma décision par la suite. Même dans les moments de grande fatigue. En fait, je n’ai décidé de partir qu’une fois en route, en répondant à la question de mon amie. Aujourd’hui, je pense que je cherchais la paix avec moi et les autres, une harmonie avec ce que je suis, pour enfin assumer le lourd passé de ma vie.
Je partais pour me trouver moimême, sans savoir si j’arriverais au but. J’imaginais même, me connaissant, que je n’aurais pas les forces physiques, morales et spirituelles pour aller au terme. Au bout de dix jours, épuisée physiquement, la tentation forte de tout arrêter m’a envahie. Téléphonant à une amie pour l’en informer, celle-ci m’interpelle : « Astu trouvé ce que tu cherchais ? ». Mais, je ne savais pas ce que je
Six mois s’étaient passés entre ma décision de faire le chemin et mon départ. Pendant cette période, les amis m’ont encouragée. J’ai repéré mes étapes sans rien réserver, en privilégiant l’aventure, sûre de trouver des solutions : une grande confiance m’habitait alors que je suis craintive. Pour mon sac, je m’étais entraînée à le faire et défaire pour acquérir les automatismes. Je voulais avoir l’esprit libre aux gîtes.
© Somor / iStock
J’aime marcher, le parcours nécessite plus de deux mois et, pour moi, cette longue durée est un choix important ; jusqu’à SaintJacques, le balisage parfait de l’itinéraire me rassurait, moi qui suis si facilement perdue, et j’allais rencontrer d’autres marcheurs comme moi, des gens authentiques et ramenés à leur simplicité, que je pourrais aborder à égalité, sans étaler nos CV : ce chemin exige vérité. J’avais aimé le témoignage télévisé d’une Suissesse accompagnant une handicapée sur la totalité du parcours. C’était remarquable, mais trop pour moi, j’aurais assez à m’occuper de moi.
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Il m’a fallu le doute et la fatigue de la route, mais aussi la parole d’une autre, (un appel ?) pour que je décide, non pas de partir, mais de continuer. Drôle de break… et aujourd’hui un souvenir très joyeux. Marie-Laure
vers saint-jacques en six ans Entre avril 2004 et septembre 2010, Bertrand et Maryannick font le chemin vers Saint-Jacques. Mais comment rester ‘pèlerin’ pendant toutes ces années ? Ils découvrent un chemin qui irrigue le quotidien lequel enrichit à son tour le parcours vers Compostelle.
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Durant ce pèlerinage de six ans, nous avons appris à goûter l’alternance entre les temps sur le chemin et les retours à l’ordinaire ; nos journées vers Saint-Jacques étaient jalonnées de différents modes de prière, lecture et rumination de la Parole, intercession et action de grâce, prière silencieuse et en fin de marche quotidienne simple prière « avec les pieds » ; au retour selon d’autres modalités, la prière continuait à
© Forgeot d’Arc
Sitôt énoncé et mûri le souhait de « faire » en couple le chemin de Saint-Jacques, nous réfléchissions aux modalités qui le rendraient réalisable ; en effet nous ne pouvions envisager de quitter Guillaume, notre fils de vingt ans atteint de trisomie 21, deux mois d’affilée… Qu’à cela ne tienne, nous allions découper notre pèlerinage en « tranches ». Pour nous, pas question de nous demander si ce serait un pèlerinage au rabais, simplement ce serait le nôtre. Comme tout pèlerinage, celui-ci manifestait notre désir de nous « désinstaller », d’élargir notre horizon, de nous laisser interpeller par des questions nouvelles, en suivant ce chemin à la suite de tant d’autres, pour y « marcher humblement avec… Dieu » (Michée 6, 8). irriguer notre vie redevenue citadine, bien occupée par des activités profanes. En quelque sorte, les bienfaits du pèlerinage continuaient… en goutte à goutte… En somme, la marche vers SaintJacques aura été dans le pèlerinage de notre vie avec Dieu et vers Lui un temps fort durant lequel les périodes intermédiaires nous permettaient d’explorer le sens de notre démarche, de ten-
ter d’en rendre compte au jour le jour ; en effet, si nous reprenions notre marche chaque année là où nous l’avions arrêtée l’année précédente, nous n’avions pas vécu dans cet intervalle un arrêt sur image, et nous redémarrions enrichis intérieurement de cette nouvelle étape de notre vie que nous venions confier au Seigneur, lui demandant de la féconder. Bertrand et Maryannick juillet / août 2014
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
élaguer l’arbre de ma vie Pour Nacer, médecin, musulman et bon connaisseur de la Bible, le choc n’a pas eu lieu là où il l’attendait. Son pèlerinage a été réconciliation du cœur et du corps.
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J’avais le désir de faire un pèlerinage mais je ne pensais pas à La Mecque, plutôt à Compostelle. J’étais même allé à Vézelay dans cette perspective. Dans la Bible, ce que Dieu dit à Moïse m’avait frappé : « Enlève tes sandales ». Je voulais faire cela, me mettre dans la disposition de trouver Dieu en moi. Je sentais mon âme rebelle à Dieu, et en même temps prisonnière.
sandales ». Je me suis dit : « Nacer, quand vas-tu avoir confiance en Dieu ? Vas-y ! » Et j’avance, je me rapproche des portes, on me laisse passer. J’entre. Je touche les murs. Le hajj est là ! Là, je m’en remets à Dieu. J’arrête de jouer. Pas de pécher. De jouer. Le hajj, il était aussi dans la marche [20 kilomètres pour rejoindre le lieu sacré du mont Arafat], la chaleur, la contrainte. Je regardais les autres, les pauvres des pauvres. Je me disais : eux n’ont pas une carte bleue, ils n’ont qu’une paillasse pour dormir. Est-ce que je fais le même pèlerinage qu’eux ? Ce qui les faisait venir ici, moi je ne l’avais pas.
© Ahmad Faizal Yahya / iStock
C’est un ami qui m’a décidé en me disant : « On va au hajj [pèlerinage], ça te dit ? » Un chèque, une photo, un passeport, c’était parti. Le hajj commence là. L’arri-
vée à La Mecque n’a pas été un choc. La foule, la saleté, c’était une déception. Pareil en voyant la Kaaba [bâtiment cubique au centre de la Mosquée sacrée]. Un ami m’avait dit : « Quand je l’ai vue j'ai été électrocuté ». Un autre, « j’ai pleuré ». Pour moi, il ne s’est rien passé. Le déclic s’est produit après. Au moment de faire les sept tours autour de la Kaaba, ma tête me dit : « sors, rafraîchistoi, mange pour te fortifier. Tu le feras après ». Et lorsque je veux revenir à l’intérieur de la Mosquée, portes closes ! Fichu ! C’est à ce moment que j’ai « ôté mes
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J’ai été touché par ce que m’a dit un Iranien : « La meilleure demeure du Seigneur, c’est le cœur de son croyant ». Je suis revenu avec le désir de trouver Dieu en moi. Et d’adorer le Dieu de toute éternité avec tout ce qui est en moi. Mon cœur et ma tête étaient séparés. La seconde avait pris les commandes. Le hajj n’est pas fini, je n’ai pas ôté totalement mes sandales mais j’ai élagué l’arbre de ma vie. Nacer
mieux ancrés
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Notre pèlerinage en Israël constitue toujours un support vivant pour notre prière. « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu » est aujourd’hui indissociablement lié à la sérénité intemporelle du lac de Tibériade ; de même, avoir prié et pleuré avec le Christ dans le jardin de Gethsémani est une expérience charnelle qui accompagne chaque semaine sainte. Parcourir et ressentir les différents lieux de vie de Jésus ancre nos oraisons dans une réalité physique qui était celle du Christ, nous faisant plus proches de Lui. L’expérience communautaire que nous avons pu vivre lors de ce pèlerinage a confirmé notre désir d’appartenance à la communauté CVX et ce désir, depuis, nous incite à approfondir notre pratique de la spiritualité ignatienne. S’ensuit un engagement plus actif : décision de vivre nos premières retraites selon les Exercices, réponses positives à des appels pour des services… Ce temps fort a aussi renforcé les liens dans notre Communauté locale. Nos compagnons étaient très présents dans nos cœurs là-bas. à notre retour, un échange communautaire concentré sur nos ressentis, nos découvertes et les grâces reçues, nous a permis de partager toute la joie qui nous fut donnée.
© Valeriya / iStock
Partis il y a deux ans en pèlerinage en Terre sainte, ce jeune couple continue de vivre des fruits reçus là-bas, pour eux-mêmes, mais aussi en les partageant autour plus largement.
Depuis, nos échanges ont gagné encore en profondeur. Aujourd’hui nous demeurons pèlerins à travers un de nos compagnons qui, à son tour, fait cette expérience de la Terre sainte. À travers lui, nous nous souvenons des endroits parcourus, de leurs couleurs, de leurs odeurs, du vent chaud ; nos mémoires sont restimulées pour faire émerger des paroles reçues, des textes bibliques ou des témoignages vivants ; nous ressortons nos carnets comme supports à
un nouvel émerveillement, et à l’envie certaine d’y retourner encore… Avec la qualité d’un tel pèlerinage, nous sommes certains qu’à son tour notre compagnon aura entendu les mêmes paroles que nous, sur la route des témoins d’Emmaüs - qui était notre route de retour vers l’aéroport de Tel Aviv : « Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères » Luc 22, 32. Véronique et Gaétan juillet / août 2014 11
Chercher et trouver Dieu
contrechamp
les paradoxes du pèlerinage Entre sédentarité et déplacement, dépouillement et enrichissement, présence et absence, le pèlerinage à toute époque reflète une quête du Christ, une quête de l’homme, souligne monseigneur Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers.
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Le premier mot de Dieu adressé à un humain historiquement envisageable, Abraham, est : « Va, quitte ton pays et pars ». Abraham, entreprend alors une migration particulièrement longue. Des milliers de kilomètres. Or, ce n’est pas une errance. Il va de lieu humain en lieu humain. C’est une marche d’humanité à humanité. Pour la foi chrétienne, il n’existe pas d’espace sacré. La seule référence sacrée n’est ni des lieux (on peut se passer d’église), ni des choses, c’est l’homme. Car lui seul est image vivante de Dieu. Voyez le paradoxe : la même religion, qui pose qu’il n’y pas de lieu sacré, est aussi celle qui encourage les pèlerinages, le déplacement de lieu à lieu.
Pèlerinage et sédentarité
1. D'après l'expression de Raoul Le Glabre, moine chroniqueur de l'An mil.
Pour prouver ce paradoxe, je vais prendre deux époques hautement marquées par des pèlerinages, qui ont été en même temps des époques de construction et de sédentarité. La première période se situe au IVe siècle. Le christianisme était jusqu’alors une religion « illicite ». Et en 314, l’empereur Constantin, donne au christianisme le statut de religion reconnue. Alors d’un
seul coup, dans le bassin méditerranéen, les chrétiens bâtissent des églises, fondent des évêchés… Le christianisme s’installe. A cette même époque, naissent les premiers pèlerinages chrétiens. Dès la paix de Constantin, nous avons des témoignages de déplacements vers les Lieux saints de Palestine. Par exemple, le journal de voyage d’une Bordelaise, Ethérie, qui pérégrine dans le deuxième tiers du IVe siècle et parcourt toute la Palestine, les monts du Sinaï, l’Égypte… Deuxième grande époque des pèlerinages, le Moyen Âge. Le temps de l’art roman où nos campagnes « se couvrent d’un grand manteau blanc d’églises »1. Au moment de cette grande sédentarisation, nous avons le même mouvement qu’au temps de Constantin, les pèlerinages reprennent. Ce double mouvement de sédentarisme et de déplacement est probablement le même que nous vivons aujourd’hui. Au moment où notre société a bétonné tout ce qu’elle pouvait bétonner et où notre espace est humainement très sédentarisé, les pèlerinages reprennent.
le besoin de partir ? Pour moi qui essaie d’être croyant, de la même manière que l’on ne peut pas enfermer Dieu dans des mots, on ne peut pas davantage enfermer l’homme dans une seule situation. L’homme est un sédentaire. Mais il n’est pas que cela. Il est aussi celui qui marche, ce perpétuel insatisfait, ce perpétuel questionneur. Par conséquent, le déplacement, le pèlerinage disent l’autre aspect de l’homme. L’homme a besoin d’ailleurs. Homme irrémédiablement double.
Lieu pour faire mémoire Ethérie se retrouve dans le nord de la Palestine. Elle rencontre un évêque, sédentaire. Il n’y a pas d’évêque nomade. Il lui montre le tombeau d’Abraham et des siens. Pour nous, modernes, à l’évidence, ils ne sont pas passés par là.
L’homme est double
Or, ce n'est pas la vérité historique qui est première. Ce qui est premier est qu'on établisse un endroit pour faire mémoire. Si vous êtes croyant, un lieu où réactiver les fondements de la foi ; si vous êtes chercheur de sens, un lieu pour les fondements de votre humanité. Des endroits de mémoire.
Pourquoi, quand l’homme s’installe, éprouve-t-il d’un seul coup
On ne fait mémoire qu'en célébrant, qu'en ritualisant la mé-
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moire. Vous n'y étiez pas, il n'y a pas de photos, il n'y a pas d'archives. La seule chose que vous puissiez faire, c'est d'évoquer. De manière symbolique, par des rituels, des chants, des prières, des processions liées à un lieu donné. Vous constituez un endroit comme source de mémoire, qui devient donc source d'existence.
double contenu Selon la foi chrétienne, le contenu des pèlerinages est également double. Il est d'abord « Ad sancta », vers les choses saintes. Le pèlerin va d'église en église, parce qu'elles sont riches en reliques. Aller vers ces reliques, c'est aller vers une présence. On s'en va en pèlerinage pour être présent à quelqu'un, pour bénéficier de la présence de quelqu'un. C'est une rencontre entre un homme qui vit à telle époque et qui va voir quelqu'un, un saint, dont les restes, les reliques, même minuscules, reposent là. C’est une visitation. Ce n'est qu'en fonction de cette présence au saint qu'il résulte très rapidement une présence à soi-même. Les pèlerinages sont aussi des mouvements de dépouillement et de conversion. Le dépouillement est fondateur de la dimension pénitentielle des pèlerinages. Il s'agit de se défaire de ce qui nous retient. Tout ce qui nous lie, nous attache, est contraire à la vocation de l'homme. Tout laisser et
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Notre mémoire nous constitue dans notre identité humaine et de croyant.
partir. Prendre le minimum pour s'en aller. Ce dépouillement appartient à l'essence du pèlerinage. Aujourd'hui, dans notre société d'abondance, beaucoup sont très sensibles à cette exigence de dépouillement, d'aller à l'essentiel, Donc vous partez pour vous défaire de tout ce qui vous empêche d'être réellement vous-même et conforme à votre propre conception de l'existence. Vous partez pour vous retrouver : le contraire du déplacement. Il faut se rendre absent à tout ce qui nous entrave et nous attache là où l'on est, pour trouver la présence à un autre ou une autre présence à soi. Surgit alors un autre paradoxe : une présence sous forme d'absence. Le lien entre présence et absence est le thème de la pauvreté. Ce qu’on appelle aussi, depuis les
évangiles, la sequela Christi, la suite du Christ. Celui qui l’a le mieux résumé est saint Jérôme à la fin du IV e siècle : « suivre nu le Christ nu ». Le véritable détachement ne peut être envisagé que sous le dépouillement avec un Autre. La suite du Christ, dont parlent les premiers textes chrétiens depuis l’Évangile « si quelqu’un m’aime qu’il vienne à ma suite », est la définition même du pèlerinage. Toute vie de croyant est pèlerinage. Mgr Albert Rouet Texte revu en mai 2014 par Mgr Rouet pour la Revue Vie Chrétienne d’après une conférence donnée pour l’Association des Amis des Chemins de SaintJacques à Poitiers.
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Chercher et trouver Dieu
éclairage biblique
Du désir du cœur à la marche avec Dieu
A
Abram est nomade, il marche au rythme de ses bêtes, à dos d’âne ou de chameau. Caravanes d’hommes plantant leurs tentes le soir et se réveillant aux bêlements de leurs troupeaux. Il s’est installé à Harrân1 avec son père Tèrah, sa femme Saraï et son neveu Loth. Ses affaires vont bien, ses troupeaux prospèrent. Et pourtant revient à sa mémoire la quête qui avait mis son clan en route, comme si le but n’était pas atteint. Il éprouve une présence, entend une parole, un appel. Il se découvre habité par un Autre qui l’invite à partir, à partir vers un pays qu’il promet à ses descendants. Abram fait confiance, il obéit à la voix de l’Autre. « Par la foi il partit pour un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait 2 ». Ses pieds rythment sa foi : il marche avec son Dieu. En route avec un autre, qui décide de l’itinéraire à suivre ? Il faut se mettre d’accord, mais si l’autre est Dieu, ses chemins, sont, ne peuvent qu’être bons. « Marcher avec Dieu » devient alors l’équivalent de « suivre les voies de Dieu » 3, et « errer », « faire fausse route ». La marche des pieds traduit le désir du cœur.
Sa demeure est un chemin
1. Genèse 11,31. 2. Hébreux 11,8. 3. Cf. Genèse 5,22. Voir note de la TOB. 4. Jean 1,38. 5. Jean 4. 6. Jean 11,7. 7. Hébreux 2,15. 8. Jean 14,6.
Jésus appartient à une civilisation où la marche n’est pas un loisir mais une condition de vie. Les synoptiques le montrent en perpétuelle pérégrination. Le suivre, c’est d’abord marcher. Les disciples marchent et suivent, souvent sans comprendre. Jésus lui sait où il va. L’évangile de Jean déroule son chemin. Deux hommes suivent Jésus qui marche. Jésus se retourne : « Que cherchez-vous ? » - « Rabbi, où demeures-tu ? » 4 - « Venez et voyez ». Le mouvement est donné : sa demeure est un chemin. Marcher et faire confiance. Dès le lendemain, note Jean, Jésus « décide de gagner la Galilée ». Le
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texte n’en dit pas plus, Jésus est seul maître de la route. Plus tard, Jésus prend connaissance d’une rumeur : il ferait plus de disciples et en baptiserait plus que Jean-Baptiste5. Il décide sur-le-champ de quitter la Judée. « Il lui fallait traverser la Samarie », poursuit le texte. Or cet itinéraire n’est pas obligatoire, tout Juif sait que longer la plaine du Jourdain est le chemin direct vers la Galilée. Comment comprendre alors qu’il lui fallait traverser la Samarie escarpée ? La nécessité peut être de s’éloigner des querelles communautaires et de gagner les périphéries. Au chapitre 7, Jésus est pressé par les siens d’aller à Jérusalem manifester ses œuvres. Il résiste, ce n’est pas son heure, mais décide plus tard d’y aller en secret. Plus loin, « alors qu’il savait Lazare malade, il demeura deux jours à l’endroit où il se trouvait. » 6. Attendait-il que Lazare soit vraiment mort ? Ou était-il désireux de se recueillir avant de partir en Judée ? Thomas l’a compris : « Allons nous aussi et nous mourrons avec lui ». En prenant librement le chemin de Jérusalem, le Christ « délivre ceux qui passent toute leur vie dans une situation d’esclaves par crainte de la mort ».7 Quand l’heure est venue, Jésus lave les pieds de ses disciples, il les purifie après la marche. Ce geste les fait apôtres. Lavés dans le sang de Jésus, ils pourront courir le monde. Et Thomas encore reçoit la clé de cette vie nouvelle : « Je suis le chemin, la vérité, la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi ».8 La foi au Dieu unique est née dans une expérience de migration. La marche rapproche de Dieu. Elle rapproche des hommes. Le Christ grand marcheur avance librement vers son heure au fil des jours et des rencontres. Suivons-le ! Marie-Emmanuel Crahay auxiliaire du sacerdoce
faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, 14 et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé. 15 Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. 16 Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. 17 Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. 18 L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. » 19 Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : 20 comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. 21 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. 22 À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, 23 elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. 24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » 25 Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! 26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » + Me représenter les disciples, les voir 27 Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, quittant Jérusalem le soir de Pâque. dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. 28 Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit + Demander la grâce d’accueillir et reconsemblant d’aller plus loin. naître Jésus marchant avec moi sur la 29 Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir route. approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec + Regarder les pieds des disciples, mareux. cher avec eux. Au fil du texte sentir leurs 30 Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la cœurs s’alléger jusqu’à : « Reste avec bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. nous Seigneur ». M’arrêter et tirer profit. 31 Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. + Contempler la scène dans l’auberge, les mains de Jésus, les yeux des disciples. 32 Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en En tirer profit. nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » + Regarder à nouveau les pieds des dis33 À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. ciples retournant à Jérusalem. Remercier
points pour prier
Luc 24, 13-33 Traduction Aelf
Dieu pour tout ce que mes pieds m’ont permis à ce jour. Laisser monter en moi le désir d’aller de l’avant.
(association épiscopale liturgique pour les pays francophones)
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© Pelerins d’Emmaus, Jacques Tissot / Jewish Museum
13 Le même jour, deux disciples
Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
Ignace, pauvre pèlerin Ignace se nomme lui-même le pèlerin. Même à la fin de sa vie, ne bougeant pas de son bureau de Rome, il signe encore le pèlerin. Son identité est marquée par ce mot, au-delà des périples qu'il ne fait plus. Qu'a-t-il découvert sur lui et sur Dieu à travers cette expression ? Paul Legavre s.j. nous aide à suivre son chemin.
L
La lettre la plus ancienne qui ait été conservée d'Ignace s'achève par ces termes : « Le pauvre pèlerin ». C'est en 1524 et Ignace écrit depuis Barcelone à Inès Pascual, une sainte femme qui a pris soin de lui quelques mois plus tôt à Manresa, après son retour de Terre sainte. Trente ans plus tard, c'est sous ce même vocable de « Pèlerin » qu'Ignace parlera de lui dans le Récit. Tel est le chemin qui s'est ouvert pour Inigo et qu'il nous invite à parcourir avec lui.
Naissance d'un pèlerin C'est à la demande pressante de ses proches qu'Ignace consent à raconter les commencements de sa vocation. Le Récit qu'il livre couvre les années 1521-1538, jusqu'à l'arrivée à Rome des premiers compagnons. Il nous fait entendre que sa vie a été un pèlerinage. Pas seulement une itinérance pendant une quinzaine d'années, jusqu'à Rome. Voilà le sens majeur que revêt sa vie : il a été et il demeure un pèlerin. Tel est « le chemin par lequel le Seigneur l'a dirigé depuis les premiers jours de sa conversion » (Préface du Père Nadal). Dans le court texte du Récit, Ignace se présente 16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 30
comme « le pèlerin » pas moins de soixante-quinze fois ! Quand, convalescent dans la maison familiale de Loyola, il pense à « aller nu-pieds à Jérusalem, à ne manger que des herbes, à faire toutes les autres austérités qu’il voyait avoir été faites par les saints, non seulement il était consolé quand il se trouvait dans de telles pensées, mais encore, après les avoir laissées, il restait content et allègre. » Le désir de faire des exploits pour Dieu, né de ses lectures, alterne, nous le savons, avec le désir d'exploits mondains pour sa Dame. Nous savons aussi que ces dernières pensées, si elles sollicitent puissamment son affectivité, le laissent finalement « sec et mécontent ». La pesée de cette différence sera décisive. L'étonnement qui en résulte va le conduire à un changement radical, confirmé par la vision de Notre Dame et de son Fils. La mise en mouvement qui s'opère le constitue comme pèlerin. Parler d'Ignace pèlerin n'est donc pas une simple métaphore : le désir d'aller à Jérusalem est le lieu de sa conversion. Ce projet le met en mouvement pendant plusieurs années. Ajoutons immédiatement que le pèlerinage ne s'arrêtera pas
à la Terre sainte. à son retour, il continue de se considérer comme un pèlerin. Telle est désormais son identité, ou plutôt sa vocation : chercher et trouver Dieu sur le chemin.
Le chemin intérieur Le chemin vécu par le Pèlerin est d'abord le passage de l'extérieur vers l'intérieur. La grande volonté qu'a Inigo de suivre le Seigneur et l'égalité d'âme et d'allégresse qu'il vit les premiers mois s'accompagnent, selon lui, d'une grande méconnaissance des choses intérieures. On peut être « un cœur généreux et enflammé de Dieu » et être dans l'extériorité d'un héroïsme pour Dieu ! à Manresa en Catalogne, où il s'arrête près d'un an, les grandes alternances de mouvements intérieurs et la crise spirituelle profonde qu'il traverse font de lui un homme tourné vers l'intérieur, référé à son Seigneur, vivant désormais de la lumière et de la joie qui viennent de Dieu. Son désir de sainteté s’est converti en dépendance radicale à Dieu et à sa douce volonté. Il s'incarne dans le mode de vie du pèlerin : seul et à pied, en mendiant toujours son pain, il parcourt l'Europe en s'abandonnant
© Curia generalizia SJ
▲ Les sandales de saint Ignace dans son bureau à Rome
à Dieu. Plus tard, il voudra que les jésuites vivent une vraie pauvreté dans leurs maisons et se déplacent « à l'apostolique », dans le même esprit d'une confiance totale en Dieu, comme les disciples envoyés deux par deux par le Christ. Le chemin d'Ignace est ensuite le passage de la seule dévotion au désir d'aider les âmes. Quand enfin parvenu à Jérusalem, il envisage l'avenir, « il avait le ferme propos de rester à Jérusalem en visitant constamment ces Lieux saints ; et il avait aussi le propos, en plus de cette dévotion, d’aider les âmes ». Ne pouvant demeurer à Jérusalem du fait de l'opposition des franciscains, il rentre en Europe. Il ne cesse de s'interroger : que faire ? « À la fin, il inclinait davantage à étudier quelque temps pour pouvoir aider les âmes et décidait d’aller à Barcelone. » La vocation du Pèlerin a enfin
trouvé sa visée et son but : aider les âmes. Les études elles-mêmes seront comme des étapes sur son chemin – un pèlerinage intérieur pour arriver à vraiment étudier, de Barcelone à Alcala, de Salamanque à Paris. Tout comme dans la contemplation d'une scène évangélique, la composition de lieu se fait intérieure, le fruit de tout pèlerinage sera « la connaissance intérieure du Seigneur qui pour moi s'est fait homme, afin de l'aimer et le suivre davantage ». Pourtant les premiers compagnons regardent encore vers Jérusalem : « Aller à Venise et à Jérusalem et dépenser leur vie pour être utiles aux âmes, et, si la permission ne leur était pas donnée de rester à Jérusalem, retourner à Rome et se présenter au Vicaire du Christ pour qu’il les emploie là où il jugerait que ce serait davantage à la gloire de Dieu et plus utile pour les âmes. » Et même après que les
circonstances les aient conduits à renoncer au vœu qu'ils ont fait, Jérusalem, symbole de tout pèlerinage, demeurera un horizon indépassable. Alors que la fièvre le terrasse aux portes de la Chine, saint François-Xavier évoque, dans l'une de ses toutes dernières lettres à Ignace, la possibilité de rejoindre ce dernier à Jérusalem, par la route de l'intérieur des terres dont il a entendu parler. La Compagnie est pèlerinage. Inigo, passionnément pèlerin, spirituellement pèlerin, est devenu « Maître Ignace » au terme de ses études, et à Rome on appelle « Père ». En son cœur, il demeure le Pèlerin. Depuis Rome où il va demeurer jusqu'à la fin de ses jours, il met en mouvement la Compagnie naissante pour annoncer partout l'Évangile, jusqu'aux confins du monde. Paul Legavre s.j. juillet / août 2014 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Qu’est-ce qui pour moi différencie un voyage d’un pèlerinage ? • « Va quitte ton pays ». Ai-je déjà entendu cet appel à quitter mon ordinaire, le lieu où je réside ? Quelle réponse ai-je donnée ? Quelle réponse puis-je envisager aujourd’hui ? • Des témoignages de ce dossier ou de ma propre expérience je peux dégager : - Les préparatifs : quand et comment se passent-ils ? qu’est-ce qui commence à bouger déjà en moi ? - La confrontation à la réalité au cours du pèlerinage (épuisement physique chez MarieLaure, la déception de Nacer…). Qu’est-ce que cela évoque en moi ? • Comment cette marche, cet exercice physique me révèle davantage qui je suis. Ce passage de l’extériorité à l’intériorité donne-t-il sens à la proposition de vivre en pèlerin ? • Comment résonnent les phrases de Mgr Rouet : « Vous partez pour vous retrouver » ? et « Toute vie de croyant est pèlerinage » ?
Petit pèlerinage pour un temps de vacances • Choisir une chapelle des environs ou une église et préparer un pèlerinage que je ferai seul(e) ou avec d’autres. Est-elle dédiée à un saint ? Quelle demande ferai-je par l’intercession de ce saint ? (Prévoir aussi à qui demander la clé de la chapelle). • Marcher avec le peuple de Dieu en fredonnant un psaume : "le Seigneur est mon berger" (ps 22), « Allez dire à tous les hommes le Royaume est parmi vous » (ps 97), un psaume des montées ou un chant que j’aime particulièrement. • Dans la chapelle me reposer près du Seigneur, lui rendre grâce. Faire le tour de la chapelle en repérant son centre, son unité, regarder les vitraux, les statues. Aux saints représentés, confier ma demande. Joindre mon intercession à la leur et l’élargir au peuple de Dieu. • Terminer par la litanie des saints et un Notre Père.
À lire : • Jésus prend la porte – « Je suis sorti du Père et venu dans le Monde » quel mouvement dans cette phrase résumant la mission du Christ ! Jésus déplace les foules, Jésus sort, quitte, entre… au gré de 30 récits tirés de l’évangile, les auteurs suivent les pas de Celui qui « ne tient pas en place ». Un livre simple, plein d’humour, illustré avec justesse et finesse par Piem. Vivifiant. Isabelle Parmentier, Jean Noël Bezançon et Piem - édition du Cerf, réédition 2008 –17 €. • « Pèlerin ! » – Parti un mois pour Compostelle, « sans motivation », Michel Bureau, jésuite, mort en 2005, relève le « défi de l’imprévu ». Cheminant, il découvre une démarche spirituelle très particulière, à partir du corps, « le premier lieu à évangéliser. » Expérience qu’il résume ainsi : « je marche donc je crois ». Michel Bureau, éditions Vie Chrétienne (2001).
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A lire cet été © B. Strobel
Découvrir ensemble la braise sous la cendre Martin Werlen
Traduit de l’allemand par Olivier Man noni, introduction Mar tin Kopp Bayard - Montrouge (Hauts-de-Seine ) (mai 2013) Le texte de Martin Werlen se veut « une provocation », un appel adressé aux croyants à sortir de la nostalgie pour être « église aujourd’hui »… aimer les gens de notre tem ps et porter l’évangile jusqu’à eux. « Dieu dev ient homme pour venir chercher l’homme là où il se trouve. Cette attitude, nous pouvons l’adopter … l’oreille posée contre le cœur du monde, la main sur le pouls de l’époque ». Souhaitons que le lecteur entende l’invitation « à chercher ensembl e… la braise sous la cendre » et à « sentir de nouv eau la fraicheur de l’évangile… pour que notre cœur s’élargisse à tous, aussi divers et différen ts soient-ils ».
Histoire d’un allemand Sebastian Haffner – Babel n° 653- 434 p. - 9,70 €. Dans un texte rédigé en 1939, découvert et publié après sa mort, le journaliste allemand Sebastian Haffner fait une chronique saisissante de sa vie, celle qu’ont vécu aussi des millions d’Allemands, entre 1914 et 1933. Il sait évoquer l’atmosphère ambiguë, la pensée ambiante d’une période trouble et troublée, les conséquences à court et long terme d’un changement politique ou l’évolution d’une idéologie. D’une clarté et d’une autorité exemplaires, le récit rend palpables, les prémices du nazisme dans les moindres faits de la vie quotidienne. Un livre qui peut éclairer l’actualité. Passionnant.
Les chrétiens dans le débat public
Ouvrage collectif, éditions Facultés de Paris, 161p, 12 €.
jésuites
ctuels chrétiens Ces sept contributions d’intelle : comment parler partent de la même question qui la dans la société et les débats s tien et agir en tant que chré la sur les paro es fort : controverses, malentendus, traversent ue » ogiq écol e erti « in ille, Fam loi la « problématique du genre » et 3 et partage, lors de Diaconia 201 face au choc climatique, écoute t men erne disc ), isés avor eux très déf (3000 personnes venues de mili ia. méd du ur » asse « p de lise, rôle sur le discours social de l’ég » en r en dialogue avec le monde ntre « e d’ ons casi d’oc ant Aut r et peu : ils écue ps ». Avec des « scrutant les signes des tem re. l’aut sur pari et at déb du gélisation diabolisation et des défis : évan
Lumière au cœur de la nuit Alfred Delp s.j., éditions Vie chrétienne – fidélité, 138p, 12,90 €. (Re)Découvrez la densité spirituelle et la modernité des textes de prison de ce jeune prêtre allemand mort dans les prisons nazies. Marquant profondément ses contemporains, notamment le P. Michel Rondet qui en parle abondamment dans son dernier livre Résister et oser l’espérance, son témoignage a longtemps été méconnu, comme celui de son voisin de celulle, le pasteur Dietrich Bonhoeffer. Alfred Delp s.j. a expérimenté le désespoir enchaîné au fond de sa cellule, mais aussi paradoxalement la joie de la présence de Dieu au cœur de la nuit la plus totale.
Réédition de « Dieu rend libre » de novembre 2003 qui était épuisé.
Douze femmes Dans la vie de Jésus Anne Soupa, éd. Salvator, 244 p., 20 €. Par douze rencontres entre des femmes et Jésus, Anne Soupa, bibliste et engagée en faveur des femmes dans l’église, nous fait (re)découvrir comment les femmes ont été, elles aussi, des disciples bien aimées de Jésus. Et à travers chacune d’entre elles, nous pouvons percevoir comment Jésus se laisse approcher et permet à chacun de faire la vérité sur sa propre vie. Laquelle de ces femmes vous bousculera le plus ?
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Se former
école de prière
SENTIR ET GOÛTER Le temps des vacances ne serait-il pas propice à prendre davantage son temps, à laisser une certaine lenteur s’installer, y compris dans la prière ? Une bonne occasion de répondre à l’invitation d’Ignace à sentir et goûter intérieurement la Parole.
A
Au début du livret des Exercices Spirituels, juste après avoir comparé ces exercices spirituels à des exercices corporels, Ignace a cette formule : « Ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et goûter les choses intérieurement » (annotation 2 des ES). Comme si le terme d’exercices pouvait induire l’idée que plus on en fait, et mieux ce sera ! Comme si Ignace voulait nous mettre en garde, jusque dans la prière, contre une tentation d’en faire toujours plus, parfois proche du « trop », et en tout cas bien loin d’un « davantage ». Non ! « Ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et goûter les choses intérieurement ». L’enjeu est clairement énoncé : rassasier l’âme ; c’est le vocabulaire de la nourriture. La prière avec la Parole de Dieu, tout comme l’Eucharistie, est une nourriture. Il ne s’agit donc pas d’un savoir (comme quelque chose que l’on a appris, mais qui reste extérieur, scolaire), et encore moins de savoir beaucoup, ce qui implique que l’on est aux antipodes de l’accumulation.
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Il s’agit de sentir et goûter les choses intérieurement, car c’est cela qui rassasie.
qualité de joie qui accompagne une conversion…
Sentir et goûter les choses
• « Rester en bonne compagnie » avec Jésus, ou un autre personnage de la scène que je contemple.
Mais quelles choses ? • D’une part sentir et goûter l’histoire que me raconte l’Écriture. Je vais prier avec elle. Je vais m’arrêter sur des mots, qui peuvent, par exemple, m’évoquer d’autres passages de la Bible, ou m’arrêter sur des attitudes de tel ou tel personnage qui me frappent. • Mais aussi sentir et goûter ce que cela provoque en moi, mes réactions, ma joie, mes résistances…
• Rester sur ce qui s’imprime en moi et son retentissement en moi
• Comme on goûte une bonne musique que l’on écoute à nouveau et où l’on découvre une nouvelle nuance, revenir sur le texte ou juste un mot pour en percevoir une nouvelle tonalité. Si je veux goûter la fraîcheur du soir, il me faut demeurer un moment assis, tranquille, prendre le temps de me laisser pénétrer par cette fraîcheur.
Ces choses, Ignace nous invite à les sentir d’abord, les éprouver, nous y rendre sensibles, nous impliquer et non pas rester extérieur ; nous rendre attentifs, les sens intérieurs en éveil, puis à les goûter, ensuite, à rester dessus un moment.
Sentir et goûter intérieurement ?
Goûter mais comment ? • Goûter n’est pas avaler, mais prendre son temps.
Sentir et goûter, c’est permettre à la Parole, qui m’est extérieure, de devenir intérieure à moi-même.
• Se laisser imprégner par la Parole : telle attitude de Jésus, telle
On pourra utilement noter, au fil de nos temps de prière, ce que
Dans ce lieu où Dieu travaille, à l’intime de moi, au plus profond de moi, afin de laisser monter ma propre parole, et d’adresser ma réponse, mes questionnements au Seigneur.
La Parole de Dieu, parce qu’elle est vivante, vient rejoindre ma propre expérience de vie. Alors, il est une grâce que l’on peut demander et redemander sans se lasser, c’est de pouvoir goûter cette Parole.
© Jeff Jaq / iStock
l’on a goûté, ce que l’on a davantage relevé, car il y a sans doute là une indication de ce que le Seigneur veut me révéler. Ce qui ressort pour moi, ce qui est plus saillant, est comme un indice de quelque chose à approfondir, de Dieu, de moi, de ma relation à Dieu, aux autres.
Demander aussi, dans la prière d’alliance, la grâce de sentir et de goûter la présence de Dieu dans ma vie ou mes refus de lui laisser la place qu’il mérite ! Noëlle Hiesse CVX
Déjà l’écriture parle de "sentir" et "goûter" « écoutez-moi, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous délecterez de mets savoureux » Isaie 55 « Il me dit : ‘Fils d’homme, nourris-toi, et rassasie-toi de ce rouleau (de l’écriture) que je te donne’. Je le mangeai : il fut dans ma bouche d’une douceur de miel » Ezéchiel 3 : « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur » Psaume 33 « Comme descend la pluie ou la neige du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas là-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange, ainsi se comporte ma Parole du moment qu’elle sort de ma bouche ; elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée. » Isaie 55
Jalons pour prier
De Bethy Oudot Au cœur de cette route permettant de « sentir et goûter intérieurement les choses par soi-même », une douce transformation s’opère : la relation à Dieu se fait plus personnelle, et nous ouvre un quotidien où l’on peut « trouver Dieu en toute chose ». Janvier 2013 – 12,90 e.
à commander sur : editionsviechretienne.com « Sentir et goûter » De Jean-Claude Dhôtel Dans Revue Vie chrétienne N°445, juillet 1999.
Consultable sur le site internet : editionsviechretienne.com
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Se former
Expérience de Dieu…
… en pratiquant l'hospitalité Accueillir chez soi un étranger en attente de logement, de papiers définitifs… c’est ce qu’a osé faire Cécile avec sa famille. Un premier pas qui les a conduits vers plus de fraternité et les a ouverts à une présence de Dieu tout accueil.
L
Le dîner amical se terminait, joyeux et animé ; nous avions partagé nos enthousiasmes et soucis, nos questions et révoltes ; heureux de ces échanges autour d’une bonne table, nous allions nous quitter. Mon portable son-
na ; « Madame Cécile, on s’est rencontré plusieurs fois au Secours Catholique ; nous n’avons pas de place pour dormir ce soir en foyer. Les enfants pleurent… » La chaleur du banquet, la force de l’amitié nous ont conduits à
proposer : « ce soir vous dormirez chez nous ! » Comme Sarah qui fait le pain à la hâte (Genèse chapitre 18), Rahab qui accueille les espions ennemis (livre de Josué, chapitres 2 et 6) et tant d’autres qui disent « Venez et voyez » chaque jour, l’hospitalité se propose, elle s’impose, elle n’a pas à se justifier. Elle est inconditionnelle.
© Siri Stafford / Digital vision
Volontaires DCC durant deux ans dans le Sud algérien, nous avons reçu à chaque rencontre ces mots de bénédiction de nos frères musulmans : « Soyez les bienvenus ». Ces paroles pour toujours sont inscrites dans nos cœurs et nous révèlent la grâce de la rencontre ; je réentends « Tout homme est une histoire sacrée » et ressens que c’est un don qui se révèle peu à peu.
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Mais cette évidence nous entraîne ; cet élan nous pousse à le vivre avec d’autres. Notre engagement d’accueil des demandeurs d’asile au Secours Catholique, les rencontres avec Welcome de ‘Jesuit Refugee Service’, le bienheureux compagnonnage et ‘l’atelier étranger’ en CVX… nous donnent
de l’audace. C’est avec d’autres que l’on va vivre cet appel. Et nous voilà créant ‘‘Bienvenue !’ (Association cousine de Welcome) pour mettre notre couleur, notre accueil spécifique (quelques semaines chez quelqu’un, seul ou en famille) au service de ce réseau qui prend déjà soin des étrangers dans notre ville. Rahab me rappelle que son accueil n’est pas sans dialogue. Il nous faut analyser les risques de l’accueil, débusquer nos préjugés, ne pas s’approprier la rencontre, marcher au pas de l’autre (éclairante recommandation du Père Ignace). Ensemble nous nous entraînons à vivre ces transformations qu’engendre la rencontre. Chacun vient avec sa foi - pas nécessairement religieuse- sa foi en l’homme pour donner corps à la confiance qui nous est faite par ces demandes d’hospitalité. Ce que nous apprenons les uns des autres ? à nous apprivoiser… avec notre langue différente qui nous prive longtemps d’échanges vrais et avec leur étonnante ardeur à apprendre ; avec nos habitudes quotidiennes, culinaires, éducatives : pas question pour moi de porter les paquets ou d’arracher les mauvaises herbes : « à ton âge on se repose », me rétorquet-on… à découvrir l’expérience des démarches administratives qui n’en finissent pas, dans la bienveillance ou l’humiliation. A approcher la vie en squat que certains préfèrent à celle des
« BIENVENUE ! » Association loi 1901, Bienvenue ! est un réseau d’hospitalité temporaire pour les demandeurs d’asile à Rennes ayant pour but de réunir des personnes voulant agir sur les conditions d'hébergement des demandeurs d›asile et assurer un accueil temporaire organisé leur permettant de se poser, de connaître l'agglomération rennaise. Accueillant chez soi de deux à quatre semaines, ou disposant de temps pour assurer une présence amicale, il y a sans doute une place pour vous ! Plus d'informations : Tél. : 06 24 69 36 20 – jacques.darlot@laposte.net Autre association : Réseau Welcome (JRS) : welcome.jrsfrance@gmail.com
foyers, où se créent de belles solidarités dans la précarité et le dénuement. S’engager avec eux à solliciter la mairie, l’église, les associations… pour que la parole leur soit donnée ; moments de bonheur pour ce qui s’ose dans la cité, les paroisses ; moments de rage, quand les lois, les portes, les cœurs se ferment. Chacun à notre tour nous vivons cette réalité : « Se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, pleurer avec ceux qui pleurent » ; mouvante et émouvante fraternité ! à contempler la force de vie, d’adaptation de chaque être humain : je suis témoin de la beauté de leur détermination, de l’attention qu’ont les parents pour leurs enfants. à vivre l’instant présent : nous goûtons le temps donné ; il est celui que Dieu nous donne pour
habiter l’hospitalité au-delà de la porte ouverte. Et faire la belle expérience qu’ils m’accueillent au cœur de mes limites et de mes possibles. « élargis l’espace de ta tente, renforce tes piquets, allonge tes cordages (Isaie 54) ». Avec eux qui ont quitté par obligation ou nécessité leur pays, leurs parents, leur terre… se confirme en moi que notre véritable patrie est celle de la fraternité universelle. Souvent je pense à Jésus allant et venant, se faisant accueillir, ayant le désir de nous ouvrir à ce lieu que Dieu habite : notre être singulier. C’est là sa demeure. C’est là qu’Il se donne à voir ! Bienheureuse hospitalité qui est chemin de Vie. Cécile Mignot
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Se former
Lire la Bible
"Sarah qui vous a enfantés…" Sarah nous est connue par Abraham. Pourtant de Saraï à Sarah, recevant elle aussi un nouveau nom du Seigneur, elle a marché, souffert, ri, aimé… et son histoire avec le Seigneur est singulière.
E
geait le peuple à la fin de l’exil.
“écoutez, vous qui êtes en quête de justice, vous qui cherchez le Seigneur. Regardez le rocher d’où l’on vous a taillés et la fosse d’où l’on vous a tirés. Regardez Abraham votre père et Sarah qui vous a enfantés.” (Isaïe 51,1-2). C’est ainsi que le prophète encoura-
Si nous, chrétiens, nous avons l’habitude de regarder la figure biblique d’Abraham, il n’en est pas de même de celle de Sarah. En parcourant le texte de la Genèse qui nous parle d’elle, essayons de le faire aujourd’hui.
Elle s’appelait Saraï…
© Jewish Museum / Google Art Projetc
Marie-Amélie Le Bourgeois docteur en théologie, religieuse de la Compagnie SainteUrsule, de spiritualité ignatienne, a une longue expérience de la formation et de l’accompagnement spirituel. Elle collabore régulièrement à la revue Christus.
La première fois que la Bible parle de Sarah, ce n’est pas pour elle-même, mais c’est pour nous présenter Abram : « La femme d’Abram s’appelait Saraï » (Genèse 11,29). Le mot signifierait alors « ma princesse », ce qui suggère admiration pleine de tendresse dans le cœur d’Abram pour Saraï… Et l’histoire de ce premier couple commence dans la souffrance : « Or Saraï était stérile » (Genèse 11,30).
▲ La caravane d'Abram par Joseph Tissot
Nous pouvons remarquer que si Dieu demande ensuite à Abram de quitter son pays, sa parenté et la maison de son père… (Genèse 12,1), celui-ci n’imagine pas un instant qu’il lui faudrait aussi quitter Saraï. Elle fait partie non de la parenté qu’il doit quitter, mais des biens qu’il emporte : « Abram partit comme lui avait
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dit le Seigneur, et Lot partit avec lui. (…) Il prit sa femme Saraï, son neveu Lot, tout l’avoir qu’ils avaient amassé et le personnel qu’ils avaient acquis à Harân ; ils se mirent en route… » (Genèse 12, 4-5). Contrairement à Lot, Saraï ne semble pas avoir eu sa part dans la décision de partir. Elle fait seulement partie de la liste des gens et des choses qu’Abram emporte avec lui. Avec lui elle est partie sur la route à destination mystérieuse ; elle se laisse conduire, et tout porte à croire que le Seigneur Dieu d’Abram est aussi le sien.
La femme était très belle… En poursuivant notre lecture, nous apprenons ensuite quelque chose d’important : Saraï est belle, très belle ! Si, dans le récit de la création, il est dit que ce que Dieu crée est vraiment « bon », c’est à Saraï qu’il revient d’introduire la beauté dans le texte biblique. C’est aussi la première fois qu’Abram lui adresse la parole, même si l’histoire n’est pas glorieuse pour lui : « Abram dit à sa femme Saraï : ‘Vois-tu, je sais que tu es une
Les commentateurs se sont interrogés sur cette « beauté » de la vieille Saraï : comment l’imaginer si « belle » que Pharaon la convoite dans son harem ? C’est, dit un commentaire juif, que sur elle repose la Shekinah, la beauté de Dieu… Abram avait bien calculé son coup : sa femme (dite sa « soeur ») étant dans les bras de Pharaon, il est choyé par celui-ci et comblé de biens… Mais alors que va-t-il arriver ? En frappant Pharaon et sa maison « de grandes plaies », le Seigneur fait comprendre qu’il n’est pas d’accord. Sans que cela soit dit explicitement, Saraï peut sentir là combien le Dieu d’Abram est aussi le sien, celui qui la libère et lui permet de retrouver son Abram bien-aimé.
Stérile Avec le chapitre 16 de la Genèse, Saraï prend les choses en mains. L’auteur biblique vient de raconter la vision qu’Abraham a reçue : contre toute espérance, le Seigneur lui a promis de lui donner
© Abraham et les trois anges / Rembrandt, Musée de l'Ermitage
femme de belle apparence. Quand les égyptiens te verront, ils diront ‘c’est sa femme’ et ils me tueront et te laisseront en vie. Dis je te prie que tu es ma sœur, pour qu’on me traite bien à cause de toi et qu’on me laisse en vie à cause de toi. De fait, quand Abram arriva en Égypte, les Égyptiens virent que la femme était très belle. (…) La femme fut emmenée au palais de Pharaon. Celui-ci traita bien Abram à cause d’elle… » (Genèse 12, 10-14). Le même mensonge se renouvellera avec Abimélek (Genèse 20).
▲ Sarah, dans l'ombre d'Abraham
un héritier de son sang et une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel… On peut imaginer que Saraï est au courant de cette vision et des paroles si consolantes entendues de la part du Seigneur. Comment cela se fera-t-il ? Or, « La femme d’Abraham, Saraï, ne lui avait pas donné d’enfant » (Genèse 16,1). Eh bien ! cette Saraï qui se sait stérile n’en prend pas son parti : elle ne donnera pas d’enfant à Abram, mais elle va aider Dieu à réaliser sa promesse ; elle est stérile, mais pas passive. Elle va y suppléer : “Va donc vers ma servante. Peut-être obtiendraije par elle des enfants” (Genèse 16,2). Ce qui compte pour elle, c’est Abram, son seul amour, et, après tout, la réalisation de la promesse du Seigneur peut passer par une autre.
Pourtant elle reste une femme blessée et humiliée. Est-ce sa faute si son cœur ne peut suivre sa générosité ? Car à la vue de la servante enceinte, et devant la faiblesse d’Abraham pour celle qui lui donne un fils, la jalousie l’emporte un jour : “Que l’injure qui m’est faite retombe sur toi ! J’ai mis ma servante entre tes bras et, depuis qu’elle s’est vue enceinte je ne compte plus à ses yeux.” (Genèse 16,5). Elle obtient d’Abram la permission de maltraiter Hagar, la servante, qui s’enfuit au désert. On peut penser que cette jalousie ne lui sied pas. Pourtant le Dieu d’Abram, sans oublier de consoler Hagar, prend déjà son parti, demandant à la servante de retourner chez sa maîtresse et de lui obéir.
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Abram a maintenant un héritier, quelqu’un de son sang. C’est Ismaël… Et Saraï ? Est-elle devenue simplement encore plus vieille ? En ont-ils pris leur parti ? Ce n’est pas l’avis de Dieu. En changeant le nom d’Abram en Abraham, il renouvelle son alliance et sa promesse de le faire “père d’une multitude de nations”. Et quant à Saraï « tu ne l’appelleras plus Saraï, mais son nom sera Sarah. Je la bénirai et même je te donnerai d’elle un fils ; je la bénirai, elle deviendra des peuples, et des rois des nations viendront d’elle. » (Genèse 17,16).
Je te donnerai d’elle un fils Passer de « Saraï » à « Sarah », c’est passer de « ma princesse » à « princesse de tout un peuple ». Maintenant ce n’est plus Abraham seulement, mais le couple qui deviendra des peuples. Elle aura un fils
1. Ce comptage, qui se fait facilement sur le texte hébreu, ne peut malheureusement pas se faire toujours dans les traductions françaises qui ont parfois remplacé la répétition du prénom par un pronom.
Jusqu’à la fameuse rencontre au lieu-dit du “Chêne de Mambré” (Genèse 18,1-15), l’auteur biblique nous a montré une Sarah absente de toutes les rencontres entre Abraham et son Seigneur. On parle d’elle, il est question d’elle, mais en son absence. Ce n’est pas le cas de celle-ci, ce qui est indiqué par son nom “Sarah” qui y est donné dix fois, c’est-àdire deux fois plus souvent que celui d’Abraham1. C’est là qu’elle reçoit, dans sa chair de vieille femme, de la bouche du Seigneur lui-même, sa dignité de jeune mère.
Elle peut rire, Sarah, et derrière elle ceux et celles qui ont toute une histoire de peine et d’amertume… une histoire d’amour et de passion. Elle a toujours vécu pour Abraham et dans son ombre. Pour lui, elle a tout accepté et tout entrepris. Elle peut rire, car le Seigneur la visite enfin…
Le Seigneur visita Sarah “Le Seigneur visita Sarah comme il avait dit et il fit pour elle comme il avait promis. Sarah conçut et enfanta à Abraham un fils dans sa vieillesse, au temps que Dieu avait marqué” (Genèse 21,1). La naissance d’Isaac, joie au-dessus de toutes les joies. “Dieu m’a donné de quoi rire, tous ceux qui l’apprendront me souriront” (Genèse 21,6) chante-t-elle comme un Magnificat. Cette naissance fera-t-elle d’elle pour autant une femme douce et sereine ? Ce n’est pas ce que la Bible nous présente. Son amour possessif, violent et jaloux se partage maintenant entre Abraham et Isaac. Et Dieu continuera de prendre son parti dans le couple : « écoute tout ce que te dit Sarah » dit-il à Abraham, « car c’est par Isaac qu’une descendance perpétuera ton nom » (Genèse 21,12). Reste une dernière épreuve, qui lui sera mortelle : c’est le moment où Abraham entend son Dieu lui demander de sacrifier leur fils… Les commentateurs du « sacrifice d’Isaac » ont souvent relevé son silence… Selon un vieux
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© Joseph Tissot / Jewish Museum New York
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Lire la Bible
texte juif, dès qu’elle comprit ce qu’Abraham avait l’intention de faire, « elle se leva, se mit à crier et à suffoquer et elle mourut de douleur ». Comment les disciples du Christ pourraient-ils ne pas voir en Sarah l’ancêtre de Marie, depuis l’annonce par Gabriel et jusqu’à ce silence au moment du Calvaire ? Sarah a aimé, elle a marché et suivi son compagnon de route sans savoir où ils allaient. Elle a combattu. Elle a souffert. Elle a aimé et protégé son époux et son fils. Elle n’a pas eu de grandes visions, nous ne savons même pas qui était Dieu pour elle, si elle a su l’aimer et le prier… C’est pourtant cette Sarah dont l’auteur de l’épître aux Hébreux célèbre la foi, au même titre que celle d’Abraham : « parce qu’elle estima fidèle celui qui avait promis » (Hébreux 11,11). Marie-Amélie le Bourgeois Sœur de Sainte-Ursule « Le livre de Sara », Jean Vanel, coll. Lire la Bible N° 67, Paris 1984. « Saisis par Dieu : petit guide spirituel », Marie-Amélie Le Bourgeois, ed Bayard, coll. Christus, oct 2005, voir en particulier le chapitre « Dieu a visité Sarah » p 23 à 35.
Spiritualité ignatienne
Mille façons d’être « apostolique » Les membres de la communauté CVX cherchent à mettre leurs pas dans ceux du Christ, à vivre toute leur vie à la lumière de l’évangile. Mais de là, à reconnaître qu’ils sont « apostoliques » ! Ne serait-ce pas réservé aux prêtres, aux religieux ou religieuses ? Et les membres de la CVX ? Examinons cela de plus près…
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Ce que disent les évangiles Au début de l’évangile selon Marc (3, 13) nous lisons : « Jésus monte dans la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer (apostellein) proclamer avec pouvoir de chasser les démons. » Les douze, figures de l’Église, figures de tous les baptisés, reçoivent ici leur mission : Jésus les appelle POUR être avec lui ET POUR les envoyer proclamer… Autrement dit, il est impossible d’ÊTRE AVEC Jésus sans du même coup ÊTRE ENVOYÉ par lui, ni d’être envoyé par Jésus sans du même coup être avec lui. Ce serait une erreur de comprendre unilatéralement : être avec Jésus dans la prière, dans la contemplation et être envoyé à une action, à une mission. On peut aussi être envoyé par Jésus à la prière et être avec Jésus dans l’action. En ce sens le qualificatif « apostolique » devrait nous alerter d’une spécificité chrétienne qui tient toute dans l’impossible séparation du « être avec Jésus »
et du « être envoyé par lui ». Autrement dit être apostolique, c’est ne jamais séparer le « être avec » et le « être envoyé ».
tion de Jésus dans les évangiles conduit au moment du choix de la mission, de la décision de répondre à un appel concret.
Ce que propose Ignace de Loyola
La troisième et la quatrième semaine enracinent ma relation à Jésus, j’apprends à devenir son ami. Je suis avec lui quand il souffre sa Passion et sa mort. Je suis avec lui pour partager la joie de sa résurrection. L’ami marche à côté de son ami, partage les peines et les joies, supporte les présences et les absences de son ami…, il « est avec ».
Le chemin qu’Ignace fait faire dans les Exercices est justement ce chemin d’unification de l’être avec Jésus et de l’être envoyé par lui. Au fur et à mesure des quatre semaines, la relation à Jésus s’intériorise, se simplifie, s’approfondit… comme une amitié, comme un amour. Au cours de la première semaine des Exercices je suis appelé à quitter la peur de Dieu, les fausses représentations et à découvrir combien je suis aimé du Père. Cette totale confiance en Dieu est le présupposé indispensable pour entrer en deuxième semaine. En deuxième semaine je me mets en route à la suite de Jésus, je deviens disciple de Jésus. Le disciple écoute son maître, il se met à son école pour apprendre de lui et pour répondre à son appel, pour se laisser envoyer en mission par le Christ. La contempla-
Dans son récit autobiographique Ignace raconte comment il a reçu la grâce d’être mis avec le Christ pauvre et humilié. « Un jour, à quelques milles avant d’arriver à Rome, alors qu’il était dans une église et faisait oraison, il sentit un tel changement dans son âme et vit si clairement que Dieu le Père le mettait avec le Christ son Fils qu’il n’aurait pas l’audace de douter de cela, à savoir que Dieu le Père le mettait avec son Fils » (Récit § 96).
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Quoi que nous fassions, si nous sommes établis dans cette relation d’amitié avec le Christ, notre
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Spiritualité ignatienne gile ou des plus pauvres ou dans la banalité des relations quotidiennes, nous sommes appelés à être apôtres de Jésus… Être apostolique c’est porter le Christ au monde, c’est-à-dire porter la vie, porter la paix, la justice, l’écoute… c’est aimer. Voilà notre vocation de baptisés (prêtres, prophètes et rois), notre vocation ignatienne de contemplatifs dans l’action.
Des repères pour nos vies Si nous venons maintenant plus concrètement à cette expression « Mille manières d’être apostolique » nous pouvons dégager quelques points de repère : • Jésus n’envoie jamais une personne seule mais un groupe.
• C ’est Jésus qui envoie, je ne m’envoie pas moi-même. • être envoyé par Jésus, c’est être avec lui et réciproquement être avec lui, c’est se laisser envoyer par lui. Le groupe que Jésus envoie c’est l’église, dont la communauté CVX est un membre. La communauté est apostolique en ce sens qu’elle est le lieu où chacun peut parler de sa mission, la relire, se laisser interpeller, éclairer par les autres. Ce partage transforme les membres de la communauté, les aide à progresser, leur donne accès aux missions des autres, leur permet de se soutenir, de s’encourager et d’être envoyés par la communauté. La prière de la communauté est une prière « apostolique » parce que l’Évangile contemplé en-
© Droits Réservés
vie est apostolique. On s’y exerce par la relecture, la prière d’alliance. La prière d’alliance est la prière apostolique par excellence. La question n’est pas seulement de discerner ce que nous faisons mais la manière dont nous le faisons. Le faisons-nous AVEC le Christ ? Vous allez me dire que nous ne savons jamais si nous sommes avec le Christ, nous n’en sommes jamais tout à fait sûrs… Bienheureuse incertitude qui nous garde dans l’humilité et maintient notre cœur ouvert, désirant, appelant… toujours en quête de cet « être avec le Christ ». Il s’agit d’un amour intime, secret, qui n’a pas besoin d’être crié sur les toits pour nous transformer et nous ouvrir aux autres, au monde, même à notre insu. Que nous soyons en famille ou à notre travail, dans un service explicite de l’évan-
▲ Le groupe que Jésus envoie, c'est l'église
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C’est aussi en communauté que sont discernés de possibles actions communes, des « apostolats » de la communauté. Mais là n’est pas l’essentiel pour qu’une communauté soit apostolique. L’essentiel tient à l’intériorité, au souffle reçu les uns des autres, qui fait que l’amour du Christ irrigue et transforme notre manière d’agir.
Jésus, modèle de vie apostolique Jésus est l’Apôtre du Père, l’Envoyé du Père. « Je ne fais rien de moi-même, je dis que ce que le Père m’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi » (Jean 8, 28). Jésus agit constamment en communion avec le Père. Il faudrait relire tous les évangiles en y scrutant la manière d’être et de faire de Jésus. Arrêtons-nous seulement au moment du lavement des pieds (Jean 13) : geste de l’ami qui prend soin, comme Marie-Madeleine avait lavé les pieds de Jésus… Jésus reconnaît par avance combien les Douze vont poursuivre sa mission. Il leur lave les pieds de la poussière des chemins de la mission qu’il leur confie. Il les enveloppe de sa tendresse et de sa reconnaissance… comme pour réparer par avance les épreuves qu’ils subiront à cause de lui… Geste à la fois très ordinaire mais décrit dans un contexte très solennel. « Ce que je fais pour vous, faites-le entre vous : vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ».
Se laver les pieds les uns aux autres, s’écouter et se parler au sein de la communauté CVX locale où chacun peut dire en toute confiance comment il vit sa mission, les épreuves et les joies, les questions et les inquiétudes qu’il (elle) rencontre, c’est cet ÊTRE ensemble AVEC le Christ qui transforme toute mission en apostolat… Nous ne sommes pas apostoliques tous seuls mais les uns par les autres, les uns avec les autres. Cet être avec le Christ nous constitue compagnons, amis dans le Seigneur. Nos premiers terrains de mission, d’apostolat, ce sont nos familles, nos engagements professionnels. à nous de discerner et de nous aider à discerner là où le Christ nous appelle, à quelles autres missions éventuelles. Si nous étions tous vraiment apôtres de Jésus, le monde serait autre… Facile à dire, me direz-vous, mais concrètement ? Concrètement cela s’apprend petit à petit tout au long de la vie. Il a fallu trois ans aux Douze, la mort et la résurrection de Jésus et la grâce de la Pentecôte. Cela s’apprend en marchant, en s’exerçant, en faisant les Exercices spirituels. Vient un moment où tout contribue à l’apostolat. Certes le temps de la prière formelle n’est pas le temps du travail ou le temps de l’engagement auprès des autres. Il y a une diversité
© La roche Maurice / EGL Wikimmons
semble et partagé, éclaire et inspire les missions de chacun.
▲ En lavant les pieds, Jésus les enveloppe de sa tendresse
d’actions dans nos vies, mais elles ne s’opposent plus, elles se tissent ensemble pour contribuer à la gloire de Dieu… à la transformation du monde. « L’évangile prend corps » dans ce monde, dans nos vies, dans nos communautés… Quoi que nous fassions demandons la grâce d’être mis avec le Christ pour être avec lui « apostoliques » de mille façons. Isabelle Lagneau, rscj juillet / août 2014 29
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Question de communauté locale
demeurer Compagnons pendant l'été ? L’été approche ; les uns vont partir, d’autres vont rester ; les uns vont partir loin, d’autres tout près. Bien souvent la dernière rencontre de communauté locale est vers la fin juin et on fixe une date pour se retrouver vers la mi-septembre. Mais entre-temps, comment vivre le compagnonnage ?
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Eh oui ! nous sommes des compagnons, des compagnons qui désirent se soutenir, qui désirent être chrétiens même pendant les vacances d’été. Les changements de rythme font que nous ne prenons plus le temps de prier régulièrement, de relire notre journée : le Seigneur prendrait-il aussi ses congés durant l’été ? Nous avons besoin de nous soutenir, même durant cette période, pour être fidèles à nos rendez-vous avec Celui qui est source de notre vie.
Nous avons entendu parler de communautés locales où l’on choisit de prendre chaque année un temps de vacances ensemble, d’une autre qui s’est proposée pour animer ensemble une session CVX : de belles initiatives ! C’est sans doute trop tard pour cette année… si nous y réfléchissions dès maintenant pour l’an prochain ? Ce serait un beau projet communautaire. On peut avoir des initiatives au niveau de notre communauté locale ; il y a beaucoup de possibilités, simples à mettre en œuvre : • faire un tableau où chacun met où il est durant cette période ; 30 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 30
cela permet de penser les uns aux autres ; • prier les uns pour les autres le dimanche ou un autre jour de la semaine ; • se répartir un jour de la semaine où l’un des membres envoie aux autres un message à tous ; • se confier les grâces que chacun demande à Dieu ; les écrire sur une feuille ; chacun part avec, et porte dans la prière l’ensemble de ces demandes ; • choisir de s’envoyer des cartes : chacun envoie une carte à chacun de ses compagnons : n’estce pas agréable de recevoir un mot personnalisé, écrit sur une carte choisie pour vous ? • participer aux événements familiaux des uns et des autres ; • un repas amical avec ceux qui sont là à une date donnée ? Cela permet de prendre le temps de se donner des nouvelles et de rester attentifs les uns aux autres. Que du simple ! On peut élargir son regard et chercher à organiser quelque chose au niveau d’une ville, d’une
communauté régionale : pourquoi ne pas profiter de ce temps pour chercher à mieux se connaître et se soutenir dans notre vie chrétienne ? On peut par exemple se retrouver en réunion de « communauté locale mêlée » pour relire les journées écoulées ; ce peut se faire avec un thème, ou non. Il suffit pour cela qu’une personne lance l’idée, contacte les autres membres ; ce peut être l’ESCR, mais on peut lui éviter d’avoir aussi cela à penser et prendre l’initiative, en lien avec elle. Je suis touchée des fruits de cette initiative : « Lors de l’évaluation, nous avons noté la joie de l’imprévu de cette rencontre : on ne savait pas avec qui on se retrouverait. Étonnement des échanges dans la simplicité malgré le mélange des membres. Expérience de fraternité, de proximité, et d'ouverture. » Alors : cet été, trouvez, vous aussi, les moyens pour vous soutenir et faites nous part de vos idées et de vos trouvailles (redaction@ viechretienne.fr). Nous les partagerons largement. Marie-Agnès Bourdeau
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Ensemble faire Communauté
En France
Enracinement : Le « tableau 9 » Le chantier autour du temps d’enracinement (les premières années en CVX) a été présenté dans les numéros précédents : être serviteur, la formation et l’accueil… Cette fois, c’est un tableau à double entrée dit « tableau 9 », sorte de boîte à outils, proposé au binôme responsable/accompagnateur afin de mieux choisir les kits de progression adaptés à leur communauté locale (CL).
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Quels pas pour grandir ? C’est la vigilance, dans l’écoute, que doit avoir tout binôme responsable/ accompagnateur. Repérer les pas à faire pour plus de vie personnelle, pour plus de vie fraternelle ou plus de vie au service du monde. Bref, être au service d’une croissance personnelle et communautaire des membres. Pas toujours facile lorsqu’il s’agit des premières années en CVX, dites années d’enracinement. Pour aider ce binôme, nous avons élaboré un tableau qui se veut un outil pour aider à percevoir un chemin de croissance humaine et spirituelle. La vie de tout baptisé s’articule autour de trois dimensions qui se nourrissent
mutuellement et qui sont sans cesse appelées à s’approfondir. Ces dimensions sont celles de disciple (celui qui apprend à mieux connaître le Christ pour mieux l’aimer et mieux le suivre), celles de compagnon (celui qui apprend à nouer avec ses frères et sœurs en humanité des relations fraternelles) et celles de serviteur (celui qui choisit de se donner au monde pour construire le Royaume de Dieu). Ces trois axes seront repris, comme grille de relecture de notre chemin de croissance, en tant qu’ignatiens appartenant à une Communauté. Ils sont matérialisés par les colonnes du tableau. Dans notre vie il n’est pas toujours facile de distinguer ces trois
dimensions, mais l’exercice est intéressant pour aller plus à fond dans l’expression de ces trois attitudes qui définissent notre « être » ignatien. La réalité de ces axes est appelée à être incarnée en nous-mêmes, dans nos relations interpersonnelles et dans notre implication dans la société (matérialisée ici par les trois lignes : la dimension de vocation personnelle, la dimension communautaire et la dimension dans et pour le monde). Afin de rester fidèles à l’intuition d’Ignace, nous proposerons aux membres de la CL d’expérimenter quelque chose de l’ordre de la contemplation, du discernement et de l’action pour faciliter l’éclosion d’un fruit. Le tableau final devrait permettre au binôme responsable/accompagnateur de choisir parmi les « kits de progression » celui ou ceux qui, après adaptation, pourraient être proposés à la CL en fonction du pas à faire. Voilà de beaux fruits en perspective ! Anne Héberlé et Pascale Zerlauth
Pôle compagnon Strasbourg 32 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 30
Franchir les frontières avec ses ailes et ses racines
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Comment trouver un thème autour de l’Assemblée mondiale sans qu’il soit trop désincarné ? Pour répondre à cette question les équipes services d’Alsace et de Lorraine ont choisi de regarder juste au-delà de leurs frontières. En organisant un weekend commun, et en invitant la communauté CVX de Luxembourg. Cette communauté nationale, de taille comparable à une communauté régionale française, avait envoyé trois personnes à l’Assemblée du Liban. Celles-ci ont accepté de témoigner de ce qu’elles avaient vu et vécu. Comment construire ensemble et non pas les uns à côté des autres ? Nos deux équipes service communauté régionale (ESCR) étaient différentes dans leurs manières de faire et dans leur relation avec les membres. Au-delà de notre invitation, nos compagnons luxembourgeois souhaitaient construire des relations pérennes entre communautés transfrontalières. La préparation nous a amenés à découvrir et dépasser d’autres frontières, plus intérieures. Nous en remettre au Seigneur dans des temps de prière communs, accepter de nous laisser déplacer par l’autre, revenir à l’essentiel…
Trois rencontres entre ESCR et nombre de mails plus tard, le week-end est lancé autour du thème « Avec nos racines et nos ailes, franchissons les frontières ». Près de 130 personnes se retrouvent à Strasbourg et apprennent à se découvrir dans leurs différences, grâce aux témoignages sur les réalités de la Communauté du Luxembourg, sur l’Assemblée du Liban, et le parcours à pied deux par deux, comme les disciples d’Emmaüs, pour se rendre à la messe qui prend son temps. S’appuyant sur le texte du sec r é t a i re g é n é ra l de l a C V X mondiale, Franklin Ibañez : « La mission des laïcs, c’est de s’occuper des choses ordinaires, comme toute personne, mais d e m a n i è re c h r é t i e n ne. I l leur est demandé de vivre dans le monde selon l’Évangile, de manifester Dieu dans leurs activités quotidiennes », et proposant l’image de l’effet papillon, chacun a été invité
© Droits Réservés
Un week-end commun entre deux communautés régionales et la CVX du Luxembourg, l’occasion de franchir des frontières et d’expérimenter une autre manière de voir et de faire, en communauté élargie.
▲ Les battements d'ailes des papillons
à oser son propre battement d’ailes pour une tempête d’amour. Nos plus beaux cadeaux ? L’investissement de nombreuses personnes dans la préparation, l’organisation et les retours des participants. Ce week-end a permis l’ouverture des regards à des réalités différentes, à la fois plus profondes, dans la prise de conscience de notre mission de laïc au quotidien, et plus larges - la Communauté mondiale a pris, pour beaucoup, une nouvelle dimension.
Retrouver des témoignages, les enjeux et l’histoire de cette rencontre régionale sur editionsviechretienne. com Sur le site de la CVX Luxembourg (http://cvx.lu) consulter les vidéos des conférences.
Blandine Somot Assistante CVX Alsace juillet / août 2014 33
Ensemble faire Communauté
En France
Former aux Exercices : des bienfaits pour tous Au moment où les équipes service formation revoient leur rôle et où s’achève la mission du responsable du pôle Exercices spirituels, Michel Le Poulichet revisite pour nous ce qu’ont été l’intuition de départ et les fruits, au long des sept années d’existence de ce service.
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Un pôle Exercices Spirituels a été créé au sein de l’équipe service formation. Comment est apparue cette idée et pour quel but ? Michel Le Poulichet : Deux éléments ont compté. D’abord, au début des années 2000, l’équipe formation et le Comité national ont perçu fortement que, dans la Communauté, la suite du Christ passait nécessairement par une pratique accrue des Exercices spirituels. D’autre part, pour faire face à la diminution du nombre de religieux pouvant donner les Exercices à des retraitants, la Compagnie de Jésus, des religieuses ignatiennes et la CVX ont exploré entre 2000 et 2006 les façons de promouvoir la formation d’accompagnateurs laïcs de retraites. Au congrès CVX de Lourdes en 2006, Bernard Mendiboure s.j. a été envoyé par le Provincial des Jésuites auprès de la CVX pour aider à concrétiser cette intuition. Cela a abouti à la création en septembre 2007 du pôle Exercices au côté du pôle Vie communautaire de la formation. L’ensemble formant l’équipe service formation.
Une première équipe, dont la responsable était Nicole Collombier, s’est mise alors au travail avec d’emblée deux objectifs : développer la pratique des Exercices dans la Communauté et former des laïcs, membres de la CVX, à l’accompagnement de retraites selon les Exercices. Quels types de formation proposez-vous aux futurs accompagnateurs de retraites ? M.L.P. : D’emblée, nous avons vu qu’il était important de tenir deux dimensions ensemble : des formations théoriques et la pratique concrète d’accompagnement. Chaque année, nous proposons trois week-ends aux thèmes divers : donner les points, les Annotations, les passages dans les Exercices, l’entretien d’accompagnement, Bible et Exercices, Psychologie et vie spirituelle, les mouvements intérieurs, récit du Pèlerin et discernement… De plus, une étude approfondie de la structure et de la dynamique des Exercices est proposée au cours de deux sessions de six jours à
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un an d’intervalle. Ces formations peuvent être complétées par d’autres apports dans des centres spirituels ou avec des chemins ignatiens en régions. Pour la pratique, chaque accompagnateur est invité à accompagner des retraites d’initiation en étant supervisé quotidiennement. L’élaboration de topos et de consignes pour la prière complète ces accompagnements. Puis chacun passe, quand il est prêt, à l’accompagnement de retraites individuellement guidées. Les personnes formées s’exercent ainsi dans les retraites de la CVX, mais aussi dans d’autres centres spirituels ou encore dans des retraites dans la vie et des semaines paroissiales de prière accompagnée. Combien de personnes avezvous déjà formées ? M.L.P. : En sept ans, près de 90 personnes sont entrées en formation et déjà dix ont été confirmées pour être au service des centres. Elles sont suivies et conseillées par une vingtaine de religieux ou de laïcs qualifiés qu’on nomme ‘référents Exercices’.
Notre équipe a réalisé divers outils pour éclairer les accompagnateurs comme leurs référents. Comment évolue la pratique des Exercices dans la CVX ? M.L.P. : En 2009, nous avons établi une sorte de « photographie » de la pratique des Exercices dans la Communauté après un sondage : il est apparu qu’elle était plus élevée que nous le pensions. Il reste cependant bien des progrès à faire. Nous avons essayé de diversifier l’offre en proposant une vaste palette afin que le plus grand nombre se sente concerné et puisse suivre ces retraites selon les Exercices : des retraites pour démarrer (sur 5 jours), des retraites pour approfondir (sur 10 jours), des retraites familles (6 jours)… Nous nous réjouissons que ces propositions fassent le plein. Que retire la Communauté de la formation de personnes aux Exercices ? M.L.P. : Que plus de personnes soient formées est évidemment positif pour la Communauté. Par exemple, nous retrouvons parmi elles beaucoup d’accompagnateurs d’équipes ou d’assistants et bien sûr d’accompagnateurs dans la vie courante. Autre bienfait de ces formations, les accompagnateurs formés antérieurement, environ une soixantaine, ont souhaité que nous organisions des rencontres spécifiques pour eux afin de faire connaissance et d’être soutenus dans leur ministère. Dans
ce même esprit, les weekends de formation leur sont ouverts afin qu’ils puissent poursuivre leur formation continue. De plus en plus, les accompagnateurs en formation et ceux qui sont formés ont conscience d’être dans un réseau où l’on se soutient, où l’on est appelé. L’accompagnateur est moins isolé, plus engagé dans une démarche communautaire. L’appartenance à ce réseau permet de mieux connaître ce qui s’invente dans la famille ignatienne avec l’aide notamment du P.A.S. ignatien1 : colloques au Châtelard, rassemblements de Lourdes, groupes d’analyse de la pratique, etc.
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En France
Enfin, les centres de Biviers et du Hautmont, confrontés à la diminution rapide du nombre des religieux, s’appuient de plus en plus sur ce vivier d’accompagnateurs. Et vous, comment avezvous vécu ces années ? M.L.P. : Avec beaucoup de joie d’être au service de quelque chose d’important pour la Communauté et de joie dans notre travail en équipe service. Être au service du corps donne une plus grande conscience d’être membre de la Communauté. Quelles perspectives pour la formation ? M.L.P. : Les objectifs initiaux restent d’actualité : former des
accompagnateurs de retraites et développer la pratique des Exercices. L’accent qui va être mis sur la période d’enracinement (les quatre années après l’entrée en CVX) va nécessiter encore plus d’accompagnateurs de retraites. La nouvelle équipe qui se mettra en place fin 2014 pourra donc poursuivre l’œuvre entreprise.
1. PAS ignatien : association ayant pour but la Promotion, l'AIde et le Soutien aux propositions de la famille ignatienne.
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Ensemble faire Communauté
Dans le monde
Pour une CVX plus féconde Franklin et Sofia achèvent leur mission de 5 années comme secrétaire exécutif mondial, basé à Rome. Quelle relecture en font-ils personnellement ? Qu’ont-ils vu qui les a touchés ? Quels changements dans la CVX et en eux ?
N
Nous sommes arrivés au secrétariat mondial à Rome en octobre 2009, peu de temps après notre mariage. Cette mission débuta pour nous un nouvel état de vie, dans tous les sens du terme !
Cette relecture de nos cinq ans de service est comme une relecture de l’état du monde. Nous pourrions parler des tragédies naturelles comme le tremblement de terre au Chili (2010), le tsunami au Japon (2011), l’ouragan Sandy aux États-Unis (2012) ou le typhon des Philippines (2013)… Il
y eut également des turbulences mais bien humaines comme le coup d’état en Côte d’Ivoire (2011), la révolution égyptienne (2011- …), la guerre civile en Syrie (2011- …), la naissance du Soudan du Sud (2011) et sa guerre civile (2013- …)… Dans toutes ces situations, l’humanité entière souffre.
Des saints invisibles Une des choses qui nous a le plus enrichis est de reconnaître la qualité des personnes qui forment la communauté mondiale. Ce fut
© Droits Réservés
Quand nous étions en train de nous préparer pour ce service, nous demandions à Dieu qu’il nous dilate le cœur. Puisque notre mission était de servir une communauté mondiale, nous avions besoin d’un cœur très large pour qu’il puisse contenir le monde entier. Cinq ans plus tard, nous pouvons affirmer que Dieu nous a
exaucés… et bien au-delà de notre demande. Il nous a offert des amis dans le monde entier, nous a ouvert de nouveaux horizons, il nous a donné la capacité de souffrir et de nous réjouir avec ce que vivaient les différents peuples.
▲ Franklin Ibañez et Sophia Montañez, les secrétaires exécutifs de la CVX, avec leurs enfants Sebastian et Luciana
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une grâce de connaître autant de personnes passionnées par Dieu et l’humanité jusque dans leurs activités quotidiennes. Beaucoup de ces membres ont une vie héroïque, ce sont des saints invisibles. à chaque moment, quelque chose de bon survient dans le monde par l’action de Dieu à travers la CVX. Notre diversité demeure notre richesse. Il existe des personnes très riches qui mettent leurs revenus au service, de l’Église ou des plus pauvres. Ce sont des « Joseph D’Arimathie » (Jean 19,38) si nécessaires à la Communauté. Nous avons également connu des personnes très pauvres, qui n’ont pas pu terminer leur scolarité et qui cependant, possédant une grande sagesse de vie et une expérience profonde de Dieu, sont d’excellents accompagnateurs ou donnent merveilleusement les Exercices spirituels. Nous avons également des membres avec des professions difficiles (expert en armes nucléaires, juge antimafia, gardien de prison…). Ils rencontrent et montrent Dieu dans tous ces lieux. Nous avons ainsi été touchés, pour n’en citer qu’un, par un membre CVX, soldat envoyé en Afghanistan dans le cadre de la mission internationale. Il nous disait voir la violence et l’oppression sur le terrain, mais en même temps il ne voyait pas l’intérêt de cette mission étrangère voulant imposer la paix. Aussi, il ne pouvait pas demander à Dieu que l’un ou l’autre camp gagne. « Je prie simplement pour les personnes du pays et pour que je puisse revenir sain et sauf chez moi », nous confiait-il.
Boule de cristal Nous avions l’habitude de dire que le secrétariat de Rome est comme une boule de cristal, d’où nous regardons ce qui se passe dans le monde et particulièrement dans notre communauté. Nous avons été des témoins privilégiés de la présence agissante de l’Esprit de Dieu à travers les membres de la CVX. Nous pourrions raconter de nombreuses histoires, mais « si on écrivait chacune d’elles… le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres » (Jean 21,25) Bien que beaucoup dans la Communauté ne le voient pas, nous croyons qu’il existe un appel clair pour nous convertir en un corps apostolique mondial. Nous sommes laïcs, et pour cela les bases de ce corps sont dispersées et cachées dans nos activités quotidiennes. Toutefois, nous avons vu de grandes avancées. Nos membres et nos responsables ont beaucoup plus conscience du corps apostolique. Une capacité à agir au niveau socio-politique, une solidarité économique, des réseaux de communication, des chaînes de prière, des célébrations internationales… sont quelques-uns des signes qui montrent que nous sommes en train de grandir. Bien sûr, le chemin est encore long. Il manque notamment encore que notre identité particulière de laïcs ignatiens grandisse davantage et que nous apprenions à lire la présence de Dieu dans le monde avec un regard de laïcs et non avec autant de codes religieux. Cependant, le chemin déjà parcouru est immense, il ne peut plus y avoir de retour en arrière.
Bien sûr, nous avons également vécu des désolations. Nous avons ressenti solitude, impuissance et chagrin en reconnaissant nos propres fragilités ou celles des autres. L’égoïsme, l’ambition, l’hypocrisie et tant d’autres maux sont présents en nous. Cependant nous sommes certains que Dieu aime ce projet appelé CVX. Depuis 450 ans, Dieu nous a laissé croire en cette communauté. Il nous invite à faire plus et mieux.
fécondité Nous avons également pu vivre comme une grâce de devenir une famille. Nous sommes arrivés à deux pour cette mission et nous repartons à quatre. L’amour s’est multiplié. Notre passage par le secrétariat mondial peut se résumer d’un mot : fécondité. C’est une belle image, associée à l’amour qui se donne et se reçoit, à des conditions pour que la vie nouvelle et l’espérance soient possibles. Nous désirons que la CVX soit chaque jour plus féconde. Maintenant que nous achevons notre mission, nous avons une nouvelle demande à adresser à Dieu : qu’il remplisse nos cœurs de joie. Nous sommes au temps du Pape François et de son appel à redécouvrir et à propager la joie de l’évangile. En retournant dans notre pays, nous aimerions vivre et transmettre la joie d’avoir rencontré Dieu dans la Communauté. Que le Seigneur nous aide à rendre autant que nous avons reçu ! Franklin et Sofia Ibanez Secrétaires exécutifs CVX juillet / août 2014 37
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Dans le monde
Contempler la CVX en Égypte Appelés à animer une formation pour les accompagnateurs de la CVX Égypte, Jean-Luc Fabre s.j., assistant national et France Delescluse, accompagnatrice et formatrice, se sont rendus au Caire. Ils nous livrent leur regard et leur prière.
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Pour la soutenir en une période de recul la CVX Égypte a demandé à la CVX France d’animer une session de formation, comme l’avait déjà fait pour eux Claude Charvet s.j. en 2004. Les lieux Au cœur d’un quartier pauvre du Caire, un grand jardin écrasé sous la chaleur, plantes, couleurs et odeurs peu familières à nos sens, entouré des bâtiments du couvent des sœurs du Bon Pasteur.
Nous voyons • des hommes et des femmes venus de Haute-Égypte, d’Alexandrie, du Caire et aussi du Liban, laïcs engagés dans l’enseignement, l’entreprise, la vie de famille… et avec eux, quelques enfants d’une belle vitalité, des religieuses paisibles et audacieuses sur des terrains difficiles d’apostolat, • des accompagnateurs jésuites souhaitant approfondir leur connaissance de la CVX, • des jeunes, heureux de découvrir la communauté. En nous, la joie d’être témoins, à travers ces visages, d’une communauté généreuse, en quête d’un nouveau souffle.
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CVX Égypte : née en 1979, 130 membres.
Nous demandons la grâce d’un cœur aimant et attentif à l’Esprit pour un meilleur profit de la rencontre avec la quarantaine de participants, appelés pour leur
capacité d’entraînement dans la vie communautaire.
▲ Formés et formateurs heureux d’être ensemble dans leur diversité
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Nous entendons • en arabe et en français, le vif intérêt pour le lien aux Exercices, les interrogations face aux éclairages donnés : déroulement d’une rencontre, DESE, binôme responsable/ accompagnateur… • nos propres questions devant ce que nous dé-
couvrons des manières différentes de vivre en communauté locale, • des chants de louange et de confiance jaillissant à tout moment pour soutenir la prière ou la danse. En nous, étonnement et désir de rejoindre l’expérience des participants pour y ajuster nos propos. Nous regardons • comment les uns et les autres entrent en plus grande compréhension dans la diversité de nos expériences et de notre rapport au temps et mûrir les fruits d’une plus grande intelligence intérieure de la CVX, • l’œuvre du Seigneur en son Eucharistie : selon le rite de saint Basile, le partage de la Parole s’y déploie longuement et le pain y est partagé pour tous, adultes et enfants. En nous, une action de grâce que nous soit révélé comment l’Esprit, à travers des expériences et des manières de faire diverses travaille à l’unité de toute la Communauté. Beni sois tu Seigneur, pour la CVX que tu donnes à ton Église. En ces terres divisées d’Égypte, du Liban, de la Syrie, qu’elle soit ferment d’unité. France Delescluse
Billet
« On a distribué des petites cuillers, le jour de la multiplication des pains », lance tout à coup G. Jusqu’à cet instant, depuis une heure, j’en veux à mes amis Paul et Jeanne pour ce déjeuner où G. a été convié lui aussi. G, comme Génie de la famille, leur cousin surdiplômé. Un brio insoutenable. Il sait tout sur tout, il le prouve pendant des heures, avec un sérieux, une compétence, un art du détail… Épuisant. Le pire est que c’est toujours intelligent, implacablement. Jeanne avait voulu me rassurer : « Ce n’est pas le roi du coussin péteur, mais je te promets une voix de basse profonde, avec un rien d’humour british… ». Là, je demande encore à voir. Boris Godounov n’entonne toujours pas Yellow submarine, c’est le moins qu’on puisse dire. Alors, ces cuillers, il les tire d’un Woody Allen ? Ou du surréalisme écossais ? Sur le moment, je me dis qu’on va peutêtre (enfin !) se détendre. Paul a son bon sourire. Il doit bien connaître son G. Après tout, pour l’avoir fait parrain de leur petit Samuel… La clé de l’énigme, c’est justement Samuel. Il a surgi de la cuisine, les mains hérissées d’argenterie, Wolverine pacifique. De sa voix d’Xman-stentor de trois ans (et demi, s’il vous plaît), il annonce, triomphant : Les cu-yèèères ! Flashback. Quelques minutes auparavant, Jeanne avait embauché son fils : « Viens, mon chéri, tu vas m’aider pour la glace. » Sans se faire prier - veinard, qui échappait au solo du parrain - il avait suivi sa mère. Voilà qu’il revient, pas peu fier, tandis que Jeanne se risque : « C’est un message de Radio Londres en mai 44 ? » - Mieux, amie. Dis-nous tout. Quand tu as réquisitionné Samuel, avais-tu réellement besoin de ses services ? - Non, mais j’ai pensé qu’il serait content de se rendre utile… - Et lorsque Jésus a nourri la foule, penses-tu que, pour réaliser un miracle, il avait vraiment besoin des cinq pains et des deux poissons qu’un gamin était prêt à partager ? Est-ce qu’il n’aurait pas pu faire jaillir la nourriture à partir de rien ? Si, bien sûr. Mais, comme toi, Dieu choisit d’avoir besoin des hommes et de leur petite disponibilité. - C’est sans doute ça, l’amour… dit Jeanne. Samuel est venu se blottir contre sa mère, la bouche toute vanille-fraise. G. les regarde et se tait un instant. Oui, il se tait. Moi, c’est lui que je regarde, vaguement ému. Continuer à ne voir en lui que l’impeccable mécanique de savoir et de précision ? Ça va être difficile. Sur la belle surface étincelante et lisse, avec une petite cuiller, le Dieu de la vie vient de tracer une légère éraflure. Philippe Robert s.j.
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à LA PETITE CUILLER
Prier dans l’instant
en apprenant une nouvelle bouleversante Je viens d’apprendre une nouvelle qui me parle de la souffrance intime d’un proche depuis longtemps. Parce que cette personne est proche, sa souffrance me touche moi aussi profondément. Pourtant, en même temps qu’elle me touche, je prends conscience que la blessure en moi est aussi une brèche par où entre la vie. Je ne l’explique pas ; c’est ainsi. C’est donné en même temps.
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Comme une certitude que le Christ est présent là. Qu’il est venu pour çà, pour donner sens à ce lieu-là. Et que de ce fait cette nouvelle a aussi sa part de lumière. Elle dit la vie là où mon regard superficiel ne l’aurait pas vue si cette personne avait été plus éloignée. Cela me relie à d’autres que le Christ est venu chercher au plus profond. Même s’ils ne le savent pas. Ils deviennent un peu plus mes frères. Seigneur, apprends-moi à me tenir là où Tu es, dans le silence du cœur, juste là où Tu nous regardes. Dominique POLLET
Nouvelle revue Vie Chrétienne – juillet / août 2014