Vie chrétienne Nouvelle revue
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B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 3 5 – mai / j uin 2 0 1 5
Tissés par nos rencontres Pour un langage de sagesse Délicatesse de la fin de vie
Sommaire
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directeur de la publication : Jean Fumex Responsable de la rédaction : Marie-élise Courmont Rédactrice en chef adjointe : Marie-Gaëlle Guillet Comité de rédaction : Marie-élise Courmont Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Gaëlle Guillet Anne Missoffe Laetitia Pichon Comité d'orientation : Marie-Agnès Bourdeau Nadine Croizier Marie-Claude Germain Anne Lemant Claire Maillard Etienne Taburet Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : Rampixel Ltd / iStock Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
le dossier
éditorial l’air du temps La délicatesse de la fin de vie Dr Marie-Sylvie Richard chercher et trouver dieu
Tissés par nos rencontres
Témoignages Toute rencontre est une théophanie Stan Rougier Une rencontre de nuit Michel Le Poulichet Partage des talents, Ignace et François, 1529-1553 Dominique Bertrand s.j. babillard se former Prier sous forme d’un dialogue contemplatif Marie-Thérèse Deprecq, RSCJ En marchant sur les pas d’Ignace Virginie Kubler Le dialogue comme posture missionnaire Thierry Magnin Pour un langage de sagesse Claude Flipo s.j. Quelle visée pour chaque rencontre ? Béatrice Piganeau ensemble faire communauté La vie simple, une bonne nouvelle ? Tirer profit de l’été Des rencontres qui décoiffent Au service d’une semaine de prière accompagnée Comment aborder l’actualité en CVX ? Compagnons au-delà des frontières Magis 5 billet Là-bas si j’y suis Laetitia Forgeot d'Arc prier dans l'instant En traversant un marché Catherine Raphalen
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La revue n’est pas vendue, elle est envoyée aux membres de la Communauté de Vie Chrétienne et plus largement à ses « amis ».
Chacun peut devenir ami ou parrainer quelqu’un. Il suffit pour un an de verser un don minimum de : l 25 € l 35 € si je suis hors de France Métropolitaine l Autre (50 €, 75 €, 100 €…) n Par virement : RIB 30066 10061 00020045801 60 IBAN FR76 3006 6100 6100 0200 4580 160 – BIC CMCIFRPP n Par versement en ligne sur viechretienne.fr/devenirami n Par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Vie Chrétienne À envoyer à ser – vie chrétienne – 14, rue d’assas – 75006 Paris – amis@viechretienne.fr
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
Éditorial
«
en quête de la relation Paradoxe d’une société qui offre de multiples possibilités de relation et qui en même temps génère bien des solitudes, bien des tensions et divisions… Qu’est-ce qui pourrait favoriser une relation de qualité ? Cette quête est au cœur de nos vies comme elle est au cœur de nos pages.
Rencontrer l’autre, le thème de notre dossier (p. 6-18) parce que c'est cela qui construit… et si « toute rencontre était une théophanie » ? E ntrer en dialogue, se faire conversation à l’exemple de l’apôtre Pierre avec Corneille, un centurion de l’armée romaine (p. 24-26). © Wikipedia
Laisser les autres nous atteindre, en particulier les plus petits et les plus démunis, comme certains en témoignent (p. 8 et 11). Aller au-delà des frontières comme ces CVX partis en Inde
(p. 37) qui ont vécu un accueil réciproque.
Tisser des liens avec le Seigneur, dans le retrait et le silence (p. 39), dans le partage de sa
Parole (p. 20-21) ou dans le pèlerinage (p. 22-23) et se recevoir de Lui.
Intérioriser, chercher Dieu en profondeur pour être en capacité de découvrir l’Esprit de Dieu au travail chez l’autre et trouver ainsi le langage de Sagesse qui pourra le rejoindre (p. 27-29).
»
Ouvrir les yeux sur ceux qui peuplent notre quotidien pour en rendre grâces et les confier au Seigneur (p. 40). Ne pas gommer les différences, prendre le temps du partage, dans la proximité comme dans l'éloignement, à l'image d'Ignace et François-Xavier (p. 16-18).
Oui, créés à l’image du Dieu Trinité, c’est à cette même harmonie qui règne entre les trois personnes divines, que nous aspirons et travaillons. Marie-Élise Courmont
Pour écrire à la rédaction : redaction@editionsviechretienne.com
Mai / juin 2015
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L'air du temps
la Délicatesse de la fin de vie Il est toujours subtil de toucher au rapport à la mort de toute une société. Aussi les tensions sont vives autour des projets de loi concernant la fin de vie. Le Dr MarieSylvie Richard, xavière et médecin en soins palliatifs, éclaire pour nous les questions soulevées par le projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 14 mars 2015.
P Dr Marie-Sylvie Richard xavière, médecin en soins palliatifs à la maison médicale Jeanne Garnier (Paris), enseignante en éthique médicale, a participé au groupe de travail de la Conférence des évêques de France sur la fin de vie. Dernier livre : Soigner la relation en fin de vie, familles, malades, soignants, éd. Dunod, 2013
1. Extraits de la proposition de loi votée en 1re lecture
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Pourquoi avoir changé la loi Leonetti ?
et tout soignant a le droit d’être formé aux soins palliatifs.
C’est étonnant, n’est-ce pas, car la loi précédente était bonne. Mais elle n’était pas suffisamment connue ni bien appliquée, et certains l’ont estimée insuffisante. Il a été décidé d’en rédiger une autre. Cela en valait-il vraiment la peine ? Cette nouvelle loi répond au besoin d’être rassuré sur sa mort. De nombreux rapports ont en effet montré qu’il y avait un ‘mal mourir’ en France. Seuls 20 % des personnes qui auraient dû bénéficier de soins palliatifs y ont eu accès. Cette loi essaie d’y répondre en mettant le malade au centre. Ainsi de nouveaux droits pour la personne en fin de vie ont été créés, notamment le droit de mourir de façon digne et apaisée au terme de sa vie. Ce droit des malades, implique un devoir pour les médecins : ils doivent pouvoir soulager les malades jusqu’au bout. Pour cela, il faut développer une culture palliative au sein du corps médical. Tout médecin
Quels sont, selon vous, les points sensibles de ce projet de loi ? Prendre une décision concernant sa fin de vie et sa propre mort peut être très lourd, aussi il faut pouvoir maintenir le dialogue avec des médecins et se faire aider pour pouvoir exprimer ses souhaits de façon concrète et pas fantasmée. Si les souhaits et les décisions du patient sont primordiaux, celui-ci doit pouvoir exprimer ses volontés sur sa fin de vie et exiger qu’elles soient réellement appliquées. Comment faire ? Cette nouvelle loi renforce les directives anticipées, créées en 2005 et encore peu connues. « Elles e x p r i m e nt l a vo l o nt é d e l a personne relative à sa fin de vie visant à refuser, limiter ou arrêter les traitements et actes médicaux. »1. Un modèle sera proposé pour leur rédaction. Ces souhaits
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deviennent contraignants. « Ils s’imposent au médecin sauf en cas d’urgence pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation ». Si ces directives ne sont pas appropriées c’est-à-dire qu’il y a litige entre la volonté du patient et la situation, le médecin réticent prendra alors un avis collégial et se soumettra à la décision collégiale. Pour que ces directives anticipées puissent être appliquées partout, elles seront accessibles pour tout médecin depuis un registre national qui sera créé. La question de les mettre sur la carte Vitale avait été soulevée, mais cette carte étant un élément administratif, elle n’est pas apparue appropriée pour la situation. Un autre avantage de cette loi est la suppression de la durée de validité (trois ans renouvelables) de ces directives. La personne qui les a rédigées en garde cependant le contrôle, en pouvant les modifier ou les révoquer à tout moment.
© Photonewman / iStock
La question de la sédation profonde et continue jusqu’au décès soulève de nombreuses interrogations. Actuellement, lorsque la détresse physique est insupportable, en cas de symptôme très difficile, résistant à tout traitement, il nous arrive de façon très encadrée de pratiquer une sédation profonde. Celle-ci peut être prolongée jusqu’à la mort si la situation du malade ne s’améliore pas, mais la mort n’est pas le but recherché. Ce n’est donc pas cette pratique qui est nouvelle, mais son extension à d’autres situations décrites dans la loi et surtout la systématisation de la sédation profonde et continue associée à l’analgésie, et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, notamment l’alimentation et l’hydratation artificielles. Lorsque la fin de vie approche, en cas de maladie incurable, il est possible qu’un malade nous
demande d’arrêter un traitement vital, (par exemple l’insuline pour un diabétique en fin de vie). Cela aura une influence rapide sur la survenue de la mort. Mais pour que cela se passe dans de bonnes conditions, il est « accordé », si l’on peut dire, une sédation avec, si besoin, des antalgiques. Il est donc logique d’arrêter tout autre traitement qui vise à le maintenir en vie alors que le décès devient imminent. Or, l’alimentation et l’hydratation font partie des éléments qui maintiennent en vie. Le projet de loi prévoit donc qu’ils soient également arrêtés dans la foulée de la décision. Actuellement, nous prenons progressivement ces décisions d’arrêt de traitements selon l’évolution de l’état du malade. Il y a un ajustement à la particularité de chaque patient. Un dialogue entre tous et le respect du minimum de temps nécessaire à la prise de conscience de la situation me semblent primordiaux.
La complexité s’accroît encore quand le malade n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté et que soignants ou proches s’interrogent sur la pertinence de certains traitements et soins. Les poursuivre relève-t-il d’une obstination déraisonnable ? Sont-ils utiles, disproportionnés ? Ou maintiennent-ils le malade artificiellement en vie ? L’alimentation et l’hydratation artificiellement données sont-elles des traitements comme les autres ? Aussi des « garde-fous » sont prévus : la décision prendra toujours en compte la volonté du malade, et elle sera réfléchie selon la procédure collégiale et des protocoles très précis.
Pour en savoir plus : Fin de vie, un enjeu de fraternité par Mgr Pierre d’Ornellas et le groupe de travail de la Conférence des évêques de France. Mars 2015, Salvator, 15 euros.
Centre national de ressources Soin Palliatif : CNDR : soinpalliatif.org/
Enfin cette loi souligne, selon moi, l’importance primordiale de poursuivre activement le développement des soins palliatifs et de promouvoir une réelle culture palliative dans toute la société ! Propos recueillis par Marie-Gaëlle Guillet Mai / juin 2015
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Chercher et trouver Dieu
tissés par nos rencontres Marie et Elisabeth se connaissent depuis longtemps, la vie de l’une accompagne celle de l’autre. Malgré leur différence d’âge et leur éloignement, les liens sont forts. Ce qui advient à l’une, émerveille ou questionne l’autre, la fait avancer. C’est ce qui arrive dans la vie de chacun de nous. Pourtant, dans ces liens ordinaires d’amitié, un jour, la rencontre est différente : on reconnait la présence du Seigneur en l’autre. Si la fulgurance de la Visitation ne se produit pas ainsi dans notre ordinaire, c’est pourtant à reconnaitre le Seigneur en chacune des personnes croisées aujourd’hui que nous invite le Père Stan Rougier (p. 12), et c’est sans doute qui s’est vécu dans les rencontres faites dans les différents témoignages des pages 8 à 11. Toutes nos rencontres tout au long de nos vies nous façonnent, nous tissent, nous font advenir à nous-mêmes, comme pour Nicodème (p.14) ou pour François et Ignace (p. 16) et nous ouvrent à la différence, une aide pour au final rencontrer le Tout-Autre.
© Sr. Claire Joy, Community of the Holy Spirit,
Marie-Gaëlle Guillet
Témoignages Des familles différentes qui nous ressemblent. . . . . . . . . . . . . . . . 8 Laisser sa chance à la rencontre . . . . . . . 9 La rencontre amoureuse. . . . . . . . . . . . . 10 Interagir avec des personnes autistes. . . 11 Contrechamp Toute rencontre est une théophanie. . . 12
éclairage biblique Nicodème : une rencontre de nuit. . . . . . 14 Repères ignatiens Partage des talents entre
,
Ignace et François. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . 18 Mai / juin 2015
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
des familles différentes qui nous ressemblent Invités à participer à la démarche Tapori, la branche enfance d'ATD Quart-Monde, Claude et sa famille partagent des vacances aux côtés de familles très pauvres et découvrent des relations vraies qui vont transformer toutes leurs rencontres.
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Nous cherchions comment venir en aide aux enfants pauvres, l’opportunité d’écouter une conférence du père Joseph Wrésinski, fondateur du mouvement international ATD Quart-Monde se présente. Le sujet est « L’Enfant du Quart Monde ». Nous sommes surpris, nous ne reconnaissons pas ces enfants dont il décrit les réalités de vie, les espoirs et les forces de résistance à la misère qui les enferme. Notre vision de la grande pauvreté est très éloignée de ce que nous entendons. Touché par notre désir de changer la vie des enfants pauvres, le père Joseph nous invite à le rencontrer. D’em-
Notre rencontre avec ce mouvement ATD Quart Monde nous offre de nombreuses occasions de rencontrer des familles très pauvres.
© ATD Quart-Monde
1. Tapori est un courant mondial d’amitié entre les enfants. Des enfants de différents milieux deviennent des amis et créent des projets pour apprendre des enfants dont la vie quotidienne est très différente de la leur. Voir : Tapori.org
blée, il nous met face à notre rôle de parents « Vous avez la chance d’avoir cinq enfants. Si vous voulez que l’avenir des enfants les plus pauvres change, ce sont vos enfants qu’il vous faut bâtir avec un cœur capable d’aimer en vérité » Pour nous soutenir, il nous propose de participer en famille, avec nos enfants, puis avec d’autres qui nous rejoignent, à la démarche Tapori, branche Enfance du mouvement ATD Quart Monde1.
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
Celle qui nous a sans doute le plus marqués est celle vécue au Centre familial de vacances à Arbois dans le Jura. Vivre ces moments avec des familles qui ne sont jamais parties bouleverse nos références, nos idées sur les pauvres. Se faire proches dans une ambiance de confiance réciproque, partager nos vies nous donne une ouverture sur des réalités totalement ignorées. En vivant côte à côte ces moments de détente, nous découvrons des parents qui, comme nous, rêvent d’un bel avenir pour leurs enfants, nous rencontrons des enfants qui aiment rire, jouer, en tout semblables aux nôtres. Nous rencontrons des familles qui nous ressemblent, avec lesquelles nous pouvons entrer dans une relation vraie, à hauteur d’homme. Une rencontre qui transforme nos regards, nos manières de rencontrer les autres, tous les autres quels qu’ils soient, avec la conviction d’une alliance possible pour bâtir ensemble cette fraternité qui ne laisse personne de côté. Claude
laisser sa chance à la rencontre Prêtre et journaliste, Pierre s’est rendu plusieurs fois au Proche et Moyen-Orient, côtoyant le danger de près. De fortes rencontres donnent chair à sa prière.
A
Je pense aussi à ce journaliste anglais que j’ai vu, toujours en Syrie, dans un bar, la veille de partir dans une zone très « chaude ». On a parlé de copains disparus, il plaisantait, me parlait de mon « dernier repas ». Cette façon « vivante » de parler de la mort, mais aussi du métier de journaliste me dit quelque chose de mon « envoi » dans ce travail et de son sens. Et comment oublier ce Danois qui avait infiltré Al-Qaida pendant 6 ans, menacé de mort ? Son histoire était déjà connue, alors je l’ai fait parler de lui. Il m’a dit : « ton interview n’est pas comme les autres. » Je lui ai répondu : « ce qui m’intéresse, c’est toi. Où
© Patrick Delapierre / Ciric
Au Liban j’ai croisé un couple de réfugiés syriens, un ménage aisé venu d’Oms. Ils avaient tout perdu. Lui était dépressif mais elle, arrivait à rester gaie. Leur attitude et leur présence disaient tout le drame syrien. Sa maison à elle avait été détruite par les forces de Bachar, lui, par l’armée libre ! Des figures comme celleslà me touchent au-delà de mon travail, elles donnent une figure concrète à mon oraison.
tu en es. » Cela fait partie des rencontres qui m’habitent. Et pourtant, dans le journalisme, la rencontre peut avoir ses limites. Elle est parfois utilitaire, suscitée par le besoin de « tirer du renseignement », elle réclame parfois de la flatterie, je suis capable de le faire ! Certaines rencontres sont ambiguës, comme ce rendez-vous avec un couple de salafistes français installé en Tunisie. Ils auraient pu devenir djihadistes. Tout nous séparait et pourtant les raisons qu’ils
invoquaient pour justifier leur exil me rejoignaient : l’individualisme de la société qu’ils quittaient, son manque de fraternité, de partage. D’autres laissent un sentiment encore plus étrange : en Libye, dans une prison, j’ai écouté des types qui racontaient leurs guerres, avec le sourire. Je pense qu’ils m’auraient tué avec le même sourire. Et pourtant, l’ambiance était sympathique. Même dans ce genre de circonstances, j’essaie de laisser une chance à la rencontre. Pierre Mai / juin 2015
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
la rencontre amoureuse Conseillère conjugale, Monique a vu de nombreux couples au cours de sa carrière. Elle revient sur l’inattendu de la rencontre et la réciprocité à tisser pour que la rencontre amoureuse puisse durer.
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Albert Cohen dans Belle du Seigneur décrit ainsi une rencontre amoureuse : « Elle m’est apparue noble, redoutable de beauté… c’était elle l’inattendue et l’attendue ; aussitôt élue… »
quelquefois qu’on peut l’appeler coup de foudre.
© Zuzoli / iStock
Rencontre inespérée entre l’imaginaire et le réel, la rencontre amoureuse fait partie de ces moments uniques où les yeux La rencontre amoureuse est vrai- s’ouvrent, le regard devient rément un évènement singulier ; ceptif, une parole sonne juste, un attrait mutuel, pour cer- le désir surgit, la joie nous tains brutal, impérieux, si fort habite. Je reconnais une part de ma vie la plus secrète dans le regard de l’autre ; j’éprouve un sentiment de réconciliation avec moi-même, c’est un peu une victoire sur la séparation. C’est comme si mes propres frontières s’abolissaient, ce qui n’est pas sans rappeler cette expérience archaïque de la toute petite enfance, lorsque le bébé se reconnaît dans le regard de sa mère. C’est la rencontre de deux histoires où chacun sent que l’autre pourra prendre une place importante et réciproquement. La rencontre amoureuse donne de revivre des affects et des désirs anciens, mais suscite également le désir d’amorcer une vie nouvelle. Tout ne vient pas du passé ; la rencontre est accueil de l’ave-
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nir. Le sentiment amoureux nous donne du dynamisme. L’irruption de quelque chose de nouveau survient dans notre histoire ; Rilke dit : « Tout ce qui arrive est un commencement ». Des parties de nous-mêmes jusque-là inconnues vont se révéler et se mettre en mouvement. Cela suppose de sortir du « il est tout pour moi ». Il s’agit maintenant de tisser une relation de réciprocité. La rencontre s’inscrit dans le temps et dans l’espace. C’est vrai que le monde est plus présent, les couleurs plus vives, les impressions plus fortes ; mais qu’est – ce qui favorise la croissance du lien ? La parole : hors de la parole, le rapprochement ne peut venir combler qu’un vide. Accepter une certaine solitude : une chorégraphie complexe s’instaure entre liberté et autonomie ; de réelles tensions, entre le je et le nous peuvent se faire jour, et c’est vital. La rencontre ouvre sur une relation dont chacun devient responsable. Monique
interagir avec des personnes autistes Et si la rencontre avec des personnes autistes questionnait nos propres façons de communiquer ? C’est ce que relève Baudouin, pédopsychiatre, de sa propre expérience.
David est inscrit dans un groupe d’adolescents en vue d’un voyage culturel. Lors des préparations, il montre des connaissances étendues sur le thème du voyage, monopolisant même la parole dans les réunions d’information. Le reste du temps, il refuse de se mêler aux autres. Son attitude est jugée négative et le jeune ne pourra pas participer au voyage. Bien après la perte de son emploi, Amélie, ex-analyste financière, reste perplexe : « J’ai compris trop tard que ce n’était pas la qualité de mon travail qui pouvait sauver mon emploi. Qu’il fallait se
mettre en valeur. Qu’autour de la machine à café se nouaient des alliances protectrices. » Charles est un adolescent sans langage, qui fait chaque jour des crises intenses lors desquelles il pleure, se frappe, agresse les autres. Les efforts de la famille, soutenus par des professionnels, viseront le développement d’une communication adaptée (basée sur des pictogrammes et des signes) et d’une structure identifiable pour lui dans son environnement (incluant des activités, des repères visuels des étapes de sa journée et la préparation des transitions). Les crises de Charles se feront moins intenses et moins nombreuses. La perte d’occasions, l’exclusion, le manque de réponse aux besoins de base sont le lot de beaucoup de personnes du spectre autistique. Selon moi une société inclusive, est une société qui comprend les besoins des plus faibles et tente d’y répondre. Un vrai défi lorsque ces besoins remettent en question nos façons habituelles de communiquer et d’interagir.
© Macsnap / iStock
J
Je dois d’abord briser un mythe : b e a uc o u p de p e rs o n ne s d u spectre autistique aiment communiquer et peuvent dans certains contextes, communiquer efficacement. L’autisme, ce n’est pas tout ou rien, mais ce sont toujours des défis. En effet, les personnes autistes de tous les âges posent des questions bien provocantes aux « obsédés sociaux » que nous sommes. Voici trois fictions réalistes inspirées de mes rencontres avec des personnes du spectre autistique.
▲ Aba thérapie pour entrer en relation avec des enfants autistes.
Baudouin Mai / juin 2015 11
Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
toute rencontre est une théophanie Le désir de Dieu est de nous rencontrer. Toute la Bible le répète. Et à notre tour pour le rencontrer, c’est au travers des autres que nous le pouvons. Ils nous mènent à Dieu qui nous conduit aux autres. Ces liens incessants nous construisent, nous donnent vie… si nous savons nous y ouvrir et nous en émerveiller, nous partage Stan Rougier.
T
1. Ezechiel 16 2. Isaïe 58, 7.
Stan Rougier, longtemps aumônier de lycéens et d’étudiants, il a aussi été chroniqueur à La Croix et prédicateur en radio et télévision. Il a écrit 37 livres. Son dernier ouvrage « La passion de la rencontre », éd Le Relié, 2014.
Tout au long de ma vie de prêtre, je suis entré en dialogue avec des milliers de jeunes. La plupart sont parents et grands-parents aujourd’hui. Leur question essentielle était : « Pourquoi suis-je sur terre ? Quel est le sens de ma vie ? » Il m’a semblé, après huit années d’étude de la Bible, que Dieu nous avait donné quelques lumières et que ma tâche de prêtre était de partager ces lumières, en les proposant avec les mots d’aujourd’hui. « Dieu créa l’homme à Son image, homme et femme, Il le créa. » Le couple est rencontre. Autant dire Dieu Lui-même est « Rencontre ». Les premiers humains engendrés sont deux frères. La vocation de Caïn était de prendre soin d’Abel. La rencontre se passe mal. Ensuite, durant quinze siècles, c’est une succession de rencontres, qui ont, tour à tour, des suites heureuses ou désastreuses
l’art de rencontrer selon Jésus
rencontre de la Samaritaine, rencontre de la femme prostituée chez Simon, rencontre de Zachée, rencontre de personnes en souffrance : muets, sourds, aveugles, paralysés… La Foi en Dieu devient rencontre de l’homme Jésus : « Qui dites-vous que je suis ? », demande-t-il à chacun. En d’autres mots : « Qui suis-je pour toi ? » Son enseignement tourne autour de l’art de rencontrer : « Soyez comme votre Père qui fait briller Son soleil sur les méchants comme sur les bons, et qui donne Sa pluie aux injustes comme aux justes. » Le soleil et la pluie ne modifient pas la plante. Ils lui donnent la chance de s’épanouir, de se réaliser, de grandir. N’est-ce pas dans une rencontre que nous pouvons le mieux prendre soin de cette plante unique qu’est notre prochain, notre frère ?
Lorsque Dieu se fait homme, lorsqu’Il nous fait part de Ses Projets, il n’est question que de rencontres. Rencontre des disciples,
Au soir de notre vie, on ne nous demandera pas : « Combien de prières as-tu faites par jour ? Com-
suivant que l’amour ou la haine les ont animées. Tout le Premier Testament célèbre la rencontre de Dieu avec un peuple. À ce peuple, comme à chacun de nous, Dieu dit, comme le prince à la petite fille qu’il trouve dans un champ : « Je t’ai vue, tu baignais dans ton sang. Je t’ai dit : ‘Tu vivras !’1 » La première injonction que Dieu exprime est celle de l’amour, envers Lui, source de tout amour, et envers le prochain. « Aime ton prochain comme toi-même. » Je traduis « comme étant toimême », en me référant à un texte d’Isaïe : « Ne te dérobe pas devant celui qui réclame tes soins ; l’autre qui est ton propre toimême.2 »
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Tu croyais croiser Jean-Pierre, Natacha ou Samuel ? Tu rencontrais ton Dieu. Toute rencontre est une théophanie. Ce qui affadit la rencontre, c’est l’absence de vie intérieure. C’est l’absence d’émerveillement… Si notre vie est absorbée par l’action, que reste-t-il pour la contemplation ? Je plains les hommes politiques qui ont donné plus de mille poignées de main dans une journée et n’ont rencontré personne… Tu entends la sonnerie du téléphone. Qui t’empêche de prendre trois secondes de recueillement pour envoyer à Dieu cette supplique : « Père, c’est un de Tes enfants qui sollicite mon attention. Donne-moi de l’accueillir avec la même bienveillance que si c’était Toi » ?
épanouir nos talents par la rencontre Tous les malheurs du monde viennent de l’indifférence. Toutes nos vies sont des histoires saintes. De la qualité de nos rencontres dépend l’épanouissement de nos talents. Un seul regard bienveillant sur un enfant de dix ans peut orienter sa vie.
Une journaliste m’a demandé d’écrire un livre qui présenterait une soixantaine de rencontres qui furent décisives dans mon existence. Jamais je n’ai eu autant de bonheur à écrire ! Mes trente-six livres précédents me semblent une introduction à celui-là. Il s’agit de soixante-sept visages qui m’ont façonné par le partage de leurs doutes et de leur foi, de leurs bonheurs et de leurs engagements, de leurs tourments et de leurs combats. Ce livre me permettait de réaliser ce qui avait été important dans ma vie. Bien sûr, l’éditeur m’a arrêté à soixante-sept rencontres, sinon j’écrivais vingt ou trente tomes !... À quatre-vingt-quatre ans, on peut avoir rencontré des multitudes. Lorsque j’étais au séminaire, chaque séminariste était tenu de rencontrer un « père spirituel » une demi-heure enviro n p a r s e m a i ne. J e me d i sais : « Cette rencontre ne peut pas être à sens unique. Dieu attend peut-être quelque chose de ma part pour lui ?... » Il en est de même de nos rencontres avec nos parents, nos frères et sœurs, nos professeurs, nos enfants, nos collègues de travail… Ces rencontres sont, chacune, de grands moments d’écoute, d’accueil, d’émotion. C’est la beauté d’une âme unique qui nous est offerte. Parfois, lorsque Dieu nous prête Son regard, nous sommes éblouis.
© Auteurs et paroisse de Péronne
bien de communions as-tu faites par semaine ? » La seule question au moment du grand passage sera : « J’avais faim, soif, j’étais malade, en prison… as-tu pris soin de moi ? »
▲ Visage du Christ créé à Peronne en 1982 par des catéchistes et des collégiens. Version d'origine inédite, retrouvée par Blandine Dahéron (lire p. 18).
À d’autres moments, d’un côté ou de l’autre de la relation, c’est froid, insignifiant. Aucun sourire ne vient célébrer une rencontre qui n’est qu’une juxtaposition. C’est comme une présence dans un ascenseur avec un ou une inconnu(e) au regard absent ou fermé… La rencontre de quelqu’un est fréquemment l’occasion d’une demande : « Je suis une plante fragile, menacée. Sois pour moi ce que la lumière et la pluie sont à la rose ! » Si Le Petit Prince de SaintExupéry est le livre le plus lu dans le monde après la Bible, c’est parce qu’il évoque la magie de la rencontre. Dans toute son œuvre, l’écrivain-pilote conjugue à tous les temps et à tous les modes l’expression chère au pape François : « prendre soin ». Stan Rougier Mai / juin 2015 13
Chercher et trouver Dieu
éclairage biblique
Nicodème 01 Il y avait un homme, un pharisien nommé
Nicodème ; c’était un notable parmi les Juifs.
« Rabbi, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. » 03 Jésus lui répondit : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » 04 Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » 05 Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 06 Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. 07 Ne sois pas étonné si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut. 08 Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. » 09 Nicodème reprit : « Comment cela peut-il se faire ? » 10 Jésus lui répondit : « Tu es un maître qui enseigne Israël et tu ne connais pas ces choses-là ? 11 Amen, amen, je te le dis : nous parlons de ce que nous savons, nous témoignons de ce que nous avons vu, et vous ne recevez pas notre témoignage. 12 Si vous ne croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ? 13 Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. 14 De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, 16 Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. 17 Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. 18 Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. 19 Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. 20 Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; 21 mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »
JEAN 3,1-21 Nouvelle traduction liturgique Association épiscopale liturgique pour les pays francophones
14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
© Henry Ossawa Tanner
02 Il vint trouver Jésus pendant la nuit. Il lui dit :
UNE RENCONTRE DE NUIT
D
Deux rencontres fortes dans les premiers chapitres de saint Jean : Nicodème et la Samaritaine. Deux personnes différentes incarnant deux façons d’être. Sans doute une manière pour saint Jean de proposer un large spectre afin de nous rejoindre dans notre singularité. Autant la Samaritaine est une femme du peuple, à l’affectivité très perceptible, autant Nicodème est d’emblée présenté comme un homme de savoir, un notable religieux, instruit de la Loi, un sage qui sait ce qui est juste et droit. Mais qu’en est-il de ses émotions, de son ressenti ? C’est en toute discrétion qu’il se présente à Jésus, il vient dans la nuit. Sans doute pour ne pas éveiller l’attention, pour ne pas se compromettre. C’est un homme de savoir et il pourrait demeurer dans ses certitudes mais pourtant, sa démarche l’atteste, c’est un homme de désir, il est en questionnement au point de se risquer à la rencontre avec Jésus. Le dialogue se noue. Attentif aux signes opérés par Jésus, il affirme : « Tu viens de la part de Dieu ». Attitude d’ouverture qui tranche avec celle des scribes interrogeant Jésus pour le piéger. La réponse de Jésus est déconcertante : il s’agit de naître d’en haut si l’on veut voir le Royaume de Dieu ! Étonnement de Nicodème : il voulait savoir, connaître et voilà qu’il est question de naître. Naître pour connaître ! Maladroitement, il cherche à comprendre d’une façon toute humaine : comment naître, étant vieux ? Comment entrer de nouveau dans le sein de sa mère ? Et les surprises continuent : naître d’eau et d’Esprit ! Une piste est donnée cependant : l’invitation à laisser l’Esprit souffler dans sa vie sans savoir clairement comment il agit, sans le voir, à l’image du vent. Pour Nicodème, ce propos de Jésus lui reste obscur mais quelque chose de nouveau advient. Son ultime question traduit une ouverture du cœur, un désir ardent : « Comment cela peut-il se faire ? ». Il ne dit pas non, il dit comment. Un imperceptible consentement s’est opéré. Et Jésus ne s’y trompe pas qui, après une dernière remarque presque fraternelle sur son incapacité à saisir ces
choses, peut déployer longuement son enseignement et l’inviter à croire. Dans la fin de ce récit, nous n’entendons plus parler de Nicodème. Il écoute sûrement puis repart dans la nuit. Qu’a-t-il perçu ? Qu’est-ce qui s’est déplacé en lui ? Le texte ne le dit pas, pourtant une indication peut nous éclairer. Nicodème est venu dans la nuit. Peut-être aussi est-il venu de la nuit, de sa nuit ? Et le récit s’achève par cette parole : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière ». Du profond de son désir, Nicomède a osé une démarche de vérité, vers Jésus qui est la vérité. Une lumière est apparue dans sa vie, en germe. Ce que confirme la suite : au chapitre VII de saint Jean, Nicodème défend la cause de Jésus auprès de ses pairs. Et au chapitre XIX, il apporte des aromates pour son ensevelissement. Sûrement, une vraie rencontre s’est produite, porteuse de fruit. Nicodème nous précède sur le chemin. Michel Le Poulichet CVX
Points pour prier + Je me représente la scène : un endroit discret la nuit à Jérusalem.
+ Je demande la grâce de pouvoir poser à Jésus mes questions et de m’ouvrir pour mieux accueillir sa réponse.
+ Je regarde Nicodème. Je me laisse habi-
ter par ce qu’il éprouve : désir, recherche, étonnement, déplacements.
+ Je regarde Jésus en relation avec lui : inattendu, abrupt et cependant proche. Puis je médite ses paroles qui vont à l’essentiel : Dieu est amour et il a envoyé son Fils pour que le monde soit sauvé.
+ À la fin de la prière, je parle simplement
à Jésus ou au Père, au point où j’en suis.
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Chercher et trouver Dieu
Repères ignatiens
partage des talents, entre ignace et françois Comment, à partir de figures si opposées qu'Ignace et François Xavier, la Compagnie de Jésus a-t-elle pu se créer ? Comment leur rencontre a-t-elle donné un tel dynamisme ? Comment ont-ils pu rester unis alors qu’ils étaient au bout du monde connu ? Sans doute parce qu’ils ont partagé, souligne Dominique Bertrand s.j.
A
À l’origine des fondations religieuses, comme aussi des Églises depuis le début de l’évangélisation, on tombe toujours sur un groupe fondateur : Jésus et les Douze, Paul et sa communauté ambulante, Antoine et ses disciples dans le « désert intérieur », franciscains en Ombrie, dominicains en Languedoc, et l’histoire continue en s’amplifiant et en se diversifiant. Comment, dans les années soixante est née, d’une poignée de militants, Vie Chrétienne ? On a raison de s’imaginer ces groupes unis et cohérents.
© Carlos Saenz de Tejeda (1958), jesuit institute, Londres
Dominique Bertrand s.j., de l’Institut des sources chrétiennes à Lyon.
Mais réfléchit-on assez aux ressorts d’une telle unité et cohérence ? Bien documentés sur le noyau d’où est née la Compagnie de Jésus, explorons sur cette base comment peuvent se constituer ces noyaux. Une expérience spirituelle commune est indéniable. Dans le cas présent, c’est l’expérience partagée de maître Ignace. Mais quelle a été la dynamique mise en mouvement par ce partage initial ? Absolument pas un programme génial auquel il a été souscrit en quelque sorte indépendamment du premier partage. Quoi
▲ Ignace et François, étudiants à Paris
16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
donc ? Ce partage même, multiplié en et par chaque compagnon. La Compagnie de Jésus est une unité de compagnons partageurs. Là est, si petit qu’il soit, le succès. On a déjà maintes fois analysé le discernement communautaire qui présida à la fondation de l’organisme. Le discernement y fut incontournable parce que, du fait de ces hommes en recherche, presque tout s’opposait à cette fondation désirée. C’est ainsi qu’Espagnols, Français, Portugais, Savoyards, qui plus est, dispersés par les missions du pape, ont découvert que cette diversité même, une fois maintenue et partagée, est le meilleur ferment de leur fécondité missionnaire aux limites du monde. Comme cela a été fondé pour la mission, cela a profité pour la mission. On pourrait suivre cet auto-engendrement dans chaque compagnon puis chez les compagnons de compagnons. Nous le constatons de façon exemplaire, dans la relation entre le père fondateur Ignace et le fils, lui aussi fondateur, Fran-
çois. Le temps de l’évangélisation venu, à partir de 1540, le partage au service de la mission y a été singulièrement parlant.
Des débuts difficiles Tout commence mal, en 1529, entre les deux personnalités dans le prestigieux collège SainteBarbe, spécialement ouvert à la noblesse ibérique. On sent dans le plus jeune de quinze ans une sorte d’aversion méprisante pour le vieil étudiant, poussif dans ses études et « pas marrant ». Il faut entre eux toute la serviabilité et le tact du Savoyard Pierre Favre, présent en ce collège par protection, pour limer les angles. Le Navarrais finit par être touché par le fameux « Que sert à l’homme… », il fait les Exercices, il participe au vœu de Montmartre, il est le troisième du noyau, il garde tout son intelligence fougueuse en la mettant au service du Christ, il se plie, avec les dix autres, au service de l’Église concrétisée par le pape. Il vote enfin pour Ignace comme préposé général. De 1529 à 1540, pas de perdant, rien que des gagnants, un échange décisif, un partage fondateur. À suivre. Autour du 14 mars de cette même année a lieu un coup de théâtre bien rendu par l’écrivain Fabrice Hadjadj dans sa pièce Que sert à l’homme ? La vie de François Xavier. Nommé par Ignace son secrétaire à Rome, bridé ainsi dans l’administratif à l’écart des missions, voici qu’en un laps de temps très court, par suite de désistements, François est envoyé dans
les Indes du Portugal à la demande du roi Jean III. Ici débute, après l’extrême différence entre l’un et l’autre service, celui de la distance planétaire. Ignace et François ne travailleront plus dans le même bureau, mais à treize mille kilomètres de distance, ni dans l’intimité des conseils mais selon une quasi totale délégation de responsabilité. Au bénéfice de la mission universelle, l’obéissance religieuse a sagement réparti avec clarté les compétences suprêmes du supérieur et celles indéfinies des décisions à la base.
Correspondance du bout du monde Parti dès le printemps pour son long voyage à travers l’Europe méridionale, la circumnavigation africaine et l’océan Indien, François débarque le 6 mai 1542 : deux ans ! On sait que par la suite il travaille dans le sud de l’Inde (1543-1544), visite la Malaisie et l’ouest du Pacifique (1545-1547), revient en Inde pour une bonne année et se porte vers le Japon (1549-1551), passe un troisième séjour en Inde et prépare son expédition vers la Chine (1552), aux portes de laquelle il meurt le 2 décembre 1552. Ces tournées laissent entières toutes les charges qu’entraînent pour lui le souci pastoral des Portugais et de leur clergé catholique, la fondation d’un collège à Goa, la catéchèse des autochtones et la pénétration de la foi dans l’intérieur des terres. François assume tout avec les compagnons dont il assure, en plus, le gouvernement. Il a tout donné
à son champ d’action. Mais il est constamment aidé de Rome par Ignace. Celui-ci a mis au point un échange épistolaire qui s’étend du Brésil à l’Inde et vise à maintenir l’unité des compagnons dispersés comme à soutenir leur activité à tous. Sur les 6815 lettres expédiées par lui de Rome, 5301 sont adressées à des jésuites. François et ses compagnons d’ExtrêmeOrient en ont reçu une quinzaine pour un même chiffre d’envoi. On atteint, en un tel partage, à ce qu’il faut nommer au plein sens du mot une « correspondance ». La dernière lettre de François à Ignace est datée du 9 avril 1552. François y développe le plan de l’opération chinoise, mais y révèle aussi le souci de renforcer les liens entre son bout du monde et l’Europe, avec même l’idée qu’il se pourrait que « l’obéissance » le fît y retourner. Cette lettre n’est parvenue à destination qu’en 1554. Entre-temps, Ignace a écrit sa dernière missive à François le 28 avril 1553 : elle le rappelle au nom de « l’obéissance » en ses terres natales. À cette date, François est mort depuis cinq mois, mais le christianisme est parvenu au bout de l’Asie. Sa croissance en ces contrées sera lente, contrariée, incertaine. Mais le grain a été semé. Par qui ? Dieu aidant, par des hommes qui se sont donné les uns aux autres le meilleur d’euxmêmes pour la mission. Dominique Bertrand s.j. Sources Chrétiennes, Lyon Mai / juin 2015 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • J e fais mémoire des rencontres qui ont compté pour moi, qui m’ont tissé(e). Qu’est-ce qui a permis une telle rencontre ? Que m’ont-elles révélé ? Quelles conséquences dans ma vie ? De quoi puis-je rendre grâce ? • J e regarde ma relation avec le Seigneur. Est-ce que je me donne du temps pour le rencontrer ? Comment cette rencontre me fait renaître ? A-t-elle une influence sur ma manière d’entrer en dialogue avec les autres ? • Je regarde les groupes auxquels j’appartiens ou ma communauté locale. Qu’est-ce qui permet une vraie rencontre ? Qu’est-ce qui l’empêche ? Puis-je faire mémoire d’un moment où la parole des autres m’a déplacé(e), m'a confirmé(e). • J e regarde le monde dans lequel je vis, dans sa diversité. De quelles expériences de dialogue entre les cultures, suis-je le témoin ou l’acteur ? Qu’est-ce que cela produit en moi ? À quoi cela m’invite-t-il ?
À lire : • Ils m’ont révélé ton visage, Blandine Dahéron, éd. Salvator, 15,90 euros Un livre qui donne à sentir comment le corps du Ressuscité se tisse jusqu’à aujourd’hui, comment il irradie de proche en proche sa douce lumière par les différentes rencontres.
À visionner : Philomena (film de Stephen Frears, 2014). La rencontre d’une vieille dame, à qui l’enfant fut jadis retiré et d’un journaliste qui veut l’aider à retrouver son fils. Il est athée, cynique et révolté. Elle est croyante, candide et angoissée. Leur confrontation, dans un duel d’humour et d’émotion est un miracle d’équilibre et d’humanité. Marie Heurtin (film de Jean-Pierre Améris, 2014). Pour la première fois une jeune fille sourde et aveugle sort de sa nuit, grâce à sa rencontre avec sœur Marguerite. D’après une histoire vraie.
Et si vous partagiez vos livres "coup de cœur" sur ce thème sur www.editionsviechretienne.com 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
Babillard © B. Strobel
Prier avec Abraham
CVX et la famille
Dans le nouveau label « Matière à exercices », les Éditions Vie chré tienne viennent de rééditer un guide spir ituel profond pour une démarche de discernement à la suite d’Abraham et de son clan. Une véritable école de prière, avec de nombreuses sugg estions de pistes pour l’oraison visant à entendre un appe l à « quitter, pour aller vers… » en vue d’exister plei nement, de libérer et laisser se déployer les énergies d’une croissance, et au terme, de devenir capable de tran smettre à d’autres cette ouverture vers l’avenir.
Qu’est-ce que la manière de faire de la CVX peut apporter à la famille ? Venez partager autour de cette question le dimanche 14 juin de 10 heures à 16 heures dans les locaux de la CVX – 47, rue de la Roquette à Paris. Cette journée initialement prévue en février avait dû être reportée.
Inscription à contact@cvxfrance.com avant le 15/05/15. Renseignements : familles@cvxfrance.com
Françoise Laurent et Gérard Quatrefa ges, s.j. éditions Vie chrétienne - Mars 2015 - 12,50 euros
La politique une bonne nouvelle Cette session invite les jeunes chrétiens (18-35 ans) à s’initier au sens de la politique, à trouver le goût de s’engager dans la vie de la cité dans le respect du pluralisme démocratique, à fonder leur engagement dans leur foi et la doctrine sociale de l’Église. Pour cela, la semaine s’articule autour de conférences, forums, jeux, ateliers et échanges en petits groupes, rencontres avec des femmes et des hommes politiques, temps de relecture et temps de prière.
Du 16 au 23 août 2015 (La Baume près d’Aix-en-Provence). Du 17 août au 23 août 2015 (Le Reposoir en Haute Savoie). Inscription : politiquebonnenouvelle@gmail.com
Manresa 2015 À quoi sert de courir ?
t nt la veil lée fes tive du 1 Aoû Et si les jeu nes qui anim ero r pou in ema lend le dès emb le au con grè s CVX par taie nt ens ! Loy ola e rinage original, convivial qui invit C’est ce qui est proposé : un pèle . Dieu le regard de à se poser, à faire des choix sous er
les traces d’Ignace et de FrançoisEn Espagne, du 2 au 9 août 2015, sur de jeunes âgés de 18 à 35 ans. Xavier qui réunira plus d’une centaine au vacances spirituelles (du 9 « Bonus gourmand », 3 jours de ents tes du pape François et des mom 12 août), avec la lecture des tex de détente au bord de la mer.
Info : contact@rji.fr
Prier à la manière d'Ignace de Loyola
Il existe bien sûr de nombreux chemins pour rencontre r Dieu et aucun n’est meilleur qu’un autre. Parmi eu x, Ignace propose une voi e originale et fécond e, car bien balisée sur laq uelle Michel Van Herck nous guide pas à pas. D’une balise à l’autre , dans le détail concre t, il nous offre des rep ères et des suggestions pratiques pour expérim enter cette rencontre intime avec le Seigneu r, la goûter et y reven ir.
Michel Van Herck édition Vie chrétienne – Avril
2015 – 8,50 euros
Formation accompagnement dans la vie Vous avez une sensibilité à l’aide spirituelle, êtes ouverts à la spiritualité ignatienne l’association Maurice Giuliani offre une formation annuelle à l’accompagnement spirituel ignatien dans la vie et aux Exercices spirituels dans la vie.
Un samedi par mois en 2015-16 sur Paris. Tél. : 01 39 43 67 64 – www.mauricegiuliani.fr
Mai / Juin 2015 19
Se former
école de prière
Prier sous forme d’un dialogue contemplatif Inspiré des Exercices spirituels, le dialogue contemplatif est une prière communautaire qui fait place aux cinq sens et permet de s’engager dans la contemplation et de comprendre avec le cœur ce que le Seigneur souhaite pour soi.
C
Cette manière de prier, en groupe de personnes qui se connaissent ou non, en communauté locale ou paroissiale ou autre, est une prière communautaire, comme la liturgie des Heures ou l’Eucharistie. Elle a donc nécessairement une forme précise : un commencement, une manière de procéder, une fin. Il s’agit d’un dialogue c’est-àdire que la manière dont chaque participant accueille la Parole retentit dans le cœur des autres et transforme leur propre prière, comme dans tout dialogue interpersonnel. L’adjectif « contemplatif » indique que cette manière de prier donne une large place aux sens. Le passage de la Parole de Dieu sur lequel prier est donc un récit qui donne à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher. Comment s’y prendre ? Choisir un lieu propice au recueillement et à la prière, où les participants peuvent se mettre en demi-cercle. L’animateur explique la manière de prier, il reprendra ensuite chaque étape brièvement.
Un chant peut aider à entrer dans ce temps de prière, à faire le calme en soi, à se tourner vers le Seigneur. Comme au début de toute liturgie, le chant rassemble les participants avec ce que chacun porte en lui-même à ce moment-là, il aide à faire communauté. L’animateur lit, ou mieux raconte, le récit. Il invite à visualiser la scène et à écouter. Entendre, sans lire, permet souvent de redécouvrir le récit avec une certaine nouveauté. Les participants écoutent la Parole en se laissant toucher par ce qu’ils voient, entendent, sentent… Après quelques instants de silence, chacun dit comment il accueille cette Parole, ce qui le touche. Le langage est vraiment celui des sens, très simple : « je vois Jésus qui touche le lépreux », « j’entends le murmure des pharisiens », je « sens » le parfum versé sur les pieds de Jésus… Il ne s’agit donc absolument pas d’une réflexion, d’un partage d’idées ni d’une explication tant soit peu exégétique. Entre chaque prise de parole, laisser quelques instants de silence
20 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
pour intérioriser ce qui a été dit. Lorsque la personne désignée pour commencer le partage a exprimé ce qu’elle souhaitait dire, elle peut signifier qu’elle a fini de parler en transmettant, par exemple, un petit lumignon. Si l’un ou l’autre participant ne désire pas parler, il passe à son tour le lumignon sans rien dire. Ce premier tour, à partir de ce qui est perçu par les sens, donne déjà au récit une densité, une épaisseur nouvelles. Certains voient, entendent, sentent ce que d’autres ne voient pas d’emblée ou n’entendent pas, ils s’entraident ainsi à recevoir la Parole de Dieu de manière plus profonde. Ce premier tour terminé, l’animateur peut relire le récit. Puis il invite chacun à dire, toujours dans le même ordre, comment ce qui a été dit par tel ou tel a retenti dans son cœur, l’a touché ou a modifié sa manière de voir ou d’entendre : un regard, un geste, une parole qu’il n’avait pas perçu et qui prend sens… Ce n’est pas encore le temps où l’on s’exprime sous forme de prière. Il s’agit encore
© Design Pics / Don Hammond
▲ Les jeunes et même les enfants entrent très bien dans cette manière de prier
d’accueillir la Parole, de la laisser résonner en soi.
Quels fruits ? Certains fruits sont déjà perceptibles dans ce qui a été dit précédemment : écouter le partage des autres élargit sa vision du texte, fait prendre conscience de telle ou telle attitude ou parole qui n’avait pas eu de résonance pour soi au départ.
Après un nouveau temps de silence, commence le troisième tour. L’animateur invite à s’exprimer sous forme de prière. Qu’il s’agisse alors d’une demande, d‘une action de grâces ou d’une intercession, la prière exprimée par chacun est bien sûr personnelle mais marquée, enrichie, par ce qu’ont partagé les autres. Là encore, laisser quelques instants de silence entre chaque intervention pour faire sienne la prière de l’autre.
Cette manière de prier, en groupe, est en quelque sorte une « école de prière » : elle initie en particulier à la contemplation. Elle aide aussi à simplifier sa prière personnelle et à s’y engager davantage.
Quand tous les participants se s o nt ex p r i m é s, l ’ a n i m a t e u r conclut par une oraison qui reprend l’essentiel de ce qui a été dit, puis tous disent le « Notre Père ». On peut aussi terminer par un chant ou un refrain approprié.
La mobilisation des sens dans l’accueil de la Parole ne supprime pas le rôle et la place de l’intelligence et de la mémoire. Au contraire, en touchant mon cœur, elle permet par la Parole de faire comprendre ce que le Seigneur cherche à me dire de manière singulière.
À qui proposer un « dialogue contemplatif » ? Tout groupe, y compris des personnes peu habituées à prier avec l’Écriture, peut en faire l’expérience avec grand profit. Les jeunes, et même les enfants, entrent très bien dans cette manière de prier. La proposition faite régulièrement dans une école primaire, à des enfants à partir du CP, montre qu’ils en tirent un vrai fruit. Cette pratique peut aider particulièrement des personnes qui ont tendance à prier de manière très cérébrale. Même si certaines personnes peuvent vivre le mode de déroulement comme un carcan et rester au niveau des idées, osez expérimenter cette manière de prier. Marie-Thérèse Deprecq RSCJ Mai / juin 2015 21
Se former
Expérience de Dieu…
En marchant sur les pas d’Ignace Lui qui se nommait le pèlerin a quitté sa demeure de Loyola en 1522 et a traversé l’Espagne vers Barcelone. C’est ce même chemin, ou presque, qui est proposé aujourd’hui à tous ceux désireux de vivre une expérience spirituelle. Virginie l’a suivi l’été dernier. Ce fut, pour elle, un chemin vers la Vie.
E
mais le pèlerinage s’est véritablement achevé à Barcelone, dans la joie fraternelle et la confiance qui se crée par le partage de tout ce que l’on possède et de ce que l’on est.
vers un chemin intérieur Chaque jour, nous commencions la marche en silence après la récitation d’un psaume, qui introduisait la grâce du jour, c’est-à-dire une requête faite au Seigneur pour nous éclairer dans notre chemin de conversion. Plus tard dans la journée, nous méditions un passage biblique ou bien de la vie d’Ignace, tiré de son autobiographie 1 . Nous célébrions aussi la messe, soit à l’extérieur, soit dans un des lieux emblématiques de sa vie. Outre lire, voir, toucher, suivre sa route, nous avons aussi fait
nôtres certains moments forts de sa vie grâce à des ateliers mêlant expression théâtrale et spiritualité. Cela nous rendait plus proches du saint mais aussi de notre propre histoire. À Pamplona par exemple, sur les murailles de la citadelle, là où Ignace fut blessé, nous avons été amenés à méditer sur ce qui nous semblait être une de nos blessures intérieures les plus profondes puis à l’extérioriser en prenant une position particulière et en l’exprimant par une seule parole. Cela m’a permis de me rendre compte que certains événements de mon passé, que je pensais avoir résolus, ont refait surface. À un autre moment, nous avons médité sur ce qui nous empêchait de suivre le Christ, le matérialisant par un objet que nous avions avec nous, et le déposant près de la Croix en expliquant ce que cela repré-
© Bureau des Pélerins du chemin ignatien
1. Le Récit du pèlerin, à commander sur viechretienne.fr
Étudiante à Bologne (Italie) pour ma dernière année d’études, j’ai fait la rencontre de la Compagnie de Jésus à travers le centre Poggeschi, centre d’accueil et lieu de vie ouvert à tous, où sont proposés apostolats et groupes de méditations bibliques. Pour conclure cette belle aventure spirituelle et humaine, il nous a été suggéré de participer au pèlerinage ignatien, à la fois pour suivre les traces du saint, qui luimême suivait le Christ, et à la fois pour revenir sur cette expérience intense. Nous étions 14 au départ de Loyola. Nous nous sommes arrêtés au château de Javier, demeure familiale de saint FrançoisXavier, futur ami d’Ignace et jésuite missionnaire. Après 11 jours de marche en intermittence avec deux jours de repos et des trajets en bus et train, nous avons rejoint l’ultime étape de Manresa,
22 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
les cadeaux du chemin Je m’étais décidé à faire ce pèlerinage sur une intuition, mais sans désir particulier, le cœur ouvert à recevoir les enseignements et les grâces que le Seigneur voudrait bien m’accorder. Notre petite communauté a été le premier cadeau que j’ai reçu. Nous cheminions ensemble, nous aidant les uns les autres dans les moments difficiles, partageant tout ce que nous avions et apportant quelquefois beaucoup de joie à tous par bien peu de chose. C’est cette simplici-
© Bureau des Pélerins du chemin ignatien
sentait pour nous. Ce fut une belle occasion pour nous libérer cette fois-ci de ce qui nous rend imperméables et statiques dans la dynamique de l’évangile qui pousse à sortir de nous-mêmes. Cela correspondait au geste d’Ignace à Montserrat, lorsqu’il dépose son armure pour revêtir « les armes du Christ » et sa tunique de pèlerin. Nous-mêmes, sur le chemin qui conduisait au monastère, nous avons demandé la grâce de recevoir un nouvel habit, symbole de ces « armes » reçues du Christ, c’est-à-dire une force intérieure, une vertu particulière. Chacun avait des images très différentes. Pour ma part il s’agissait d’un long vêtement blanc presque transparent, signe de la pureté baptismale et de la clarté d’une relation vraie qui laisse passer la clarté de l’amour de Dieu. Voilà en quelques mots ce qui constitua le nœud central de notre cheminement intérieur.
té de vie et de relation que j’aime retrouver dans les pèlerinages. Ce dont je me souviens surtout c’est de l’amour reçu et donné gratuitement, de ce sentiment qui inonde le cœur et de la grande joie qui l’accompagne. Le rapport personnel que j’ai avec Dieu s’est surtout enrichi de cela, c’est-à-dire du
sentiment d’être aimée. Mais la découverte de cet amour divin, n’aurait pas de sens s’il n’était pas relié directement à des visages. Notre Dieu s’est incarné, le Verbe d’amour a pris forme humaine, et continue de le faire à travers nous et pour nous. Virginie Kubler
Le chemin ignatien est un pèlerinage en Espagne qui suit les traces de saint Ignace de Loyola. Il part de sa ville natale, dans le Pays Basque, pour traverser tout le pays et se conclure à Manresa, en Catalogne, près de Barcelone. À pied, il faut environ un mois pour le parcourir entièrement. De quoi vivre les 4 semaines d’Exercices spirituels tout en marchant. La première étape pour le saint comme pour les pèlerins se fait à la chapelle de La Antigua, à Azpeita, où Ignace a reçu l’apparition de la Vierge, où il s’est converti et où il est retourné après ses études parisiennes, avant de partir pour la Terre-sainte. Puis ascension des monts pyrénéens jusqu’au sanctuaire franciscain d’Arantzazu, trésor épineux, symbole de la réconciliation dans les Pays Basques. La grande étape suivante est la ville de Pamplona, où Ignace fut blessé lors de la défense de la citadelle. En suivant des anciens passages du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, on arrive à Javier, en Navarre, où est né François-Xavier. Plus loin, enfin, en Catalogne, se trouve le magnifique sanctuaire bénédictin de Montserrat où le saint laissa sa noble armure de chevalier pour prendre l’habit pauvre du pèlerin et devenir Chevalier du Christ. Enfin le pèlerinage se termine à Manresa où Ignace se reposa et écrivit l’essentiel des Exercices spirituels, avant de s’embarquer à Barcelone pour l’Italie dans le but de rejoindre Jérusalem.
Plus d’info : caminoignaciano. org
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Se former
Lire la Bible
le dialogue comme posture missionnaire Comment parler aux non-croyants ? Quel dialogue est possible ? Cet échange peut-il devenir parole missionnaire ? C’est en s’appuyant sur Pierre rencontrant le centurion Corneille (Actes des apôtres 10-11) que Thierry Magnin nous introduit à l’encyclique ‘Ecclesiam Suam’ de Paul VI nous invitant au dialogue avec la société.
D Thierry Magnin, recteur de l’université catholique de Lyon, docteur en Sciences Physiques et Docteur en Théologie.
Dans l’encyclique Ecclesiam Suam de 1963, le pape Paul VI écrit au numéro 67 : « L’église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’église se fait parole ; l’église se fait message ; l’église se fait conversation (…) » Cette « posture de dialogue » que le concile Vatican II a mis en évidence reste aujourd’hui encore de pleine actualité, notamment lorsque notre société est traversée de multiples questions sur la famille, le mariage, le début et la fin de vie, l’économie et la justice, le sens du travail et de la vie. Dans cette optique, la figure missionnaire de l’apôtre Pierre dans les Actes des Apôtres aux chapitres 10 et 11 peut inspirer notre posture de chrétiens engagés dans le monde d’aujourd’hui. Quand Pierre « se fait conversation avec Corneille et les siens », c’est toute l’Église qui en est affectée. Dans cet épisode des Actes des Apôtres (chapitres 10 et 11),
Pierre se rend chez Corneille, centurion de l’armée romaine en poste à Césarée, non sans avoir résisté pour aller chez un ‘non Juif’. Leur rencontre pourtant nous dit quelque chose d’essentiel de ce qu’est l’Église dans sa vitalité, quand elle vit vraiment au souffle de l’Esprit saint et de l’Évangile. Pierre va vivre des attitudes évangéliques qui peuvent nous rejoindre, nous stimuler, nous mettre en route pour construire l’Église. S’étant laissé touché par le témoignage des six envoyés de Corneille qu’il reçut à Joppé où il demeurait, Pierre marche vers la maison de Corneille avec u ne re m a rq u a b le o u ve r t u re d’esprit, tout en acceptant de ne pas « contrôler la situation » ! Lorsque Corneille vient à sa rencontre et tombe à ses pieds en signe d’hommage, Pierre lui dit : « Lève-toi, moi aussi je ne suis qu’un homme ». Leur dialogue commence dans une véritable relation « d’homme à homme »,
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sans esprit de supériorité de celui qui vient « apporter » à l’autre. Dans cette rencontre, Pierre rejoint Corneille là où il en est ; il va progressivement le reconnaître, le découvrir comme un « craignant Dieu » déjà en chemin vers le Seigneur, et se laisser accueillir par lui dans sa maison. Pierre va vraiment s’ouvrir à l’action de l’Esprit saint, même s’il lui faut vaincre pour cela des réticences à caractère religieux, comme le fait d’entrer dans la maison d’un centurion. C’est vraiment l’Esprit qui conduit chacun à travers les évènements.
Une même faim de Dieu C’est « dans la maison du centurion » que la conversion du regard de Pierre se manifeste vraiment. En reconnaissant l’Esprit déjà présent chez Corneille, il vient alors se « mettre à table » avec lui. Pierre et Corneille ont tous les deux faim de Dieu : c’est cette
Ce n’est que dans un deuxième temps que Pierre va donner à Corneille un enseignement de fond sur les évènements de Pâques. Corneille est habité par l’Esprit, mais il a besoin de cet enseignement, de cette Parole explicite, il a besoin d’une « révélation » pour continuer le chemin. C’est à ce moment que Pierre donne le « témoignage de Pâques », le kérygme. Et pour signifier l’importance de cette Parole, qui passe par Pierre mais qui vient de bien plus loin, voilà que l’Esprit saint « tombe » sur eux tous à cet instant, révélation pour Corneille mais évènement aussi pour Pierre. Ici se dit fortement l’importance du partage explicite de la Parole de Dieu, son approfondissement, une parole qui passe par les hommes, qui vient de Dieu et qui ouvre l’avenir, au baptême de Corneille et des siens en l’occurrence. Quel souffle pour tous ! Par cet évènement de rencontre, Pierre établit un véritable pont entre les villes symboliques que sont Jérusalem et Joppé d’une part (villes juives) et Césarée d’autre part (ville païenne). À travers Pierre, la communauté chré-
© EdoM
faim qui les réunit et qui leur permet de partager en vérité. Et Pierre rejoint cette faim et se laisse toucher par l’action de l’Esprit dans la maison qui le reçoit. « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes » (Actes 10, 34-35).
▲ Maison de Césarée, où Pierre rencontra peut-être le centurion.
tienne devient lieu de rencontre et d’unité entre deux mondes que tout semble opposer. Et la communauté chrétienne tout entière reconnaît avec joie l’Esprit saint déjà répandu dans le monde, avant même sa propre action missionnaire ! En retour, l’Église de Jérusalem va devenir le lieu de rencontre et de « relecture de vie » entre ceux ayant été chez Corneille et les membres de cette « église-Mère ». C’est Pierre, l’apôtre, qui a ouvert l’Église à Corneille et aux siens en se laissant conduire par l’Esprit. Il va devoir cependant se justifier de ses actes devant les fortes critiques qui ne manquent jamais en pareilles occasions ! Mais son récit-témoignage sera si fort qu’il entraînera l’adhésion de ceux qui sont restés à Jérusalem et qui ne comprenaient pas les évènements de Césarée. Quelle actualité !
Ce lieu de relecture de vie va progressivement devenir lieu pour discerner et « rendre grâce », à l’issue d’un rude dialogue finalement très fructueux. Voilà que la mission, l’ouverture aux païens, font vivre l’Église tout entière, et pas seulement les envoyés ! Dans cet épisode, tout se joue dans la réciprocité, au souffle de l’Esprit : Pierre est autant provoqué par Corneille que Corneille l’est par Pierre. Et la communauté de Jérusalem le sera tout autant. Non sans réticences, chacun se laisse pourtant conduire par les évènements et entre dans l’intelligence des situations en acceptant de ne pas les maîtriser. C’est cela aussi l’aventure de l’annonce de l’Évangile, pourvu que Pierre accueille et rencontre vraiment Corneille d’homme à homme en acceptant de se laisser « décaper »
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Lire la Bible
© Abraham
langage : celui-ci est-il compréhensible, est-il populaire, est-il choisi ?
▲ Mosaïque de la rencontre entre Paul VI et le patriarche Athénagoras I en 1964, chapelle Dominus Flevit à Jérusalem.
au niveau de ses a priori. Le chemin parcouru ensemble fait bouger chacun dans sa foi, sa vie. Il s’agit pour Pierre de reconnaître une demande et une attente, de savoir l’accueillir, de partager explicitement la Parole de Dieu, d’accompagner une naissance qui fait aussi « renaître » celui qui accompagne… et la communauté chrétienne tout entière !
le dialogue comme moyen de mission Dans Ecclesiam Suam, Paul VI insiste au numéro 87 sur le dialogue comme moyen d’exercer la mission apostolique. Le pape parle même du dialogue
comme un « art de la communication spirituelle ». Il en note les caractéristiques essentielles, bien dans la ligne de la rencontre de Pierre et de Corneille qu’il n’évoque cependant pas dans son texte. La clarté avant tout : le dialogue suppose et exige qu’on se comprenne ; il est une transmission de pensée et une invitation à l’exercice des facultés supérieures de l’homme ; ce titre suffirait pour le classer parmi les plus nobles manifestations de l’activité et de la culture humaines. Cette exigence initiale suffit aussi à éveiller notre zèle apostolique pour revoir toutes les formes de notre
À nos bibles !
Un autre caractère est la douceur, celle que le Christ nous propose d’apprendre de lui-même : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Matthieu 11, 29) ; le dialogue n’est pas orgueilleux ; il n’est pas piquant ; il n’est pas offensant. Son autorité lui vient de l’intérieur, de la vérité qu’il expose, de la charité qu’il répand, de l’exemple qu’il propose ; il n’est pas commandement et ne procède pas de façon impérieuse. Il est pacifique ; il évite les manières violentes ; il est patient, il est généreux. La confiance, tant dans la vertu de sa propre parole que dans la capacité d’accueil de l’interlocuteur. Cette confiance provoque les confidences et l’amitié ; elle lie entre eux les esprits dans une mutuelle adhésion à un bien qui exclut toute fin égoïste. La figure missionnaire de Pierre est une invitation à une véritable « posture de dialogue » pour vivre et annoncer aujourd’hui l’évangile dans une société sécularisée, sans naïveté ni angélisme, sans oublier que la Parole nous précède et agit ! Thierry Magnin
Et si nous lisions la suite de l’évangile selon saint Luc, que sont les Actes des Apôtres ? Ils ne faisaient sans doute qu’un seul texte au départ. 26 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 35
Spiritualité ignatienne
Pour un langage de Sagesse Souligné par l’assistant mondial de la CVX et repris par la CVX mondiale, le langage de Sagesse ne serait-il qu’un concept de plus ? C’est surtout un outil pratique pour aller aux frontières et une aide pour notre vie spirituelle, indique Claude Flipo s.j. À saisir pour mieux en vivre.
A
trois langages de la Bible auxquels fait référence le P. Adolfo Nicolas, supérieur général de la Compagnie de Jésus et assistant mondial de la CVX, dans sa conférence1 à l’Assemblée mondiale de la CVX au Liban, le 4 août 2013. Dans la Bible, nous trouvons en effet trois langages différents. Il y a d’abord le langage de l’histoire, celui de la mémoire des hautsfaits de Dieu. Israël se les rappelle pour construire son identité et développer un sens d’appartenance au Peuple de Dieu. Ainsi, chaque année, les chefs de famille
© Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons
À la suite du Concile et de son ouverture au monde, l’Église a souvent employé le langage prophétique pour dénoncer l’injustice sociale et rappeler que l’Évangile s’adresse en priorité aux pauvres. Aujourd’hui, devant l’effacement de la mémoire chrétienne, elle rappelle la primauté de la Parole de Dieu et cherche à renouveler son langage catéchétique pour annoncer la foi. Mais en même temps, elle se trouve mêlée aux cultures sécularisées et aux religions dans son dialogue avec le monde, et cherche un langage de sagesse. Elle retrouve ainsi les
▲ Le pape François au parlement de Strasbourg
montaient au temple pour offrir les prémices de leurs récoltes et professer la foi d’Israël : « Mon père était un Araméen errant qui descendit en Égypte… » (Deutéronome 26,5). La foi se nourrit de la mémoire de son histoire. Ainsi, l’Église, par sa catéchèse et sa liturgie, fortifie sa foi et prend conscience de son identité en célébrant le Mystère pascal : « Faites ceci en mémoire de moi ! » C’est le premier langage, celui du Credo, de la mémoire des Apôtres, transmise par la liturgie et la catéchèse. Une fois son identité bien établie sur l’Alliance, Israël se trouve mêlé aux nations. Il prend conscience de sa différence, mais il subit aussi la contagion de l’idolâtrie. C’est l’épreuve de l’oubli. Alors apparaissent les prophètes qui dénoncent avec vigueur la contamination des mœurs païennes, en particulier l’indifférence envers les pauvres : l’étranger, la veuve et l’orphelin. Le langage prophétique en appelle à une purification de la foi par un retour au cœur. Mais le cœur d’Israël se refroidit et se croit en
1. Langage de sagesse : retrouvez le texte du Père Nicolas lors de l’Assemblée mondiale du Liban dans Progressio, Supplément 70, Assemblée mondiale de la CVX au Liban, 2013 (pp. 88-97) et la lettre de l’équipe service CVX mondiale (Projet N° 160 - août 2014).
À lire également sur : cvxfrance.com ou sur le site du mondial : cvx-clc.net
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Spiritualité ignatienne règle par une religion ritualiste tout extérieure. Ce sera l’exil, le petit reste privé de temple, de roi, de terre, qui entend tout le jour : « Où est-il, ton Dieu ? » Apparaît alors le troisième langage, le langage de la sagesse. Il faut chercher Dieu en profondeur, dans l’intériorité du cœur, mais aussi dans le dialogue avec les païens, pour découvrir comment l’esprit de Dieu est au travail dans la vie des peuples. Conclusion du P. Général : notre Église a besoin de profondeur pour sentir les choses intérieurement et exprimer sa foi dans un langage de sagesse qui aille des racines aux frontières, afin de chercher Dieu en toutes choses, dans les réalités quotidiennes de la famille, de la culture, des valeurs sociales, pour accueillir ce qui est bon et dénoncer ce qui détruit la dignité humaine.
soigner les articulations des langages
2. Retrouvez le discours du pape François à Strasbourg de novembre 2014 sur : editions viechretienne.com
Ces trois langages ne convergent pas toujours. Aussi faut-il soigner les articulations, y mettre un peu d’huile, aider à la compréhension mutuelle. Il y a le langage de l’identité qui, s’il est exclusif, devient traditionaliste jusqu’à l’intégrisme. Il y a le langage prophétique qui engage à l’action sociale au point de tourner à l’activisme. Et enfin le langage de sagesse qui entre en dialogue avec les cultures profanes et religieuses au risque d’un certain
relativisme. Trois dimensions qui, lorsqu’elles s’entrecroisent, sont ordonnées à la croissance du corps ecclésial, selon les charismes que l’Esprit saint donne aux membres de ce corps. Mais en ce temps de sécularisation, nous sommes en déficit de sagesse pour répondre à l’incroyance massive. La promesse du Christ reste un défi pour les chrétiens d’Occident, si prudents à répondre de leur foi : « Je vous donnerai un langage et une sagesse que personne ne pourra contredire » (Luc 21,15).
Une visée pratique de la sagesse Sortir ! dit le pape François. Se risquer à la rencontre des ‘mal croyants’, des adeptes d’autres religions, des victimes de l’exclusion : l’Église ne trouve sa ferveur et sa vitalité qu’en sortant d’ellemême, dans le souffle de l’Esprit, c’est-à-dire avec cette sagesse qui sent les choses intérieurement, flaire l’action de Dieu dans le cœur des gens, et ne craint pas de témoigner avec bienveillance. La sagesse a une visée pratique, elle est une manière de se conduire avec prudence et discernement dans les rencontres quotidiennes, de réfléchir sur le monde et ses valeurs, mais aussi de dénoncer ses déviations en osant une parole inspirée. Sagesse de Dieu qui n’est pas celle des hommes. Pensons au discours du pape au parlement européen de Strasbourg2, qui avec courage et sans peur dénonce la fatigue, le manque de vigueur et l’individualisme des sociétés européennes, et leur rappelle la
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dignité transcendante de la personne humaine, en particulier les plus pauvres, à l’encontre d’un monde consumériste. La spiritualité ignatienne et la laïcité ignatienne, ajoutait le P. Nicolas, sont extrêmement pertinentes en ce moment parce qu'elles répondent à un besoin réel : « Votre défi pourrait être de faire que CVX soit davantage partie prenante dans l'église afin que de plus nombreuses personnes puissent découvrir cette manière de vivre… pour aller en profondeur dans la vie de l'Esprit et trouver comment Dieu travaille dans la réalité. » Nous avons besoin, pour trouver Dieu en toutes choses, de cette sagesse contemplative qui tire son regard de l’intérieur, de notre propre expérience de l’Esprit de Dieu, au point de le reconnaître à l’œuvre dans la vie des gens. Dans une homélie sur Notre Dame à la chapelle de Sainte Marthe au Vatican, le pape disait qu’il y a trois points clés pour comprendre Marie : l’écoute, le discernement et l’action. C’est sa manière de penser, disait un témoin : il écoute pendant le printemps, il discerne pendant l’été et il agit en prenant ses décisions à l’automne !
Espace intérieur Invitation à préserver en soi un espace intérieur de silence où l’on puisse consulter l’Esprit de Dieu, sentir et reconnaître les motions qui se produisent dans l’âme à l’occasion de nos rencontres, des événements qui nous touchent, des lectures qui
nous informent. Un espace de vigilance pour discerner aussi les insinuations du malin et le combat qu’il faut mener « dans l’Église militante ». Espace qui,
en outre, permette de parler et d’agir, non pas à partir de réactions affectives, de notre bonne ou mauvaise humeur, mais de sortir vers les autres comme les
vierges sages à la rencontre de l’Époux. Ce qui compte, c’est la réalité et la façon dont le Seigneur travaille dans les personnes. C’est de pouvoir, avec humilité, l’aider en discernant son action. Nadal, un proche de saint Ignace, disait de lui que, non seulement il avait reçu le don d’une grande familiarité avec les personnes divines, « mais encore en toutes choses, actions et conversations, il sentait et contemplait la présence de Dieu et le goût des choses spirituelles. Il était contemplatif dans l’action même. Ce qu’il avait coutume d’exprimer par ces mots : il faut trouver Dieu en toutes choses ». Le trouver pour devenir capable, en toutes circonstances, de rendre compte de l’espérance chrétienne par des paroles qui ouvrent un chemin dans les cœurs.
utions de : oëlle Ferry, ean Picq...
Christus 246
Christu s 246
vient de paraître
en quête de Dieu Accompagner l’homme
en quête de Dieu Accompagner l’homme
Gouverner
verner
Gou Enjeux spirituels
Enjeux spirituels
? Dieu ? la placededeDieu Suis-je à laà place Suis-je qui écoute » « Donne-moi un cœur qui écoute »
gouverner
gouverner
décider Le courage Le couragedededécider tous detous L’affairede L’affaire
« Donne-moi un cœur
n° 2 4 6 – 12 €
n° 2 4 6 – 12 €
Gouverner Enjeux spirituels L’acte de gouverner consiste à animer un processus collectif de décisions même quand une seule personne l’assume. Hommes et femmes politiques sont attelés à la tâche difficile de concilier des intérêts contradictoires et d’opérer des choix dans un monde toujours plus complexe. Face aux enjeux du pouvoir, le bon gouvernant doit-il savoir se rendre docile à l’Esprit pour diriger avec sagesse, intelligence et force ?
Ce numéro : 12 – étr. 13 Pour le recevoir : envoyez vos nom, adresse et règlement à Christus,
14, rue d’Assas, 75006 Paris Tél. : 01 44 39 48 04
En vente dans toutes les librairies et sur le site (paiement sécurisé)
Av r il 2 015
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Claude Flipo s.j.
Revue trimestrielle de spiritualité publiée par des jésuites
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Question de communauté locale
Quelle visée pour chaque rencontre ? Ce que nous cherchons dans nos rencontres, c’est à suivre davantage le Christ. Pour cela nous relisons nos vies la lumière de l’évangile. Dans ma communauté, c’est chacun à tour de rôle qui participe à la préparation et choisit l’axe de relecture. Mais je ne vois pas le fil rouge entre les réunions. Qu’est-ce qui permettrait de voir se dessiner un chemin ?
D 1. Cf les outils de la période d’enracinement. 2. DESE : discerner, envoyer, soutenir, évaluer. 3. Tableau comparant un exercice de contemplation avec une réunion de CL Revue Vie chrétienne n°32 p. 28.
Dans le Guide du responsable de communauté locale, il est explicitement indiqué que le service du responsable implique de « relire avec l’accompagnateur le chemin communautaire ». Et c’est « en vue d’aider la communauté locale à choisir les moyens appropriés pour suivre davantage le Christ ». Il y a donc un horizon qui est donné et un chemin qui se fait peu à peu ou pas à pas. Mais comment inscrire cette croissance dans une histoire partagée ? Comment décider des moyens à prendre, de la visée de chacune des rencontres pour avancer sur le chemin ? Tout dépend de la période que vit la communauté locale.
Au début, pendant l’enracinement, les compagnons se mettent d’accord pour chercher ensemble un fruit qui leur semble désirable. Par exemple : découvrir comment ma relation au Christ grandit grâce à mes compagnons (je ne suis pas disciple tout seul).1 Pour atteindre ce fruit, un chemin de progression s’élabore au fur et à mesure, au fil des rencontres, en s’appuyant sur la pédagogie carac-
téristique de la CVX : contempler, discerner, agir. Se rappeler le fruit recherché et le point où en est le groupe dans l’expérimentation de ce mouvement donne au binôme responsable/accompagnateur le cadre pour préciser la visée de la réunion suivante. Plus tard, en période de discernement de la vocation, la pratique du DESE2 fait vivre l’un ou l’autre de ces exercices : discerner, envoyer, soutenir ou évaluer, suivant les besoins du moment des compagnons. La visée de la rencontre est alors tout naturellement celle de l’exercice en cours ou prévu : une aide au discernement pour un des compagnons ou une évaluation de la mission d’un autre ou encore un soutien à celui qui traverse une difficulté. Pour finir, en période de discernement apostolique, ce sont les besoins des compagnons pour leur mission qui susciteront tel ou tel exercice à mettre en œuvre. Et ce sera la visée de la réunion. Sur le chemin de croissance proposé par la Communauté, se dessine ainsi, pas à pas, une histoire
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concrète de la communauté locale. Il est bon de la ressaisir et de formuler un fruit à rechercher à chaque réunion. Un fruit qui tient compte de la perspective donnée par la Communauté et de ce qui s’est partagé précédemment du vécu de chacun. Nommer ce fruit désiré peut être mis en parallèle avec la demande de grâce formulée avant d’entrer dans la prière3. Exprimer ce fruit dans la foi, avant le premier tour, ancre l’échange dans une recherche commune et sert de base à l’évaluation finale. Remarquons que nous le faisons déjà : souvent un compagnon, en charge de « l’animation » de la réunion, rappelle ce qui est proposé avant de commencer. Parfois il dit même les raisons d’un tel choix. Mais il pourrait aller plus loin en exprimant explicitement ce qui est visé par ce choix pour la croissance de chaque compagnon et de la communauté locale. Et en allant jusqu’à le demander comme une grâce au Seigneur ! « Demandez, on vous donnera… » (Matthieu 7,7) Béatrice Piganeau
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Ensemble faire Communauté
En France
La vie simple, une bonne nouvelle ? Quelle sorte de bonne nouvelle peut être la vie simple ? Quelles résonances avec la Parole de Dieu ? Quels choix au quotidien ? C’est autour de ces réflexions que les membres de l’atelier Chrétiens Co-responsables de la Création (CCC) se sont réunis pour leur rencontre annuelle.
L
La vie simple, est-elle une bonne nouvelle ? C’est pour creuser ce thème que se sont retrouvés 19 membres de l’atelier Chrétiens Co-responsables de la Création à Chambéry, pour la rencontre annuelle de l’atelier. Après un temps de prière personnelle sur l’évangile de Marc (12, 41-44), la pauvre veuve et ses deux piécettes, chacun fut invité à un temps de relecture à partir d’une série de mots et de questions. Les mots qui parlent : unifier, contemplation, fragilité, unification, lien, humilité, partage, sobriété, dynamisme, créativité, décélération, allègement,
© Ccc
1. COP-21 : 21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 15 décembre 2015.
lâcher prise, faire confiance, aller à l’essentiel, gratuité, don, sobre, frugal, se désencombrer. Nous laissons venir à la mémoire du cœur des images ou des paroles de la Bible, telles scènes, tels visages de Dieu, du Christ, qui nous disent quelque chose de cette simplicité. Quelle simplicité je vis dans mon rapport à moi-même, au temps, à l’espace, aux autres, à Dieu, à la création, au monde ? Quelle bonne nouvelle j’expérimente dans mes choix, dans mes lieux de vie ? Ainsi, à l’exemple de Zachée qui accumulait et est devenu humble, a distribué sa fortune, la vie simple pour l’une de nous a été vécue dans la gestion familiale : habiter un appartement au lieu d’une maison ; faire le choix explicite de vacances plus sobres. Après le déluge, Dieu nous a à nouveau confié le monde et toute sa richesse et nous en a rendus responsables. Pour une autre, les chemins de vie simple sont surtout dans l’alimentation (de moins en moins de viande) et les transports
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(toujours en commun et le moins possible d’avion). Ajusté, accordé à Dieu et aux autres, le Christ a une relation toujours ajustée à l’autre. La bonne nouvelle est d’être ajusté aux autres. La vie simple est plus une question d’être que de faire. Posséder mais ne pas se laisser posséder. Valorisation des produits de la nature, danses folk, covoiturage ou vélo, moins se prendre la tête pour prendre des décisions, oser agir, ne pas avoir peur du changement, rêver de choses simples… Puis vient le temps du partage en grand groupe de bonnes nouvelles vécues : choix d'une vie simple, alors qu’avant elle était imposée ; jeûne pour le climat en faveur de la COP 211 sur le climat en décembre prochain à Paris, expérimentation de la relation non violente avec des éleveurs… Beaucoup de mercis à la fin de ce week-end très familial puisque nous étions accueillis chez un couple membre de l’atelier et chez un voisin, membre CVX. Les responsables de l’atelier CCC
© Armel G.
Tirer profit de l’été 2015 L’été approche avec, cette année, le rendez-vous communautaire du Congrès. Des propositions sont faites autour de cet événement ; la CVX organise aussi sessions et retraites. À chacun de trouver ce qui le fera grandir.
Congrès Session • Je souhaite vivre un temps fort communautaire « Venez au puits de la rencontre ! » voilà le thème du Congrès. Du 31 juillet au 2 août 2015 à Cergy-Pontoise. Chacun sera convié à : - Contempler ce monde qui lui est donné et y lire les signes des temps. - Repérer le ou les « puits » où il coopère à la rencontre du Christ et des hommes. - Discerner, avec l’aide de l’Esprit saint, les multiples signes d’amour et de transformation de la famille humaine. - Agir pour répondre davantage aux besoins de notre temps, comme disciple, compagnon et serviteur.
• Je souhaite que mes enfants vivent aussi un temps spirituel – Camp MEJ pour les 8 – 10 ans et pour les 11 – 13 ans. Du 26 juillet au 2 août 2015 à la Maison de Massabielle 95390 Saint-Prix. Les enfants rejoindront le Congrès le dimanche 2 Août au matin. Inscription : mej.fr – Accueil des enfants de 8 à 18 ans au Congrès, avec animation par tranche d’âge. Inscription en même temps que les parents sur congres2015-cvx.com
• J’aurais du goût à servir la Communauté « Servir dans la Communauté » : une session qui permet de mieux découvrir les fondements de la Communauté de Vie Chrétienne. Du dimanche 12 juillet (19h) au samedi 18 juillet 2015 (18h) au centre spirituel de Penboc’h guadalupe@cvxfrance.com
Retraites
Inscription : congres2015-cvx.com
• Je souhaite vivre une retraite selon les Exercices spirituels
• Je souhaite prendre un temps de retraite avant le Congrès - 4 jours pour se reposer et se disposer intérieurement. Du samedi 25 juillet (19h) au jeudi 30 juillet 2015 (9h) au centre spirituel du Haumont. Hautmont – Tél. : 03 20 26 09 61 contact@hautmont.org
- U ne entrée dans les Exercices : « Oser se séparer pour recevoir davantage ». 5 jours de retraite pour prier avec la Parole de Dieu, goûter et sentir, en silence avec un accompagnement personnel. Du dimanche 19 juillet (18h) au samedi 25 juillet (9h) au centre spirituel de Saint Hugues de Biviers. Saint-Hugues de Biviers – Tél. : 04 76 90 35 97 accueil@st-hugues-de-biviers.org - Une retraite de 10 jours : « Avance en eau profonde ». 10 jours de retraite pour se laisser davantage conduire par Dieu et ordonner sa vie en profondeur ou pour discerner une décision à la lumière et à la suite du Christ. En solitude et avec accompagnement personnel. Du lundi 10 août (18h) au vendredi 21 août (9h) au centre spirituel de Saint-Hugues de Biviers. Contact : Saint-Hugues de Biviers – Tél : 04 76 90 35 97 accueil@st-hugues-de-biviers.org
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Ensemble faire Communauté
En France
© Conférence des évêques de France
Congrès : Des rencontres qui décoiffent Le Congrès ne va pas au désert. C’est tout un diocèse qui accueillera les participants cet été. De quoi faire de belles rencontres dans les familles qui hébergeront, comme dans les associations qui proposeront des moments de partage. Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, se réjouit déjà des richesses qui se partageront.
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Qu’est-ce que la présence du Congrès de la CVX à Cergy peut apporter à votre diocèse ?
peut aider chaque chrétiens. En témoignant de ce qui les anime, du charisme de l’écoute, du discernement et de la relecture, cela peut donner de l’inspiration aux chrétiens du diocèse. Je pense en particulier aux néophytes, récents baptisés et confirmés, nous en avons 250 chaque année. Certains se trouvent démunis une fois les sacrements reçus, la CVX, avec d’autres mouvements, peut être un chemin pour continuer à nourrir leur foi.
Mgr Stanislas Lalanne : Au plein cœur de l’été, alors que les paroisses s’assoupissent parfois, cet événement y créera un vrai dynamisme. Des familles seront heureuses d’accueillir des membres de la CVX pour les loger, pour créer des rencontres ou des activités avec elles. De plus, des personnes très diverses, de toute la France, et même d’ailleurs, se côtoieront, ce qui créera un bel élan de fraternité. Enfin, la CVX, avec sa spécificité issue de la spiritualité ignatienne,
© La passerelle rouge / Flick / Besopha
De quelles richesses la CVX pourrait profiter en venant vivre son prochain Congrès dans le diocèse de Pontoise ? Mgr S.L. : Ouvrir sa maison à des inconnus, accepter de se faire inviter dit quelque chose de l’évangile. C’est ce trésor qui va être partagé et vécu cet été. Mais il ne faut pas oublier, qu’avant cela, pour que la CVX puisse vivre ces trois jours ensemble, il aura fallu que de
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nombreuses personnes localement se démènent ! Notre connaissance des réalités locales, l’ouverture de nombreux lieux diocésains permettra une spiritualité incarnée. Vous découvrirez également des paroisses dynamiques, jeunes, intergénérationnelles et colorées. Une centaine de nationalités est présente. Un vrai visage de l’Église dans sa dimension universelle. Il y a peu d’institutions en France qui peuvent rassembler dans la communion autant de personnes différentes. Vous serez accueillis dans une ville nouvelle, avec une vie ecclésiale qui ne ressemble pas à ce qui se vit ailleurs. Si certains arrivent avec une vision négative de la banlieue, ils découvriront qu’il peut faire bon vivre dans une agglomération à une demi-heure de Paris. Ce sera certainement une découverte qui « décoiffera » plus d’un membre de la CVX !
Au service d’une semaine de prière accompagnée La CVX ou des membres sont appelés, depuis plusieurs années, par un diocèse ou une paroisse pour animer une semaine de prière accompagnée, un service qui porte de nombreux fruits localement et pour la CVX comme Corps de laïcs. de pouvoir poser toutes leurs questions. Pour la CVX, cela demande de trouver des accompagnateurs disponibles pour venir toute la semaine écouter les retraitants, et après les avoir écoutés, de pouvoir leur proposer un nouveau texte biblique pour prier et avancer dans leur chemin à la suite du Seigneur. Quand de nombreux membres de la CVX accompagnent ensemble une semaine sur une paroisse, cela donne à notre Communauté une visibilité dans l'église : c'est pour nous, membres de la CVX, une belle manière de nous mettre au service de l'Église. Dans ma paroisse, les participants ont été très admiratifs de la disponibilité manifestée par les membres de la CVX ; certains, n'ayant pas pu le faire, ou pas osé, espéraient pouvoir vivre cette semaine l'année suivante ! L'écoute jusqu'au bout vécue en communauté locale, la prière régulière et la relecture de notre prière affinée en vivant des retraites selon les Exercices personnellement accompagnées,
la relecture quotidienne de nos journées, tous ces moments où nous sommes attentifs à nos mouvements intérieurs nous forment à l’écoute des mouvements intérieurs de nos frères en Christ. Mais n'oublions pas que pour nous lancer dans l'aventure, il faut une petite équipe capable de faire la supervision de chacun des accompagnateurs. N'est-ce pas un beau moyen qui nous est offert, à nous CVX et avec le soutien de jésuites et de religieuses ignatiennes, de partager un trésor qui nous a été donné ? Marie-Agnès Bourdeau CVX Paris Sainte Geneviève
Semaine de prière accompagnée (SEPAC) : Comme une mini-retraite dans la vie, durant une semaine des paroissiens s'engagent à prier chaque jour avec le texte biblique qui leur est donné et à venir rencontrer un accompagnateur, pour parler de leur prière. 1. D'après le Cahier évangile 164 de Christophe de Dreuille.
© Kjekol / iStock
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Pour la paroisse, cela demande de préparer en amont cette semaine, d'expliquer la proposition, de prévoir une équipe d'accueil, un prêtre disponible pour les confessions. Dans ma paroisse, ce temps de préparation a été un temps dynamisant car il s'agissait d'expliquer la proposition pour motiver les personnes à se lancer dans cette démarche ; la plupart de ceux qui ont accepté d'aider pour l'accueil ont désiré vivre cette semaine. Mais après avoir donné le goût de la prière avec la Parole de Dieu, vient le temps de voir quelle suite donner : en effet, avec le prêtre qui avait porté cette proposition, nous nous sommes rendu compte du désir des participants de continuer à être soutenus dans leur prière, tant concrètement (quand vaisje prier ? à quel rythme ? quel texte choisir? comment redémarrer quand on a perdu le rythme), que sur ce que soulève en eux la prière. C'est pourquoi, nous leur avons proposé de pratiquer la lectio divina1, de participer à des prières guidées ou à des dialogues contemplatifs, et surtout nous leur avons donné l'occasion
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Ensemble faire Communauté
En France
Comment aborder l’actualité en CVX ? Peut-on parler de sujets d’actualité en CVX ? On pourrait presque en douter lorsque l’on voit les thèmes des rencontres de communautés qu’elles soient locales, régionales ou nationales… Pourtant quelques démarches en ce sens ont eu lieu localement.
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1. équipes brassées : des personnes de communautés locales différentes se retrouvent pour vivre un temps de rencontre, selon les formes habituelles.
© Yann Le Perff
2. Désaccord constructif conçu par Patrick Viveret, philosophe.
À la suite des attentats terroristes de début janvier, la France a été secouée. Comment les membres de la CVX ne seraient-ils pas eux aussi touchés ? C’est ce qui a sans doute permis à deux communautés régionales de proposer des rencontres en équipes brassées 1 dans le mois qui a suivi. En Touraine, une soirée ouverte à la famille ignatienne a été organisée par la CVX. « Les personnes présentes, ont pu exprimer leurs différences de perception et d’analyse. Mais comme cela se déroulait sous forme des deux tours de nos rencontres : d’abord écouter, puis dire comment cela résonne en soi, du coup, avoir une parole différente était ‘entendable’ par tous », s’émerveille encore Jean Allain, responsable de l’équipe service communauté régionale (ESCR) Touraine qui ayant perçu le désir de parler des événements avait invité tout le monde par mail à
cette rencontre. Quelques jours plus tard, plusieurs participaient aux portes ouvertes de l’une des mosquées de Tours.
Suite aux attentats de janvier C’est à la suite d’une demande de communauté locale que la communauté régionale Maine a proposé ce même type de réunion. « J’avais envoyé aux accompagnateurs le rappel de la fiche pour vivre une réunion avec les événements du monde, se souvient AnneMarie Siedel, assistante régionale. Au moins deux CL s’en sont servi, mais une autre a contacté l’ESCR. Elle ne se sentait pas de rester seule face à ce sujet. C’est ainsi que nous avons proposé une rencontre en équipes brassées, ce qui se pratique chaque été ». Malgré la neige de ce soir-là, 11 personnes sur les 87 du département se sont déplacées. Parler et se sentir écouté a permis aux participants de repartir heureux de cette rencontre préparée en moins d’une semaine. « Avec les mails, ce n’est pas compliqué de monter de telles rencontres. Nous pourrons le refaire pour d’autres événements », conclut l’assistante.
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C’est ce qui a été réalisé à deux reprises à Nantes (Loire-Océan). Mais sous une forme un peu plus ‘débat’. « Nous avions organisé en 2005 une réunion pour éclairer le vote sur le traité constitutionnel européen. Les différents arguments avaient été présentés et débattus », se souvient Arnaud du Crest. « Nous avons repris ce schéma en 2013 pour aborder un sujet qui divise la région : l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Une soixantaine de personnes sont venues, dont des personnes extérieures. Nous avons utilisé la méthodologie de désaccord constructif 2 : après un état des points d’accord et des points de tension, les participants étaient invités à répondre à la question : ‘Dans la position que vous ne partagez pas, quels sont les points qui vous semblent les plus recevables ?‘ ». L’objectif était d’aider à comprendre les enjeux, pas à convaincre. « C’est à chacun de discerner, et les positions peuvent être, et sont, différentes au sein de CVX comme au sein de la population », souligne Arnaud du Crest. De quoi s’enrichir de ces rencontres pour de prochains événements d’actualité !
Compagnons au-delà des frontières
© Colette Périssé
Dans le monde ▲ Les compagnons entourant Vibin en Inde
Souvent accompagnés par des scolastiques, des membres d’une CL décident de rejoindre leur dernier accompagnateur pour son ordination. Cela les mène jusqu’en Inde. Une nouvelle façon d’expérimenter le compagnonnage.
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Po u rq u o i a vo i r d é c i d é d e partir ?
préparera une maitrise de philosophie indienne pendant deux ans.
Colette Périssé : Depuis 5 ans, notre communauté locale a été accompagnée par 3 scolastiques différents. À force, cela nous a fait travailler la question de ces jeunes jésuites en France pour plusieurs années. Nous avons été aux ordinations diaconales en l’église Saint-Ignace de Paris, mais cette fois, nous souhaitions accompagner à notre façon celui qui nous a accompagnés : aller à son ordination presbytérale, cela nous a emmenés en décembre 2014 jusqu'au Kerala, une province du sud de l’Inde. C’est une intuition qui s’est imposée à nous, comme une évidence… Le chemin de Vibin au cœur de notre CL se poursuivait durant quelque temps encore par notre présence à ses côtés au nom de notre amitié dans le Seigneur et les uns pour les autres « serviteurs du Serviteur ». Nous continuons notre correspondance par des mails qui nous permettent de porter dans notre prière ce nouveau prêtre qu’est désormais Vibin au service d’une paroisse près de Köchi, avant de rejoindre Bénarès en juin où il y
Comment avez-vous vécu ce voyage en tant que communauté ? C.P. : Ce n’était pas des personnes qui partaient, mais bien une CL, même si nous n’avons pas tous pu nous y rendre. Garder le lien a été essentiel pour nous. Aussi, nous tenions un petit journal de bord, que nous envoyions aussi régulièrement que possible lors des 4 semaines en Inde. De plus, à notre dernière rencontre de CL avant le départ, ceux qui ne venaient pas en Inde ont chacun écrit une lettre à Vibin et préparé des petits cadeaux à lui remettre. Mais la CL n’était pas seule, la communauté régionale aussi était présente. La quête de notre messe de rentrée lui a été offerte pour qu’il l’utilise au mieux. C’est donc les mains chargées que nous lui avons remis nos cadeaux après son ordination. Une photo de la remise de chaque présent a été faite afin d’associer chacun. Lors de la première eucharistie de Vibin célébrée spécialement pour nous, nous avons enregistré son homélie pour, au retour, la partager à nos
compagnons restés en France. C’est le coeur chargé de souvenirs et de petits présents pour nos compagnons que nous nous sommes retrouvés. À notre retour, nous avons fait attention à ce que la rencontre ne tourne pas seulement autour de notre voyage, mais bien autour de la relecture du quotidien de chacun. Quels temps forts ? C.P. : Beaucoup de rencontres : avec la communauté jésuite en premier lieu qui nous a accueillis dans l’ashram de Shameshka, dans une simplicité réjouissante ; avec la famille de Vibin pour qui cela semblait être un honneur que l’on soit venu alors que c’était nous qui étions honorés d’être présents ; avec un conducteur de tuk-tuk hindou qui nous a ouvert sa maison et partagé son chemin de vie et de difficultés. Sans oublier l’ordination de Vibin : plus de trois heures selon le rite syro-malabar, en malayalam, une langue d’Inde parlée au Kerala ! Une CL d'Yvelines Sud Mai / juin 2015 37
Ensemble faire Communauté
Dans le monde
MAGIS 5 : former des laïcs ignatiens La France n’est pas le seul pays où une formation CVX de haute qualité est proposée à ses membres. L’ Amérique latine en propose une sur 3 ans. La prochaine session commencera le 31 juillet prochain et sera pour la première fois ouverte à tous, même aux non-Sud-Américains.
U 1. Lire Progressio n°70 p. 60.
Une formation ouverte à tous ! La 5e session de Magis, formation jusque-là réservée aux pays d’Amérique latine, se veut ouverte à tous. Elle débutera le 31 juillet 2015 pour trois années (voir encadré). « Nous nous doutons bien que proposant cette formation en espagnol, cela limite le nombre possible de participants, reconnaît Sofia Montanez, coordinatrice de Magis 5 et ancienne secrétaire exécutif de l’ExCo (voir RVX N° 30). Mais d’ouvrir explicitement à tous, cela nous permet de nous sentir davantage une seule communauté, un corps laïque ignatien. ».
© CVX – CLC
Depuis son lancement en 1998, près de 200 personnes venant
▲ Les membres de Magis 4
de 17 pays ont été formées. « Mais c’est presque le double si l’on compte ceux qui ont suivi seulement les cours intensifs ou ceux qui ont seu-lement travaillé les textes », souligne Sofia.
Apostolat de laïques Les fruits sont très nombreux pour la CVX : ainsi près de 70 % des membres en responsabilité en CVX sur ce continent ont suivi ce parcours. Ce qui permet, par effet rebond, aux formations locales d’être également de bonne qualité théologique. De nombreuses personnes ayant achevé ce parcours ont publié leur mémoire dans des revues de spiritualité, contribuant ainsi à enrichir la spiritualité ignatienne d’une vision laïque. « N’oublions pas que ce diplôme est reconnu par l’université jésuite de Bogota et par la Conférence des jésuites d’Amérique latine, ce qui permet de fructueuses collaborations en famille ignatienne », ajoute la coordinatrice. Depuis la mise en place de Magis, un cours en ligne sur la responsabilité sociale en Amérique latine s’est
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mis en place, profitant à un grand nombre. « Notre compréhension grandit au fur et à mesure de la réflexion de ce qu’est l’apostolat de laïques dans les familles, le travail, la politique, la sexualité… ». Ce travail de réflexion et d’approfondissement bénéficie au-delà des frontières latines, car c’est sans doute ce qui a soutenu le discours de Franklin Ibanez lors de l’Assemblée mondiale du Liban1 et qui enrichit encore le travail du nouveau responsable mondial de l’ExCo. Les dimensions de MAGIS 1re année : christologie, 2e année : ecclésiologie, 3e année : identité laïque. Chaque année se répartit en deux temps : une rencontre intensive d’une dizaine de jours avec tous les participants dans un pays d’Amérique latine, puis une période où chacun travaille de chez lui le thème pour produire un essai. La méthodologie approfondit quatre dimensions : spirituelle, intellectuelle, communautaire et apostolique et croise trois lignes de réflexion : la croissance personnelle, la réalité sociale de l’Amérique latine et l’identité CVX. Prix : 800 $/an + trajet
Billet
Là-bas si j’y suis Ouf !
© LP
La route est faite, le chemin gravi, la clé-sousla-pierre-à-droite-de-la-porte trouvée, les volets ouverts. J’y arrive enfin dans cette maison de vacances, de famille… aux pieds des Pyrénées ariégeoises. Une maison pleine de souvenirs d’enfance, qui invite au repos. Ces dernières semaines ont été trop pleines, trop denses, trop tout. « Prises de têtes » comme disent mes enfants. Ici, je vais la vider ma tête ; pas de travail, pas de téléphone, pas d’internet. Me vider la tête et m’emplir le cœur. M’emplir de Toi, Seigneur. Depuis plusieurs jours, je regarde à la longue-vue cet îlot. On y sera bien tous les deux. Toi et moi au désert. Pas mal ! Contempler, méditer, portée par quelques psaumes bien sentis. « Les cieux racontent la gloire de Dieu »… mmh, c’est bon ça, en regardant les montagnes ! Et cet autre « Il tient dans sa main les gouffres de la terre ; les crêtes des montagnes sont à lui ». « Tu es là au cœur de nos vies »…moins littéralement biblique, moins poétique peut-être, mais inspirant tout de même ; ce vieux refrain de caté surgit, réveillé par l’assaut des souvenirs d’enfance. C’est fou ce qu’il y a de petites madeleines à savourer ici ! « Au cœur de nos vies »… au cœur de ma vie. Ma vie pleine de travail, de joies, d’enfants, de fatigues, d’internet, des autres, de projets, de vides, de rencontres… ma vie de là-bas. Celle que j’ai laissée pour m’échouer ici. Dans ce refuge. Tiens, ça me rappelle un autre psaume « En Toi Seigneur, j’ai fait mon refuge ». C’est le 11. Mais à y regarder de plus près (je l’ai dit, j’ai le temps), David parle de refuge à longueur de psaumes : dans le 7, le 16, le 25… Les verts pâturages ariégeois valent sûrement les prés d’herbes fraîches du psalmiste… et c’est bien là qu’aujourd’hui, tu me fais reposer. Mais demain, quand je redescendrai dans la vallée, je n’oublierai pas que tu n’es pas resté « là-bas », à attendre mes prochaines vacances. Je tenterai de te trouver et de te garder « là, au cœur de ma vie, bien vivant, ô Jésus-Christ » (ça me revient !). Ici ou là-bas. Le refuge, c’est Toi. Ouf !
Laetitia Forgeot d'Arc
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Prier dans l’instant
en traversant un marché Ce matin, la météo est agréable. Je décide d’aller à pied à une réunion. Sur le chemin, je traverse un grand marché. C’est une joie : j’aime les marchés. Je découvre les différents étals offrant la variété des produits. Multiplicité des couleurs, des fruits, des légumes, des produits de la mer, des fromages et autres produits du terroir. Variété des odeurs, en particulier lorsque je passe devant les épices, le thé, le café. J’entends les vendeurs haranguer les passants avec des intonations ou des accents bien typés.
© Boggy22 / iStock
Je vois des mamans avec des bébés dans les poussettes. Elles s’arrêtent, touchent et se servent en fruits, légumes devant les yeux ébahis d’enfants, juste assez grands pour découvrir les denrées, à hauteur de leurs yeux. Je te remercie Seigneur pour cet aperçu de la création, pour tous ceux et celles qui ont travaillé à produire ces vivres. Merci pour toutes ces personnes qui d’un même achat vont réaliser des plats différents, héritage familial, ou inventer une nouvelle recette, créativité éveillée. Tout cela me ramène à la rencontre qui va se vivre dans quelques instants. Donne-nous la grâce, Seigneur, d’entendre la diversité des réactions, des idées qui vont s’y exprimer car Tu as besoin de chacun pour Te révéler et construire ici Ton Royaume. Catherine Raphalen
Nouvelle revue Vie Chrétienne – Mai / Juin 2015